Un pouvoir rendu possible par le sacrifice

Dimanche des Rameaux – L’âne, le lion et l’agneau.

Christianity Today March 15, 2024
Hall, par Claire Waterman. Huile sur papier. 2018.

Quand il eut pris le livre, les quatre êtres vivants et les vingt-quatre anciens se prosternèrent devant l’agneau. Chacun tenait une harpe et des coupes d’or remplies de parfums, qui sont les prières des saints. (Apocalypse 5.8)

Lecture proposée : Apocalypse 5.1-11

Pour mieux appréhender le paradoxe saisissant du dimanche des Rameaux — le roi Jésus parcourant les rues de Jérusalem sur un humble ânon — nous nous tournons vers l’Apocalypse. En Apocalypse 5, Jean décrit une scène dramatique où Dieu présente un rouleau qui ne peut être ouvert parce que personne n’en est trouvé digne. L’apôtre est saisi d’émotion devant la tragédie de cette situation et l’impossibilité de briser les sept sceaux. Un ancien ordonne alors à Jean d’arrêter de pleurer : « Ne pleure pas, car le lion de la tribu de Juda, le rejeton de la racine de David, a vaincu pour ouvrir le livre et ses sept sceaux. » (v. 5) J’imagine l’ancien faisant cette déclaration d’une voix tonitruante et d’un geste ample vers le trône, tous les yeux levés au ciel s’attendant à voir surgir un lion rugissant et flamboyant dans une démonstration de puissance extraordinaire. J’imagine des regards parcourant frénétiquement le ciel, brillants et pleins d’attentes, ignorant tout d’abord la créature qui s’est avancée du trône. C’est alors qu’ils le voient, lui, le seul digne, non pas un lion, mais un agneau sacrifié, égorgé, le sang coulant le long de sa poitrine, tachant sa pure laine blanche d’un sombre rouge cramoisi.

Il aurait été tout à fait possible que Jésus se présente comme le lion de la tribu de Juda, conformément à la manière dont l’ancien avait annoncé sa venue, mais il ne le fait pas. Au contraire, il apparaît comme l’une des créatures les moins menaçantes de la terre. Il est accessible. Humble. Doux.

Ce thème du pouvoir démontré par la retenue et le sacrifice traverse les pages de l’Écriture. Jésus-Christ révèle continuellement sa majesté dans l’humilité : le Roi des rois vient au monde non pas dans un palais, mais dans une grange empestant les excréments d’animaux. Sa gloire est d’abord manifestée non pas à Hérode le Grand, mais à de modestes bergers. Il ne choisit pas les siens parmi l’élite universitaire de son pays, mais parmi le commun des mortels. Il s’attache non pas aux échelons supérieurs de la société, mais aux sans-abri, faisant expérimenter à ses disciples déconcertés la réalité des valeurs inversées du Royaume.

Tel est le Messie qui monte à Jérusalem sur un âne pendant que l’on dépose des branches de palmier devant lui. Il ne se rend pas dans les allées du pouvoir pour renverser Rome et satisfaire les attentes conquérantes de la foule, mais au centre du culte juif pour confronter les conceptions erronées de ce que signifie servir Dieu. Jésus n’a pas succombé aux acclamations de la foule et n’a pas tenté de s’emparer d’un trône terrestre. Au contraire, son trône fut un instrument romain de torture et d’exécution, en obéissance au Père, et pour que nous puissions être pardonnés, purifiés et réconciliés avec Dieu.

Jésus a incarné l’intention originelle de Dieu, telle qu’elle ressort des chapitres 1 et 2 de la Genèse : que l’humanité exerce l’autorité sur la terre pour y faire naître la vie, comme un jardinier qui s’efforce de laisser s’exprimer la fécondité et la beauté des plantes. Adam et Ève ayant échoué dans cette tâche, un nouveau type d’être humain devait émerger — un être qui écraserait la tête du Serpent, mais qui serait également meurtri dans le processus. Jésus était un serviteur souffrant, un lion qui était aussi un agneau. Il est le Dieu à l’autorité inégalée qui revêt le vêtement d’un serviteur et lave les pieds de ceux qui l’abandonnent. Celui qui, la semaine de son exécution, monterait à Jérusalem sous les acclamations d’une foule et, quelques jours plus tard, affronterait une autre foule exigeant sa crucifixion. Immédiatement après son entrée triomphale, on le voit pleurer sur les foules, préoccupé par ceux qui l’entourent alors même que sa propre vie est en péril (Lc 19.41). Jésus était complètement en sécurité dans l’affection et la prévenance du Père. Il a vu au-delà du voile de la mort jusqu’à la résurrection, supportant ainsi la trahison, la flagellation et l’horreur de la croix.

En tant qu’êtres humains imparfaits, attirés par les applaudissements et craignant la douleur, nous cherchons souvent à incarner la puissance du lion, mais nous suivons un lion qui s’est fait agneau. Puissions-nous marcher dans les traces de notre maître en ce dimanche des Rameaux, en empruntant le chemin sacrificiel de la croix afin que d’autres puissent à leur tour découvrir la vie que nous avons trouvée dans le sang de notre Sauveur.

À méditer



Malgré sa puissance, pourquoi Jésus a-t-il choisi de s’abaisser et servir les autres ?

Est-ce que j’utilise mes ressources, mes capacités et mon influence pour servir les autres ? Si ce n’est pas le cas, comment pourrais-je prendre une mesure pratique cette semaine pour mettre mon pouvoir au service de ceux qui m’entourent ?

Mick Murray exerce le ministère pastoral depuis plus de 15 ans au sein de l’Antioch Community Church à Waco, au Texas.

Cet article fait partie de Pâques au quotidien, notre série de méditations pour vous accompagner personnellement, en petit groupe ou en famille durant le carême et les fêtes de Pâques 2024.

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Jeûner pour le Royaume de Dieu

La pratique musulmane du ramadan a changé ma compréhension du jeûne, de la prière et du carême.

Christianity Today March 13, 2024
Illustration de Mallory Rentsch/Images sources : Unsplash/Getty

Amman. Jordanie. Le soleil se couchait enfin sur une étouffante fin d’après-midi de vendredi. Sa lumière filtrait à travers la poussière de l’air, éclairant les bâtiments et les rues en contrebas, tandis qu’une odeur d’essence s’insinuait à travers ma fenêtre ouverte.

Je venais de rentrer d’une longue journée d’étude et de prière au Qasid Arabic Institute et je me préparais à recevoir mes amis musulmans pour le dîner. Le soir précédent, chez eux, ceux-ci avaient fait preuve d’une hospitalité extraordinaire à mon égard. Je n’étais pas sûr de pouvoir égaler leur amour et leur accueil ni d’être à la hauteur des normes culinaires que m’avait inculquées ma mère mexicaine. Plus que tout, je voulais que le repas que je préparais traduise pleinement l’affection et la fraternité sincères que j’éprouvais à leur égard.

Après tout, c’était le mois du ramadan, un mois sacré pour les musulmans, qui jeûnent de l’aube au crépuscule en vue de l’hospitalité, de la prière et de leur purification spirituelle. Comment le parfum de l’amour du Christ pourrait-il imprégner ce que j’avais appris de mes amis musulmans sur le jeûne et la prière ? « Seigneur, s’il te plaît, bénis ces fajitas au poulet après cette journée de jeûne et permets une bonne conversation après ce temps de prière », priai-je silencieusement.

Par la grâce de Dieu, mes fajitas au poulet maison ont été bien accueillies et ont laissé place à plusieurs heures de riches échanges sur l’Évangile, la prière et ce que signifie la foi dans un monde qui semble s’enfoncer dans la sécularisation.

À bien des égards, les trois mois que j’ai passés en Jordanie ont profondément transformé ma compréhension de Dieu. En cette période de carême, j’ai commencé à repenser ce que signifient le jeûne et la prière en tant que chrétien à la lumière de mon expérience de la lecture des Évangiles dans un contexte à majorité musulmane.

Ayant grandi dans une famille catholique, je pensais que le jeûne consistait à ne pas manger certains aliments. Ceux qui s’astreignaient à un régime alimentaire strict s’attiraient ainsi les éloges. Après avoir embrassé le protestantisme au lycée, j’ai commencé à considérer le jeûne comme quelque chose que des gens malavisés faisaient pour essayer de gagner leur salut. Moi, Alex, le chrétien réformé, je n’allais pas m’adonner à de telles pratiques. Au lieu de cela, je « jeûnais » en renonçant à quelque chose que j’aimais pour montrer à Dieu à quel point j’étais sérieux dans mon engagement envers lui. Mes prières de repentance appelaient à ce que Dieu prenne toute la place dans ma vie intérieure et me sanctifie. Je croyais tellement à la souveraineté de Dieu que je m’attendais à ce qu’il fasse tout le travail.

Avec le recul, je me rends compte que j’avais mal compris la signification et le but des pratiques spirituelles que sont le jeûne et la prière, aussi bien en tant que catholique qu’en tant que protestant. Le jeûne n’est pas une question de nourriture ; il ne s’agit pas de s’affamer à la manière de saint Jérôme en son temps. Il ne s’agit pas non plus de renoncer à quelque chose pour démontrer ma sainteté. Ce que j’ai compris, c’est que le véritable jeûne et la prière, tels qu’ils sont décrits dans les Écritures, sont un acte de rébellion contre nos désirs et une préparation à l’action.

Dans le chapitre 6 de Matthieu, juste après avoir énuméré les Béatitudes, Jésus enseigne à ses disciples à ne pas prendre un air sombre lorsqu’ils jeûnent. Il y voit une marque d’hypocrisie. « Mais toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage afin de ne pas montrer que tu jeûnes aux hommes, mais à ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » (Mt 6.17-18)

Le jeûne ne vise pas ici le bien d’autrui, ni même notre propre bien. Jésus paraît affirmer que le jeûne se fait pour l’amour de Dieu. Ceux qui prennent une mine défaite et teignent leur visage de cendres souhaitent attirer l’attention des autres. Leur religiosité vise à épater la galerie. Leur quête de sainteté est motivée par leur satisfaction d’eux-mêmes et l’attention qu’ils reçoivent des autres. Cette vigueur et cet engagement religieux leur donnent un sentiment de plénitude spirituelle. Mais ce n’est pas le genre de religiosité que veut Dieu.

Le prophète Ésaïe, au chapitre 58, critique Israël qui recherchait les bénédictions de Dieu tout en opprimant les autres : « le jour où vous jeûnez, vous accomplissez vos propres désirs et traitez durement tous vos ouvriers. » (v. 3) Il décrit comment le peuple crie pour que Dieu reconnaisse son jeûne parce qu’il a courbé la tête « comme un roseau » et s’est couché « sur le sac et la cendre » (v. 5).

Mais Ésaïe répond : « Ce n’est pas en jeûnant de cette manière que vous ferez entendre votre voix là-haut. » (v. 4, PDV) Au contraire, le jeûne que Dieu désire consiste à « détacher les chaînes dues à la méchanceté, dénouer les liens de l’esclavage, renvoyer libres ceux qu’on maltraite [et à mettre] fin aux contraintes de toute sorte ! » (v. 6) « Partage ton pain avec celui qui a faim et fais entrer chez toi les pauvres sans foyer ! », demande le prophète (v. 7). Grâce à ce jeûne, la justice d’Israël jaillira « comme l’aurore » et sa « restauration progressera rapidement » (v. 8). Seul ce jeûne de justice rendra gloire à Dieu et suscitera sa bénédiction, dit Ésaïe.

Le prophète critique ainsi ceux qui s’enflent d’ardeur spirituelle parce qu’ils se conforment aux apparences du jeûne et s’attendent à ce que Dieu et la société reconnaissent leur piété. Leur jeûne est devenu indifférent aux désirs de Dieu. Leurs privations, que ce soit par le jeûne ou même par leurs dons aux pauvres, sont devenues un moyen de promouvoir leurs propres projets, si injustes soient-ils.

Le jeûne que Dieu appelle de ses vœux dans Ésaïe consiste non seulement à prendre soin des opprimés, mais aussi à mettre fin à l’exploitation systémique (v. 3c) et à la violence (v. 4) qui perpétuent l’oppression. Au lieu de se contenter de donner aux pauvres, Ésaïe appelle Israël à « détacher les chaînes dues à la méchanceté » (v. 6a) en s’attaquant aux systèmes injustes qui maintiennent les plus faibles dans la pauvreté.

Le jeûne que le Seigneur désire est une rébellion contre les dégâts systémiques du péché dans le monde — un jeûne qui renverse l’injustice, libère les opprimés, nourrit les affamés et habille ceux qui sont nus. Le but du jeûne n’est pas d’avoir l’estomac affamé, mais il est bien question d’avoir faim. Le jeûne ne constitue pas en lui-même un reniement de soi, mais il y a bien un moi à renier. Le jeûne est un acte de rébellion qui consiste à dire non aux choses que nous désirons afin de créer en nous un profond sentiment de faim pour la justice et la droiture parfaites de Dieu.

