Ma dernière cène avec la famille de Dieu

En réponse à notre faiblesse, le Christ nous présente son dernier repas.

Calice de Saint Jean l’Évangéliste

Calice de Saint Jean l’Évangéliste

Christianity Today March 22, 2023
Hans Memling/Claude Monet/National Gallery of Art Open Access /Adaptations par Christianity Today

Et tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le Christ, et qui nous a donné le ministère de la réconciliation. Car Dieu était dans le Christ, réconciliant le monde avec lui-même. – 2 Corinthiens 5.18-19

La dernière fois que j’ai pris le pain et la coupe, c’était le mercredi des Cendres 2020. On sentait déjà dans la salle une tension accumulée au fil d’années de politique américaine mêlée à de la religion, et nous n’étions qu’au début d’un cycle électoral qui devait être marqué par une pandémie, une insurrection et une confrontation nationale avec le suprémacisme blanc.

Au fil des crises vécues ces dernières années, beaucoup ont appris ce que cela fait d’avaler un morceau de pain et un peu de jus de fruit tout en faisant l’inventaire mental des choses qui vous déplaisent dans la vie du corps du Christ. Si cela ne vous est jamais arrivé, j’en suis heureuse pour vous. Si, comme moi, vous avez vu vos relations se tordre sous le poids des confrontations raciales, de la vie en temps de pandémie et des amertumes d’une culture politiquement polarisée, vous avez peut-être aussi besoin d’un peu d’aide pour maintenir une attitude de prière jusqu’à la fin de ces temps de repas du Seigneur.

Voici ce que je fais souvent : je regarde la pièce et j’imagine que je suis en train de jouer une version contemporaine de l’histoire de Joseph dans la Genèse. Joseph naît dans une famille choisie par Dieu, puis est expulsé de la maison et vendu comme esclave par ses frères jaloux. Lorsque je suis à l’Église et que j’essaie de sublimer ma colère, je me demande qui, ici, sur ces bancs, pourrait jouer le rôle de Joseph. Et qui jouerait le rôle de sa perfide fratrie ?

M’étant sentie lésée par de larges pans de l’Église de mon pays, je me vois généralement comme Joseph. Mon histoire récente avec la famille de Dieu implique des communautés de foi idéologiquement divisées et des tentatives de réconciliation entre groupes ethniques débouchant sur un embrasement qui a ruiné mes relations. J’en suis arrivée à rester chaque dimanche matin chez moi à écouter de la musique pour cœurs brisés. J’aime me présenter comme une protagoniste incomprise d’un récit — vrai à bien des égards — où les chrétiens occidentaux rejettent l’appel à la justice biblique, laissant les croyants de couleur en dehors de leur cercle familial.

Ce n’est pas la seule façon dont je pourrais raconter l’histoire, ni la seule façon dont elle pourrait être présentée. Un autre récit de ces mêmes années mettrait en scène des communautés fragiles qui luttent contre une pandémie, la difficulté évidente d’aborder des sujets historiquement délicats et un groupe de personnes bien intentionnées qui sous-estiment simplement le coût du travail de rétablissement de la justice. Dans ce récit — également vrai — l’Église n’est pas un brasier, mais un tison fumant qui tente de survivre aux vents changeants du temps et de la culture.

Ces dernières années de bouleversements politiques et personnels m’ont poussée à plusieurs reprises à chercher du réconfort dans la Bible. J’aimerais que ce soit elle qui ordonne ma réflexion sur ce moment de notre culture, ce qui signifie généralement que je veux qu’elle clarifie pour moi où se trouvent mes amis et où se trouvent mes ennemis. En Amérique, où nous invoquons souvent les Écritures pour présenter la politique comme une confrontation apocalyptique entre le bien et le mal, il s’agit d’une approche courante de la Parole de Dieu. Malheureusement pour ceux d’entre nous qui aimeraient nourrir leurs rancunes, une exposition prolongée à la Bible brouille ces catégories.

Plus vous réfléchissez à la vie de Joseph, plus il est difficile de diviser les personnages — tant dans l’histoire que dans votre propre vie — en groupes moralement distincts. Joseph, qui me semble héroïque dans sa jeunesse, commence à paraître déplaisant à l’âge mûr. Il émerge de ses épreuves devenu gouverneur d’Égypte. C’est sous ces traits qu’il rencontre sa famille qui cherche de l’aide pendant une période de famine. Il les reconnaît, mais eux ne le reconnaissent pas, et il en profite pour régler ses comptes.

Joseph cache sa coupe de divination en argent dans un sac de grains et la donne à ses frères. Comme il s’y attend, ils la trouvent sur le chemin du retour, anticipent les accusations de vol et craignent pour leur vie. Les frères reviennent à plat ventre, et Joseph fait semblant de ne pas s’émouvoir de leurs supplications. Le héros de l’histoire semble adopter un comportement malveillant, utilisant son statut de haut dignitaire dans un empire violent pour tourmenter sa famille. Si, comme moi, vous vous étiez initialement attribué le rôle de Joseph, c’est peut-être le moment où vous reconsidérerez votre décision.

