Ideas

Jésus aurait-il tenu des propos racistes ?

Columnist; Contributor

Certains l’imaginent dans sa conversation avec une femme syro-phénicienne. Mais le contexte montre autre chose.

Christianity Today September 13, 2024
Wikimedia Commons / Edits by Rick Szuecs Every

Je croise régulièrement de nouveaux articles affirmant que Jésus était raciste.

Chaque fois, ceux-ci se basent sur la guérison de la fille d’une femme syro-phénicienne (Mt 15.21-28 ; Mc 7.24-30). Lorsque celle-ci demande à Jésus de prendre en pitié sa fille possédée par un démon, il lui répond, en effet : « Ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens. » Ce à quoi la femme réplique : « C’est vrai, Seigneur, d’ailleurs les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ». Jésus loue alors sa foi et guérit instantanément l’enfant. Certains concluent que Jésus, ayant agi de manière raciste en qualifiant les étrangers de « chiens », se serait rendu compte de son erreur dans la tournure prise par cet échange.

Il y a cependant différents contrarguments à cette lecture du passage. Théologiquement, tout d’abord, nous savons que Jésus était sans péché (Hé 4.15). Ensuite, d’un point de vue exégétique, la rencontre avec la Syro-Phénicienne reprend la forme générale de beaucoup d’autres récits de guérison dans les Évangiles : un appel à l’aide, suivi d’un échange où Jésus défie ses interlocuteurs — « Crois-tu que je sois capable de faire cela ? », « Qui m’a touché ? », « Est-il permis de guérir le jour du sabbat ? » — pour se terminer par un miracle.

Selon les récits canoniques, le Christ a déjà guéri des non-juifs à ce moment-là (Mt 8.5-13, 28-34), sans parler de sa conversation avec une Samaritaine, qui a scandalisé ses disciples (Jn 4.1-42). D’un point de vue historique, il est anachronique de parler de « race » à cette époque. Et il est, en définitive, également peu plausible que Matthieu ait conté un récit visant à dépeindre un Jésus motivé par des préjugés ethniques. Cela ne cadre pas avec son Évangile qui s’ouvre sur l’adoration du roi nouveau-né par des mages païens et se termine sur l’envoi des apôtres pour aller faire de toutes les nations des disciples.

Il y a là quelques arguments de poids pour ne pas considérer Jésus comme raciste. Mais en fin de compte, la meilleure raison de ne pas se rallier à cette opinion est contextuelle. En replaçant la rencontre avec la femme syro-phénicienne dans l’ensemble du texte de Matthieu (et de Marc), on s’aperçoit que les paroles provocatrices de Jésus visent à faire ressortir un point essentiel concernant l’étendue de sa mission.

Une grande partie de Matthieu 13-16 est marquée par le thème du pain. Il y a d’abord des paraboles sur les graines, le blé, le levain et la farine (13.1-43). Jésus fournit ensuite du pain à 5 000 personnes (14.13-21). Plus tard vient la question du rituel du lavage des mains avant le repas (15.1-20). Puis arrive le récit de la guérison de l’enfant de la Syro-Phénicienne, avec ses images de « pain » et de « miettes ». S’ensuit un autre récit où Jésus fournit du pain, à 4000 personnes cette fois (15.32-39), et un autre propos sur le pain et le « levain » des pharisiens et des sadducéens (16.5-12).

Dans ces passages, la nourriture constitue donc un élément central dans une redéfinition des frontières du peuple de Dieu. Les païens sont-ils souillés s’ils n’observent pas les lois alimentaires juives ? Et sont-ils les bienvenus pour manger les « miettes » qui tombent de la table juive ? Les réponses à ces deux questions montrent que l’accueil de Dieu est bien plus large que ce que l’on pensait alors. Ce qui rend les gens purs, ce n’est pas la nourriture qu’ils absorbent, mais bien leur attitude de cœur (15.11). Et les païens qui s’approchent du Christ par la foi reçoivent ce qu’ils recherchent (15.28).

Les deux récits de multiplication des pains illustrent bien les plans de Dieu pour son royaume multiethnique. Les 5 000 personnes du premier repas miraculeux étaient des Israélites ; ils ont récupéré 12 paniers de restes, un pour chaque tribu. En revanche, le repas des 4 000 personnes — qui a lieu immédiatement après la guérison de la fille de la Syro-Phénicienne — se déroule dans la Décapole, en territoire païen (Marc 7.31). Israël mange en premier, mais les non-juifs sont également nourris. Les « chiens » reçoivent du pain, comme les « enfants ». Cela correspond au message de Matthieu dans son ensemble : la mission du Christ, d’abord adressée aux juifs, (Mt 10.5-6) s’étend ensuite aux non-juifs (28.19).

Un dernier point mérite aussi une mention. Jésus est le deuxième prophète des Écritures, qui, fuyant les autorités officielles d’Israël, rencontre une femme païenne désespérée, s’entretient avec elle à propos de nourriture et guérit son enfant. Dans le cas d’Élie (1 R 17.7-24), c’est la femme qui fournit de la nourriture au prophète. Avec Jésus, le Pain de Vie, les choses sont différentes. C’est lui qui nourrit non seulement une personne ou un seul groupe de personnes, mais des milliers d’affamés, jusqu’à l’humanité entière.

Andrew Wilson est pasteur enseignant à la King’s Church London et auteur de God of All Things. Vous pouvez le retrouver sur Twitter @AJWTheology.

Traduit par Anne Haumont

News

Parcours de vie : Daniel Bourdanné, de l’étude des mille-pattes à la direction mondiale de l’IFES

L’ancien responsable tchadien du ministère étudiant, décédé le 6 septembre dernier, soutenait particulièrement l’édition chrétienne en Afrique.

International Fellowship of Evangelical Students/Adaptations par Rick Szuecs
Christianity Today September 13, 2024

Daniel Bourdanné, scientifique originaire du Tchad, en Afrique centrale, aura inspiré de nombreux jeunes évangéliques du monde entier en tant que secrétaire général de l’IFES et promoteur de longue date de l’édition de livres chrétiens en Afrique. Il est décédé le 6 septembre à l’âge de 64 ans des suites d’un cancer. 

En 2007, après des années de ministère auprès des étudiants, Daniel Bourdanné était devenu secrétaire général de l’International Fellowship of Evangelical Students (IFES), faîtière de très nombreux Groupes bibliques universitaires à travers le monde. Il occupera le poste jusqu’en 2019. Lecteur passionné (et parfois auteur), il travailla de 2018 jusqu’à son décès avec Africa Speaks pour promouvoir l’édition de livres chrétiens sur le continent.

Daniel Bourdanné passa une grande partie de sa vie en Afrique francophone, notamment au Togo, au Cameroun et en Côte d’Ivoire, avant de s’installer à Oxford, en Angleterre, à sa nomination comme secrétaire général de l’IFES. Au moment de son décès, il vivait à Swindon, en Angleterre. 

« Dieu m’a envoyé dans le monde à partir de ce continent, et il me ramène avec le monde sur ce même continent, pour que je termine mon rôle de missionnaire de l’Eglise africaine. », déclarait-il dans son discours d’adieu prononcé en Afrique du Sud en 2019, lors de l’assemblée mondiale de l’IFES. 

« Daniel était fier d’être africain », témoigne Tiémoko Coulibaly, secrétaire général des Groupes bibliques des élèves et étudiants du Mali, affilié à l’IFES. « Bien que vivant en Occident, son cœur était en Afrique, ce continent qui l’a vu naître et dont il n’a jamais désespéré. »

Fils de pasteur, Daniel Bourdanné naît le 18 octobre 1959 à Pala, dans le Mayo-Kebbi Ouest, au Tchad. À l’âge de 10 ans, il perd son père, dont la mort l’oblige à commencer à travailler dans les champs, à couper du bois et à cultiver des légumes pour que sa mère puisse les vendre. Ces responsabilités sont alourdies par la guerre civile qui durera de 1965 à 1979 et coûtera la vie à des milliers de personnes. 

Quelques mois avant la fin de la guerre, Daniel obtient une bourse pour poursuivre des études en écologie animale à l’Université du Tchad. Il obtient ensuite une licence en sciences naturelles à l’Université de Lomé, au Togo (anciennement Université du Bénin). 

En 1983, il s’installe à Abidjan, en Côte d’Ivoire, pour préparer un doctorat en écologie animale. Et en 1990, il soutient une thèse sur les mille-pattes et devient membre de la Société internationale des myriapodologues. 

Tout en poursuivant ses études, Daniel Bourdanné commence à travailler comme professeur de biologie dans un lycée. Cependant, sa passion pour le partage de l’Évangile avec les étudiants s’était déjà éveillée depuis bien longtemps. « À l’âge de 14 ans, lors d’une étude biblique sur Apocalypse 1, j’ai ressenti pour la première fois la vision et la passion de voir des étudiants sauvés pour le Seigneur », racontera-t-il par la suite.

« Directement ou indirectement, les universités déterminent et orientent plus ou moins profondément l’avenir des sociétés humaines », écrivait-il dans un article sur l’évangélisation des étudiants publié dans le Dictionnaire de théologie pratique en 2011. « Les étudiants sont souvent à l’avant-garde des changements sociaux dans le monde. En effet, quand ils se mettent en marche tous ensemble, grâce à leur énergie, leur vitalité, leur détermination, leur ferveur, leur imagination et leur créativité, ils peuvent faire bouger la société. »

En 1990, Daniel Bourdanné commence à travailler avec l’IFES en tant que secrétaire itinérant ; il est nommé secrétaire régional des Groupes bibliques universitaires d’Afrique francophone (GBUAF) en 1996.  

Lorsqu’il devient secrétaire général en 2007, succédant à Lindsay Brown qui occupait ce poste depuis 1991, l’IFES avait déjà 60 ans et était établie dans plus de 150 pays. Au cours de ses 12 années de mandat, le mouvement se développera encore considérablement, notamment en ce qui concerne la diversité de ses dirigeants. 

Sous la présidence de Daniel Bourdanné, l’IFES a accordé plus de place aux théologiens du Sud. En 2007, il nomme Christy Jutare, des Philippines, première femme secrétaire régionale de l’IFES, pour diriger la région Eurasie. En 2011, il installe les deux premiers représentants des étudiants au conseil d’administration de l’IFES. En 2016, il relance une revue mondiale de réflexion théologique et missiologique, Word and World.

Interrogé sur les moments forts de son mandat, il soulignait notamment le fait d’avoir vu Dieu « emprunter des chemins inhabituels » en invitant des personnes inattendues à se joindre à lui, ainsi que la joie de voir Dieu ouvrir des portes dans des contextes difficiles.

Il relevait également un défi majeur : « nous célébrons notre unité », écrivait-il dans son courriel d’adieu au ministère étudiant, « mais nous sommes humains, et il n’est donc pas surprenant que quelqu’un essaie parfois de promouvoir son agenda ou ses préférences. […] Ayant moi-même grandi dans un contexte de guerre et de conflits tribaux, j’ai été peut-être plus sensible à la façon dont ceci pouvait devenir une menace pour l’unité de l’IFES. »

L’une des grandes passions de Daniel Bourdanné était de permettre à l’Église mondiale d’entendre davantage les chrétiens africains. Il les encourageait à ne pas se contenter d’une unique école de pensée et à prendre leur place dans le domaine de la théologie.

« Certains d’entre nous se diront du côté de Billy Graham », observait-il dans son discours de 2019, « d’autres du côté de John Stott, ou encore de John Piper, et ces différences nous enrichissent, plus qu’elles ne nous divisent. » Cependant, ajoutait-il : « Parmi ces trois noms, il n’y en a pas d’africain. Il n’y a pas de nom non plus de quelqu’un d’Amérique latine, ni d’Asie. »

L’amour de Daniel Bourdanné pour les étudiants n’avait d’égal que son amour des livres. Le scientifique en possédait des milliers, soigneusement conservés dans trois bibliothèques différentes : chez lui, en Angleterre, dans son bureau d’Oxford et dans une résidence en Côte d’Ivoire.

C’est sa passion pour l’écrit qui l’amena à lancer son premier magazine. Avec quatre amis, ils mirent en commun leurs ressources pour financer le premier numéro et investir dans la publication. Le magazine tourna sans aide financière extérieure – hormis un don unique de 80 dollars de la part de missionnaires – jusqu’à la dispersion du groupe d’amis.

En 1995, Daniel Bourdanné devient directeur des Presses bibliques africaines. En 2018, il rejoint le conseil d’administration d’Africa Speaks, où il continua à siéger jusqu’à son décès, soutenant la croissance de l’industrie de l’édition chrétienne en Afrique en encourageant les auteurs chrétiens africains à écrire et à publier et en faisant la promotion de leurs livres. 

Pour les chrétiens africains, pensait-il, les livres pouvaient être des catalyseurs de transformation. « L’Afrique ne connaîtra pas sa révolution éditoriale tant que nous n’aurons pas gagné la bataille de l’amour des livres », écrivait-il. Une bataille qu’il voyait comme un appel à une contamination du continent africain : une contamination positive qui, à l’image des paroles de Jésus en Marc 7.14, ne viendrait pas de l’extérieur, mais de l’intérieur.

Il était convaincu que l’Afrique devait se donner les moyens de son propre progrès par un changement de mentalité accompagné d’une collaboration fructueuse avec l’Occident.

« À quoi sert la ferveur africaine du dimanche si les démons de la corruption, des conflits et des génocides ressurgissent de plus belle dès le lundi ? », interpellait-il en 2006 à Genève un auditoire composé principalement de responsables évangéliques européens. « À quoi servent en Europe nos cultes et nos prières, si nos vies restent orientées par la recherche du profit maximum et si nos Églises restent divisées ? » 

Il appelait les chrétiens européens à lutter pour le changement : « Nos actes parlent plus que nos paroles. Il faut que les victimes de l’injustice voient l’engagement des chrétiens occidentaux dans ce domaine. »

Bien qu’il ait davantage fait la promotion de la littérature chrétienne qu’il n’a écrit lui-même, il est notamment l’auteur de Ces évangéliques d’Afrique, qui sont-ils ? (1998), et L’Évangile de la prospérité, une menace pour l’Église en Afrique (1999).

En 2018, l’Université Calvin lui décerne le Prix Abraham Kuyper pour l’excellence en théologie et en vie publique réformées, soulignant son travail dans l’édition chrétienne francophone et son ministère auprès de l’IFES. 

« Il y a un quart de siècle, Daniel a constaté que les étudiants chrétiens avaient besoin d’être guidés, à partir d’une vision chrétienne du monde, sur toute une série de sujets qui les préoccupaient, et il s’est donc mis à l’œuvre », déclarait Jul Medenblik, président du Calvin Theological Seminary. 

