J’ai promis à Dieu de revenir en Haïti. La promesse est difficile à tenir.

Je suis revenu après le tremblement de terre et suis déterminé à rester, même si la situation de mon pays est plus préoccupante que jamais.

Des migrants, pour la plupart originaires d’Haïti, traversent à gué l’une des nombreuses rivières qu’ils franchissent au cours de leur périple d’Amérique centrale vers les États-Unis.

Des migrants, pour la plupart originaires d’Haïti, traversent à gué l’une des nombreuses rivières qu’ils franchissent au cours de leur périple d’Amérique centrale vers les États-Unis.

Christianity Today November 10, 2023
John Moore / Getty Images

Lorsque ma femme et moi avons décidé de nous installer en Haïti en 2010, après un tremblement de terre dévastateur de magnitude 7,0, nous savions que nous arrivions sur un champ de bataille.

Nous étions de jeunes mariés pleins d’énergie et convaincus que nous pouvions changer le monde. Nous avons fait nos valises et quitté Jackson, dans le Mississippi, pour Cap-Haïtien, sans même savoir dans quelle maison nous pourrions emménager. Certains de nos amis nous ont traités de fous : « Tout le monde essaie de s’échapper de ce lieu de désespoir, sauf vous. »

Revenir dans mon pays d’origine après la catastrophe qui avait dévasté le pays était comme nager à contre-courant. Mais j’essayais seulement d’obéir à l’appel de Dieu.

J’étais le seul enfant parmi mes neuf frères et sœurs à avoir terminé l’école secondaire. Après avoir obtenu mon diplôme en 1995, j’ai passé cinq ans à supplier Dieu de m’envoyer à l’université. Mais j’avais toujours voulu étudier à l’étranger et en anglais, un rêve très ambitieux qui me faisait passer pour ridicule aux yeux de beaucoup de mes amis et de ma famille.

Un jour de janvier 2001, alors que je pleurais à genoux devant le Seigneur, il m’a finalement répondu, mais avec une direction claire et sans équivoque. Dans mon esprit, j’entendais nettement la voix du Seigneur qui me disait : « Où que je t’envoie dans le monde, j’ai besoin que tu reviennes me servir en Haïti. » J’ai accepté le contrat. Je n’avais pas d’autre choix !

Par la suite, le Seigneur m’a envoyé dans de nombreux pays riches et magnifiques à travers le monde. J’ai commencé mes études en Jamaïque, où j’ai rencontré ma femme. J’ai ensuite déménagé au Canada pour obtenir mon premier diplôme, puis aux États-Unis et au Royaume-Uni pour ma maîtrise et mon doctorat.

Depuis notre retour en Haïti, les épidémies, les catastrophes naturelles et les bouleversements politiques font partie du quotidien. Notre foi, notre espérance et notre résilience ont été sérieusement mises à l’épreuve. Quelques mois après mon retour, en décembre 2011, j’étais sur le point de faire mes valises et de migrer définitivement vers l’Amérique du Nord.

Nous pouvions à peine trouver de quoi nous nourrir. Nous avions du mal à payer notre loyer. Notre voiture avait été volée par un convoyeur. Une pandémie de choléra sévissait. Nous n’avions pas d’électricité. Nous nous sommes sentis abandonnés par Dieu et avons commencé à remettre en question notre décision de retourner en Haïti.

Mais nous avons trouvé la force et l’encouragement dans des textes bibliques comme Jacques 1.2-4 : « Mes frères et sœurs, considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous pouvez être exposés, sachant que la mise à l’épreuve de votre foi produit la persévérance. Mais il faut que la persévérance accomplisse parfaitement sa tâche afin que vous soyez parfaitement qualifiés, sans défaut, et qu’il ne vous manque rien. »

C’est la raison pour laquelle nous sommes encore ici pour mener le bon combat. Mais le champ de bataille n’a jamais été aussi dur qu’aujourd’hui.

Depuis l’assassinat de notre président en 2021, le pays s’est enfoncé dans un gouffre obscur où il est malmené et enveloppé de troubles de toutes sortes. Nous avons été physiquement épuisés. Nous avons été mentalement épuisés. Nous avons été économiquement épuisés. En tant qu’Église, nous avons été spirituellement assaillis. La bataille n’a jamais été aussi féroce.

