De l’obscurité, la lumière

La lumière du monde est venue confronter notre péché.

Christianity Today December 22, 2023
Phil Schorr

Lève-toi, resplendis, car voici ta lumière,
car sur toi s’est levée la gloire du Seigneur.
Voici que les ténèbres couvrent la terre
et une nuée sombre couvre les peuples,
mais, sur toi, l’Éternel se lèvera lui-même comme un soleil
et l’on verra sa gloire apparaître sur toi.
Des peuples marcheront à ta lumière,
et des rois à cette clarté qui s’est levée sur toi.

(Ésaïe 60.1-3)

À un moment donné de notre enfance, beaucoup d’entre nous ont développé une aversion pour l’obscurité. Je me rappelle un soir où j’étais couché dans mon lit tandis qu’un match de baseball passait doucement à la radio. Mes yeux fouillaient frénétiquement l’obscurité pour essayer de discerner les ombres mouvantes et les dangers qu’elles pouvaient représenter. En grandissant, nous évoquons souvent des monstres et des cauchemars pour expliquer notre peur, mais, la plupart du temps, c’est l’obscurité elle-même qui nous laisse profondément désorientés. L’expérience de l’obscurité en tant que réalité insécurisante, pleine d’inconnu, semble être profondément ancrée dans chacune de nos âmes. En Genèse 1, Dieu sépare la lumière des ténèbres. Il s’agit d’un acte intentionnel et créateur qui, du point de vue de Dieu, était bon. Cependant, après la rébellion d’Adam et Ève et l’entrée du péché dans le monde, les ténèbres ont pris une nouvelle signification. Il ne s’agissait plus simplement de ténèbres lointaines. Les ténèbres étaient en nous. Elles se pressaient contre nous. Dans les écrits juifs tels que le Talmud de Babylone, l’obscurité est une métaphore de la désorientation, de l’effroi qui peut s’emparer d’une personne. L’image évoque également le mal et le péché qui nous laissent en mal d’orientation, d’identité et de compréhension de ce qui nous attend. De la même manière, Ésaïe 9 utilise le mot composé tzalmavet – « ténèbres profondes » — pour décrire l’ombre obscure de la mort qui réside dans chaque cœur humain.

Ésaïe 60.1-3 fait subtilement écho au récit familier de Genèse 1. Une fois de plus, il y a contraste et séparation, lumière et obscurité. Mais dans le récit d’Ésaïe, les ténèbres enveloppantes se dissiperont, non pas lorsque le Seigneur, l’auteur de la création, l’ordonnera, mais plutôt lorsqu’il arrivera dans sa plénitude. Ésaïe prophétise la venue du Roi qui est lui-même la lumière pour tous ceux qui sont dans les ténèbres.

En cette période, les paroles d’Ésaïe nous invitent à nous souvenir de ce premier « Avent ». Un retournement extraordinaire se produit tout en discrétion : la lumière du monde est venue humblement, en la personne d’un bébé, pour affronter les ténèbres du péché en chacun de nous. Le prophète exulte à cette perspective : « Lève-toi, resplendis, car voici ta lumière » (v. 1). La lumière illumine notre cœur pour comprendre non seulement la profondeur de notre péché, mais aussi l’œuvre salvatrice accomplie pour nous par Jésus.

Les paroles lumineuses d’Ésaïe nous rappellent notre vocation. Nous ne sommes pas appelés à engranger avidement pour nous cette lumière en attendant son second avènement. La lumière est censée se refléter sur nous avec éclat afin que les nations — et nos voisins d’en face — puissent voir clairement Jésus comme la Lumière du monde (Jn 8.12). Lorsque l’Évangile de la lumière de Jésus brille toujours plus profondément en nous, cela ne peut que rejaillir dans une vie transformée et le partage de la Bonne Nouvelle.

À méditer



Comment les ténèbres de la Genèse et d’Ésaïe symbolisent-elles plus que l’absence de lumière physique, mais aussi la présence du péché et l’égarement de l’humanité ?

Comment pouvons-nous accueillir le message de la prophétie d’Ésaïe et refléter activement la lumière de Jésus ?

Jon Nitta est pasteur chargé de la formation spirituelle, du discipulat et des petits groupes à l’église Calvary de Valparaiso, dans l’Indiana.

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De l’Égypte à l’éternité

Le sort de Marie et Joseph nous touche de génération en génération…

Christianity Today December 21, 2023
Phil Schorr

Après leur départ, un ange du Seigneur apparut à Joseph dans un rêve et lui dit : Lève-toi, emmène l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Tu y resteras jusqu’à ce que je te dise de revenir, car Hérode fera rechercher l’enfant pour le tuer.

Joseph se leva donc, emmena l’enfant et sa mère, de nuit, pour se réfugier en Égypte. Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode. Ainsi s’accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète : J’ai appelé mon fils à sortir de l’Égypte.

(Matthieu 2.13-15

Alors que ma mère était enceinte de neuf mois, elle et mon père ont dû brusquement fuir leur pays. Une guerre avait éclaté et les combats s’étendaient jusqu’aux rues de la capitale dans laquelle ils vivaient. En raison de son travail, mon père était une cible potentielle pour les guérilleros. Notre famille n’était pas en sécurité.

J’imagine ma mère dans cette situation, son ventre arrondi par une vie innocente, et je me demande ce qu’elle ressentait. J’imagine qu’elle a eu peur, qu’elle ne savait pas comment la situation allait se résoudre ; j’imagine que mes parents se sont sentis perdus dans le chaos, désorientés par la façon dont leur projet de fonder une famille était bousculé. Personne ne souhaite se retrouver réfugiée à neuf mois de grossesse.

L’histoire que l’on peut lire dans Matthieu 2.13-23 est devenue de plus en plus vivante pour moi au fil des ans, à mesure que je voyais ses similitudes avec l’histoire de ma famille. J’imagine Marie, les bras enroulés autour de son bébé. J’imagine la peur, la confusion et le désespoir qu’ils ont pu ressentir face à ce qu’impliquait le fait de dire oui à ce à quoi Dieu les avait appelés. Personne ne souhaite se retrouver réfugiée avec un enfant en bas âge. Au milieu de cette histoire, Matthieu pointe cependant vers une forme d’accomplissement prophétique d’Osée 11.1 : « Quand Israël était enfant, je l’ai aimé, alors j’ai appelé mon fils à sortir de l’Égypte. » Malgré le désespoir et l’obscurité, Dieu avait un plan parfait qui ne serait pas contrarié. Il n’est peut-être pas facile de discerner l’amour de Dieu à l’œuvre lorsque l’on fuit un dictateur meurtrier, mais l’Évangile nous laisse voir quels plans fondateurs sont en train de s’accomplir. L’expérience vécue par la famille de Jésus dans sa fuite vers la terre d’Égypte puis son retour vient comme une répétition du parcours d’Israël dans l’Exode. Les mots qui décrivaient autrefois l’expérience du peuple de Dieu parlent maintenant du Messie, le Fils de Dieu.

En repensant au sort de Marie et de Joseph, et même de mes propres parents, je me souviens de cette sagesse des Proverbes : « Le cœur de l’homme peut méditer sa voie, mais c’est l’Éternel qui dirige ses pas. » (Pr 16.9, S21) Nous faisons des plans, nous pensons savoir comment Dieu va agir, mais lui seul connaît vraiment le chemin que nous allons parcourir. Parfois, ce chemin nous fait passer par des lieux familiers et réconfortants. Parfois il nous éloigne du seul chez-nous que nous connaissons pour nous emmener dans un nouveau pays où nous apprendrons à connaître Dieu comme notre unique véritable réconfort.

