Le doute est une échelle à gravir, pas un lieu d’habitation

Les églises devraient accueillir les questions. Cela ne signifie pas qu’il faille vivre dans le doute perpétuel.

Christianity Today July 19, 2024
Elizabeth Kaye/Images sources : Getty/Lightstock/Unsplash

Qu’est-ce qui rend la foi chrétienne difficile ?

On peut répondre à cette question de nombreuses manières. Votre réponse en dira long non seulement sur vous-même — votre tempérament, votre situation dans la vie, votre esprit et votre cœur — mais aussi sur le contexte dans lequel vous vivez. Les chrétiens de différentes époques et de différents lieux répondraient de manière très différente.

Supposons, par exemple, que vous viviez à Jérusalem quelques décennies après la crucifixion de Jésus. Ce qui rend la foi chrétienne difficile, ce n’est pas la foi en la divinité ou la grande distance qui vous sépare des « temps bibliques ». Vous vivez dans les temps bibliques et tout le monde croit au divin. Non, ce qui rend les choses difficiles, c’est le poids étouffant de la persécution juridique et du rejet par la société. Confesser le nom du Christ complique probablement votre vie de manière tangible : votre famille vous a peut-être renié, votre maître pourrait vous maltraiter et certains de vos amis vous tournent certainement en ridicule. Les autorités, quant à elles, pourraient vous arrêter pour vous interroger s’il leur prend l’idée que vous créez du trouble.

Ou supposons que vous soyez une nonne dans un couvent médiéval. Vous vivrez toute votre vie là, sans jamais vous marier, sans jamais avoir d’enfants, sans jamais avoir de maison à vous. Vous êtes liée à Dieu jusqu’à la mort. En l’occurrence, vous êtes en outre ce que les gens appelleront plus tard une « mystique », bien que ce soit un terme plutôt sec pour désigner des visions que vous vivez souvent comme des souffrances : des aperçus extatiques du feu dévorant qu’est le Seigneur vivant. Qu’est-ce qui rend la foi chrétienne difficile ? Vous ne vous interrogez certainement pas sur l’existence de Dieu. Vous l’avez vu de vos propres yeux. La gloire et la richesse ne sont pas non plus une source de tentation ; votre vie est cachée à l’abri du monde. Mais votre vie n’est pas facile pour autant. La foi reste difficile.

Ou bien imaginez que vous êtes quelqu’un d’autre, encore ailleurs : un prêtre d’une paroisse rurale dans l’Angleterre du début de l’époque moderne. Vous vivez une ère de bouleversements religieux et politiques. La Réforme a lourdement ébranlé les anciens modèles du culte et les désirs d’unité. Sur le continent, les guerres de religion font rage, mais votre charge, terriblement ordinaire, est un village composé de familles d’agriculteurs. Qu’est-ce qui rend la foi chrétienne difficile ici ? Le conflit d’arrière-fond en fait peut-être partie, mais bien plus proche de vous, vous ressentez la routine abrutissante, le quotidien fait de questions de temps qu’il fait, de récoltes, de mariages, de grossesses, de maladies, d’enterrements… L’avent, Noël, le carême, Pâques, année après année. Un perpétuel recommencement.

Si je devais poser la question à mes amis ou à mes étudiants américains aujourd’hui, je pense savoir ce qu’ils répondraient : ce qui rend la foi chrétienne difficile à notre époque, c’est le doute.

Doute sur l’existence de Dieu, sur la résurrection de Jésus, sur les miracles, sur les anges, les démons et les dons du Saint-Esprit, sur les textes bibliques, sur l’histoire qui les sous-tend ou sur l’Église qui nous les transmet, sur la crédibilité de tout cela. Un doute vécu depuis le bord d’un gouffre béant entre « autrefois » et « ici et maintenant » : l’oppression, l’esclavage et la superstition face à la liberté, les droits de l’homme et la science. Devrions-nous vraiment accepter sans réserve la foi de nos ancêtres, alors que nous avons tendance à penser que nous sommes tellement meilleurs qu’eux à tant d’égards ?

Je ne parle pas ici d’athées, d’apostats ou d’« exvangéliques ». Il y a là ce que ressentent de nombreux chrétiens ordinaires. C’est l’eau dans laquelle ils nagent, la lancinante pensée d’arrière-plan dans leur esprit, la source semi-consciente de l’inertie qui les étreint lorsque sonne le réveil le dimanche matin. Les chrétiens occidentaux ne sont pas confrontés aux dangers de l’arène, mais cette pression émotionnelle et intellectuelle est bien réelle. Les doutes s’accumulent.

Le fait que le doute soit à la mode n’arrange rien. Le doute est sexy, et pas seulement dans la culture générale. Je ne compte plus le nombre de fois où un pasteur ou un enseignant chrétien m’a dit que le doute était un signe de maturité spirituelle. La foi dépourvue de doute serait superficielle, une sorte de lune de miel innocente. Le doute serait le revers de la foi, une sorte de compagnon de la fidélité. La présence du doute serait le signe d’un esprit théologique sain, et son absence… Je vous laisse compléter.

Les promoteurs du doute ont tout à fait raison sur deux points importants. Tout d’abord, ils souhaitent disposer d’un espace pour poser des questions honnêtes. Deuxièmement, ils veulent éliminer la stigmatisation du doute.

Ils veulent que l’Église soit un lieu où le doute n’est pas une pathologie, où son expérience n’est pas un échec moral, où le doute produit par les questions et les questions produites par le doute sont accueillis, accompagnés et explorés. Une Église agissant ainsi se démarquerait pour sa culture de l’hospitalité spirituelle. Les croyants ordinaires pourraient dire tout haut ce qui les inquiète vraiment durant leurs heures d’insomnie, au lieu de le taire par peur du jugement ou du rejet.

Nous devrions tous vouloir ces choses. Là où les églises ont commis des erreurs, les pasteurs doivent redresser la barre. Nous ne voulons pas que les enfants et les jeunes pensent que les questions sont mauvaises et encore moins que suivre Jésus signifie croire tout et n’importe quoi.

N’y a-t-il pas cependant des risques à une promotion inconsidérée du doute ? Je vois quatre difficultés potentielles.

Tout d’abord, les pro-doutes universalisent une expérience particulière. Assurément, le doute n’est pas un problème simple que l’on pourrait résoudre par un peu de redynamisation spirituelle. Mais est-ce vraiment la croyance en un Dieu invisible ou en la conception virginale de Jésus qui rend la foi chrétienne difficile pour tout le monde, toujours et partout ? Lisez suffisamment de littérature chrétienne faisant l’éloge du doute et c’est l’impression que vous aurez.

Mais si l’on examine l’histoire de l’Église, comme j’ai tenté plus haut de vous le faire ressentir, il devient évident que ce qui rend la foi chrétienne difficile dépend du contexte. Le fait d’être exposé à la vie et aux écrits d’autres disciples de Christ à travers les siècles, vivant à des époques, dans des lieux et dans des cultures très différents, met nos défis en perspective. Ils sont bien souvent personnels et non généraux ; paroissiaux et non cosmiques. Ils ne sont ni inévitables ni immuables. Le christianisme est bien plus vaste que le monde évangélique traditionnel ou l’Occident sécularisé.

Deuxièmement, les partisans du doute ont tendance à décrire le doute non seulement comme un défi universel, mais aussi comme une caractéristique nécessaire d’une foi mûre. Il y a ici à l’œuvre un mélange de biais de sélection et de classisme : les sceptiques sont généralement des personnes aisées et intellectuelles, titulaires d’un diplôme universitaire et d’un emploi sur ordinateur portable. Rien de tout cela n’est mauvais ; je me reconnais dans ce groupe.

Mais cela ne représente pas tout le monde. Notre expérience de la foi n’est pas universelle. Notre tendance à nous débattre avec le doute n’est pas une composante essentielle de la connaissance de Dieu, un défi que tout chrétien sérieux devrait relever. Il est tout simplement faux de dire que la maturité dans la foi est toujours marquée par le doute. Moïse s’est-il demandé si Dieu était réel ? Paul a-t-il remis en question sa vision du Seigneur ressuscité ? Qu’en est-il de Julienne de Norwich, la religieuse dans la peau de laquelle je vous proposais de vous imaginer plus haut ? La foi simple et confiante de tant de nos aînés spirituels — la classique foi du charbonnier — doit-elle vraiment être « problématisée » avant de mériter notre respect ? La réponse paraît évidente.

Troisièmement, les partisans du doute vont trop loin en faisant du celui-ci une vertu. Le doute n’est pas un péché, mais cela ne veut pas dire qu’il est désirable. Dieu peut l’utiliser à bon escient ; il peut s’agir d’une étape cruciale dans le cheminement d’une personne avec le Christ. Mais il n’est pas nécessaire de le célébrer ou d’en faire l’apologie. En somme, le doute n’appelle ni éloge ni blâme. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une épine dans la chair.

Au mieux, le doute est une échelle à gravir. Mais les échelles ne sont pas une fin en elles-mêmes. Nous les utilisons pour nous rendre quelque part, pour accomplir une tâche. Vivre dans le doute perpétuel, c’est comme s’installer sur une échelle : techniquement possible, mais loin d’être idéal. Si quelqu’un vous recommandait une échelle comme solution à votre besoin de logement, vous remettriez sans doute en question son jugement.

Enfin, les partisans du doute dénaturent ce que sont les questions. Les questions ne sont pas la même chose que les doutes. Thomas d’Aquin a posé des milliers de questions au cours de sa courte vie. Les Confessions d’Augustin en contiennent à elles seules plus de 700. Qu’est-ce qu’un catéchisme, sinon des questions suivies de réponses ? Mais voilà la différence : le doute débute par une perte de confiance ou de crédibilité, ce qui n’est pas le cas des questions. Mes enfants me posent des questions tous les jours, non pas parce qu’ils doutent de moi, mais parce qu’ils me font confiance.

C’est la raison pour laquelle les saints et les mystiques reviennent sans cesse aux questions, y compris des questions qui ne peuvent trouver de réponse dans cette vie. Les questions naissent de notre confiance en Dieu et la renforcent. Les questions font grandir la foi.

Distinguer les questions du doute ne vise pas à faire l’éloge des premières pour à nouveau stigmatiser le second. Il s’agit de préciser aux croyants que si le doute entraîne souvent des questions, les questions n’entraînent pas toujours (ni même généralement) le doute. Il y a là une bonne nouvelle pour ceux d’entre nous qui sont anxieux. Posez vos questions, devrait dire l’Église. Le Seigneur les accueille.

Qu’est-ce qui rend finalement la foi chrétienne difficile ? Existe-t-il une réponse qui s’applique à chacun d’entre nous ? Je crois qu’il y en a une.