Timothée Joset, professeur associé de missiologie à la Faculté libre de théologie évangélique (FLTE) en France et membre du Global Resource Ministries de l’IFES, raconte que son ami Daniel l’avait initié aux questions complexes auxquelles est confrontée l’Afrique francophone et aux relations globales Nord-Sud.

« Ce qui m’a aussi impressionné, c’était sa résilience. Il n’était pas rancunier, même s’il a subi beaucoup de racisme », rapporte encore Timothée Joset, citant un exemple si flagrant que le théologien N.T. Wright le mentionna même dans un sermon de Pâques. 

Après que l’IFES l’avait engagé comme secrétaire général, « le haut-commissariat britannique à Accra traînait les pieds concernant la demande de Daniel de venir ici, puis l’a rejetée avec un minimum d’explications », raconte Wright. « Daniel a alors demandé l’autorisation de se rendre au Royaume-Uni avec son visa de visiteur en cours, et on lui a répondu qu’il pouvait le faire. Mais à son arrivée, il a été détenu pendant 22 heures, ses téléphones portables ont été saisis et il a été renvoyé en Afrique par avion. » 

Malgré ce qu’il avait subi, Daniel Bourdanné inspirait ses pairs par son caractère attentionné et son humilité. L’un de ses étudiants se souvient avec émotion de la façon dont il lui avait personnellement envoyé des livres, alors que le système postal anglais confondait sans cesse son adresse avec celle d’un autre pays. Un autre collègue international rappelle que Daniel préférait s’asseoir par terre pendant les conférences, pour permettre à d’autres d’avoir une chaise.

Cette humilité n’a cependant jamais empêché Daniel Bourdanné d’interpeller ses frères et sœurs sur des sujets qui lui tenaient à cœur, comme l’évangélisation. Il servit le Mouvement de Lausanne en tant que directeur adjoint international pour l’Afrique francophone (21 pays), jusqu’à la conférence de Lausanne de 2010 au Cap, en Afrique du Sud. Lorsqu’il quitta ce poste, il fut nommé au conseil d’administration du Mouvement de Lausanne.

« Peut-on être crédible en annonçant un évangile qui ignore l’exploitation des gens simples par les plus forts ? Peut-on continuer de se préoccuper du salut des âmes des Africains […] en fermant les yeux sur leur situation sociale ? », demandait-il en 2016. « En quoi l’Évangile est une bonne nouvelle pour des communautés qui vivent dans un environnement où leurs besoins minimums de base sont encore loin d’être satisfaits ? Comment rester silencieux face aux inégalités sociales qui montent en Afrique et face aux questions environnementales ? La proclamation et l’action doivent aller de pair. »

Daniel Bourdanné laisse derrière lui son épouse Halymah, originaire du Niger, et leurs quatre enfants.  

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Books

Comment lire la Bible en couleur ?

Pourquoi un groupe multiethnique d’éditeurs a commencé à travailler sur un nouveau commentaire du Nouveau Testament.

Christianity Today September 12, 2024
Illustration by Mallory Rentsch Tlapek / Source Images: Getty / Unsplash

Assis dans un café, une pile de livres encombrant la petite table devant moi, je ressassais des idées sombres sur le manque d’attention des milieux académiques à l’égard de l’Église noire et de l’interprétation des Écritures des responsables et spécialistes afro-américains. Mon temps passé dans l’enseignement supérieur religieux avait démontré de bien des manières sa croyance que la tradition qui m’avait formé n’avait pas grand-chose à dire au reste du monde.

Les idées et les tendances qui s’imposent naissent en Europe ou chez les Blancs d’Amérique du Nord. Les chrétiens noirs, l’histoire le montre, ont eux souvent été vus comme théologiquement simplistes, voire dangereux. Mais je souhaitais ardemment que les gens connaissent cette tradition telle que je l’avais vécue : vivifiante, spirituellement robuste et intellectuellement stimulante. Nous avions lutté avec Dieu et trouvé notre chemin vers la foi dans un contexte de racisme anti Noirs souvent entretenu par d’autres chrétiens. Je voulais faire connaître cette histoire, ainsi que le fruit de notre travail. Et c’est toujours mon désir.

Tout en sirotant mon café, une idée m’a soudain frappé. Cette idée fut le point de départ de The New Testament in Color: A Multiethnic Commentary on the New Testament (« Le Nouveau Testament en couleur : un commentaire multiethnique du Nouveau Testament »). Je m’étais toujours plaint du manque de reconnaissance des universitaires blancs envers les voix afro-américaines. Mais, en fait, je ne savais pas grand-chose non plus des interprétations bibliques de mes compatriotes d’origine asiatique, ni de leurs développements théologiques et historiques, et des dons qui en découlent pour le corps du Christ. Il en allait de même pour les interprétations latino-américaines et des approches de lecture de la Bible des Premières Nations et des peuples autochtones.

D’une certaine manière, j’étais hypocrite. Je voulais que les gens s’intéressent aux contributions de ma communauté, sans m’investir de la même manière pour les autres. Il me fallait passer moins de temps à me plaindre et plus de temps à écouter. Cette prise de conscience fut donc le point de départ de ce projet de commentaire, avec l’espoir de nous retrouver, par-delà nos différences ethniques, et de créer ensemble quelque chose de beau.

Je voulais savoir quel fruit pourrait émerger de la production commune d’un commentaire par les divers groupes ethniques présents en Amérique du Nord. J’avais soif d’apprendre de mes frères et sœurs en Christ au-delà du mode binaire Noir-Blanc qui façonnait mon univers dans le Sud des États-Unis.

Il était naturel que j’exprime des doléances envers le pouvoir académique en place. En 2019, la Société de littérature biblique, le plus vaste regroupement de spécialistes de la Bible, a réalisé une étude sur ses membres. Il s’est avéré que 86 % (2 732 sur 3 159) de ceux qui se décrivaient comme professeurs de collège ou d’université, étaient d’origine européenne ou caucasienne.

Compte tenu de la démographie des États-Unis (et du reste du monde), il est plus que juste de dire que les études bibliques sont dominées de manière disproportionnée par les Blancs ou les Européens. Si Dieu donne son Esprit à chacun et équipe tout le corps du Christ pour lire et interpréter la Bible, il est tragique que tout le corps du Christ ne soit pas engagé dans le processus de lecture, d’interprétation et d’application de ces textes. Aucune partie du corps n’a le droit de parler au nom de tous. Nous avons besoin les uns des autres.

Certains se demandent toujours si le manque de diversité ethnique est important. L’interprétation biblique ne consiste-t-elle pas simplement à traduire des mots et à relier entre elles les idées formant des phrases, des paragraphes, des récits ou des lettres ? C’est ce que l’on m’a toujours dit : pour être de bons interprètes, il suffit d’une bonne compréhension du contexte historique ainsi que d’une expertise grammaticale, textuelle et linguistique.

Je ne veux négliger aucune de ces compétences importantes et vitales et les auteurs de The New Testament in Color ont travaillé dur pour acquérir ces outils scientifiques. Les textes bibliques sont la Parole que Dieu adresse à son peuple et nous devons faire de notre mieux pour les lire correctement et attentivement.

Mais pour ce faire, il est justement essentiel qu’une diversité de voix soit présente dans le processus d’interprétation biblique. En effet, nous abordons toujours le texte en tant que nous-mêmes, c’est-à-dire en tant qu’êtres humains avec leurs expériences, leurs préjugés, leurs dons et leur passif. Nous ne sommes pas des esprits désincarnés sans histoire ni culture. Nous ne sommes pas des machines exégétiques ; nous sommes des personnes qui interprètent.

Tous, nous venons de quelque part. Et ce quelque part a laissé son empreinte, que nous le reconnaissions ou non. Lorsqu’une culture domine le discours, nous nous fermons à ce que l’Esprit Saint dit dans d’autres cultures. Chaque approche contextuelle de la Parole de Dieu, enracinée dans la confiance en celle-ci, est un don d’une tradition particulière à l’ensemble de l’Église. Elle nous donne l’assurance qu’aucune de nos expériences n’est perdue, que tout ce que nous sommes est utile à Dieu.

Nous ne sommes pas appelés à mettre de côté notre culture dans le processus de lecture de la Bible. Comme notre ethnicité, elle a son origines en Dieu (Ep 3.14-15). Chaque culture et chaque ethnie, développée par des êtres humains créés à l’image de Dieu, est marquée à la fois par son origine divine (Gn 1.28) et par la rupture avec Dieu (Gn 3).

Il n’y a pas de culture parfaite. Dans la rencontre avec le Dieu vivant, chaque culture et chaque peuple est interpellé est appelé à devenir une meilleur version de lui-même. Nos cultures sont sans paix jusqu’à ce qu’elles trouvent la paix dans leur Créateur. Aucune ne reste inchangée au contact des Écritures. La parole que Dieu adresse aux humains et à leurs cultures est toujours oui et non. Il nous offre le pardon pour ce qui a raté et encourage nos combats pour ce qui est bon, vrai et beau.

Une interprétation biblique consciente de notre situation sociale rend compte de l’œuvre de l’Esprit à travers l’étude de la Bible dans les différents milieux culturels et ethnies du monde. Malheureusement, on a trop souvent confondu sanctification de la culture et occidentalisation de la culture, ce qui a causé d’énormes dommages à l’Église. L’œuvre transfiguratrice de Dieu ne s’accomplit pas avec l’Occident comme référence. Les sociétés ne deviennent pas plus saintes à mesure qu’elles ressemblent davantage à l’Europe, mais à mesure qu’elles se rapprochent de Dieu.

Ce cheminement auquel chaque culture est appelée pour trouver son identité à la lumière de la Parole de Dieu est non seulement bon pour elle, mais aussi pour l’ensemble du corps du Christ. En nous écoutant les uns les autres, nous sommes notamment amenés à découvrir comment notre propre culture a parfois entravé une juste lecture de certains textes.

En raison des diverses manières dont les Écritures ont été utilisées pour justifier des choses indéfendables telles que la colonisation, l’esclavage et le mépris avéré pour les cultures non occidentales, de nombreuses interprétations bibliques contextuelles se sont enracinées dans une herméneutique du soupçon dans le but de résister à ces maux.

Mais, s’il est juste de s’opposer à l’utilisation abusive des Écritures pour justifier le mal, nous pensons également que toute approche du texte doit se faire dans une herméneutique de la confiance. Le Dieu qui s’y adresse à nous est un ami, et non un ennemi. Nous voulons honorer le fait que les traditions ecclésiales dont nous sommes issus ont vécu leur libération et leur transformation spirituelle avec ces textes, et non contre eux. Certains y voient de la naïveté. Pour moi, il s’agit d’une sagesse durement acquise.

Les Écritures constituent notre guide à tous pour la foi et la vie chrétiennes. Évoquer le concile de Nicée, par exemple, ne signifie pas privilégier la culture occidentale pour définir le christianisme mondial. Il s’agit d’affirmer que Dieu était à l’œuvre parmi ces chrétiens du passé pour nous dire des choses qui sont vraies et bonnes. Nous espérons que, de même, dans les générations à venir, malgré nos compromis et nos échecs, les chrétiens pourront encore apprécier notre contribution théologique, même si aucune tradition n’est irréprochable.  

Nous ne voulons donc pas que nos différentes cultures dominent les textes. Nous voulons que – grâce à l’interaction entre nous, le texte, l’histoire et la culture – les vérités qui étaient invisibles pour certains se révèlent avec plus d’éclat. D’un chœur émane une beauté que les solistes ne peuvent atteindre.

En fin de compte, les fruits de notre travail seront visibles dans la manière dont nous aurons aidé les croyants, les responsables d’études bibliques et les étudiants à mieux lire le texte. Comme tout groupe d’auteurs engagés à servir le corps du Christ, nous accueillerons volontiers les réactions des lecteurs de bonne foi. Notre objectif n’est pas de remplacer une forme d’hégémonie par une autre, ni de clore la conversation autour de la lecture culturelle des textes. Nous voulons encourager une recherche commune de la pensée de Christ et de ses desseins pour son peuple.

Cela dit, nous avons bon espoir que nos écrits feront ce que visent tous les bons commentaires : renvoyer le lecteur au texte avec de nouvelles questions, des réponses et un sentiment d’émerveillement face à cette antique parole qui se renouvelle sans cesse, nous questionne et nous inspire pour suivre toujours plus fidèlement notre Roi et Seigneur.

Extrait de The New Testament in Color, sous la direction d’Esau McCaulley, Janette H. Ok, Osvaldo Padilla, et Amy Peeler. Copyright (c) 2024 par Esau McCaulley, Amy L. Peeler, Janette H. Ok, et Osvaldo Padilla. Traduit et publié avec la permission de InterVarsity Press. www.ivpress.com

Esau McCaulley est l’auteur de How Far to the Promised Land: One Black Family’s Story of Hope and Survival in the American South et du livre pour enfants Andy Johnson and the March for Justice. Il est professeur associé de Nouveau Testament et de théologie publique au Wheaton College.

Traduit par Anne Haumont

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Books

Un monument théologique à l’unité dans la diversité

Il y a cinquante ans, la solution de la déclaration de Lausanne à la division parmi les évangéliques n’était pas l’uniformité.

Christianity Today August 16, 2024
Illustration d’Ibrahim Rayintakath

Dans le film Memento, paru en 2000, Leonard Shelby souffre d’une lésion cérébrale qui l’empêche de former de nouveaux souvenirs à long terme. Il peut se rappeler une information pendant 30 secondes à une minute au maximum, puis il oublie tout.

La déconnexion entre Leonard et son passé le laisse dans un état de perpétuelle perplexité quant à la façon dont il s’est retrouvé dans sa situation présente : Quel ennemi est-ce que je fuis et pourquoi ? Pourquoi est-ce que je tiens une arme ? Sa confusion est la conséquence de son amnésie, de son incapacité à se souvenir de sa propre histoire. Si Leonard pouvait simplement réapprendre et mémoriser des éléments importants de son passé, il retrouverait une existence stable, avec une compréhension saine de lui-même et des gens qui l’entourent.

Les évangéliques contemporains sont dans une situation semblable. Nous sommes nous aussi bien souvent déconnectés de notre passé, mais pour des raisons plus réversibles qu’une lésion cérébrale. En conséquence de cette déconnexion, les évangéliques sont plus divisés que jamais, et beaucoup luttent contre des adversaires qui étaient autrefois des amis.

Et si nous faisions une pause pour nous souvenir de notre histoire ? Non seulement nous nous rappellerions qui nous sommes et comment nous en sommes arrivés là, mais nous pourrions même redécouvrir le meilleur de ce que le mouvement évangélique a été, est et pourrait encore être.