Mes parents ont finalement pu trouver un nouveau chez-eux dans un pays étranger. Ils ont pu élever leurs filles dans la connaissance et l’amour de Jésus. Marie et Joseph ont pu élever Jésus lui-même et prendre part à l’œuvre de Dieu pour le salut de son peuple, accomplissant une antique prophétie en émergeant d’un pays lointain pour établir un royaume nouveau et éternel. En cette période de Noël, je suis une fois de plus émerveillée par la façon dont Dieu a entretissé les fils de son plan, de génération en génération.

À méditer



Que pouvons-nous apprendre des peurs, des incertitudes et des chemins inattendus par lesquels Marie et Joseph ont dû passer ?

La répétition d’Osée 11.1 dans la fuite puis la sortie d’Égypte de Jésus met en évidence l’action d’un Dieu dont les plans ne peuvent être contrecarrés. En quoi cela vous donne-t-il de l’espoir et vous rassure-t-il dans votre propre vie ?

Kristel Acevedo est autrice, formatrice biblique et directrice de la formation spirituelle à la Transformation Church, tout près de Charlotte, en Caroline du Nord.

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Le Prince de la paix n’appellerait-il pas au cessez-le-feu ?

Un chrétien palestinien israélien réfléchit à Noël, à la justice et à la guerre à Gaza.

Christianity Today December 21, 2023
Illustration de Christianity Today / Source Images: Unsplash / Getty

Politiciens et activistes en tous genres se bagarrent à propos des termes à employer. Certains ont diabolisé tous les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie : Ce sont tous des terroristes ou des sympathisants de terroristes. Il n’y a pas d’innocents. Ils ne méritent pas de vivre. D’autres méprisent la douleur israélienne après les attaques indéfendables du 7 octobre par le Hamas : Ils sont coupables d’apartheid, de nettoyage ethnique, de génocide. Ils ont eu ce qu’ils méritaient. Le plus grand nombre parle de la guerre comme d’un chemin vers la tranquillité et la sécurité : C’est de la légitime défense. C’est de la résistance. C’est notre droit.

L’enjeu politique de ce débat est clair : le vocabulaire que nous utilisons détermine ce qui est politiquement envisageable. Mais il façonne aussi notre éthique, et certains propos nous enferment dans une vision éthique qui justifie la guerre et l’effusion de sang. Il ne s’agit pas d’une éthique chrétienne, mais trop d’églises se laissent aller à reprendre ce vocabulaire au lieu d’offrir une vision prophétique soutenant la paix et d’adopter une position contre-culturelle qui soit distinctement à l’image de Christ.

Pendant ce temps, la violence règne. Des gens souffrent et sont tués. Et nous allons célébrer Noël. Nous allons porter nos yeux sur l’incarnation d’une l’humanité parfaite en l’Enfant Jésus. Pourrons-nous également l’honorer et le servir en tant que Prince de la paix ?

Les Palestiniens et les Israéliens ont besoin d’un appel à la paix pour faire taire les tambours de la guerre. Près de 14 millions de personnes vivent entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Environ la moitié sont des Palestiniens, y compris des citoyens israéliens palestiniens, et l’autre moitié sont des Juifs.

La guerre ne résoudra pas notre conflit. Nous avons mené de nombreuses guerres, mais les résultats sont toujours les mêmes : la paix disparaît des deux côtés. Personne ne gagne vraiment. Nous perdons nos jeunes hommes et femmes, nos enfants, notre dignité, voire notre humanité. Les guerres ne guériront pas notre terre, nos âmes ou nos souffrances. Tuer notre voisin ne résoudra pas nos problèmes.

Nous avons besoin du courage de la paix. Nous avons besoin d’une paix qui permette aux Palestiniens et aux Juifs de vivre ensemble dans l’égalité et la justice. Nous avons besoin d’une paix qui surmonte les différences ethniques. Nous avons besoin de la paix de Jésus-Christ, de la vision d’un royaume dans lequel celui qui a « détruit la haine » est lui-même notre paix (Ep 2.14-16).

En cette période de Noël, nous nous souvenons notamment de cette facette de la personne de Christ. La naissance du Prince de la paix nous rappelle une vérité plus profonde que ce que nous lisons dans les journaux. Nous trouvons auprès des mages une sagesse que les institutions politiques n’ont pas (Mt 2.1-12). Nous recherchons la paix non seulement entre Dieu et l’humanité, mais aussi entre Israéliens et Palestiniens.

Il n’y a là rien de facile. Cette voie nécessite un pardon difficile (Mt 18.21-35), l’amour des uns pour les autres, y compris pour l’ennemi (Mt 5.43-48), l’enseignement de la piété (2 P 1.5-7) et la promotion missionnelle de la justice (Es 1.17). Le Christ lui-même, qui « a pu rendre impuissant celui qui exerçait le pouvoir de la mort » (Hé 2.14) est l’incarnation de cette vision. Nous avons en sa vie une leçon que nous devrons toujours à nouveau étudier (1 P 2.21, Jn 13.12-15).

Sans cette paix véritable, nous n’aurons qu’une fausse sécurité, voire la guerre éternelle. Des milliers de personnes ont déjà été tuées. Des centaines de milliers sont déplacées. Beaucoup sont trompés et croient que tuer est la seule réponse aux maux et aux injustices dont nous sommes témoins. C’est un mensonge satanique !

La sécurité des Israéliens est indissociable de celle des Palestiniens et vice versa. Nous vivons dans le même pays ! Nous sommes un don de Dieu les uns pour les autres, mais malheureusement, nous sommes devenus une source de souffrance les uns pour les autres.

Ce n’est pas la vision de Dieu pour nous. Nous devons nous repentir, cesser de nous entretuer et construire un avenir dans lequel nous nous honorons les uns les autres. La vision de Dieu est la vie et non la mort, l’amour et non la haine, la miséricorde et non la cruauté, l’égalité et non l’injustice. Il aura pitié du faible et du pauvre, et il sauvera la vie des pauvres », dit le Psaume 72. « Il les rachètera de l’oppression et de la violence, et leur sang aura de la valeur à ses yeux. » (v. 13-14)

L’Église mondiale doit elle aussi apprendre cette leçon de la paix du Christ. Elle doit rappeler l’importance de la vie des Palestiniens comme des Israéliens. Elle doit affirmer l’amour et la miséricorde de Dieu pour les deux peuples. Elle doit offrir un espoir aux Palestiniens et aux Israéliens — pas un espoir bon marché qui contourne le pardon et la justice ni un espoir politique enraciné dans la guerre, les tueries, la haine et la vengeance.

Nous célébrons maintenant Noël. Comment incarnerons-nous le Prince de la paix pour les Palestiniens et les Israéliens ?

Je suggère que nous appelions à un cessez-le-feu. Nous servons tous ceux qui souffrent. Nous prions pour une solution à long terme qui permette aux Palestiniens et aux Israéliens de vivre ensemble dans la paix. Nous voulons appuyer le peuple de Dieu dans ce pays — juifs messianiques comme palestiniens chrétiens — pour garder la foi et suivre le Christ qui nous a appris à aimer nos ennemis, à pardonner à nos assassins et à instaurer un royaume nouveau marqué par « la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit » (Rm 14.17).

Voilà un appel de Noël. Que Dieu ait pitié de nous tous.