Ce qui rend la foi chrétienne difficile, c’est justement la foi, mais dans un sens différent de celui que beaucoup d’entre nous comprennent. Pour trop de chrétiens élevés dans l’Église, la foi est synonyme de certitude mentale et émotionnelle, et la vie chrétienne se définit donc comme le fait de croire aussi fort que possible en des choses difficiles. Dans ce modèle, lorsqu’une question embarrassante pointe le bout de son nez, vous n’avez que deux options : mettez cette question à la porte en « croyant plus fort » ou acceptez que votre foi est trompeuse et abandonnez-la. Avoir la foi dans ce sens signifie que je dois me pousser à croire des choses bizarres que les gens « modernes » d’une époque « scientifique » trouvent incroyables. Si tel est le cas, il n’est pas étonnant que le doute soit attrayant !

Mais la foi chrétienne n’est pas cette préservation désespérée d’une certitude interne. Elle pourrait aussi (et peut-être plutôt) être décrite comme « fidélité ». Avoir la foi, c’est rester fidèle envers Dieu, lui faire confiance et devenir digne de confiance à notre tour. Ce qui est universellement difficile dans le fait d’être chrétien, c’est d’être fidèle au Seigneur, quelles que soient les circonstances.

Que l’on vive en temps de persécution ou seul dans un couvent, à une époque de division et de guerre ou un temps de scepticisme et d’abondance, à l’apogée de la chrétienté médiévale ou sous le régime islamique de l’Iran moderne, l’appel du Christ est exactement le même. En toutes circonstances, le Christ nous invite à prendre notre croix et à le suivre au Calvaire (Lc 9.23). En d’autres termes, nous sommes appelés à mourir.

Nos morts sont parfois littérales, parfois religieuses, parfois sociales, financières ou familiales. Parfois, elles sont tout cela et plus encore (Ga 2.20). Dans tous les cas, malgré des différences de surface, nous portons le même joug. Le Christ nous promet que ce joug est facile, que son fardeau est léger — et il l’est (Mt 11.30). Mais la mort à soi-même qu’il requiert est une crucifixion quotidienne qui prive la chair du pouvoir qu’elle a sur nous.

Le doute peut faire partie de cette lutte. La lutte est réelle, elle dure toute la vie et elle est commune à tous. Ce n’est cependant pas elle qui est au centre. L’essentiel est de savoir où nous allons. L’important est de savoir qui nous suivons. La croix n’est pas notre ultime destination ; la mort ne sera pas la fin (1 Co 15.26, 55–57). Nous ne sommes pas condamnés à lutter, à souffrir et à nous interroger éternellement. Lorsque nous sortirons du tombeau, nous laisserons tout cela derrière nous. Comme des draps mortuaires, les doutes qui nous avaient autrefois assaillis seront abandonnés à terre. Libérés de tout fardeau, nous entrerons dans la vie.

Brad East est professeur associé de théologie à l’Université chrétienne d’Abilene. Il est l’auteur de quatre livres, dont The Church: A Guide to the People of God et Letters to a Future Saint: Foundations of Faith for the Spiritually Hungry.

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Books
Review

Les chrétiens célibataires ont des besoins communs — les mêmes que ceux de tous les chrétiens.

Une vaste enquête sur le célibat dans le monde remet en question la survalorisation du mariage au sein de l’Église.

Christianity Today July 17, 2024
Illustration par Christianity Today/Images sources : Pexels/Getty

Pour les chrétiens évangéliques, les propos sur le célibat ont tendance à être prévisibles. Qu’il s’agisse d’un sermon, d’une table ronde ou d’une conférence, les échanges portent généralement sur la manière dont on peut échapper à cette condition par le biais des relations amoureuses ou du mariage. Le célibat est souvent présenté comme un chemin vers autre chose, mais rarement comme un statut valable en lui-même.

Solo Planet: How Singles Help the Church Recover Our Calling

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Au fil du temps, cette manière de penser a engendré une théologie du célibat très superficielle au sein de l’Église. L’attention disproportionnée que nous portons aux moyens d’y échapper nous empêche de présenter de manière convaincante les beautés de cette réalité ou d’offrir un réel soutien face aux difficultés qu’elle engendre. Nous peinons à mettre en évidence et à célébrer tout ce que la vie vécue sans conjoint — et souvent sans enfant — peut nous apprendre sur le cheminement chrétien.

La chose s’explique en partie par le fait que notre lecture des Écritures nous a conduits à faire passer notre appel à la fécondité physique avant notre identité reçue dans le baptême. Nous avons institué un rapport hiérarchique entre le mariage et le célibat, le mariage étant vu comme lieu d’une plus grande maturité spirituelle. Les hommes et les femmes mariés prodiguent souvent leur sagesse chrétienne aux célibataires, mais le vécu des célibataires est rarement évoqué comme source de sagesse pour les personnes mariées. Cette hiérarchie des statuts conjugaux transparaît dans les conférences pour célibataires. Celles-ci mettent souvent en avant des orateurs mariés, alors que les conférences sur le mariage n’incluent pratiquement jamais d’orateurs célibataires.

Pour exercer un ministère efficace auprès d’une population croissante de célibataires, jeunes et moins jeunes, nous devons apprendre de ceux qui ont passé du temps à réfléchir en profondeur à leur expérience du célibat. Nous avons besoin d’entendre leurs voix pour offrir une vision de la façon dont le célibat n’est pas simplement un chemin vers une vie meilleure, mais un espace légitime pour s’épanouir et prospérer.

C’est l’objectif que poursuit Anna Broadway dans son livre Solo Planet: How Singles Help the Church Recover Our Calling (« Planète solos : comment les célibataires aident l’Église à retrouver son appel »). À travers des entretiens avec des centaines de célibataires du monde entier, elle propose une conversation qui invite tous les croyants à mieux prendre en compte les réalités de la vie sans mariage dans divers lieux et cultures.

Dans sa quête des clés d’une vie de célibataire heureuse, elle démontre que l’épanouissement est à la portée de tous celles et ceux qui font certains choix quotidiens pour répondre à leurs besoins profonds de lien et d’appartenance. Ce chemin exige cependant aussi que nous nous défassions de notre hiérarchie des statuts conjugaux pour nous recentrer sur l’appel que son Sauveur adresse à l’Église tout entière, mariés comme célibataires.

Communauté, célébration et soutien

Broadway structure son livre autour des besoins communs des personnes non mariées. Si certains de ces besoins n’étonnent pas les lecteurs, d’autres seront peut-être plus surprenants. Dans la vie de chacune des personnes interrogées, Broadway invite les lecteurs à constater que les besoins signalés par les célibataires ne leur sont pas propres. Ils renvoient plutôt à notre expérience humaine commune dans un monde déchu.

Deux des premiers thèmes abordés sont la communauté et la célébration. Tout au long de ses recherches, l’autrice a constaté que les communautés mêlant réellement personnes mariées et célibataires étaient rares. Les raisons de cette division tournent souvent autour de questions de valeur. Le mariage était considéré comme supérieur au célibat, rendant les célibataires inutiles pour le bien-être social et spirituel des personnes mariées.

Theodora, une protestante britannique, résume ainsi ce que Broadway a entendu de la part de nombreux célibataires : « Le célibat est considéré comme une chose terrible. L’objectif est de s’en sortir et de se marier le plus tôt possible. » D’autres personnes interrogées citent des facteurs culturels, comme le fait que les églises regroupent les célibataires dans des groupes de jeunes adultes et une méfiance généralisée à l’encontre des relations entre célibataires et personnes mariées.

Tout au long de l’ouvrage, les personnes interrogées par Broadway soulignent les difficultés qu’elles ont rencontrées en tant que citoyens de seconde zone au sein de leurs communautés religieuses. Mais ses recherches approfondies révèlent également la beauté et la joie qui ont émergé lorsqu’ils ont noué des liens familiaux profonds entre eux et avec des frères et sœurs mariés. Qu’il s’agisse d’une invitation régulière à dîner de la part d’une famille de l’église, de l’ouverture à héberger un colocataire inattendu ou de réunions hebdomadaires avec un petit groupe intergénérationnel, les personnes interrogées font systématiquement part de la manière dont de petits moments de mise en relation intentionnelle ont contribué à créer des liens solides avec la communauté.

Le besoin de célébration est étroitement lié au besoin de communauté. En matière de célébrations, peu revêtent autant d’importance dans notre société que celles liées au mariage et aux enfants. Broadway reconnaît donc la difficulté pour les célibataires de trouver des événements comparables à célébrer. Cependant, plutôt que de se contenter de proposer des alternatives créatives, elle nous met au défi de changer l’orientation de nos célébrations en nous tournant davantage vers le calendrier ecclésiastique. Elle écrit : « Ces moments nous rappellent que tous les chrétiens, qu’ils soient célibataires ou mariés, appartiennent à la famille de Dieu. Nous avons tous bien des raisons de célébrer. Nous avons tous de nombreuses façons de nous réjouir et de pleurer ensemble. »

La force du propos de Broadway réside dans le fait qu’elle ne se contente pas d’apporter un complément au paradigme existant du célibat et du mariage. Dans chaque chapitre, elle s’efforce de briser nos perspectives dysfonctionnelles et de les réaligner à travers le prisme de l’Écriture. En utilisant notre identité en Christ comme norme, elle nous libère des limites de la hiérarchie des statuts conjugaux que nous avons créée. Lorsque nous prenons conscience de la nature mutuelle de notre vocation baptismale, célibataires comme personnes mariées peuvent s’épanouir.

Les interviews réalisées par Broadway donnent également un aperçu d’autres besoins communs, tels que l’alimentation, le logement, la sexualité, les loisirs et la santé émotionnelle. Cependant, un chapitre particulièrement poignant est consacré à l’expérience des célibataires face à la maladie, au handicap et à la mort. À travers cet ensemble spécifique de récits, dont beaucoup concernent un handicap ou une maladie chronique, Broadway souligne à quel point de nombreux célibataires craignent de souffrir ou de mourir seuls.

Quelle que soit la durée de la souffrance, cette perspective laisse de nombreux célibataires avec les mêmes questions que celles posées par les personnes interrogées par Broadway : les gens s’intéresseront-ils vraiment à nous ? Les gens viendront-ils vraiment nous rejoindre dans nos derniers instants ? Kim, une protestante américaine vivant à Moscou, a été confrontée à cette réalité lorsque, bien que faisant partie d’une solide communauté ecclésiale, elle n’a reçu que très peu de visites pendant son séjour à l’hôpital. Selon ses propres termes, ces quelques jours ont été « l’une des périodes les plus déprimantes de [sa] vie ».

