Ne nous précipitons pas vers Pâques…

Le carême nous offre d’autres choses à envisager d’abord si nous souhaitons que nos célébrations pascales soient « réussies ».

Armoire de l’artiste pauvre/Arbre tombé

Armoire de l’artiste pauvre/Arbre tombé

Christianity Today February 16, 2023
Charles Bird King / Alexandre Calame / National Gallery of Art Open Access / Edits by Christianity Today

Crée en moi un cœur pur, ô Dieu, rends à nouveau le souffle sûr en moi. Ne me rejette pas loin de toi, ne me prends pas ton souffle sacré. — Psaume 51.12-13

Il y a à mes yeux peu de questions qui hantent autant les pasteurs que celle-ci : « Qu’est-ce qui fait le succès d’un culte ? »

Il peut être assez facile de proposer une réponse théologiquement solide à la question, mais la frénésie de réunions qui agitent souvent les Églises à l’approche de Pâques me laisse penser que ces réponses ne sont pas suffisantes. En exerçant notre ministère dans nos milieux évangéliques contemporains, nous préparant à conduire notre communauté dans le culte et à l’écoute de la Parole, nous connaissons probablement tous la tension entre le choix d’un service paisible et fidèle et nos tentations de mettre le spirituel au service de nos propres ambitions. Beaucoup d’entre nous savent combien il peut être difficile de cheminer avec l’Église tel qu’elle est sans se laisser obnubiler par l’idéal de l’Église telle que nous aimerions la voir : quelque chose de plus grand, de plus fort, de plus unique à mettre en avant… Ces définitions du succès pour l’Église et ses rassemblements ne finissent-elles pas par paraître mondaines, dépourvues d’imagination ?

Cette tension dans le ministère me paraît souvent plus forte pendant la période du carême. Alors que des millions de croyants du monde entier entament dans diverses traditions un voyage de tranquille et laborieuse préparation spirituelle jusqu’à Pâques, beaucoup de leurs pasteurs s’affairent à rassembler des équipes pour mettre en œuvre de grandes idées susceptibles d’attirer les foules. Ce dimanche crucial du calendrier de l’Église moderne est réservé à la proclamation de la victoire du Christ, mais cette date s’accompagne d’idées très spécifiques sur ce qu’est la réussite et de charges particulièrement lourdes pour l’atteindre. Les budgets s’envolent. Le nombre de volontaires nécessaires augmente. La joyeuse célébration de Pâques pour la communauté ressemble parfois davantage à une fin de marathon épuisante pour les personnes engagées dans son organisation.

Si la mesure du succès est simplement la croissance numérique, ce prix vaut la peine d’être payé. Après tout, la hausse de la fréquentation des Églises autour de Pâques est un phénomène réel, qui nécessite une préparation réfléchie et une stratégie appropriée. Certaines communautés considèrent que la morosité et la lourdeur de certains aspects du carême constituent un obstacle à leurs projets de Pâques. Elles écartent ainsi complètement cette tradition. J’ai entendu des évangéliques qualifier le carême de « catholique » ou de fruit de dénominations mourantes et de leurs traditions liturgiques désuètes. Après tout, nous sommes encore en début d’année. Les gens sont pleins d’espoir. Pourquoi alourdir le début de leur course annuelle sous le poids d’une introspection en profondeur ? Pourquoi freiner l’élan du début du printemps par le difficile exercice de certaines contemplations et risquer de ne pas suffisamment préparer la fête en avril ?

Une grande partie de cette pensée découle du désir louable que l’Église soit bien intégrée et pertinente dans sa culture. Comment pouvons-nous espérer atteindre ceux qui se trouvent dans un monde pressé et bruyant en faisant la promotion d’un temps d’arrêt et de calme ? Entre nous, nous pouvons apprécier les pratiques de la confession et du jeûne, mais comment ces étrangetés pourraient-elles éclairer les cœurs dans ce monde de ténèbres ? Je ne voudrais pas donner d’illusions à mon propos : dans chaque contexte de mon ministère, j’ai ressenti année après année cette tension en conduisant les cultes et en planifiant nos activités. Préparer Pâques en étant tout à la fois croyant et pasteur est un défi dans lequel j’ai échoué à maintes reprises. Pour les responsables d’Église, le souci d’être pertinent dans une culture donnée tend parfois à occulter la possibilité d’exercer une influence subversive dans cette culture.

La célébration de Pâques a pris une signification très spécifique : c’est le moment où nos chants se font les plus retentissants et où nous organisons les activités les plus importantes et les plus nombreuses de l’année. Là où va notre attention, là vont aussi nos budgets et nos engagements les plus passionnés.

Persévérer dans cette voie pourrait finir par nous conduire à des impasses. Comparé au décorum de certains de nos rassemblements de Pâques, le message qu’ils sont censés véhiculer peut finir par sembler lui-même terne aux yeux de certains. De nombreux pasteurs à qui j’ai parlé expriment un certain malaise à vouloir essayer de tirer quelque chose d’unique et de spécial d’une histoire qui, selon eux, a été racontée des centaines de fois — et souvent mieux racontée dans l’Église de l’autre côté de la rue ou en ligne. Cela pourra peut-être paraître choquant pour quelqu’un qui n’exerce pas de responsabilité professionnelle dans l’Église, mais je pense que les pasteurs qui liront ceci connaissent au moins un peu ce sentiment. Là où le succès a été mesuré en termes d’ingéniosité et de mise en scène, les imaginations se sont épuisées. Tout comme pour les parents qui organisent une grande fête d’anniversaire pour leur enfant, tout le travail nécessaire laisse peu de place pour prendre le temps de célébrer.

Les réticences de ceux qui organisent de grandes célébrations de Pâques à l’égard du carême ne sont pas étonnantes. Faire du carême quelque chose qui ne soit pas contre-intuitif pour beaucoup de nos cultures est pratiquement mission impossible. Qu’il en soit ainsi ! C’est l’étrangeté du carême — sa lenteur obstinée au milieu de la ruée dans les activités de la nouvelle année, son invitation à la confession lorsque l’orgueil et la confiance en soi sont à leur paroxysme — qui le rend si puissant et potentiellement si transformateur, à la fois dans la culture que nous essayons d’atteindre et dans celle que nous cherchons à construire au sein de nos communautés.

Arbre tombéAlexandre Calame/National Gallery of Art Open Access
Arbre tombé

Vous imaginerez peut-être que je plaide pour une célébration de Pâques moins resplendissante. C’est tout le contraire. C’est le cheminement du carême qui place Pâques dans la lumière la plus éclatante. C’est le mouvement contre-culturel offert par les notions de reconnaissance de notre péché et de sacrifice qui rend le chemin que le Christ a emprunté pour nous si lumineux dans nos cœurs, dans nos esprits et dans nos assemblées. De tous les dimanches, Pâques devrait être la note la plus haute que nous atteignons dans nos calendriers ecclésiastiques, et non pas simplement un week-end auquel nous survivons en serrant les dents et en affichant un sourire de circonstance. Pâques est la source d’une joie florissante, abondante. Mais si l’on ne fait pas face à la réalité de notre servitude, si l’on ne regarde pas en face notre monde brisé, quelle valeur a la libération apportée par Pâques ? Sans affronter les tentations de notre chair et les échecs de notre péché, quel espoir y a-t-il que le récit de l’Évangile vienne faire vibrer notre imagination d’une manière rédemptrice ? Si nous ne sommes pas capables de ralentir et de déposer nos fardeaux pour savourer le don de la Croix, comment pourrions-nous espérer communiquer efficacement la joie de la résurrection du Christ à nos amis et nos familles qui ne le connaissent pas ?

Si Pâques a parfois silencieusement perdu de son éclat parmi les pasteurs et les responsables d’Église en raison d’attentes et de rythmes trompeurs, le carême offre plus qu’un correctif. Cette pratique peut nous aider à raviver un premier amour. Dans son livre sur le sujet, Great Lent, Alexander Schmemann écrit :

Les traditions liturgiques de l’Église, tous ses cycles et ses célébrations, existent avant tout pour nous aider à retrouver la vision et le goût de cette vie nouvelle que nous perdons et trahissons si facilement, afin que nous puissions nous repentir et y revenir. Comment pouvons-nous aimer et désirer quelque chose que nous ne connaissons pas ? Comment pouvons-nous placer au-dessus de tout dans notre vie quelque chose que nous n’avons pas vu et apprécié ?

La nature contre-culturelle du carême est précisément ce que cette tradition a à apporter. Le carême est un temps de purification spirituelle en vue d’une transformation de notre manière de vivre et d’être avec Dieu. Cette saison nous ouvre la possibilité de laisser mourir les faux dieux afin que le Christ puisse s’élever en nous.

« Qu’est-ce qui fait le succès d’un culte ? » Un culte « réussi » sera certainement un moment où Jésus est présenté avec clarté, apprécié, remercié, loué. Ce sera un lieu où tous les affamés — invités ou habitués — peuvent trouver le repos à la table que le Seigneur a préparée. Si nous sommes prêts à accepter l’invitation que nous lance le carême, à ralentir et à laisser tomber les ambitions trompeuses ou les rythmes épuisants, nous rencontrerons plus facilement le type de joie que nous attendons de la célébration de Pâques — celle qu’elle a toujours été censée procurer.

Questions de réflexion :



1. Dans sa confession du psaume 51, le désir ardent de David était que Dieu purifie son cœur. Le carême nous invite à entrer dans la même démarche, pour faire la même requête. Lorsque David ouvre son cœur à cet examen, il prie spécifiquement pour recevoir en Dieu sa joie et sa bonne volonté. En regardant à votre propre vie, où vos attentes ou priorités pourraient-elles révéler des sources de joie différentes ou une hésitation à suivre Dieu là où il vous conduit et travaille ?

2. Dans le psaume 51 (v. 17), David voit la louange jaillir de son cœur contrit. Pourquoi pensez-vous que les chrétiens considèrent souvent la louange et la contrition comme des pôles opposés du spectre de notre piété envers Dieu ? Comment le fait d’ouvrir notre cœur à la contrition pendant la saison du carême pourrait-il amplifier nos cris de louange à Pâques ?

Caleb Saenz est le pasteur chargé de la formation spirituelle à l’Alamo Community Church de San Antonio, au Texas, où sa famille et lui démarreront une implantation d’Église nommée The Garden dans le courant de l’année. Il suit actuellement des études à l’Institute of Worship Studies de Jacksonville, en Floride.

Cet article fait partie de notre série « À l’aube d’une vie nouvelle » qui vous propose des articles et des réflexions bibliques sur la signification de la mort et de la résurrection de Jésus pour aujourd’hui.

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Culture

À l’aube d’une vie nouvelle

Retrouvez l’introduction et l’ensemble de notre série de carême et de Pâques 2023.

Christianity Today February 16, 2023
Illustration par Bethany Cochran

Bienvenue ! Cette année, nous vous invitons à un voyage à travers la saison du carême, entre sombres profondeurs du Vendredi saint et merveilleuse lumière de Pâques et de la résurrection de Jésus-Christ. Dans cette série d’articles, vous serez guidé à travers les paysages de la patrie de Jésus et le voyage qu’il entreprend à travers des périodes de confusion, de désarroi et d’espoir, jusqu’à la joie éternelle.

Comme vous le vivez peut-être, l’Église se trouve en bien des lieux à un moment charnière de son existence où il semble que certaines idées, méthodes et habitudes familières perdent peu à peu leur place. Il est naturel de craindre ce qui peut évoquer un sentiment de déclin — qu’il soit physique, moral, politique ou relationnel — mais le temps du carême et de Pâques nous rappelle que certaines choses doivent parfois mourir avant de porter une nouvelle plénitude de vie.

À travers les textes et les illustrations artistiques de cette série de méditations spécialement préparée pour vous par Christianity Today, divers pasteurs, théologiens et penseurs offrent leur point de vue sur ce que nous sommes appelés à laisser mourir de notre époque, afin de faire face à la réalité pour y vivre le renouveau que promet Pâques. L’expression latine memento mori, « souviens-toi que tu vas mourir », symbolise le rappel que la mort est inévitable. Alors que nous traversons ensemble cette période de carême et de Pâques, réfléchissons et échangeons sur ce qui, selon nous, devrait mourir pour mener à une vie plus abondante dans le contexte unique de chacun de nos divers appels individuels et communautaires. Nous espérons que ces quelques pages vous aideront à embrasser encore davantage le don de l’Évangile et vous conduiront à une vie et un amour plus profonds, tant dans ce monde que dans celui qui vient.

Cet article fait partie de notre série « À l’aube d’une vie nouvelle » qui vous propose des articles et des réflexions bibliques sur la signification de la mort et de la résurrection de Jésus pour aujourd’hui. L’ensemble des textes sera progressivement mis en ligne jusqu’à Pâques ci-dessous et sur notre page en français.

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Des universitaires israéliens remettent en question des découvertes archéologiques

Et autres actualités des chrétiens à travers le monde…

Des archéologues prennent part à des fouilles à Jérusalem, en Israël.

Des archéologues prennent part à des fouilles à Jérusalem, en Israël.

Christianity Today February 14, 2023
Getty/David Silverman

Trente-quatre universitaires israéliens ont signé une déclaration protestant contre l’annonce de découvertes archéologiques décrites comme ayant un lien avec la Bible avant un examen approprié par les pairs. Gershon Galil, un professeur émérite, estime être la cible de la déclaration, mais considère que ses détracteurs sont simplement jaloux. En mars 2022, Galil affirmait avoir découvert une « tablette de malédiction » contenant la plus ancienne écriture hébraïque connue et le nom de Yahvé. Il a refusé de partager une image de haute qualité avec d’autres spécialistes. En décembre, il a affirmé avoir déchiffré cinq nouvelles inscriptions datant du règne du roi Ézéchias, qu’il a qualifiées de « manuscrits les plus anciens de la Bible ». Il a annoncé la chose à la télévision tout en ne partageant qu’une unique image avec les chercheurs. « C’est comme si vous disiez que vous avez réfuté la théorie de la relativité d’Einstein », commente un spécialiste, « mais que vous ne publierez les résultats que dans l’émission de divertissement du samedi soir. » 

Soudan : un pasteur traité de sorcier

Le pasteur de l’Église évangélique presbytérienne soudanaise d’El Hasahisa, dans l’État d’Al Jazirah, a été arrêté pour sorcellerie. Selon les chrétiens locaux, Abdalla Haron Sulieman a prié pour que sa mère soit guérie d’une infection. Lorsqu’elle a été guérie, les musulmans ont commencé à affluer vers l’Église et les autorités sont intervenues. Les chrétiens soudanais s’inquiètent de la liberté de culte depuis le coup d’État militaire d’octobre.