Yohanna Katanacho est actuellement doyen académique au Nazareth Evangelical College et professeur invité au Regent College à Vancouver. Palestinien israélien évangélique, il a étudié à l’université de Bethléem (BS), au Wheaton College (MA) et à la Trinity Evangelical Divinity School (MDiv, PhD). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Praying Through the Psalms et Reading the Gospel of John through Palestinian Eyes.

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History

Oui, le bœuf et l’âne ont une place dans la crèche.

Si de nombreuses représentations traditionnelles de la Nativité sont d’une historicité douteuse, elles ne nous enseignent pas moins quelques profondes vérités bibliques.

Détail de La Nativité de Jésus peinte par Lorenzo Monaco

Détail de La Nativité de Jésus peinte par Lorenzo Monaco

Christianity Today December 20, 2023
WikiMedia Commons/Adaptations par CT

Voilà une tradition de Noël que certains aimeraient bien voir abandonnée : la reprise de certaines mises en scène de la Nativité dans l’art et les chants.

C’est vrai, nous savons que Jésus n’est pas né dans une ferme pédagogique, que Marie n’a pas accouché dans une grotte, que la Bible ne dit pas qu’il y avait trois rois mages et que ces derniers n’étaient pas vraiment rois. Mais le dédain pour ces mises en scène de la Nativité témoigne souvent d’une incompréhension fondamentale des représentations artistiques de l’histoire de Noël.

L’intention de recentrer notre attention sur le texte biblique est certes louable. En pratique, cependant, en ergotant sur la manière dont les artistes chrétiens interprètent depuis longtemps la Nativité, nous passons à côté de ce qu’ils voulaient nous faire entendre de la Bible et de la théologie. Cessons donc de sourire de leur supposé manque d’exactitude historique pour nous laisser émerveiller par la naissance de Jésus telle qu’ils l’ont vue.

Commençons par les animaux. Les peintures et les chansons sur la Nativité montrent souvent des animaux de ferme rassemblés autour de la mangeoire. « Entre le bœuf et l’âne gris », chantons-nous, « son palais est une étable, une crèche est son berceau ».

Cela ne correspond sûrement pas tout à fait à la réalité. Lorsque Luc nous dit qu’il n’y avait pas de place pour Marie et Joseph dans l’« auberge », il ne veut pas dire que Jésus est né dans un bâtiment séparé, destiné spécifiquement aux animaux, que l’on imaginerait donc comme une étable. Le mot grec parfois traduit par « auberge » est kataluma (Lc 2.7), qui désigne l’espace d’habitation dans les maisons antiques, généralement une chambre supérieure ou un grenier. Comme cette chambre était pleine, Marie et Joseph ont été contraints de rester en bas, là où l’on mettait parfois les animaux.

La mention de la mangeoire suggère que des animaux étaient bien présents. Luc ne précise cependant pas qu’il y ait eu là un bœuf ou un âne. Ce que l’on sait, c’est que ces deux animaux ont toute une importance symbolique. Ensemble, ils représentent toute la création venue accueillir la paix du nouveau roi.

Adam et Ève habitaient avec les animaux dans le jardin (Gn 2.19) ; Dieu a ordonné à tous les animaux de venir à Noé deux par deux (Gn 6.19-20) ; et le prophète Esaïe évoque ainsi la nouvelle création où toutes les créatures vivront en paix :

Le loup séjournera avec le mouton, la panthère se couchera avec le chevreau ; le taurillon, le jeune lion et les bêtes grasses seront ensemble, et un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront un même pâturage, leurs petits une même couche ; le lion, comme le bœuf, mangera de la paille. (11.6-7)

Dans l’Ancien Testament, ce couple, bœuf et âne, symbolisait également l’union des extrêmes. Le bœuf est un animal pur, représentant Israël, tandis que l’âne est un animal impur, représentant les païens (Ex 13.13). Ensemble, ces deux animaux représentent donc le corps du Christ au complet.

« Tu ne laboureras pas avec un bœuf et un âne attelés ensemble », ordonne Deutéronome 22.10 aux Israélites dans une longue liste de règles relatives à la pureté. Mais, dans son corps, le Christ met, sous le même joug, les Juifs et les non-Juifs (Ep 2.13-14). Le bœuf et l’âne, installés côte à côte à sa naissance, symbolisent la façon dont cet enfant apportera l’unité entre tous. Le choix artistique de les représenter ainsi exprime l’harmonie finale qui règnera pour toutes les créatures.

Autre élément du décor : de nombreuses représentations de la naissance du Christ — y compris peut-être votre crèche — mettent scène Marie et Joseph dans une grotte ou sortant d’une grotte. Les Écritures ne parlent jamais d’une grotte comme lieu de naissance du Christ. Il est né dans une maison. Comment cette grotte est-elle apparue dans la tradition de Noël ?

L’idée vient des premiers pères de l’Église du 2e au 4e siècle, notamment Justin Martyr, Origène et Jérôme. Mais cette tradition pourrait également avoir été influencée par l’empereur Constantin, converti au christianisme et qui, en 335, avait désigné une grotte — aujourd’hui le site de l’église de la Nativité à Bethléem — comme le lieu traditionnel de la naissance de Jésus.

Quoi qu’il en soit, cette grotte a elle aussi quelque chose de théologiquement symbolique.

Dans les Écritures, les grottes sont souvent des lieux retirés permettant servant de protection et d’abri. Lot et ses filles vivent dans une caverne, car ils ne se sentent pas à l’aise à Tsoar (Gn 19.30). Abdias cache une centaine de prophètes dans des grottes pour les protéger du roi Achab et de Jézabel (1 R 18.4). David se réfugie dans une caverne lorsque le roi Saül le pourchasse (1 S 22.1 ; Ps 57).

Dans l’Ancien Testament, les grottes protègent les gens de la mort. La présence d’une grotte à la naissance de Jésus évoque donc le fait que Dieu protégera cet enfant de tout mal indésirable. Il mènera à bien son plan de rédemption.

Mais la grotte est aussi un lieu de mort. Dans l’Antiquité, les grottes étaient souvent utilisées comme tombeaux et représentaient donc l’accès au royaume des morts. C’est la raison pour laquelle l’Enfant Jésus est parfois peint non seulement dans une grotte, mais aussi dans un sarcophage. Sa naissance annonce sa mort et sa descente aux enfers. La vie de Jésus commence ainsi dans une grotte pour nous rappeler que c’est là qu’elle s’achèvera.

Les trois « rois mages », eux aussi, nous portent vers l’avenir. Bien des cantiques, inspirés par la mention par Matthieu des « mages » venus de l’Orient pour apporter trois cadeaux à Jésus (Mt 2.1 et 11), les ont durablement ancrés dans la crèche aux côtés des bergers.

Bien sûr, notent les spécialistes, Matthieu ne nous dit pas combien ces « rois » étaient, et il les nomme simplement « mages », désignant par là des spécialistes des rêves et des phénomènes astrologiques. Alors pourquoi des « rois » mages ?

Cette tradition des « trois rois » dans l’art de Noël n’est pas arbitraire.

Les Grecs et les Babyloniens divisaient le monde en trois grandes parties : l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Cette division est antérieure au christianisme, mais elle a été reprise par les juifs et, plus tard, par les chrétiens, qui pensaient (un peu arbitrairement d’un point de vue biblique et ethnique) que chaque continent était peuplé par un des descendants de Noé : les Asiatiques venaient de Sem, les Africains de Cham et les Européens de Japhet.

Les trois mages représentent donc symboliquement ces trois parties du monde. Comme le bœuf et l’âne, ils esquissent la rédemption de la terre entière.