À notre époque, notre attention est constamment sollicitée, distraite par des divertissements en tous genres et obnubilée par l’image que nous donnons de nous-mêmes en ligne. Lorsque nous réfrénons les appétits que suscitent en nous nos idoles, nous nous retrouvons affamés, tendus et déstabilisés. Ainsi, je crois que le jeûne que Dieu désire est un jeûne qui nous déstabilise au plus profond de notre être et nous empêche de véritablement trouver le repos tant que nous ne sommes pas unis à l’objet réel de nos désirs : Dieu. En d’autres termes, le jeûne permet à nos âmes de faire l’expérience d’une faim inassouvie que seul Dieu peut vraiment satisfaire. L’âme qui jeûne, unie à Dieu, ne désire pas la louange des autres. Que vaut celle-ci lorsque l’on est rempli de Dieu ?

Le jeûne est une rébellion contre le consumérisme capitaliste qui nous dit que, pour être heureux, nous devons consommer davantage. L’âme qui demeure en Dieu ne se sent pas surchargée par le fait de nourrir les pauvres, de libérer les opprimés et de lutter contre l’injustice. Au contraire, l’âme qui jeûne véritablement se sent portée par Dieu à faire ces choses. L’âme qui est en Dieu ne peut que désirer le Royaume de Dieu sur terre.

C’est ce désir du royaume de justice et de liberté de Dieu sur terre qui pousse l’âme à jeun à la prière. Cet élan vers la prière est le résultat de la tension que l’âme du jeûneur ressent entre la présence de Dieu et les réalités de la vie dans ce monde déchu. L’âme à jeun demeurant en Dieu reçoit une vision de la gloire potentielle de la création telle qu’elle devrait être dans le Royaume de Dieu. Cependant, dans cette vie, nous ne pouvons pas demeurer constamment dans la présence de Dieu. Nous devons être présents à la création telle qu’elle est et ne pas nous réfugier dans une tour d’ivoire spirituelle, loin des pauvres et des opprimés.

Lors de la transfiguration, Pierre désire installer « trois abris » pour Jésus, Moïse et Elie, soulignant son désir de demeurer toujours dans cette présence (Mt 17.4). Pourtant, Jésus les ramène au pied de cette glorieuse montagne et guérit dans la foulée un garçon possédé par un démon (Mt 17.14-20). Jésus montre ainsi à ses disciples que, même s’il est bon de voir la gloire du Seigneur, il n’est pas suffisant de rester pour toujours dans cet état alors que le monde a besoin de guérison.

En cette période de carême, réfléchissons à la manière dont l’âme qui jeûne fait passer le croyant du désir à l’action inspirée par la prière. Lorsque nous jeûnons, nous entraînons notre âme à se concentrer sur son véritable désir : Dieu. Privée de ses idoles, l’âme à jeun aspire à Dieu. Faisant cependant face à l’immensité des besoins dans le monde, son premier recours est alors la prière. Comme le jeûne, la prière n’est pas destinée à attirer la louange des autres. « Gardez-vous d’accomplir vos devoirs religieux en public […] Sinon, vous ne recevrez pas de récompense de votre Père », dit Jésus (Mt 6.1).

Il demande à ses disciples de prier à l’écart et de manière ciblée, car Dieu sait déjà ce dont nous avons besoin avant même que nous le demandions (Mt 6.5-8). Il y a là une tension intéressante. D’une part, les humains ont besoin de mots pour prier, car sans mots, nous avons du mal à communiquer. Pourtant, en utilisant nos mots, nous pourrions faire l’erreur de penser que Dieu opère selon nos normes, le limitant aux concepts que véhiculent nos mots. Lorsque nous prions pour « le bien », par exemple, nous sommes limités à ce que le français et notre contexte met derrière ce mot. Un chrétien arabe qui prie pour le Ḥasan prie pour quelque chose de bon, d’excellent ou de favorable.

Cependant, Jésus nous dit que Dieu sait ce qui vaut mieux pour nous avant même que nous ne prononcions un mot. Dieu transcende les contraintes du langage humain. Dieu s’accommode des intentions exprimées par nos mots tout en se situant au-delà des concepts linguistiques limités contenus par ceux-ci. Notre compréhension de ce qui est « bon » ne peut contenir Dieu, qui est ineffable, au-delà de notre esprit humain. L’âme à jeun comprend cela parce que le croyant a abandonné ses idoles intellectuelles et est ouvert à une action de Dieu qui dépasse sa compréhension. Dieu est plus grand que notre conception limitée de la bonté. Et heureusement !

La pratique conjointe du jeûne et de la prière cultive l’aspiration de l’âme à communier avec Dieu et à rechercher son royaume par des actions tangibles dans ce monde. L’âme à jeun confesse : « Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Un tel jeûne éveille le désir de desserrer les liens de l’injustice, de briser le joug de l’oppression, de nourrir les affamés, d’ouvrir la porte aux sans-abri et de vêtir ceux qui sont nus. La prière qui naît d’une âme à jeun débouche souvent sur une action concrète. Ainsi, lorsque l’on demanda au rabbin Abraham Heschel revenant de la marche de Selma aux côtés de Martin Luther King Jr s’il avait trouvé le temps de prier, il répondit : « j’ai prié avec mes pieds ».

Assis dans mon appartement en cette fin de soirée de juin, j’écoutais les sons faiblissants de l’appel à la prière qui résonnaient dans la mosquée voisine, et j’avais faim. Je n’avais pas mangé de la journée. C’était le ramadan et je jeûnais avec mes amis musulmans en témoignage de ma foi chrétienne. Ayant jeûné pendant plusieurs jours, ne mangeant qu’avant le lever et après le coucher du soleil, je m’étais habitué à la sensation de faim physique.

Cependant, j’ai découvert une faim différente et plus profonde au cours de ce mois — une faim spirituelle pour que le Royaume de Dieu se manifeste dans ma vie et dans celle de ceux qui m’entourent. Je voulais voir l’Évangile à l’œuvre pour les pauvres et les opprimés : pour que l’homme avec sa charrette de réservoirs de carburant tirée par un âne soit libéré de sa pauvreté, pour que mes amis réfugiés trouvent un foyer sûr et permanent, et pour que la ville où je vivais soit florissante. J’aspirais à ce que l’univers atteigne l’harmonie que l’on trouve chez son Créateur.

Et bien que nous ayons mangé, j’ai fini la soirée affamé. Bien que nous ayons discuté jusque tard dans la nuit, je ne me sentais pas satisfait. Le jeûne a éveillé en moi un nouveau regard sur le monde, qui ne se contente pas de connaissances ou de gains matériels. Par mon jeûne durant ce ramadan, j’ai commencé à prendre conscience du saint mécontentement que l’on ressent face à un monde qui souffre et qui a besoin de personnes radicalement transformées par Dieu.

J’ai quitté la Jordanie depuis longtemps. J’ai une famille merveilleuse et un travail épanouissant et plein de sens. Je ne pourrais pas demander mieux. Pourtant, dans les moments calmes de la journée, je constate que mon âme aspire sans cesse à une forme de jeûne. En cette période de carême et de ramadan, puissions-nous jeûner pour éclaircir l’aspiration de notre âme à Dieu. Que cette clarté nous pousse à prier. Et que ces prières nous incitent à l’action.

Alexander Massad est professeur adjoint de religions mondiales au Wheaton College.

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Books

Attaque de Clapham : l’aide des églises britanniques aux migrants musulmans sur la sellette

Selon un pasteur évangélique, les témoignages de responsables religieux n’ont jamais été censés être le facteur décisif dans l’évaluation des demandes d’asile.

L’église baptiste de Weymouth a accueilli 40 demandeurs d’asile de la barge d’hébergement de migrants Bibby Stockholm.

L’église baptiste de Weymouth a accueilli 40 demandeurs d’asile de la barge d’hébergement de migrants Bibby Stockholm.

Christianity Today March 8, 2024
Finnbarr Webster/Getty Images

Une attaque au produit chimique ayant blessé une douzaine de personnes dans la banlieue de Clapham, au sud de Londres, a relancé, il y a un peu plus d’un mois, le débat national sur le système d’asile britannique et l’implication de l’Église auprès des migrants convertis.

L’auteur présumé de l’attaque, Abdul Ezedi, était un réfugié afghan arrivé illégalement en Grande-Bretagne en 2016. Après le rejet de ses deux premières demandes d’asile, il avait finalement obtenu ce droit en appel, alors même qu’il avait été condamné pour un délit sexuel en 2018.

Lors de son procès, il avait expliqué qu’il s’était converti de l’islam au christianisme et qu’il serait persécuté par les talibans s’il était renvoyé en Afghanistan. Un membre du clergé s’était porté garant de la sincérité de la foi d’Ezedi. Son plaidoyer avait convaincu le juge et Ezedi avait reçu le statut de réfugié.

Le tollé qui a suivi l’attaque de Clapham s’est amplifié à mesure qu’ont été révélés les détails de l’affaire et la sincérité de la conversion d’Ezedi a été sérieusement mise en doute. Entretemps, la police de Londres a affirmé avoir retrouvé son corps dans la Tamise, où il s’est probablement noyé.

Suella Braverman, membre du Parlement britannique, ancienne ministre de l’Intérieur (dont les responsabilités englobent les questions d’immigration), a déclaré à The Telegraph que « les églises du pays [facilitent] les fausses demandes d’asile à une échelle industrielle ».

Braverman affirme que, dans certaines églises, en tant que migrant, il suffit d’« assister à l’office une fois par semaine pendant quelques mois, de sympathiser avec le vicaire, d’inscrire sa date de baptême dans le registre paroissial et, bingo, un membre du clergé certifiera que vous êtes désormais un chrétien qui craint Dieu et qui risque d’être persécuté s’il est renvoyé dans son pays musulman d’origine ».

Selon les médias, la demande d’asile d’Ezedi avait été soutenue par une assemblée baptiste, mais la plupart des critiques qui ont suivi ont visé l’Église d’Angleterre. Matthew Firth, un ancien prêtre de cette l’Église, a déclaré à The Telegraph que si l’Église d’Angleterre n’avait pas commis « directement mal agi », elle avait néanmoins fait preuve de « naïveté » et avait souvent « fermé les yeux » sur des conversions douteuses de la part de demandeurs d’asile.

Les responsables de l’Église d’Angleterre ont contesté ces accusations et soutiennent qu’il n’appartient pas aux assemblées locales de déterminer qui peut prétendre ou non à l’asile. L’archevêque de Canterbury, Justin Welby, a déclaré début février que « c’est au gouvernement de protéger nos frontières et aux tribunaux de statuer sur les demandes d’asile. L’Église est appelée à aimer la miséricorde et à pratiquer la justice. »

Dans cette affaire, la plupart des déclarations de responsables ecclésiaux ont reflété la manière dont le clergé avait réagi à des controverses similaires dans le passé. Toutefois, certains éléments indiquent que l’Église pourrait bientôt modifier la manière dont elle soutient les demandeurs d’asile.

En effet, certains pasteurs, tout en affirmant leur devoir de soutien aux personnes vulnérables, ont admis qu’il était difficile de discerner si les convertis qui se préparent au baptême sont vraiment croyants. Dans ce sens, The Guardian rapporte que l’Église d’Angleterre est en train de réviser ses directives à l’intention du clergé à propos de son engagement envers les demandeurs d’asile. On ne sait actuellement pas encore de quels changements de directives spécifiques il s’agit.

D’autres communautés, en dehors de l’Église d’Angleterre, ont également fait l’objet d’une couverture médiatique intense après l’attentat de Clapham.

Plusieurs médias se sont penchés sur le ministère de l’église baptiste de Weymouth auprès des migrants musulmans qui vivaient sur la barge Bibby Stockholm. Ce bâtiment naval avait été affrété par le gouvernement britannique pour servir d’espace de vie à environ 500 demandeurs d’asile pendant le traitement de leur demande.

Selon un reportage de la BBC datant de début février, cette église baptiste travaillait avec 40 hommes, dont 6 avaient déjà été baptisés. Et d’après la déclaration, sur BBC Radio 4, de Dave Rees, un ancien de l’église, la présence d’un pasteur parlant le farsi avait renforcé l’engagement de l’église auprès des migrants.

L’église baptiste de Weymouth fait partie de l’Alliance évangélique du Royaume-Uni, un réseau d’églises et de croyants évangéliques dans le pays et membre fondateur de l’Alliance évangélique mondiale. Danny Webster, directeur du plaidoyer de l’organisation, estime que le discours ambiant a exagéré le rôle des églises dans l’obtention des demandes d’asile.

