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Guerre en Israël : le complexe exercice de positionnement des évangéliques arabes.

Les chrétiens du Moyen-Orient rejettent la violence tout en exprimant leur frustration face au manque de reconnaissance occidental de la réalité de l’occupation et des dommages collatéraux des bombardements.

Opérations de recherche et de sauvetage dans l’église orthodoxe grecque historique Saint-Porphyre après une frappe aérienne israélienne à Gaza.

Opérations de recherche et de sauvetage dans l’église orthodoxe grecque historique Saint-Porphyre après une frappe aérienne israélienne à Gaza.

Christianity Today October 30, 2023
Ali Jadallah/Anadolu/Getty Images

Depuis le déclenchement de la guerre après les attaques terroristes sans précédent du Hamas contre Israël, diverses Églises, comités et responsables du Moyen-Orient ont exprimé leur indignation face au massacre de milliers de civils innocents.

De nombreux groupes chrétiens arabes ont fait des déclarations publiques. La plupart d’entre elles insistent sur l’appel des chrétiens à être des artisans de paix. Plusieurs ont cependant été critiquées pour ce que certains considèrent comme un manque d’attention à la souffrance des civils juifs ciblés par les terroristes.

Issues de Palestine, d’Égypte, de Jordanie et du Liban — beaucoup ayant été suscitées par le tragique bombardement de l’hôpital anglican de Gaza — les déclarations publiques varient en termes d’approche et d’intensité. Certains affirment que la communauté internationale néglige le contexte de l’occupation par l’État israélien ; d’autres rappellent à l’Église mondiale la présence continue des chrétiens sur le territoire.

Nous avons examiné les textes de neuf organisations arabes et de quatre organisations occidentales, la plupart de conviction évangélique, et sollicité le point de vue d’un juif messianique israélien et d’un évangélique arménien libanais. L’examen a révélé que peu de déclarations du Moyen-Orient désignaient le Hamas comme acteur terroriste, alors que nombre d’entre elles critiquaient spécifiquement Israël lui-même.

L’une des déclarations les plus récentes est celle de l’organisation Musalaha, qui cite les deux acteurs du conflit.

Ce ministère de réconciliation, basé à Jérusalem, travaille avec des Israéliens et des Palestiniens de diverses origines religieuses en utilisant des principes bibliques pour aborder les questions qui les divisent dans le but de parvenir à la paix. Après deux semaines passées à observer dans la douleur le carnage généralisé, sa déclaration publique s’est concentrée sur la « lamentation » et appelle à une réponse réconciliatrice.

« Nous déplorons que des personnes, au nom de la justice, aient permis à la rage de perpétuer le cycle de la déshumanisation et d’excuser l’effusion de sang, comme en témoignent les attaques du Hamas et la réponse de l’armée israélienne », dit le communiqué. « Nous invitons les Palestiniens et les Israéliens à voir la dignité et l’humanité de l’autre en résistant ensemble de manière non violente pour un avenir meilleur. »

L’organisation chrétienne la plus représentative de la région s’est toutefois exprimée sans détour sur les souffrances que l’État juif impose selon elle à Gaza.

« Ce à quoi le peuple palestinien est exposé à Gaza n’est pas une réaction militaire à une action militaire », a déclaré le Conseil des Églises du Moyen-Orient (CEMO), « mais plutôt un génocide et un nettoyage ethnique, visant les détenus de la plus grande prison de l’histoire de l’humanité — et avec préméditation. »

Cette déclaration, la plus sévère des neuf déclarations arabes étudiées, qualifie la guerre de « guerre d’extermination » et appelle « toutes les personnes honorables » à intervenir.

Michel Abs, secrétaire général du CEMO, reconnaît que ce qu’il appelle « l’entité sioniste » a été attaquée et a réagi, mais estime qu’elle aurait dû s’arrêter là.

Le CEMO s’est concentré sur la dénonciation d’Israël pour la coupure d’eau dans la bande côtière densément peuplée de Gaza, la destruction des infrastructures médicales et les morts collatérales de citoyens sans défense. Il a appelé à l’arrêt de l’agression, à la levée du siège de Gaza et à ce que soient demandés des comptes à ce qu’Abs appelle « les forces d’occupation ».