Mais que les mages soient perçus comme « rois » vient aussi des Écritures. Le prophète Esaïe avait prédit que la gloire du Seigneur serait visible au milieu des ténèbres du monde : « Des nations marcheront à ta lumière et des rois à la clarté de ton aurore […] les ressources des nations viendront vers toi […] ils porteront de l’or et de l’encens et annonceront, comme une bonne nouvelle, les louanges du Seigneur. » (Es 60.3, 5-6)

Les mages n’étaient pas eux-mêmes rois, mais ils étaient souvent associés aux cours royales. C’est ce qui ressort des aventures de Joseph, Moïse et Daniel, où des rois demandent à des mages d’interpréter leurs rêves (Gn 41.8 ; Ex 7.11, 22 ; 8.18, 19 ; 9.11 ; Dn 2.2, 10). Le récit de Matthieu (2.11) pourrait aussi faire délibérément écho au Psaume 72.8-11, qui dit que « les rois de Tarsis et des rivages lointains apportent un tribut » au roi de Dieu, se prosternant devant lui. Ces thèmes repris dans les représentations artistiques de Noël nous annoncent que toutes les nations finiront par plier le genou devant Jésus.

L’exactitude des reconstitutions historiques est précieuse. Mais la stricte exactitude historique n’est pas l’objectif premier de l’artiste. Si nous perdons la capacité de « lire » l’art avec ses symboles, nous passerons à côté de vérités plus profondes.

Les représentations de la Nativité, qu’elles soient peintes, sculptées ou chantées, n’ont pas toujours pour but de nous expliquer précisément comment s’est déroulée la naissance de Jésus. Elles veulent nous aider à approfondir le sens de l’Incarnation. Elles nous invitent à nous émerveiller de ces vérités : le Fils de Dieu a pris chair pour réconcilier Juifs et non-Juifs, accomplir son plan de rédemption et revenir dans la gloire comme Roi des rois.

Patrick Schreiner enseigne le Nouveau Testament au Midwestern Baptist Theological Seminary à Kansas City, dans le Missouri. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont The Visual Word et Political Gospel.

Traduit par Anne Haumont

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Un contraste entre deux mères

Comment Marie et Élisabeth exaltent Dieu dans leur joie partagée.

Christianity Today December 20, 2023
Phil Schorr

Peu après, Marie partit pour se rendre en hâte dans une ville de montagne du territoire de Judée. Elle entra chez Zacharie et salua Elisabeth. Au moment où celle-ci entendit la salutation de Marie, elle sentit son enfant remuer en elle. Elle fut remplie du Saint-Esprit et s’écria d’une voix forte : Tu es bénie plus que toutes les femmes et l’enfant que tu portes est béni.

(Luc 1.39-42)

Nous cherchons souvent notre direction en observant comment agissent ceux qui nous ressemblent. Tel est notamment le cas lors des premières fréquentations amoureuses, durant la saison des mariages qui commence au début de l’âge adulte et se poursuit dans la décennie suivante, et surtout lorsque l’on se trouve à devoir éduquer des enfants. Dans nos vies, cette tendance peut conduire à une forme de compétition, mais dans le récit de Luc, l’idée de compétition est complètement éclipsée par l’accent mis sur le royaume à venir de Dieu.

L’ange Gabriel annonce à Marie qu’elle va miraculeusement mettre au monde un fils et que sa cousine Élisabeth est elle aussi tombée enceinte dans sa vieillesse. Lorsque Marie a rendu visite à Élisabeth, les deux femmes ont certainement observé que leurs situations divergeaient. La disgrâce d’Élisabeth parmi son peuple lui avait été enlevée par sa grossesse ; la grossesse de Marie lui avait certainement valu une disgrâce plus grande encore. Le fils d’Élisabeth lui avait été donné dans le cadre du mariage ; celui de Marie avait été conçu par l’Esprit saint.

La tension que je peux imaginer entre ces deux situations est encore aggravée par le Magnificat. Alors que Christ s’apprête à entrer dans le monde, le chant de Marie décrit le type de royaume qu’il est venu établir. Il s’agit d’un projet qui renversera les normes sociétales. Les orgueilleux seront dispersés, les riches renvoyés à vide. Les humbles seront relevés et les affamés seront rassasiés. En lisant Luc, il est clair qu’Élisabeth a été élevée et que Marie a été élevée plus haut encore. Mais pour les contemporains qui ne connaissaient pas ce qui se tramait, Élisabeth avait le droit d’être fière et Marie ne l’avait pas.

Il aurait été compréhensible que Marie ne cherche qu’un abri dans cette visite, ou qu’Élisabeth n’offre que de la commisération. Peut-être auraient-elles pu commettre la maladresse de ne pas reconnaître leurs différences dans ces naissances qui se préparaient.

Mais Luc ne rapporte pas de tension ou de tristesse entre les deux femmes. Il nous décrit leur joie. Au-delà de leurs grossesses, la similitude la plus importante entre elles était la réalité du miracle : la preuve que Dieu est présent, actif et profondément investi parmi nous. Comme l’a dit Charles Spurgeon à propos du Magnificat, « Oh, comme nous devrions nous réjouir en lui, quoi que notre union avec lui puisse nous coûter ! »

L’exultation d’Élisabeth et le chant de Marie m’amènent à me poser des questions importantes : mes yeux cherchent-ils à voir les œuvres de Dieu même si elles vont à l’encontre de ce qui est socialement acceptable ? Déclarerais-je quelqu’un bienheureux même si cela m’obligeait à faire preuve d’humilité face à mes désirs les plus profonds ?

À cause de sa miséricorde, mon âme devrait le glorifier et mon esprit se réjouir. Je veux laisser éclater ma joie malgré nos différences, comme Élisabeth, ou chanter des louanges malgré ma honte aux yeux des humains, comme Marie ; non pas pour le plaisir d’aller à l’encontre des autres, mais pour concentrer mon attention sur la gloire à venir du royaume du Christ.

À méditer



Comment la rencontre entre Marie et Elisabeth interroge-t-elle notre tendance à nous comparer aux autres et à entrer en compétition avec eux ?

De quelle manière Marie et Elisabeth font-elles preuve d’humilité et de joie, quelles que soient les attentes et les normes de leur société ?

Dorothy Bennett est titulaire d’une maîtrise en théologie et en art de l’université de St Andrews, en Écosse. Elle co-dirige actuellement une société de marketing vidéo à Austin, au Texas.

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Pourquoi Joseph est-il connu comme le saint silencieux ?

Entendre la direction de Dieu quand les choses semblent aller de travers

Christianity Today December 19, 2023
Phil Schorr

Voici dans quelles circonstances Jésus-Christ vint au monde : Marie, sa mère, était liée par fiançailles à Joseph ; or elle se trouva enceinte par l’action du Saint-Esprit, avant qu’ils aient vécu ensemble. Joseph, son futur mari, était un homme juste. Il ne voulait pas la livrer au déshonneur. C’est pourquoi il se proposa de rompre ses fiançailles sans en ébruiter la raison.

Il réfléchissait à ce projet quand un ange du Seigneur lui apparut en rêve et lui dit : Joseph, descendant de David, ne crains pas de prendre Marie pour femme, car l’enfant qu’elle porte vient de l’Esprit Saint. Elle donnera naissance à un fils, tu l’appelleras Jésus. C’est lui, en effet, qui sauvera son peuple de ses péchés.

(Matthieu 1.18-21)

Joseph est connu comme le saint silencieux. Son rôle dans l’histoire du Christ n’est pas des moindres. De lui découle la lignée royale que Jésus revendique, et la profession qu’il adopte. Mais il ne dit pas un mot dans les Évangiles. Il y a là un thème récurrent dans les récits entourant la naissance de Jésus : Zacharie est frappé de mutisme dans le temple et Joseph réfléchit en silence à la marche à suivre, tandis que Marie et Élisabeth éclatent en paroles prophétiques, premières proclamations de l’Évangile.