Il soutient que les témoignages de responsables d’église n’ont jamais été destinés à être le facteur décisif dans l’évaluation des demandes d’asile. Ils sont plutôt simplement considérés comme une meilleure preuve de foi authentique que les réponses des demandeurs d’asile aux questions triviales posées par les assistants sociaux du ministère de l’Intérieur, qui font parfois preuve d’un grand illettrisme religieux. (CT a par le passé évoqué quelques-unes de ces questions utilisées pour évaluer la foi des convertis chrétiens demandeurs d’asile au Royaume-Uni). Webster estime toutefois que l’attentat de Clapham pourrait conduire à certains ajustements.

« Je pense que les responsables d’église devront faire preuve de plus de discernement encore à l’avenir », dit-il. « Je pense qu'il serait judicieux d'établir des normes de base, c'est-à-dire de savoir depuis combien de temps cette personne fréquente l'église, quel a été son engagement – il s'agirait donc de critères plus factuels plutôt que [d'une opinion personnelle]. »

Malgré le risque élevé de critiques, Webster estime que les croyants devraient continuer à s’engager auprès des demandeurs d’asile : « Nous voulons que les églises partagent leur foi, nous voulons que les gens se fassent baptiser et, en fin de compte, ce n’est pas à nous de décider de la sincérité de quelqu’un. »

Sara Afshari, chargée de recherche au Oxford Centre for Mission Studies, encourage également les églises à continuer à soutenir les demandeurs d’asile et les autres migrants. Elle s’est convertie au christianisme en 1989, alors qu’elle vivait encore en Iran, son pays natal. Après son baptême, elle a été emprisonnée à plusieurs reprises en raison de sa foi.

Elle est ensuite venue au Royaume-Uni pour étudier la théologie et a trouvé une communauté de soutien au sein de l’Église d’Angleterre. Ses recherches doctorales à l’université d’Édimbourg ont porté sur la conversion au christianisme d’Iraniens d’origine musulmane. Elle affirme que « seul Dieu connait le cœur d’un converti ».

« Malheureusement, nous n’entendons parler que de ceux qui trahissent l’Église, et non de ceux qui soutiennent réellement sa croissance et l’enrichissent, ce qui est le cas de la majorité d’entre eux », nous dit Afshari. « Même en Iran, nous avons des exemples de personnes qui ont trahi l’Église, et ces trahisons ont coûté la vie à d’autres. Mais encore une fois, cela ne n’a pas empêché les dirigeants de l’Église iranienne d’accueillir [les nouveaux convertis]. »

Traduit par Anne Haumont

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Confusion, changements de cap, licenciements : que se passe-t-il à l’American Bible Society ?

L’organisation historique et généreusement dotée a connu deux années de turbulences : cinq directeurs généraux, des problèmes d’argent et un ralentissement de son action internationale. Elle est à la recherche d’un nouveau départ.

Le bâtiment new-yorkais de la Société biblique américaine en 1893, à gauche, et le siège actuel de Philadelphie, à droite.

Le bâtiment new-yorkais de la Société biblique américaine en 1893, à gauche, et le siège actuel de Philadelphie, à droite.

Christianity Today March 7, 2024
Wikimedia Commons, Google Street View/Edits by CT

La Société biblique américaine (ABS), vieille de 208 ans, avait une mission simple : imprimer et distribuer des bibles aux États-Unis. À son apogée en 1979, elle en distribuait 108 millions par an.

Une fois que les Américains ont eu accès à des bibles, le défi de l’ABS a été de faire en sorte que les gens les lisent. Au début des années 2000, l’organisation s’est orientée vers une mission de promotion de « l’interaction avec les Écritures ». Cet objectif n’est pas aussi aisé à quantifier que le nombre de bibles imprimées. Dans les années qui ont suivi, ceux qui gravitaient autour de l’organisation n’ont pas toujours été d’accord sur ce qu’il fallait faire avec les ressources héritées de cette grande organisation. Un nouveau musée de la Bible ? Une application biblique pour les militaires ? Un programme d’études sur la guérison des traumatismes par les Écritures ?

Et dans quelle mesure une organisation qui travaille en partenariat avec des sociétés bibliques du monde entier doit-elle se concentrer sur la partie « américaine » de sa mission ?

Cette crise d’identité au 21e siècle s’est accentuée au cours des deux dernières années avec cinq directeurs généraux successifs, des dizaines de millions de dollars de déficit financier et la perte d’un donateur important. Selon certaines sources, une trentaine d’employés ont été licenciés à la fin de l’année dernière, ce qui représente environ 20 % du personnel.

Au milieu de toutes ces questions, l’ABS modifie ses priorités. Mais il n’est pas évident de savoir si les désordres organisationnels sont à l’origine de ces décisions ou font partie des difficultés liées au changement de stratégie. Nous avons interrogé des employés de l’ABS, d’anciens membres du personnel, des donateurs et d’autres personnes engagées. Leurs analyses des causes des problèmes actuels varient.

L’enjeu est de taille, car l’ABS dispose d’un budget annuel d’environ 100 millions de dollars et d’une dotation de 600 millions de dollars, ce qui la place dans le premier pour cent des organisations chrétiennes recensées dans la base de données de Ministry Watch en termes d’actifs. Les sociétés bibliques du monde entier comptent sur son soutien. Au cours des deux dernières années de turbulences, le personnel et d’autres soutiens de l’ABS disent n’avoir pas eu une idée claire de qui dirigeait l’organisation.

Sur les cinq directeurs généraux que l’organisation a connus depuis 2022, deux étaient des membres du conseil d’administration qui assuraient l’intérim, une pratique inhabituelle. L’un d’entre eux, Jeff Brown, n’a tenu qu’un mois. Aucun des membres du conseil d’administration devenu directeur général n’est encore dans le conseil.

L’ABS « ne voulait pas s’occuper de ces questions », déclare Ellen Strohm, une directrice au sein de l’ABS qui a quitté son poste en janvier 2023 après 18 ans de service. Au cours de sa carrière, elle supervisait la collecte de fonds et la gestion de projets.

Elle estime qu’il existait une culture de la « pensée magique » selon laquelle tout allait s’améliorer sans que l’on s’attaque aux problèmes systémiques.

L’ABS aurait évolué vers un fonctionnement plus proche de celui d’une fondation, la supervision de subventions prenant au fil des ans le pas sur l’exercice direct d’un ministère. Selon Strohm et d’autres anciens employés, l’organisation n’a pas mis en place les systèmes nécessaires pour que cela fonctionne, ce qui a engendré des problèmes en cascade.

Aux États-Unis, l’organisation se concentre sur divers projets d’« interaction avec les Écritures » et touche chaque année des centaines de milliers de militaires par le biais de son ministère des services armés ; elle promeut son programme de recherche « State of the Bible » et gère à Philadelphie un nouveau musée sur la Bible dans la vie américaine, le Faith and Liberty Discovery Center.

Historiquement, l’organisation a financé des traductions de la Bible dans le monde entier, avec pour objectif de traduire la Bible dans toutes les langues vivantes d’ici à 2033. Ces dernières années, elle a concentré ses ressources sur son projet de promotion de soins post-traumatiques appuyés sur l’Écriture, afin d’aider les communautés religieuses à faire face aux traumatismes locaux.

Depuis le mois de février, la nouvelle directrice générale de l’ABS, Jennifer Holloran, première femme à occuper ce poste et ancienne directrice de Wycliffe Bible Translators USA, s’est trouvée confrontée à de nombreux défis […]. En août dernier, le cabinet de recrutement de cadres qui cherchait un directeur pour l’ABS indiquait rechercher quelqu’un capable de « mener une transformation organisationnelle ».

« Bien que les défis spécifiques auxquels l’ABS a été confronté ces dernières années se soient présentés avant que je ne prenne mes fonctions de directrice générale, je sais que le conseil d’administration et les principaux responsables ont fait de grands progrès pour recentrer l’organisation autour de sa vision et de sa mission historiques », a déclaré Holloran dans un communiqué qu’elle nous a adressé. Elle affirme que l’ABS « développera de nouveaux moyens pour soutenir les églises et les organisations partenaires dans la création d’opportunités pour tous les peuples de faire l’expérience du message transformateur de l’Écriture ».

Après les licenciements survenus à la fin de l’année dernière, le conseil d’administration a envoyé un courriel au personnel indiquant que le modèle de fonctionnement de l’ABS nécessitait un « changement fondamental » et que l’organisation gérerait « moins de programmes ministériels distincts et individuels, en particulier par elle-même. Nous nous concentrerons plutôt sur des programmes qui […] s’appuient sur nos forces en matière de partenariat, de rassemblement et de leadership éclairé. »

Il semble que l’ABS s’orientera davantage vers l’octroi de subventions, comme l’attribution de fonds pour des travaux de recherche sur la Bible à des groupes tels que Scriptura.

Dans une déclaration répondant à un certain nombre de nos questions, la présidente du conseil d’administration, Katherine Barnhart, a réaffirmé ce changement de stratégie.

« Depuis environ deux ans, le conseil d’administration de l’American Bible Society a stratégiquement aligné sa planification et son travail de manière à ce que l’ABS se concentre sur la recherche, l’encouragement et la promotion d’innovations en matière d’accès à la Bible et d’interaction avec elle », écrit-elle.

« Alors que nous allons de l’avant, l’ABS tire parti de ses principales forces — notamment le rassemblement de partenaires, la fourniture de ressources et le développement et le partage de connaissances — pour jouer un rôle important dans la création et l’extension de programmes qui peuvent à grande échelle pousser la culture américaine et le monde vers les Écritures. Ce recentrage signifie, en partie, que l’ABS gère aujourd’hui moins de programmes ministériels distincts et individuels, en particulier par elle-même. »

Les déclarations fiscales de l’organisation confirment qu’elle a évolué vers un fonctionnement plus proche de celui d’une fondation : ses effectifs ont diminué au fil des ans à mesure qu’elle passait de projets propres à l’octroi de subventions à des partenaires réalisant des projets de promotion de la Bible. Selon ses dernières déclarations fiscales publiques, la plus grande partie de son budget (environ 40 millions de dollars sur les 103 millions de dollars de dépenses pour l’exercice 2022) est consacrée aux subventions accordées à des organisations américaines et internationales. En 2013, elle n’accordait que 11 millions de dollars de subventions sur un budget de 92 millions de dollars.

La présidente du conseil d’administration, Katherine Barnhart, a une expérience dans le domaine des fondations, puisqu’elle a siégé au conseil d’administration de la National Christian Foundation (NCF), à laquelle elle et son mari ont fait don de leur entreprise familiale il y a plus de dix ans. Le vice-président de l’ABS, David Wills, a longtemps été président de la NCF.

Malgré cette évolution vers plus d’octrois de subventions, l’ABS consacre encore une part importante de son budget aux salaires et aux avantages sociaux — 28,8 millions de dollars pour l’exercice 2022.

Le conseil d’administration a également connu des changements depuis 2022. Seuls 10 des 19 membres du conseil d’administration de 2022 y siègent encore, mais les deux derniers présidents du conseil d’administration sont toujours là.

Au cours des deux dernières décennies, l’organisation a intentionnellement réduit le nombre de membres de son conseil d’administration : au début des années 1990, le conseil d’administration comptait 72 membres, puis 30 en 2013, lorsque les statuts ont été modifiés pour limiter le conseil d’administration à 18-24 membres. Il compte aujourd’hui 13 membres, selon le site internet de l’organisation.

La manière dont l’organisation a géré ces changements a nui au moral des troupes, selon de nombreux membres du personnel, anciens et actuels.

Au fil des ans, d’autres organisations chrétiennes à but non lucratif ont changé d’orientation et ont été victimes d’une « mort à petit feu » due à un manque de clarté de leur mission, à des membres du conseil d’administration qui ne remplissaient pas leur rôle, à une mauvaise culture d’entreprise, à l’absence de bons indicateurs et à des donateurs qui éloignaient l’organisation de sa mission, écrivent Peter Greer et Chris Horst dans Mission Drift.

Problèmes financiers et opérationnels

En 2019, Ellen Strohm s’occupait des dons importants à l’ABS. Elle se souvient d’avoir eu l’impression de faire une crise cardiaque à cause de la pression au travail. Elle s’est rendue à l’hôpital où elle a appris qu’elle souffrait d’un pneumothorax.

Cette année-là, l’organisation a découvert qu’elle avait dépassé son budget de 17 millions de dollars. Le dépassement n’avait pas été signalé plus tôt. Cela a entraîné un certain nombre de changements : le départ du directeur général de l’époque, Roy Peterson, des licenciements et une réévaluation des programmes de partenariat financés par l’organisation. L’organisation a pu couvrir le déficit en partie en puisant dans sa dotation, qui s’élève à plus de 600 millions de dollars. Il n’y a eu aucune preuve de mauvaises intentions de la part de l’ABS, qui a récemment fait l’objet de plusieurs audits.

Strohm estime que la réponse de l’organisation aux audits révélant des fonctionnements inadéquats « consistait à soigner l’organisation à la légère ».