Les membres du CEMO comprennent des Églises catholiques, orthodoxes et de nombreuses dénominations protestantes, dont la plupart sont désignées comme « évangéliques » dans l’usage local. Cependant, même si les différences entre courants chrétiens dans le paysage occidental ne sont pas aussi marquées dans le monde arabe, l’Alliance évangélique mondiale (AEM) intègre des organes qui ne sont pas représentés au sein du CEMO.

« Nous sommes globalement d’accord [avec la déclaration du CEMO], sans nécessairement adhérer à chaque mot », déclare Paul Haidostian, président par intérim de l’Union des Églises évangéliques arméniennes du Proche-Orient, une Église réformée d’expression piétiste non affiliée à l’AEM. « Mais est-ce qu’il y a des éléments d’extermination dans la guerre actuelle ? Je pense que oui. »

Jack Sara, secrétaire général de l’Alliance évangélique régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, a contribué à l’élaboration de la réponse officielle de l’AEM au « conflit en Terre sainte ». Mais il est également d’accord avec la déclaration du CEMO.

« Avec des milliers de Palestiniens qui meurent sans arrêt, elle décrit clairement les faits sur le terrain », estime-t-il. « À la limite, elle manque simplement d’implorer le monde d’intervenir. »

Les analystes observent que le Hamas s’installe dans des zones peuplées de civils et que les Forces de défense israéliennes (FDI) émettent souvent des avertissements avant de frapper des structures résidentielles. En prévision d’une invasion terrestre, les FDI ont demandé aux non-combattants d’évacuer le nord de la bande de Gaza ; le Hamas leur a demandé de rester sur place.

Les Nations unies ont cependant déclaré que Gaza représentait déjà une catastrophe humanitaire, avec plus de 6 500 morts et un million de personnes déplacées au 26 octobre, selon le ministère palestinien de la santé dirigé par le Hamas. Face au terrorisme du Hamas et à l’assassinat de 1 400 personnes, des civils pour la plupart, Israël est confronté à un dilemme de taille : la guerre urbaine nécessaire pour poursuivre les chefs terroristes à Gaza ne fera qu’aggraver la situation locale et enflammera de plus en plus l’opinion mondiale.

Mais alors que de nombreux évangéliques aux États-Unis et dans le monde soutiennent Israël, le Bethlehem Bible College (BBC) de Jack Sara a cosigné une déclaration chrétienne palestinienne d’une grande sévérité, appelant « les responsables d’églises et les théologiens occidentaux » à la repentance.

La déclaration s’ouvre sur une citation du prophète Ésaïe : Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, protégez l’opprimé ! (1.17)

« Les attitudes occidentales à l’égard de la Palestine-Israël souffrent d’un double standard flagrant qui humanise les Juifs israéliens tout en appuyant la déshumanisation des Palestiniens et le camouflage de leurs souffrances », peut-on lire dans le texte. « Le cœur brisé, nous considérons que certains auront à rendre compte de leur complicité théologique et politique. »

Tout en déplorant la « reprise du cycle de violence » et en condamnant « toutes les attaques contre les civils », le document reproche aux responsables chrétiens de ne pas évoquer le « contexte plus large et les causes profondes » de la guerre, notamment l’occupation en cours et le blocus de Gaza qui dure depuis 17 ans. Il rappelle que les trois quarts de la population de Gaza sont des descendants de Palestiniens déplacés lors du conflit qui a suivi la création d’Israël en 1948, qui leur refuse le droit au retour censé être le leur.

Jack Sara déplore que, dans les mois précédant la guerre, des juifs extrémistes et des colons israéliens aient multiplié les attaques contre les églises locales, crachant sur les prêtres tandis que les chrétiens du reste du monde restaient silencieux. Les croyants locaux ont souvent l’impression d’être une « nuisance » pour les tenants occidentaux de certaines théologies de la fin des temps, ou encore pour le discours de leurs gouvernements sur la région.