Pour certains, les amis et la famille ont constitué une bouée de sauvetage indispensable pour les aider à trouver la guérison ou à entrer paisiblement dans la vie éternelle avec Dieu. Colin, un catholique américain, a aidé à prendre soin de son amie Deirdre après le diagnostic de son cancer. Il a notamment emménagé avec elle pour l’aider financièrement et lui faire les courses. Il a même organisé une célébration de fin de vie pour ses amis et sa famille lorsqu’elle est entrée en soins palliatifs. Réfléchissant à cette expérience, il conclut : « Quel que soit notre état de vie, être capable d’être là, d’aider dans la mesure du possible et de rester à ses côtés jusqu’à la fin, c’est ce à quoi nous sommes appelés en tant que disciples. »

Des histoires comme celles-ci illustrent le super pouvoir de l’Église en matière d’interdépendance. Mais pour l’exercer, il faut s’engager, et l’engagement requiert un service sacrificiel. En racontant l’histoire de célibataires qui ont exercé ou reçu ce type de service, Broadway les place dans le rôle habituellement réservé aux personnes mariées : des guides pour notre vie chrétienne. Leur engagement sans relâche à se soutenir les uns les autres est un modèle du type d’amour que Jésus nous appelle à incarner les uns pour les autres.

Un changement d’identité

D’âges, de sexes et d’origines ethniques différents, les hommes et les femmes interrogés par Broadway partagent le type de matière propre à nourrir une réflexion approfondie sur le célibat. Dans sa section sur la sexualité et les minorités sexuelles, elle donne notamment aux lecteurs l’occasion de s’attaquer à des questions complexes et à multiples facettes, même s’ils ne seront pas nécessairement d’accord avec ses réponses.

Cependant, dans quelques chapitres, j’aurais aimé que l’autrice nous entraîne dans une cogitation plus profonde du sujet. Bien que son propos sur la santé émotionnelle et les loisirs soit intéressant, je pense qu’il reste de précieuses leçons à tirer. Un examen plus approfondi des questions de solitude, de honte et de repos pourrait venir interroger notre compréhension de l’identité et la manière dont nous entretenons nos relations, aidant ainsi l’Église à gagner en maturité.

En fin de compte, le livre de Broadway incite chaque lecteur à réfléchir sur les conditions de sa propre vie. En entendant les expériences décrites par des centaines de célibataires et de nombreuses personnes mariées, un changement de perspective s’opère. Au fil des chapitres, il apparaît plus clairement que les besoins examinés par Broadway ne sont effectivement pas uniquement liés à notre état civil, mais découlent plutôt de notre humanité commune.

Même si nos luttes peuvent prendre des formes différentes, les personnes mariées et les célibataires connaissent tous des difficultés face à leur identité et leur appartenance. Nous désirons tous être connus et connaître les autres en profondeur. Les nombreux récits racontés dans ce livre montrent que, d’une certaine manière, la clé de l’épanouissement est la même pour les célibataires et les personnes mariées. Notre capacité à nous épanouir est directement liée à la manière dont nous embrassons notre unicité dans le Christ.

Colin résume parfaitement cette idée : « C’est notre baptême qui nous donne notre identité, pas notre état matrimonial. »

Cette identité reçue dans le baptême nous rappelle que la plénitude se trouve dans une vie vécue en et pour Christ. Le célibat est un cadeau, car il offre une possibilité de vivre une relation engagée avec Dieu et son peuple. Cette relation est destinée à durer. À travers tous les hauts et les bas de la vie, dans la maladie et la santé, dans l’abondance et le manque, nous nous aimons les uns les autres avec abnégation. Pour que les célibataires s’épanouissent, ils doivent pouvoir vivre dans cet espace de mutualité. Pour que l’Église s’épanouisse, il faut qu’elle fasse de même.

J’espère le jour où cela ne sera pas seulement enseigné dans nos églises, mais cru de tout cœur.

Elizabeth Woodson est écrivaine, enseignante biblique et fondatrice de l’Institut Woodson. Elle est l’autrice de Embrace Your Life: How to Find Joy When the Life You Have Is Not the Life You Hoped for.

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Apporter la Cité de Dieu aux cités de la Terre

Des urbanistes chrétiens expliquent comment leur foi influence leur travail — et comment leur travail influence notre foi.

Christianity Today July 17, 2024
Arto Marttinen / Unsplash

La manière dont sont conçus nos lieux de vie façonne notre manière d’interagir, de grandir ensemble et de nous aimer. Mais qui façonne ces lieux ?

Dans un sens large, nous le faisons tous. Le choix de notre lieu de vie et de notre façon de vivre, d’apprendre, de travailler et de pratiquer un culte influence le marché immobilier, la manière dont s’exercent les divers ministères et une certaine idée de ce qui est « juste » et « normal ». Mais certaines professions — urbanistes, designers urbains, architectes, promoteurs et agents immobiliers — jouent un rôle plus important et plus direct dans le développement de nos quartiers et de nos villes. Pour bien des chrétiens parmi eux, la foi est centrale dans leur travail, car elle les guide dans l’élaboration d’espaces propices à l’épanouissement des communautés urbaines.

Quatre professionnels chrétiens de ce secteur m’ont expliqué que l’endroit où nous vivons peut faire écho à la fois à la création et au renouveau à venir (Rm 8.18-25). Dans le monde fragmenté qui est le nôtre, ces lieux de vie peuvent favoriser l’émergence de communautés solides et durables. Les églises locales elles-mêmes peuvent être des modèles en matière de promotion d’un espace accueillant et attirant.

Les critères d’un bon aménagement urbain — beauté, fonctionnalité, développement communautaire, accessibilité — ne sont pas uniquement liés aux modes ou aux goûts des humains. Ils sont aussi un avant-goût de la terre nouvelle, une balise divine qui nous oriente vers une meilleure façon de vivre. Selon Chris Elisara, président du Congress for New Urbanism Members Christian Caucus, il ne faut pas perdre de vue que, dans la Bible, le monde à venir n’est pas décrit comme un jardin ou un village pittoresque, mais comme une ville (Ap 22.3). C’est dans une ville que culmine notre participation à la construction du royaume, me dit-il. Et c’est là que Dieu habitera à nouveau parmi son peuple.

En conséquence, la « construction du royaume » au quotidien par le biais de l'urbanisme et de l'aménagement des espaces ne doit pas être inconsidérée, insensible ou chaotique. Elle doit être soigneusement étudiée pour respecter la manière dont nous sommes appelés à vivre ensemble selon les Écritures. « Nous nous intégrons tous dans la création d’une manière spécifiquement conçue », poursuit Elisara. « C’est pourquoi, dans l’élaboration de nos plans, de nos architectures, nous devons montrer comment faire les choses d’une manière qui correspond à la vision que Dieu a de l’humanité ».

Dans A Theology of Cities, Tim Keller appelait à une vision marquée par le sceau du shalom de Dieu, favorisant notamment l’accessibilité à tous et les bonnes relations de voisinage. Une communauté résiliente s’épanouit lorsque l’environnement bâti encourage les rencontres spontanées, facilite les rassemblements et invite à la flânerie. C’est ce que l’architecte et urbaniste Mel McGowan appelle la facilitation des « connexions horizontales ».

« Lorsque je regarde les instructions données par Christ d’aimer Dieu et d’aimer notre prochain, elles sont toutes deux relationnelles », dit Michael Watkins, urbaniste et architecte. « Et je suis certain que nous pouvons concevoir un environnement bâti qui nous permette d’être plus relationnels ». Dans son travail, cela signifie créer et développer des quartiers et structures qui encouragent les usages mixtes, les modes de vie intergénérationnels et les déplacements à pied.

Il est plus facile d’apprendre à connaître son voisin lorsqu’on le voit chaque jour dans son jardin ou dans la file d’attente du magasin du coin. Il est plus facile de se lier d’amitié avec une famille que l’on voit au parc plusieurs fois par semaine. De même, il est plus facile de vivre la communauté chrétienne en vivant géographiquement proches les uns des autres et pas seulement spirituellement et sentimentalement.

Mais il ne faut pas non plus oublier la connexion verticale. Sara Joy Proppe y travaille. Ancienne promotrice immobilière et fondatrice de Proximity Project, elle explique que le bâti est un élément essentiel « de ce qui nous façonne en tant qu’êtres humains — Dieu l’a créé pour qu’il serve de cadre à nos histoires ».

Et une partie de son travail consiste à aider les églises à bien utiliser leurs terrains et bâtiments. Grâce à ses conseils, plusieurs communautés ont transformé des surfaces inutilisées en jardins communautaires, en parcs pour chiens, en sentiers de promenade et autres espaces publics à petite échelle, favorisant une vie de quartier organique. « J’ai vraiment à cœur de guider l’Église vers une gestion active de ses biens pour qu’elle prenne sa place dans la localité », dit-elle. « L’environnement bâti est un réel canal de vie pour l’Évangile. Et je pense que c’est quelque chose que les églises ont du mal à voir clairement. »

Le design même d’une église peut avoir un impact important — bien que souvent discret — sur la vie d’une ville. Historiquement, les églises de zones plus denses et plus urbaines étaient souvent le point d’ancrage d’un pâté de maisons ou d’un quartier. Elles étaient donc construites à un endroit bien en vue, par exemple au coin d’une rue ou à l’avant-plan d’une petite place publique. La vie du quartier, à la fois séculière et sacrée, se déroulait autour et à l’intérieur de l’église. Orienter physiquement la vie locale autour de l’église était un pari sûr, car, comme l’écrivent Chris Elisara et Chris Ives, professeur de géographie, les églises tendent à être « obstinément dévouées » à leur voisinage.

Mel McGowan a étudié la manière dont les églises et autres lieux de culte s’intégraient dans la conception des villes des siècles passés. L’étude sur le terrain lui a montré que les substituts modernes et laïques aux églises traditionnelles — grandes surfaces commerciales et complexes cinématographiques — n’ont tout simplement pas le même impact. « Nous essayions littéralement de recréer ce type d’urbanité européenne à échelle humaine, mais c’est toujours l’espace sacré qui était le point central » de ces anciennes communautés, explique-t-il.

Une grande surface ou une de salle de cinéma peuvent faire l’affaire, mais elles ne donneront jamais à la vie locale le même ancrage spirituel à long terme, ni la même transcendance.

Avec l’Amérique d’après-guerre qui a centré la conception de ses quartiers résidentiels et de ses bâtiments cultuels sur les banlieues et l’usage de la voiture, peu vivent aujourd’hui dans un quartier construit autour d’une église. Les communautés ont tendance à avoir de grands parkings situés sur des terrains encore plus grands. Et ces espaces, utiles le dimanche matin, restent souvent vides (ou à peine utilisés) les six autres jours de la semaine.