Nigeria : les Églises prêchent la paix et la coopération en vue des élections

L’Alliance évangélique du Nigeria a appelé tous les candidats à l’élection de 2023 à dénoncer la violence et à s’engager à promouvoir la paix. Plus de 50 attaques ont été perpétrées contre les bureaux de la Commission électorale nationale indépendante, et la violence continue de coûter la vie à environ 400 chrétiens par mois. Le candidat du Parti travailliste, Peter Obi, qui s’est engagé à « construire une nation où chacun sera respecté » et à « arrêter les meurtres et entamer la guérison », était en tête des sondages préélectoraux.

Vietnam : arrestation d’un visiteur de Noël

Le défenseur de la liberté religieuse Y An Hdrue a été arrêté alors qu’il tentait d’assister à une cérémonie de veille de Noël dans une Église évangélique du Christ dans la province de Dak Lak. La police de la circulation a affirmé que son permis de conduire était faux et l’a gardé en détention pendant 10 heures, a déclaré Y An Hdrue. Il a été interrogé par des agents qui ont refusé de donner leur nom et ont saisi son téléphone, qui contenait des preuves de violations présumées des droits de l’homme. Les autorités affirment sans pouvoir le prouver que l’Église, composée principalement de ressortissants de la population autochtone Ede, cherche à établir un État religieux séparatiste dans les hauts plateaux du centre.

Australie : le fondateur de Hillsong passe en jugement

Un juge a entendu 13 jours de témoignages dans le procès du fondateur de Hillsong, Brian Houston, qui est accusé de ne pas avoir signalé les actes de pédophilie de son père Frank en 1999. Houston prétend avoir agi légitimement, car la victime était adulte au moment où Houston a eu connaissance du crime et celle-ci ne voulait pas que l’incident soit signalé. De nombreuses autres personnes étaient également au courant, y compris plusieurs officiers de police membres de l’Église et des pasteurs d’autres Églises, et ils ne l’ont pas signalé non plus. Un pasteur également au courant et n’ayant pas non plus fait de déclaration a été par ailleurs condamné pour agression sexuelle dans un procès distinct. Les avocats dans l’affaire de Houston présenteront leurs plaidoiries finales en juin.

États-Unis : recul des diplômes de théologie associés aux langues bibliques

Le nombre d’étudiants en théologie suivant un programme de Master of divinity (MDiv) est désormais équivalent au nombre de ceux suivant un programme alternatif de Master of arts (MA). C’est la première fois que cela se produit depuis que l’Association des écoles de théologie a commencé à suivre les inscriptions en 1975. Le pourcentage des diplômes de MDiv, qui nécessitent généralement une formation en langues bibliques, est en baisse d’environ 9 points depuis 2018. John Kutsko, ancien directeur exécutif de la Society of Biblical Literature et l’un des éditeurs qui ont supervisé la récente publication de la New Revised Standard Version, a déclaré au Christian Century qu’il craignait une pénurie de spécialistes en langues bibliques d’ici 2050.

Royaume-Uni : un aumônier décrie le multiculturalisme du roi

L’ancien aumônier de la reine Élisabeth II a averti que le roi Charles III pourrait détruire la monarchie britannique s’il abandonnait son rôle de défenseur de la foi et se comportait, au contraire, comme défenseur de toutes les croyances. « Je ne pense pas que la monarchie puisse rester à flot si elle devient une monarchie multiculturelle et multireligieuse », déclare Gavin Ashenden, qui a été aumônier royal de 2008 à 2017, mais a depuis quitté l’Église d’Angleterre pour devenir catholique romain. Charles, dans son premier discours de Noël, a exhorté ses sujets à célébrer la lumière surmontant les ténèbres, « quelle que soit la foi que vous avez, ou même si vous n’en avez aucune ».

France : un pasteur condamné pour n’avoir pas signalé des abus

Un pasteur de la ville d’Orléans a été condamné à 12 mois de prison avec sursis pour ne pas avoir signalé des abus sexuels passés qui lui avaient été confiés par un membre de sa communauté. Le pasteur, dont le nom n’a pas été divulgué dans la presse, a signalé les crimes, mais a attendu quatre ans pour le faire. Il a affirmé qu’il ne connaissait pas l’étendue des abus, qui incluaient les viols de deux garçons. « Je n’ai pas creusé l’affaire », a-t-il déclaré à la cour. « C’était peut-être mon erreur. » L’agresseur a finalement été condamné à une peine de 16 ans. Les autorités françaises reconnaissent un statut de secret professionnel à ce qui est confié à un ministre du culte, en particulier pour les catholiques et les anglicans qui considèrent la confession comme un sacrement, mais les limites de ce secret font débat.

Bulgarie : les évangéliques gagnent devant la Cour des droits de l’homme

La Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’une ville bulgare avait violé les droits religieux d’un groupe évangélique en affirmant aux administrateurs d’une école que les chrétiens « menaient une campagne massive d’agitation, piégeaient de nouveaux membres et désunissaient la nation bulgare ». La plainte a été déposée par Alliance Defending Freedom International, qui a gagné plus de 1 500 procès dans 104 pays depuis 2010. La Bulgarie peut toutefois choisir d’ignorer l’arrêt, car la Cour européenne n’a aucun pouvoir d’application.

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Books

L’Église de John MacArthur rejette les appels d’un ancien à « faire justice » dans une affaire d’abus

Des femmes ayant cherché secours auprès de la Grace Community Church disent avoir craint une mise sous discipline pour avoir tenté de se mettre à l’abri de conjoints abusifs.

Christianity Today February 14, 2023
Adaptations par Christianity Today/Image source : WikiMedia Commons

L’année dernière, Hohn Cho arrivait à la conclusion que la Grace Community Church avait fait une erreur.

Les anciens avaient publiquement discipliné une femme pour avoir refusé de reprendre son mari à la maison. Mais il s’est avéré que les craintes de la femme étaient fondées et que son mari a été mis en prison pour agression sexuelle sur mineur et maltraitance sur enfant. L’Église n’est jamais revenue sur la discipline qu’elle avait exercée et n’a présenté aucune excuse au cours des 20 années qui ont suivi.

En tant qu’avocat et étant l’un des quatre responsables du conseil des anciens de la Grace Community Church (GCC), Hohn Cho fut chargé d’étudier l’affaire. Il a tenté de convaincre les responsables de l’Église de reconsidérer la situation et de rectifier les choses, au moins en privé. Il rapporte que le pasteur John MacArthur lui a dit « d’oublier ça ». Lorsque Cho a continué à appeler les anciens à « faire justice » en faveur de cette femme, il raconte que ceux-ci lui ont demandé de revenir sur ses conclusions ou de démissionner.

Cela fait 10 mois que Cho a quitté la Grace Community Church, et il n’a pas pu oublier cette femme, Eileen Gray, dont le parcours a été décrit en détail en mars 2022 sur le site de Julie Roys, The Roys Report.

Bien que Cho se soit retiré sans faire de bruit, il a continué à entendre les témoignages d’autres femmes de son ancienne Église. Leur parole avait été mise en doute. Certaines avaient été écartées et implicitement ou explicitement menacées de mesures disciplinaires alors qu’elles cherchaient à se mettre à l’abri d’un conjoint abusif. Même dans sa nouvelle communauté, l’ex-ancien de GCC commence à rencontrer des visiteurs ayant un lien avec l’affaire d’Eileen Gray, ce qu’il voit alors comme un signe de la providence de Dieu.

Non, il ne pouvait pas « oublier ça ».

Plus il en apprenait, plus il parlait avec les gens, plus l’injustice pesait sur sa conscience et plus il s’inquiétait de l’accompagnement offert par l’Église en matière d’abus.

Il l’exprime ainsi dans un mémo de 20 pages adressé aux hauts responsables de la GCC en mars dernier : « Je crois sincèrement que ce serait une erreur de ne rien faire. Au bout du compte, je sais ce que je sais. Je ne peux pas ne pas le savoir, et je suis véritablement responsable devant Dieu de cette connaissance, et si vous vous êtes donné la peine de lire jusqu’ici, vous êtes maintenant également responsable devant Dieu de cette connaissance. »

La Grace Community Church est dirigée par John MacArthur, l’un des pasteurs les plus anciens et les plus influents d’Amérique. La mégaéglise de Sun Valley, en Californie, est surtout connue pour les prédications de MacArthur et met en avant sa fidélité à la Bible face aux caprices du monde.

La portée de la communauté s’étend bien au-delà des foules qui remplissent son auditorium de 3 500 places pour les multiples cultes organisés chaque dimanche, grâce aux livres et commentaires populaires de MacArthur, à ses deux écoles affiliées, The Master’s Seminary et The Master’s University, au ministère d’enseignement Grace to You et à la Shepherds Conference annuelle que l’Église organise.

Lors de l’édition de mars dernier, Hohn Cho intervenait sur le thème « Conscience et conviction ». Il a passé le reste de l’année à mettre en pratique ses enseignements. Au cours de l’été et de l’automne, Cho a gardé un « faible espoir » que le conseil des anciens, composé de 37 membres, réexamine le cas d’Eileen Gray, priant pour que Dieu adoucisse le cœur des dirigeants et les fasse changer d’avis.

Il espérait les voir corriger les erreurs du passé et envisager de faire mieux à l’avenir. Au lieu de cela, il a découvert qu’ils semblaient poursuivre dans la même direction.

Des mois après avoir fait part de ses inquiétudes concernant un cas vieux de 20 ans, Cho a découvert « un autre cas grave dans l’accompagnement à la GCC » à l’automne 2022. Une femme a rapporté que les responsables de l’Église lui avaient recommandé de retourner vivre avec son mari et de ne pas demander de mesure d’éloignement, malgré des éléments attestant de comportements prédateurs, d’infidélité et d’accès de colère. Bien que l’affaire ait été réglée en janvier, après que la femme ait demandé l’an dernier une protection établie par un tribunal, deux pasteurs avaient déposé des déclarations en faveur de son mari.

« Dans sa providence, Dieu n’a cessé de placer des rappels devant moi, de manière totalement imprévue. Lorsqu’une amie nous a demandé, à ma femme et à moi, de prier pour une femme que mon épouse connaissait, elle nous a fait part de son inquiétude, et nous avons été horrifiés de découvrir que les mêmes épouvantables modèles d’accompagnement avaient encore cours dans cette Église », a déclaré Cho à notre magazine.

« C’est à ce moment-là que j’ai malheureusement fini par croire, au-delà de tout doute personnel, que les fidèles de la GCC, que nous aimons toujours, pourraient bien se retrouver à jouer à la roulette russe s’ils avaient un jour besoin d’un accompagnement de l’Église, en particulier pour ce qui concerne le soutien aux femmes ou aux enfants. Je savais que je ne pouvais pas simplement changer de trottoir sans faire de bruit, que je devais aider cette femme et lancer un cri d’alerte, sans quoi le sang de ces gens retomberait sur ma tête. »

Pour cet article, nous nous sommes entretenus avec huit femmes qui ont raconté comment il leur a été recommandé, ainsi qu’à d’autres membres de la Grace Community Church, de ne pas dénoncer leurs maris et pères aux autorités, d’accepter leurs excuses et de continuer à se soumettre à eux.

Il était régulièrement fait appel aux passages des Écritures concernant le pardon, la confiance, l’amour et la soumission — et il leur était demandé de chercher la réconciliation et de rentrer chez elles, même dans les cas où elles craignaient pour leur sécurité et celle de leurs enfants.

Aucun responsable de la GCC n’a répondu à nos demandes d’échanges concernant la philosophie d’accompagnement de l’Église ou sa réponse aux abus, ou encore à nos questions sur des cas spécifiques. Six pasteurs et anciens ont été contactés par téléphone et par courrier électronique à plusieurs reprises au cours des trois semaines précédant la publication de cet article, ainsi qu’un ancien pasteur et ancien.

« Vous devez rectifier cela »

Hohn Cho a pris connaissance du cas d’Eileen Gray pour la première fois en mars dernier, après que le site The Roys Report l’ait mis en lumière, lorsqu’il affirme avoir été sollicité par le conseil des anciens pour examiner la façon dont l’Église avait traité ce cas. Son examen de la question, s’appuyant sur son expérience et sa formation juridiques, s’inscrit donc dans le cadre d’une première enquête interne.

La mise sous discipline appliquée par l’Église avait eu lieu en 2002, quelques années avant que Cho ne vienne à la foi dans le contexte de la Grace Community Church. Eileen Gray avait refusé de suivre le conseil des responsables de demander la levée d’une ordonnance restrictive contre son mari violent, David Gray. Au cours d’un service de communion mensuel, MacArthur avait qualifié sa décision de persistance dans le péché, affirmant que cette mère de trois enfants avait choisi « de quitter […] et d’abandonner » son mari.

David Gray, qui avait fait partie du personnel enseignant de la communauté, fut condamné en justice pour ses crimes en 2005 : agression sexuelle sur mineur aggravée, violences sur mineur et maltraitance sur enfant. Des témoins et des victimes ont soutenu le récit de sa femme concernant son comportement abusif, tandis que les responsables de l’Église ont continué à le défendre, selon les documents judiciaires référencés et publiés avec l’article de The Roys Report du 20 mars 2022. David Gray est toujours en prison.

Cho rapporte que de nombreux dirigeants de la GCC ont refusé de lire l’article de The Roys Report. Certains l’ont fait et ont quand même rejeté ses conclusions. Les hauts responsables de la communauté se sont mis sur la défensive, dit-il, et ont voulu protéger MacArthur.

Pour Cho, ainsi que pour sept avocats chrétiens qui ont examiné les documents, il était évident que David Gray était coupable au-delà de tout doute raisonnable et que le refus d’Eileen Gray de lever l’ordonnance restrictive pour protéger ses enfants était objectivement raisonnable et pleinement justifié.

« Maintenant que les faits sont effectivement connus, il n’est pas trop tard pour “faire justice”, même à ce stade avancé, près de 20 ans plus tard », a-t-il écrit au conseil des anciens. « L’intégrité, la défense de la justice et de la droiture, la fidélité même dans les petites choses, même pour quelque chose qui remonte à 20 ans, tout cela compte énormément. »

Cho s’attendait à ce que l’Église se tienne à un standard plus élevé que celui des tribunaux séculiers. Dans le cas d’Eileen Gray, supervisé par le pasteur exécutif associé de l’époque, Carey Hardy, et impliquant un pasteur de longue date de la GCC, Bill Shannon, il a trouvé des preuves de mauvaise gestion, de biais et d’erreurs dans la façon dont la situation a été traitée. Eileen Gray a été plusieurs fois mise en doute et accusée d’être « bizarre », ce qui n’avait rien à voir avec la raison pour laquelle elle fut sanctionnée, et les dirigeants ont jeté le discrédit sur son témoignage malgré l’historique de mensonges de David Gray.