Le manque à gagner de 17 millions de dollars semble lié à une confusion entre les organisations partenaires à l’étranger et l’ABS, selon des sources. Les partenaires dépensaient des budgets de projets que l’ABS n’avait pas encore financés.

L’ABS a été un partenaire financier solide pendant tant de décennies que les responsables du programme ont supposé que les budgets promis seraient respectés. Le fait que les partenaires de la société biblique aient des exercices financiers qui tombent à des dates différentes de celles de l’ABS aurait également contribué à la confusion.

Malgré ces défaillances systémiques, selon des membres du personnel actuels et passés, l’organisation a réduit ses programmes de surveillance de divers secteurs. En 2020, l’ABS a dissous Global Scripture Impact, l’unité interne de vérification qui évaluait les programmes financés par l’ABS. Elle a ensuite créé une nouvelle instance appelée « Reporting and Metrics », qui s’est également réduite au cours des années suivantes. Elle dispose désormais d’une nouvelle équipe, appelée « Ministry Insights », qui assure un suivi indépendant des programmes qu’elle soutient.

Les déficits ont été monnaie courante : les déclarations fiscales de l’ABS montrent qu’elle a engendré un déficit total de 56 millions de dollars entre les exercices 2016 et 2022, malgré un excédent de 9 millions en 2022. Selon son rapport de gestion, l’organisation a enregistré un déficit supplémentaire de 11 millions de dollars au cours de l’exercice 2023.

Malgré les déficits, l’ABS dispose encore d’une certaine marge de manœuvre financière avec sa dotation qu’elle avait augmenté de près de 300 millions de dollars en 2015 en vendant son siège de Manhattan et en déménageant à Philadelphie.

Perte d’un partenaire de traduction

Une autre série de problèmes est apparue en ce qui concerne les rapports sur les projets, l’organisation étant passée d’une large base de petits donateurs à une base plus restreinte de donateurs majeurs. En général, les petits dons sont dirigés vers les fonds généraux. Les grands donateurs souhaitent eux généralement que leur argent soit dépensé d’une certaine manière et veulent des rapports plus détaillés, ce qu’Ellen Strohm considère que l’ABS n’était pas en mesure de fournir.

Le passage des petits donateurs aux grands donateurs a « cassé les systèmes », nous explique-t-elle. Selon certaines sources, les donateurs américains ont également tendance à vouloir des indicateurs d’« impact », que les partenaires de l’organisation à l’étranger n’ont pas toujours mis en avant. Les partenaires de traduction à l’étranger pouvaient par exemple simplement envoyer un rapport trimestriel indiquant qu’ils avaient terminé la traduction du livre de Marc, ce qui n’est pas un rapport « standard » aux États-Unis.

Il n’existait pas de « système d’entreprise permettant de suivre les entrées et les sorties dollar par dollar », rapporte l’ancienne responsable des dons. « Lorsqu’il s’agit de relier un dollar d’un donateur à un projet, c’est là que les choses se compliquent et qu’il faut disposer de systèmes très performants. […] L’ABS n’avait qu’une très vague idée de la manière dont l’argent qu’ils recevaient ou donnaient était dépensé. »

En conséquence, elle a déclaré que l’organisation créait des stratégies « si larges que, quelle que soit l’action souhaitée par un donateur, il serait possible de l’y intégrer ».

L’un de ces principaux donateurs était l’organisation Every Tribe Every Nation (ETEN), qui, selon plusieurs sources, versait des millions à l’ABS, principalement pour des travaux de traduction de la Bible. Selon Strohm et d’autres sources, en 2018, l’organisation — dont Mart Green, de la famille Hobby Lobby, est un des les principaux bailleurs de fonds — a commencé à exiger davantage de rapports, faute de quoi elle réduirait son financement.

L’ETEN donnait à l’ABS environ 11 millions de dollars en 2019 et a commencé à diminuer ses dons en 2020, car les rapports ne s’amélioraient pas. Selon Strohm, un audit des fonds de l’ETEN a montré que le taux de conformité de l’ABS était inférieur à 40 %, ce qui signifie que moins de 40 % des fonds étaient utilisés conformément aux intentions des donateurs.

En 2022, l’ETEN a complètement cessé de financer les traductions et, plus tard dans l’année, a retiré tout son financement à l’ABS, ce qui, selon certaines sources, était au moins en partie dû à l’incapacité de l’ABS à fournir des rapports suffisants. L’ETEN a réorienté une partie des fonds vers l’United Bible Societies Association (UBS-A), selon des sources de l’ABS. L’UBS-A, ou en français Alliance biblique universelle, est le consortium des sociétés bibliques mondiales, dont beaucoup supervisent des projets de traduction.

Selon un rapport de fin d’année 2021 de l’UBS-A, « l’association a obtenu des niveaux croissants de financement de la part d’organisations ayant des objectifs similaires, telles que ETEN (Every Tribe Every Nation) et YouVersion ».

Pour l’ABS, ce retrait a contribué à aggraver les problèmes de budgétisation et a été l’un des principaux facteurs du déficit de 16 millions de dollars de l’exercice 2021, considère Strohm.

« Dans la communauté UBS, lorsqu’on lance un projet de traduction de la Bible, on s’y engage pour la durée », dit l’ex-directrice. « On présuppose que vous financerez l’ensemble du projet. L’ABS était entre le marteau et l’enclume. Il n’y avait pas d’argent pour poursuivre ses engagements, et le donateur souhaitait avoir des rapports plus précis. »

Coupes globales

Dans le passé, environ la moitié des subventions de l’ABS ont été accordées à l’étranger et l’autre moitié à des organisations aux États-Unis. Selon plusieurs sources, l’ABS a procédé à des coupes dans ses financements internationaux et a réorienté ses activités vers le contexte américain. Elle qui contribuait à hauteur de 40 % à un fonds destiné à compléter les budgets des sociétés bibliques mondiales aurait réduit sa contribution à 25 %.

Entre-temps, elle a investi des dizaines de millions dans le Faith and Liberty Discovery Center à Philadelphie, qui « explore la relation entre la foi et la liberté en Amérique, de sa fondation à aujourd’hui ». Une source relève que l’ABS reflète une tendance dans l’église américaine en général, où l’argent se concentre davantage sur le ministère domestique que sur le travail missionnaire mondial.

La Société biblique du Liban a lancé un programme d’accompagnement post-traumatique sur cinq ans avec le soutien de l’ABS en 2021. D’après Mike Bassous, directeur de longue date de la Société biblique du Liban, l’ABS s’est retirée du programme l’année dernière.

Bassous rapporte que la Société biblique du Liban était à peu près à mi-parcours du programme, ayant formé environ 300 enseignants bibliques. L’ABS leur permet toujours de collecter des fonds pour le programme auprès de grands donateurs américains par son intermédiaire, mais avec des « frais administratifs » de 28,5 % qui s’appliquent à tous les dons de grands donateurs pour les programmes d’accompagnement post-traumatique.

« Je parle l’anglais américain. Je peux comprendre l’Amérique des entreprises », dit Bassous. « Mais vous ne saviez pas à qui parler à l’ABS. […] Quelque chose ne va pas. »

En ce qui concerne les traductions bibliques à l’international, un donateur de l’ABS a reçu des messages contradictoires sur les projets de l’organisation. Un courriel reçu d’un membre du personnel de l’ABS à la fin de l’année dernière indiquait que l’organisation « se désengagerait des travaux de traduction d’ici le 1er décembre 2023 ». Puis, dans un communiqué de presse publié en janvier à propos de la nouvelle directrice générale, la présidente du conseil d’administration, Katherine Barnhart, déclarait : « Tout en continuant à soutenir le travail essentiel de traduction des Écritures, l’ABS doit également développer de nouveaux moyens pour rendre la Bible disponible. »

« Je suis un soutien de longue date, mais en tant que donateur, je suis dans le flou », dit Nick Athens, ancien membre du conseil d’administration de l’ABS et donateur.

Dans la déclaration qu’elle nous a transmise, Barnhart n’a pas répondu directement à nos questions concernant les changements en matière de traduction. Elle explique cependant ceci : « Lorsque notre recentrage affecte nos partenariats avec d’autres organisations, nous travaillons avec ces partenaires pour explorer d’autres sources de financement et de direction. Nous continuons à soutenir la traduction des Écritures en partenariat avec UBS, tout en nous engageant à nouveau à développer de nouveaux moyens pour rendre la parole de Dieu accessible à tous. »

Au sein de l’organisation, le personnel ne sait toujours pas si et comment l’organisation pense faire face aux récents événements. L’ABS avait commandé une enquête interne, menée par le cabinet d’avocats Simms Showers et communiquée au conseil d’administration l’année dernière, mais le personnel ne sait toujours pas quel était l’objet de l’enquête ni les recommandations qui en ont découlé.

Même la communication de base, disent-ils, a diminué ; le rapport annuel de gestion de l’organisation pour 2023 fait neuf pages, alors qu’il en faisait quatre fois plus les années précédentes.

Des espoirs de changement

Du point de vue d’Ellen Strohm, les problèmes sont systémiques et culturels. Ils ne peuvent être imputés à un seul responsable à quelque moment que ce soit.

« L’ABS a le don de vous briser le cœur », dit-elle. « Le personnel travaille généralement de bonne foi. […] Ils se sont débarrassés de presque tous les responsables depuis que je faisais partie de l’organisation, et les mêmes choses se sont poursuivies. »

Plusieurs sources déclarent qu’une plus grande ouverture de l’organisation pour discuter des problèmes — au lieu d’une culture de « mise en scène de la réussite », comme le formule l’une d’entre elles — aiderait à ramener l’organisation vers la santé.

Plusieurs personnes ont exprimé leur optimisme quant au choix de la nouvelle directrice générale, Jennifer Holloran.

« L’embauche de Jennifer Holloran est, à mon avis, un acompte bien nécessaire de la part de l’actuel conseil d’administration de l’ABS sur la dette qu’il a envers l’héritage de l’organisation, les donateurs, le personnel récent et actuel, et les amis soucieux de l’ABS », nous a déclaré J. David Schmidt, qui a conseillé en matière de stratégie les principaux responsables de l’ABS entre 2012 et 2022. « Son expérience chez Wycliffe et sa volonté de servir en cette période critique est un baume d’espérance dont nous avons grand besoin, surtout après les luttes de gouvernance de ces dernières années. »

Holloran aura la lourde tâche de superviser rien moins qu’un changement majeur dans l’identité de l’ABS. Dans son histoire de l’organisation, The Bible Cause, John Fea note que celle-ci s’est considérée pendant la plus grande partie de son histoire comme une « organisation de service » qui publiait des bibles et produisait des traductions des Écritures. L’ABS doit maintenant voir si elle peut trouver sa voie dans l’attribution de subventions plutôt que dans le service direct.

Eugene Habecker, directeur général de l’ABS de 1991 à 2005, a dit : « Le monde a besoin d’une ABS saine et fonctionnelle. »

Note de l’éditeur : Nicole Massie Martin, responsable de l’impact pour CT, qui a récemment fait partie de la direction de l’ABS, n’a pas été interrogée pour la rédaction de cet article.

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The Chosen tourne sa face vers Jérusalem

Annoncée en français pour Pâques, la saison 4 de la série sur Jésus prend un tour plus sérieux. Échos de la première en anglais à Los Angeles.

Jésus, joué par Jonathan Roumie, et ses disciples dans la saison 4 de The Chosen.

Jésus, joué par Jonathan Roumie, et ses disciples dans la saison 4 de The Chosen.

Christianity Today March 6, 2024
Fournie par The Chosen

À un moment de la saison 4 de The Chosen, Jésus (Jonathan Roumie) sort un instant. Quelques disciples se chamaillent pour une question insignifiante et Jésus se retrouve seul avec le Jacques « le petit » (Jordan Walker Ross) et Thaddée (Giavani Cairo), les deux premiers hommes à l’avoir suivi.

À ce stade de l’histoire, Jésus a été confronté à toutes sortes de défis. Il a reçu de très mauvaises nouvelles concernant son cousin Jean le Baptiste (David Amito) ; ses disciples se disputent pour des questions de statut ; leur mouvement attire des milliers d’adeptes, de critiques et de curieux grâce aux sermons et aux miracles accomplis par Jésus. Et à présent, ses opposants se transforment en véritables ennemis, les joutes verbales commençant à laisser place à la violence physique.

Au milieu de tout cela, Jésus s’assoit tranquillement avec Jacques et Thaddée et leur demande s’ils se souviennent de l’époque où ils n’étaient que tous les trois. « Vous arrive-t-il de regretter cette époque ? » demande-t-il.

Il est difficile de ne pas y voir une part d’autobiographie du créateur de la série, Dallas Jenkins, et de ses collaborateurs. À l’instar du christianisme naissant qu’il dépeint, The Chosen s’est développé à pas de géant depuis la mise en ligne des quatre premiers épisodes, juste à temps pour Pâques 2019.