Mais il est possible de réfléchir à la manière de faire bon usage de ces espaces, même en n’étant pas actifs dans le domaine de l’urbanisme. Tous, nous sommes appelés à « cultiver et garder » notre monde (Ge 2.15), ce qui inclut nos lieux de culte et les espaces qui les entourent. Comment pouvons-nous les rendre plus beaux et plus utiles, qu’ils soient en milieu urbain, suburbain ou rural ? Comment pouvons-nous en faire des lieux qui reflètent, selon l’expression de Chris Elisara, « ce que signifie être pleinement humains comme Dieu voulait que nous le soyons » ?

Viser une plus grande densité et une variété d’usages est souvent un bon point de départ. Des espaces plus denses, conçus pour être relationnels, permettent d’expérimenter à la fois les joies de la communauté et ce qui est encore « à sanctifier », comme les désagréments du vivre ensemble, l’égoïsme des uns et les travers des autres. Les églises qui disposent d’un terrain ou de salles inoccupées peuvent envisager de mettre ces espaces à la disposition de la population pour l’aide à l’enfance, l’éducation ou le logement abordable. Ou même en faire un « village urbain ».

Au-delà de cette optimisation de l’usage des biens des églises, Chris Elisara conseille aux chrétiens de plaider activement pour les politiques qui soient les plus favorables à leur quartier et à leur ville, avec des rues plus sûres, plus d’alternatives pour la construction de logements et de meilleures options de transport. Les revendications seront différentes pour les chrétiens qui vivent dans la périphérie ou à la campagne, mais, quelle que soit la densité de nos environnements bâtis, ils façonnent nos vies. Et même si nous ne le remarquons pas, ils façonnent aussi notre foi.

Rabekah Henderson est une écrivaine qui met en relation la foi, l’architecture et le monde bâti qui nous entoure. Elle vit à Raleigh, en Caroline du Nord, et a été publiée dans Mere Orthodoxy, Common Good et Dwell.

Traduit par Anne Haumont

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Le Tao chinois pointe aussi vers Christ

Oui, les enseignements de l’antique philosophe Zhuangzi peuvent aider à conduire à l’Évangile.

L’une des paraboles les plus célèbres de Zhuangzi : le rêve du papillon

L’une des paraboles les plus célèbres de Zhuangzi : le rêve du papillon

Christianity Today July 16, 2024
WikiMedia Commons/Edits by CT

Tout au début de l’Évangile de Jean, la présence éternelle de Dieu est décrite comme Logos, du grec signifiant « Parole ». Dans de nombreuses traductions chinoises de la Bible, y compris la populaire Chinese Union Version (CUV), ce concept est traduit par « Tao » (ou Dao).

En chinois, le mot(道) désigne un enseignement ou un mode de vie aligné sur le ciel. On le traduit souvent par « la Voie ». Dans le taoïsme, tradition philosophique et religieuse qui encourage ses adeptes à rechercher l’immortalité et à atteindre la sagesse face aux circonstances de la vie, le mot Tao fait également référence à l’essence omniprésente de toute la création.

Mais quel est le rapport entre le Tao Parole de Dieu et le Tao du taoïsme ?

Comme je l’ai découvert lorsque je vivais et enseignais dans le pays, de nombreux Chinois ont un cœur sensible et un esprit curieux. Beaucoup sont ouverts aux questions spirituelles. Mais j’étais curieux de savoir pourquoi, pour trouver des réponses, la plupart d’entre eux se tournaient vers les traditions de leurs ancêtres avant d’envisager l’Évangile chrétien. J’ai donc décidé d’étudier les traditions confucéenne, taoïste et bouddhiste. Cela devait également m’aider à mieux partager ma foi dans ce contexte particulier.

Aujourd’hui, en tant que spécialiste du christianisme et des religions chinoises, j’ai une bien meilleure idée de la manière dont philosophie et religion chinoises peuvent à la fois converger vers la pensée chrétienne, mais aussi s’en éloigner. Et je comprends mieux comment les personnes d’origine chinoise font le lien entre leur héritage culturel et leur foi chrétienne.

Au sein du christianisme, il existe une longue tradition de dialogue avec d’autres courants religieux et philosophiques. En Actes 17, Paul est à Athènes et y découvre un monument en hommage à un dieu inconnu. Il s’en saisit pour d’expliquer aux Grecs que le Christ est l’expression et l’accomplissement de certaines de leurs traditions. Plus tard, les premiers pères de l’Église, comme Origène et Augustin, se baseront également sur les philosophies du monde gréco-romain, comme le néoplatonisme, pour mieux comprendre l’Évangile et étendre sa portée à travers l’Europe païenne.

Et ce modèle d’utilisation de la culture comme pont pour révéler la plénitude de l’Évangile s’étendra à la Chine. C’est ainsi qu’au 6e siècle, sous la dynastie Tang, les moines de l’Église assyrienne d’Orient prêcheront le Christ en langage philosophique chinois. Au 16e siècle, le missionnaire jésuite Matteo Ricci adoptera lui les modes de pensée et de discours confucéens pour atteindre les cours impériales de la dynastie Ming.

Parallèlement au confucianisme, la spiritualité chinoise sera façonnée pendant des siècles par le taoïsme, dont l’une des figures les plus importantes et influentes est le philosophe Zhuangzi.

On sait peu de choses sur Zhuangzi, si ce n’est qu’il était un fonctionnaire mineur à Meng (aujourd’hui Shangqiu), en Chine, et qu’il était probablement contemporain de l’érudit confucéen Mencius. Il est cependant considéré comme un penseur taoïste de premier plan qui aurait rigoureusement rejeté le pouvoir politique et l’influence sociale en faveur d’une vie menée dans la simplicité et la contemplation « libre et facile ».

Il est donc essentiel d’étudier les enseignements de Zhuangzi sur le Tao pour comprendre ce que peut être l’Évangile dans le contexte de la culture chinoise. Zhuangzi n’est pas une figure divine à mettre sur le même plan que Jésus-Christ, et ses enseignements ne sont pas non plus sacrés comme les Écritures. Mais, pour les Chinois en quête de spiritualité, ses paroles peuvent réellement mener à la découverte du Nouveau Testament et de Jésus, le Chemin, la Vérité et la Vie.

Le développement du bouddhisme en Chine

L’un des concepts les plus récurrents de Zhuangzi est celui de « vraie personne » (真人). Pour lui, la vraie personne est quelqu’un qui vit en parfaite unité avec le Tao et qui exerce un discernement juste dans toutes les situations. Elle possède à la fois « une sainteté intérieure et une royauté extérieure »(内圣外王), en ce sens que sa maîtrise spirituelle lui confère une majesté supérieure à celle de ceux qui gouvernent par la force.

On retrouve ce concept de vraie personne dans le néo-taoïsme qui se développe à la désintégration de la dynastie Han en 220 après J.-C. Des érudits désenchantés par le confucianisme qui n’avait pas réussi à maintenir l’unité du royaume introduisent ce nouveau mouvement appelé aussi « apprentissage mystérieux »(玄学).

Le néo-taoïsme est un mélange d’enseignements confucéens et taoïstes qui soulignent l’importance de cultiver la vraie personne. Pour étoffer leur pensée, les tenants de cette nouvelle école se tournent vers les idées bouddhistes. Le bouddhisme, entré en Chine sous la dynastie Han, n’avait alors pas réussi à se développer. Il enseignait que les adeptes devaient renoncer à la famille et à la société au profit d’une vie monastique, ce qui était contraire aux sensibilités chinoises de l’époque.

Ce sont les idées de Zhuangzi qui l’ont rendu plus attrayant aux yeux de l’élite chinoise et lui ont permis de se propager dans toute la Chine. Zhuangzi utilisait un langage en résonance avec les pratiques de méditation bouddhistes en ce qu’il encourageait ses disciples à pratiquer le « jeûne du cœur et de l’esprit »(心斋).

S’il a été possible d’utiliser les enseignements de Zhuangzi pour introduire la pensée bouddhiste dans la culture chinoise, les chrétiens pourraient-ils faire de même avec la foi chrétienne ? Comment ceux et celles qui sont en recherche spirituelle et imprégnés d’influences taoïstes pourraient-ils découvrir Jésus dans ce contexte ? Pour répondre à cette question, j’aimerais comparer trois des paroles les plus célèbres de Zhuangzi avec trois passages du Nouveau Testament.

Naître de l’Esprit

Dans la vision du monde de Zhuangzi, la « transformation des choses » se produit au-delà de la raison humaine. L’un de ses enseignements les plus célèbres est tiré d’un rêve dans lequel il est un papillon. En se réveillant, il se demande s’il ne serait pas plutôt un papillon rêvant qu’il est un homme.

À travers le rêve du papillon, Zhuangzi laisse entendre que la nature est beaucoup plus vaste que ce que nous en percevons habituellement. Il existe bien des mystères qui dépassent notre réalité actuelle et que nous ne pouvons pas entièrement comprendre. L’expérience dynamique du réveil d’une réalité à une autre suggère qu’un niveau de conscience « supérieur » peut survenir sans avertissement, sans effort de notre part.

Un Chinois influencé par le taoïsme et le regard de Zhuangzi sur le mystère de la transformation, comprendra plus facilement qu’on ne devient pas croyant par un effort personnel, mais par l’action de l’Esprit.

Ainsi, au chapitre 3 de son évangile, l’apôtre Jean rapporte ces paroles de Jésus à Nicodème : « Si quelqu’un ne naît pas de nouveau, il ne peut voir le règne de Dieu. » Pour Nicodème, « naître de nouveau » semble illogique et impossible. Mais cette naissance est celle de l’Esprit, pas celle du corps, lui répond Jésus.

La puissance de l’Esprit-Saint dépasse de loin celle de la naissance naturelle à laquelle Nicodème pensait. L’Esprit est comme le vent, il souffle où il veut (v. 8). Nous ne pouvons accomplir son œuvre par notre propre force ou notre propre intelligence.

Cultiver les fruits spirituels

Pour Zhuangzi, les actions d’une personne connectée au Tao peuvent se faire presque sans effort. Dans un de ses écrits sur « l’art de nourrir la vie », il parle d’un maître boucher qui manie son couteau de manière instinctive. « Au bout de trois ans, je ne voyais plus le bœuf », explique le boucher. « Maintenant, je procède par l’esprit et je ne regarde plus avec les yeux. La perception et la compréhension se sont arrêtées, et l’esprit va où il veut. »

Pour Zhuangzi, ce qui commence par un effort devient lentement aussi naturel que la respiration. Il en résulte une capacité apparemment surnaturelle à réaliser ce que notre vocation exige de nous.

Dans la présentation de l’Évangile aux Chinois en recherche, le concept d’action sans effort (无为) de Zhuangzi aide à comprendre plus en profondeur l’enseignement de Paul sur le fruit de l’Esprit développé dans son épître aux Galates. Paul nous y encourage à être enracinés dans l’Esprit de Dieu plutôt que dans la chair et de nous « laisser conduire » par l’Esprit puisque nous vivons par lui.