Mais le fait que Joseph ne parle pas ne doit pas nous laisser l’imaginer comme passif. En réalité, Joseph nous est présenté comme un homme prêt à agir avec justesse à partir d’une riche vie intérieure. On nous dit qu’en apprenant que sa future épouse est enceinte, il ne rompt pas immédiatement leurs fiançailles, ce qui la mettrait publiquement dans l’embarras, voire pire. En dépit de ce que tout fiancé blessé par une infidélité apparente pourrait être tenté de faire, Joseph élabore un plan miséricordieux et sage.

La seule description du caractère de Joseph qui nous est donnée est qu’il est « un homme juste » (v. 19). Ainsi, sans faire connaître la situation de Marie à qui que ce soit (pour autant qu’on le sache), il décide d’un plan qui soit à la fois juste et bienveillant à son égard. Il vit cela dans son intimité, certainement dans la douleur, mais tant sa douleur que sa générosité restent discrètes. La vertu du saint silencieux affleure simplement à la surface lorsque sa maîtrise de soi face à l’injustice le retient et lui permet non seulement d’endurer le coup, mais aussi de protéger Marie, la source de sa douleur.

Comme pour beaucoup de personnes qui ont dû prendre en elles-mêmes des décisions difficiles, quelque chose surgit d’encore plus loin pour Joseph : un rêve et, avec lui, un ange. Ce rêve a dû lui procurer réconfort, assurance, et une bonne dose de confusion. Tout cela ne nous est pas rapporté. Ce que nous savons, c’est que Joseph, le juste, fidèle à la Parole du Seigneur, a été fidèle à cette parole de l’ange. En son for intérieur, il prend la résolution d’agir, sans grand discours prophétique.

Il a laissé les gens penser que lui, un homme réfléchi et maître de lui-même, avait mis sa fiancée enceinte par manque de maîtrise de soi. Il a pris sur lui la honte de Marie, préfigurant peut-être ce que Jésus ferait pour toute l’humanité. Et tout cela sans dire un mot.

Notre monde se noie dans les mots. En Joseph, le saint silencieux, je vois une autre façon d’être, un chemin de silence et d’action, où les mots les plus importants sont parfois ceux que nous ne prononçons pas.

À méditer



En réfléchissant aux actions silencieuses, mais cruciales, de Joseph, que pouvons-nous apprendre sur le pouvoir de la force silencieuse et de la maîtrise de soi dans notre propre vie ? Comment pouvons-nous cultiver une attitude similaire de silence et de disposition à agir au milieu de situations difficiles ?

Comment pouvons-nous nous aussi être à l’écoute de la voix de Dieu dans notre propre vie ? Comment pouvons-nous discerner sa volonté et faire confiance à sa direction, même lorsqu’elle est déroutante ou difficile ?

Joy Clarkson est autrice, éditrice et doctorante en théologie. Elle est éditrice responsable des livres et de la culture au magazine Plough.

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Books

Du Hamas aux Amalécites ?

Une allusion de Benyamin Netanyahou interroge : comment appliquer de manière responsable les récits de l’Écriture à des événements tels que la guerre à Gaza ?

Christianity Today December 19, 2023
Adaptations par Christianity Today/Images sources : WikiMedia Commons/Getty

Lorsque Benyamin Netanyahou a annoncé le lancement d’opérations terrestres à Gaza le 28 octobre, quelques semaines après que les terroristes du Hamas aient assassiné 1 200 civils et enlevé 240 otages le 7 octobre, il a invoqué la mémoire d’un ancien ennemi.

« Souvenez-vous de ce qu’Amalek vous a fait », a déclaré le Premier ministre israélien. « Nous nous souvenons et nous nous battons. »

La référence se voulait familière pour son public.

Dans le récit de l’Exode, au chapitre 17, les Amalécites attaquent le peuple hébreu dans le désert et sont vaincus dans un épisode saisissant où Moïse doit lever les bras au-dessus du champ de bataille pour assurer la victoire. Plus tard, en Deutéronome 25.17-19, Moïse exhorte ainsi les Israélites : « Souviens-toi de ce que t’a fait Amalek ». Et il leur laisse ce commandement une fois qu’ils seront entrés en Terre promise : « tu effaceras le souvenir d’Amalek de dessous le ciel. » Enfin, en 1 Samuel 15, Dieu ordonne au roi Saül de « vouer à la destruction » les Amalécites, y compris les femmes, les enfants et les nourrissons. Saül triomphe de l’ennemi, mais il faillit à cet ordre en épargnant le roi Agag et le bétail.

Les commentaires rabbiniques en sont venus à considérer Amalek comme une sorte de paradigme pour tout ennemi des Juifs cherchant leur destruction totale. Netanyahou avait déjà laissé entendre que le « nouvel Amalek » pourrait être un Iran doté de l’arme nucléaire, et l’un de ses conseillers a expliqué que ce terme était utilisé pour désigner une « menace existentielle ». Il fut invoqué en référence aux Romains, aux nazis et aux Soviétiques.

Avant même le Premier ministre israélien, certains chrétiens avaient fait le lien avec le Hamas, suscitant le débat sur l’interprétation responsable de la Bible en temps de guerre.

Peu après le 7 octobre, l’Ambassade chrétienne internationale de Jérusalem (ICEJ) déclarait que l’attaque du Hamas « s’enracinait dans le monde démoniaque comme une manifestation de l’esprit d’Amalek ». L’ICEJ a invité les chrétiens du monde entier à « prendre spirituellement position sur les hauteurs et à se joindre à cette bataille, tout comme Moïse a prié pendant que Josué combattait Amalek sur le terrain ».

Certains responsables juifs messianiques approuvent.

« À chaque génération, la haine d’Amalek se réveille pour tenter d’anéantir les Israélites », déclare Ariel Rudolph, directeur des opérations du séminaire de Jérusalem, citant Exode 17.16. « Une fois que l’on a compris l’esprit de haine envers les élus de Dieu, qui provient de Satan, on comprend que le mal suscitant cette haine doit être éradiqué. »

Rudolph se montre critique à l’égard des chrétiens qui appellent à la miséricorde envers le Hamas ou prient pour le salut des terroristes. À ses yeux, ils manquent à reconnaître un principe biblique appelant à éliminer toute menace susceptible d’anéantir le peuple d’Israël.

D’autres juifs messianiques sont plus partagés.

« D’une part, il faut faire quelque chose pour empêcher le Hamas de répéter ce qui s’est passé le 7 octobre », dit Ray Pritz, pasteur à la retraite d’une communauté juive messianique située entre Tel-Aviv et Jérusalem. « Mais d’un autre côté, les nombreuses pertes humaines à Gaza sont d’une tristesse qui va au-delà des mots. »

Titulaire d’un doctorat sur le christianisme juif primitif de l’université hébraïque de Jérusalem, Pritz critique clairement l’assimilation du Hamas à Amalek. « Quiconque fait un tel lien devrait sérieusement prêter attention aux fondements de son interprétation », estime-t-il. « Avec une idée préconçue et une concordance, il est possible de prouver presque tout ce que l’on veut à partir de la Bible. »

Le texte, rappelle-t-il, ne dit pas qu’Amalek a cherché à « anéantir » Israël. Mais même dans cette hypothèse, les conditions du livre de l’Exode ne sont pas applicables aujourd’hui. Que ce soit par suite de « la promesse de Dieu ou autrement », le peuple est déjà dans le pays. Et malgré les intentions du Hamas, dit Pritz, il n’y a « aucune probabilité » que la nation juive — et encore moins le peuple juif dans son ensemble — soit éliminée.