« Nous prions pour que l’Église soit l’Église, et non un organe politique qui prend parti », déclare Jack Sara dans un message sur YouTube. « Ce n’est plus l’origine ethnique qui compte pour Dieu — Jésus n’est plus seulement un Juif, il est tout pour tout le monde. »

Un responsable juif messianique a qualifié cette déclaration commune de « répréhensible ».

Non seulement les chrétiens palestiniens ne dénoncent pas ni ne mentionnent le Hamas ou le terrorisme, dit Michael Brown, animateur de l’émission de radio américaine Line of Fire, mais leur déclaration répète des « affirmations diffamatoires » selon lesquelles Israël aurait intentionnellement bombardé l’hôpital arabe al-Ahli le 17 octobre ainsi que l’église orthodoxe grecque Saint-Porphyre le 19 octobre. (Les FDI ont affirmé que les morts de l’hôpital avaient été victimes d’une roquette mal tirée par des militants du Jihad islamique, mais ont reconnu que les morts de l’église avaient été touchés par l’un de leurs missiles visant un bâtiment voisin.)

En outre, Brown critique une déclaration qui reprendrait des « clichés habituels de la gauche » qui assimilent le retour des Juifs dans leur antique patrie à un colonialisme de peuplement.

« Nous voulons nous montrer solidaires en tant que frères et sœurs en Jésus », dit Brown, qui a participé aux conférences « Christ at the Checkpoint » du Bethleem Bible College. « Mais repentez-vous de cet appel à la repentance profondément déficient afin qu’ensemble, nous puissions poursuivre la justice, la bonté, l’équité et la miséricorde. »

Le président de l’Alliance évangélique d’Israël compare les signataires à une femme battue.

« La plupart des chrétiens du Moyen-Orient n’ont pas la liberté de s’exprimer et de condamner la violence islamiste », dit Danny Kopp. « Le coût social, et souvent physique, est tout simplement trop élevé pour être envisagé. »

Au lieu de cela, ils se tairaient, se défileraient ou rejetteraient la faute sur les autres. Les abus traumatiques altèrent la capacité de jugement moral, dit-il. Mais après avoir assisté au « pire massacre de Juifs en un seul jour depuis l’Holocauste », les croyants arabes se trouvent à un moment crucial.

« Au moment même où les chrétiens auraient pu offrir une rare étincelle de vérité, l’Église s’est largement confinée dans un état de décadence morale et d’insignifiance », dit le responsable israélien.

Les évangéliques égyptiens — quoi que l’on pense de leur position — se sont exprimés dès le début.

La présidence des Églises protestantes d’Égypte (EPC), membre du CEMO et de l’AEM, a été l’un des premiers organismes régionaux à publier une déclaration. Un jour seulement après le massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre, elle publiait une condamnation non spécifique de « toutes les formes de violence et de conflit armé entre Palestiniens et Israéliens », mentionnant notamment les attaques contre des civils innocents.

Une deuxième déclaration serait venue soutenir la politique du gouvernement égyptien en matière d’apport d’aide humanitaire. Mais trois déclarations lui ont rapidement succédé, déplaçant l’attention sur les abus israéliens. Les EPC ont condamné le bombardement de l’hôpital de Gaza, puis ont désapprouvé l’idée de traiter le dossier palestinien avec des instruments militaires. Suite au bombardement qui a partiellement détruit l’église de Gaza, elles ont exprimé leur « profonde inquiétude face à la violence dirigée contre les zones résidentielles, depuis le tout début des événements ».

L’Égypte a été le premier pays arabe à conclure un traité de paix avec Israël. Les critiques d’Israël dans d’autres pays pourraient avoir fait évoluer certaines déclarations.

Ce qui a révolté de nombreux chrétiens arabes, c’est que le bombardement de l’hôpital a eu lieu le jour que les patriarches et les chefs des Églises de Jérusalem avaient appelé à consacrer au jeûne et à la prière. Deux jours auparavant, en réponse à l’appel d’Israël à évacuer le nord de la bande de Gaza, ces responsables exprimaient leur conscience de la colère des Israéliens en mettant en garde contre un « nouveau cycle de violence » qui avait commencé « par une attaque injustifiable contre des civils en Israël ».