« Ils ont pris le parti d’un agresseur d’enfants, qui s’est avéré être un pédophile, au détriment d’une mère qui tentait désespérément de protéger ses trois jeunes enfants innocents. C’était et c’est toujours une erreur flagrante, qui doit être réparée », nous déclare Cho. « De nombreux anciens ont admis dans diverses conversations privées que des “erreurs ont été commises” et qu’ils prendraient une décision différente aujourd’hui en sachant ce qu’ils savent maintenant. Mais admettre cela signifie que vous devriez vous réconcilier avec la personne que vous avez lésée ; c’est tout à fait fondamental pour la foi chrétienne. »

Alors qu’il siégeait encore au conseil d’administration en mars dernier, Cho a souligné l’urgence de retravailler ce dossier. Les anciens avaient dénoncé un péché là où il n’y en avait pas, insistait-il. S’ils avaient appris qu’ils avaient mis sous discipline un homme accusé à tort d’adultère, n’auraient-ils pas voulu réparer cela, même s’ils l’avaient découvert 20 ans plus tard ?

Selon Cho, qui a fait office de secrétaire du conseil et était chargé de prendre des notes, MacArthur a répondu lors de la réunion de mars que la comparaison ne s’appliquait pas à Eileen Gray. Le pasteur a évoqué à nouveau des allégations sur son « comportement bizarre » et n’était pas enclin à reconsidérer sa discipline.

Après cela, Cho a déclaré que le président du conseil des anciens, Chris Hamilton, lui a dit qu’il devrait « revenir sur ses conclusions » concernant les erreurs de l’Église s’il voulait rester ancien. (Hamilton n’a pas répondu aux demandes de commentaires) Cho et sa femme ont démissionné le jour suivant.

Soumettez-vous « comme au Seigneur ».

L’automne dernier, Cho se retrouvait à nouveau à examiner les documents juridiques d’une membre de la GCC qui avait demandé une ordonnance de protection contre son mari dans l’espoir de se protéger et de protéger ses jeunes enfants contre les abus. Cette fois-ci, c’est la femme elle-même qui le sollicitait. Certains parallèles avec Eileen Gray lui sont apparus immédiatement.

Cette femme nous a déclaré qu’elle voyait elle aussi les parallèles. Lorsqu’elle a lu l’article sur Eileen Gray l’année dernière, elle rapporte avoir pensé : « Cela ressemble beaucoup à ce qu’on m’a dit. » (Notre politique éditoriale permet aux victimes d’abus de ne pas être nommées au nom de la vie privée et de la sécurité ; l’identité et les détails rapportés par cette personne ont été vérifiés en préparation de cet article.)

« Chaque fois que je faisais des démarches dans le sens d’une ordonnance de protection, c’était : “Prends garde de ne pas avoir un cœur vengeur” », raconte la femme. « Ils me disaient fondamentalement de faire marche arrière. […] Ils disaient que ce n’était pas chrétien de ma part de demander cette protection juridique parce que les croyants ne doivent pas poursuivre d’autres croyants en justice. »

Elle déclare avoir transmis aux responsables de l’Église les preuves de l’infidélité de son mari, de ses recherches de pornographie incestueuse et de son comportement inapproprié avec leur fille depuis qu’elle n’avait que quelques années.

Un mois après être revenue vivre avec son mari à la demande de ces pasteurs, elle se retrouvait à téléphoner à la police sur la route tant une dispute l’avait effrayée. Dans les documents judiciaires que nous avons obtenus, elle déclare que le pasteur et ancien Rodney Andersen lui a dit qu’elle devait se soumettre à son mari « comme au Seigneur » plutôt que de le provoquer. Selon elle, les agents chargés des violences domestiques dépêchés sur place lui ont dit de ne pas retourner chez elle.

Deux anciens de la GCC ont ensuite présenté des déclarations sous serment en faveur de son mari. La déposition de Rodney Andersen raconte que le mari a déclaré, au cours d’une séance d’accompagnement, que sa fille et lui s’étaient touchés la langue en s’embrassant pour imiter une scène dans un dessin animé.

Une déposition de l’autre pasteur et ancien, Brad Klassen, indique que la femme est venue le voir en s’inquiétant de photos prises par son mari, mais qu’elle n’avait pas de « preuves » de l’abus. Selon le dossier de celle-ci, les photos comprenaient des images de son leur fille touchant la fermeture éclair du pantalon de son mari et son visage aspergé d’eau ainsi que des selfies avec l’enfant dénudée. Selon la déclaration de Brad Klassen, les photos ne contenaient pas de nudité.

Deux autres responsables de la GCC ont dit qu’ils témoigneraient en faveur de l’épouse, mais le couple a conclu un accord en janvier avant la date du procès, de sorte qu’aucun des pasteurs n’a eu à témoigner. Dans le règlement de l’affaire, l’épouse ne s’est pas rétractée des accusations d’abus portées contre son mari.

En fin de compte, dit-elle, c’est la trahison de son Église — qu’elle a quittée — qui lui a fait le plus mal.

« Je suis spirituellement tombée en dessous de zéro. Je doutais de l’existence de Dieu. Je me suis dit : “Si Dieu est réel, mais que nous sommes censés nous soumettre aux dirigeants de l’église quand ce genre de choses se passe, je préfère mourir.” » « Même les non-croyants ne soutiendraient pas ça. »

Cette femme déclare avoir vu le Seigneur « agir souverainement » pour la guider tout au long du processus, et avoir fini par comprendre que « l’échec de l’Église ne change pas l’existence de Dieu ou la justice de Dieu. »

« Je dois craindre Dieu plutôt qu’un homme. Ce n’est pas parce que quelqu’un vous cite un verset et qu’il est en position d’autorité qu’il fait le bien. »

Lorsqu’elle a contesté le conseil de revenir vers son mari et de lui faire confiance donné par les pasteurs, elle dit qu’on lui a rappelé que l’amour « croit tout » et que Jésus a dit de pardonner « 70 fois sept fois ».

Selon son récit, les signes d’alerte et de traumatisme n’ont pas suffi — les pasteurs voulaient des preuves d’abus physiques, d’adultère « peau à peau » ou une condamnation pour pédophilie avant de reconnaître qu’elle avait des motifs bibliques de divorce. Elle ne pouvait pas attendre que cela arrive.

« Ma sécurité n’était pas la priorité numéro un »

Ce qui a eu lieu dans la Grace Community Church s’inscrit dans le cadre d’un débat plus large sur ce qui constitue un abus et sur la question de savoir si les chrétiens doivent donner la priorité à la réconciliation dans les cas d’abus. Cette Église et son séminaire occupent une place importante parmi les conseillers bibliques conservateurs et l’Association of Certified Biblical Counselors (ACBC).

« Il y a [dans ce contexte] une compréhension fondamentalement différente de ce qu’est la maltraitance », déclare Jonathan Holmes, diplômé de la Master’s University, pasteur et conseiller dans l’Ohio, notant que cette qualification — et les réponses les plus sérieuses qui y sont apportées — sont souvent réservées aux atteintes physiques et sexuelles.

Comme ses collègues complémentariens, MacArthur a prêché à de multiples reprises contre le fait que des femmes restent avec des maris violents au nom de la soumission conjugale. Il a enseigné que les femmes et les enfants doivent « se mettre à l’abri » et que les auteurs de violences domestiques ne se comportent plus comme des croyants et perdent leurs droits dans le mariage.

Pourtant, comme Cho l’a évoqué dans ses lettres aux principaux anciens l’année dernière, une série de femmes au cours de la dernière décennie ont déclaré avoir reçu dans son Église des conseils différents lorsqu’elles craignaient pour leur sécurité ou celle de leurs enfants.

Plusieurs femmes évoquent Bill Shannon, un pasteur pour l’accompagnement des personnes et membre de l’ACBC, qui les aurait découragées de signaler les abus à la police et leur aurait ordonné de rester dans des foyers où elles avaient été menacées de violence. Un couple a déclaré avoir assisté à une séance d’accompagnement pastorale au cours de laquelle Bill Shannon a manqué de conseiller à une membre de leur famille de dénoncer un homme qui avait avoué un incident de pédophilie ; il ne l’a pas non plus orientée à le quitter, parce qu’il n’avait pas été condamné.

Bill Shannon fait partie des responsables qui n’ont pas répondu aux multiples demandes de contact pour la préparation de cet article.

Des anciens passés et présents avaient également exprimé des inquiétudes concernant une « incompétence » dans l’accompagnement apporté par Bill Shannon. Hohn Cho rapporte que John MacArthur avait été averti de ces préoccupations, mais qu’il a défendu Bill Shannon et l’a maintenu à son poste. Selon le site Web de la GCC, Shannon continue de fournir des accompagnements « formels et informels » aux membres, d’assurer le séminaire prénuptial et de mariage de l’Église, et de prêcher pour un petit groupe d’adultes.

« Lors de la première réunion avec Bill Shannon, on m’a fait comprendre que ma sécurité n’était pas la priorité numéro un, mais que celle-ci était la soumission dans mon mariage », rapporte une femme qui a demandé à ne pas être nommée dans cette histoire parce qu’elle essaie de tourner la page sur son séjour dans la Grace Community Church. « Ma responsabilité était de ne pas agacer [mon mari]. »

Alors qu’elle avait été hospitalisée en raison des violences physiques de son mari, Bill Shannon l’a appelée et lui a conseillé de rentrer chez elle sans appeler la police, nous a-t-elle raconté. Parfois, les souffrances à la maison atteignaient un point où elle craignait de mourir, mais elle rapporte qu’on lui a dit que sa situation pouvait être « la volonté de Dieu pour ta vie ».

Dans le cadre du conseil conjugal, les pasteurs demandaient aux épouses si leurs attitudes contribuaient aux schémas de violence, de colère et de manipulation dans leurs relations. Dans certaines situations, ils laissaient entendre que les femmes cherchaient simplement des fautes chez leurs maris.

« Il est difficile pour un pasteur [dans une communauté du type de la GCC] d’envisager une dynamique où une femme est maltraitée et où, à un moment donné, elle n’en est pas explicitement responsable », déclare Jonathan Holmes.

Cette « mutualisation » du péché peut parfois être formalisée dans le cadre de l’Église, où les deux parties sont invitées à confesser leurs péchés et à demander le pardon de l’autre.

« Notre philosophie est que s’il y a eu des abus, on ne place pas les gens seuls dans une pièce en attendant qu’ils fassent tous les deux le processus d’enlever la poutre de leur œil », explique Ken Sande, un médiateur chrétien, à propos des schémas qu’il a vus à l’œuvre au cours de décennies de ministère de conciliation, sans parler de la GCC en particulier.

« Pas d’autre choix »

Toutes les femmes avec lesquelles nous nous sommes entretenus ont déclaré s’être à un moment donné considérées comme responsables du comportement de leur mari ou ont rapporté qu’un responsable d’Église leur avait affirmé qu’elles l’étaient.

On rappelait clairement aux femmes la directive biblique selon laquelle les épouses devaient se soumettre à leurs maris. Pendant des années, elles ont espéré que leur soumission, leur fidélité dans le mariage et leurs prières désespérées finiraient par entraîner un changement chez leur mari. Mais lorsque les problèmes ont persisté et se sont aggravés, elles ont demandé de l’aide et des conseils sur ce qui pouvait être fait d’autre.

« Il faut beaucoup de courage, d’humilité et de vulnérabilité pour demander de l’aide à l’Église lorsqu’il y a eu des abus à la maison », déclare Wendy Guay, qui s’était exprimée pour The Roys Report l’année dernière à propos des abus commis par son père Paul Guay alors qu’il était membre du personnel de la Grace Community Church à la fin des années 1970. « Des femmes se sont cachées, ont persévéré et ont essayé de gérer les choses par elles-mêmes jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’autre choix. »

Lorsque les épouses sentaient qu’elles devaient déménager pour leur sécurité, elles affirment que les pasteurs leur disaient de rester. Après s’être séparées ou avoir obtenu une protection juridique, elles auraient été exhortées à se réconcilier. Des femmes nous ont expliqué que les pasteurs considéraient la participation régulière de leur mari à des séances d’accompagnement, le traitement attentionné apporté à leurs enfants dans des environnements supervisés et les promesses verbales que les abus cesseraient comme des indications qu’ils ne représentaient plus une menace.

Dans certains cas, comme ceux d’Eileen Gray et de la femme qui a accepté un règlement à l’amiable le mois dernier, les responsables de la Grace Community Church ont ensuite soutenu face aux autorités légales les hommes qu’elles accusaient d’abus. Bien que les Églises évitent de s’impliquer juridiquement dans les conflits conjugaux pour des raisons de responsabilité, il ne serait pas rare de voir des pasteurs prendre le parti de l’accusé.

Pete Singer, directeur exécutif du ministère GRACE (Godly Response to Abuse in the Christian Environment), affirme que le fait de voir des responsables religieux défendre un agresseur devant un tribunal est en partie ce qui a incité le procureur Boz Tchividjian à créer cette organisation.

« Ce n’est pas rare. Cette situation est malheureusement aussi répandue dans les cas de maltraitance des enfants et de violence entre partenaires intimes. C’est un reflet de la façon dont le pasteur a été conditionné », déclare Pete Singer. « S’il y a un différentiel de pouvoir notable, pourquoi est-ce que je me range du côté de la personne potentiellement en position de force et pas du côté de celle qui est potentiellement en position de faiblesse ? »

La discipline comme source de fierté

Si les évangéliques sont de plus en plus sensibles à la dynamique des abus, certaines communautés conservatrices conservent une méfiance sous-jacente à l’égard des mouvements de défense des victimes et des psychologues spécialisés dans les traumatismes, et défendent la place de l’Église locale dans le traitement des conflits conjugaux.

Les anciennes membres de la GCC qui ont signalé des abus rapportent qu’elles craignaient la discipline de l’Église pour manque de soumission ou abandon de leur mariage.

Si beaucoup d’Églises évangéliques ont formalisé des processus disciplinaires dans des règlements écrits, d’après Ken Sande, le médiateur chrétien, il est de moins en moins fréquent que les Églises américaines les suivent dans la pratique et encore plus rare qu’une Église annonce publiquement des cas de discipline plusieurs fois par an.

John MacArthur considère la discipline ecclésiastique comme une « marque » de la Grace Community Church, où les anciens suivent des directives tirées de Matthieu 18 : ils confrontent d’abord l’accusé en privé, puis avec un autre témoin, avant d’annoncer publiquement les cas de discipline qui ont atteint la troisième étape du processus, lorsque la non-repentance empêcherait un membre de participer à la Sainte-Cène.

Hohn Cho explique qu’à ce stade les anciens doivent approuver à l’unanimité les cas qui seront soumis au corps de l’Église quelques fois par an, lors des services de communion mensuels.

Les femmes qui nous ont parlé de leurs expériences en matière d’accompagnement étaient membres de la GCC depuis des années, certaines depuis plus de dix ans, et avaient assisté aux cultes où MacArthur prononçait la discipline de l’Église. Elles pensaient que si les dirigeants ne considéraient pas leur situation comme un motif de divorce, leur nom pourrait y figurer.