Noam Hendren considère lui que la Bible présente Amalek comme un « ennemi archétypal », représentant tous ceux qui cherchent à détruire le peuple de Dieu.

Responsable d’une communauté juive messianique dans le centre nord d’Israël, Hendren est titulaire d’une maîtrise en Ancien Testament et en sémiologie du Dallas Theological Seminary. Selon lui, la formule « de génération en génération » d’Exode 17.15 implique une menace permanente, même si les Amalécites ont disparu. Il relie le serment de Dieu de détruire Amalek à la promesse de Genèse 12.3 de « maudire ceux qui maudissent » Israël, qu’il applique à tous ceux qui s’opposent au plan de Dieu pour la rédemption du monde par l’intermédiaire des Juifs.

Ces paroles ne peuvent cependant pas, dit-il, être appliquées aux habitants de Gaza de manière collective.

« Les atrocités génocidaires commises par le Hamas le qualifient certainement comme forme de réincarnation d’Amalek », dit Hendren. « Mais toute tentative d’identifier un groupe entier de personnes — comme les Palestiniens — avec Amalek, est trompeuse. »

Quelques-uns ont tout de même essayé.

En 1980, le rabbin Israel Hess écrivait un article intitulé « Le génocide : un commandement de la Torah », utilisant Amalek comme un exemple pour le déplacement des Palestiniens. En conséquence, Hess fut démis de ses fonctions à l’université Bar-Ilan.

En 1994, l’extrémiste Baruch Goldstein massacrait 29 musulmans qui priaient à Hébron, voyant en eux l’ancestral ennemi deutéronomique. Le gouvernement israélien condamna le mouvement qu’il représentait en le qualifiant de terroriste et le bannit du gouvernement ; cependant, Goldstein est devenu une sorte de héros populaire dans certains cercles d’extrême droite, en particulier parmi les mouvements de colons.

L’un de ses admirateurs, Itamar Ben-Gvir, est devenu ministre israélien de la Sécurité nationale.

Selon Jill Jacobs, directrice de T’ruah, une organisation rabbinique de défense des droits de l’homme, l’« histoire écrasante » de l’interprétation juive considère Amalek comme une métaphore, dont l’application la plus courante est l’encouragement à éliminer le mal en soi.

« Le texte biblique a été utilisé pour justifier des guerres pendant bien trop longtemps, et personne ne devrait plus tolérer une telle utilisation », dit Myrto Theocharous. « Toute interprétation qui encourage l’examen de conscience et le repentir est préférable. »

Theocharous, professeur d’hébreu et d’Ancien Testament au Collège biblique grec d’Athènes, se souvient avoir entendu l’interprétation métaphorique d’Amalek dans une synagogue l’année dernière pendant Pourim, lorsque les Juifs lisent traditionnellement ce passage du Deutéronome.

Cette fête, décrite dans l’Ancien Testament au sein du livre d’Esther, commémore le moment où les Juifs de Perse furent confrontés à une menace existentielle de la part d’Haman, décrit comme un « Agaguite », terme que l’on a associé au nom du dernier roi amalécite dont ce personnage descendrait. Mais le courage de la reine Esther bouleverse le cœur du roi et, avec son autorisation, les Juifs tuent plus de 75 000 personnes qui avaient comploté pour les tuer (Est 9.16).

Hormoz Shariat, fondateur d’Iran Alive Ministries, y voit clairement un acte d’autodéfense.

Notant que Dieu n’est pas mentionné dans le livre d’Esther, il souligne que celui-ci était à l’œuvre dans les coulisses. Israël avait un appel spirituel à donner naissance au Messie, et Satan — hier comme aujourd’hui — a une haine « surnaturelle et démoniaque » contre les Juifs.

« Chaque fois qu’il y a une grande mission, il y a une escalade dans le combat spirituel », dit Shariat. Que ce soit contre Amalek, Haman ou les États-nations arabes modernes, dit-il, Dieu a protégé Israël.

Noam Hendren cite le Psaume 83, où les Amalécites sont énumérés avec les Édomites, les Ismaélites, les Philistins et d’autres qui complotent contre le peuple de Dieu : « Venez, disent-ils, exterminons-les du milieu des nations, et qu’on ne se souvienne plus du nom d’Israël ! »

La réponse appropriée, estime Hendren, est la « nécessité absolue » de s’aligner sur Dieu et son peuple. Spiritualiser le conflit entre Israël et Amalek — y voir une allégorie de la lutte du croyant contre le péché, ou de la lutte de l’Église contre le mal dans la société — revient pour lui à faire ce qu’Amalek voulait : refuser à Israël l’accomplissement des promesses de Dieu.

« Le rôle d’Israël dans le plan de Dieu n’a pas pris fin avec la naissance du Messie. »

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Pharaon, savais-tu ?

Ou comment de simples bergers ont ébranlé le pouvoir égyptien.

Christianity Today December 19, 2023
Illustration d’Abigail Erickson/Source Images : Wikimedia Commons

Qui connaît un peu la Bible sait comment imaginer le Pharaon de l’Exode : un homme au cœur endurci, insensible à l’appel de Moïse et Aaron l’implorant de laisser partir leur peuple.

Mais on ne sait généralement pas que les paroles suivantes, écrites des siècles plus tard, l’auraient mis hors de lui :

Il y avait, dans cette même contrée, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux. Et voici, un ange du Seigneur leur apparut, et la gloire du Seigneur resplendit autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande frayeur. (Lc 2.8-9)

Et oui, l’histoire de Noël aurait bien pu ébranler les pyramides !

Le premier Joseph auquel nous pensons en cette période de fin d’année est Joseph de Nazareth, le père adoptif de notre Seigneur Jésus. Mais, à l’arrière-plan de la scène familière de Luc 2, se cache un Joseph bien plus ancien. Dans le livre de la Genèse, au chapitre 46, ce personnage clé de la cour de Pharaon introduit en Égypte sa famille, perdue de vue depuis longtemps et maintenant retrouvée, pour la sauver de la famine. Il leur dit alors :

« Et quand Pharaon vous appellera, et dira : Quelle est votre occupation ? vous répondrez : Tes serviteurs ont élevé des troupeaux, depuis notre jeunesse jusqu’à présent, nous et nos pères. De cette manière, vous habiterez dans le pays de Gosen, car tous les bergers sont en abomination aux Égyptiens. » (Ge 46.33-34)

Joseph prépare les siens. Il ne faut pas que Pharaon craigne qu’ils viennent pour prendre le pouvoir. Ils vont simplement exercer leurs activités sans perturber la vie des Égyptiens. Et la Bible nous dit pourquoi Joseph insiste sur leur travail de bergers : les Égyptiens les ont en horreur ! (v. 34)

Cette occupation modeste, abomination aux yeux des Égyptiens, devient pourtant un thème récurrent de l’histoire biblique. Plus tard, Moïse qui, comme Joseph, avait été un initié à la cour de Pharaon s’enfuit pour sauver sa vie. Avant sa rencontre avec Dieu dans le buisson ardent, il passe beaucoup de temps à garder des troupeaux (Ex 3.1). Seul ce déclassement aux yeux du pouvoir égyptien fera de lui celui qui mènera à bien la délivrance du peuple de Dieu de l’emprise de cet empire :

« Il fit partir son peuple comme des brebis,
Il les conduisit comme un troupeau dans le désert.
Il les dirigea sûrement, pour qu’ils fussent sans crainte,
Et la mer couvrit leurs ennemis. » (Ps 78.52-53)

Le trône davidique dont l’Enfant Jésus est appelé à hériter n’a pas non plus été établi par un aristocrate, mais bien par un berger (1 S 16.11-13). Toutes les promesses de salut et de renouveau que nous offre Jésus se résument, en fait, en ces termes : un bon berger rassemble son troupeau (Jn 10.11-18).