Les responsables chrétiens de Jérusalem n’y dénonçaient ou ne mentionnaient toujours pas le Hamas, mais cette déclaration changeait tout de même par rapport à leur première réaction le jour des atrocités terroristes. Alors qu’Israël était encore sous le choc de la journée la plus meurtrière pour les Juifs depuis l’Holocauste, ces responsables s’étaient d’abord prononcés contre toute atteinte aux « civils palestiniens et israéliens ».

L’envoyé d’Israël au Vatican s’était alors indigné de cette « ambiguïté linguistique immorale ».

Qu’en est-il des évangéliques de Jordanie ?

Le 14 octobre, l’Alliance évangélique jordanienne (AEJ), membre de l’AEM, mais pas du CEMO, a publié une déclaration approuvant l’invitation à la prière des patriarches et responsables des Églises de Jérusalem. Reflétant la volonté de ses cinq églises membres, l’assemblée générale de l’alliance jordanienne a cependant voté pour éviter toute mention spécifique d’Israël ou du Hamas.

Une forte minorité souhaitait nommer Israël.

Selon Nabeeh Abbassi, président de la Convention baptiste jordanienne, une dénomination membre de l’AEJ, le Hamas est considéré comme un « libérateur » par de nombreux Palestiniens de Jordanie, qui représentent un pourcentage important, mais contesté, de la population du royaume. Souhaitant ne pas être perçue comme allant à l’encontre de ce sentiment, l’Alliance évangélique a choisi de « ne pas faire de politique » et de se concentrer sur une humanité commune.

La déclaration de l’AEJ condamne le « cycle actuel de violence et de contre-violence », tout en mentionnant une « agression contre le peuple palestinien ». Néanmoins, le Sermon sur la Montagne encourage ces croyants à être des artisans de paix, le dialogue et la négociation étant vus comme les moyens nécessaires pour mettre fin à une politique israélienne d’expansion des colonies qui n’est pas nommée.

« La violence engendre la violence », déclare l’AEJ, « l’occupation crée la résistance et le siège aboutit à l’explosion ».

Cette formule est une explication, dit Abbassi, et non une justification.

« Le Hamas est à l’origine des troubles. » « Israël a le droit de se défendre. Mais il a ensuite fait bien pire. »

Nabeeh Abbassi estime que trop de chrétiens occidentaux soutiennent Israël en raison d’une compréhension erronée de la théologie. Bien que lui-même dispensationaliste, le pasteur jordanien estime qu’il n’appartient pas aux croyants de hâter le calendrier eschatologique de Dieu.

Il renvoie à Actes 1.6-8, où les disciples demandent à Jésus ressuscité s’il va restaurer le royaume d’Israël. Il rappelle que Jésus refuse de répondre à la question, appelant plutôt les croyants à être ses témoins.

« Si nous voulons aider Dieu, c’est cela que nous devons faire. » « Ne pas prendre parti, mais aimer les uns et les autres et partager l’Évangile avec tous. »

Mais à la suite de ce qu’il a qualifié de « raid brutal » contre l’hôpital anglican, Nabeeh Abbassi rapporte que sa dénomination s’était sentie obligée de publier sa propre déclaration, et qu’elle avait ensuite été encore affligée par la frappe contre l’église orthodoxe grecque. Il blâme la politique de la « machine de guerre » israélienne qui prend pour cible aussi bien les musulmans que les chrétiens, sans faire de différence entre les civils et le personnel militaire.

« Le Hamas est un groupe, Israël est un État », dit Abbassi. « On peut attendre du Hamas qu’il fasse n’importe quoi, mais j’attends d’Israël qu’il fasse ce qui est juste. »

La déclaration de sa dénomination en Jordanie est associée à un rare moment de reconnaissance dans le pays. Presque tous les médias jordaniens ont qualifié l’hôpital de Gaza de « baptiste », reflétant ainsi la perception populaire installée par son administration baptiste pendant la guerre de 1967.

C’était l’occasion de « montrer notre cœur » au Jordanien moyen — Abbassi a donné trois interviews télévisées après la veillée de prière — ainsi que l’accord des chrétiens locaux avec une politique gouvernementale qui défend les droits des Palestiniens tout en préservant la paix avec Israël, le royaume hachémite du roi Abdallah étant le gardien historique des sites religieux musulmans et chrétiens de Jérusalem.