« Le temps et la vérité vont de pair. »

Jusqu’à présent, Cho n’avait pas parlé publiquement des circonstances qui l’avaient conduit à quitter la GCC et de ses efforts en faveur d’un changement depuis. Il espérait que la GCC se pencherait sur le cas d’Eileen Gray et reconsidérerait les preuves qui la disculpent. Il a répété ses appels à prendre au sérieux les inquiétudes concernant Bill Shannon et l’accompagnement apporté par l’Église.

Après son départ, il a continué à contacter les hauts responsables de la GCC, posant des questions et proposant de discuter de ses préoccupations en privé. Il a envoyé un courriel à MacArthur et au directeur exécutif de Grace to You, Phil Johnson, un leader influent et un ancien de l’Église. Il a échangé des messages avec Carey Hardy, le pasteur qui a supervisé le suivi disciplinaire d’Eileen Gray et qui travaille maintenant dans une Église de Caroline du Nord.

Ses appels s’appuyaient sur les Écritures, citant parfois plus de 20 versets sur la réconciliation, les méfaits et la justice, comme Jacques 4.17 : « Si donc quelqu’un sait faire le bien et ne le fait pas, c’est un péché pour lui. »

Chaque fois qu’il rencontrait ou voyait des anciens en personne, l’affaire revenait dans la discussion. Il a envoyé des SMS et appelé des membres individuels du conseil des anciens pour leur faire part de ses préoccupations.

Il n’aurait jamais imaginé se retrouver dans cette position où il plaide depuis l’extérieur de la Grace Community Church. Actif là pendant près de 17 ans, Cho y a rencontré sa femme, a commencé à enseigner la Parole et a accédé à des postes de responsabilité au sein du conseil des anciens de l’Église .

« J’étais un loyaliste fervent », raconte Hohn Cho, qui s’oppose aujourd’hui à ce qu’il considère comme une « confiance aveugle » de la part de nombreux hommes aux côtés desquels il a servi et dirigé.

L’année dernière, lorsqu’il a remis en question la décision de sanctionner Eileen Gray, il a déclaré que d’autres anciens lui ont suggéré de faire confiance aux anciens dirigeants qui l’avaient approuvée. Cho a rétorqué que l’Écriture nous ordonne de faire confiance au Seigneur et de tout examiner (1 Th 5.21).

Il a gardé espoir, pensant à une phrase que John MacArthur est connu pour répéter : « Le temps et la vérité vont de pair. » La vérité finit par éclater.

« Laisser Dieu s’occuper des résultats »

Eileen Gray a déclaré que le fait d’entendre parler d’autres femmes qui avaient été « blâmées, accusées et souvent à nouveau traumatisées » par les dirigeants de la GCC l’a motivée à partager son récit publiquement des années plus tard, une fois ses enfants devenus adultes. Immédiatement après l’article de The Roys Report l’année dernière, elle a appris l’existence d’autres témoignages d’abus mal gérés.

« En parler plus tôt aurait-il entraîné des changements à Grace Community Church ou dans d’autres Églises qui suivent leur modèle de leadership ? Je ne sais pas, mais je me sens horriblement mal à propos du champ laissé libre par mon silence au fil des ans », nous a-t-elle écrit dans un courriel.

« À ce jour, j’ai des témoignages directs d’une multitude de personnes qui affirment que l’Église Grace Community Church continue de traiter de la même manière dépourvue de fondement biblique et d’amour les femmes et les enfants victimes d’abus qui demandent de l’aide aux responsables de l’Église alors qu’ils souffrent de leurs maris et pères abusifs. C’est un péché grave. »

Une ancienne membre de la GCC, autrefois ravie de déménager en Californie pour pouvoir suivre les enseignements de MacArthur, a déclaré que la foi qui représentait tout pour elle avait été détruite par la façon dont l’Église l’avait traitée lorsqu’elle avait demandé de l’aide pendant et après un mariage abusif et sans amour.

« Le pire de tout, ce n’était pas le divorce — c’était ma relation avec Dieu. Je sais que Dieu est Dieu et que l’homme est l’homme, mais j’avais vraiment confiance en ces gens à l’Église », raconte-t-elle. « Ils m’ont enlevé la proximité que j’avais avec Dieu. Ils m’ont fait regarder les hommes différemment. Quand je vais à l’Église, j’ai l’impression que les pasteurs mentent. Ils m’ont laissée le cœur brisé. […] j’ai vraiment l’impression d’avoir été violée spirituellement. »

La Grace Community Church n’a pas présenté d’excuses à Eileen Gray, n’a pas annulé sa mesure disciplinaire, n’a pas fait de déclaration publique sur l’affaire et n’a pas répondu à nos questions pour cet article.

Quelques jours après Noël l’année dernière, Cho avait envoyé ce qu’il a appelé un « dernier appel » à chacun des anciens de la GCC. Il gardait toujours son faible espoir, même s’il savait qu’il était peu probable que le conseil d’administration change, et que sa prise de position publique mettrait en colère bien des personnes avec qui il avait servi et célébré le Seigneur. « Le Seigneur a souvent fait bien plus que ce que j’aurais pu imaginer. »

« En fin de compte, je dois faire ce qui est juste, comme l’Esprit, ma conscience, la prière, les conseils et la Parole m’y conduisent, et laisser Dieu s’occuper des résultats », nous explique-t-il. « Et l’homme qui m’a appris ça, c’est John MacArthur. »

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Laisse aller (et venir) mon peuple : les chrétiens d’Artsakh face à l’Azerbaïdjan

Alors que le blocus entraîne une nouvelle crise humanitaire, les Arméniens du Haut-Karabakh continuent à appeler à l’aide.

Un soldat russe de maintien de la paix surveille le corridor de Latchine alors que des militants environnementaux azerbaïdjanais protestent contre ce qu’ils décrivent comme une exploitation minière illégale.

Un soldat russe de maintien de la paix surveille le corridor de Latchine alors que des militants environnementaux azerbaïdjanais protestent contre ce qu’ils décrivent comme une exploitation minière illégale.

Christianity Today February 7, 2023
Tofik Babayeb/Getty

Les chrétiens arméniens appellent à l’aide. Alors que leurs cousins ethniques de l’enclave caucasienne du Nagorny Karabakh approchent les deux mois de blocus presque total imposé par de prétendus activistes écologistes d’Azerbaïdjan, leurs voix commencent à trouver de l’écho.

« Tout le monde sait que c’est le régime Aliyev », explique Biayna Sukhudyan, une neurologue pédiatrique piégée dans cette région montagneuse un peu plus grande que le Luxembourg que les Arméniens appellent Artsakh. « Il n’y a pas de temps pour attendre et laisser faire le prochain génocide, parce que c’est un génocide. »

La médecin parle du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, et plusieurs enquêtes ont établi le lien entre les manifestants et son gouvernement. Lorsque le blocus a commencé le 12 décembre, des déclarations officielles attribuaient cette entreprise de longue haleine à une protestation contre l’exploitation illégale d’or et de cuivre sur ce territoire, toujours occupé mais revendiquant de longue date son indépendance.

En 2020, l’Azerbaïdjan lance une guerre qui durera 44 jours pour reprendre une région contrôlée de facto depuis trois décennies par des Arméniens de souche. Après la dissolution de l’Union soviétique, l’Artsakh s’était déclaré État indépendant et, avec l’aide militaire arménienne, avait longtemps pu tenir le Haut-Karabakh et d’autres territoires azerbaïdjanais, en attendant les négociations de paix.

Au terme de combats sanglants, une force azerbaïdjanaise considérablement améliorée au fil des années, aidée notamment par des drones venus de Turquie, a reconquis les trois quarts du territoire en question La Russie a servi de médiateur pour un cessez-le-feu, et ses troupes de maintien de la paix surveillent le corridor de Latchine — la seule route reliant les plus de 100 000 habitants assiégés de l’Artsakh à l’Arménie et permettant de livrer les 400 tonnes de nourriture et de médicaments qui répondent à leurs besoins quotidiens.

Depuis la fin de la guerre, Biayna Sukhudyan se rend tous les deux mois dans le Haut-Karabakh, qui manque de médecins spécialistes. Cette fois, dans un contexte de pénurie aiguë, elle a été contrainte de rester.

D’autres, dont des enfants, sont empêchés de rentrer.

« Je suis venue à Erevan pour une opération des yeux », racontait le mois dernier Maral Apelian, 13 ans, qui vit en Artsakh. « Tout ce que je veux, c’est retourner auprès de ma famille à la maison ».

« Laisse aller mon peuple », appelait-elle, évoquant Moïse.

« Laisse aller mon peuple ! » Le cri a été repris immédiatement par des dignitaires religieux arméniens.

« Les Arméniens de l’Artsakh sont confrontés à une catastrophe humanitaire », déclarait le Catholicos Karékine II, patriarche suprême de l’Église apostolique arménienne, au troisième jour du blocus. « De telles actions provocatrices ont pour but le nettoyage ethnique. »

Un jour plus tard, son homologue ecclésiastique au Liban faisait appel au fameux mot : génocide.

« Nous assistons à des mesures délibérées et concrètes en vue du nettoyage ethnique et du génocide de la population arménienne d’Artsakh », estimait le Catholicos Aram Ier, dont le Saint-Siège en Cilicie représente les survivants du Levant qui ont fui le premier génocide arménien en Turquie. « La nécessité d’une action humanitaire immédiate est cruciale. »

Karékine a également déclaré tendre la main à ses collègues par-delà les dénominations chrétiennes.

Le pape François a dirigé une prière pour le Nagorny Karabakh le 18 décembre. Un consortium d’organisations de défense des droits des Arméniens a émis une alerte [warning] au génocide le lendemain, arguant que les 14 facteurs de risque selon les critères des Nations Unies étaient présents.

D’autres organes de premier plan ont ensuite réagi. Sans reprendre le terme d’alerte, une déclaration commune du Conseil œcuménique des Églises et de la Conférence des Églises européennes a exprimé leur sympathie active.

« On assiste là un modèle de comportement manifeste de l’Azerbaïdjan contredisant toute déclaration de bonne volonté », écrivaient-ils le 20 décembre. « Dans ces circonstances, les craintes des Arméniens d’un nouveau génocide à leur encontre ne peuvent être écartées. »

Un jour plus tard, le Conseil national des Églises aux États-Unis formulait les choses en termes religieux.

« Dans une saison où nous célébrons la naissance de Jésus dans une froide étable », dit le texte, « il est particulièrement horrible que des civils soient coupés du monde en plein hiver. »

Un mois plus tard, beaucoup tirent de plus en plus la sonnette d’alarme.

Le 13 janvier, Barnabas Aid a lancé un appel à l’aide, déplorant que la question soit « rarement rapportée par les médias internationaux ». Et le 17 janvier, Christian Solidarity International (CSI) s’est joint à la baronne Cox du Royaume-Uni pour écrire une lettre au président Joe Biden.

« Vous êtes le premier président américain à reconnaître le génocide arménien », déclarent-ils. « Nous vous demandons instamment de ne pas permettre qu’un autre génocide arménien se produise sous vos yeux. »

La missive mentionne également l’héritage culturel et religieux en jeu. De nombreuses églises et des monastères vieux de plusieurs siècles émaillent la région, l’Arménie ayant été, en 301 apr. J.-C., le premier État à adopter le christianisme comme religion officielle. L’Azerbaïdjan affirme toutefois que nombre de ces bâtiments ne sont pas du tout arméniens, mais appartiennent à une population albanaise caucasienne apparentée mais ethniquement distincte.

Les spécialistes rejettent cette affirmation, tandis que des rapports font état des efforts déployés par l’Azerbaïdjan pour détruire ou altérer ce patrimoine.

Une semaine plus tard, le Philos Project écrivait également au président américain en des termes plus politiques.

« Votre administration a promis de placer les droits de l’homme au centre de sa politique étrangère », pouvait-on lire. « Nous vous demandons instamment de tenir cette promesse, et d’éviter un second génocide arménien en prenant dès maintenant des mesures décisives. »

Le même jour, le 25 janvier, le Philos Project s’est joint à CSI, International Christian Concern (ICC), In Defense of Christians, et 10 autres organisations pour annoncer la Save Karabakh Coalition (SKC). Deux jours plus tard, ils ont tenu une conférence de presse et ont manifesté devant l’ambassade d’Azerbaïdjan à Washington.

« Alors que le monde reste largement silencieux », déclarait Justin Murff, directeur exécutif du Bureau anglican pour les affaires gouvernementales et internationales, « les forces azerbaïdjanaises tentent agressivement d’expulser la communauté chrétienne historique de leur patrie séculaire ».

Des personnalités politiques ont également fait une apparition rassemblant les deux bords politiques américains, avec à leur tête Brad Sherman, un démocrate de Californie.

« L’Azerbaïdjan [tente] de forcer la population arménienne de souche de l’Artsakh à quitter son foyer en lui rendant la vie […] impossible », déclarait-il. « La tactique est le blocus. L’effet est la privation pour les civils. L’objectif est le nettoyage ethnique. »

Sam Brownback, ancien ambassadeur itinérant des États-Unis pour la liberté religieuse internationale, a déploré les efforts qu’il avait déployés par le passé en tant que sénateur du Kansas pour abroger la section 907 de la loi de 1992 sur le soutien à la liberté, qui déclarait que l’Azerbaïdjan était le seul État postsoviétique à ne pas pouvoir recevoir d’aide américaine directe.

De nombreux participants à la conférence de presse du 27 janvier ont appelé à un pont aérien humanitaire.

« Je ne peux tout simplement pas imaginer », déclarait Jeff King, directeur exécutif de l’organisation ICC, « qu’ils oseraient abattre des avions américains. »

L’Azerbaïdjan a toujours qualifié les accusations à son encontre de « sans fondement ». Le jour où la SKC a été annoncé, le président Aliyev a déclaré au secrétaire d’État américain Antony Blinken que plus de 120 véhicules de la Croix-Rouge avaient emprunté cette route depuis le début du prétendu blocus. Une vidéo a montré des troupes russes de maintien de la paix distribuant de l’aide dans une maternité, tandis que les cas d’urgence sont pris en charge.

C’est ce qui s’est passé pour Gayane Beglarian, qui a coordonné avec la Croix-Rouge le transport de sa fille de 5 ans de l’Artsakh vers l’Arménie, puis l’Allemagne, pour un traitement contre le cancer. Mais elle dément la rhétorique azerbaïdjanaise en racontant que les marchés locaux de légumes sont fermés et que la nourriture est rationnée.

« Les premiers jours, nous ne l’avons pas ressenti, mais cela s’aggrave de jour en jour », déclare-t-elle. « Nous voulons rentrer à la maison… mais nous verrons si [la route est rouverte]. »

Dans un récent article, l’assistant du premier vice-président de l’Azerbaïdjan relatait des atrocités commises par les Arméniens pendant leur occupation du Haut-Karabakh, présentant les Azerbaïdjanais comme victimes. Cette campagne serait destinée à faire échouer les négociations de paix en cours, comme il accuse l’Arménie de l’avoir fait au cours des trois dernières décennies.