L’un des plus grands problèmes aujourd’hui est qu’il semble n’y avoir pratiquement aucun consensus sur ce que le mot évangélique signifie. Il serait heureux que les évangéliques du monde entier puissent se mettre d’accord sur les paramètres de base de l’évangélisme — quelque chose de suffisamment restreint pour encourager une saine diversité, mais de suffisamment substantiel pour garantir l’intégrité doctrinale.

Ou peut-être l’auraient-ils déjà fait ?

Il y a cinquante ans, en juillet 1974, environ 2 700 responsables chrétiens de 150 pays se sont retrouvés à Lausanne, en Suisse, à l’initiative de l’évangéliste américain Billy Graham et du théologien britannique John Stott.

La conférence était officiellement intitulée « Premier congrès international sur l’évangélisation du monde », mais elle est surtout restée dans les mémoires comme le premier congrès de Lausanne de 74. Bien que le rassemblement n’ait inclus qu’une partie de l’Église mondiale, le magazine Time avait rapporté à l’époque que le congrès était « probablement la plus grande réunion de chrétiens jamais organisée ».

En haut : Les participants arrivent au Palais de Beaulieu à Lausanne, en Suisse, en 1974. En bas : Des interprètes traduisent les séances plénières de Lausanne dans les six langues officielles du congrès.Fournies par la Billy Graham Evangelistic Association
En haut : Les participants arrivent au Palais de Beaulieu à Lausanne, en Suisse, en 1974. En bas : Des interprètes traduisent les séances plénières de Lausanne dans les six langues officielles du congrès.

Le résultat le plus important et le plus durable de ce rassemblement est certainement la déclaration de Lausanne qui, avec le temps, s’est avérée l’un des documents les plus influents de l’évangélisme moderne. L’objectif du document était de répondre à une question clé : Dans quelle mesure devons-nous être d’accord les uns avec les autres pour nous associer dans l’œuvre de la mission mondiale ?

À l’époque, comme aujourd’hui, le monde évangélique ressentait les effets de la controverse entre fondamentalistes et progressistes, qui a provoqué de douloureuses scissions dans presque toutes les grandes institutions et dénominations chrétiennes. L’approche fondamentaliste face aux différences impliquait rigidité doctrinale et emploi de critères de vérité rigoureux. La perspective progressiste tentait d’éviter de fixer des limites doctrinales, risquant ainsi de s’écarter considérablement du christianisme historique.

Mais les évangéliques de Lausanne ont adopté une autre approche.

L’approche évangélique de la diversité mise en valeur lors du congrès se caractérise à la fois par (1) une négociation prudente de l’unité par-delà les différences, en se fondant sur les confessions communes du christianisme historique et (2) la célébration de la diversité vue en elle-même comme un bien, et même une expression du plan de Dieu pour l’Église mondiale et universelle rassemblant tous les croyants.

La déclaration de Lausanne donne une définition théologique de l’évangélisme et évite intentionnellement tout élément sociopolitique associé au mouvement. Elle ne prend pas non plus position sur toute une foule de questions importantes, mais tout de même secondaires, en matière de théologie, de doctrine et de pratique. Par exemple, on n’y trouve rien sur le baptême, les rôles des hommes et des femmes dans le ministère, ou l’âge de la terre et l’évolution.

En évitant ce genre de questions, la déclaration de Lausanne a permis de rassembler des chrétiens qui, autrement, auraient pu rester divisés. Les responsables du congrès ont cherché à créer une communauté transcendant ces différences au service d’une mission commune appelant « l’Église tout entière à apporter l’Évangile tout entier au monde tout entier ».

D’une certaine manière, cette déclaration se présente comme une confession de foi composée de 15 articles, d’une introduction et d’une conclusion. Avec un peu plus de 3 100 mots en anglais, le document était suffisamment court pour être imprimé lisiblement sur les deux faces d’une seule page. Dans ce qui reste comme un précieux accompagnement à la lecture de la déclaration, Stott, président du comité de rédaction, détailla le raisonnement qui sous-tend chaque article.

Il serait erroné de considérer ce document comme une simple confession de foi. Stott le décrit comme une forme de pacte — un « contrat contraignant » qui engage ses signataires dans un but et un partenariat communs. Après 10 jours de débats, de discussions et de négociations, la plupart des participants (2 300) signèrent ensemble le document. John Stott formule ainsi la démarche : « Nous ne voulions pas simplement déclarer quelque chose, mais faire quelque chose — nous engager dans la tâche de l’évangélisation mondiale. »

Aujourd’hui encore, la Déclaration est destinée à être signée par ceux qui la lisent et l’acceptent. Ce faisant, nous nous engageons à coopérer les uns avec les autres dans la mission de Dieu.

Comme de très nombreux évangéliques, je n’avais jamais entendu parler de la déclaration de Lausanne dans mon enfance, et on ne m’a demandé de la signer qu’à l’âge adulte. Je suis un Indien à la peau foncée, né en Californie du Sud en 1978 d’immigrants de première génération qui étaient tous deux chrétiens — dont un père qui a étudié à l’université Biola.

Et tandis que ceux qui fréquentaient des institutions chrétiennes s’engageaient parfois vis-à-vis de la déclaration de Lausanne, j’ai été formé dans une école secondaire publique et une université d’État laïque. Les églises que j’ai fréquentées dans mon enfance étaient non confessionnelles, ce qui avait des avantages, mais conduisait aussi à une certaine amnésie quant à l’histoire du christianisme.

J’ai entendu parler pour la première fois de la déclaration à la fin de l’année 2000, il y a 24 ans, alors que j’étais étudiant de troisième cycle me destinant à la médecine scientifique. J’avais alors posé ma candidature pour la bourse Harvey Fellowship, offerte aux chrétiens entrants dans des domaines sous-représentés : tous les candidats devaient signer la déclaration de Lausanne. Ayant été accepté, je me suis rendu l’été suivant à Washington, DC, pour un événement d’une semaine destiné à faire la connaissance d’un petit groupe d’autres nouveaux boursiers Harvey.

Cet événement a considérablement élargi mon expérience de la diversité évangélique. Ben Sasse, historien à Yale et presbytérien réformé, a été le premier chrétien que j’ai connu à présenter une défense plausible du baptême des enfants, même si lui et moi n’étions pas d’accord à ce sujet. Mac Alford, biologiste végétal à l’université Cornell, était le premier chrétien que j’ai rencontré qui soutenait l’évolution — que je rejetais à l’époque.

Et même si ces désaccords étaient gênants, du moins pour moi, nous avions tous signé la déclaration de Lausanne (qui ne prend position sur aucune de ces questions) et nous étions donc déjà engagés à coopérer.

La déclaration de Lausanne rend théologiquement compte de nos différences à partir de la conviction que ces différences peuvent avoir une valeur intrinsèque. Les responsables du congrès ne se complaisaient pas dans une l’idée d’un accord minimaliste, mais cherchaient à fonder une communauté capable de dépasser nos différends.

La déclaration considère que nos différents points de vue sur l’Écriture sont un mécanisme par lequel la sagesse de Dieu se révèle à nous :

[l]a révélation de Dieu dans le Christ, telle que nous la trouvons dans l’Écriture, ne saurait changer. Par elle, le Saint-Esprit continue à nous parler aujourd’hui ; dans chaque culture il illumine l’intelligence du peuple de Dieu afin qu’il perçoive personnellement et de façon nouvelle la vérité divine et il révèle ainsi à l’Église entière la sagesse infiniment variée [litt: multicolore] de Dieu.

Au lieu de nier les frontières doctrinales pour atteindre une paix de façade, l’Évangile nous appelle à lire nos Bibles ensemble, faire le tri dans nos différences et négocier nos accords. Cette approche était clairement présente dans la façon dont la déclaration de Lausanne a vu le jour.

Bien que le congrès lui-même n’ait duré que 10 jours, le processus de rédaction de la déclaration a nécessité des mois de dialogue et de négociation. Mais avec 2 700 délégués à la conférence, quel était le degré de coopération possible ? Il s’avère qu’il y eu de réelles possibilités en la matière, de telle sorte que Stott pouvait affirmer « que la déclaration de Lausanne exprime un consensus de la pensée et de l’esprit du Congrès de Lausanne ».

La rédaction du document fut confiée à un petit comité comprenant Stott, Hudson Armerding, alors président du Wheaton College, et Samuel Escobar, théologien péruvien de l’InterVarsity Christian Fellowship.

Plusieurs mois avant la réunion de juillet, les participants avaient reçu des documents de tous les orateurs de la rencontre et avaient été invités à faire part de leurs commentaires par écrit. Rédigé par J. D. Douglas, à l’époque éditeur pour Christianity Today, l’avant-projet était basé sur les thèmes et les idées clés de ces documents.

Stott commentait : « On peut déjà dire que ce document est issu du Congrès (bien que le Congrès ne se soit pas encore rassemblé), car il reflète les contributions des principaux orateurs dont les textes avaient été publiés à l’avance. »

Avant la conférence, une première version avait été envoyée à plusieurs conseillers avisés, dont les commentaires ont servi à orienter la première révision du document. Une deuxième révision a ensuite été supervisée par le comité.

Mais les rédacteurs ont également voulu interagir avec les participants eux-mêmes, les écouter et apprendre d’eux. Ainsi, au milieu de la rencontre de juillet, chaque participant a reçu une copie de la troisième version de la déclaration et a été invité à soumettre ses réponses et à en discuter au sein de petits groupes organisés chaque jour.

À partir de ce retour d’information, les objections et les propositions d’amendements ont été soumises à l’examen du comité de rédaction. Selon Stott, le congrès

a réagi avec beaucoup de diligence. Plusieurs centaines de propositions ont été reçues (dans les langues officielles), traduites en anglais, triées et étudiées. Certains amendements proposés se sont annulés réciproquement, mais le comité de rédaction a incorporé tout ce qu’il pouvait.

En fin de compte, cette négociation a eu un impact substantiel sur le document final autour de trois thèmes principaux. Tout d’abord, une formule soigneusement négociée sur l’inerrance biblique a été ajoutée. Deuxièmement, les propos de la déclaration sur la responsabilité sociale ont été renforcés. Troisièmement, plusieurs changements ont été apportés pour refléter les préoccupations et la sagesse de l’Église en dehors du monde occidental. Ces trois thèmes, je crois, résument les leçons de Lausanne pour le moment présent.

I. L’article sur l’autorité de l’Écriture a été renforcé pour inclure une déclaration longuement discutée sur l’inerrance, influencée par les contributions de Francis Schaeffer et d’autres : « Il n’y a point d’erreur dans tout ce qu’elle affirme. » Cette modification spécifique a fait l’objet d’une vive controverse, ce qui a constitué un défi de taille pour le comité de rédaction.

D’une part, les raisons d’inclure une affirmation de l’inerrance étaient fortes. Une vision différente des Écritures est à l’origine de nombreux désaccords profonds entre les évangéliques et les chrétiens progressistes. Les revendications modernistes poussées par la haute critique soutenaient que la Bible faisait « autorité », mais que son message était toujours susceptible d’être modifié en raison de ses nombreuses erreurs.

Parallèlement à cette affirmation, de nombreux chrétiens libéraux rejetaient la croyance en la résurrection, la naissance virginale et l’existence d’un Adam et d’une Ève historiques. Et si ces trois confessions classiques du christianisme n’ont pas la même importance, le rejet de n’importe laquelle d’entre elles constitue une révision majeure aux conséquences considérables.

Clarifier la nature de ce désaccord sur les Écritures était au premier plan des préoccupations des organisateurs de la conférence. Pour de bonnes raisons, les évangéliques ne pouvaient pas aisément envisager de s’associer dans la mission mondiale avec ceux dont la compréhension de l’Évangile n’incluait pas, par exemple, la résurrection corporelle de Jésus. Il y avait là un tout autre Évangile (Ga 1.6-9). Pour reprendre les mots de l’apôtre Paul, « si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est inutile » (1 Co 15.17).

Dans son contexte immédiat, le congrès de Lausanne était par ailleurs une réponse à la Conférence de Bangkok sur le salut aujourd’hui, convoquée l’année précédente (1973) par le Conseil œcuménique des Églises (COE). Le lieu même avait été choisi en partie en raison de la proximité de Lausanne avec Genève, où se trouve le siège du COE.

La conférence de Bangkok comprenait des délégués évangéliques ainsi que des chrétiens libéraux et traditionnels, dont beaucoup s’étaient éloignés de l’orthodoxie. Et bien que son rapport final intègre une concession aux évangéliques, affirmant avec Actes 4.12 qu’« il n’y a pas d’autre nom [que Jésus] donné parmi les hommes par lequel nous devions être sauvés », d’autres demandes visant à renforcer la théologie de l’Évangile — faisant écho à la déclaration de Francfort de 1970, dans laquelle les chrétiens allemands s’opposaient à la « tournure humaniste » des missions au sein du COE — furent rejetées comme des approches occidentales qui ne parlaient pas pour tout le monde.

En outre, le rapport de Bangkok contenait des déclarations qualifiant toute libération d’une oppression sociétale de forme de salut, y compris « la paix du peuple au Vietnam, l’indépendance en Angola, la justice et la réconciliation en Irlande du Nord et la libération de la captivité du pouvoir ». Dans Christianity Today, Peter Beyerhaus écrivait :

Ici, sous une couverture apparemment biblique, le concept de salut a été tellement élargi et privé de sa spécificité chrétienne que toute expérience libératrice peut être décrite comme « salut ». En conséquence, toute participation à des efforts de libération serait appelée « mission ».

Le théologien allemand ajoutait que la conférence présentait également le maoïsme — le communisme chinois — comme une alternative acceptable au christianisme. De même, l’Église du prophète Simon Kimbangu, qui affirmait être l’incarnation de Dieu le Père et que son fils était la seconde incarnation de Jésus, y était décrite comme un exemple louable de ministère autochtone.

Loin d’être anodines, ces orientations constituaient des appels intentionnels de la direction du COE aux Églises asiatiques et africaines, et toute objection théologique était rejetée comme vaine tentative d’inféoder les Églises autochtones à la pensée occidentale.

Si personne ne peut dicter qui peut se présenter comme chrétien ou même évangélique, la déclaration de Lausanne fonde l’unité chrétienne sur une mission commune, celle de proclamer l’Évangile tout entier au monde tout entier. Cette mission est la raison pour laquelle, malgré nos différences, nous nous joignons à cette communauté souvent inconfortable qu’est l’Église.

Les désaccords sérieux sur la nature de l’Évangile peuvent souvent être attribués à deux façons fondamentalement différentes de comprendre l’Écriture. Toutes les parties au débat s’accordaient à dire que l’Écriture fait autorité, mais certains voient ses enseignements comme toujours changeants et pleins d’erreurs.