Dans sa réflexion sur l’ouvrage For the Time Being de W. H. Auden, le critique Alan Jacobs note que, dans leur quête de l’enfant-roi, les mages bouleversent complètement Hérode parce qu’ils « ne cherchent pas à le remplacer sur le trône de son royaume, mais à inaugurer un royaume entièrement nouveau ». Un berger ne dirige pas par la contrainte et la force, mais par sa voix (Jn 10.1-5). Et ce sont des bergers que Dieu a choisis pour accueillir l’annonce de l’ange, alors qu’Hérode a dû obtenir l’information de seconde main, auprès d’une délégation étrangère. C’est dire le caractère renversant de ce nouveau royaume.

Tout comme les bergers étaient considérés comme une abomination par les Égyptiens, la croix était une abomination aux yeux des Romains. La crucifixion était le moyen pour César de dominer tous ceux qui contestaient son pouvoir, tout comme l’esclavage l’était pour le Pharaon. Les crucifiés devaient être oubliés ; la forme de leur mort était le genre d’horreur devant laquelle les gens détournaient les yeux. Et pourtant, « Dieu a choisi les choses viles du monde et celles qu’on méprise, celles qui ne sont point, pour réduire à néant celles qui sont » (1 Co 1.28).

Ce qui subsistera bien au-delà des pouvoirs humains, c’est le pouvoir dont ces « abominables » bergers ont entendu parler lorsque la gloire de Dieu a resplendi autour d’eux : « La bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie : c’est qu’aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. » (Lc 2.10-11)

Ce qui perdurera, ce ne sont pas les bandelettes des momies, mais bien celui qui fut enveloppé de langes. Les pyramides et les Colisées finiront par disparaître. Mais ce que les bergers ont vu dans la crèche subsistera. Lorsqu’ils l’ont entendu, ils ont reconnu la voix d’un plus grand berger, non seulement dans le chant des anges, mais aussi dans les pleurs d’un bébé.

Russell Moore est le rédacteur en chef de CT.

Traduit par Anne Haumont

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Review

La pensée évangélique sur la foi et le travail néglige les classes ouvrières.

Pourra-t-elle toucher les évangéliques en dehors des professions hautement valorisées ?

Christianity Today December 18, 2023
Illustration d’Eleanor Shakespeare

Imaginons que nous sommes jeudi soir et que vous vous installez sur votre canapé après le repas. Juste avant d’allumer la télévision, vous faites une pause, vous respirez, vous fermez les yeux et vous réfléchissez un instant à votre journée de travail.

Saving the Protestant Ethic: Creative Class Evangelicalism and the Crisis of Work

Que ressentez-vous ? Vous sentez-vous anxieux et dépassé ? Satisfait et accompli ? Frustré et épuisé à la suite d’une interaction difficile avec un collègue de travail ? Ou bien votre esprit déconnecte-t-il, évitant complètement de penser au travail ?

Pour certains, peut-être la roue de l’ambition tourne-t-elle encore et, au lieu de regarder une série, vous décidez d’ouvrir votre ordinateur portable et de travailler jusqu’à votre coucher. Si cette description vous correspond, vous pourriez être ce qu’Andrew Lynn appelle un « évangélique de la classe créative ».

Lynn, sociologue à l’université de Virginie, est l’auteur de Saving the Protestant Ethic: Creative Class Evangelicalism and the Crisis of Work (« Sauver l’éthique protestante : l’évangélisme de la classe créative et la crise du travail »). Dans son livre, il passe en revue l’histoire et l’état actuel de ce que certains appellent aux États-Unis le « faith and work movement » (« Mouvement foi et travail »), qu’il décrit comme un « effort très organisé et bien doté en ressources pour renégocier la place de l’évangélisme de la classe créative et sa relation avec le pouvoir au sein des institutions et des structures sociales qui constituent la société américaine d’aujourd’hui ».

Lynn affirme que ce courant contemporain est d’abord né pour répondre aux besoins d’une niche restreinte de chrétiens : des évangéliques très instruits cherchant un sens à leur travail et une place dans une culture de plus en plus séculière. À partir des années 1980, alors que les évangéliques commençaient à obtenir des diplômes universitaires et entraient dans l’économie du savoir en plus grand nombre que jamais, il était de plus en plus question de combler le « fossé entre le dimanche et le lundi ». Rejetant l’idée que le travail n’est qu’une nécessité pour gagner de l’argent, une foule croissante de professionnels évangéliques ont voulu donner un sens théologique à leur nouveau succès.

La façon dont nous en sommes arrivés là est une histoire intéressante, qui commence avec le fondamentalisme après la guerre de Sécession. À la publication de la Bible d’étude Scofield en 1909, une préoccupation frénétique pour l’eschatologie et le « salut des âmes » s’est installée. Le financement des ministères qui y répondaient est devenu une priorité absolue, et le travail n’était qu’un moyen de fournir ces fonds qui, selon les termes d’un auteur, devaient être « échangés » contre la « monnaie du ciel ».

Par la suite, des leaders évangéliques comme Billy Graham abandonnèrent de nombreux éléments de ce premier fondamentalisme. Mais le réseau d’instituts bibliques, de camps d’été, de médias et de ministères paraecclésiaux qui en avaient découlé se concentrait toujours sur les œuvres « spirituelles » plutôt que « terrestres ». On peut ainsi encore par exemple entendre des échos de cet état d’esprit dans le célèbre Une vie motivée par l’essentiel de Rick Warren publié au début des années 2000, qui déclare : « Les conséquences de votre mission seront éternelles ; les conséquences de votre travail ne le seront pas. »

En cours de route, cependant, plusieurs chefs d’entreprise chrétiens de premier plan ont commencé à se demander si leur travail pourrait avoir de l’importance pour Dieu au-delà de l’argent qu’ils en retiraient. Lors d’une « Croisade des laïcs chrétiens » en 1941, l’inventeur et ingénieur R. G. LeTourneau déclarait : « nous allons vendre aux laïcs l’idée qu’ils doivent travailler pour Jésus-Christ sept jours sur sept ou renoncer à s’appeler chrétiens. » Les décennies suivantes ont vu l’avènement d’organisations telles que la Full Gospel Business Men’s Fellowship International (1952), la Laity Lodge (1961) et la Fellowship of Companies for Christ International (1977). Dans les années 1980 et 1990, des dizaines d’autres ont été fondées.

Du milieu des années 1980 au milieu des années 2010, une foule de livres, de conférences et de donateurs ont alimenté tout un courant de chrétiens affirmant que le travail lui-même — et pas seulement le salut des âmes — était important pour Dieu. Il en est né quatre approches pour envisager comment la foi chrétienne devrait influencer notre travail.

Comme le décrit Lynn, chacune d’entre elles était incarné par un groupe distinct. Le premier était celui des évangélistes, pour qui la foi au travail signifiait principalement l’évangélisation sur le lieu de travail. En deuxième venaient les gagneurs. Des personnalités du monde des affaires comme J. C. Penney et Henry Parsons Crowell, propriétaire de la société Quaker Oats, popularisèrent l’idée que le travail d’entreprise lui-même était doté d’une valeur spirituelle. Les notions d’« intendance » et de « propriété » de Dieu permirent de redéfinir le travail en tant qu’arène d’influence sanctificatrice.