Comment intégrer cela dans la vision chinoise du monde ?

Se laisser conduire par l’Esprit-Saint, c’est lui permettre d’agir en nous chaque jour en demeurant en Christ et en nous imprégnant de sa Parole. Naissent alors, aussi facilement que l’écrivait Zhuangzi et quelles que soient nos difficultés de vie, des manifestations d’amour, de joie, de paix, de patience et ainsi de suite.

Estimer la valeur des choses

Pour Zhuangzi, des choses apparemment insignifiantes peuvent être porteuses d’une grande valeur. Dans un conte à propos de « L’errance libre et facile », un critique compare ses enseignements à un grand arbre inutile : « Vos théories […] ont de l’ampleur, mais n’ont aucune valeur pratique ! »

Et Zhuangzi de lui répondre avec esprit : « [l’arbre] auquel vous me faites l’honneur de me comparer, poussé dans un terrain stérile, grandira tant qu’il voudra, ombragera le voyageur et le dormeur, sans crainte aucune de la hache et de la doloire, précisément parce que, comme vous dites, il n’est propre à aucun usage. N’être bon à rien, n’est ce pas un état dont il faudrait plutôt se réjouir ? »

Pour Zhuangzi, la beauté de cet arbre « inutile » réside dans sa capacité naturelle à s’étendre et à apporter le bien dans le monde. Il critique la tendance de l’humanité à n’attacher de valeur qu’aux choses qui lui sont profitables et affirme que toute la création a une valeur intrinsèque.

Ce récit de Zhuangzi sur la valeur des choses apparemment inutiles nous aide à parler du christianisme dans un contexte chinois. Elle rejoint ce que Jésus raconte du royaume de Dieu et aide à le comprendre.

Dans la parabole du grain de moutarde (Mt 13.31-32), par exemple, Jésus compare le royaume des cieux à un grain de moutarde qui, une fois épanoui, donne un très grand arbre, « plus grand que toutes les plantes potagères, de sorte que les oiseaux viennent habiter dans ses branches. »

Pour Jésus, la beauté d’une minuscule graine de moutarde réside dans sa capacité à devenir un grand arbre offrant un abri aux oiseaux. Comme cette minuscule graine de moutarde, le royaume de Dieu démarre très modestement, mais sa croissance est inéluctable.

La rencontre avec le Tao se fait en chair et en os

En examinant les enseignements de Zhuangzi et la manière dont ils peuvent aider les personnes en recherche à comprendre la foi chrétienne, on perçoit aussi combien ils pointent vers le Christ, qui est pleinement humain et pleinement divin et réalise parfaitement ce que Zhuangzi appelle la vraie personne.

Jésus est lui-même la Voie, ou le Tao : « Au commencement était le Tao, et le Tao était avec Dieu, et le Tao était Dieu […]. Le Tao s’est fait chair et a fait sa demeure parmi nous » (Jn 1.1, 14, d’après la CUV).

Mais témoigner du Christ à travers le langage et les valeurs d’une autre culture, ce n’est pas uniquement communiquer l’Évangile à une culture différente. C’est aussi nous offrir des moyens de mieux comprendre l’Évangile dans notre propre culture. Ainsi, les dictons de Zhuangzi peuvent également nous offrir, à nous chrétiens non chinois, de nouveaux éclariages sur la Parole de Dieu. Souvenez-vous : les premiers théologiens chrétiens utilisaient les philosophies gréco-romaines pour élaborer leurs propos.

Comme l’a dit Augustin, et comme l’a confirmé plus tard Thomas d’Aquin, « toute vérité est vérité de Dieu ». Où que se trouve la vérité, Dieu en est la source (Jn 16.13). Et chaque poteau indicateur de la vérité de Dieu, quelle que soit la culture où il s’ancre, rayonne vers Jésus, espoir de toutes les nations (Mt 12.21).

Easten Law est directeur adjoint des programmes académiques au Centre d’études des ministères d’outre-mer du Séminaire théologique de Princeton.

Des versions antérieures de cet article ont été publiées sur ChinaSource.

Traduit par Anne Haumont

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History

L’attention est au cœur de l’amour chrétien

Les lecteurs de la Bible en latin pouvaient faire le lien entre amour et diligence.

Christianity Today July 16, 2024
Illustration d’Abigail Erickson/Images sources : Getty, Wikimedia Commons

Quiconque a étudié une langue étrangère connaît le plaisir que l’on a à y rencontrer soudain un mot familier. Ce sentiment est semblable à ce que l’on éprouve dans une chasse au trésor. Lors de mes premières semaines de cours de latin au lycée, j’ai découvert que mon propre nom de famille, Vincent, dérivait du mot latin signifiant « vaincre ». Ce genre de découverte égaie la journée d’un adolescent de 15 ans qui s’ennuie un peu !

C’est mon enthousiasme pour ces dérivations surprenantes qui m’a poussé à parcourir les pages de la Vulgate, traduite par Jérôme à la fin du 4e siècle. Pendant des siècles, cette traduction latine des Écritures hébraïques et grecques a servi de version standard de la Bible dans les églises du monde occidental et de nombreuses décisions interprétatives de Jérôme donnent un aperçu de la compréhension historique de l’Écriture par l’Église. Mais pour moi, il y avait d’abord là un terrain propice aux découvertes étymologiques.

Il y a quelques années, je suis tombé sur une de ces pépites d’histoire linguistique cachée dans la Vulgate. Tout a commencé alors que je lisais le commandement d’amour tel que nous le rapporte Luc 10.27 :

« Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. »

Lorsque Jésus dit à un spécialiste de la loi intrigué que toute la Loi et les Prophètes dépendent de ces deux commandements (Mt 22.40), il sait que ceux-ci étaient bien connus de son auditoire. Tous deux sont directement tirés de la Torah (Dt 6.4-9 ; Lv 19.18) et devaient leur être intimement familiers. Mais Jésus, avec l’autorité sans précédent qui est la sienne (Mt 7.29), leur confère une frappante et nouvelle centralité.

Ces mots nous sont également rapportés dans une langue nouvelle. Bien que Jésus lui-même se soit principalement exprimé en araméen, les Évangiles consignent ses paroles en grec, exprimant souvent le mot « amour » par le grec agapé et les termes qui s’y apparentent.

À moins d’être arrivé récemment dans les églises, vous avez probablement déjà entendu parler de ce mot. Agapé comporte diverses nuances qui le distinguent d’autres mots grecs plus courants pour « amour », et la préférence biblique pour ce mot en a fait un sujet populaire pour les sermons et, plus récemment, les tatouages d’avant-bras.

Ce n’est pas sans raison : il est assez frappant pour un esprit moderne façonné par le français que l’amour puisse être commandé et non pas simplement rencontré par hasard !

Mais ce n’est pas d’agapé que je veux vous parler. Ce qui m’a interpellé, c’est le mot latin que Jérôme a choisi pour parler de cet amour : diligere.

Même si vous n’avez jamais étudié le latin ou tenu en main un exemplaire de la Vulgate, diligere pourrait vous sembler familier. C’est de ce mot que nous avons tiré le mot français diligence, qui évoque généralement un travail soigneux et engagé.

Ce lien n’est pas un hasard et le cheminement qui a fait du mot latin « aimer » un mot français évoquant un bon travail est une belle illustration de la nature de ces deux choses.

Faire un tour dans l’histoire linguistique fascinante de diligere me paraît pouvoir nous inspirer quant à la puissance transformatrice de l’amour auquel le Christ nous appelle. Ce parcours pourrait aussi offrir une leçon très actuelle aux disciples du Christ qui vivent à une époque d’inattention et de distraction.

Un rapide coup d’œil à un dictionnaire latin standard, comme le Gaffiot, vous indiquera que diligere signifie notamment « choisir, distinguer, estimer, honorer, aimer ». Pour bien comprendre l’histoire et la signification de ce mot, il faut toutefois remonter plus loin dans le temps. Diligere est un mot composé à partir du préfixe latin dis-, marquant l’idée de mise à part, et de la racine proto-indo-européenne leg-, qui signifie « choisir » ou « rassembler ».

Cette combinaison — que l’on pourrait littéralement traduire par « choisir à part (des autres) » — donne un sens à l’utilisation du terme latin par Jérôme. Diligere signifie en effet distinguer quelque chose ou quelqu’un, l’estimer à sa juste valeur et le traiter avec les honneurs et l’affection qui lui sont dus.

Dans un commentaire sur le texte de la Vulgate du psaume 18, où diligere est utilisé pour le mot hébreu signifiant « amour », l’homme d’État et érudit romain Cassiodore l’exprime de la manière suivante : « Diligo est utilisé comme si je choisissais [une chose] parmi toutes les autres. »

Au fond, diligere est donc une question de sélection : le choix de s’accrocher à une chose plutôt qu’à une autre. Dans son histoire la plus ancienne, diligere désigne le dévouement volontaire. Cet arrière-plan colore nettement la manière dont cette racine a été préservée dans notre propre langue aujourd’hui : la diligence désigne une sorte de dévouement pratique.

Cette histoire explique pourquoi Jérôme a choisi de traduire l’amour agapé par diligere : Diligere illustre magnifiquement le cœur du commandement d’amour. Lorsque Jésus nous ordonne d’aimer le Seigneur et nos prochains, il nous demande de faire un choix conscient et souvent difficile : nous consacrer aux autres et à leur bien. Il nous ordonne de les mettre à part de la foule des sollicitations de notre attention et de nos diverses affections et de les élever à une position où ils seront estimés et valorisés.

Il ne s’agit pas d’une simple question d’affection, mais d’un engagement qui peut être commandé. Et il nous est demandé de refaire ce choix difficile chaque jour, de manière constante et répétée.

C’est la première leçon de diligere. Aimer Dieu et notre prochain — accomplir la loi de Dieu dans son essence même — c’est les choisir. Les trois petits mots que ma femme a fait graver à l’intérieur de mon alliance me le rappellent chaque jour : Je te choisis. Le choix et le dévouement sont le fondement de l’amour biblique, et ce fondement transparaît dans ce mot latin.

Nous contemplons déjà là quelque chose de magnifique et transformateur. Mais diligere a encore d’autres choses à nous apprendre.

Le verbe diligere s’est ramifié pour créer d’autres mots et significations. L’un d’entre eux, le terme latin diligentia, est défini dans le Gaffiot comme « attention », « exactitude » ou encore « soin scrupuleux », entre autres. Le célèbre orateur romain Cicéron qualifiait la diligentia de « vertu unique dont dépendent toutes les autres vertus ». Ce n’est pas peu dire !