D’autre part, même pour de nombreux chrétiens orthodoxes, le terme d’inerrance restait une pierre d’achoppement. Le mot était déjà utilisé par certains fondamentalistes comme un test doctrinal décidant exclusion ou inclusion. Pour compliquer le problème, le terme était mal défini, car il faudrait encore quelques années avant que les déclarations de Chicago sur l’inerrance et l’herméneutique ne soient rédigées, respectivement en 1978 et en 1982. Il n’est donc pas surprenant que de nombreux participants se soient fortement opposés à l’utilisation du mot « inerrance » dans le paragraphe sur les Écritures.

La solution de Stott à cette impasse a été forgée au cours du processus de négociation et s’est avérée judicieuse. Au lieu d’imposer le mot, il l’a remplacé par une définition claire et concise affirmant de l’Écriture qu’il « n’y a point d’erreur dans tout ce qu’elle affirme ». Les évangéliques qui s’opposaient au terme d’inerrance pouvaient soutenir cette version, qui écartait cependant de nombreux progressistes.

II. Le congrès a également renforcé l’article de la déclaration relatif à la responsabilité sociale. Là encore, les rédacteurs se distinguèrent à la fois des progressistes du COE et de la réaction excessive des fondamentalistes à l’évangile social du libéralisme.

Le cheminement de Billy Graham sur la question de la justice sociale fournit un contexte instructif. En 1953, rompant avec son éducation sudiste, Graham commença à insister pour que ses auditoires soient mélangés, avec des Noirs et des Blancs assis les uns à côté des autres.

En 1960, il prit la parole lors de réunions de réveil très médiatisées dans plusieurs pays d’Afrique, prêchant l’Évangile à des foules gigantesques dans des stades bondés, mais refusa de venir prêcher l’Évangile à des foules ségréguées par l’apartheid sud-africain.

Ces agissements constituaient des déclarations sociopolitiques claires sur la mixité raciale dans l’église, ce qui suscita la rage de nombreux fondamentalistes, y compris ceux de sa propre dénomination, les baptistes du Sud.

Une semaine après le refus de Graham en Afrique du Sud, l’évangéliste et diffuseur fondamentaliste Bob Jones Sr. Lui répondait dans un message radiophonique de Pâques intitulé « La ségrégation est-elle scripturaire ? » Arguant d’une lecture torturée d’Actes 17.26, Jones enseignait que la réponse était oui. Les efforts visant à mélanger les « races » et à mettre fin à la ségrégation allaient, selon lui, à l’encontre de l’ordre créé par Dieu et nous détournaient de la tâche de partager l’Évangile. En cela, Jones se faisait l’écho de l’opinion de nombreux chrétiens du sud des États-Unis.

Bien que l’apartheid ait perduré jusque dans les années 1990, Graham prêcha finalement en Afrique du Sud en 1973, juste un an avant Lausanne, dans ce qui fut peut-être l’un des premiers grands rassemblements du pays à réunir des Noirs, Blancs et autres personnes de couleur. Devant une foule mélangée de 100 000 personnes, le prédicateur soulignait : « le christianisme n’est pas une religion de l’homme blanc […] le Christ appartient à tous les peuples. »

En haut à gauche : A. Jack Dain et Billy Graham signent la déclaration de Lausanne lors de la cérémonie de clôture du congrès de Lausanne, 1974. En bas à gauche : Des responsables du congrès de Lausanne lors d’une conférence de presse en 1974. À droite : Martin Luther King Jr et Billy Graham.Fournies par la Billy Graham Evangelistic Association
En haut à gauche : A. Jack Dain et Billy Graham signent la déclaration de Lausanne lors de la cérémonie de clôture du congrès de Lausanne, 1974. En bas à gauche : Des responsables du congrès de Lausanne lors d’une conférence de presse en 1974. À droite : Martin Luther King Jr et Billy Graham.

Graham était un ami de Martin Luther King Jr et parfois un allié public de la cause de ce dernier. Il a continué à grandir dans son désir de voir s’établir plus de justice raciale au cours de sa vie, mais s’est aussi demandé s’il en avait fait assez. En 2005, il a exprimé ses regrets de ne pas avoir milité plus énergiquement en faveur des droits civiques, souhaitant avoir manifesté avec King dans les rues.

Ce contexte éclaire la version finale du texte de la déclaration, qui distingue le travail de proclamation de l’Évangile — centré sur le message de Dieu qui nous est adressé spécifiquement dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ — de l’engagement en faveur de la justice sociale :

Là aussi, nous reconnaissons avec humilité que nous avons été négligents et que nous avons parfois considéré l’évangélisation et l’action sociale comme s’excluant l’une l’autre. La réconciliation de l’homme avec l’homme n’est pas la réconciliation de l’homme avec Dieu, l’action sociale n’est pas l’évangélisation, et le salut n’est pas une libération politique. Néanmoins, nous affirmons que l’évangélisation et l’engagement sociopolitique font tous deux partie de notre devoir chrétien.

En réponse à la Conférence de Bangkok, la déclaration de Lausanne précise que la libération de l’oppression n’est pas à confondre avec le concept biblique de salut. Cependant, la déclaration évite également l’erreur fondamentaliste consistant à négliger la justice sociale et appelle même les évangéliques à se repentir d’avoir dissocié le christianisme de sa préoccupation légitime pour l’ordre social.

Ce sont des leçons essentielles pour nous aujourd’hui. Les difficultés que nous rencontrons pour aborder les questions raciales, la diversité et la justice sociale ne sont pas nouvelles. Le débat théologique sur l’évangile et la justice sociale est au moins aussi ancien que la controverse entre modernistes et fondamentalistes. Les évangéliques ont à juste titre rejeté l’évangile social et les formes spécifiques de la théologie de la libération qui s’éloignaient de l’enseignement historique du christianisme. Pourtant, nous avons souvent été trop complaisants — et trop peu préoccupés par notre complaisance — dans notre quête de justice.

Aujourd’hui, la bataille fait rage autour de la théorie critique de la race (CRT) et des initiatives en matière de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI). Il existe de nombreuses façons de définir et de mettre en œuvre la CRT et les initiatives de DEI, dont certaines s’apparentent à des versions sécularisées de la théologie de la libération. Mais le désir d’inclure et d’encourager la diversité dans la société est admirable et reflète en fin de compte l’aspiration au royaume de Dieu. C’est la raison pour laquelle de nombreux appels chrétiens en faveur de la justice raciale s’appuient sur le langage et les préoccupations de l’Écriture et sont même ancrés dans la personne de Jésus-Christ.

Au moins aux niveaux les plus élevés, les objectifs déclarés de la CRT et des quêtes de diversité, d’équité et d’inclusion ne sont pas le problème, même si nous craignons que de nombreuses approches de ces fins soient malavisées ou destructrices. Pour ceux d’entre nous qui sont préoccupés par les versions antibibliques de la CRT, le meilleur antidote pourrait être de suivre l’exemple de la déclaration de Lausanne. Puissions-nous articuler une solide théologie de la justice et aller jusqu’au bout de nos actions — et puissions-nous nous repentir de nos échecs passés en matière de justice.

III. En étudiant le Mouvement de Lausanne, je suis toujours frappé par la fierté, la joie et l’amour des membres pour la diversité de l’Église non occidentale et par leur désir d’amplifier sa voix. Les conférences sont structurées de manière à inclure des personnes issues des pays les plus éloignés, sous-représentés et dépourvus de ressources. Elles proposent des tarifs dégressifs pour permettre aux participants les moins fortunés d’y participer. Même si les organisateurs réunissent à chaque fois le groupe de chrétiens le plus global et diversifié de l’histoire, ils expriment toujours leur tristesse pour les secteurs de l’Église qui ne peuvent pas être présents.

Cela dit, l’engagement de Lausanne en faveur d’une participation mondiale s’est heurté à plusieurs obstacles dès le début de son histoire, à commencer par son premier rassemblement, au cours duquel plus de 1 000 des 2 700 participants venaient de pays en développement.

Avant Lausanne, certains responsables africains demandaient un « moratoire » sur les missionnaires occidentaux et sur les fonds collectés par l’intermédiaire de leurs réseaux. Cela s’expliquait en partie par le fait que beaucoup s’opposaient aux modèles paternalistes à l’œuvre dans les missions et souvent alimentés par de grands déséquilibres de richesse. Les missions occidentales, même bien intentionnées, ont parfois été exploiteuses et ne réussissent pas toujours à créer des relations de collaboration saines qui soient utiles aux pays non occidentaux. Il est clair que l’association de la culture occidentale au christianisme par le mouvement missionnaire a déformé l’Évangile et a souvent été une pierre d’achoppement pour le reste du monde.

Les organisateurs de Lausanne ont invité au congrès des chrétiens de tous bords, dont le théologien kenyan John Gatu, l’auteur de l’appel au moratoire. Lors du congrès, le groupe East Africa National Strategy, composé d’une soixantaine d’Africains, s’est saisi de cette question. Un débat solide et argumenté s’est ensuivi entre Gatu, qui plaidait en faveur du moratoire, et Festo Kivengere, un évêque anglican de l’Ouganda, qui s’y opposait. À la fin de la semaine, les deux parties avaient suffisamment aplani leurs divergences pour proposer une déclaration de consensus au congrès :

L’idée qui sous-tend le moratoire est celle d’une dépendance excessive à l’égard des ressources étrangères, qu’il s’agisse de personnel ou de finances, qui entrave l’initiative et le développement de la responsabilité locale. [Notre] groupe a estimé que l’application du concept de moratoire pourrait être envisagée dans des situations spécifiques plutôt que de manière générale.

Avec le retrait effectif du moratoire dans son ensemble, le reste du Congrès — et le comité de rédaction principalement occidental — aurait pu réagir triomphalement et laisser de côté la question. Au lieu de cela, le comité a reconnu la légitimité des préoccupations africaines et a amendé le projet de déclaration pour y ajouter : « Nous reconnaissons également que certaines de nos missions ont été trop lentes à former des responsables autochtones et à leur demander d’assumer les tâches qui leur incombent. »

Ailleurs, dans son article « Évangélisation et culture », la déclaration reconnaît également que si l’Évangile « ne présuppose nullement la supériorité d’une culture par rapport à une autre », « [t]rop souvent, les missions ont exporté, en même temps que l’Évangile, une culture étrangère ».

La déclaration telle qu’elle a été diffusée par le Comité de Lausanne pour l’évangélisation du monde dans les années 1970.
La déclaration telle qu’elle a été diffusée par le Comité de Lausanne pour l’évangélisation du monde dans les années 1970.
La déclaration telle qu’elle a été diffusée par le Comité de Lausanne pour l’évangélisation du monde dans les années 1970.
La déclaration telle qu’elle a été diffusée par le Comité de Lausanne pour l’évangélisation du monde dans les années 1970.

Dans ce processus, l’Église non occidentale reprenait à juste titre l’Église occidentale, et l’Occident a réagi par la repentance. Une fois de plus, la « sagesse multicolore de Dieu », pour reprendre l’expression originale de la déclaration, s’est révélée non pas en dépit, mais à cause de désaccords qu’il fallait régler.

À l’origine de cette question, il y avait le désir légitime des chrétiens non occidentaux d’être accueillis sur un pied d’égalité. Et la déclaration de Lausanne salue ouvertement la beauté de cette vision :

Nous nous réjouissons de voir se lever une nouvelle ère missionnaire. Nous assistons à la disparition rapide du rôle dominant des missions occidentales [démontrant] que la responsabilité d’évangéliser appartient au Corps du Christ tout entier.

Il y a cinquante ans, les évangéliques prenaient conscience de la manière dont les églises non occidentales souffraient lorsque l’Évangile était trop étroitement lié aux cultures et aux pays occidentaux. Aujourd’hui, nous en voyons aussi les dangers et les dommages que ce lien a causés aux églises occidentales.

Chaque fois que nous identifions le christianisme à l’Occident ou à toute autre entité sociopolitique, notre témoignage et notre compréhension de l’Évangile sont déformés. Et lorsque nous ignorons la diversité des voix de l’Église mondiale, nous négligeons la « sagesse multicolore » de Dieu.

En haut à gauche : Festo Kivengere. En haut à droite : John Stott. En bas : Participants à Lausanne II en 1989.Fournies par Wheaton Archives &amp
En haut à gauche : Festo Kivengere. En haut à droite : John Stott. En bas : Participants à Lausanne II en 1989.

La déclaration de Lausanne a donné naissance à une étrange sorte de mouvement, un réseau de chrétiens du monde entier issus de diverses dénominations et organisations. Et bien que le congrès lui-même ait été composé exclusivement de protestants, la déclaration se voulait ouverte sur les autres branches du christianisme. Au moins parmi les bénéficiaires de la bourse Harvey, de nombreux catholiques et chrétiens orthodoxes l’ont également signée.

Un chrétien de Chine m’a raconté que le jour où on lui avait demandé de signer la déclaration, il s’est trouvé dans une réelle inquiétude. En Chine, les signatures sont des preuves matérielles que le gouvernement utilise pour identifier les chrétiens et les persécuter ; on lui a donc appris à ne jamais signer quelque chose qui l’impliquerait à ce point. Pourtant, après mûre réflexion, il a décidé de signer cette déclaration, la seule déclaration de foi qu’il ait jamais signée. Beaucoup d’entre nous ne serons jamais confrontés à une persécution comme celle qu’il pouvait craindre, mais en signant la déclaration, nous nous associons solidairement à lui et bien d’autres personnes comme lui.

La communauté de Lausanne a continué à croître et, bien qu’elle reste pleine de désaccords, elle a gardé une vision claire de la mission confiée par Celui qui est plus grand que toutes nos différences.

En haut : Les participants discutent du programme à Lausanne II, 1989. En bas : Une session lors de Lausanne II.Fournie par Wheaton Archives & Special Collections, Wheaton College, IL
En haut : Les participants discutent du programme à Lausanne II, 1989. En bas : Une session lors de Lausanne II.

La communauté de Lausanne a également continué à rassembler de nouvelles générations de responsables. Quinze ans après le congrès de 1974, en 1989, le deuxième Congrès international pour l’évangélisation du monde s’est réuni à Manille et a été connu sous le nom de Lausanne II. Ce congrès réunissait 4 300 délégués de 173 pays, dont l’Union soviétique. Et en 2010, 21 ans plus tard, le troisième congrès de Lausanne s’est réuni au Cap, en Afrique du Sud. Cette fois-ci, 4 000 délégués de 198 pays étaient réunis en personne, mais beaucoup d’autres ont participé virtuellement.

En septembre, le quatrième congrès se tiendra à Séoul, où 5 000 délégués — dont moi-même — participeront en personne et 5 000 virtuellement. Des dizaines de milliers d’autres personnes participeront à des réunions satellites dans le monde entier.