« L’Arménie a joué le temps, tout comme elle le fait maintenant », considère Elchin Amirbayov. « Parler de paix, préparer la guerre, et répandre la désinformation. »

Ses propos laissent entendre que c’est bien l’Azerbaïdjan qui impose le blocus, puisque c’est lui qui autorise les véhicules de la Croix-Rouge à entrer. Mais il a également appelé l’Arménie à mettre fin à ses activités minières illégales, ainsi qu’à l’utilisation de la route pour importer des armes et des mines terrestres.

D’autres analystes accusent la Russie d’être à l’origine de la crise, en étroite collaboration avec des dirigeants de l’Artsakh. Le Premier ministre arménien, frustré par l’absence d’intervention des forces de maintien de la paix, a qualifié son allié supposé, la Russie, de source de « menaces pour la sécurité » et a annulé les exercices militaires conjoints prévus en signe de protestation.

La Russie a répondu en appelant l’Arménie à reprendre les négociations de paix. Aliyev a prévenu que 2023 serait la dernière année où l’Azerbaïdjan y prendrait part Les dirigeants des deux pays se sont rencontrés l’année dernière à Prague, à Moscou et à Washington, à la suite d’un processus de négociation inhabituel à double voie, alternant entre parrainage russe et occidental.

Lors de l’une de ces rencontres, pour la première fois, l’Arménie a accepté d’envisager une solution fondée sur une déclaration des Nations unies de 1991 reconnaissant l’intégrité territoriale de chaque parti — facilement interprétée comme l’acceptation de la souveraineté azerbaïdjanaise sur le Haut-Karabakh. Une annonce avait été faite, laissant prévoir un accord de paix définitif d’ici la fin de 2022.

Cela n’a pas abouti. Et un sondage Gallup du mois de décembre révélait que céder l’enclave serait profondément impopulaire dans le pays, 97 % des Arméniens trouvant la chose « inacceptable ».

Une déclaration de l’Association missionnaire arménienne d’Amérique (AMAA) illustre ce sentiment.

« Il n’y a que de vains appels à vivre ensemble avec le Turc », déclarait Viktor Karapetyan, représentant de l’AMAA dans le Haut-Karabakh, renvoyant aux origines turciques des Azéris. « Non, mes amis, non, car ils sont eux, et nous sommes des Arméniens, des Arméniens d’Artsakh. »

Malgré les difficultés du blocus, il affirmait que les programmes éducatifs, sociaux et de développement de l’AMAA ont continué sans interruption, en s’appuyant sur les ressources locales.

René Leonian, président de l’Union évangélique arménienne d’Eurasie, a signé l’alerte au génocide du 19 décembre au nom de son organisation d’Églises. Il s’est entretenu avec Viktor Karapetyan et transmet un message similaire, à savoir que le peuple d’Artsakh reste fort.

« Ils sont conscients du danger, mais ont décidé de rester parce que c’est leur terre ancestrale », a déclaré René Leonian à notre magazine. « Même s’ils ont perdu des terres, ils ont le sentiment qu’ils pourront les reprendre, quelle que soit la durée du processus. »

Il prie chaque jour pour la paix et pour de bonnes relations avec la Turquie et l’Azerbaïdjan. Il remet aussi en contexte les remarques de son collègue de l’Artsakh.

« Si l’Azerbaïdjan est sincère, peut-être le processus de paix pourrait-il donner des résultats positifs. » « Mais comment pouvons-nous croire aux paroles de ses dirigeants ? »

Le président Aliyev a toujours déclaré que les résidents arméniens du Nagorny Karabakh seraient traités comme des citoyens au sein d’une nation multiculturelle. Mais il a également menacé de prendre le territoire arménien par la force. Et il y a à ses yeux une direction dans laquelle le blocus n’est pas appliqué :

« Pour quiconque ne veut pas devenir notre concitoyen, la route n’est pas fermée, elle est ouverte », a-t-il déclaré. « Ils peuvent partir… personne ne les en empêchera. Ils peuvent s’en aller sous l’auvent des camions des troupes de maintien de la paix, ou ils peuvent s’en aller en bus. La route est ouverte. »

Cela s’appliquerait probablement aussi à Biayna Sukhudyan, la neurologue pédiatrique. Mais sachant qu’aucun autre spécialiste n’est en mesure de la remplacer, elle continuera à faire face au manque de médicaments et à la pénurie générale de nourriture.

Elle est même en paix d’avoir été séparée de sa fille, qui visite l’Arménie pendant les vacances de son université en Autriche. Mais elle ne voudrait pas que l’on voie en elle une héroïne pour agir de la sorte, car elle admire surtout la force de la population locale qu’elle sert.

« Il y a ici des enfants dans le besoin. » « Je dois rester, et les aider. »

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Ne faites pas (encore) trop confiance à ChatGPT

Tom Kehler, ingénieur en IA et entrepreneur chevronné, évoque les limites de la nouvelle application et les merveilles du cerveau humain.

Christianity Today February 2, 2023
Illustration de Mallory Rentsch/Images sources : Getty

L es développements de l’IA semblent s’accélérer : Microsoft a annoncé dernièrement investir 10 milliards de dollars dans OpenAI qui qui a créé le populaire module de conversation ChatGPT .

Tom Kehler travaille dans le domaine de l’intelligence artificielle depuis plus de 40 ans, en tant que codeur et PDG. Fils de prédicateur, il s’est intéressé à la linguistique mathématique au lycée. Après avoir obtenu un doctorat en physique, il voulait faire de la linguistique avec Wycliffe Bible Translators, mais « Dieu n’a cessé de fermer cette porte » et Tom s’est retrouvé à travailler sur le traitement du langage naturel en informatique.

Il a fait un passage dans le monde universitaire avant de rejoindre Texas Instruments en 1980, où il a commencé à travailler avec les meilleurs chercheurs en IA. Il s’est retrouvé dans la Silicon Valley, où il a fondé et dirigé plusieurs startups spécialisées dans l’IA, dont IntelliCorp et CrowdSmart.

Un des meilleurs chercheurs d’OpenAI a récemment décrit les réseaux neuronaux actuels comme étant « légèrement conscients ». Tom Kehler a des doutes.

Quelles étaient les questions relatives à l’IA dans les années 1980, lorsque vous avez commencé à y travailler ?

« Est-ce que ça va remplacer mon travail ? » Dans de nombreux cas, la réponse est oui. Nous devons penser à la formation continue — vous ne travaillerez peut-être plus sur la chaîne de montage, mais vous pourriez faire fonctionner les machines qui la constitueront. L’autre question récurrente est cette notion de singularité [lorsque le développement de l’IA échappera à l’être humain]. Il y a aussi la question de la capacité à ressentir. Mais je pense que nous en sommes très loin.

Pourquoi l’idée d’une IA capable d’émotions est-elle si importante ?

Si vous êtes non croyant, il est tentant de vouloir créer quelque chose qui vous donne de l’espoir dans l’avenir. Pour ce qui est de l’IA, nous aimerions quelque chose qui nous permette d’envisager une forme de vie éternelle : ma conscience projetée dans l’éternité, parce que contenue dans une machine. Je pense que cela motive certaines de ces idées d’IA généralisée à toute la vie, comme l’obsession de la singularité de [Ray] Kurzweil. Ce phénomène nous en dit davantage sur le désir humain que sur la situation dans laquelle nous nous trouvons en matière de progrès.

Que pensez-vous de l’ingénieur de Google qui, l’année dernière, affirmait que son « chatbot » était devenu conscient et avait une âme ?

Je pense qu’il a passé trop de temps avec son ordinateur portable, honnêtement. Nous travaillons avec le même type de grands modèles de langage (large language models). C’est ce qu’on appelle les transformeurs (transformer models). Toute ma carrière, je me suis concentré sur le traitement du langage naturel, un domaine qui existe depuis un certain temps déjà. Tous ces modèles ont été construits en agrégeant des informations provenant de sites comme Wikipédia. Ils sont l’écho de l’intelligence humaine.

Pour que ces systèmes arrivent à dire, par exemple, « C’est le numéro sept », on travaille à les renforcer jusqu’à ce que le réseau neuronal puisse reconnaître ce sept. Ce travail de corrélation d’éléments est au cœur du fonctionnement de l’IA aujourd’hui.

Voici ce qui m’impressionnerait davantage : partir d’un système vide, et que celui-ci ait la capacité d’apprendre le langage à la vitesse d’un enfant. La façon dont les enfants acquièrent le langage est vraiment époustouflante. Et pas seulement la langue, mais même la manière dont vous ouvrez la porte d’un placard. Ils voient quelque chose une fois, et ils trouvent comment le faire.

Le système dont parlait cet ingénieur de Google a reçu des milliards d’exemples afin d’en tirer une certaine intelligence. Il consomme des quantités astronomiques d’énergie, alors que le cerveau d’un petit enfant a besoin de la puissance d’une lampe de poche, et est capable d’apprendre le langage. Nous ne sommes pas du tout proches de ce type d’IA forte (general AI).

Nous sous-estimons l’étendue de notre ignorance du fonctionnement du cerveau. Et nous avons une confiance excessive dans les outils à notre disposition jusqu’à présent. [L’informaticien] Judea Pearl, dans The Book of Why, explique que l’apprentissage profond (deep learning) nous permet d’atteindre des niveaux d’intelligence animale, avec une corrélation avec les entrées et les données. Cela devient très intéressant. C’est ce qui nous permet d’avoir des choses assez intéressantes comme des bateaux qui peuvent traverser l’océan sans pilote. Ce que nous pouvons faire avec l’IA est incroyable, mais ce n’est pas la même chose que de dire que nous serions maintenant face à un être intelligent.

Où souhaiteriez-vous que l’IA aille ?

Il est scientifiquement prouvé que les problèmes que nous devons aujourd’hui résoudre sont bien trop complexes pour une seule personne. Nous devons utiliser l’intelligence collective pour trouver comment résoudre certains de ces grands problèmes. Je pense que l’IA pourrait être un énorme avantage, plutôt qu’une menace, pour le développement humain.

Que pensez-vous de ChatGPT, ce nouveau module de conversation (chatbot) populaire ?

Il propose sous une forme accessible des connaissances qui ont été acquises depuis très longtemps. C’est un utilitaire très intéressant si vous lui posez des questions de connaissances générales, comme une encyclopédie. Il présente l’information sous une bien meilleure forme que ce que vous obtenez en effectuant une recherche où vous aboutissez à une série de liens et où vous devez reconstituer l’histoire vous-même.

Mais vous pensez qu’il a aussi des problèmes.

Il se contente de recevoir les informations pour construire ses connaissances. Il ne vérifie pas la vérité ou, comme on le dit dans les systèmes d’information, la lignée des données (data lineage). D’où viennent ces données ? Est-ce que l’on sait que c’est vrai ? ChatGPT traduit simplement un texte d’entrée en texte de sortie en fonction d’un certain objectif.

Imaginons que vous utilisiez ChatGPT pour entreprendre une action ou prendre une décision. Ce qui s’est passé au cours des six ou sept dernières années, c’est que l’IA a été utilisée pour manipuler l’opinion des gens. Il y a eu des campagnes pour imiter la vérité, tout en la déformant.

C’est aussi quelque chose que l’on peut faire avec un outil comme ChatGPT. Vous ne pouvez pas l’utiliser comme nous utiliserions la science, lorsque par exemple nous prenons une décision pour créer un médicament. Il doit y avoir un processus humain pour savoir si les données sont dignes de confiance ou non.

Comment créer un outil digne de confiance ?

Si l’on se réfère à la façon dont les connaissances scientifiques ou médicales ont été développées, c’est par l’examen par les pairs. En tant qu’humains, nous avons considéré cette procédure comme digne de confiance. Elle n’est pas parfaite. Mais c’est comme ça qu’on établit normalement la confiance. Si 12 des meilleurs chirurgiens cardiaques du monde disent qu’une certaine procédure est bonne, vous en conclurez qu’elle est bonne. Si c’est ChatGPT qui vous a dit de suivre une procédure, vous feriez mieux de la faire réviser par quelqu’un, car elle pourrait être erronée.

Je pense qu’il est essentiel, d’un point de vue éthique, que nous gardions les humains dans la boucle du développement des technologies d’intelligence artificielle. Nous avons vu que les systèmes d’IA peuvent battre quelqu’un aux échecs, mais c’est juste un ensemble de compétences. Cela ne prouve pas qu’on peut leur faire confiance pour ce que nous, les humains, appelons la sagesse : comment vivre.

Pourquoi la véracité de ces outils est-elle importante pour les chrétiens ?

La foi touche à l’assurance des choses que l’on espère. Quand les gens pensent que la foi est juste un saut dans le vide, ce n’est pas vrai. Nous prenons des décisions de foi en fonction d’éléments véridiques.

Voyez ce qui s’est passé dans le christianisme suite à la désinformation. N’est-ce pas cela qui a causé tant de fragmentation ? Certains ont par exemple commencé à répandre les théories de QAnon. Des informations sont propagées alors que leur valeur réelle n’a pas été déterminée. Cela provoque des divisions dans les familles.

Nous devons nous concentrer sur ce qui est vrai. Je pense au cadre donné par la lettre aux Philippiens : ce qui est vrai, ce qui est bon, ce qui crée un plus grand bien commun. C’est le plan originel du christianisme, l’émergence du royaume de Dieu.

La conviction que nous pouvons essayer de trouver un accord et nous rassembler est au cœur même de ce que j’espère pour l’intelligence artificielle. C’est un principe scientifique : nous nous appuyons sur des évidences étayées par les pairs auxquelles nous faisons confiance et qui font avancer la science.

Vous avez affirmé que certains modèles mathématiques eux-mêmes aident à construire une IA plus fiable.

Tous les ingénieurs en IA de la planète connaissent les applications bayésiennes, car elles sont fondamentales pour la plupart des IA contemporaines. L’apprentissage bayésien trouve ses racines chez un pasteur presbytérien des années 1700.

La pensée bayésienne demande : « Comment les preuves changent-elles mes croyances ? » Je forme de nouvelles croyances basées sur des preuves. Vous pouvez utiliser des modèles bayésiens pour construire des types de systèmes intelligents beaucoup plus riches, et vous pouvez faire en sorte qu’ils soient explicables. Le modèle peut vous dire comment il a obtenu une réponse.

Les gens de la Silicon Valley qui croient vraiment à la singularité — que c’est la façon dont nous allons atteindre la vie éternelle — ne réalisent pas qu’une grande partie des fondements de tout cela ont été établis par des gens qui avaient une foi profonde en Dieu. Je trouve cela à la fois intéressant et amusant.

Avez-vous utilisé ChatGPT ?

Je lui ai demandé de décrire la façon dont les grands modèles linguistiques vont détruire la société humaine telle que nous la connaissons. Et il explique très bien la chose.