L’éloge de la diligentia par Cicéron découle de la place qu’elle occupe au centre d’un réseau de vertus apparentées : « l’attention, la concentration mentale, la réflexion, la vigilance, la persévérance et le travail acharné ». Chacune de ces qualités découle d’un point de départ unique : le dévouement volontaire. Ainsi, la diligentia découle bien du diligere.

Que Dieu partage ou non l’appréciation de Cicéron quant à son rang parmi les vertus, la diligentia a assurément beaucoup à voir avec l’amour chrétien.

Après tout, comment persévérer dans une tâche à laquelle on ne se dévoue pas ? On ne peut apporter de véritable soin à quelque chose sans s’y engager. Le travail acharné n’a de sens que s’il est alimenté par un diligere sous-jacent — un dévouement constant et volontaire à l’objet de votre amour et de votre attention. De la sorte, un mot désignant l’activité de l’amour en a engendré un autre exprimant la vertu d’une attention soigneuse.

Au fil des siècles, diligentia a continué d’évoluer, jusqu’à prendre la forme diligence en ancien français. Au 19e siècle, en France et en Angleterre, on désignait d’ailleurs par ce terme des véhicules fermés tirés par des chevaux et destinés aux longs trajets. Leur nom laissait entendre qu’une « diligence » était rapide, sûre et fiable, idéale pour des voyages au loin et importants.

À la vertu de diligence s’est également associé l’adjectif diligent. Si le mot est aujourd’hui un peu vieilli, il reste encore familier, et a également fait son chemin jusqu’à l’anglais de mon enfance.

« Travaille avec diligence, mon fils. » Voilà la recommandation fondamentale que mon père m’a donnée la première fois que j’ai été employé pour un travail en dehors de ma propre maison. C’était l’un de ses mots préférés, et je l’ai entendu assez souvent pour qu’il devienne rapidement un élément clé de mon propre vocabulaire.

L’importance d’une bonne « éthique du travail » et le sens général de la diligence comme engagement sincère et persévérant ont occupé une place centrale dans ma compréhension de mon père. Telle que je la percevais, la diligence signifiait quelque chose comme « un bon vieux travail acharné ». Ce n’est pas un mauvais point de départ. Mais si la diligence peut assurément signifier cela, elle signifie aussi beaucoup plus.

Ces dernières années, on a accordé plus d’attention à ce que la Bible dit du travail, et l’Église a bénéficié d’un approfondissement de l’intérêt pour ce que l’on pourrait appeler la théologie du travail. Je suis notamment reconnaissant pour le Theology of Work Project et les écrits de Tim Keller, Tom Nelson et d’autres qui ont contribué à cette réflexion vitale.

L’Écriture contient une riche sagesse concernant le sens, la nature et le but du travail, des premières aux dernières pages. Que vous soyez pasteur, plombier ou parent, il vous est demandé de travailler « de tout votre cœur, comme pour le Seigneur » (Col 3.23).

Le travail est inextricablement lié à l’amour, au dévouement et au soin. Travailler avec diligence, au sens historique le plus large et le plus profond du terme, signifie mettre toutes ces vertus au service de nos tâches quotidiennes.

Nous avons déjà vu comment le diligere — le fait de choisir quelque chose (ou quelqu’un) et de s’y dévouer délibérément — peut remodeler notre compréhension de l’amour. Nous devrions également voir comment cette idée peut révolutionner notre façon de penser le travail.

Ne nous voilons pas la face : la plupart des travaux que nous effectuons ne sont pas des travaux que nous choisissons de faire. La plupart de nos tâches quotidiennes ne sont pas accomplies par passion personnelle. Et il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire à ce sujet.

Le problème, c’est que nous avons tendance à mettre beaucoup plus de diligence — c’est-à-dire de soin et d’attention — dans les tâches que nous aimons. Il est facile d’être pointilleux sur un sujet qui vous passionne ; il est beaucoup plus difficile de se préoccuper des détails lorsque l’on ne fait que tenter de se débarrasser d’une tâche. Ce n’est pas toujours problématique. Toutes les tâches n’exigent pas un engagement profond.

Mais qu’en est-il des tâches désagréables pour lesquels cet engagement est nécessaire ? Comment pouvons-nous cultiver un caractère diligent dans les tâches quotidiennes ? Tout est une question de faire un choix, de diligere.

Lorsque Jésus nous ordonne d’aimer le Seigneur et notre prochain, il nous demande de faire un choix : le choix de valoriser l’autre, de lui donner de la place et d’agir pour son bien. Ce premier choix — celui de se dévouer à l’autre — nous pousse nécessairement vers d’autres choix.

Nous devrions choisir d’apporter le même niveau d’attention et d’investissement au travail que nous effectuons pour le bien d’autrui qu’au travail qui sert nos propres intérêts. Nous devons choisir, dans notre préparation et sur le moment, de rester concentrés, attentifs et persévérants dans les tâches quotidiennes nécessaires pour prendre soin de ceux qui nous entourent.

Les choix qui définissent la diligence chrétienne exigent que nous y mettions notre cœur, notre esprit, notre âme et notre force et que notre amour de nous-mêmes laisse de la place à l’amour des autres.

Cette compréhension de la diligence ne nous simplifie pas les choses. Elle élèverait plutôt la barre. Comment pouvons-nous espérer être à la hauteur ? La diligence parfaite est hors de portée pour nous, créatures à l’attention et à la persévérance fragiles.

Mais n’est-ce pas le cas de toute vertu qui mérite d’être recherchée ? N’est-ce pas là même le modus operandi de Dieu : placer devant nous une barre que nous ne pouvons espérer atteindre par nous-mêmes et nous promettre ensuite sa grâce quotidienne à mesure que nous progressons dans une vie de bonté et de piété ?

La diligentia présente un défi particulièrement important pour les chrétiens de notre époque. L’amour exige de l’attention, et celle-ci se fait de plus en plus rare.

En 2015, le magazine Time se faisait le relais d’un étonnant exemple de désinformation : la capacité d’attention moyenne des Canadiens serait devenue plus courte que celle d’un poisson rouge. Cette comparaison a été réfutée à de nombreuses reprises, mais elle est encore fréquemment citée. Néanmoins, les recherches menées par la psychologue Gloria Mark à l’Université de Californie montrent que la moitié du temps, la durée de notre concentration sur une tâche est inférieure à 40 secondes.

L’un des facteurs clés de l’aggravation de ce problème est la présence toujours plus récurrente au quotidien de ce que la chercheuse appelle des « déplacements de l’attention », désignant par là le processus consistant à devoir réorienter activement notre attention d’une tâche à l’autre. Ce processus demande du temps et des efforts. Par conséquent, plus nous passons souvent d’une chose à l’autre, plus nous consacrons de temps et d’énergie au simple processus de transfert de notre attention. D’autres facteurs, comme l’augmentation du stress et le manque de sommeil, aggravent le problème.

Ce n’est probablement pas la première fois que vous entendez parler de ces défis, car la prise de conscience de la crise de l’attention s’est accrue ces dernières années. Cette prise de conscience s’est accompagnée de propositions diverses pour faire face à cette situation, notamment le minimalisme technologique, la discipline en matière de sommeil, la méditation et la modification des attentes à l’égard des employés. Le problème est que cette prise de conscience n’a pas résolu notre problème.

Se pourrait-il que la définition biblique de l’amour permette également de lutter contre la crise de l’attention ? Nos bons vieux dictionnaires de latin pourraient-ils nous offrir des ressources pour lutter contre les vicissitudes du 21e siècle ?

Je ne voudrais pas en faire trop. Un fait linguistique amusant ne suffit pas à résoudre les problèmes de stress post-traumatique ou d’insomnie ni à démanteler les structures sociologiques qui ont donné naissance à la crise de l’attention. Mais je crois que les disciples de Jésus sont particulièrement bien équipés — et même appelés — pour être un rempart contre une vie marquée par la distraction et l’inattention.

La crise de l’attention s’aggravant, la vertu de diligence est d’autant plus précieuse. Il est donc bon de rappeler sa place au cœur du véritable amour chrétien.

Si nous voulons vivre une définition vraiment biblique de l’amour, nous devons apprendre à nous montrer soigneux et attentifs. Cela demande du temps et de la pratique. J’en suis venu à croire que la diligence est un élément encore plus important de l’amour que les bons vieux actes de gentillesse et de service.

Indépendamment de tous les obstacles qui se dressent sur notre route, Jésus a l’audace de nous ordonner d’aimer avec diligence. Nous sommes appelés à faire le choix quotidien et délibéré de nous consacrer aux autres et à Dieu, d’être présents, attentifs, attentionnés et engagés, et d’imprégner chaque tâche du type de diligence inébranlable que nous investissons naturellement dans nos propres intérêts.

En tant que disciples de Jésus, nous devrions être connus pour notre présence et notre attention, tout autant que pour notre gentillesse envers les étrangers et notre amour des ennemis.

Chaque jour, vous serez appelé à faire quelque chose que vous préféreriez ne pas faire ou à montrer de l’amour à quelqu’un dont vous ne vous préoccuperiez pas naturellement. Chaque jour, vous serez confronté à des voleurs d’attention. Et chaque jour, je prie pour que le Seigneur vous rappelle cette vieille formule, comme il l’a déjà si souvent fait pour moi : Fais diligence.

Benjamin Vincent est pasteur adjoint à Journey of Faith Bellflower et enseigne à la Pacifica Christian High School de Newport Beach, en Californie.

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Connaître l’avenir ne résout pas nos inquiétudes

Notre véritable réconfort vient de notre confiance en celui qui tient nos lendemains entre ses mains.

Christianity Today July 9, 2024
Illustration de Rick Szuecs / Images sources : Steven Puetzer / Getty / Envato

C’est l’un des versets les plus cités de la Bible : « Ne vous inquiétez de rien, mais en toute chose faites connaître vos besoins à Dieu par des prières et des supplications, dans une attitude de reconnaissance. »

Faisant écho à l’appel de Jésus à laisser au lendemain les soucis qui sont les siens, Philippiens 4.6 nous indique un antidote à notre inquiétude : la prière.

Si vous êtes dans l’inquiétude, si vous ne voyez pas le chemin à suivre, inclinez-vous dans la prière et demandez de l’aide. Quoi de plus simple ?

Mais les demandes que nous formulons alors sont très liées à notre compréhension de nous-mêmes, de nos inquiétudes et de Dieu. Nos prières dans les moments d’angoisse peuvent en fait conduire à plus d’angoisse si nous ne prêtons pas une attention particulière aux types de requêtes que Paul a en vue dans son exhortation.