Beaucoup de choses ont changé depuis la dernière réunion en 2010. De nouvelles guerres font rage dans le monde entier et des rumeurs de guerre planent jusqu’en Corée où nous nous rencontrerons. Les États-Unis se préparent à une nouvelle élection présidentielle controversée, à l’instar de nombreux autres pays, et plusieurs dénominations continuent à faire face aux tensions entre fondamentalisme et progressisme.

Néanmoins, j’espère que les évangéliques auront une fois de plus l’occasion de se rappeler qui nous sommes, d’où nous venons et pourquoi il est vital pour nous de travailler par-delà nos différences plutôt que de les ignorer, de les étouffer ou de nous diviser à leur sujet. En nous réorientant sur le travail de la mission mondiale de Dieu, peut-être pourrons-nous retrouver la meilleure version de ce que signifie être évangélique.

Alors qu’approche la rencontre de Séoul, j’encourage tous les croyants, qu’ils soient évangéliques ou non, à lire la déclaration de Lausanne, à en discuter et à envisager de la signer. Que les responsables d’église en parlent en chaire afin que les communautés puissent faire face à ce qu’elle demande de nous. Qu’elle nous rappelle la belle et chère communauté de différences et de désaccords à laquelle nous sommes appelés.

Engageons-nous ensemble, une fois de plus, à entreprendre la grande tâche de l’évangélisation du monde, afin que l’Église tout entière puisse apporter l’Évangile tout entier au monde tout entier.

S. Joshua Swamidass est médecin scientifique, professeur associé de médecine de laboratoire et de médecine génomique à l’université de Washington à Saint-Louis, fondateur de Peaceful Science et auteur de The Genealogical Adam and Eve (L’Adam et l’Ève généalogiques).

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Une invitation renouvelée à rechercher le Royaume

En ces temps de division, nous voulons nous concentrer sur l’appel de Jésus à poursuivre sa volonté.

Christianity Today August 14, 2024
Elizabeth Kaye/Images sources : Unsplash

Voyez ceci comme une réintroduction.

Dans notre numéro de mars, j’expliquais que 2024 serait une année de transformation pour Christianity Today. Notre édition imprimée de cet été est le premier résultat tangible de cette promesse.

Du logo aux couleurs, en passant par les polices de caractères, la mise en page et la structure, tout a été repensé et remodelé. Nous espérons que vous apprécierez vous aussi le résultat ! Nous voulons que chaque numéro soit un joyau, une œuvre d’art, un festin de récits et d’idées qui traduisent la richesse de la vie et de la pensée en Christ et dans son Église.

Au cours de l’année, je détaillerai davantage pourquoi nous avons choisi cette voie. Ici, je voudrais simplement expliquer la devise que vous verrez souvent à côté de notre logo.

Avant de rejoindre Christianity Today, j’ai dirigé une agence de création qui a aidé des centaines d’organisations à affiner leur image de marque et leur message. Pourtant, je n’ai jamais considéré Christianity Today comme une marque. J’y vois plutôt un effort pour éclairer ce que signifie suivre Jésus fidèlement à notre époque.

Nous avons cependant voulu centrer cet effort sur ce que je perçois non pas comme un slogan, mais comme une invitation fondamentale : rechercher le Royaume.

Je reviendrai sur notre appel à prendre part au royaume de Dieu dans les prochains numéros. Pour l’instant, je voudrais m’arrêter sur une chose.

Le royaume de Dieu a quelque chose d’insaisissable. Jésus le compare à une graine, une perle, un trésor, une vigne et un banquet. Il parle des « mystères du royaume des cieux » (Mt 13.11) et nous appelle à ne pas courir après les choses du monde, mais à « rechercher d’abord le royaume et la justice de Dieu » (6.33).

« Cherchez d’abord » est la première chanson que je me rappelle avoir chantée. C’était avant mon baptême, avant de connaître Jésus, avant de savoir à quel point le monde et l’Église pouvaient être pleins de beautés et de douleurs. Mais il y avait là, en toute simplicité, l’invitation qui me convoquait à Christ et au service du règne de son amour dans le monde.

Peut-être ne reconnaissons-nous pas toujours le Royaume quand nous le voyons. Mais nous devrions savoir ce qu’il n’est pas. Le monde d’aujourd’hui est meurtri par les guerres et la haine, l’oppression et les abus, et le mépris de la vérité et de la vertu. La couverture de notre dernier magazine, que vous avez peut-être aussi pu découvrir sur les réseaux sociaux, montre une église divisée pour le pouvoir et le profit, comme le vêtement de Jésus au pied de la croix. Ce n’est pas ce que nous recherchons. Ce n’est pas le royaume de Dieu.

Mais nous vous invitons à le rechercher avec nous. Dans l’Écriture. Dans l’œuvre de Dieu à travers le monde. Dans la vie des personnes et des familles, proches ou lointaines, qui amènent Jésus là où règne l’obscurité. Recherchez l’espoir, recherchez Jésus, recherchez le Royaume, et peut-être ensemble le trouverons-nous.

Timothy Dalrymple est président et directeur général de Christianity Today.

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Ce n’est pas la « mission retour » si les migrants restent dans leurs propres églises

En Grande-Bretagne, un chercheur estime que les migrants chrétiens africains doivent pouvoir aider à revitaliser les églises autochtones.

Christianity Today August 14, 2024
Illustration par Elizabeth Kaye/Source Images : Getty

Il y a de cela plusieurs années, Johnson Ambrose Afrane-Twum, Africain d’origine, était pressenti pour devenir pasteur principal d’une église à majorité blanche au Royaume-Uni. Il fut alors approché par un ami blanc :

Christian Mission in a Diverse British Urban Context: Crossing the Racial Barrier to Reach Communities (Studies in Missiology)

« Johnson, tout le monde ici sait que tu as la capacité de diriger cette église. Il n’y a qu’un seul problème : certains disent qu’ils ne veulent pas de toi comme pasteur parce que tu parles avec un accent ghanéen. »

Le pasteur en est resté étonné : « Qu’est-ce qu’un accent vient faire là-dedans ? Est-ce la façon dont Dieu veut que nous édifiions l’église ? »

Avant d’immigrer au Royaume-Uni, en 2005, pour y poursuivre ses études en théologie et leadership, Afrane-Twum avait déjà implanté des églises dans trois pays d’Afrique de l’Ouest dans le cadre du mouvement Calvary Chapel.

Arrivé en Grande-Bretagne, il a rapidement constaté que de nombreuses églises locales étaient moribondes, mais que des communautés dynamiques se créaient du côté des immigrants. Cette prise de conscience et sa longue expérience stimulante dans le travail interculturel l’ont alors poussé à rechercher comment inciter les responsables chrétiens africains à travailler avec les Britanniques pour revitaliser la foi dans tout le pays.

Ces recherches ont fait l’objet d’un ouvrage intitulé Christian Mission in a Diverse British Urban Context. Afrane-Twum y explore l’identité africaine dans les églises britanniques, les barrières culturelles auxquelles les Africains sont confrontés dans le pays et le besoin de moyens plus créatifs pour atteindre les diverses communautés.

Il nous parle de la communauté des migrants africains et de son potentiel de renouveau pour le corps du Christ en Grande-Bretagne.

Comment évaluez-vous les relations actuelles entre les églises britanniques établies et les communautés d’immigrés africains ?

On prétend parfois que les églises noires du Royaume-Uni participent à la « mission retour », ou « mission inversée ». Le Royaume-Uni a apporté l’Évangile en Afrique, et maintenant c’est l’Afrique qui le leur ramène. Mais ce n’est pas ainsi que je vois les choses. Si vous êtes un Africain au Royaume-Uni aujourd’hui et que vous ne vous occupez que de vos semblables et non de la communauté au sens large, alors il n’y a pas de mission retour. C’est une problématique à aborder. Comment nous associer aux églises blanches afin d’être efficaces dans notre travail missionnaire auprès de l’ensemble du Royaume-Uni et pas seulement auprès de nos compatriotes africains noirs ?

De nombreuses églises à majorité blanche permettent aux églises de migrants d’utiliser leurs bâtiments. Mais pour que le partenariat soit efficace, il faut aller plus loin. L’Église des migrants africains et l’Église britannique sont toutes deux d’accord de gagner des âmes au Christ, mais plusieurs changements culturels liés à l’immigration ces dernières décennies rendent les choses plus difficiles. La première chose que nous devons faire est de nous engager à construire une relation spirituelle d’amour et de confiance mutuels. Nous devons aider les églises blanches à comprendre que nous sommes ici pour une mission. Pour l’instant, elles pensent que nous ne sommes là que pour notre propre peuple.

Dieu a providentiellement permis aux églises noires de venir ici pour soutenir les églises britanniques. Bâtir une relation spirituelle d’amour et de confiance mutuels nous aidera à poursuivre ensemble les objectifs du royaume. Si les églises blanches en viennent à croire qu’elles ont besoin d’un réveil et que nous avons été appelés à les aider, la question suivante est de savoir comment nous pouvons les assister au mieux. Comment nous voient-elles et comment les voyons-nous ? S’il existe des préjugés culturels, nous devons y remédier. Atteindre les objectifs du royaume de Dieu devrait être notre but ultime, malgré nos différences.

Vous avez choisi d’étudier quatre églises distinctes dans le cadre de votre recherche sur le ministère interculturel au Royaume-Uni. Quels sont les résultats de vos recherches ?

Deux communautés — All Nations Church à Wolverhampton et Harborne Baptist — sont des églises à majorité blanche qui se sont efforcées d’accueillir des personnes issues de milieux multiethniques. Mon étude de l’église All Nations révèle qu’au Royaume-Uni, les migrants de deuxième génération peuvent non seulement s’adapter au mode de vie et à la culture de la communauté blanche au sens large, mais aussi, s’ils sont soutenus correctement par les responsables locaux, devenir eux-mêmes des responsables d’églises multiethniques.

À Harborne Baptist, j’ai vu à quel point il est important que les pasteurs forment les jeunes de leur église à devenir des responsables interculturels et qu’ils leur donnent la liberté de travailler avec des chrétiens d’autres milieux.

Les deux autres communautés étaient l’église éthiopienne de Londres, qui est mono-ethnique, et l’église de Pentecôte, une communauté très prospère liée à une dénomination du Ghana. La première préfère s’organiser autour de ses propres allégeances et valeurs culturelles. Ses membres estiment qu’ils peuvent mieux se connecter à Dieu avec des personnes qui partagent leurs origines, leur langue, leur histoire, leur culture, leur style de culte et leurs besoins sociaux.

L’église de Pentecôte, en revanche, est une église de migrants qui a tenté de travailler avec une église à majorité blanche. Pour elle, la capacité des migrants de la deuxième génération à participer à des rassemblements multiethniques augmentera à mesure qu’ils se sentiront plus à l’aise dans les espaces sociaux de leur culture d’accueil. Elle élabore donc une stratégie pour atteindre la communauté au sens large. Cet objectif devrait être atteint par la prochaine génération.

En général, les églises de migrants ont permis à leurs membres de retrouver le sentiment d’appartenance et de respect de soi qui leur manquait à leur arrivée dans le pays. Mais nous devons redoubler d’efforts pour collaborer avec les églises à majorité blanche afin de créer une société qui reflète les valeurs du royaume de Dieu.

Quelle est votre expérience du racisme dans l’Église britannique ?

Au Royaume-Uni, certains Blancs estiment que les églises devraient continuer à fonctionner comme elles l’ont toujours fait et qu’il n’est pas nécessaire de franchir les barrières culturelles pour atteindre d’autres groupes. Lors de mon master, un de mes professeurs qui parlait de modèles d’implantation d’églises estimait que les églises noires devaient être destinées aux Noirs et les églises blanches aux Blancs. Ce sont des réflexions de ce genre qui expliquent pourquoi je fais ce travail.

Quant aux personnes de mon église qui m’en voulaient à cause de mon accent, je ne pense pas qu’elles étaient racistes. Je pense qu’elles étaient juste ignorantes.

Comment la communauté des migrants africains a-t-elle réussi à se constituer une identité au Royaume-Uni ?

Ce qui nous a unis, c’est que nous avons été marginalisés par la société britannique. Nous réunir en tant que communauté ecclésiale africaine, nous a donné un sentiment de respect de soi, d’identité et d’appartenance.

Par ailleurs, les nouveaux arrivants ont besoin de l’aide de leurs compatriotes africains. Si vous vous rendez dans une église à majorité blanche et que vous dites « Je n’ai pas de papiers », il n’est pas impossible que la police vienne frapper à votre porte le lendemain.

Les Africains vont à l’église, quels que soient leurs problèmes. Nous prions pour eux, nous les édifions, nous les encourageons et nous les aidons à s’intégrer. C’est ce que doit faire l’église qui est une institution à la fois spirituelle et sociale.

Mais la question clé est la suivante : allons-nous rester cimentés dans notre propre colle ? Allons-nous nous contenter du réconfort que nous donnent nos frères chrétiens africains ou allons-nous partager ce que nous avons à offrir avec les autres ? C’est ce que nous visons. Et c’est ce que la communauté au sens large attend de nous.

Voyez-vous cette collaboration se concrétiser ?

Les églises africaines partagent les doctrines universellement acceptées de la foi chrétienne. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas travailler avec nos frères et sœurs britanniques si nous tous pratiquons l’équité et le respect. Il y a des différences et des points communs dans tous les groupes. Cela ne devrait pas être source de division. Par l’interaction et le dialogue, nous pouvons promouvoir la compréhension des différentes cultures et favoriser une plus grande participation et inclusion de chacun.

Comme le montre le cas de All Nations, les migrants de la deuxième génération sont bien placés pour favoriser des partenariats efficaces entre les églises noires et les églises blanches, car ils connaissent les deux cultures. Le défi pour eux est, cependant, de savoir comment maintenir une certaine culture, identité et foi chrétienne héritées de leurs familles, tout en s’adaptant à la culture du pays d’accueil qui exerce sur eux une grande influence.

Beaucoup d’enfants de migrants ont perdu leur foi en Dieu à cause de la société. Ces jeunes reconnaissent leur héritage ethnique, mais trouvent plus important d’adapter leur vie et leurs valeurs à la culture ambiante. Leur contexte social est donc de plus en plus séculier. Cette situation est préoccupante, car la survie des églises d’immigrants africains dépend de notre capacité à former la prochaine génération. Le succès de toute initiative interculturelle significative dépendra de la manière dont la prochaine génération d’immigrants sera préparée.

La théologie de la libération des Noirs est mentionnée dans le livre comme un moyen de comprendre les contextes africains. Comment cette théologie a-t-elle façonné les églises africaines au Royaume-Uni ?

Les Noirs originaires d’Afrique ne sont pas tous les mêmes. Les Noirs d’Afrique du Sud, par exemple, ont développé leur théologie de la libération. C’est une version sud-africaine de la théologie des Afro-Américains aux États-Unis dans les années 60-70 qui a donné une dimension théologique à leur lutte contre l’apartheid.

