L’humilité de faire face à des accusations d’abus

L’Église presbytérienne de Tates Creek s’est vue félicitée pour la transparence de son enquête. Puis elle a dû recommencer. 

Christianity Today April 4, 2021
Illustration by Michela Buttingol

Parmi toutes ses tâches dans le ministère, Robert Cunningham apprécie surtout les responsabilités académiques : lire, élaborer des sermons, écrire sur la foi et la vie dans la société, et travailler sur sa thèse. Mais le Seigneur avait d'autres plans pour le pasteur principal de l'Église presbytérienne de Tates Creek à Lexington, dans le Kentucky. Au cours des trois dernières années, sa congrégation a fait l'objet de deux enquêtes indépendantes sur des allégations diverses d'abus sexuels commis dans le passé.

Le pasteur Cunningham n'avait pas de formation spécifique concernant les problématiques d'abus et n’était pas familier des meilleures pratiques à adopter face à des allégations à ce sujet. Mais il était profondément conscient de son manque de connaissances et de la responsabilité qui lui incombait de veiller sur son Église alors qu’elle devait faire face à des scandales qu'elle aurait bien voulu éviter. Pendant trois ans, il s'est efforcé de construire une culture d'ouverture, de bienveillance et de justice.

Dans un monde terni par des tentatives de dissimulation, des enquêtes incomplètes, une tendance à blâmer les victimes ou à nier les faits, Tates Creek est ainsi devenue un modèle de la façon dont les Églises doivent répondre aux allégations d'abus sexuels.

Cunningham oeuvrait depuis plus de cinq ans en tant que pasteur principal lorsque le premier cas a émergé en 2018.

L’assemblée de 1000 membres – un nombre considérable selon les normes de l'Église presbytérienne d'Amérique (Presbyterian Church in America – PCA) – était en bonne santé, en pleine croissance et implantait des Églises. Le Presbytère de Savannah River, l'organe directeur de la PCA dans le sud de la Géorgie, a informé Cunningham que l'ancien pasteur des jeunes de Tates Creek, Brad Waller, venait de s'avouer coupable d'attouchements commis sur de jeunes hommes dans une Église de la région de Savannah.

À ce moment-là, le passage de Waller à Tates Creek n'était plus qu'un lointain souvenir pour l'Église. Il y avait plus de dix ans qu'il avait quitté l'Église, et la plupart des étudiants qu’il avait encadrés étaient eux aussi partis depuis longtemps.

« Il nous aurait été facile de dire “Okay, c’est triste. Je n’aime pas entendre ça. Passons simplement à autre chose” », déclare Cunningham. Toutefois, les dirigeants ont décidé de se pencher plus en détail sur ces accusations.

Cunningham a commencé à être impliqué dans l’Église de Tates Creek alors qu’il était étudiant. Il connaissait donc l'ancien pasteur. Il avait même effectué un stage d'été aux côtés de Waller avant de le remplacer en tant que pasteur des jeunes lorsque ce dernier est parti en 2006. Il a appelé Waller et lui a demandé si des abus avaient eu lieu lorsqu'il était à Tates Creek. Waller a répondu par la négative.

Cunningham voulait croire son ancien patron mais quelque chose lui disait qu'il n'avait pas entendu toute la vérité. Quelques appels téléphoniques à d'anciens membres du ministère parmi la jeunesse ont confirmé ses inquiétudes. Les dirigeants de l'Église ont ouvert une enquête qu’ils ont confiée à GRACE (Godly Response to Abuse in the Christian Environment, une organisation qui travaille à prévenir et dénoncer les abus dans les milieux chrétiens).

« Je pense que cette humilité, cette volonté de se montrer vulnérable et enseignable ont offert direction et exemple à son Église tout en donnant beaucoup d'espoir et d’encouragement aux victimes d'abus sexuels, non seulement au sein de l'Église, mais aussi à l’extérieur, à ceux qui observaient la situation », nous a déclaré Boz Tchividjian, directeur exécutif de GRACE au moment des évènements.