Les évangéliques libanais avaient des objectifs variés.

« Certains voulaient une déclaration à montrer au gouvernement, d’autres à montrer aux musulmans », rapporte Joseph Kassab, président du Conseil suprême de la communauté évangélique en Syrie et au Liban. « Mais je voulais qu’elle reflète simplement notre foi et notre théologie. »

Encouragé par plusieurs dirigeants locaux à s’exprimer après l’explosion de l’hôpital, le document libanais fait référence à la loi du talion que Jésus invite à dépasser, mais qui reste présente selon Kassab chez les juifs et les musulmans. Selon cette logique, le terrorisme du Hamas mériterait une réponse égale, mais pas double. Cependant, dit-il, Israël a décuplé la rétribution.

Alors que la dissuasion par une réponse écrasante fait partie des fondements de la stratégie militaire israélienne, Joseph Kassab estime que les chrétiens devraient employer une métrique différente.

« On ne peut pas travailler pour la paix et la réconciliation et donner son soutien inconditionnel à qui que ce soit. »

Au contraire, en cherchant à se concentrer sur la nécessité d’une solution juste pour l’ensemble du conflit israélo-palestinien, la déclaration libanaise n’a désigné ni Israël ni le Hamas comme adversaires.

Que se passerait-il si l’Iran entrait en guerre, ou les États-Unis ?

Estimant que les actions « tristes et malheureuses » du Hamas visaient à perturber les récents efforts de normalisation arabe avec Israël, connus sous le nom d’accords d’Abraham, Joseph Kassab considère clairement que ni la Palestine ni la région n’ont d’avenir si l’idéologie islamiste parvenait à s’imposer.

Israël, cependant, a à ses yeux multiplié les atrocités. Il mentionne les milliers d’immeubles d’habitation détruits à Gaza et l’appel aux réfugiés — plus tard révisé — à « sortir » et à fuir par la frontière méridionale de la bande de Gaza vers l’Égypte. Les déplacements de Palestiniens en 1948 et 1967 sont devenus des installations permanentes.

Malgré cela, il estime que la déclaration du CEMO n’était pas entièrement justifiée.

« Israël n’a peut-être pas une intention exterminatrice, mais s’il continue à agir de la sorte, c’est à cela que les choses aboutiront », dit Kassab. « Si vous n’aimez pas le mot, remplacez-le par un autre, mais cela ne changera pas l’ampleur de la violence. »

Munir Kakish, président du Conseil des églises évangéliques locales de Terre sainte, affilié à l’AEM, a pris ses distances par rapport à la déclaration du CEMO :

« Lorsque nous serons invités à leurs réunions, je pourrai alors exprimer mon opinion, »

Soulignant l’appel à être un pont pour la paix et la réconciliation, sa déclaration du 18 octobre n’était pas dirigée contre un parti ou l’autre. Centrée sur la seule bande de Gaza, elle ne mentionne ni le Hamas ni Israël et appelle à une aide humanitaire immédiate et à un traité de paix global.

« Ce qui est arrivé aux hôpitaux et aux écoles de Gaza est inacceptable au regard de toutes les lois et conventions internationales », a déclaré ce Conseil, qui s’est ensuite fait l’écho de 1 Timothée 2.2. « Nous lançons un appel à toutes les parties pour une cessation immédiate de la guerre […] afin que nous puissions vivre une vie paisible dans la piété et la dignité. »

Mais aussi pour prêcher l’Évangile. Pour Kakish, les événements actuels font partie des « guerres et rumeurs de guerres » que Jésus a prédites avant la fin des temps. Le mal augmente comme à l’époque de Noé, dit-il, et la porte de l’arche sera bientôt fermée.

« Il est temps pour l’Église de se réveiller et d’accomplir son mandat missionnaire au lieu de se laisser distraire par d’autres choses. »

Les chrétiens arabes ne sont bien sûr pas seuls à faire des déclarations.