Le premier grand pas avait été franchi au début de la pandémie de COVID-19, lorsque les producteurs ont mis la série à disposition gratuitement. Il devait s’agir d’une mesure temporaire destinée à aider les gens à surmonter les fermetures et l’isolement, mais les responsables de la série ont constaté que les dons de fans affluaient si rapidement qu’ils permettraient de maintenir la gratuité à long terme. (La série est désormais financée par les dons faits à la Come and See Foundation.)

Après avoir achevé la deuxième saison en 2021, les producteurs ont commencé à expérimenter des sorties en salles, en commençant par un épisode spécial de Noël cette année-là et en continuant avec la première de la saison 3 en 2022 et sa finale en février 2023. Au total, si l’on tient compte d’un autre épisode spécial de Noël sorti en décembre dernier, les sorties en salles de The Chosen ont jusqu’à présent engrangé environ 38 millions de dollars. En Amérique du Nord, certains épisodes ont rencontré plus de succès que certaines superproductions ou des films candidats aux Oscars sortis au même moment.

En cours de route, la série est devenue un grand succès sur Netflix, Amazon Prime et d’autres plateformes ayant acquis les droits de diffusion, [y compris en francophonie où la saison 3 a même fait l’objet d’une première en salle à Paris]. Les acteurs principaux de la série ont prêté leur célébrité — même restreinte à un public de niche — à des films chrétiens à succès comme Jesus Revolution et The Shift.

La saison 4 sera l’expérience la plus audacieuse de la série. Aux États-Unis, chaque épisode a été diffusé en salle : les trois premiers le 1er février, trois autres le 15 février et les deux derniers le 29 février. (Le premier volet aura duré environ 3 heures et 20 minutes — plus long que le récent Oppenheimer, mais plus court que Killers of the Flower Moon.) C’est la première fois qu’une saison entière d’une série télévisée est diffusée sur grand écran.

Mais malgré ce succès et le soutien des fans de la série, The Chosen a également connu des douleurs de croissance. Certains rebondissements, comme la rechute de Marie-Madeleine (Elizabeth Tabish) dans la saison 2, ont suscité la controverse. Une campagne publicitaire de « psychologie inversée » consistant à « vandaliser » des panneaux d’affichage représentant Jésus et ses disciples a provoqué bien des critiques. Chaque bande-annonce et chaque vidéo des coulisses ont été scrutées à la loupe pour y déceler des éléments douteux, qu’il s’agisse d’un drapeau LGBTQ porté sur le plateau par l’un des caméramans ou de la théologie sous-jacente à certaines lignes de dialogue extrabibliques.

Ainsi, lorsque Jésus et ses deux disciples regardent en arrière et s’émerveillent de l’ampleur prise par leur mouvement depuis ses humbles débuts, il est tentant de penser que les réalisateurs insèrent quelque chose de leur propre expérience dans la série.

Mais Jenkins, qui a déjà parlé par le passé des influences de la vie réelle sur sa série, déclare que toute ressemblance sur ce point est purement involontaire. Répondant à nos questions à la veille de la première de la série à Los Angeles, il estime que l’histoire portée à l’écran façonne le phénomène The Chosen et ses acteurs plus que ceux-ci ne la façonnent.

« Je crois que c’est moins nous qui imprégnons la série que la série qui nous imprègne. Je pense que nous finissons par essayer de vivre certaines des leçons que nous tirons de la série en racontant l’histoire. Ma femme dit toujours : “Nous ne sommes pas à l’abri des leçons de chaque saison”, et je pense donc que ce qui se passe dans la saison a un impact sur nous. »

« Il est possible que des éléments subconscients entrent en ligne de compte », ajoute-t-il, « mais nous ne nous sommes pas dit : “Oh, comme le ministère de Jésus s’est développé de manière exponentielle, la série progresse aussi, alors parlons-en de cette manière.” Je pense que c’est un peu le fruit du hasard. »

Noah James, qui joue le disciple André, semble plus ouvert à l’idée que l’art puisse refléter la vie dans ce cas. « Nous n’avions aucune idée de la direction que prendrait cette série », nous explique-t-il. « Nous espérions, mais même dans nos rêves les plus fous, nous ne pensions pas que nous serions ici, à vous parler aujourd’hui, de la sortie de la saison 4 dans des salles de cinéma. Ce n’était même pas envisagé. »

« Et je pense que de la même manière, dans la série, nous, les disciples, faisons de notre mieux pour en somme garder le toit sur la maison. Nous ne savons pas où cela va, mais cela devient très, très effrayant, en particulier dans cette saison, parce qu’à mesure que le mouvement prend de l’ampleur, il attire l’attention — parfois une attention non désirée — et vous voyez les disciples lutter pour y faire face. »

La saison 4 marque un tournant important pour la série. Jenkins a annoncé depuis un certain temps que la série durerait sept saisons. Nous en sommes donc au point médian, la partie où certains puissants moments des saisons précédentes — la nourriture distribuée à 5 000 personnes ou Jésus marchant sur l’eau — cèdent la place à un sentiment croissant que les choses pourraient très mal tourner pour Jésus et ses disciples.

Avec cette tournure plus sombre et inquiétante de l’histoire, la série plonge plus profondément dans les émotions de ses personnages — des émotions qui résonnent d’autant plus que les téléspectateurs ont maintenant passé près de cinq ans à apprendre à connaître ces hommes et ces femmes. Et l’un des personnages les plus profondément touchés, bien sûr, est Jésus lui-même.

L’un des choix les plus audacieux de The Chosen est la façon dont la série se penche sur l’humanité de Jésus, inventant page après page pour lui des dialogues sans source claire dans les Évangiles, tout en affirmant sa divinité.

D’une part, le Jésus de cette série évoque comme avec désinvolture le fait que la création du monde est « un de ses souvenirs préférés ». Mais la série le dépeint également comme une personne ordinaire avec une vie intérieure semblable à la nôtre. Il peut se montrer très vulnérable et a parfois besoin de prendre le temps de digérer ce qu’il vit.

L’un des épisodes de cette saison commence par le réveil de Jésus après un rêve et, pendant un instant, le spectateur a l’impression d’avoir un aperçu de ce qu’il se passe dans sa tête. À un autre moment, alors qu’il contemple les souffrances à venir, Jésus prend appui sur quelqu’un pour trouver un soutien — et la personne vers laquelle il se tourne n’est pas celle à laquelle on pourrait s’attendre. Et lorsque The Chosen nous conduit au tombeau de Lazare et au célèbre très court verset qui nous dit que « Jésus pleura » (Jn 11.35), le Jésus de la série ne se contente pas de verser une ou deux larmes dignes. Il tombe à genoux et se met à sangloter.

Jenkins admet qu’il s’engage dans des « eaux dangereuses » en plaçant le public « dans la tête de Jésus », « parce que comment pourriez-vous le faire pleinement ? »

Mais il soutient que cela fait partie d’une saine exploration de ce que signifie pour le divin de devenir humain, et pour le Créateur de devenir Emmanuel, « Dieu avec nous » (Mt 1.23). « Ce n’était pas Dieu au-dessus de nous pendant qu’il était ici », dit Jenkins. « Il était avec nous. Il a habité parmi nous. Il a dansé avec ses amis lors de mariages, il a certainement eu des rêves, et il a été triste. Nous le voyons triste dans les Écritures, et je pense qu’il est intéressant d’explorer les raisons de cette tristesse. »

Jonathan Roumie — qui avait d’abord joué Jésus dans des courts métrages réalisés par Jenkins avant qu’ils ne travaillent ensemble sur The Chosen — nous explique qu’il était important de montrer Jésus faisant l’expérience de toutes ces choses parce que c’est la pleine humanité de Jésus qui nous relie à lui et nous permet de nous identifier à lui et de prendre conscience de sa capacité de compatir à notre égard (Hé 4.14-16).

« Il sait exactement ce que c’est que d’être humain, parce qu’il a été pleinement humain », rappelle-t-il. « Il passait donc par toutes les choses que les humains traversent : les rêves, les rires, les pleurs, la douleur, la frustration, la colère — une juste colère, dans son cas, évidemment. Vous voyez, la frustration face aux gens qui ne le prennent pas au mot, qui ne le croient pas et qui ne l’entendent pas. Il a dû rêver. Il a dû faire toutes ces choses que nous faisons. »

La question de savoir dans quelle mesure Jésus connaissait l’avenir lors de son séjour sur terre est un débat de longue date, mais la question revêt une acuité particulière dans The Chosen, car certains rebondissements de l’intrigue mettent à rude épreuve les relations entre ceux qui accompagnent Jésus. Le Jésus de cette série sait-il que ces choses vont se produire ?

« Il y aura beaucoup de questions à ce sujet », admet Jenkins, qui ajoute que lui et Roumie ont laissé la place à une certaine « beauté du mélange » lorsqu’ils ont décidé combien de fois Dieu le Père « a accordé à Jésus la connaissance de certaines choses ».

« En fait », explique-t-il en se référant à Matthieu 24.36, « Jésus a dit qu’i l y a des choses que le Père sait et que lui ne sait pas. Nous sommes donc à l’aise dans cette tension. »

Pourtant, aussi sérieuse que soit cette saison, elle offre aussi beaucoup de joie, et l’on sent à certains moments le plaisir qu’y prennent les acteurs. Cela n’est peut-être nulle part plus évident que dans une scène où certains des disciples jouent eux-mêmes des acteurs, mettant en scène pour les autres disciples les événements célébrés chaque année à Hanoucca.

Jenkins estime que la légèreté de scènes comme celle-ci, qui pourraient ne pas sembler essentielles à l’objectif de la série, aide à préparer le terrain pour d’autres choses plus sérieuses.

« Nous aimons montrer ces moments plus personnels, ces moments d’humanité, ces moments amusants qui, à bien des égards, ont quelque chose du calme avant la tempête. » « Notre idée est que lorsque vous connaissez un peu plus Jésus, que vous connaissez davantage ces personnes et que vous passez du temps avec elles, même dans des moments plus légers qui n’ont pas grand-chose à voir avec leur ministère, alors lorsqu’elles font effectivement l’expérience de grandes choses, cela a d’autant plus d’impact. »

Quelle sera la suite ?

Trois saisons supplémentaires, pour commencer. Les Évangiles ne disent pas exactement combien de temps a duré le ministère terrestre de Jésus, mais on considère traditionnellement qu’il a duré environ trois ans. The Chosen a déjà duré deux ans de plus. « Nous faisons une course contre la montre pour nous assurer que nos acteurs n’aient pas l’air d’avoir vieilli de dix ans », plaisante le producteur Chris Juen.

Jenkins évoque la possibilité de réaliser un film au cinéma pendant l’une des futures saisons de The Chosen, au lieu de se contenter de rassembler des épisodes existants pour le grand écran. Jenkins et le président de la production de la série, Mark Sourian, ont tous deux mentionné la possibilité de raconter d’autres histoires se déroulant dans « l’univers de The Chosen ».

Pour l’instant, il ne s’agit que d’idées, et il est trop tôt pour dire où celles-ci pourraient mener. Mais l’avenir ouvert de la série rappelle une autre scène de la saison 4, dans laquelle Jacques « le petit » réfléchit à tout ce qui s’est passé.

« Aucun d’entre nous n’aurait pu imaginer où tout cela allait nous mener », dit-il à Marie-Madeleine.

« Nous ne le pouvons toujours pas », répond-elle.

Peter T. Chattaway est un critique de cinéma qui s’intéresse particulièrement aux films en lien avec la Bible. Il vit avec sa famille à Abbotsford, en Colombie-Britannique, au Canada.

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Christianity Today March 6, 2024
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Lors d’une rare session conjointe au château de Versailles, les législateurs français ont voté par 780 voix contre 72 l’inscription de l’accès à l’avortement dans la Constitution, faisant de leur pays le premier au monde à se doter d’une telle disposition.

Bien que l’avortement soit déjà légal en France, le Parlement réagissait ainsi à l’annulation par la Cour suprême des États-Unis de l’arrêt Roe v. Wade en 2022, ainsi qu’au virage conservateur pris par divers pays à travers le monde. Le gouvernement français a voulu consolider les lois existantes en prévision d’une éventuelle victoire de l’extrême droite lors des prochaines élections présidentielles en France en 2027, même si aucun parti politique ne prône ouvertement la fin de l’avortement.

Le vote a largement dépassé le seuil des trois cinquièmes des sénateurs et députés nécessaire pour modifier la Constitution, qui stipule désormais que la liberté d’avorter est « garantie » en France. Si de nombreuses voix se sont réjouies de cette décision, des voix pro-vie s’expriment aussi, notamment issues du catholicisme et de la petite minorité évangélique du pays (qui représente environ 1 % de la population). Un groupe d’environ 2 500 manifestants, ralliés par les organisateurs de la Marche pour la Vie, proche des milieux catholiques, s’était rassemblé à Versailles lundi, alors que les députés arrivaient pour le vote.