Avec l'aide de Tchividjian, Cunningham a rédigé un communiqué pour expliquer au public ce que l'Église savait, ce qu'elle comptait faire, la façon dont les victimes potentielles pouvaient contacter les enquêteurs, et pourquoi toutes ces mesures étaient importantes. La déclaration comprenait également des excuses à la communauté extérieure et aux victimes d'abus.

« J'ai littéralement pleuré à plusieurs reprises en pensant que des adolescents et des jeunes adultes avaient été abusés dans cette Église que j'aime et dont je suis le pasteur » écrit Cunningham, qui est lui-même venu à la foi par le biais de l’association Young Life lorsqu’il était à l’école secondaire. « Je suis tellement désolé. Je veux que vous sachiez que toute cette transparence, cette action sans délai et cette énergie sont pour vous. »

La lettre de 2600 mots détaillait ce que l'Église savait et à quel moment, ce qu'elle prévoyait de faire, ainsi que les prochaines étapes.

« Il est important que chacun comprenne la différence entre une enquête interne et une enquête indépendante », ont expliqué les responsables de l'Église. « Une enquête interne, c'est lorsque nous (ou notre avocat) enquêtons nous-mêmes. Dans ce scénario, nous gardons le contrôle de l'enquête. Une enquête indépendante, en revanche, consiste à inviter un tiers à enquêter sur nous. Dans ce cas, nous renonçons au contrôle de l'enquête et nous nous engageons à accepter toutes les conclusions et corrections. Il était important pour nous de choisir cette dernière option. »

La déclaration de M. Cunningham et son approche de l'enquête ont attiré l'attention de Rachael Denhollander, elle-même survivante d'abus et militante en faveur des victimes, qui est devenue une conseillère respectée en matière d'abus sexuels. Après tous ses efforts pour convaincre les Églises de faire preuve d'ouverture à l'égard des allégations d'abus, elle en trouvait finalement une qui semblait avoir compris.

Trois éléments indiquaient que l’église prenait au sérieux ses obligations envers les victimes, selon Denhollander : l’empressement à faire preuve de transparence, la volonté d’enseigner la justice biblique à ses membres et la décision d’offrir une formation pratique sur la dynamique des abus sexuels.

« Ils ont fait savoir aux survivants qu'ils pouvaient se manifester en toute sécurité et ont dit aux abuseurs qu'ils ne seraient pas à l’abri à Tates Creek », dit-elle.

Au cours des deux années suivantes, l’Église de Tates Creek a permis à GRACE d'enquêter, a accepté son rapport et a mis en œuvre les mesures de protection recommandées pour l'avenir. Cunningham a déclaré à la congrégation qu'ils n'oublieraient jamais ce qui s'était passé et qu'ils seraient toujours ouverts à ce qu’on leur rapporte de nouveaux cas d’abus, mais ce terrible chapitre de l'histoire de l'Église semblait se terminer.

Or, ce n'était pas le cas. En octobre 2020, un ancien membre du ministère parmi les étudiants de Tates Creek a déclaré à Cunningham qu'il avait été agressé sexuellement par le musicien Chris Rice. L'ancien étudiant avait rencontré Rice lors de l'une des nombreuses retraites d'étudiants et de collégiens, alors que Rice dirigeait la musique pour l'Église entre 1995 et 2003.

L'appel a bouleversé Cunningham. Il savait à quel point un autre scandale et une autre enquête seraient difficiles pour l'Église, sans parler du fait qu’il s’agissait d'une célébrité dans les milieux chrétiens et que la pandémie de COVID-19 ne facilitait pas les choses.

Mais c'était aussi un signe que l'approche de l'Église fonctionnait. La victime savait que si elle se présentait et révélait ce qui s'était passé, les dirigeants de l'Église prendraient sa plainte au sérieux, et c'est ce qu'ils ont fait.

