Qui connaît un peu la Bible sait comment imaginer le Pharaon de l’Exode : un homme au cœur endurci, insensible à l’appel de Moïse et Aaron l’implorant de laisser partir leur peuple.
Mais on ne sait généralement pas que les paroles suivantes, écrites des siècles plus tard, l’auraient mis hors de lui :
Il y avait, dans cette même contrée, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux. Et voici, un ange du Seigneur leur apparut, et la gloire du Seigneur resplendit autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande frayeur. (Lc 2.8-9)
Et oui, l’histoire de Noël aurait bien pu ébranler les pyramides !
Le premier Joseph auquel nous pensons en cette période de fin d’année est Joseph de Nazareth, le père adoptif de notre Seigneur Jésus. Mais, à l’arrière-plan de la scène familière de Luc 2, se cache un Joseph bien plus ancien. Dans le livre de la Genèse, au chapitre 46, ce personnage clé de la cour de Pharaon introduit en Égypte sa famille, perdue de vue depuis longtemps et maintenant retrouvée, pour la sauver de la famine. Il leur dit alors :
« Et quand Pharaon vous appellera, et dira : Quelle est votre occupation ? vous répondrez : Tes serviteurs ont élevé des troupeaux, depuis notre jeunesse jusqu’à présent, nous et nos pères. De cette manière, vous habiterez dans le pays de Gosen, car tous les bergers sont en abomination aux Égyptiens. » (Ge 46.33-34)
Joseph prépare les siens. Il ne faut pas que Pharaon craigne qu’ils viennent pour prendre le pouvoir. Ils vont simplement exercer leurs activités sans perturber la vie des Égyptiens. Et la Bible nous dit pourquoi Joseph insiste sur leur travail de bergers : les Égyptiens les ont en horreur ! (v. 34)
Cette occupation modeste, abomination aux yeux des Égyptiens, devient pourtant un thème récurrent de l’histoire biblique. Plus tard, Moïse qui, comme Joseph, avait été un initié à la cour de Pharaon s’enfuit pour sauver sa vie. Avant sa rencontre avec Dieu dans le buisson ardent, il passe beaucoup de temps à garder des troupeaux (Ex 3.1). Seul ce déclassement aux yeux du pouvoir égyptien fera de lui celui qui mènera à bien la délivrance du peuple de Dieu de l’emprise de cet empire :
« Il fit partir son peuple comme des brebis,
Il les conduisit comme un troupeau dans le désert.
Il les dirigea sûrement, pour qu’ils fussent sans crainte,
Et la mer couvrit leurs ennemis. » (Ps 78.52-53)
Le trône davidique dont l’Enfant Jésus est appelé à hériter n’a pas non plus été établi par un aristocrate, mais bien par un berger (1 S 16.11-13). Toutes les promesses de salut et de renouveau que nous offre Jésus se résument, en fait, en ces termes : un bon berger rassemble son troupeau (Jn 10.11-18).
Dans sa réflexion sur l’ouvrage For the Time Being de W. H. Auden, le critique Alan Jacobs note que, dans leur quête de l’enfant-roi, les mages bouleversent complètement Hérode parce qu’ils « ne cherchent pas à le remplacer sur le trône de son royaume, mais à inaugurer un royaume entièrement nouveau ». Un berger ne dirige pas par la contrainte et la force, mais par sa voix (Jn 10.1-5). Et ce sont des bergers que Dieu a choisis pour accueillir l’annonce de l’ange, alors qu’Hérode a dû obtenir l’information de seconde main, auprès d’une délégation étrangère. C’est dire le caractère renversant de ce nouveau royaume.
Tout comme les bergers étaient considérés comme une abomination par les Égyptiens, la croix était une abomination aux yeux des Romains. La crucifixion était le moyen pour César de dominer tous ceux qui contestaient son pouvoir, tout comme l’esclavage l’était pour le Pharaon. Les crucifiés devaient être oubliés ; la forme de leur mort était le genre d’horreur devant laquelle les gens détournaient les yeux. Et pourtant, « Dieu a choisi les choses viles du monde et celles qu’on méprise, celles qui ne sont point, pour réduire à néant celles qui sont » (1 Co 1.28).
Ce qui subsistera bien au-delà des pouvoirs humains, c’est le pouvoir dont ces « abominables » bergers ont entendu parler lorsque la gloire de Dieu a resplendi autour d’eux : « La bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie : c’est qu’aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. » (Lc 2.10-11)
Ce qui perdurera, ce ne sont pas les bandelettes des momies, mais bien celui qui fut enveloppé de langes. Les pyramides et les Colisées finiront par disparaître. Mais ce que les bergers ont vu dans la crèche subsistera. Lorsqu’ils l’ont entendu, ils ont reconnu la voix d’un plus grand berger, non seulement dans le chant des anges, mais aussi dans les pleurs d’un bébé.
Russell Moore est le rédacteur en chef de CT.
Traduit par Anne Haumont