Mais d’autres pays d’Afrique subsaharienne, bien qu’ils aient également été confrontés au colonialisme, n’ont pas connu de luttes semblables. La théologie de la libération développée dans ces pays est donc très différente.

Nous, Africains, attribuons une dimension spirituelle à tout ce que nous faisons. Tous nos actes doivent être fondés sur les Écritures. Nous croyons que les démons sont réels et que nous avons besoin de la puissance de Dieu pour vaincre les forces démoniaques et la sorcellerie. Pour la plupart des Africains, la libération passe par la prière, le jeûne et une vie sainte qui aident à vaincre les forces du mal.

Dans cette version de la théologie de la libération, le Saint-Esprit et son pouvoir sont essentiels pour nous venir en aide quand nous sommes confrontés au monde des démons.

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Je laisse ma carrière pour la maternité. Ni l’une ni l’autre ne me satisfera pleinement.

Et ce n’est pas qu’un dilemme féminin. C’est un problème humain.

Christianity Today August 14, 2024
Illustration de Mallory Rentsch Tlapek/Source Images : Getty

Il y a 20 ans d’ici, la simple vue d’un avion dans le ciel me donnait des bouffées de nostalgie. Je venais d’abandonner l’université et, rongée par des années d’anorexie, je n’étais plus qu’un fragile squelette de 23 kilos.

Chaque fois que j’entendais un avion, je regardais le ciel et j’imaginais les gens là-haut. Ils vivaient leur vie, se rendaient probablement à d’importantes réunions d’affaires et conférences à Hong Kong ou à Los Angeles. Ils faisaient ces choses importantes que font les gens qui ne sont pas en train de succomber à l’un ou l’autre trouble alimentaire. Avec une profonde douleur dans la poitrine, je me rappelais mon rêve d’être un jour reporter et de voyager à travers le monde.

Vingt ans plus tard, c’est précisément mon job. C’est moi, à présent, cette personne dans l’avion, qui jusqu’il y a peu, se rendait à des réunions et à des conférences dans le monde entier. Traverser les jungles birmanes à cheval pour filmer une organisation d’aide humanitaire alternative, survoler de lointains royaumes de glace dans un biplace pour aller interviewer les autochtones de l’Alaska ou, au Kenya, croiser des girafes et des gazelles en allant visiter les missions œuvrant auprès de migrants chinois… rien ne pouvait m’arrêter.

Je vivais enfin ce rêve qui me semblait inatteignable 20 ans auparavant, alors que j’avais perdu tout but et tout sens à la vie. Aujourd’hui, pourtant, c’est ce rêve que je vais abandonner. Enceinte de mon deuxième enfant, je vais devenir mère au foyer. Je ne sais pas pour combien de temps. Et je dois dire que ça me fait peur.

Je sais à quel point je suis privilégiée d’avoir la possibilité de ne pas aller travailler à l’extérieur. Je sais aussi que c’est une bénédiction d’avoir des enfants, alors que tant de femmes ont du mal à tomber enceintes. C’est donc avec une certaine honte que je l’avoue : je suis terrifiée à l’idée de passer au statut de mère au foyer.

J’ai nourri ce rêve d’être grand reporter pendant si longtemps, et j’ai travaillé si dur pour y parvenir, qu’y renoncer me donne l’impression que le temps s’est brusquement arrêté. Je me sens comme au milieu d’un saut périlleux, coincée dans les airs dans une spirale, tournant et tombant, sans jamais atterrir.

J’ai fait part de mes luttes à mon groupe de maison. La responsable, maman de 3 enfants adultes, ayant renoncé à une carrière d’infirmière pour rester à la maison, m’a dit d’emblée : « Je sais quel est le problème… Tu es une femme moderne typique ».

Elle a raison. Je suis en effet une femme moderne typique qui s’insurge contre les rôles stéréotypés des hommes et des femmes. Je soutiens ouvertement les femmes qui font tout pour réaliser leurs rêves, qu’il s’agisse d’être ingénieure, pilote ou femme au foyer. Mais à vrai dire, jusqu’à récemment, je ne comprenais pas les femmes qui vivaient la maternité comme une vocation.

Être maman n’a jamais fait partie de mes rêves. Et pour moi, c’est un mythe que les femmes pourraient tout faire en même temps. Ce calcul ne colle pas. On ne peut pas se consacrer à 100 % à sa carrière et à 100 % à la maternité. Comme je ne pensais pas avoir une once d’instinct maternel, j’ai opté pour la carrière. Même le bébé le plus rose et potelé ne me faisait pas envie. Pourquoi aurais-je voulu en avoir un à la maison ?

Les débats sur la féminité et la maternité tournent souvent en querelles culturelles fatigantes se rapportant davantage à des caricatures qu’à ce que sont réellement les femmes. Certains déclarent qu’une femme est libre de faire ce qu’elle veut, de suivre son propre cœur (même s’il est aussi volatile, imprévisible et incohérent que l’enfant que j’ai à la maison). D’autres affirment que les femmes comme moi croient à des « mensonges diaboliques » sur la féminité, car, en définitive, la vocation la plus élevée d’une femme serait d’être épouse et mère de famille. Pour ces personnes, les mouvements féministes ont trompé les femmes en leur faisant croire qu’une carrière pouvait les combler et que la vie au foyer serait fade et étouffante.

Il est vrai que la société n’accorde pas beaucoup d’attention aux femmes au foyer, ce qui peut amener celles-ci à se sentir mises de côté. C’est ce qui explique aussi la montée en puissance des « tradwives » qui revendiquent fièrement, sur les réseaux sociaux, leur vécu très traditionnel de la féminité : rester à la maison pour cuisiner, faire le ménage et s’occuper de leur famille, le tout enrobé dans une attirante esthétique vintage.

Mais aucune des deux options ne me parle. Et elles ne font pas partie des sujets de conversation entre les femmes de mon entourage qui essaient de s’épanouir dans leur maternité ou leur carrière.

Et donc, oui, je suppose que je suis cette « femme moderne typique ». Mais je suis plus que ça. Enfant, j’ai passé de merveilleuses heures à remplir des cahiers d’idées et d’histoires. Il n’y avait là rien de féministe : juste des aspirations qui me venaient du Dieu créateur, celui qui a béni les hommes et les femmes pour qu’ils soient créatifs et cultivent la terre. Je ne suis jamais allée au travail en me réjouissant à l’idée de renverser le patriarcat ou de gagner de l’argent ou un statut social. Je travaillais parce que j’aimais ça.

Puis tout a changé il y a deux ans. Notre fils a grandi dans mon ventre. Puis, il a commencé à me donner des coups de pied. Et avant même que je ne me sente prête à être mère, il est entré dans le monde avec un cri d’indignation.

Grâce aux allocations familiales octroyées en Californie, j’ai pu prendre quatre mois de congé de maternité. Je me souviens de ces 122 jours de maman à plein temps comme d’une période floue, que j’ai vécue en somnambule, imprégnée d’odeurs de lait maternel sucré et de renvois lactés. Je ne savais plus quand le soleil se levait et quand il se couchait.

Mais je n’avais jamais connu une telle tendresse. L’amour qui a fleuri en moi n’était pas celui d’une rose, toute fraîche quand elle s’ouvre, mais fanée à la fin de la saison. Cet amour n’a fait que croître, comme un lierre enchanté qui dansait, toujours vert et luxuriant. De jour en jour, j’ai observé ce sentiment naissant avec émerveillement et curiosité : mon corps a-t-il vraiment créé ce petit être extraordinaire ? Comment un petit humain aussi ridé peut-il apparaître si doux et délicieux à mes yeux ?

Je ne pouvais plus imaginer la vie sans notre fils. Je ne pouvais pas imaginer comment j’aurais pu désirer une vie sans lui. Et pourtant, mon esprit s’ennuyait à mourir. J’étais impatiente de retourner au travail. D’ailleurs, le premier jour de mon retour de congé de maternité, j’ai enlevé la poussière de mon bureau, je m’y suis assise avec une tasse de café fumant — pas tiède — et me suis sentie comme en un début de vacances. Je me sentais libérée. Mon intellect, engourdi à force d’avoir été négligé, pouvait désormais s’intéresser à d’autres choses que l’emploi du temps de mon bambin.

Mais je suis aussi revenue différente. Je me sentais plus vieille, plus irritable, plus lente. Ma créativité était grippée. Je n’arrivais plus à me concentrer. Tous mes sens étaient accaparés par un petit bout avide de nourriture, de toucher, d’attention.

Voyager pour un reportage est devenu un casse-tête logistique. Il fallait remplir un congélateur de lait maternel, préparer deux semaines de repas sains, payer une nounou pour des heures supplémentaires et parfois faire venir les grands-parents de l’autre bout du pays pour qu’ils puissent nous aider.

Trouver le moyen de maintenir ma production de lait était stressant. Un jour, je me suis retrouvée coincée entre deux hommes sur la banquette arrière d'un camion blindé pour un trajet de dix heures à travers les champs d'une Ukraine déchirée par la guerre. Nous nous sommes arrêtés pour manger rapidement, et j'ai couru aux toilettes, essayant frénétiquement de pomper manuellement autant de lait que possible dans l'évier.

La reprise du travail et des voyages a aussi affecté mon mariage. Voir le visage épuisé et hagard de mon mari lors de nos appels vidéo me faisait me sentir coupable et m’irritait. Lorsque je rentrais à la maison, épuisée par les trajets, mon mari m’accueillait avec le soulagement d’un noyé qui aperçoit un radeau. Il s’éloignait en pagayant comme un fou, me laissant dans l’eau comme pour compenser mon absence parentale.

J’aime farouchement et profondément mon bambin. Mais je ne trouve pas la maternité pleinement épanouissante. Mon travail ne l’est pas non plus. Peut-être ne l’a-t-il jamais été ? Même avant de devenir mère, je me souviens qu’à chaque anniversaire, je ressentais l’anxiété de l’année en plus. Chaque fois, j’éprouvais la même faim qu’à l’époque où j’étais anorexique, ce vide et cette insatisfaction de ne pas être aussi accomplie ou influente que je ne le souhaitais.

L’épanouissement, la satisfaction, est un problème du 21e siècle : Mon mariage est-il satisfaisant ? Ma carrière est-elle épanouissante ? Est-ce que mes amitiés me comblent ? Lorsque je n’étais plus que l’ombre de moi-même, ce que je fais maintenant apparaissait comme une conquête des étoiles, de la galaxie, de l’univers.

Aujourd’hui, j’ai les étoiles et la galaxie — plus le cadeau de la maternité que je n’attendais pas et que je n’avais pas demandé. Mais cela ne me semble toujours pas suffisant.

Si on me dit que le problème est que le féminisme moderne m’a lavé le cerveau et que j’ai juste besoin de retrouver le « vrai » sens de la féminité, on m’égare vers une autre illusion. J’ai vu de nombreuses mères au foyer vivre constamment dans la comparaison avec les autres parents et enfants puis sombrer dans une crise d’identité lorsque les leurs n’allaient pas bien ou partaient à l’université.

Ce n’est pas un problème de femme. C’est un problème humain.

Et ce même si la plupart des hommes semblent réussir à concilier les deux mondes : la paternité et leur carrière. Personne ne les critique lorsqu’ils poursuivent leurs ambitions. Et tout le monde les félicite lorsqu’ils emmènent leurs enfants au parc. On n’entend pas non plus autant d’hommes parler de sacrifier leur carrière pour leur famille. C’est dommage. Je connais un homme autrefois trop occupé par son business qui, aujourd’hui, alors qu’il a presque 50 ans, qu’il est riche et qu’il a réussi, sort avec des femmes d’une vingtaine d’années parce qu’il souhaite ardemment avoir des enfants. Il aurait dû réfléchir plus tôt aux conséquences de ses ambitions.

Beaucoup de mes désirs sont bons. J’ai été créée à l’image d’un Créateur. J’ai été créée pour créer. Cela peut inclure des enfants, mais pas seulement. Le travail et la maternité n’ont jamais été supposés me combler. Avant que les humains ne commencent à procréer ou à cultiver la terre, Dieu se réjouissait déjà de leur présence et les qualifiait de « très bons », simplement parce qu’ils étaient là. Il a créé l’humanité déjà comblée en lui. La fécondité et la responsabilité vis-à-vis du monde sont une bénédiction ajoutée, un bonus.

C’est ainsi que la Bible commence, avec Genèse 1 et 2. Le problème, c’est que je suis prise au piège, répétant sans cesse l’histoire de Genèse 3.

Je me sentais peu sûre de moi, épuisée et insatisfaite, lorsque j’ai récemment relu ce chapitre de la Bible. Le Seigneur m’a ouvert les yeux et je me suis vue. J’ai vu le Serpent déformer la Parole de Dieu, tordre le caractère de Dieu et implanter le doute et la tentation dans mon esprit : Dieu est-il vraiment bon ? Suis-je vraiment satisfaite ? Je me suis vue au milieu de tous les fruits que je pouvais manger dans le jardin, mais me focalisant sur le seul fruit que Dieu avait interdit. Le jardin, avec son abondance débordante et son ressourcement constant, n’était pas suffisant. Dieu ne suffisait pas. Je voulais ce fruit.

C’est le péché d’orgueil. C’est l’orgueil qui me donne des attentes toujours plus élevées pour moi-même, l’orgueil qui mesure ma valeur à ce que je produis. Mais je ne serai jamais satisfaite. Je sais trop bien à quel point je ne suis pas à la hauteur et combien de personnes sont meilleures que moi. Je ressens alors la honte et la peur d’être démasquée. Je ne me laisse peut-être plus mourir de faim, mais les mêmes toxines d’orgueil et de honte, qui avaient autrefois causé mon anorexie, coulent toujours dans mes veines.

Genèse 3 n’est pas une histoire du passé. C’est la réalité actuelle. C’est le moteur qui fait tourner le monde et qui alimente ma manière de fonctionner.

À la naissance de mon deuxième enfant, je me concentrerai sur mon rôle de maman. Pendant une période indéterminée. Parce que je crois que c’est en cela que Dieu m’appelle à être fidèle pour cette période où j’enchainerai les allaitements, les berceuses et les séances de rots. Et tout cela me paraîtra ennuyeux et monotone.

J’essaierai d’être fidèle, mais j’éprouverai probablement du ressentiment. J’aurai mal au dos et mon cerveau grincera. Je lutterai pour ne pas perdre patience avec mes enfants et mon mari, et je perdrai parfois la partie. Je m’ennuierai. Je me sentirai insatisfaite. Et j’aurai envie de chercher mon accomplissement dans autre chose. Jusqu’à ce que je me rappelle que Genèse 3 n’est pas la fin de l’histoire.