« Je pense qu’il est très important de constater que de nombreux Français ne sont pas d’accord avec l’inscription de l’avortement dans la Constitution », déclarait Nicolas Tardy-Joubert, président de Marche pour la Vie. « Cette [manifestation] est essentielle pour montrer qu’il existe une autre façon d’envisager la vie publique dans notre pays. […] Nous devons protéger la vie, et pas introduire dans notre constitution une liberté garantie de pouvoir tuer quelqu’un. »

Il souligne cependant que, si cette journée a été marquée par la tristesse, « elle devrait également être porteuse d’espoir, parce que nous devons réveiller les consciences et soigner les blessures […] Il s’agit d’un processus à long terme. »

Dans son discours prononcé avant le vote historique, le Premier ministre Gabriel Attal a salué l’ajout à la Constitution comme une deuxième victoire pour Simone Veil, survivante de l’Holocauste et ministre française de la Santé qui avait défendu la loi de 1975 légalisant l’avortement en France, connue sous le nom de « loi Veil ».

Cependant, comme le rappelle la déclaration du Conseil national des évangéliques de France (CNEF), la loi Veil considérait l’avortement comme un dernier recours : « L’exception devait être le principe. La situation de détresse, le critère. » Le CNEF souligne que, pour Simone Veil, l’avortement devrait garder son « “caractère d’exception” […] afin d’éviter que la société ne “paraisse l’encourager” », mais le dissuade plutôt.

Mais aujourd’hui, note la déclaration, « [l]a liberté garantie devient le principe. La situation de détresse a été évacuée de la loi. »

Le Comité protestant évangélique pour la dignité humaine (CPDH) estime lui aussi que cette mesure fait apparaître l’avortement comme la solution privilégiée par le gouvernement pour les femmes confrontées à des grossesses non désirées.

« Cet isolement face à la décision d’une IVG est une forme d’abandon des autorités publiques, face au désarroi que peut connaître une femme dans un moment délicat de sa vie, sans lui fournir d’autre alternative que de mettre fin à la vie qu’elle porte en elle. », déclare l’instance dans un communiqué. « La liberté qu’on lui offre est aussi le soutien dont on la prive. »

Le CPDH note également que le vote de lundi, par lequel « l’interruption volontaire de vie deviendra sûrement une des valeurs de la République » constituera « [u]ne avancée politique pour le Président Macron — et il s’en félicite naturellement — mais aussi un vrai recul éthique. »

Marjorie Legendre, pasteure, professeure d’éthique et de spiritualité à la Faculté Libre de Théologie évangélique de Vaux-sur-Seine et membre de la Commission d’éthique protestante évangélique (CEPE), estime que l’inclusion de l’avortement dans la Constitution est un signal d’alarme pour les évangéliques français. Au lieu de s’opposer uniquement à l’avortement en privé, ils en parlent désormais plus ouvertement dans l’Église et dans la société.

Il est assez courant que le gouvernement organise des tournées d’écoute et invite le public à participer et à débattre lorsqu’il s’agit de grandes questions, mais tel n’a pas été le cas avec la décision de constitutionnaliser l’avortement. Erwan Cloarec, président du CNEF, rapporte que, bien que le gouvernement organise des rencontres avec son organisation et d’autres groupes religieux sur d’autres sujets, il ne les a pas invités à s’exprimer sur celui-ci. À sa connaissance, le gouvernement n’a même pas entendu l’Église catholique, qui a toujours un poids historique en France. Malgré cela, « c’est notre devoir de dire ce que nous croyons ».

Marjorie Legendre, s’exprimant à titre personnel et non en tant que représentante d’une institution, attire l’attention sur la manière dont le gouvernement privilégie le droit de choisir de la femme par rapport aux droits de l’enfant.

« J’ai l’impression qu’on met tellement en avant le droit des femmes qu’on oublie le droit de l’enfant à naître. Mais qui est le plus faible dans l’histoire ? Le chrétien est appelé à prendre la défense du plus faible. Je ne dis pas qu’il faut opposer le droit de la femme, qui peut elle aussi être en situation de fragilité, et le droit de l’enfant à naître, mais là il y a une disproportion au profit uniquement du droit de la femme. »

Si l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution n’entraîne pas de changements immédiats dans la pratique, puisque des lois protégeant l’avortement sont déjà en place, certains évangéliques craignent qu’elle n’ait une incidence sur d’autres formes de liberté. Par exemple, le CNEF déclare : « les protestants évangéliques de France appellent le gouvernement à veiller à offrir aux femmes qui le souhaiteraient la liberté et les moyens de garder ou de confier leur enfant. »

Certains craignent également que le changement constitutionnel n’empiète sur le droit des professionnels de la santé de ne pas pratiquer des procédures qui vont à l’encontre de leur conscience. Marjorie Legendre ne pense pas que la clause de conscience soit juridiquement menacée. Elle fait partie de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Mais elle craint que, dans la pratique, les médecins ou les infirmières ne subissent des pressions pour pratiquer des avortements, ce qui affaiblirait en fin de compte la clause de liberté de conscience.

Si les chrétiens occidentaux peuvent considérer ce qui se passe en France comme une mise en garde, Erwan Cloarec observe qu’il est essentiel de prendre en compte les contextes culturels et historiques distincts de chaque pays.

« Notre posture c’est d’essayer d’être constructifs et d’être crédibles, de dialoguer avec les autorités du pays sans être dans une démarche de confrontation, conscients de vivre dans un contexte sécularisé, mais sans renoncer pour autant à dire ce que nous croyons », explique-t-il. En fin de compte, « nous souhaitons être l’Église de Jésus Christ. C’est-à-dire aimants, accueillants pour tous. »

Pour la suite, Luc Olekhnovitch, président du CEPE et pasteur depuis 30 ans, se réjouit que le CNEF ait publié un communiqué de presse afin qu’il y ait une réaction publique. Au-delà, les églises ont du pain sur la planche. « La bataille culturelle est perdue sur cette question », déclare-t-il. « En revanche, il ne faut pas abandonner la bataille culturelle dans les églises, la bataille de respecter la vie de la conception jusqu’à la mort. »

Selon Nicolas Tardy-Joubert, de la Marche pour la Vie, il est encore possible d’empêcher des avortements. Il relève que, selon une étude réalisée en 2020 par le groupe pro-vie Alliance Vita, 88 % des Français seraient intéressés à mieux comprendre les causes et les conséquences de l’avortement, dont le nombre s’élève à environ 200 000 par an dans le pays.

« Nous pensons donc que les députés et les sénateurs devraient s’impliquer dans des recherches pour mieux comprendre pourquoi nous avons autant d’avortements et quelles en sont les conséquences en termes de santé publique, de démographie et d’économie », souligne-t-il. « L’objectif de réduire de moitié les avortements en France, par exemple, est atteignable si nous sommes prêts à mettre en place les politiques nécessaires. »

De telles initiatives pourraient être accueillies favorablement même par ceux qui n’ont pas de raisons éthiques de souhaiter une baisse du nombre d’avortements. Comme de nombreuses régions du monde, la France est confrontée à une baisse rapide de la natalité qui aura des répercussions sur la main-d’œuvre du pays et pèsera sur son système de protection sociale : en 2023, le nombre de naissances dans le pays a été le plus bas depuis 1946.

Marjorie Legendre estime que les églises ont un rôle à jouer dans la lutte contre une « culture de la mort » en s’exprimant de manière prophétique en faveur d’une « culture de la vie ». Selon elle, cela se fera « dans l’enseignement des jeunes, dans l’enseignement des adultes qui ont des parents vieillissants, etc. Il y a de la marge de manœuvre dans nos communautés à ce niveau-là. Et, en ce sens nous pouvons être des modèles et des témoins au sein de la société de la “culture de la vie”. »

Elle ajoute : « Nous avons toutes les raisons d’avoir une “culture de la vie” : nous adorons le Dieu vivant, le Dieu de la vie, le Christ ressuscité ! Nous avons toutes les raisons de célébrer la vie, de savourer la vie, de respecter la vie : à nous d’être des modèles et des témoins de la vie, du commencement à son terme. »

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D’une même pensée, mais pas la mienne

Qui se ressemble s’assemble. En tant que chrétiens, nous devrions nous assurer que c’est autour de Christ.

Christianity Today March 5, 2024
Illustration de Mallory Rentsch Tlapek/Images sources : Unsplash

Propreté est sœur de sainteté.

Pardonne et oublie.

J’ai grandi au Texas dans une ville rurale conservatrice à majorité évangélique. Il m’est arrivé de rechercher dans ma bible certains proverbes utilisés couramment dans mon entourage. Je ne les ai pas trouvés. Petit à petit, je me suis rendu compte que la vie pouvait être plus compliquée que ce qu’en disent les dictons. Pourtant, je me surprends encore parfois à m’accrocher à un proverbe lapidaire avec l’ardeur spirituelle qui devrait être réservée aux seuls versets de la Bible.

Cela aussi passera.

Les voies de Dieu sont impénétrables.

À l’âge de neuf ans, je me suis avancée vers l’autel de mon église baptiste pour accepter Jésus-Christ comme mon Sauveur et Seigneur et je n’ai plus jamais regardé en arrière. J’ai été active dans Girls in Action, un groupe de filles chrétiennes engagées. J’ai participé aux grands quizz bibliques du « Bible Bowl » et ai été membre du groupe de jeunes de l’église charismatique de ma meilleure amie. J’ai fréquenté l’Université Baylor, une université chrétienne. Où que j’aille, j’étais toujours entourée de gens qui me ressemblaient, qui parlaient comme moi, qui pensaient comme moi et qui louaient Dieu comme moi.

Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es.

Qui se ressemble s’assemble.

J’ai supposé que cet entre-soi relevait d’une forme de prescription biblique. La Bible ne nous exhorte-t-elle pas à ne pas abandonner notre assemblée (Hé 10.25), accordant une grande importance au « vivre ensemble » de personnes partageant les mêmes idées ? Vivre dans un monde aussi homogène semblait être l’ordre naturel des choses. Je ne voyais pas encore l’envers du décor : le risque de s’abandonner à l’idolâtrie de sa propre réflexion, confondant ce qui est familier avec ce qui est bon et ce qui est pratique courante avec ce qui est juste.

Ma réflexion s’est depuis approfondie. Maintenant que mon aînée est adolescente, je vois l’intérêt de l’encourager à fréquenter des amis qui partagent nos valeurs ou notre foi. Il n’y a pas de garantie en matière d’éducation, mais les fréquentations des enfants, surtout à un âge aussi crucial, façonnent de manière durable ce qu’ils deviendront. Pourtant, dans son collège, qui est un établissement public important, je perçois aussi les dessous obscurs de ces regroupements. L’envie tout à fait normale que l’on a de se retrouver avec des amis partageant les mêmes idées mène généralement à un tri qui se fait selon des critères sociaux, raciaux, culturels et de socio-économiques. Bien sûr, il y a des exceptions, mais, dans les écoles américaines, l’auto-discrimination est la norme.

La tendance à l’entre-soi que l’on a en tant qu’enfant ou adolescent devient problématique si, à l’âge adulte, nous n’« abandonnons pas tout ce qui est propre à l’enfant » (1 Co 13.11, NFC), si nous vivons dans une homogénéité superficielle au lieu de vivre la réconciliation en Christ (Ep 2.11-22) ou, pire encore, si nous confondons le tri que nous faisons autour de nous avec la volonté de Dieu.

Ces égarements sont tentants. Les critères de polarisation sont omniprésents autour de nous : gauche versus droite, ville versus campagne, croyants versus non-croyants, nous contre eux. Les algorithmes nous fournissent les nouvelles que nous désirons entendre, nous rassurant virtuellement quant à notre bon droit. Tout devient politique et ce sont à présent des gouffres qui nous séparent, à tel point que « la plupart des démocrates et des républicains vivent à des niveaux de ségrégation partisane qui dépassent ce que les spécialistes de la ségrégation raciale considèrent comme “ségrégation forte” ». Même les hommes et les femmes s’éloignent les uns des autres. Quel que soit le niveau, de notre nation à nos quartiers, de nos églises à nos foyers, nous pratiquons la discrimination.

Qui se ressemble s’assemble se vérifie souvent dans la pratique. L’assurance que rien ne cloche fournie par ces vies construites avec des amis partageant les mêmes idées que nous peut être tellement rassurante ! Mais en tant que chrétiens, ces entre-soi devraient titiller notre conscience. Dans quel terreau nos communautés s’enracinent-elles ?

Il y a quelques semaines, mon pasteur m’a prise au dépourvu dans son analyse d’un passage de la Bible que j’avais toujours compris de travers. Il s’agissait de Philippiens 2, où Paul exhorte les chrétiens à « une unité de pensée », ayant « un même amour, un même cœur » que le Christ (v. 2) et une attitude « identique à celle de Jésus-Christ » (v 5). Selon mon pasteur, ces versets sont souvent mal interprétés.