Contrairement à leurs homologues du Moyen-Orient, la Commission pour l’éthique et la liberté religieuse (ERLC) de la Convention baptiste du Sud aux États-Unis, l’Association nationale des évangéliques (NAE) américains et l’Alliance évangélique mondiale ont rapidement et nommément condamné le Hamas.

L’ERLC a émis la déclaration pro-israélienne la plus forte.

Reconnaissant les différentes positions théologiques sur la relation entre Israël et l’Église, la déclaration des baptistes du Sud rappelle que le peuple juif a « longtemps enduré des tentatives génocidaires visant à l’éradiquer et à détruire [son] État ». Citant Israël comme un « rare exemple de démocratie » dans la région, l’ERLC se réfère à Romains 13 pour soutenir le droit du gouvernement israélien à « porter l’épée » contre les actes de malveillance à l’égard de la vie innocente.

En outre, la déclaration de l’ERLC affirme « la dignité et le caractère personnel de toutes les personnes vivant au Moyen-Orient » et prie pour « le difficile ministère des croyants juifs et palestiniens qui œuvrent pour l’Évangile ».

[Note au lecteur : Le rédacteur en chef de notre magazine, Russell Moore, ancien président de l’ERLC, a signé la déclaration aux côtés de 2 000 autres responsables.]

Ses homologues de l’Alliance baptiste mondiale (ABM) se sont concentrés sur la Palestine, notant l’héritage baptiste du sud de l’hôpital Al-Ahli tout en « plaidant pour la protection de tous les citoyens et l’établissement d’une paix véritable ».

Comptant 17 églises baptistes en Israël et 13 dans les territoires palestiniens — dont une à Gaza — l’ABM a appelé à « des voies d’apaisement qui rejettent sans équivoque le terrorisme ». « Au milieu de la complexité », elle exhorte à la « poursuite de la justice réparatrice et de la paix ».

Le secrétaire général Elijah Brown a donné l’exemple du guide de prière de l’ABM.

« Convaincus qu’en tant qu’ambassadeurs de la paix, nous ne devons pas mettre l’accent sur des approches créatrices d’antagonisme politique », nous a-t-il déclaré, « nous devons nous efforcer de façonner une voix partagée d’engagement commun. »

L’Alliance évangélique aux États-Unis (NAE) a également reconnu le droit d’Israël à se défendre. Mais elle a toutefois mis en garde Israël contre le risque de compromettre sa propre sécurité en allant au-delà pour « se venger » et infliger de nouvelles souffrances à des civils innocents. L’AEM a exprimé sa « stupéfaction » face aux manifestations qui semblaient se réjouir des premiers meurtres, tout en encourageant tous les efforts de désescalade de la violence.

Tous deux ont appelé à une paix juste — une expression qui n’est pas utilisée par l’ERLC — mais aucun des deux organismes n’a publié de déclaration évaluant ce qu’il en est depuis lors. Étant donné que la NAE a réaffirmé le rôle des évangéliques pour « critiquer de manière constructive les responsables gouvernementaux », serait-ce nécessaire aujourd’hui ?

« La doctrine de la guerre juste, de par sa nature même, comporte un cadre avec des limites sur la manière dont la guerre peut être menée, notamment l’interdiction de cibler des civils innocents », nous rappelle le président de l’ERLC, Brent Leatherwood. « Notre préoccupation pour les personnes vulnérables ne connaît pas de frontières, mais nous devons rester lucides quant aux responsables de ce conflit. »

Le président de la NAE, Walter Kim, a également cité la tradition chrétienne.

« La plupart des évangéliques s’appuient sur les principes classiques de la guerre juste pour rechercher la justice tout en limitant la violence. Israël a le droit de se défendre contre le Hamas, qui poursuit ses attaques », dit-il. « Les autres principes de la guerre juste comprennent l’intention juste, la rétribution limitée, la recherche de la paix à long terme et la protection des innocents. »

Il laisse au lecteur le soin de juger ce qu’il en est.

Thomas Schirrmacher, secrétaire général de l’AEM, a déjà son avis.