À mesure que l’histoire avance vers son dénouement, il devient de plus en plus difficile de distinguer les personnages qui sont censés être bons de ceux qui sont censés être mauvais. Au moment de rendre la coupe, c’est Juda, le frère de Joseph, qui est le premier à confesser les fautes commises dans la vie de leur famille : un fils perdu, un père en deuil, une famille défigurée par des décennies de souffrance. Joseph ne peut garder son sang-froid et se met à pleurer, révélant ainsi sa véritable identité. Les frères, impitoyables et violents dans leur jeunesse, sont devenus plus humbles avec l’âge, et leur repentir ouvre la possibilité d’une réconciliation à la fin de l’histoire.

Nature morte avec une bouteille, une carafe, du pain et du vin.Claude Monet/National Gallery of Art Open Access
Nature morte avec une bouteille, une carafe, du pain et du vin.

Pour ceux d’entre nous qui en ont assez de la complexité et des difficultés à naviguer dans une époque changeante, ce résultat est décevant. Dans mon obsession pour l’histoire de Joseph, j’aurais aimé pouvoir utiliser la Bible pour me dire qui blâmer pour certains échecs continus de l’Église.

Le soir où j’ai pris la cène pour la dernière fois, notre communauté a lu le passage habituel pour l’occasion : « le Seigneur Jésus, dans la nuit où il allait être livré, prit du pain ; après avoir rendu grâce, il le rompit et dit : “C’est mon corps, qui est pour vous ; faites ceci en mémoire de moi.” » (1 Co 11.23-24)

J’avais pris part à ce rassemblement dans l’espoir d’un signe que mes relations pourraient se rétablir de ce qui semblait alors être une quantité insoutenable de désaccords politiques et religieux, mais ces mots n’étaient pas réconfortants. Ils m’ont amenée à me demander si Jésus n’offrirait pas aussi ce repas de communion qui nous encourage comme un avertissement. Qui vous offre sa chair et son sang comme nourriture à moins qu’il ne pense que vous allez avoir besoin de toute l’aide disponible ?

Avant de marcher vers la croix, Jésus commande à ses disciples de s’aimer les uns les autres et de demeurer en lui, un commandement simple, auquel il paraît impossible d’obéir. Il anticipe cependant la difficulté, comprenant que la soif d’avoir raison, la soif d’être du côté des gagnants — quelles que soient les soifs qui animent nos petites manigances — nous incitera tous à découper son corps et à nous brutaliser les uns les autres. En réponse à notre faiblesse, il présente un repas surnaturel offert à ceux d’entre nous qui tentent de faire ce qu’il a demandé. Ce repas nous a été donné à un prix qui correspond à l’ampleur de notre besoin, nous rassasiant en même temps qu’il nous met à nu.

À la fin de cette rencontre, je sanglotais. Assurément, nous avons du mal à nous entendre. Le repas du Seigneur découle du fait qu’aucun de nous n’a la force de réparer les blessures que nous nous infligeons mutuellement. Après que les relations difficiles au sein de mon Église se soient finalement dissolues dans les secousses de 2021, je me réveillais parfois la nuit en pensant au rôle que j’ai aussi joué dans leur destruction.

Je pense aussi à ce qui vient après la coupe et le grain, le pain et le vin. Pour Jésus, cela a été la crucifixion. Et pour certains de ses disciples, un passage par les lieux où son corps a été brisé. C’est ce dernier ensemble de personnages qui me revient aujourd’hui à l’esprit chaque dimanche, maintenant que j’ai recommencé à aller à l’Église, où je m’assieds généralement au fond de la salle, un café et un beignet à la main, et où je mange lentement, en attendant la résurrection.

Questions de réflexion :



1. Quelles sont les personnes de votre Église locale ou de l’Église en général que vous trouvez les plus répréhensibles, problématiques ou menaçantes ?

2. Dans quelle mesure votre regard sur elles est-il influencé par les habitudes de ce monde ? De quelle manière pourriez-vous inviter le Saint-Esprit à affiner votre compréhension de ces personnes ?

3 Quel pas pourriez-vous faire, avec l’aide du Saint-Esprit, pour prendre part au ministère de réconciliation du Christ au sein de votre communauté locale ?

Yi Ning Chiu est une écrivaine basée dans la baie de San Francisco. Ses reportages et articles ont été publiés dans Relevant Magazine, Teen Vogue et Ekstasis.

Cet article fait partie de notre série « À l’aube d’une vie nouvelle » qui vous propose des articles et des réflexions bibliques sur la signification de la mort et de la résurrection de Jésus pour aujourd’hui.

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