Lorsque la plupart d’entre nous entendent l’expression « unité de pensée », nous pensons à des personnes qui partagent les mêmes idées que nous. Mais ce n’est certainement pas ce que Paul vise dans ce contexte. Il nous appelle à conformer ensemble notre esprit à celui de Christ.

La première manière de comprendre ce passage centre nos vies et nos relations sur nous-mêmes, nos idées préconçues et nos biais individuels. La seconde nous centre sur Jésus. La première mène à une nouvelle idolâtrie — non pas celle du veau d’or, mais celle de notre propre égo hissé sur l’autel. La seconde nous conduit au « culte raisonnable » de Romains 12.

Il ne faut pas nous y tromper : construire une communauté centrée sur soi ne correspond pas à l’appel de notre Sauveur. Le christianisme est une religion monothéiste, mais nous n’avons jamais été censés constituer une communauté monolithique. Comme le souligne Allen Hilton dans A House United, l’Église primitive transcendait les clivages de classe, d’ethnie et de religion. Dans Romains 16, écrit-il, « Paul brosse un portrait de famille étrange et merveilleux, avec des aristocrates et des artisans, des commerçants et des esclaves, des hommes et des femmes, des Grecs et des barbares, tous adorant ensemble ».

À cet égard, les chrétiens étaient uniques dans l’Empire romain. L’Église primitive attirait des personnes de diverses origines et celles-ci se réunissaient les unes chez les autres, s’émerveillant toutes de ce que Dieu accomplissait parmi elles alors qu’elles se consacraient à recevoir l’enseignement des apôtres et prenaient soin les unes des autres (Ac 2.42-47). Aujourd’hui, nous sommes souvent loin de cette réalité. Nos communautés se transforment en rassemblements de personnes partageant les mêmes idées et ce de la pire manière qui soit : nous sommes moins unis par un amour commun que par un ennemi commun.

Nous pourrions vouloir rejeter la responsabilité de ce dysfonctionnement sur nos dirigeants politiques ou religieux ou sur la « société ». Mais comme l’écrit Michael Wear dans The Spirit of Our Politics, l’air du temps est le reflet de nos propres cœurs : « Nombre de nos problèmes politiques les plus profonds reflètent la manière dont nos institutions politiques répondent aux habitudes de cœur qui se situent, fondamentalement, au niveau de l’individu. »

Peut-être pensons-nous que nos mains ne sont pas souillées par la politique politicienne, mais combien de fois, dans nos vies ordinaires, choisissons-nous l’hostilité plutôt que l’hospitalité ou le mépris plutôt que la curiosité ? Se sentir juste et puissant est délicieusement enivrant. Je le sais par expérience. C’est pourtant le fruit mûr d’un mauvais arbre, et nous nous en sommes gavés jusqu’à en être malades.

S’il est une chose sur laquelle les Américains s’accordent à l’approche des élections de 2024, c’est sur un sentiment commun d’effroi. Peu d’Américains souhaitent un nouveau match entre le président Joe Biden et l’ancien président Donald Trump. Mais cette crainte ne concerne pas seulement le pénible spectacle politique que nous allons endurer pendant des mois. Il s’agit également d’angoisses plus profondes : comment éviter que des relations déjà fragiles ne soient sacrifiées sur l’autel de la politique ? Comment résister à la tentation des controverses à tout propos ? Sommes-nous en train de semer pour nos enfants les germes d’une guerre civile ?

En tant que disciples de Jésus, nous avons réponse à cela — si seulement nous pouvions nous le rappeler. Rappeler : le verbe évoque l’idée d’un souvenir, mais aussi celle d’un rassemblement, d’un retour, à l’opposé de nos présentes divisions. L’Église a besoin de vivre les deux aspects de ce verbe.

Il est nécessaire de nous rappeler au Dieu éternel en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être (Ac 17.28), en cherchant chaque jour davantage à rapprocher notre pensée de la sienne. Nous devons aussi reconnaître les manières dont nous — en tant que chrétiens — avons contribué aux divisions de notre société. Plus d’une fois, nous avons succombé aux tentations auxquelles Jésus a résisté dans le désert en suivant notre désir d’apparaître malins, puissants et impressionnants, quel qu’en soit le prix.

En nous repentant de notre rôle dans les divisions, il nous faut assumer notre rôle dans la restauration en utilisant « les vieux décombres des vies passées pour construire à nouveau ». Et nous deviendrons de « ceux qui peuvent réparer n’importe quoi, restaurer les vieilles ruines, reconstruire et rénover, rendre la communauté habitable à nouveau » (Es 58.12, d’après The Message).

Essayer de changer la trajectoire d’une nation peut sembler aussi futile que d’essayer de réorienter un astéroïde. Mais nous pouvons assurément corriger le cours de notre propre vie. Vivre dans le même esprit que le Christ nous conduit à embrasser la condition de serviteur. Cela nous rend humbles et nous libère de notre vanité et de toute ambition égoïste. Cela nous pousse à nous soucier de l’autre, recherchant « la paix et la prospérité » des villes dans lesquelles nous nous sentons peut-être exilés (Ph 2 ; Jr 29.7).

Notre Seigneur qui se réjouit du « jour des petits commencements » (Za 4.10) ne méprise pas nos tâtonnements. Et nous ne devrions pas le faire non plus. En ce temps de carême, dans un monde qui semble parfois tomber en cendres entre nos mains, le temps du repentir est peut-être arrivé.

Carrie McKean est une autrice basée dans l’ouest du Texas dont les écrits ont été publiés dans le New York Times, The Atlantic et Texas Monthly Magazine. Vous pouvez la retrouver sur le site carriemckean.com.

Traduit par Anne Haumont

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Books

Onze missionnaires décédés et huit blessés dans un accident en Tanzanie : JEM se mobilise.

Darlene Cunningham : « Nous n’avons jamais connu une tragédie d’une telle ampleur dans toute l’histoire de JEM […] Leur mort crée […] un vide énorme. »

Un accident impliquant quatre véhicules s’est produit dans la banlieue de Ngaramtoni à Arusha, au nord de la Tanzanie, le 24 février 2024.

Un accident impliquant quatre véhicules s’est produit dans la banlieue de Ngaramtoni à Arusha, au nord de la Tanzanie, le 24 février 2024.

Christianity Today March 5, 2024
Capture d’écran vidéo/Wasafi Media/YouTube/RNS

Quelques jours après l’accident de bus qui a coûté la vie à 11 de leurs missionnaires en Afrique de l’Est, les responsables de Jeunesse en Mission (JEM) sont « dévastés », mais font appel à la prière et au soutien pour les évacuations sanitaires, les rapatriements et les funérailles, dont le coût total est estimé à près de 350 000 dollars.

Les missionnaires chrétiens, dont sept étaient originaires d’autres pays, ont trouvé la mort dans la région de Ngaramtoni, près de la ville d’Arusha, dans le nord de la Tanzanie.

Les autorités affirment qu’un camion de chantier a percuté l’un des deux minibus transportant les missionnaires. Les participants à un cours « Executive Masters in Leadership » revenaient d’une excursion en terre massaï lorsque le camion a perdu ses freins et a percuté le bus.

« Nous n’avons jamais connu une tragédie d’une telle ampleur dans toute l’histoire de JEM et nous sommes tous dévastés », a déclaré Darlene Cunningham, cofondatrice de JEM, dans une lettre datée du 26 février. Elle développe ainsi :

Les personnes impliquées dans la gestion des Executive Masters étaient des leaders clés de JEM dans la région — certains à la tête de bases JEM florissantes, d’autres exerçant un leadership dans le domaine de l’éducation et dans d’autres sphères, d’autres encore exerçant leur ministère dans des endroits d’accès restreint où personne d’autre n’oserait aller. Ils voyaient la main de Dieu sur leurs ministères de manière étonnante. Les étudiants attirés par les Executive Masters étaient de la même trempe — des pionniers missionnaires de JEM engagés à vie. Leur mort crée donc un vide énorme dans cette partie du monde pour JEM en tant que mouvement missionnaire.

Mercredi 28 février, les membres de l’organisation dans la région ont organisé des rencontres de prière et des cérémonies d’adieu pour leurs collègues décédés.

« L’ambiance est très triste », rapportait Bernard Ojiwa, un responsable de JEM en Tanzanie, à Religion News Service lors d’un appel téléphonique depuis Arusha. « Nous avons commencé le voyage pour les enterrements des membres locaux. »

« Nous planifions également la manière dont les corps des membres étrangers pourraient être renvoyés dans leur pays. Pour l’instant, les corps restent à la morgue. »

Des sources policières à Arusha ont déclaré que les sept ressortissants étrangers étaient originaires du Kenya, du Togo, de Madagascar, du Burkina Faso, d’Afrique du Sud, du Nigeria et des États-Unis.

JEM n’a pas divulgué les noms complets de ses missionnaires disparus, car nombre d’entre eux travaillaient dans des contextes non chrétiens présentant des risques pour la sécurité. « Toutes les personnes décédées étaient des responsables de projets, de centres de formation et de ministères », a indiqué le ministère dans une mise à jour sur son site Internet. « C’est un coup majeur porté à notre mission, en particulier pour le continent africain, le Moyen-Orient et l’Europe. »

L’accident, qui a impliqué quatre véhicules, a tué 25 personnes, dont onze membres de JEM, et en a blessé 21, dont huit membres de l’organisation missionnaire. John Mukolwe, un Kényan responsable de la station d’Arusha, figure parmi les victimes.

« Mukolwe était un ami depuis plus de 30 ans. Sa mort me rend très triste », témoigne Karin Kea, administratrice de la base de JEM dans la région de la rivière Athi, au Kenya.

Abel Sibo, un membre burundais de la mission, a publié sur Facebook une vidéo des missionnaires de JEM chantant « Voici le jour que l’Éternel a fait » en anglais. Il affirme que le groupe chantait avant que l’accident ne se produise.

Selon des responsables, des membres de JEM venus du monde entier se sont rendus dans la région pour apporter un soutien moral, pastoral et psychologique.

« Nos frères et sœurs de Tanzanie portent un lourd fardeau en ce moment », écrit Darlene Cunningham dans sa lettre à la « famille JEM ». « Ceux qui ont survécu à l’accident et qui ont été les premiers à porter secours aux victimes souffrent d’un traumatisme profond et durable. Les tâches pratiques que doivent accomplir les survivants à la base après une telle tragédie sont énormes, à côté du besoin de surmonter leur propre deuil. »

JEM a été fondée par Loren et Darlene Cunningham en 1960, avec pour objectif d’envoyer des jeunes volontaires de différentes confessions dans le cadre de missions d’évangélisation à court terme. Le groupe compte aujourd’hui quelque 2 000 bureaux dans le monde et implique des missionnaires de 200 pays.

JEM a établi sa présence à Arusha en 2000 et a depuis installé trois bureaux dotés d’un personnel complet dans la région. Les programmes du centre comprennent notamment des cours de formation de disciples, de couture, d’informatique et d’anglais.

« En ces jours, des larmes sont versées dans le monde entier par des individus, des familles et des membres de JEM. Je suis personnellement sous le choc de cette nouvelle, car je connaissais et aimais personnellement beaucoup de ces personnes », a écrit Darlene Cunningham. Elle a encouragé le recours à trois versets bibliques :

  • Accrochez-vous au fait que, quoi qu’il arrive, nous savons que Dieu est juste et bon dans toutes ses voies (Ps 145.17).
  • Rappelez-vous Job 42.2. Job avait tout perdu et sa réponse fut : « Je reconnais que tout est possible pour toi et que rien ne peut s’opposer à tes projets. » Accrochons-nous à ces paroles !
  • Rappelez-vous Ésaïe 41.10 : « N’aie pas peur, car je suis moi-même avec toi. Ne promène pas des regards inquiets, car je suis ton Dieu. Je te fortifie, je viens à ton secours, je te soutiens par ma main droite, la main de la justice. »

La présidente tanzanienne, Samia Suluhu Hassan, a envoyé un message de condoléances et a appelé à renforcer le contrôle des véhicules et l’application du Code de la route afin d’éviter d’autres pertes de vies humaines.

« Ces accidents coûtent la vie à nos proches, à la main-d’œuvre nationale et aux membres de nos familles. Je continue d’appeler tout le monde à respecter le Code de la route dans l’utilisation des véhicules », écrivait-elle sur X (anciennement Twitter). « J’adresse mes condoléances aux familles et aux amis qui ont perdu un être cher. Que Dieu tout-puissant les fasse reposer en paix ! Ameen ! »

« J’aime à penser que Loren était là, aux portes du ciel, pour saluer et accueillir ces onze JEMiens bien-aimés », écrit encore Darlene Cunnigham. « Nos cœurs se réjouissent de savoir qu’ils ont la joie d’être avec Jésus, mais, en même temps, nous pleurons la perte de leur présence parmi nous. »

Reportage additionnel par Christianity Today.