L'Église savait ce qu'elle avait à faire. « Nous avons écrit le manuel », dit le pasteur. « Il n’y a plus qu’à le suivre. » Cunningham a refusé de commenter l'enquête à propos de Rice alors qu'elle était toujours en cours, mais a déclaré que les allégations étaient crédibles et soutenues par des preuves étayées. L'Église garde le nom de l'accusateur confidentiel, ce qui est souvent nécessaire pour une enquête approfondie et impartiale. Quelles que soient les conclusions de l'enquête, les défenseurs des victimes espèrent que les dirigeants chrétiens s'inspireront de l'exemple de Tates Creek.

Depuis que les mouvements #MeToo et #ChurchToo ont mis les abus au premier plan, certains évangéliques sont plus désireux que jamais de former leurs dirigeants à prévenir les abus dans leurs Églises et à répondre aux allégations avec compassion, responsabilité et justice.

En juin 2019, la PCA a formé un comité de théologiens, de conseillers et de porte-parole des survivants pour étudier les questions d'abus dans l'Église et développer les meilleures pratiques pour y répondre. La Conférence baptiste du Sud (Southern Baptist Convention – SBC) a également publié un rapport de 52 pages après que le quotidien Houston Chronicle ait identifié 380 allégations crédibles d'abus par des dirigeants d'église de la SBC sur une durée de 20 ans. La SBC a constaté un manque généralisé dans la gestion des accusations ou dans la manière de prendre les abus au sérieux.

Certains défenseurs des victimes ont exprimé leur inquiétude quant au fait que les récents groupes d'étude et déclarations ne préparent pas les Églises à traiter les allégations. Trop peu d'églises disposent d'un processus formalisé et les pasteurs ont tendance à être trop confiants dans leur capacité à comprendre et à détecter les abus, disent les experts.

La plupart des Églises errent en menant des enquêtes internes ou en se référant à des enquêteurs qui préfèrent protéger l'Église des litiges plutôt que de s'occuper des victimes. Peu d'entre elles gagnent la confiance de ceux qui ont été blessés.

« Lorsque les victimes sont abusées dans le cadre d’une Église, elles ne se sentent pas en sécurité lorsqu'elles reviennent dans un tel cadre. Vous ne parviendrez pas à obtenir des preuves si vous ne faites pas appel à un cabinet d'enquête extérieur », déclare Denhollander. Le pasteur Cunningham a affirmé que l'élément crucial de sa démarche a été l'humilité. Il aimait écrire et enseigner. Mais il savait qu'il n'avait aucune formation en matière d'enquête ou de gestion d'un scandale.

Au moment où il a été nommé pasteur principal de Tates Creek en 2011, il a vraiment dû composer avec sa propre inexpérience. À 31 ans, il a fait une dépression nerveuse en tentant d’assumer ce nouveau rôle.

Le processus l'a transformé d'un jeune leader « arrogant et autosuffisant », pour utiliser ses propres mots, en un pasteur principal humble qui connaît ses limites et recherche la sagesse des autres. Cette attitude est devenue un élément important de la culture de l'Église et leur a permis de demander de l'aide lorsque c'était nécessaire.

Denhollander a déclaré que l'équipe de direction de Tates Creek « était déjà en phase avec le cœur de Dieu en ce qui concerne l’Évangile en action et le soutien aux personnes vulnérables », avant d'avoir à faire face à un scandale.

Et l'Église était prête à se montrer vulnérable, à oublier un instant sa réputation et à croire que la lumière de la vérité serait aussi celle de la grâce de Dieu.

Je ne sais pas pourquoi les pasteurs et les Églises pensent qu'ils ont ce qu'il faut pour naviguer dans ces eaux et ne se tournent pas rapidement vers de réels experts », déclare Cunningham. « Au fond, nous avons simplement fait appel à des gens qui savent ce qu'ils font et nous avons fait ce qu'ils nous ont dit de faire ».

Megan Fowler est une contributrice de Christianity Today basée en Pennsylvanie.

Traduit par Simon Fournier

Révisé par Léo Lehmann

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