C’est un chef-d’œuvre de technologie. Je n’essaie pas de le nier, mais de dire : « Voilà jusqu’où vous pouvez aller avec ça. » Et j’ai un problème éthique plus profond : il me paraîtrait un peu dangereux de commencer à présupposer que la machine est d’une intelligence supérieure à celle de l’homme, surtout si cela ne repose sur aucun fondement éthique.

Je ne voudrais pas d’un automate qui commence à faire des choses sans que l’on sache pourquoi ou comment il les fait. L’explicabilité est très importante. Il n’y a probablement pas assez de prise de hauteur dans la réflexion sur les directions dans lesquelles tout cela nous mène et l’influence que nous voulons y exercer. Nous avons besoin de personnes qui réfléchissent en profondeur aux implications spirituelles de ces choses.

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Books

Nouveau rapport sur les dérives « mystico-sexuelles » de Jean Vanier

Une commission indépendante a conclu que des dizaines de femmes ont été violées par Vanier et son mentor dans le cadre de disciplines spirituelles abusives.

Jean Vanier

Jean Vanier

Christianity Today February 2, 2023
Tiziana Fabi/AFP/Getty Images

Deux ans après que les allégations d’agressions sexuelles contre le défunt fondateur de L’Arche, Jean Vanier, ont été rendues publiques, un rapport parle d’une « culture du secret soigneusement entretenue pendant des décennies ».

À partir de la célèbre communauté chrétienne qu’il avait établie à Trosly-Breuil, en France, le théologien franco-canadien perpétuait en coulisse les pratiques « mystico-sexuelles » d’un groupe sectaire. Sur une période de près de 70 ans, Vanier a violé au moins 25 femmes — toutes des adultes sans handicap — pendant des temps de prière et de dévotion spirituelle.

Les résultats de l’enquête de deux ans, commandée par L’Arche en 2020, ont été publiés lundi 30 janvier dans un rapport de 907 pages. Une demi-douzaine de victimes de Vanier s’étaient exprimées pour la première fois après sa mort en 2019 à l’âge de 90 ans.

Une équipe interdisciplinaire de chercheurs a consulté 1 400 lettres privées de Vanier, dont des centaines provenant d’un dossier secret. Ils ont interrogé 89 personnes, dont huit des victimes de Vanier.

L’Arche, une organisation rassemblant des personnes avec et sans handicap mental, est aujourd’hui connue et répandue dans le monde entier. Alors que ce ministère a apporté dignité et fraternité à de nombreuses personnes vulnérables au cours des décennies, le rapport suggère que Vanier l’avait fondé comme une couverture pour réunir un groupe qui pratiquait la contemplation et la direction spirituelle associées à la nudité et à des attouchements sexuels.

« Le courage de ces femmes et la mort de Vanier en 2019 ont conduit à des examens d’archives qui ont révélé […] que Vanier faisait partie d’un petit groupe sectaire qui souscrivait à […] une doctrine et des pratiques prédatrices et déviantes », commente Tina Bovermann, directrice générale de L’Arche aux États-Unis. « Les membres, partenaires et amis de L’Arche ont été trompés par Vanier. »

Ces découvertes ont « stupéfié » les dirigeants de L’Arche, a déclaré Tina Bovermann au magazine Sojourners qui a transmis la nouvelle du nouveau rapport aux États-Unis et qui publie également un podcast (en anglais) sur les retombées des révélations concernant Vanier.

« Nous nous sommes retrouvés avec de très nombreuses questions », témoigne-t-elle. « Comment devons-nous comprendre l’histoire fondatrice de L’Arche ? »

La commission décrit dans son rapport un ministère français appelé L’Eau vive, qui avait été dirigé dans les années 1950 par le mentor spirituel de Vanier, un prêtre dominicain nommé Thomas Philippe. Après une expérience mystique impliquant la Vierge Marie, Thomas Philippe « développe des arguments théologiques pour justifier ses pratiques sexuelles avec des religieuses ou de jeunes femmes laïques en quête de vocation religieuse », dit le rapport.

Le comportement de Philippe lui a valu d’être exclu de tout ministère public ou privé par l’Église catholique, mais il est resté clandestinement en contact avec Vanier et d’autres membres de L’Eau vive, qui ont ensuite fondé L’Arche en 1964. Jacqueline d’Halluin, une aspirante religieuse également devenue disciple de Thomas Philippe et dont les lettres décrivent une relation intime et érotique avec Vanier, propose le nom de l’organisation. Philippe devient le directeur du centre spirituel de L’Arche, La Ferme, jusqu’en 1991.

Au fil des ans, alors que l’organisation s’étendait au Canada, à l’Inde et à plus de 30 autres pays, Vanier, Philippe et d’autres ont continué à abuser de dizaines de femmes alors qu’ils travaillaient à L’Arche et dans sa propriété, selon la commission. Aucune des victimes ne s’est avérée être une personne handicapée. Les victimes de Vanier étaient des femmes catholiques dont une moitié était issue de « milieux sociaux privilégiés ». Certaines avaient prononcé des vœux religieux.

« [C]’est au sein de la communauté de Trosly qu’eurent lieu la majorité des cas d’emprise et d’abus sexuels confiés à la Commission. Des personnes accusées d’abus sexuel en ont été membres et y ont exercé des responsabilités, des victimes vivent encore à proximité. », décrit le rapport.

Sur les 25 femmes connues pour avoir subi « un acte sexuel ou un geste intime non consenti » de la part de Vanier, 14 ont été ou sont encore membres de L’Arche.

Une synthèse du rapport de la commission détaille la « prière » physique et sexuelle à laquelle se livrait Vanier avec les femmes :

De la fin des années 1960 aux années 2010, la posture régulièrement décrite est celle de Jean Vanier (c’est le cas aussi avec Thomas Philippe, Marie-Dominique Philippe) à genoux, tête posée sur la poitrine nue de la personne « accompagnée ».

Les gestes tactiles s’intensifient pendant la prière et l’accompagnement (se tenir les mains, têtes rapprochées, les fronts se touchent, se prendre dans les bras l’un de l’autre). Les différents récits évoquent une gamme similaire d’attouchements, recouvrant en particulier des « baisers sur la bouche chaque fois plus appuyés, passionnels », « voluptueux, passionnés », et des caresses sur les zones érogènes des deux parties, particulièrement la poitrine féminine.

Dans plusieurs cas, les attouchements ont progressé vers des actes d’agression sexuelle. La nudité partielle, l’absence de coït ainsi que la justification spirituelle de l’abus sexuel conduisent Jean Vanier à considérer qu’il s’agit là d’une pratique non-sexuelle.

Les femmes qui avaient parlé les premières des abus commis par Vanier ont décrit qu’il considérait ces actes sexuels comme faisant partie de sa direction spirituelle, et usait de phrases comme « Ce n’est pas nous, c’est Marie et Jésus » ou « C’est Jésus qui t’aime à travers moi ».

Le rapport note l’utilisation par Vanier d’un vocabulaire spirituel à connotation charnelle tout au long de sa correspondance. La chose est parfois relativement voilée : « nous “pénétrons” (les mystères par l’Amour) ; “nous sommes cachés dans le sein” (de l’Immaculée) ». Mais c’est parfois « à mots à peine couverts » qu’il associe mystique et sexualité.

De son vivant, Vanier était réputé pour sa foi, sa gentillesse et son sens de l’amitié envers les personnes handicapées. Il avait reçu en 2015 le célèbre prix Templeton récompensant les progrès dans la compréhension des questions les plus profondes de l’humanité.

La branche américaine de L’Arche a condamné « la séduction insidieuse, l’exploitation psychologique et spirituelle, les abus de pouvoir, la violence sexuelle, les mensonges, la manipulation et la tromperie » employés par Vanier et Philippe. L’Arche International a également exprimé une demande de pardon aux victimes de ces abus, reconnaissant de sa part une « responsabilité institutionnelle de n’avoir pas su prévenir et repérer ces abus, les signaler et les faire cesser. » Les allégations contre Thomas Philippe n’étaient apparues qu’en 2014, des décennies après sa mort.

Bien que les fondateurs aient utilisé L’Arche comme une couverture pour leurs pratiques mystiques et sexuelles, les chercheurs ont conclu que « L’Arche en tant que projet et organisation n’a rien à voir avec une secte » et que les croyances du mouvement de L’Eau vive ne s’étaient pas propagées aux responsables de L’Arche à d’autres endroits.

Le rapport note que d’autres victimes pourraient se manifester, mais que « depuis 2014 se développe au sein de L’Arche un processus de prise de conscience individuelle et collective. »

Les auteurs disent leur étonnement de ce que les pratiques de ce « noyau sectaire » n’aient pas proliféré plus largement. L’explication pourrait à leurs yeux se trouver dans le faible nombre des anciens membres de L’Eau vive par rapport aux très nombreuses personnes qui ont rejoint l’œuvre de L’Arche pour sa mission autour du handicap mental.

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Books

Les études de théologie servent aussi à former notre attention à Dieu

Nous aurons toujours besoin d’institutions de formation pour nous préparer au pastorat.

Christianity Today January 30, 2023
Illustration de Mallory Rentsch/Images sources : Michael Burrell/Getty/Kelly Sikkema/Unsplash

L’important séminaire américain de Gordon-Conwell annonçait en mai 2022 son intention de vendre son campus principal après que ses effectifs aient régulièrement diminué de plus de 50 % au cours des dix dernières années.

Alors que plus d’un tiers des Américains s’identifient toujours comme évangéliques, le déclin de leurs séminaires est une sorte d’énigme. L’une des explications est la façon dont certains évangéliques considèrent les études théologiques : un obstacle, voire un obstacle inutile.

Entre ma première et ma deuxième année d’études, pendant l’été, j’avais été invité à assister à une réunion du lundi matin d’une Église locale. Le moral était au beau fixe, car l’assistance du dimanche matin venait d’atteindre un niveau record. En recensant les coordonnées laissées par les visiteurs, il avait été établi avec étonnement qu’après seulement un an d’existence, ce dimanche avait été « le plus réussi ».

En tant que jeune pasteur en herbe, j’étais curieux de savoir comment les Églises suivent et mesurent leurs progrès. J’ai donc posé cette question : « Comment savez-vous que c’est une bonne chose ? » Le pasteur a réfléchi un instant puis a répondu : « Les choses saines poussent. C’est notre philosophie. »

S’il avait raison, c’est-à-dire que devenir plus grand est invariablement un signe de croissance spirituelle, alors il nous faut également supposer qu’un séminaire vendant une partie de ses locaux comme le fait Gordon-Conwell se dirige vers sa fin.

Mais si nous croyons sérieusement que la valeur spirituelle d’une chose ne peut pas être déterminée dans un tableau Excel, alors nous avons besoin d’un autre cadre de référence pour penser ce que signifie croître et prospérer. Je pense à un très ancien cadre de référence — la Croix — où la mort devient le lieu de la vie et où la défaite devient le lieu du triomphe.

Gordon-Conwell est peut-être en train de rétrécir, tant en termes d’inscriptions que de budget, mais il s’agit toujours d’un endroit où des choses bien vivantes grandissent, où les âmes apprennent à se rendre plus attentives et prennent vie. Nous avons besoin que les institutions supérieures d’enseignement théologique continuent à bien faire leur travail, en nous rappelant qu’il y a des mystères que les calculatrices ne peuvent pas résoudre.

Le séminaire a longtemps été considéré comme un moyen de devenir un pasteur. Je suis maintenant titulaire d’une forme de master en théologie désigné aux États-Unis comme « Master of Divinity » (MDiv). Dans beaucoup de contextes, il s’agit de la première étape à franchir avant d’obtenir un poste pastoral. Il s’avère cependant aujourd’hui que certaines Églises évangéliques se soucient beaucoup moins de cette première étape, au point que les aspirants pasteurs s’entendent dire que le séminaire est inutile, voire une très mauvaise idée.

J’ai moi-même reçu ce genre d’avertissements, et l’argument se présente généralement comme suit : « Pourquoi vouloir aller au séminaire ? C’est financièrement très lourd, vous risquez l’épuisement, c’est beaucoup de travail… » Oui, toutes ces choses sont vraies. Mais s’il s’agit d’obstacles insurmontables pour vous, il me faut vous poser la question : pourquoi cherchez-vous à exercer un ministère à plein temps ?

Si vous espérez passer votre vie à travailler dans le ministère, vous engager dans un programme de séminaire de quelques années à plein temps n’est pas une attente déraisonnable. Pensez aux médecins et aux avocats : vous ne laisseriez pas un autodidacte vous scier la jambe ! De même, le passage par la formation théologique est un moyen de formaliser et manifester votre engagement envers votre vocation. Mais plus que cela, une telle formation pose des fondements au dévouement et à la patience que nécessitera votre travail de pasteur.

Et pourtant, certains membres du monde évangélique semblent avoir considérablement abaissé leurs critères lorsqu’il s’agit d’attendre une formation formelle des pasteurs. Stanley Hauerwas invite à prêter attention à ce problème :

En toute simplicité, les gens ne croient pas aujourd’hui qu’un pasteur mal formé puisse nuire à leur salut, mais pensent qu’un médecin mal formé peut leur faire du tort. Ainsi, ils se préoccupent beaucoup plus de savoir qui est leur médecin que de savoir qui est leur pasteur. Ce fait montre assurément que, quel que soit le sérieux avec lequel nous nous considérons comme chrétiens, nous pouvons très bien vivre des vies qui vont à l’encontre de notre conviction que Dieu a de l’importance.

Il n’est pas impossible d’acquérir les connaissances et les compétences de base nécessaires pour le pastorat en dehors d’un séminaire — certains l’ont clairement fait. Mais les commodités offertes par l’ère de l’information ne rendent pas la formation théologique formelle obsolète. Même les meilleurs outils de référence biblique disponibles sur le marché ne peuvent fournir le même type de formation holistique qu’un diplôme de séminaire. En outre, les études autodirigées n’impliquent pas les mêmes sacrifices en matière de temps et d’argent.

Si l’intérêt accru pour une formation théologique plus informelle est beau et nécessaire dans l’Église, il ne peut remplacer ce que les séminaires accrédités fournissent : une méthode fiable et universelle pour confirmer un certain degré de compétence et, peut-être plus important encore, de consécration.

Il n’y a pas de raccourcis, même pour ceux qui ne vont pas au séminaire. Se préparer au pastorat demande beaucoup d’études et de travail de l’âme. Et pour ceux qui en ont la possibilité, les études de théologie sont un endroit idéal pour le faire. Comme Zena Hitz le soutient, le « retrait que le travail intellectuel exige » n’a pas forcément à être une manière d’échapper au monde, car il permet de créer « une distance salutaire, un endroit où mettre de côté notre manière de voir les choses pour considérer les choses telles qu’elles sont vraiment ».

En fin de compte, le séminaire est une occasion unique de croissance spirituelle. Il offre l’espace et le temps nécessaires à une attention profonde et à une solitude formatrice que la vie ordinaire ne permet généralement pas, donnant aux étudiants en théologie la chance de travailler leur foi avec « crainte et le tremblement » dans un environnement qui y est favorable.