Le troisième groupe, qui découle de l’approche la plus commune au sein de l’évangélisme contemporain, est celui des intégrateurs de la foi et du travail. Des penseurs comme Dorothy Sayers et des personnalités moins connues comme David Moberg, professeur à l’université Marquette, ont rappelé aux évangéliques qu’être créé à l’image de Dieu signifie être créé à l’image d’un créateur. Le travail a de la valeur simplement parce que Dieu travaille et nous appelle à faire de même.

Lynn identifie également un dernier groupe, celui des activistes, qui appelle les chrétiens à rechercher le bien commun au moyen de leur travail. Leurs rangs étaient moins importants que ceux des intégrateurs, en partie parce que certains évangéliques étaient sceptiques quant aux appels à considérer le travail comme un moteur de promotion de la justice ou du changement social.

Mais les intégrateurs ont surtout bénéficié de tendances démographiques plus larges. Dans les années 1970 et au début des années 1980, de plus en plus d’évangéliques ont obtenu des diplômes universitaires et sont entrés dans l’économie du savoir. Ils se sont ensuite montrés réceptifs aux messages qui affirmaient que leur travail était une forme de service à Dieu et au prochain.

Cependant, de quel travail était-il question ?

Lynn note que deux groupes ont souvent été négligés dans les conversations sur la foi et le travail : les femmes et les ouvriers. Dans l’ensemble, ce sont des chefs d’entreprise qui ont été à la pointe de la réduction du fossé entre le sacré et le séculier, et les participants aux conférences sur la foi et le travail étaient généralement des hommes blancs ayant fait des études supérieures. Au fil du temps, les termes de « vocation » et d’« appel » ont souvent été associés dans ce contexte aux entrepreneurs, aux avocats et à d’autres professionnels « créatifs » ou de statut social élevé.

Lynn reproche également à ces mouvements d’être trop sensibles à l’influence de la droite politique. Il estime que des organisations telles que l’Acton Institute, la Kern Family Foundation et l’Institute for Faith, Work & Economics ont christianisé le capitalisme de laisser-faire, détourné les évangéliques des causes progressistes et même abaissé les standards éthiques d’un travail qui honore la dignité conférée par Dieu à tous les êtres humains.

Mais cet élan a largement réussi à faire passer les évangéliques d’une position de retranchement et de séparatisme culturel à un esprit de gestion et de production. Soutenus par la théologie de l’engagement public du théologien et homme d’État néerlandais Abraham Kuyper, des leaders comme Timothy Keller et le Center for Faith & Work dépendant de son ministère ont encouragé ce changement. Le livre Faith in the Halls of Power, publié en 2007 par le sociologue Michael Lindsay, met ainsi en lumière l’implication des évangéliques dans les hautes sphères des médias, des affaires, du gouvernement, du divertissement et de l’enseignement supérieur.

Lynn reconnaît que les conversations sur la foi et le travail ne sont pas faciles à mener à une époque où la méfiance à l’égard des institutions ne cesse de croître. Dans un tel climat, écrit-il, « l’ascèse intérieure permettant une participation fervente aux institutions séculières semble difficile à vendre ». Le problème est particulièrement aigu pour les chrétiens qui travaillent aux niveaux inférieurs de ces institutions et n’ont guère de pouvoir pour les changer.

Aux risques de résistance ou d’indifférence s’ajoute peut-être un danger encore plus grand : l’attrait de l’accommodation culturelle. Lynn se demande si ces mouvements ne deviendront pas leurs propres « fossoyeurs » en « faisant passer les évangéliques d’institutions sous-culturelles centrées sur les spécificités évangéliques à l’admission pleine et entière dans les principales institutions de la société ». Il s’agit là d’un avertissement historique : dans la seconde moitié du 20e siècle, les églises traditionnelles étaient remplies d’élites éduquées qui jouaient un rôle de premier plan dans la société, mais cela n’a pas stimulé le réveil en leur sein. Il serait triste de voir les mouvements réfléchissant à la foi et au travail pousser les croyants à occuper des postes à responsabilités pour ensuite les voir changer par le monde au lieu de changer celui-ci pour Christ.

Malgré ces avertissements, je garde espoir pour ces mouvements. Les chrétiens continueront à travailler et à se demander ce que leur foi signifie pour ce travail. Cependant, étant moi-même profondément impliqué dans ces questions, j’aurais trois suggestions à faire.

Premièrement, les évangéliques appartenant aux classes plus formées devraient s’engager à utiliser leur pouvoir en faveur des personnes vulnérables, non seulement dans la société en général, mais aussi sur leur propre lieu de travail. Ils devraient également accorder plus d’importance aux préoccupations des syndicats. Les évangéliques pourraient travailler à redécouvrir l’enseignement social catholique sur ce sujet, ou au moins se souvenir de l’époque où les wesleyens, les méthodistes libres et les rassemblements de l’Armée du Salut défendaient les droits des travailleurs.

Deuxièmement, tout en continuant à affirmer que le travail est important pour Dieu, nous devrions reconnaître à quel point les travailleurs se sentent anxieux, stressés et accablés. Les mouvements américains réfléchissant à la foi et au travail ont souvent été orienté vers le pouvoir et l’influence culturelle, mais l’avenir, je le crois, sera enraciné dans la formation spirituelle. Le travail n’est pas seulement une question de succès, d’influence ou même d’impact pour l’Évangile — il s’agit de ce que nous devenons en tant que disciples du Christ. Des puritains comme John Cotton, qui ont contribué à façonner l’éthique protestante du travail, ont mis en garde contre le fait que faire de son travail « le bien le plus précieux » ne conduirait qu’à un matérialisme égoïste. Lynn (et d’autres) ont raison de considérer la vitalité spirituelle comme le fondement non seulement du travail, mais aussi de toute la vie.

Enfin, le bon développement de ces mouvements dépend d’un enracinement plus profond dans les communautés ecclésiales locales. Lynn souligne utilement que des églises non anglophones ont excellé dans la création de liens communautaires et « d’identités collectives qui résistent à certaines des pressions excessives du capitalisme et du carriérisme ». En effet, l’une des caractéristiques historiques de l’éthique protestante réside dans les communautés qui offrent refuge et solidarité aux travailleurs confrontés à des conditions dangereuses, des exigences étouffantes ou l’instabilité économique. Dans ce qu’elle fait de meilleur, remarque Lynn, l’Église attire les gens « vers des formes de relations sociales qui ne sont pas déterminées par le statut, la richesse ou la réussite ». À quoi pourrait ressembler le fait de centrer notre identité sur nos communautés locales plutôt que sur nos titres professionnels ?

En résumé, une approche de la foi au travail qui touche un plus grand nombre de chrétiens impliquera de mettre à nouveau l’accent sur la justice, la formation spirituelle et l’Église. Peut-être un plus grand nombre d’entre nous pourront-ils alors se réjouir de se reposer après une longue journée et de respirer la paix profonde de savoir qu’ils ont passé cette journée à travailler simplement avec Dieu.

Jeff Haanen est le fondateur de l’Institute for Faith & Work de Denver. Il est l’auteur de Working from the Inside Out: A Brief Guide to Inner Work That Transforms Our Outer World (« Travailler de l’intérieur vers l’extérieur : un petit guide du travail intérieur qui transforme notre monde extérieur »).

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