History

Oui, le bœuf et l’âne ont une place dans la crèche.

Si de nombreuses représentations traditionnelles de la Nativité sont d’une historicité douteuse, elles ne nous enseignent pas moins quelques profondes vérités bibliques.

Détail de La Nativité de Jésus peinte par Lorenzo Monaco

Détail de La Nativité de Jésus peinte par Lorenzo Monaco

Christianity Today December 20, 2023
WikiMedia Commons/Adaptations par CT

Voilà une tradition de Noël que certains aimeraient bien voir abandonnée : la reprise de certaines mises en scène de la Nativité dans l’art et les chants.

C’est vrai, nous savons que Jésus n’est pas né dans une ferme pédagogique, que Marie n’a pas accouché dans une grotte, que la Bible ne dit pas qu’il y avait trois rois mages et que ces derniers n’étaient pas vraiment rois. Mais le dédain pour ces mises en scène de la Nativité témoigne souvent d’une incompréhension fondamentale des représentations artistiques de l’histoire de Noël.

L’intention de recentrer notre attention sur le texte biblique est certes louable. En pratique, cependant, en ergotant sur la manière dont les artistes chrétiens interprètent depuis longtemps la Nativité, nous passons à côté de ce qu’ils voulaient nous faire entendre de la Bible et de la théologie. Cessons donc de sourire de leur supposé manque d’exactitude historique pour nous laisser émerveiller par la naissance de Jésus telle qu’ils l’ont vue.

Commençons par les animaux. Les peintures et les chansons sur la Nativité montrent souvent des animaux de ferme rassemblés autour de la mangeoire. « Entre le bœuf et l’âne gris », chantons-nous, « son palais est une étable, une crèche est son berceau ».

Cela ne correspond sûrement pas tout à fait à la réalité. Lorsque Luc nous dit qu’il n’y avait pas de place pour Marie et Joseph dans l’« auberge », il ne veut pas dire que Jésus est né dans un bâtiment séparé, destiné spécifiquement aux animaux, que l’on imaginerait donc comme une étable. Le mot grec parfois traduit par « auberge » est kataluma (Lc 2.7), qui désigne l’espace d’habitation dans les maisons antiques, généralement une chambre supérieure ou un grenier. Comme cette chambre était pleine, Marie et Joseph ont été contraints de rester en bas, là où l’on mettait parfois les animaux.

La mention de la mangeoire suggère que des animaux étaient bien présents. Luc ne précise cependant pas qu’il y ait eu là un bœuf ou un âne. Ce que l’on sait, c’est que ces deux animaux ont toute une importance symbolique. Ensemble, ils représentent toute la création venue accueillir la paix du nouveau roi.

Adam et Ève habitaient avec les animaux dans le jardin (Gn 2.19) ; Dieu a ordonné à tous les animaux de venir à Noé deux par deux (Gn 6.19-20) ; et le prophète Esaïe évoque ainsi la nouvelle création où toutes les créatures vivront en paix :

Le loup séjournera avec le mouton, la panthère se couchera avec le chevreau ; le taurillon, le jeune lion et les bêtes grasses seront ensemble, et un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront un même pâturage, leurs petits une même couche ; le lion, comme le bœuf, mangera de la paille. (11.6-7)

Dans l’Ancien Testament, ce couple, bœuf et âne, symbolisait également l’union des extrêmes. Le bœuf est un animal pur, représentant Israël, tandis que l’âne est un animal impur, représentant les païens (Ex 13.13). Ensemble, ces deux animaux représentent donc le corps du Christ au complet.

« Tu ne laboureras pas avec un bœuf et un âne attelés ensemble », ordonne Deutéronome 22.10 aux Israélites dans une longue liste de règles relatives à la pureté. Mais, dans son corps, le Christ met, sous le même joug, les Juifs et les non-Juifs (Ep 2.13-14). Le bœuf et l’âne, installés côte à côte à sa naissance, symbolisent la façon dont cet enfant apportera l’unité entre tous. Le choix artistique de les représenter ainsi exprime l’harmonie finale qui règnera pour toutes les créatures.

Autre élément du décor : de nombreuses représentations de la naissance du Christ — y compris peut-être votre crèche — mettent scène Marie et Joseph dans une grotte ou sortant d’une grotte. Les Écritures ne parlent jamais d’une grotte comme lieu de naissance du Christ. Il est né dans une maison. Comment cette grotte est-elle apparue dans la tradition de Noël ?

L’idée vient des premiers pères de l’Église du 2e au 4e siècle, notamment Justin Martyr, Origène et Jérôme. Mais cette tradition pourrait également avoir été influencée par l’empereur Constantin, converti au christianisme et qui, en 335, avait désigné une grotte — aujourd’hui le site de l’église de la Nativité à Bethléem — comme le lieu traditionnel de la naissance de Jésus.