Ce que l’avenir nous réserve, les difficultés qui pourraient surgir dans nos relations, nos finances et nos familles, est l’une de nos plus grandes sources d’inquiétude. Si nous pouvions en savoir un peu plus sur ce qui nous attend, n’arriverions-nous pas à apaiser nos craintes et adopter une attitude proactive ? Alors nous pourrions nous détendre et faire confiance à Dieu !

Nous prions donc : « Seigneur, montre-moi ce que je dois faire. Que mes lendemains s’éclairent. »

Nous imaginons que si nous étions au bénéfice de directives divines claires, nous les suivrions sans problème. Mais l’histoire de Moïse face au buisson ardent remet cette idée en question. Moïse reçoit de la bouche de Dieu lui-même l’instruction d’aller en Égypte et de délivrer son peuple. Le résultat ? Une anxiété extrême. Une réticence à avancer. Une crise d’identité. Les paroles claires du Seigneur n’apportent ni confiance ni paix à Moïse.

C’est une chose de dire à Dieu que nous sommes inquiets pour l’avenir. C’en est une autre de lui demander de nous le révéler.

Certains pensent que si Dieu leur montrait un signe certain, ils auraient la paix. Mais l’histoire de Gédéon nous met en garde. Ses demandes que Dieu prouve qu’il fera ce qu’il a déjà promis déshonorent celui à qui il s’adresse. En déposant sa toison, il met le Seigneur son Dieu à l’épreuve. Et ces signes miraculeux accomplis à sa demande ne suscitent ni résolution ni action.

Nous pensons que si nous savions de quoi demain sera fait, nous utiliserions cette information avec sagesse pour faire de bons choix. Mais l’histoire du reniement de Pierre montre que tel n’est pas nécessairement le cas. Jésus lui dit explicitement comment son angoisse le poussera à pécher dans son avenir immédiat. Il ne change pas de cap. La connaissance qu’a Pierre de l’avenir ne sert pas à le corriger, mais le condamne. Cette prescience n’a donné lieu ni à la repentance ni à l’humilité.

C’est une chose de dire à Dieu que nous sommes inquiets pour l’avenir. C’en est une autre de lui demander de nous le révéler. L’un est une confession, l’autre une demande. La confession et la demande sont deux facettes de la prière, mais si la confession de notre péché ou de notre inquiétude est toujours conforme à ce que Dieu veut, tel n’est pas le cas de toutes les requêtes que nous inspire notre anxiété.

Pour ce qui est de demander à Dieu de connaître l’avenir, nous devrions faire preuve de prudence. Cette connaissance fait partie des choses secrètes appartenant à Dieu (Dt 29.29). Ceux qui cherchent à utiliser la prière comme une boule de cristal délaissent leur vocation à marcher par la foi et non par la vue et oublient cette parole de Christ : « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! » (Jn 20.29)

Dieu a-t-il parfois donné des instructions claires et précises à ses serviteurs ? Oui. La Bible nous a conservé ces récits. Mais elle ne les présente pas comme normatifs. Comme nous l’avons vu, ces révélations n’ont pas non plus nécessairement apporté la paix attendue d’elles.

Hébreux 11 ne dit pas qu’Abel, Hénoch, Abraham, Isaac, Jacob et le reste de cette vaste nuée de témoins ont marché en sachant toujours ce qui leur arriverait ; ils ont marché par la foi. Sans doute leurs inquiétudes étaient-elles nombreuses et leur champ de vision limité. Mais leur Dieu était fidèle. Leur Dieu est fidèle.

Quelles sont donc les demandes que nous devrions présenter à Dieu face à notre anxiété ? Qu’il augmente notre foi (Lc 17.5), qu’il nous apprenne à faire confiance (Ps 71), qu’il nous accorde la sagesse (Jc 1.5), qu’il nous aide à faire captives nos pensées anxieuses (2 Co 10.5), qu’il nous soutienne aujourd’hui encore par le pain quotidien de sa présence (Mt 6.11), qu’il nous rappelle sa fidélité passée envers nous et envers toutes les générations (Ps 119.90).

Ces demandes trouveront leur exaucement dans « la paix de Dieu, qui dépasse tout ce que l’on peut comprendre » (Ph 4.7). Non pas la paix précaire de savoir ce que l’avenir nous réserve, mais la paix parfaite de se reposer en celui qui, lui, le sait.

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Books

Les arbres nous enseignent sur la vie, la mort et la résurrection

En dehors de Dieu et des humains, ce sont les êtres vivants les plus souvent mentionnés dans la Bible.

Christianity Today July 9, 2024
Veeterzy / Unsplash

J’ai toujours aimé les arbres. J’aime leur aspect, leur ombrage, le bruit du vent dans leurs feuilles et le goût de tous les fruits qu’ils produisent. Dès mon enfance, j’ai commencé à planter des arbres avec mon père et mon grand-père. Depuis, je continue. Un jour, alors que je me formais pour devenir médecin, ma femme et moi avons planté des arbres dans toute la rue où nous habitions. Mais il y a une douzaine d’années, lorsque j’ai proposé de planter des arbres dans notre église, l’un des pasteurs m’a rétorqué que j’avais une théologie de « câlineur d’arbres ». Ce n’était pas un compliment.

L’église était plutôt conservatrice. Elle croyait que l’Écriture était la Parole inspirée et inerrante de Dieu. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous étions là. Comme me l’avait dit un membre, « une fois que l’on s’engage sur la pente glissante du libéralisme, qui sait où l’on aboutit ».

Ma première réaction au commentaire du pasteur a été de me dire : « J’ai peut-être tort. Peut-être que Dieu ne se soucie pas des arbres. »

À l’époque, toute notre famille était novice en matière de foi chrétienne. Ma fille n’avait pas encore épousé un pasteur. Mon fils n’était pas pédiatre missionnaire en Afrique, et je n’avais pas encore écrit de livres de théologie ni prêché dans plus d’un millier d’universités et d’églises à travers le monde. Que savais-je de la théologie des arbres ?

Mais depuis que j’avais découvert l’Évangile, dans ma quarantaine, la Bible était ma boussole. Lorsque l’on m’a qualifié de « câlineur d’arbres », je me suis tourné vers les Écritures pour m’y retrouver.

Dieu aime les arbres

Mis à part les humains et Dieu, les arbres sont les êtres vivants les plus mentionnés dans la Bible. On les trouve dans le premier chapitre de la Genèse (v. 11-12), dans le premier psaume (Ps 1.3) et à la dernière page de l’Apocalypse (22.2). Comme pour souligner l’importance de tous ces arbres, la Bible parle de la sagesse comme d’un arbre (Pr 3.18).

Chaque personnage important et chaque événement théologique majeur de la Bible est associé à un arbre. La seule exception à ce schéma est Joseph, à qui l’Écriture adresse cependant ce très beau compliment : Joseph est un arbre (Gn 49.22). Jérémie exhorte d’ailleurs tous les croyants à être comme un arbre (17.7-8).

La seule description physique de Jésus dans la Bible se trouve dans Ésaïe. « Vous voulez reconnaître le Messie quand il arrivera ? », demande le prophète. « Cherchez l’homme qui ressemble à un petit arbre poussant sur une terre stérile » (53.2, paraphrase de l’auteur).

Vous appréciez la beauté des arbres ? Vous êtes en bonne compagnie. Dieu aime aussi les arbres. En surlignant chaque phrase contenant un arbre dans les trois premiers chapitres de la Genèse, on peut se faire une idée assez précise de ce que Dieu pense à leur propos. Près d’un tiers de ces phrases mentionnent un arbre.

Genèse 2.9 déclare que les arbres sont « agréables à l’œil ». Et leur valeur esthétique est constamment réaffirmée d’un bout à l’autre de la Bible. Que Dieu enseigne à son peuple comment fabriquer des chandeliers (Ex 25.31-40), de quels motifs orner le temple (1 Rois 6) ou comment ourler la robe du grand prêtre (Ex 28.34), la beauté de l’arbre (et de ses fruits) sert de modèle. Si l’on recherche le siège le plus confortable d’une maison aujourd’hui, il y a de fortes chances qu’il se trouve face à la télévision. Au ciel, le trône de Dieu fait face à un arbre (Ap 22.2-3).

En Genèse 2, Dieu fait deux choses de ses propres mains. Tout d’abord, il forme Adam et insuffle le souffle de vie dans ses narines (v. 7). Puis, Dieu se retourne et plante un jardin (v. 8). C’est là, sous les arbres, que Dieu place tendrement Adam, lui confiant la tâche de « cultiver » et « garder » ce jardin (v. 15). Les arbres ont eux reçu de Dieu leurs propres tâches. Il les charge de maintenir les humains en vie (Gn 1.29), de leur donner un endroit où vivre (Gn 2.8) et de leur fournir la nourriture nécessaire (v. 16).

Curieusement, les Écritures décrivent régulièrement les arbres comme des êtres qui communiquent. Ils battent des mains (Es 55.12), poussent des cris de joie (1 Ch 16.33) et se disputent même (Jg 9.7-15). Ce qui rend cette observation particulièrement surprenante, c’est que des créatures qui communiquent manifestement, comme les poissons ou les oiseaux, sont pratiquement muettes dans la Bible. Depuis des milliers d’années que les gens lisent la Bible, la chose est passée pour une simple tournure poétique. Mais au cours des deux dernières décennies, les scientifiques spécialistes des arbres ont découvert quelque chose de fascinant à leurs propos : les arbres communiquent vraiment. Ils comptent, partagent des ressources et discutent entre eux à l’aide de tout un réseau que l’on a surnommé le « Wood Wide Web ».

Une forêt qui disparaît

Malgré la véritable forêt d’arbres des Écritures, la plupart de nos contemporains n’ont jamais entendu de prédication sur ceux-ci. Tel n’a pas toujours été le cas. Un coup d’œil sur quelques titres de sermons de Charles Spurgeon vous donnera une idée de ce que les gens entendaient en chaire entre le milieu et la fin des années 1800 : « Christ, l’arbre de vie », « L’arbre dans la cour de Dieu », « Les cèdres du Liban », « Le pommier dans les bois », « La beauté de l’olivier », « Le bruit dans les mûriers », « L’arbre sans feuilles », etc. Spurgeon, le « prince des prédicateurs », n’avait aucune difficulté à voir la forêt et ses arbres dans les Écritures.

Non seulement les arbres ont disparu de nos sermons, mais ils disparaissent également de nos bibles. Sur mon étagère se trouve une bible d’étude King James, publiée à l’époque de Spurgeon, qui contient plus de 20 pages sur le sujet des arbres et des plantes, y compris de nombreuses illustrations d’arbres en pleine page. La version actualisée en 2013 de cette bible ne contient plus toutes ces pages de commentaires. Dans l’index, elle ne mentionne que trois références sous « arbre » ; l’index d’une autre bible d’étude de mon étagère, encore plus récente, ne contient aucune entrée relative aux arbres.