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Dans Dune, deuxième partie, les doux n’héritent de rien.

Que se passe-t-il lorsqu’un sauveur choisit non pas la croix, mais l’épée ?

Timothée Chalamet dans le rôle de Paul Atréides dans Dune, deuxième partie.

Timothée Chalamet dans le rôle de Paul Atréides dans Dune, deuxième partie.

Christianity Today March 4, 2024
© 2024 Warner Bros. Entertainment Inc. Tous droits réservés.

Dune, deuxième partie fait s’entrechoquer foi et pouvoir. Le film est le deuxième d’une adaptation en trilogie des célèbres romans de Frank Herbert, un conte mystique nous entraînant dans des guerres entre familles à travers l’immensité de l’espace et la montée d’une figure messianique dénommée Paul Atréides (Timothée Chalamet).

Ce film intermédiaire reprend l’histoire après le massacre brutal du clan familial de Paul. Héritier d’une noble maison et sujet de prophéties, celui-ci se débat avec son destin apparent de sauveur et de meneur. Sa mère, dame Jessica (Rebecca Ferguson), prêtresse extralucide de l’ordre religieux matriarcal Bene Gesserit, tente de l’orienter vers ce destin. Mais l’élue de son cœur, Chani (Zendaya), ne veut qu’une simple vie à deux. Au milieu de ce drame relationnel, Paul dirige une tribu du désert dans une guérilla contre des forces impériales brutales cherchant à s’emparer de la précieuse ressource de sa planète, l’épice.

Le film nous offre une riche adaptation d’un dense matériau de base. Ses 2 heures et 46 minutes sont bien remplies, intrigues et sous-intrigues s’entremêlant sous la menace constante des vers de sable voraces et mangeurs d’hommes. Les batailles spatiales sont un mélange impressionnant de suspens et de spectacle, et le sable du désert constituerait presque un personnage à part entière, servant à la fois de bouclier et d’arme aux guerriers que Paul conduit. Bien que les combattants soient équipés de vaisseaux spatiaux et d’armes atomiques, de nombreuses batailles aboutissent à des combats au corps à corps à l’épée, chorégraphiés pour être rapides, vifs et saisissants.

Ces éléments donnent lieu à une adaptation plaisante et captivante, avec de solides performances et une belle cinématographie. Mais Dune, deuxième partie doit son attrait intellectuel au matériau offert par les livres de Herbert. La foi n’est-elle qu’une ressource de plus à exploiter dans la quête du pouvoir ? S’agit-il d’une autre drogue, comme l’épice, que les puissants peuvent s’approprier, utiliser et mettre à leur service ? Ou s’agit-il d’une véritable source de connaissances et de vie ? La série Dune pose la question, mais n’essaie pas d’y répondre.

Fruit du début des années 1960, l’œuvre de Herbert s’intéresse de près aux effets des drogues psychédéliques. L’épice est légèrement psychédélique et ouvre l’esprit à des visions et à des cauchemars. Une autre substance, appelée « eau de vie », est profondément psychédélique, souvent mortelle et affectant sérieusement le cours de l’existence.

Les récits de Dune présentent ces drogues comme étant à la fois bénéfiques et dangereuses, un cadeau pour les quelques personnes assez fortes pour recevoir les visions qu’elles provoquent et y survivre. Cette perspective semble être le produit d’une époque révolue, étrange à considérer après six décennies d’évolution de nos normes et de nos lois en matière de consommation de drogues. Le point de vue de la série de livres sur les drogues était peut-être provocateur en 1965, mais il semble daté et superficiel à la lumière des réflexions et des préoccupations actuelles à propos des drogues.

S’inspirant également des livres de Herbert, l’univers du film évoque le monde arabo-musulman. Le sable, les vêtements et même la langue lui donnent un air de Lawrence d’Arabie dans l’espace. Il s’agit d’un regard occidental, bien sûr, et non d’une interprétation provenant du monde musulman lui-même. D’autre part, certains éléments, comme les Bene Gesserit, sont plus inspirés du catholicisme que d’éléments de l’islam.

Ce genre de syncrétisme narratif peut être risqué, mais en prenant des éléments de religions connues et en les projetant dans un autre monde, Dune, deuxième partie soulève des questions importantes sur la religion et le pouvoir.

Tout comme dans notre monde, de nombreuses factions s’affrontent pour le contrôle, même en leur sein. Certains sont de véritables croyants, convaincus que Paul Atréides est une figure messianique qui conduira son peuple au paradis. D’autres, comme Chani, ne croient en rien d’autre qu’en leur épée et leur propre force. Et si les croyants sont tournés en dérision pour leur capacité à transformer n’importe quel événement en « accomplissement » d’une prophétie, personne ne peut nier la force de leur foi ou l’énergie que celle-ci leur procure. Comme l’épice psychédélique, la foi est puissante et difficile à contrôler. Les fidèles deviennent une force en soi.

La foi ne coïncide pas pour autant toujours avec la pureté du cœur. Les prêtresses du Bene Gesserit, dont la mère de Paul, façonnent et exploitent la foi des masses. Ce deuxième Dune laisse ouverte la question de savoir si les prêtresses croient elles-mêmes en ce qu’elles enseignent ou si elles s’en servent simplement pour acquérir du pouvoir. Elles se montrent à la fois bienveillantes et sinistres, imprévisibles et insaisissables. D’une certaine manière, par leur égoïsme et leur impénétrabilité, elles évoquent les dieux païens : leurs objectifs sont centrés sur eux-mêmes, et les simples mortels qui les croisent sont aisément sacrifiés.

Paul est différent. Il se soucie des gens. Il est réticent face au pouvoir, du moins dans un premier temps. En effet, il craint le rôle qu’il pourrait endosser face à une croyance qu’il n’est pas sûr de partager, redoutant ses adeptes fondamentalistes et les horreurs qu’ils pourraient commettre en raison de leur foi en lui. Il peut voir l’avenir, voire plusieurs avenirs possibles, et ses visions impliquent une guerre sainte dévastatrice menée en son nom. Quoiqu’il y répugne, il est inexorablement entraîné dans la mêlée.

Les parallèles avec Jésus sont évidents et fascinants. Paul Atréides commence sa route en ressemblant beaucoup au Christ : il est annoncé, attendu, et on croit en lui avant même qu’il ne naisse. Il se soucie de la justice et de la paix. Il est humble, aimant, prêt à servir. Comme Jésus sur le chemin du Calvaire, Paul souhaiterait éviter l’avenir sombre qui l’attend.

Mais leurs chemins se séparent alors. Paul chemine vers plus de pouvoir terrestre, plus de contrôle, plus d’effusion de sang. Malgré les attentes et les encouragements de ses disciples (Ac 1.6), Jésus, lui, a rejeté cette voie. Il a choisi la croix. Tel n’est pas le cas de Paul Atréides. À certains égards, Dune ressemble à une exploration de ce qui aurait pu se produire si Jésus avait dit à Pierre d’affuter son épée au lieu de la rengainer (Mt 26.52-53).

Les leçons du christianisme sont inversées dans cet univers. Pour sauver sa vie, on ne l’abandonne pas : on prend celle d’un autre. Les derniers ne deviennent pas les premiers. Les plus petits ne deviennent pas les plus grands. En fin de compte, ce sont eux qui sont sacrifiés. Les doux n’héritent de rien. Et pourtant, ici aussi, pour gagner le monde, Paul Atréides doit perdre son âme.

Rebecca Cusey est avocate et critique de cinéma à Washington, DC.

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Le Serviteur souffrant n’a de sens que dans le contexte de la Trinité.

La doctrine chrétienne historique nous aide à voir la bonté de Dieu dans le Vendredi saint.

Christianity Today March 4, 2024
Illustration de Rick Szuecs

Les sermons du Vendredi saint ne sont pas toujours faciles à entendre. Il est encore plus difficile de les prêcher. Je n’ai jamais été aussi ému et je n’ai jamais autant remué sur mon siège à l’église que le Vendredi saint. C’est peut-être parce que ces moments nous forcent à nous arrêter aux passages les plus sombres de l’Écriture, face à la souffrance, à la mort et aux desseins de Dieu. Pour beaucoup, il y a quelque chose d’une épreuve à lire les textes du Vendredi saint et à continuer à considérer Dieu comme bon.

Une sage utilisation de la doctrine chrétienne historique devrait nous y aider.

Prenons l’exemple de la prophétie d’Ésaïe 53 sur le Serviteur souffrant. Dans son contexte d’origine, ce Serviteur est enveloppé d’un épais mystère. Nous avons là un portrait troublant, mêlant œuvre extraordinaire et tourments, qui tout à la fois nous désoriente et nous captive. Dans les premiers chants du Serviteur d’Ésaïe, on distingue clairement une figure représentative d’Israël en exil. Mais dans ce chapitre 53, cette figure communautaire devient un individu concret, énigmatique et bouleversant. Méprisé et rejeté par les hommes, opprimé et conduit à la mort par ses ennemis, il semble, parmi les hommes, le plus à plaindre.

Le pire de son sort ne réside pas dans les mauvais traitements infligés par ses ennemis, ni même dans le rejet de ses amis : c’est le traitement que lui réserve Dieu qui est le plus déconcertant. Bien qu’il soit innocent et qu’il n’y ait pas de « tromperie dans sa bouche », le texte nous dit que « l’Éternel a voulu le briser » afin de faire de « sa vie un sacrifice de culpabilité » et d’assurer le salut d’un grand nombre de personnes (Es 53.9-11).

Mais comment les desseins du Dieu d’Israël pourraient-ils être servis par l’écrasement de ce juste ? Qu’apprenons-nous là sur la manière dont Dieu traite ses serviteurs, ses élus ? Ces paroles nous apparaissent bien sombres. Une lueur commence cependant à poindre, non seulement lorsque nous découvrons leur accomplissement en Jésus, le Messie humain, mais aussi lorsque nous reconnaissons celui-ci comme le Fils divin, deuxième personne de la Sainte Trinité.

Jésus paraphrase Ésaïe 53 pour expliquer sa mission à ses disciples : « En effet, le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » (Mc 10.45) Jésus affirme ici qu’il est bien le mystérieux Serviteur prophétisé qui vient se donner dans la mort en tant que représentant des siens, en offrande docile pour la culpabilité d’un peuple pécheur.

Mais ce n’est qu’avec la doctrine de l’incarnation que l’on comprend que celui qu’il a plu au Seigneur d’écraser n’est pas simplement un juste et malheureux substitut, mais le Dieu unique d’Israël lui-même. Le Fils saint et éternel a pris sur lui la chair du Serviteur pour nous et notre salut. Le Seigneur se choisit lui-même pour porter notre fardeau. Le Seigneur s’envoie lui-même pour mourir à notre place.

La lumière se fait plus vive lorsque nous méditons les paroles de Jésus en Jean 10.17-18 : « Le Père m’aime, parce que je donne ma vie pour la reprendre ensuite. Personne ne me l’enlève, mais je la donne de moi-même. » Il serait aisé d’imaginer que Dieu est un père en colère qui a besoin d’écraser une victime innocente et que Jésus surgit, plein d’amour, pour nous sauver de lui. La doctrine trinitaire historique nous rappelle que ce n’est pas ce que nous lisons dans la Bible et que ce n’est pas non plus l’enseignement de l’Église.

Des théologiens comme Augustin ont au contraire enseigné que, puisque Dieu est un et indivisible, les œuvres de la Trinité sont inséparables dans l’histoire — quoi que fasse le Fils, le Père et l’Esprit le font avec lui. En Jean 10, nous en avons un aperçu, car Jésus enseigne que la volonté du Fils et celle du Père sont une seule et même volonté. Le Fils vient librement dans la chair pour donner sa vie et la reprendre pour notre salut, et le Père l’aime pour cela. Comme le dit Calvin, il y a là « une merveilleuse louange de la bonté de Dieu envers nous », démontrant que « notre salut lui est plus cher que sa propre vie ».

Certains aiment aujourd’hui à prétendre que la doctrine chrétienne historique est un obstacle à la prédication et à l’enseignement des textes plus difficiles de la Bible. Rien n’est plus faux : la doctrine éclaire l’Écriture. Ce n’est qu’à sa lumière que nous voyons la bonté du Dieu unique dans les souffrances du Serviteur d’Ésaïe 53. Dans son grand amour pour nous, le Fils vient dans la puissance de l’Esprit, selon la volonté du Père, comme le Serviteur qui répond à notre péché par son sacrifice. Telle est la bonté de Dieu dans la bonne nouvelle du Vendredi saint : Dieu se sacrifie lui-même pour nous.

Derek Rishmawy est doctorant à la Trinity Evangelical Divinity School.

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