Car cette prochaine saison annonce aussi une grâce renouvelée. Peut-être ne devrais-je plus penser qu’il est injuste que les femmes soient victimes du choix entre carrière et maternité. C’est peut-être une bénédiction. Car cette transition de mon statut de maman au travail à celui de maman au foyer va me stimuler et m’attirer dans des recoins certes douloureux, mais aussi pleins de tendresse. Il sera aussi bon et inspirant pour moi de quitter mes anciens schémas de pensée et de fonctionnement pour en découvrir de nouveaux.

Au fond, il n’y a rien d’ennuyeux ou de monotone à cela.

Sophia Lee est rédactrice internationale pour à Christianity Today.

Traduit par Anne Haumont

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Oui, nous sommes d’abord appelés à prendre soin de nous-mêmes

Jésus demande si nous voulons aller bien. Mais est-ce le cas ?

Christianity Today August 13, 2024
Illustration de Keith Negley

À 24 ans, à peine marié et diplômé d’une université biblique, je démarrais mon premier ministère en tant qu’aumônier d’hôpital. Je n’avais jamais vu de cadavre auparavant. Je n’avais aucune expérience du deuil. J’étais bien loin de ma zone de confort.

À mon arrivée, le personnel de l’hôpital m’a remis quatre bipeurs et m’a fait visiter brièvement l’établissement. Quelques minutes plus tard, un des bipeurs s’est mis à clignoter et je me suis retrouvé avec des personnes qui venaient d’apprendre que leur maman était morte sur la table d’opération. Elles étaient en pleine crise de désespoir. Je n’avais aucune idée de ce qu’il fallait faire. Et j’ai découvert mon anxiété.

Les semaines suivantes furent semblables. Mort subite, tests de moelle osseuse, enfants chauves, opérations chirurgicales d’urgence… tout était là pour attiser mon angoisse. Je ne m’attendais cependant pas à une telle intensité !

Chaque jour, les aumôniers sont amenés à visiter des dizaines de chambres où règne l’anxiété. Ils doivent y établir un lien profond avec des personnes qu’ils ne connaissent pas. Ils y partagent souvent avec elles des moments parmi les plus difficiles et les plus intimes de leur vie. Au milieu de tout ce désarroi, ils témoignent de la présence du Christ.

Comment effectuer ce travail, jour après jour, sans être contaminé par l’anxiété ambiante ? Comment ne pas la transmettre aux autres ? Durant mes premières semaines de travail, toute l’agitation qui bouillonnait en moi est remontée à la surface. Il était très difficile pour moi de me connecter à Dieu et d’être présent aux autres pour les soutenir dans les épreuves qu’ils traversaient.

Heureusement j’ai été rapidement initié à la théorie des systèmes. Celle-ci aide spécifiquement à identifier l’anxiété, d’abord en nous-mêmes, puis chez les personnes qui nous entourent. J’ai approfondi cette théorie au cours d’études ultérieures. Aujourd’hui, je l’enseigne auprès de divers responsables dans le monde entier. Mon travail est de leur donner des outils pour voir ce qui déclenche leur anxiété et quand ils sont dans la réaction plutôt que dans la connexion. Je les aide aussi à dépister les schémas anxieux qui se développent au sein des équipes dont ils sont responsables.

Pour moi, la gestion de l’anxiété est un moyen essentiel de se sentir bien. Mais la chose n’est pas évidente pour des responsables. La plupart d’entre eux sont tellement concentrés sur les autres et sur la mission à accomplir qu’ils ont du mal à détecter leur propre anxiété. Son emprise ne se perçoit pas immédiatement et ils risquent donc de la propager.

Je me rappellerai toujours ce que m’a dit un médecin en sortant de la chambre d’un patient après une garde particulièrement éprouvante : « Quand le cœur de quelqu’un s’arrête de battre, prends d’abord ton propre pouls ». On a tous probablement entendu une hôtesse de l’air répéter une recommandation un peu analogue : « Mettez d’abord le masque à oxygène sur votre propre visage avant d’aider les autres. »

Quand notre âme est en manque d’oxygène, nous ne pouvons pas venir en aide à autrui. Nous ne pouvons pas être un serviteur de Dieu efficace si notre anxiété parle plus fort que son Esprit.

C’est ainsi qu’a commencé cette leçon contre-intuitive pour ma vie, une leçon que j’apprends encore tous les jours : je dois d’abord prendre mon propre pouls, mettre mon masque à oxygène et me connecter à moi-même avant de tendre la main pour me connecter aux autres. Ce n’est pas égoïste ; c’est le meilleur chemin pour capter la réalité qui m’entoure, l’offrir à Dieu et me reposer en sa présence. J’ai alors bien plus de chances d’agir en fonction de son souffle divin et de ses incitations plutôt que de mes propres mécanismes de réaction incontrôlés.

Un bon responsable sait ce qui se passe sous la surface. Il sait prêter attention tant aux dynamiques interpersonnelles qu’à la mission à accomplir. Il peut entrer dans une pièce où règne la tension et, plutôt que de se laisser contaminer, se reposer dans la présence de Dieu. Il peut écouter pour apprendre plutôt que pour défendre ou trouver des solutions. Il sait clairement ce qui lui appartient, ce qui appartient à autrui et ce qui appartient à Dieu. (De très nombreux responsables surfonctionnent et portent plus que ce que Dieu leur demande.)

Un bon responsable connait et gère ses déclencheurs de stress avant une réunion afin d’augmenter sa capacité à être bien en phase avec son entourage pendant celle-ci. Il s’autorise à rester humain au lieu d’essayer d’être surhumain. Il n’a pas besoin de faire ses preuves ou d’impressionner les autres. Il sait gérer son désir d’en faire trop ou de se mettre en valeur. Il peut avoir une conversation difficile avec quelqu’un qui s’oppose à lui, sans pour autant être sur la défensive ou agressif.

Que fait-on quand on ne va pas bien ? Beaucoup se contentent de continuer, parfois jusqu’à l’épuisement ou l’échec. Mais lorsqu’un pasteur ou un responsable de ministère ne va pas bien, c’est au nom du Christ qu’il risque de faire de gros dégâts.

Au cours de ces dernières années, bien des personnalités chrétiennes ont causé d’abondantes souffrances en voulant présenter le Christ aux autres tout en étant elles-mêmes trop peu saines et équilibrées. La chose se produit aussi bien souvent dans les églises locales. Qu’est-ce qui aurait été différent si ces personnes avaient d’abord pris leur propre pouls ?

Mais assez parlé des autres. Dieu nous invite à regarder à nous-mêmes.

J’anime un podcast pour Christianity Today intitulé Being Human (« Être humain ») Dans cette émission, je pose à chaque invité une série de questions que j’appelle « The Gauntlet of Anxiety Questions » (litt. « le défi des questions sur l’anxiété »). L’une des questions les plus populaires de cette liste est la suivante : « À quoi voyez-vous que vous n’allez pas bien ? ».

Je pose aussi celle-ci : « Qui sait que vous n’allez pas bien, avant que vous ne le sachiez vous-même ? »

Mais la question la plus provocante sur le sujet ne figure pas dans mon questionnaire. Et c’est Jésus qui l’a posée : « Veux-tu aller bien ? »

Depuis la première fois que je l’ai lue dans les Écritures, cette question m’interpelle.

Jésus se trouvait à Jérusalem pour une fête et s’était arrêté à la célèbre piscine de la porte des Brebis. La rumeur disait que celui qui pouvait entrer dans la piscine lorsque l’eau s’agitait serait guéri de ses handicaps. L’apôtre Jean nous raconte ainsi la suite :

C’est là que gisaient un grand nombre de personnes handicapées : des aveugles, des boiteux, des paralysés. L’un d’eux était invalide depuis trente-huit ans. Quand Jésus le vit couché et apprit qu’il était dans cet état depuis longtemps, il lui demanda : « Veux-tu retrouver la santé ? ».

« Seigneur », répliqua l’invalide, « je n’ai personne pour me mettre dans le bassin quand l’eau est agitée ; pendant que, moi, je viens, un autre descend avant moi. »

Jésus lui dit alors : « Lève-toi, prends ton grabat et marche ! Aussitôt l’homme recouvra la santé ; il prit son grabat et se mit à marcher. » (Jn 5.3-9)

Remarquez que l’homme ne répond pas « Oui, s’il te plaît » à Jésus. Il rebondit sur sa question avec une sorte d’excuse. Je pense souvent à cet échange. Veux-tu retrouver la santé ? Au lieu de dire « oui », j’ai tendance à dire : « laisse-moi t’expliquer ma situation. »

Mes réactions anxieuses en tant que responsable sont en fait souvent des mécanismes d’adaptation que j’utilise depuis mon enfance. Pendant des décennies, ils m’ont aidé, de manière bien imparfaite, dans les moments difficiles. Mais même s’ils ne sont pas fiables, je continue à m’appuyer sur eux. Démêler ce que mon anxiété m’appelle à faire de ce que Dieu m’appelle à faire est donc un travail difficile et lent. Et bien que j’enseigne aujourd’hui ce sujet à plein temps, le « bien-être » ne va pas de soi pour moi. Ma santé me coûte de l’intentionnalité, du courage et de la pratique.

Voulez-vous aller bien ? Je l’espère. Nous manquons de dirigeants chrétiens qui prennent en compte la responsabilité de leur propre bien-être. La conduite de nos églises devient de plus en plus complexe. Et les gens semblent devenir plus réactifs et plus méfiants que jamais. Nous avons donc besoin de responsables qui savent se connecter profondément — aux autres, bien sûr, mais surtout à Dieu et à eux-mêmes.

Ce fut une découverte pour moi de voir l’importance de me connecter à moi-même avant de me connecter à Dieu. De voir qu’en prêtant d’abord attention à ce qui se passait en moi, j’avais plus de choses à lui offrir et plus de choses à lui confier. Et aussi davantage besoin de lui faire confiance. Cela m’a aidé à mieux trouver le repos dans sa présence.

Les deux superpouvoirs de la gestion de l’anxiété sont l’observation et la curiosité. En apprenant à détecter l’anxiété en nous et celle qui nous vient des autres, nous courons moins le risque de la reprendre et de la transmettre. En adoptant une attitude de curiosité envers soi-même et envers les autres — même les personnes plus difficiles — on augmente les chances de se sentir bien.

Voici quelques questions pertinentes à nous poser :

Comment savoir si je suis anxieux ?

Qui perçoit mon anxiété avant moi. Quels en sont les signes ?

Que suis-je censé porter ? Quelle est la part des autres ? Quelle est la part de Dieu ?

De quoi est-ce que je pense avoir besoin alors que ce n’est pas le cas ?

Quelle pratique de même 5 minutes ou moins me permettrait de me détendre dans la présence de Dieu ?

Quand me suis-je senti pleinement et entièrement aimé ces derniers temps ?

En tant que femme ou homme de foi, notre bien-être est un cadeau pour les personnes de notre entourage. C’est un sujet de reconnaissance et quelque chose qui aide chacun à se sentir bien. Mais au-delà de ça, nous valons simplement la peine de faire l’effort d’aller bien. Pour le Seigneur aussi, notre santé compte. Prenons donc des pauses et abandonnons-nous dans sa présence, jour après jour !

Steve Cuss est l’animateur de Being Human, un podcast de CT.

Traduit par Anne Haumont

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Books

La théocratie n’est pas l’ennemie du pluralisme

La loi de Dieu est vraie par nature. Inutile de l’imposer à qui que ce soit.

Christianity Today August 13, 2024
duckycards / Getty

Un de mes amis de tendance progressiste m’a récemment dit que bien qu’il n’aime généralement pas les évangéliques, il me trouve moins problématique que les autres : « Au moins, tu ne revendiques pas à cor et à cri l’établissement d’une théocratie ! ». J’ai pris cela comme un compliment. Mais je regrette de ne pas avoir dit franchement ce que je pense.

À vrai dire, ma femme et moi faisons partie d’une association soutenant la théocratie. Nous assistons d’ailleurs chaque semaine à ses réunions. Nous y apprenons comment promouvoir une théocratie et nous y chantons des cantiques destinés à appuyer notre engagement théocratique. L’association dont je parle, vous l’aurez compris, c’est notre église locale.

Le mot « théocratie » signifie littéralement « règne de Dieu ». En tant que chrétiens, nous croyons que, si nos églises sont certes dirigées par des humains, ces responsables répondent devant Dieu de ce qu’ils pensent et font. Et ils nous rappellent sans cesse que nous, chrétiens, appartenons au « royaume de Dieu » : notre ultime allégeance va à Jésus, celui qui « règne » sur nous.

L’Église en tant que théocratie fait toutefois partie d’un tableau théocratique beaucoup plus vaste. L’univers lui-même, dans toute sa gloire complexe, est une théocratie. La prière du shabbat de la communauté juive reflète bien cette perspective que déroulent devant nous les Écritures. Elle commence par ces mots : « Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, Roi de l’univers ».

Tout ce qui existe est sous la domination de Dieu. C’est cette configuration théocratique — qui définit la nature même de la réalité — qui donne aux croyants un sens et une espérance. Mais des croyants comme nous devraient-ils pour autant essayer de faire de leur pays une théocratie ? Je ne le pense pas. Le Seigneur ne veut pas que nous imposions notre vision théocratique de la réalité aux autres. Ce que Dieu attend des êtres humains, c’est qu’ils suivent librement sa volonté.

Je ne sers donc pas les desseins de Dieu dans le monde quand je cherche à imposer à d’autres personnes des lois « chrétiennes » qui vont à l’encontre de leurs valeurs et convictions. Et tout ce que je considère comme un péché ne doit pas forcément devenir illégal. Par exemple, je n’aime pas du tout les propos grossiers que j’entends trop souvent dans les séries télévisées, mais je ne vais pas pour autant demander que des lois les interdisent.

Je ne veux pas dire par là qu’il faudrait simplement « vivre et laisser vivre », me contentant d’attendre le retour de Jésus. La Bible m’invite clairement à être actif dans la société où le Seigneur m’a placé.

L’apôtre Pierre exprime ce mandat de la manière suivante : « Ayez une belle conduite parmi les gens des nations, pour qu’[…] ils voient vos belles œuvres et glorifient Dieu au jour de son intervention. » (1 P 2.12)

Pierre fait ici écho à l’exhortation transmise par le prophète Jérémie lorsqu’Israël était exilé dans la ville païenne de Babylone : « Recherchez la paix de la ville où je vous ai exilés et intercédez pour elle auprès du Seigneur, car votre paix dépendra de la sienne. » (Jr 29.7) Si nous sommes appelés à témoigner aux autres de la puissance de l’Évangile, nous avons aussi à nous joindre à eux pour travailler ensemble à des objectifs sociaux qui, au bout du compte, rendront gloire à Dieu.