Pour certains, les épreuves spirituelles et les crises de foi auxquelles se heurtent de nombreux étudiants en théologie doivent être considérées comme des revers, faisant en quelque sorte obstacle à l’objectif ultime. Mais on n’évite pas les désillusions en fuyant les situations ou les environnements qui pourraient nous y conduire. Nous vivons dans un monde déchu et le travail du pasteur n’est pas de contourner la souffrance et le doute sur la pointe des pieds, mais de s’y frayer un chemin dans la prière.

Ce travail commence au sein des pasteurs eux-mêmes, lorsqu’ils sont confrontés à leur propre bagage de vie. Comme le Shatov de Dostoïevski le dit dans Les Démons : « Si tu veux vaincre le monde, commence par te vaincre. » Il en va de même pour le pasteur : si vous voulez vous occuper de votre troupeau, occupez-vous de votre âme. Entretenez-la pendant les longues heures d’étude. Lorsque vous êtes tenté par le détachement et l’orgueil, luttez avec Dieu. Votre ministère commencera toujours par là.

Comme le recommande Paul à Timothée, les pasteurs doivent être prêts à agir « que l’occasion soit favorable ou non » (2 Tm 4.2), prêts à donner de nous-mêmes en toute saison de la vie. Bernard de Clairvaux fait la distinction entre un canal, qui « déverse ce qu’il reçoit », et un réservoir, qui « évacue le trop-plein sans perte pour lui-même ». Il observait que les réservoirs étaient « beaucoup trop rares » dans l’Église de son époque. Combien plus aujourd’hui ?

Dans son livre Attente de Dieu, Simone Weil, militante, philosophe et mystique française du 20e siècle, écrit : « La clef d’une conception chrétienne des études, c’est que la prière est faite d’attention. » Elle estimait que l’exercice de l’assiduité dans ses études, qu’il s’agisse de mathématiques ou de théologie, constitue fondamentalement un entraînement à la prière. Après tout, sans capacité d’attention, comment pourrait-on fermer la porte de sa chambre et prier notre Dieu qui est là dans le secret ?

Nous venons au séminaire pour ne pas être « conformés au monde », mais « transformés par le renouvellement de notre intelligence, afin de discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » (Rm 12.2). Grâce à ce travail de transformation, les pasteurs se préparent non pas à satisfaire le monde et ses critères de réussite, mais à conduire l’Église et ses membres sur les voies du Christ.

Le séminaire est un lieu où l’on apprend à laisser tomber la vie et la « croissance » telles que nous les connaissons. C’est dans cette attention où nous nous effaçons nous-mêmes que nous pouvons découvrir Dieu dans toute sa gloire transformatrice. Ce temps d’attente n’est pas simplement une tâche à accomplir avant de passer à la suite. Il fait lui-même partie de la destination. C’est pour cela que le séminaire n’est pas seulement un moyen ; il est aussi une fin.

Quoi qu’en disent ceux qui annoncent la disparition de Gordon-Conwell et d’autres séminaires évangéliques, certains d’entre nous serons toujours là, à écrire nos dissertations, à aimer notre prochain et à nous rendre attentifs à Dieu.

Noah R. Karger est étudiant en master au Séminaire théologique Gordon-Conwell et assistant de recherche au Center for the Study of Global Christianity.

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L’apathie était considérée comme une vertu. Elle est devenue le vice caché de notre culture.

Comment l’acédie est devenue l’ennemi de nos âmes.

Christianity Today January 30, 2023
Illustration par Chidy Wayne

Le concept d’apathie a une longue histoire dans le monde occidental. Notre culture contemporaine n’est pas la seule à avoir vu dans certaines de ses formes quelque chose que l’on pourrait considérer comme « cool ». Les grands philosophes du passé débattaient déjà de sa signification et de sa valeur.

Overcoming Apathy: Gospel Hope for Those Who Struggle to Care

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192 pages

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En réalité, pour certains philosophes grecs, l’apathie était l’une des meilleures choses auxquelles on pouvait aspirer. Le terme grec apatheia signifie « absence de pathē » (passions), et dans la pensée de certains philosophes, le terme de passions désignait souvent des émotions vives telles que l’amour, la peur, le chagrin, la colère, l’envie, le désir, la douleur ou le plaisir qui surviennent en réponse au monde extérieur.

Selon les stoïciens, par exemple, les sages — ceux qui désirent une vie florissante — sont ceux qui sont totalement libres à l’égard des passions. En d’autres termes, les sages ne sont pas à la merci des hauts et des bas de la vie dans ce monde. Ils sont autosuffisants ; les événements extérieurs de la vie « ne font qu’effleurer la surface » de leur esprit, comme le formule Martha Nussbaum dans The Therapy of Desire. Le but de la vie est alors ce que nous pourrions appeler « l’équanimité », ou la tranquillité de l’âme. Même les grands philosophes non stoïciens, comme Aristote, reconnaissaient la valeur de la limitation des passions. On estimait que les « apathiques » jouissaient d’une vie désirable.

Les premiers penseurs chrétiens étaient bien conscients de cette ancienne tradition philosophique valorisant l’apathie. Il est intéressant de noter que, comme leurs prédécesseurs philosophes, ils cherchèrent à appliquer le concept d’apatheia non seulement aux êtres humains, mais aussi à Dieu.

Ceux qui ont un jour suivi un cours d’introduction à la théologie ont peut-être rencontré le terme d’impassibilité dans les débats sur les attributs de Dieu. Impassibilité est une traduction latine du terme grec apatheia, et il s’agissait d’un concept très discuté parmi les pères de l’Église.

Selon le théologien Pavel Gavrilyuk, parler de Dieu comme étant impassible, c’est dire « qu’il n’a pas les mêmes émotions que les dieux des païens ; que son souci des êtres humains est exempt d’intérêt personnel et de toute association avec le mal. » L’impassibilité signifie que Dieu n’est pas submergé par les émotions, et que ses émotions ne peuvent être affectées par quelque chose d’extérieur à lui-même.

S’il peut être approprié d’attribuer des « émotions » à Dieu, l’impassibilité (ou l’apathie divine) exclut celles qui ne lui conviennent pas. Par exemple, lorsque nous parlons de Dieu en tant qu’amour, nous parlons bel et bien d’un Dieu passionné. Mais il s’agit d’une passion impassible, d’un amour qui n’est pas dicté par le monde extérieur. En d’autres termes, Dieu n’est pas soumis à des passions vives comme nous le sommes. Apatheia est une autre façon de parler de l’immuabilité et de la constance de l’affection de Dieu pour tout ce qu’il est et tout ce qu’il a fait.

Selon certains penseurs de l’Église ancienne, l’apathie humaine est un état vertueux et une image de la vertu de Dieu lui-même. Une personne marquée par l’apatheia a maîtrisé ses passions par la discipline et a atteint un véritable amour de Dieu. Selon Évagre le Pontique, un moine du quatrième siècle, « l’amour est le fruit de l’impassibilité ». L’apatheia était quelque chose à rechercher, l’aboutissement d’une vie réfléchie, chaste et bien ordonnée.

Pourtant, le type d’apathie auquel nous sommes confrontés aujourd’hui ne consiste pas à essayer consciemment de s’endurcir contre les hauts et les bas de la vie ou à tenter de cultiver un détachement du monde qui produise un amour pour Dieu. Le concept du christianisme primitif qui, je crois, se rapproche le plus de ce que nous appelons apathie dans mon contexte n’est pas apatheia, mais un autre terme moins reluisant : la paresse (ou acédie).

Le mot de paresseux nous évoque peut-être à une créature arboricole qui se déplace lentement ou quelqu’un qui passerait toute la journée en pyjama à manger des pots de glace sur le canapé. Cependant, les chrétiens ont décrit avec bien plus de richesse ce qu’est la paresse.

Le terme acédie dérive d’un mot grec qui signifie littéralement « indifférence, léthargie, épuisement ou apathie ». L’un des penseurs les plus anciens et les plus influents sur l’acédie est également Évagre le Pontique. Il est connu pour avoir dressé une liste de huit tentations mortelles, qui a ensuite évolué vers ce que nous connaissons sous le nom de sept péchés capitaux. Bien que ce personnage soit inconnu de beaucoup d’entre nous, ses réflexions sont très éclairantes sur les dimensions spirituelles de l’apathie :

L’acédie est une compagne insaisissable qui égare nos pas, la haine de l’assiduité, une lutte contre le calme, un temps orageux pour la psalmodie, une paresse dans la prière, un relâchement de l’ascèse, une somnolence intempestive, un sommeil agité, une oppression de la solitude, une haine de sa cellule, un ennemi des œuvres ascétiques, un adversaire de la persévérance, un musellement de la méditation, une ignorance des Écritures, un associé du chagrin.

L’acédie est un compagnon de tous les instants. Elle cible les pratiques spirituelles censées nous apporter la vie, comme la prière, le calme, la lecture des Écritures, le travail acharné et la persévérance dans le bien. Dans ses instructions pratiques aux moines sur les différents vices, Évagre consacre plus d’espace à la description de l’acédie qu’à tout autre vice.

De même, un autre moine et penseur important, Jean Cassien, décrit l’acédie comme une agitation qui nous pousse à poursuivre tout sauf nos devoirs les plus importants. L’acédie nous distrait. Elle nous rend paresseux et léthargiques face à nos responsabilités spirituelles et pratiques. C’est une paresse sélective qui rend tout le reste attrayant.

Une autrice récente, Nicole M. Roccas, résume bien ce qu’est l’acédie dans Time and Despondency, en soulignant qu’elle peut prendre différentes formes chez différentes personnes. Elle peut par exemple se manifester par (1) l’agitation, l’incapacité à terminer un livre, à prier pendant un certain temps ou à terminer une tâche ; (2) une productivité accompagnée de ressentiment ou d’ennui par rapport aux choses que l’on fait ; ou (3) une tendance à dormir, manger, s’inquiéter et se distraire.

Le fil conducteur de ces différentes manifestations est le manque de sens ou l’absence de but. Les choses sont soit laissées en suspens, soit faites pour de mauvaises raisons, soit faites sans aucun but. Comme l’observe Rebecca Konyndyk DeYoung dans Glittering Vices, le cœur est engourdi à l’égard des « exigences de l’amour », les choses auxquelles Dieu nous a appelés.

Dans Creed or Chaos? Dorothy Sayers dépeint l’acédie comme « le péché qui ne croit en rien, ne se soucie de rien, ne cherche à rien savoir, ne se mêle de rien, ne jouit de rien, n’aime rien, ne déteste rien, ne trouve de but en rien, ne vit pour rien et ne reste en vie que parce qu’il n’y a rien pour quoi il voudrait mourir ». Une indifférence privée de but, sans objectif.

L’acédie, telle que les chrétiens l’ont pensée à travers les âges, est réellement une notion utile pour comprendre ce que nous désignons parfois aujourd’hui comme apathie. Dans le diagnostic de l’âme qu’elle permet, elle indique que ce qui se passe en nous n’est pas seulement psychologique ou émotionnel, mais aussi spirituel. L’acédie semble en effet surtout se caractériser par sa résistance à ce qui est spirituel. N’est-ce pas ce que nous trouvons si troublant dans nos apathies ?

D’importantes recherches psychiatriques ont été menées sur l’apathie, notamment chez les personnes atteintes de maladies graves comme les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson.

Toutefois, ces recherches pourraient avoir des applications plus larges pour tous ceux qui tentent de donner un sens à l’apathie. L’une des définitions les plus couramment citées décrit l’apathie comme un manque de motivation qui « n’est pas attribuable à une diminution du niveau de conscience, à un déficit intellectuel ou à une détresse émotionnelle ».

Lorsque le manque de motivation s’accompagne d’une absence d’effort, d’un manque d’intérêt pour l’apprentissage ou d’une absence d’émotion, alors le patient peut être diagnostiqué cliniquement comme souffrant d’une véritable maladie. Certains patients décrivent simplement l’apathie comme « la disparition de l’envie de se lever et de se mettre en route » ou « l’étincelle qui manque ». Ces formules expriment très bien un sentiment que beaucoup d’entre nous connaissent aussi.

Cependant, l’intérêt de ces précisions cliniques réside dans le fait que, à mesure que nous parvenons à mieux définir la maladie, nous apprenons à mieux la traiter. Par exemple, l’apathie recoupe d’autres affections, comme la dépression.

Par ailleurs, les études sur l’apathie ont permis de préciser les différents facteurs qui y contribuent, comme les facteurs environnementaux ou biologiques. Ainsi, les immigrants ou les membres de minorités ethniques s’adaptent parfois aux différences de culture ou de langue en devenant apathiques. Le changement de culture, ou le sentiment d’être isolé au sein d’une culture, interfère avec la poursuite de leurs valeurs ou objectifs, et l’apathie n’est qu’une façon de faire face ou de s’adapter à leur environnement.

Des études montrent également que le type d’apathie qui nous préoccupe est en grande partie une réaction acquise au monde. Ce n’est pas nécessairement quelque chose que l’on aurait de naissance, ni par conséquent quelque chose que l’on serait destiné à endurer pour le reste de sa vie. Des personnes relativement saines, mais apathiques ont perdu tout intérêt pour certaines choses, mais seulement pour certaines. Le psychologue Robert S. Marin définit les formes typiques d’apathie comme une « apathie sélective ».

Notre apathie est l’exact opposé de l’apathie que nos ancêtres louaient.

Qu’est-ce alors que l’apathie ? Quel est précisément cet ennemi qui se dresse contre nous ? Nous sommes à des kilomètres (et des centaines d’années) de la vertu antique de l’apatheia. Notre apathie est l’exact opposé de l’apathie que nos ancêtres louaient. La nôtre est sans amour, la leur était définie par l’amour. La nôtre dénonce l’autodiscipline, la leur l’exigeait.

L’apathie en question n’est ni une dépression profonde, ni un désespoir, ni un découragement. Il ne s’agit pas du mouvement mystérieux du chrétien fidèle qui tâtonne dans l’obscurité vers Dieu. Il s’agit plutôt d’une posture intermédiaire qui oscille entre confusion et désengagement.

L’apathie, comme la littérature psychologique nous l’a fait comprendre, est au fond un déficit de motivation, d’effort, d’intérêt, d’initiative et de désir envers des choses que nous trouvions autrefois importantes. Il s’agit d’un trouble psychologique, peut-être pas de la même ampleur que la dépression clinique, mais tout de même handicapant à sa manière. L’acédie ne fait que décrire le désintérêt que nous éprouvons à l’égard des choses de l’Esprit ; elle donne un nom à la dimension spirituelle de l’apathie.

L’apathie est une maladie psychologique et spirituelle qui se traduit par une baisse prolongée de la motivation, des efforts et des ressentis, ainsi que par une résistance à ce qui pourrait favoriser notre épanouissement et celui des autres.