Tandis que les défis se sont intensifiés, il a été de plus en plus difficile de partager la charge. L’année dernière, l’administration américaine a facilité la vie et le travail des Haïtiens aux États-Unis. En l’espace de six mois, 70 % des membres du conseil de mon église ont émigré aux États-Unis. Fin septembre 2023, plus de 85 000 Haïtiens étaient arrivés aux États-Unis.

Ce programme a été une bénédiction pour les personnes et les familles qui ont eu la possibilité d’entreprendre une vie meilleure là-bas. Mais c’est une malédiction pour mon pays, dépouillant rapidement Haïti de ses éléments les plus brillants et les plus intègres. Ce programme renforce la mentalité de recherche d’échappatoires qui asservit tant d’Haïtiens et étouffe notre désir de lutter pour un changement durable dans notre pays. Il représente un veau d’or qui incite les croyants les plus fidèles à faire confiance à l’homme, plutôt qu’à Dieu, pour subvenir à leurs besoins.

Alors que je luttais face à la perte de ma communauté, bien des questions m’empêchaient de dormir. Comment réconforter l’église après la mort inattendue de notre batteur et chauffeur de bus, un jeune homme de 28 ans ? Comment répondre aux appels de tant de personnes en manque de nourriture, de fournitures scolaires pour leurs enfants, de médicaments, d’un abri ou de libération spirituelle ?

En tant que responsable de ma communauté, que dois-je dire lorsque ceux qui devraient être en prison emprisonnent des gens à Port-au-Prince ? Comment formuler une réponse théologique aux gangs qui interrompent à volonté les services religieux dans la capitale ? Que dois-je dire aux gens lorsque des membres de gangs entrent dans leurs villages et prennent leurs terres, leurs maisons et leurs biens ?

Maintenant qu’un différend au sujet d’un canal a entraîné la fermeture de la frontière entre Haïti et la République dominicaine, comment puis-je encourager ceux dont les moyens de subsistance ont toujours été liés au commerce binational entre les deux pays ?

En tant que président de l’Emmaus University, comment annoncer à mes étudiants que nous ne pourrons bientôt plus les nourrir en raison de la flambée des prix des denrées alimentaires ? Comment préparer la prochaine génération de responsables haïtiens qui se forment ici à interrompre leur formation pendant cette période de désespoir parce que nous ne pouvons tout simplement pas continuer à assumer les charges financières ?

Comment faire face à la réalité qu’Haïti a désespérément besoin de responsables chrétiens intègres alors que je me débats avec les défis de la collecte de fonds pour une bibliothèque, des salles de classe et des bourses d’études ?

C’est la réalité quotidienne du champ de bataille, et je suis submergé. Que devrais-je faire ? Dois-je m’enfuir pour sauver ma vie et tout laisser derrière moi ?

Si mon corps peut être physiquement en sécurité ailleurs, je sais que quitter Haïti ferait languir mon âme. Je préfère mourir à genoux sur le champ de bataille, le cœur en paix, plutôt que de profiter du confort de cette vie avec un esprit brisé.

La bataille fait rage. Puissé-je accomplir ma vocation, jusqu’à ce que mon Seigneur Jésus dise qu’il est temps pour moi de recevoir ma couronne. Nous vaincrons en nous appuyant sur les paroles que l’apôtre Paul adressait il y a bien longtemps à l’église de Corinthe : « Nous sommes pressés de toutes parts, mais non écrasés ; inquiets, mais non désespérés ; persécutés, mais non abandonnés ; abattus, mais non anéantis. » (2 Co 4.8-9)

La réalité présente pourrait bientôt changer. Mais à l’heure actuelle, la pression est extrêmement forte. À notre famille ecclésiale dans le monde entier, priez pour nous et tenez-vous à nos côtés, nous qui restons en Haïti pour accomplir notre course.

Guenson Charlot est président de l’Emmaus University à Acul-du-Nord, en Haïti. Vous pourrez en apprendre plus dans le livre de sa femme Claudia, Haiti : The Black Sheep?. Guenson peut-être contacté par courrier électronique à l’adresse suivante guenson.charlot@emmaus.edu.ht

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