« Israël est toujours dans une situation d’autodéfense », estime-t-il. « Comme l’indiquent clairement ces attentats, ces personnes veulent tuer tous les Juifs et rayer Israël de la carte. »

Soulevant de sérieux doutes quant à la culpabilité d’Israël dans le bombardement contre l’hôpital, Schirrmacher accuse les responsables palestiniens — en Cisjordanie, gouvernée par l’Autorité palestinienne, ainsi qu’à Gaza, contrôlée par le Hamas — d’avoir échoué à construire un État fonctionnel. Le Hamas s’étant engagé dans la voie du terrorisme, la chose est impossible pour Gaza en tout cas.

Il souligne toutefois que tous ses commentaires sont formulés à titre personnel. L’AEM représente des alliances et des partenariats nationaux dans 173 pays, dont celles dirigées par Munir Kakish, Danny Kopp et une autre axée sur les citoyens arabes d’Israël.

L’alliance régionale du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord est en désaccord avec l’alliance régionale européenne de l’AEM sur les spécificités d’une définition de l’antisémitisme, rapporte Schirrmacher, tandis qu’une alliance évangélique en Azerbaïdjan est embarrassée par la condamnation par l’AEM des violations des droits de l’homme commises par ce pays du Caucase à l’encontre des Arméniens dans le Haut-Karabagh.

Il s’efforce également de trouver un équilibre entre les croyants d’Ukraine et de Russie.

L’aide fournie vise aussi l’équilibre. L’AEM travaille par l’intermédiaire de son alliance en Israël pour fournir des abris à Ashdod et Ashkelon, près de la frontière de Gaza. En partenariat avec le Synode du Nil qui lui est affilié en Égypte, une aide sera apportée au point de passage de Rafah. Avec son alliance palestinienne, une aide financière est apportée à la reconstruction de l’hôpital anglican de Gaza.

« Avant de parler, nous dialoguons avec toutes les parties », dit Thomas Schirrmacher. « Cela signifie que nous sommes lents, mais plus à même de contribuer à la paix et au changement positif qu’à publier rapidement une déclaration qui devrait être révisée par la suite. »

« Faire des déclarations n’est pas la tâche la plus importante de l’Église », dit Paul Haidostian, dont l’union évangélique arménienne n’a pas fait de commentaires officiels sur la guerre. « Il est plus important d’éduquer à la paix, à la justice et aux revendications historiques, et pas seulement aux affaires en cours. »

Selon lui, les chrétiens arabes élaborent leurs déclarations à partir de deux préoccupations principales.

Tout d’abord, ils cherchent à établir à une relation de confiance avec des partenaires internationaux en Occident, afin de contrer « l’opinion déséquilibrée et inconditionnellement favorable » à Israël souvent véhiculée par certains médias grand public.

Et deuxièmement, ils veulent montrer à la région qu’ils ne sont pas de simples spectateurs. Le responsable arménien reconnaît qu’ils peuvent être confrontés à des pressions locales de la part de musulmans ou de juifs, ajoutant qu’ils éprouvent souvent un sentiment de désespoir existentiel face à l’affaiblissement de leurs communautés chrétiennes.

Mais leurs déclarations affirment qu’ils ne sont pas, tout comme les Palestiniens, des enfants illégitimes de la terre ou des étrangers.

« Les chrétiens arabes sont aussi souvent des victimes », dit Paul Haidostian. « Les accuser de partialité est simpliste. »

Bien qu’il ait une opinion bien arrêtée sur le conflit actuel, le dirigeant arménien invite les chrétiens à ne pas considérer la région de manière monolithique : les croyants doivent veiller à ne pas confondre l’Israël biblique avec l’État moderne d’Israël et à ne pas laisser la rhétorique des gouvernements et des médias diriger leurs positionnements dans la foi.

Qu’est-ce que le Christ veut de nous maintenant ? demande-t-il. Si la Terre sainte est le berceau de la foi chrétienne, Jésus a clairement indiqué en Jean 17 que son regard s’étendait bien au-delà.

« La paix dans n’importe quelle partie du monde dépend de la paix partout ailleurs », dit Paul Haidostian. « La vitalité de l’Église au Moyen-Orient est essentielle à l’unité mondiale du corps du Christ. »

Reportage additionnel de Jeremy Weber.

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