Dans ce qu’elle a de pécheur, elle s’exprime par l’agitation, le manque de but, la paresse et le manque de joie à l’égard des choses de Dieu. Il ne s’agit pas d’un comportement d’adulte très mature qui serait devenu trop « cool » pour se préoccuper des choses. C’est un problème.

L’Écriture parle du péché comme d’une maladie qui se propage à tous les hommes à partir de sa source en Adam (Rm 5.12) et subsiste en nous, produisant toutes sortes de maux (7.8, 20). Elle déclare également que nous sommes esclaves du péché et que nous devons être libérés de cette captivité (Jn 8.34-36 ; Rm 6.6). Enfin, le péché est décrit comme contraire à la loi (1 Jn 3.4), entraînant la condamnation (Rm 5.18 ; 6.23), et nécessitant une expiation (3.23-25 ; 1 Jn 2.2).

Dans Not the Way It's Supposed to Be, Cornelius Plantinga décrit le péché comme le « saccage » du shalom. Le shalom, d’un point de vue biblique, désigne « épanouissement, plénitude et plaisir universels » — la façon dont les choses devaient être. Nous violons le shalom lorsque nous nous opposons à l’ordre bon que Dieu a établi. Nous le renversons lorsque nous vivons d’une manière qui nuit à notre bien-être et à la joie des autres. Et parce que le shalom concerne en définitive notre relation avec notre créateur, son saccage est dirigé contre Dieu.

Comme l’écrit Plantinga,

Le péché n’est pas seulement la violation de la loi, mais aussi la rupture de l’alliance avec son sauveur. Le péché est la dégradation d’une relation, le deuil de son parent et bienfaiteur divin, la trahison du partenaire auquel on est uni par un lien sacré.

Cette dégradation se produit à travers nos actions et nos attitudes. L’apathie est une maladie de l’âme ; il s’agit d’une déformation du cœur qui doit être guérie. L’apathie, telle que beaucoup d’entre nous la vivent, est une forme de servitude. Nous ne parvenons pas à nous en extraire et nous cédons régulièrement à ses avances.

En définitive, l’apathie, en tant que refus d’aimer celui qui est le plus aimable, est un crime moral et spirituel. C’est un péché au sens le plus fondamental du terme. Ses origines sont peut-être mystérieuses, mais son orientation ne l’est pas. Il s’agit d’une froideur à l’égard de Dieu et d’une indifférence à l’égard des choses qui apportent le shalom — deux choses qui doivent être pardonnées, combattues et guéries.

Nous devrions pleurer notre apathie, mais nous ne la pleurerons pas comme ceux qui n’ont pas d’espérance. Même dans notre apathie, Dieu est avec nous et pour nous.

Uche Anizor est professeur associé de théologie à la Talbot School of Theology. Texte extrait de Overcoming Apathy : Gospel Hope for Those Who Struggle to Care par Uche Anizor ©2022. Utilisé avec la permission de Crossway, un ministère éditorial de Good News Publishers.

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Les enseignants ne devraient pas être inquiets à propos de l’IA

Les applications d’intelligence artificielle comme ChatGPT nous ramènent à la nature holistique de l’éducation.

Christianity Today January 30, 2023
Illustration de Mallory Rentsch/Images sources : Getty

La technologie et les machines ont depuis longtemps dépassé l’être humain en matière de force, de vitesse et d’efficacité. Mais ChatGPT, récemment mis en ligne par OpenAI, est un agent conversationnel (chatbot) basé sur l’intelligence artificielle qui, au-delà des précédentes avancées technologiques, semble se rapprocher de l’intelligence humaine d’une manière qui n’a d’égal que dans la science-fiction.

D’une manière générale, ChatGPT peut effectuer une grande partie du travail effectué dans les établissements d’enseignement modernes. Cela a donné lieu à une série d’articles aux titres alarmistes comme « La peur de chatGPT, » « Tout le monde va-t-il devenir un tricheur ? » Ou encore « L’essai universitaire est mort ». Un article récent s’ouvre sur cette prévision inquiétante : « Les professeurs, les programmeurs et les journalistes pourraient tous se retrouver au chômage dans quelques années. »

Face à sa capacité déconcertante à remettre en question les éléments fondamentaux de l’éducation, tels que les devoirs et les rédactions, beaucoup s’empressent de souligner les limites de ChatGPT afin de prouver que le cerveau humain est toujours supérieur à une IA de plus en plus intelligente. Pourtant, si les modèles de dialogue comme ChatGPT présentent encore des lacunes et des bizarreries, ils deviendront sans aucun doute plus « intelligents » et adaptatifs avec le temps.

La capacité de ChatGPT à organiser les informations et les connaissances est un défi pour notre approche de la formation, de l’école élémentaire à l’enseignement supérieur. Plus précisément, la menace de l’IA est proportionnelle à la manière dont nous définissons la formation.

Comme l’écrit Amit Katwala pour le site Wired, l’éducation moderne est souvent structurée pour enseigner aux gens une seule compétence : collecter et transmettre des informations. Et en ce sens, il y a de quoi se faire du souci. Dans la mesure où l’éducation est réduite à l’absorption et à la régurgitation d’informations, des IA comme ChatGPT et d’autres modèles de dialogue adaptatifs continueront à bousculer les humains et à reconfigurer radicalement les fondamentaux des établissements d’enseignement.

Mais est-ce la bonne façon de caractériser l’éducation ? Est-ce bien là le rôle d’un enseignant ?

Tout comme les craintes concernant l’automatisation et le travail humain révèlent une vision appauvrie de ce qu’est l’humain, les craintes concernant l’intelligence artificielle et l’enseignement révèlent une vision appauvrie de l’éducation. Si l’éducation relève simplement de la transmission d’informations, alors l’IA avancée pourrait très bien sonner le glas de l’enseignement et des systèmes d’instruction traditionnels.

Si, toutefois, les institutions éducatives existent pour offrir un véritable développement de leurs étudiants — leur intellect, leur caractère, leur moralité, leur sagesse, leur jugement, leur prudence, leur esprit de service, leur capacité et leur compréhension unifiée du monde dans lequel ils vivent et de la façon dont ils agissent en son sein (et je pense ici en particulier aux institutions chrétiennes) — les institutions éducatives auront toujours de l’importance pour la société, même dans une société de plus en plus occupée par l’IA.

Dans L’Éthique à Nicomaque, Aristote affirme que le but de l’éducation était d’enseigner à l’étudiant des affections, des désirs et des impulsions bien ordonnés ; recevoir le plaisir et la douleur d’objets appropriés était ce qui constituait une « éducation appropriée ».

G. K. Chesterton renvoie lui à une éducation qui nous donnerait des « normes abstraites et éternelles » pour juger des conditions éphémères. La philosophe française Simone Weil disait que l’éducation vise à former l’attention : voir au-delà du sujet et ordonner nos esprits et nos cœurs à des choses plus élevées.

Ainsi compris, l’enseignement et l’éducation ne doivent pas être dissociés de leur véritable sens, qui comporte une dimension morale distincte.

« Si nous sommes disposés à juger indépendamment des grandes questions », écrit Wendell Berry dans son essai The Loss of the University, « alors un bon faussaire a tout autant droit à notre respect qu’un bon artiste ». Ou, comme l’éthicienne Martha Nussbaum l’écrit : « Un bon médecin est aussi un bon empoisonneur. »

En d’autres termes, la différence entre un médecin qui sauve des vies et un empoisonneur qui tue, ou entre un artiste compétent et un maître faussaire, ne réside pas dans la possession d’un savoir ou d’une compétence, mais dans sa juste application.

Pour reprendre l’expression de Berry, aborder les « grandes questions » de la vie devrait faire partie de tout programme éducatif complet. L’entreprise d’apprentissage ne consiste pas seulement à optimiser les compétences en vue d’un objectif final ou d’une valeur, mais aussi à hiérarchiser les valeurs.

Oui, les écoles doivent enseigner des compétences techniques, favoriser le potentiel social et économique des élèves et les préparer à constituer une main-d’œuvre dynamique. Mais dans son sens le plus noble, l’éducation n’existe pas uniquement pour la préparation à l’emploi. Il s’agit de fournir aux étudiants un centre unificateur pour les différentes disciplines académiques — transmettre le but que servent les connaissances, les compétences et le savoir-faire.

Voilà une éducation digne de ce nom.

L’ancien président de Google, Eric Schmidt, déclarait qu’en donnant à Google un plus grand accès à vos informations personnelles, le célèbre moteur de recherche pouvait « vous rendre plus intelligent ». Mais Google ou toute autre technologie d’IA adaptative peuvent-ils vous rendre meilleur ? Plus empathique ? Désintéressé ? Vertueux ?

La connaissance ne suffit pas à former la sagesse, le jugement, la prudence et l’excellence morale. On peut être, pour utiliser une expression utilisée autrefois par Molière, un « sot savant ». Ou comme Walker Percy le rappelait, vous pouvez n’avoir que de bonnes notes et « rater la vie ordinaire ».

Pour cette raison, le professeur Rick Reis de l’université de Stanford considère que les enseignants devraient viser la création d’un « inconfort productif » : susciter la crainte chez les élèves parce qu’ils « ne peuvent pas exprimer clairement […] les valeurs qui guident leur vie, ou parce que leurs valeurs et leurs croyances ne résistent pas à un examen approfondi ».

Sur ce dernier point, une éducation holistique et unifiante en dit long sur les enseignants qui la dispensent. Comme la plupart des gens peuvent en témoigner, les enseignants qui ont un impact ne sont pas simplement des communicateurs intelligents et diplômés capables de transmettre efficacement un concept ou d’enseigner une compétence — ils sont bien plus que cela. Les bons enseignants se soucient de leurs élèves et s’intéressent à eux, mettent en valeur leur potentiel, élargissent leurs horizons imaginatifs et les inspirent.

Bien que certains aient tenté d’utiliser l’IA dans des contextes éducatifs pour créer une communauté empathique, l’IA ne peut pas faire preuve d’empathie comme le ferait un enseignant.

Si les enseignants offrent des modèles relationnels et de compassion pour les élèves — en les attirant dans une histoire plus large, en poussant à un « inconfort productif » obligeant à des jugements évaluatifs et à l’exercice d’une force morale (ce que Robert et Edward Skidelsky appellent « l’éducation des sentiments »), l’IA peut changer la façon dont sont faites les évaluations, mais il est peu probable qu’elle change ce qu’est l’entreprise de l’enseignement.

Il y a quelques années, alors que je faisais mes études supérieures dans un établissement écossais, j’ai eu le privilège d’avoir comme professeur le célèbre bibliste Richard Bauckham. Nous devions rédiger cinq articles pour le semestre, tous notés sur une échelle de 20 points. Les devoirs ne recevraient que rarement, voire jamais, une note supérieure à 18, dans l’idée qu’il n’existe pas d’article « parfait ».

Mon premier devoir reçut la note de 17,5, soit la note la plus élevée que j’avais reçue dans le programme. À ce moment-là, j’étais convaincu d’avoir « cassé le code » du système d’évaluation britannique et des éléments de rédaction nécessaires pour obtenir une note élevée. À ma grande surprise, cependant, la note de mon devoir suivant était plus basse. La suivante, plus basse encore. Pour tout le reste du semestre, la tendance à la baisse de mes notes se poursuivit.

Lors d’une session d’échanges de fin de semestre avec le professeur, j’ai pris la parole. « J’ai conservé la même qualité d’écriture, le même volume de sources et le même type d’argumentation », ai-je expliqué. « Je répondais aux critères énoncés. J’ai fait ce qui était demandé. Pourquoi mes notes étaient-elles plus basses à chaque devoir ? »

Je n’oublierai jamais la réponse de Bauckham. Après avoir patiemment supporté mon plaidoyer, il m’a calmement déclaré : « Si vous n’avez pas reçu une note favorable sur un devoir, c’est parce que vous ne m’avez pas ébloui. »

À l’époque, j’étais ennuyé. Comment étais-je censé « éblouir » un érudit de renommée mondiale ? Était-ce vraiment sur cela que j’étais noté ?

Aujourd’hui, en tant qu’enseignant, je vois cet échange de manière bien différente. Bauckham ne voulait pas simplement que les étudiants suivent un modèle et reproduisent des informations. Il n’était pas seulement à la recherche de performances. Démontrer sa compréhension et ses compétences était important, mais pas suffisant. Il voulait entendre une voix d’auteur et une originalité qui fasse progresser les connaissances par une argumentation raisonnée.

L’intelligence artificielle comme ChatGPT et ses futures variantes avancées continueront de susciter à la fois l’émerveillement et la crainte. Mais bien qu’impressionnantes, elles ne peuvent pas éblouir à la manière décrite par Bauckham. Ceci exprime les possibilités qui restent à l’enseignement moderne.

Il y a donc pour moi des raisons d’être encouragé.

Premièrement, la technologie peut être utilisée à des fins bénéfiques. L’intelligence artificielle peut réduire les coûts de l’enseignement. Elle peut élargir l’accès à l’éducation à un plus grand nombre d’apprenants. L’IA peut aider les étudiants à réfléchir à des sujets de recherche ou à envisager d’autres perspectives. Elle peut même être utilisée comme outil pour partager l’Évangile. Mais comme prévient Wendell Berry, les problèmes proviennent de notre « volonté de permettre aux machines […] de prescrire les termes et conditions » de nos vies.

En d’autres termes, l’IA est un bon serviteur, mais un mauvais maître.

Quelque chose d’autre encore m’encourage : l’avenir de l’enseignement. Le développement des capacités de l’IA obligera les institutions à définir, décrire et pratiquer l’enseignement d’une manière qui reflète une vision plus holistique de l’apprentissage formel.

Si les enseignants sont considérés comme des gardiens de l’information, ils sont déjà obsolètes. Si l’éducation se résume à la mémorisation par cœur, à la régurgitation d’informations, au calcul de données et à la démonstration de compétences, elle devra bientôt être radicalement redéfinie.

L’IA ne fera que croître dans sa capacité à assembler les informations avec précision. Mais une éducation holistique offre un enseignement et un apprentissage dispensés par un éducateur empathique qui cherche à situer les connaissances et les compétences dans un contexte plus large et unifié et à évaluer leur juste application.

Le poète John Keats mettait en garde contre une éducation réductionniste qui « agraferait les ailes d’un ange » ou « détisserait un arc-en-ciel ». Pour cette raison, C. S. Lewis affirme que la tâche d’un éducateur n’est « pas de défricher des jungles, mais d’irriguer des déserts ».

Ce type de formation n’est pas seulement suffisamment robuste pour résister au dynamisme de la technologie, mais il constituera aussi un outil de plus en plus important pour cultiver les esprits, les cœurs et les mains des citoyens de demain (y compris pour ce qui est de notre citoyenneté dans la Cité de Dieu).

Les établissements d’enseignement qui adoptent cette vision seront capables de nous éblouir d’une manière qui ne peut être reproduite artificiellement.

Kevin Brown est le 18e président de l’université d’Asbury.

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