Je suis reconnaissant de vivre dans une société pluraliste où je peux apprendre beaucoup de choses de personnes avec lesquelles je suis pourtant parfois en profond désaccord sur des questions religieuses, politiques et éthiques. En abordant notamment avec ces personnes les erreurs et les méfaits que les chrétiens ont commis et commettent encore aujourd’hui dans différents domaines importants, je trouve souvent des ouvertures pour cheminer ensemble en vue du bien commun.

Historiquement, les évangéliques de mon pays ont oscillé entre deux façons de se situer par rapport à la culture générale. Dans les années 50, années de ma jeunesse, nous, évangéliques, avions la réputation d’être « apolitiques ». Nous aimions certes chanter des hymnes patriotiques et les prédicateurs nous rappelaient régulièrement notre obligation chrétienne de voter lors des élections, mais nous n’étions pas engagés dans une défense active d’intérêts politiques.

Être citoyen évangélique, c’était surtout voter pour des candidats républicains et prier pour que Dieu bénisse des hommes comme Eisenhower ou Nixon. Nous étions donc relativement passifs en matière de politique, reconnaissants de jouir des libertés d’une nation perçue comme « under God », « sous l’autorité de Dieu ».

Les choses ont changé vers 1980 avec l’émergence de la nouvelle droite chrétienne, conduite par des personnalités comme Jerry Falwell et Pat Robertson. Les évangéliques sont devenus agressivement politiques, s’engageant en faveur de candidats qui promouvaient ce qu’ils estimaient être des causes saintes, souvent explicitement guidés par le projet théocratique d’une « Amérique chrétienne ».

Nous avons donc soit évité toute participation active au système politique, soit nous nous sommes efforcés d’en prendre le contrôle. Nous vivions comme une minorité à part chantant « Ce monde n’est pas ma maison. Je ne fais que passer », ou nous nous autoproclamions « majorité morale », entonnant hardiment « Brille, ô Jésus, couvre ce pays de ta gloire ».

Il existe cependant une troisième option, dont notre société de plus en plus polarisée a désespérément besoin aujourd’hui : une volonté évangélique de travailler patiemment aux côtés des autres, quelle que soit leur confession, à la recherche de solutions viables aux défis complexes auxquels nous sommes tous confrontés en tant que nation.

Dans les prières, les chants et les prédications de nos rassemblements théocratiques hebdomadaires, nous, évangéliques, parlons à Dieu de notre faiblesse spirituelle et de notre vulnérabilité tout humaine. Nous lui présentons aussi les craintes et les espoirs inhérents à notre vie politique.

La prétention dont nous faisons si souvent preuve sur la place publique ne correspond donc pas à ce que nous savons de nous-mêmes au plus profond de notre être. Il serait bon que nous apprenions à afficher un évangélisme plus doux, plus tendre, et prenions notre part dans une quête politique commune qui nous aide à nous épanouir, ensemble avec les autres, dans notre humanité partagée.

L’un de mes héros dans la foi, le grand homme d’État néerlandais Abraham Kuyper, disait ceci dans le discours inaugural de l’université qu’il fonda : « Il n’y a pas un centimètre carré dans toute notre existence humaine à propos duquel le Christ, qui est souverain sur tout, ne crie pas : “À moi !” ».

Cette formule inspire et motive la façon dont je veux vivre en tant que théocrate dans le monde contemporain. Bien sûr, nous sommes toujours tentés de répondre à ce cri de ralliement de manière arrogante et impérialiste, comme si la première chose à faire était d’aller nous emparer de tous ces centimètres carrés de l’univers au nom de Jésus.

Mais, bien comprise, la théocratie exige un esprit humble. L’apôtre Pierre nous dit que lorsque nous sommes invités à « rendre compte de l’espérance » que nous avons en Christ, nous devons veiller à « le faire avec douceur et respect » (1 P 3.15). Puisque Jésus revendique chaque centimètre carré de la création comme sien, où que nous allions dans notre vie, nous foulons une terre sacrée.

Dans ma jeunesse évangélique, on m’avait appris cette célèbre phrase de Hudson Taylor : « Christ est soit Seigneur de tous, soit pas Seigneur du tout ». Je continue aujourd’hui à apprendre ce que signifie représenter tendrement et respectueusement la cause de cet Évangile.

Le Dieu dont nous, théocrates, célébrons la majesté à l’église, ne nous envoie pas seulement dans le monde sur lequel il règne, mais il nous assure que, où que nous allions, il sera avec nous.

Il nous invite à le rejoindre sur tous ces centimètres carrés occupés par des êtres aimés, en proie à la douleur, aux abus, au chagrin, à la solitude et au désespoir liés à notre éloignement de lui.

Nos semblables ont désespérément besoin de rencontrer des croyants pour qui être théocrates signifie servir fidèlement la cause d’un Sauveur aimant.

Richard Mouw est chercheur au Henry Institute for the Study of Christianity and Politics à l’université Calvin et ancien président du Fuller Theological Seminary.

Traduit par Anne Haumont

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Les Jeux olympiques vus par un évangélique français

Le président du Conseil national des évangéliques français nous raconte ses réactions à la cérémonie d’ouverture, pourquoi il apprécie les Jeux et comment il espère que l’Église se saisit de ce moment pour vivre sa foi.

La Tour Eiffel avec les anneaux olympiques

La Tour Eiffel avec les anneaux olympiques

Christianity Today August 9, 2024
David Ramos / Staff / Getty

Dimanche, au début de la deuxième semaine des Jeux olympiques, la France a remporté sa 44e médaille, dépassant ainsi son précédent record pour des Jeux olympiques modernes. Peu de gens auraient pu prédire l'extraordinaire succès sportif du pays ou cette réjouissance nationale, qui semblait manquer après les élections nationales anticipées tumultueuses de juin et juillet.

Mais pour certains chrétiens français, des sentiments négatifs sont réapparus à la suite de la cérémonie d'ouverture controversée. Erwan Cloarec, Président du Conseil national des évangéliques de France (CNEF), a fait part de ce « sentiment de blessure » la semaine dernière dans un communiqué, ajoutant que lui-même et le Directeur général du CNEF rencontreraient ce jour-là le Bureau central des cultes du ministère de l'Intérieur pour plaider en faveur d'une laïcité qui fait place à chacun et de garanties de la part de l'État que tous, croyants ou non, soient respectés dans leurs convictions essentielles.

Le président du CNEF a souligné que de nombreuses œuvres chrétiennes avaient passé des mois à anticiper le fait que les Jeux olympiques leur offriraient une bonne occasion d'exprimer concrètement leur foi auprès des milliers de personnes attendues dans la ville. Par l'intermédiaire d'Ensemble2024, des œuvres chrétiennes et communautés évangéliques ont organisé des tournois sportifs locaux, un culte de louange du style K-Pop, une exposition examinant les interactions entre le corps, le sport et la spiritualité, une journée de surf, et un festival de louange, ainsi que la distribution de bouteilles d'eau et de produits hygiéniques. Ils ont également mis des aumôniers à la disposition des athlètes et offert aux athlètes chrétiens la possibilité de partager leurs témoignages.

Selon Erwan Cloraec, il est opportun de voir dans la situation qui s'est créée une véritable occasion de témoigner de la foi, alors que la personne du Christ était placée au centre des Jeux lors du tableau controversé de la cérémonie d'ouverture. Il poursuit en soulignant qu'il est nécessaire d'entendre les cris du cœur et le besoin de réconciliation de nos contemporains, leur quête d'identité et d'appartenance. Leur appel résonne dans une société pluraliste ; c'est à nous de leur montrer comment adresser leur appel, d'une voix encore plus forte, vers celui qui les invite tous à sa table et leur offre une véritable réconciliation, une véritable identité et une véritable appartenance.

Nous lui avons demandé de nous parler de la réaction des évangéliques français à la cérémonie d'ouverture, de ce qu'il veut que les gens sachent à propos de laïcité, et de ce qu'il a aimé dans les Jeux olympiques cette année.

Comment avez-vous personnellement participé à l'expression de la foi autour des Jeux olympiques ?

Alors « Ensemble 2024 », c’est vraiment une initiative protestante évangélique, mais puisque c’est l’esprit des jeux olympiques, nous sommes nécessairement en lien avec d’autres acteurs, d’autres confessions. Il y a eu une célébration d’ouverture interconfessionnelle à laquelle j’ai participé au tout début des jeux. Le CNEF était aussi représenté par un délégué lors d'un événement qui n'était pas une célébration interreligieuse au sens cultuel du terme mais une action citoyenne montrant les cultes de la ville agissant au service du bien commun.

Comment les évangéliques français ont-ils réagi à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques ?

Les gens ont ressenti une blessure, le sentiment d'une humiliation. Je sais que dans beaucoup de pays, en dehors de la France, ce tableau de la Cène a provoqué un sentiment de blessure. Nous avions l'impression que par cette parodie, ce simulacre de cène, nous étions ciblés dans notre foi et que notre foi était d'une certaine manière moquée, même si ce n'était pas nécessairement l'intention réelle.

Comme le directeur artistique de la cérémonie a expliqué, et nous pouvons l'entendre, ce n'était pas son intention. Mais en tout cas, la mise en scène de ce tableau et la subversion de la Sainte cène dans une version contemporaine et inclusive a donné le sentiment qu'on jouait avec un certain nombre de symboles et que le christianisme était visé. Nous avons réagi en faisant état de ce sentiment d'humiliation ressenti par les gens, et nous avons dénoncé le fait que dans cette cérémonie, il y avait un agenda de promotion d'une certaine idéologie. Cette propagande idéologique n'avait pas sa place pendant cette cérémonie.

Comment les événements précédents ont-ils influencé la manière dont les évangéliques français ont réagi à celui-ci ?

Évidemment, cette cérémonie était assez unique. Par contre, des responsables religieux et des évangéliques en particulier ont été attentifs à la Loi contre le séparatisme de 2021 (requalifiée en « Loi confortant le respect des principes de la République »). Cette loi a durci la législation pour nos Églises et a fait passer le régime français de laïcité [une forme distincte de séparation de l'Église et de l'État qui a toujours été considérée comme positive par les évangéliques français] d'une laïcité de liberté à une laïcité de surveillance.

Cette loi a introduit de nouveaux contrôles, des règles qui rendent l'exercice du culte administrativement plus compliqué, avec de nouvelles contraintes financières et légales. Il y a peut-être actuellement le sentiments au niveau des évangéliques du moins, d'un ras-le-bol, du sentiment que les cultes sont malmenés.

Pour nos lecteurs non-francophones, qu'est-ce que laïcité ? Pourquoi a-t-elle été instaurée ?

Ce qu'on appelle la laïcité à la française est effectivement un régime spécifique que l'on ne connaît pas en dehors de la France. Le grand combat que l'on mène, c'est de veiller à ce que la laïcité serve les objectifs qu'elle est appelée à servir – c'est-à-dire la liberté de conscience, la liberté de culte, et la liberté de religion.

Normalement, la laïcité à la française bien comprise doit être au service des cultes. Elle n'est pas là pour les réprimer. Elle est là pour permettre à chacun de croire librement ou de ne pas croire, de vivre comme il ou elle l'entend selon les valeurs et la foi qui sont les siennes, avec la possibilité de partager sa foi ou dans le cas contraire, son athéisme ou tout ce que vous voulez. La loi le garantit, dans le droit des cultes en France depuis 1905 et la séparation de l'Église et de l'État.

C'est cette laïcité-là qui devrait prévaloir, mais fréquemment, nous avons une autre lecture de la laïcité qui sert parfois aux médias et à certains politiques. Cette autre version prétendrait que la laïcité est là pour renvoyer l'exercice du culte dans la sphère privée, et de faire en sorte finalement que la religion soit la moins visible possible, soit cachée, soit réduite au silence. Alors notre combat est un combat pour le véritable régime de la laïcité. La laïcité est là pour permettre à la foi de s'exprimer, y compris dans l'espace public, sans devoir s'excuser de croire ce que nous croyons.

Sur une note positive, les évangéliques français ont apprécié la grande liberté d'exprimer leur foi autour des Jeux olympiques.

Y a-t-il des aspects de la laïcité que vous appréciez ?

Au fond, la laïcité est bonne si elle est au service des libertés fondamentales du culte.

L'une des choses qui nous a déplu au niveau de la cérémonie d'ouverture, c'est qu'elle a été inaugurée par le chef de l'État, représentant la République française, ce qui devait garantir qu'aucun citoyen ne se sente exclu ou pointé du doigt. La laïcité, qui garantit la neutralité de l'État, est une valeur forte du gouvernement en France. Et pourtant, on a eu le sentiment dans cette cérémonie d'ouverture que la République ne respectait pas ce principe de neutralité, mais ciblait une religion en particulier, notamment par l'évocation de ce tableau de la Cène.

Si nous défendons la liberté de tous, ceci comprend la liberté artistique, la liberté de penser, la liberté de pouvoir critiquer le christianisme. Demander que les croyants soient libres de défendre leur foi, c'est demander aussi que les non-croyants puissent dire ce qu'ils pensent. Ils peuvent critiquer le christianisme, l'islam, tout ce que vous voulez, dans le corps social.

C'est une liberté qui doit être protégée – croire ou ne pas croire – défendre sa foi ou critiquer la foi. Ce sont des garanties nécessaires. Mais la cérémonie d'ouverture des Jeux était autre chose – c'était une cérémonie représentant la République française, et au nom du principe de neutralité, ils auraient dû veiller à respecter chaque personne dans ce contexte.

Qu'avez-vous aimé dans les Jeux ?

En dehors de cet épisode malheureux de la Cérémonie d'ouverture, globalement cet événement présente bien des aspects créatifs réussis, et les Jeux olympiques, d'après les échos que j'ai dans les médias, semblent assez réussis. En tant que Français, on est fiers que les Jeux se déroulent bien. À Paris, beaucoup de sites sportifs très bien agencés ont été insérés parmi les monuments historiques de la ville. C'est très beau et assez remarquable. C'est une machine bien huilée. Je crois que nous pouvons être fiers que la première semaine des Jeux a été une réussite pour la France.

Il y a une certaine fierté parmi nous, et un engouement derrière Léon Marchand et le judoka Teddy Riner. [Marchand a remporté quatre médailles d'or individuelles et une médaille de bronze en relais, et Riner a gagné des médailles d'or en judo individuel et par équipe.] On a fait une belle première semaine !

Et puis, tous les acteurs et parties prenantes d'Ensemble2024 sont plutôt reconnaissants pour tout ce qui se vit, les contacts, les expressions de l'Évangile qui progresse à la faveur de ces jeux, et nous espérons, au-delà.

Traduit par Jonathan Hanley

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