Quoi qu’il en soit, cette grotte a elle aussi quelque chose de théologiquement symbolique.

Dans les Écritures, les grottes sont souvent des lieux retirés permettant servant de protection et d’abri. Lot et ses filles vivent dans une caverne, car ils ne se sentent pas à l’aise à Tsoar (Gn 19.30). Abdias cache une centaine de prophètes dans des grottes pour les protéger du roi Achab et de Jézabel (1 R 18.4). David se réfugie dans une caverne lorsque le roi Saül le pourchasse (1 S 22.1 ; Ps 57).

Dans l’Ancien Testament, les grottes protègent les gens de la mort. La présence d’une grotte à la naissance de Jésus évoque donc le fait que Dieu protégera cet enfant de tout mal indésirable. Il mènera à bien son plan de rédemption.

Mais la grotte est aussi un lieu de mort. Dans l’Antiquité, les grottes étaient souvent utilisées comme tombeaux et représentaient donc l’accès au royaume des morts. C’est la raison pour laquelle l’Enfant Jésus est parfois peint non seulement dans une grotte, mais aussi dans un sarcophage. Sa naissance annonce sa mort et sa descente aux enfers. La vie de Jésus commence ainsi dans une grotte pour nous rappeler que c’est là qu’elle s’achèvera.

Les trois « rois mages », eux aussi, nous portent vers l’avenir. Bien des cantiques, inspirés par la mention par Matthieu des « mages » venus de l’Orient pour apporter trois cadeaux à Jésus (Mt 2.1 et 11), les ont durablement ancrés dans la crèche aux côtés des bergers.

Bien sûr, notent les spécialistes, Matthieu ne nous dit pas combien ces « rois » étaient, et il les nomme simplement « mages », désignant par là des spécialistes des rêves et des phénomènes astrologiques. Alors pourquoi des « rois » mages ?

Cette tradition des « trois rois » dans l’art de Noël n’est pas arbitraire.

Les Grecs et les Babyloniens divisaient le monde en trois grandes parties : l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Cette division est antérieure au christianisme, mais elle a été reprise par les juifs et, plus tard, par les chrétiens, qui pensaient (un peu arbitrairement d’un point de vue biblique et ethnique) que chaque continent était peuplé par un des descendants de Noé : les Asiatiques venaient de Sem, les Africains de Cham et les Européens de Japhet.

Les trois mages représentent donc symboliquement ces trois parties du monde. Comme le bœuf et l’âne, ils esquissent la rédemption de la terre entière.

Mais que les mages soient perçus comme « rois » vient aussi des Écritures. Le prophète Esaïe avait prédit que la gloire du Seigneur serait visible au milieu des ténèbres du monde : « Des nations marcheront à ta lumière et des rois à la clarté de ton aurore […] les ressources des nations viendront vers toi […] ils porteront de l’or et de l’encens et annonceront, comme une bonne nouvelle, les louanges du Seigneur. » (Es 60.3, 5-6)

Les mages n’étaient pas eux-mêmes rois, mais ils étaient souvent associés aux cours royales. C’est ce qui ressort des aventures de Joseph, Moïse et Daniel, où des rois demandent à des mages d’interpréter leurs rêves (Gn 41.8 ; Ex 7.11, 22 ; 8.18, 19 ; 9.11 ; Dn 2.2, 10). Le récit de Matthieu (2.11) pourrait aussi faire délibérément écho au Psaume 72.8-11, qui dit que « les rois de Tarsis et des rivages lointains apportent un tribut » au roi de Dieu, se prosternant devant lui. Ces thèmes repris dans les représentations artistiques de Noël nous annoncent que toutes les nations finiront par plier le genou devant Jésus.

L’exactitude des reconstitutions historiques est précieuse. Mais la stricte exactitude historique n’est pas l’objectif premier de l’artiste. Si nous perdons la capacité de « lire » l’art avec ses symboles, nous passerons à côté de vérités plus profondes.

Les représentations de la Nativité, qu’elles soient peintes, sculptées ou chantées, n’ont pas toujours pour but de nous expliquer précisément comment s’est déroulée la naissance de Jésus. Elles veulent nous aider à approfondir le sens de l’Incarnation. Elles nous invitent à nous émerveiller de ces vérités : le Fils de Dieu a pris chair pour réconcilier Juifs et non-Juifs, accomplir son plan de rédemption et revenir dans la gloire comme Roi des rois.

Patrick Schreiner enseigne le Nouveau Testament au Midwestern Baptist Theological Seminary à Kansas City, dans le Missouri. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont The Visual Word et Political Gospel.

Traduit par Anne Haumont

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