Si les arbres étaient autrefois monnaie courante dans les sermons et les bibles d’étude, ils étaient également présents dans la littérature chrétienne. En remontant à il y a plus de mille ans en arrière, dans l’une des plus anciennes œuvres de la littérature anglaise, Le Rêve de la Croix, on découvre par exemple le récit de la Passion raconté du point de vue d’un arbre.

Même à une époque plus récente, des auteurs de fiction chrétiens comme George MacDonald, J. R. R. Tolkien et C. S. Lewis ont enraciné dans les arbres bien des aspects de leur théologie biblique. Qu’il s’agisse de l’image du paradis de MacDonald dans At the Back of the North Wind, de la Lothlórien de Tolkien dans la Terre du Milieu, ou de la réaction des arbres lorsqu’Aslan se déplace dans la Narnia de Lewis, chacun a associé aux arbres l’idée du shalom de Dieu. Les justes vivent sous, dans et autour des arbres. Ils valorisent les arbres, les protègent et leur parlent même. En revanche, des personnages maléfiques comme le Tash de Lewis ou le Sauron de Tolkien coupent les arbres — même les arbres qui parlent !

Comment expliquer la disparition progressive des arbres de l’imaginaire chrétien moderne ? Les raisons sont nombreuses et complexes, mais elles sont très probablement liées à la résurgence de l’hérésie dualiste du premier siècle : le monde créé par Dieu est mauvais, et seules les choses spirituelles reflètent la gloire de Dieu. L’un des principaux travers de cette philosophie est qu’elle dénigre toutes les choses que Dieu a appelées « bonnes » dans la création. Pour paraphraser ce que dit Paul aux Romains, vous n’avez aucune excuse pour ne pas croire en Dieu si vous vous êtes promené dans les bois. À travers la nature, nous sommes confrontés à des preuves indubitables de la puissance et de la gloire de Dieu (voir Rm 1.19-20). Si les arbres et le reste du monde créé par Dieu n’étaient que corruption, l’affirmation de Paul serait erronée.

Retrouver l’Arbre de vie

Le problème avec le fait de retirer les arbres de notre théologie, c’est que ce n’est pas sans raison que Dieu les a placés dans l’Écriture. Il y avait deux arbres au centre du jardin d’Eden. L’un, l’Arbre de vie, représentait le lien de l’humanité avec le divin et l’éternel. L’autre, l’Arbre de la connaissance du bien et du mal, représentait l’autonomie de l’humanité et sa possible rébellion. Lorsqu’Adam et Ève ont mangé du mauvais arbre, ils ont essayé de couvrir leur crime en se servant de ces mêmes arbres dont ils étaient chargés de prendre soin (Gn 2.15 ; 3.7). Puis ils ont couru se cacher derrière eux (Gn 3.8). Le chapitre 3 de la Genèse se termine par le bannissement d’Adam et Ève du jardin. Qu’est-ce donc que la Bible, alors, sinon l’histoire de Dieu répondant au besoin de l’humanité de recevoir un Sauveur qui la ramène à l’Arbre de vie ?

Sans les arbres de la Bible, les eaux de Mara seraient restées amères (Ex 15.25), le géant de Gath ne se serait peut-être pas laissé prendre (1 Sa 17.43), et David aurait manqué son appel au combat (1 Ch 14.15). Déborah n’aurait pas eu de lieu pour juger Israël (Juges 4:5), et Dieu n’aurait pas appelé son peuple à être des chênes de justice (Es 61.3). Il n’y aurait pas eu d’amandiers (Luz, rebaptisé Béthel, signifie amandier) pour que Jacob s’endorme et rêve d’une échelle de bois joignant ciel et terre (Gn 28.10-19), et Job n’aurait pas associé arbres et résurrection (Job 14.7). Plus important encore, c’est au moyen d’arbres que nous comprenons la rupture entre Dieu et l’humanité et la mort expiatoire de Jésus.

Ésaïe avait prédit que le peuple de Dieu ne remarquerait pas le « tendre rameau » qu’il avait planté pour son salut (Es 53.2). On peut voir un accomplissement de cette prédiction dans le premier chapitre de l’Évangile de Jean. Philippe se rend auprès de Nathanaël et lui dit : « Nous avons trouvé celui que Moïse a décrit dans la loi et dont les prophètes ont parlé : Jésus de Nazareth, fils de Joseph. » (Jn 1.45) Nathanaël lui fait cette fameuse réponse : « Peut-il sortir quelque chose de bon de Nazareth ? » « Viens et vois », l’exhorte Philippe (v. 46). Voyant Nathanaël s’approcher, Jésus dit : « Voici vraiment un Israélite en qui il n’y a pas de ruse. » (v. 47) Jésus aurait pu tout aussi bien dire : Voici un Israël (celui qui a lutté avec Dieu et qui a persévéré) en qui il n’y a plus de Jacob (trompeur). Nathaniel a certainement bien reçu le compliment.

Jésus dit alors avoir auparavant vu Nathanaël sous un figuier (Jn 1.48). La Bible ne rapporte pas ce qu’il y faisait, mais la simple mention de cette circonstance permet à Nathanaël de savoir sans l’ombre d’un doute que Jésus est le Messie. Nathanaël avait-il supplié le Seigneur de voir le Messie de son vivant ? Peut-être même rappelait-il à Dieu son étude des prophètes pour tenter de reconnaître le Messie.

Mais Nathanaël avait oublié les paroles du prophète Ésaïe : « Il a grandi devant lui comme une jeune plante, comme un rejeton qui sort d’une terre toute sèche. Il n’avait ni beauté ni splendeur propre à attirer nos regards, et son aspect n’avait rien pour nous plaire. » (53.2) Comme l’avait prédit Ésaïe, quelque chose de grand allait sortir d’une ville dont le nom évoque justement un jeune arbre : Nazareth !

Jésus poursuit en disant à Nathanaël qu’il verra l’échelle dont Jacob avait rêvé des siècles auparavant : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. » (Jn 1.51) Quoi qu’en ait perçu Nathanaël, le plan de sauvetage qui se mettait en route impliquait bien des arbres et leur bois.

Il n’est donc pas surprenant que Jésus ait parlé d’arbres déracinés et jetés à la mer par la foi (Lc 17.6). Il n’est pas non plus surprenant qu’il ait parlé de ses disciples portant du fruit (Jn 15.8) ou qu’il leur ait demandé de demeurer en lui, comme des sarments attachés à une vigne vivifiante (15.4-6). Comme le dit Paul, les croyants sont comme une branche ou un rejeton greffé sur un arbre (Rm 11.17-18).

Jésus était un charpentier solide, du genre à soulever tout seul de lourdes planches. Il ne se laissera pas aisément abattre. Dès sa naissance, ses ennemis ont cherché à s’en débarrasser. Ils ont essayé de le tuer alors qu’il était bébé (Mt 2.16-18), de le lapider (Jn 10.31-39) et de le jeter du haut d’une falaise (Lc 4.29), mais cela n’a pas fonctionné. Jésus pouvait rester 40 jours sans manger, monter sur le ring avec l’adversaire le plus coriace de la planète et en sortir vainqueur après trois rounds (Mt 4.1-11). Il ne servait à rien non plus d’essayer de le noyer. Il s’en serait aussi tiré (Mt 14.22-33).

Non, la seule chose qui pouvait faire du mal au charpentier de Nazareth était un arbre. Pourquoi ? Car celui qui est pendu à un arbre est maudit (Dt 21.23, Ga 3.13), pas celui qui est poignardé, lapidé ou brûlé. (Il est à noter qu’en hébreu le même mot désigne à la fois la potence et l’arbre.) Sans arbres, il n’y aurait pas de résurrection, pas de bonne nouvelle au matin de Pâques. La croix est en réalité un arbre de vie tronçonné par le péché de l’homme. Pourtant, le sang de Jésus a transformé un arbre mort, utilisé comme instrument de torture par les Romains, en un symbole de vie éternelle, nouvel Arbre de vie. Jésus est l’Arbre de vie, et un jour ses disciples mangeront des feuilles de cet arbre et seront guéris (Ap 22.2, 14).

Un nouveau type de porte

J’ai commencé ma vie comme charpentier. Je n’ai jamais vraiment arrêté. Au cours des dernières années, j’ai entièrement réaménagé la maison dans laquelle je vis. Les portes, les sols, et tout le reste.

L’un des aspects du travail de menuiserie qui fait la différence entre le bricoleur du dimanche et l’artisan est la pose de portes massives à partir de zéro. Les portes sont remarquablement similaires d’une époque à l’autre et d’une culture à l’autre. Elles sont suspendues à des charnières et se ferment sur un montant. Comme dans l’Exode, ces deux poteaux latéraux sont surmontés d’un linteau (Ex 12.22). Lorsque le sang de l’agneau de la Pâque a été appliqué sur ces trois planches, la porte s’est comme verrouillée et l’ange de la mort n’a pas pu entrer.

Lors d’une célébration de cette même Pâque, il y a 2 000 ans, Jésus a ouvert une nouvelle porte d’un type très inhabituel, assurément étroite. Contrairement à toutes les autres portes qui nécessitent trois planches, celle-ci n’en emploie que deux : une verticale et une horizontale. Lorsque le sang de Jésus a été appliqué sur ces deux morceaux de bois croisés, la porte du ciel s’est ouverte. Il n’y avait pas d’autre moyen de la déverrouiller.

Je crois que la Bible contient toute une forêt d’arbres parce que les arbres nous enseignent la nature de Dieu. Comme un arbre, Dieu donne constamment. Les arbres ont donné la vie bien avant que les êtres humains n’aient la moindre idée de l’existence de l’oxygène. Les arbres sont source de vie, de beauté, de nourriture et d’ombre. Le bureau sur lequel j’écris est fait d’érables morts. Il n’est pas étonnant que Dieu utilise les arbres pour nous instruire sur la vie, la mort et la résurrection. Les arbres, comme Dieu, donnent la vie même au-delà de leur mort.

On pourrait penser que Jésus en aurait voulu aux arbres après sa crucifixion. Mais tel ne semble pas être le cas. Le matin de Pâques, lorsque Marie est descendue déposer des fleurs sur le tombeau, les yeux rougis par les pleurs, elle a levé les yeux et a vu Jésus. Elle ne l’a pas pris pour un soldat, un fonctionnaire ou un commerçant. Elle l’a pris pour un jardinier (Jn 20.15). Ce n’était pas une erreur. Jésus est le nouvel Adam, qui reprend le travail là où l’ancien Adam avait échoué — cultiver et garder le jardin. Dans le dernier chapitre de la Bible, il nous invite à garder ses commandements, afin que nous puissions le retrouver auprès d’un arbre : l’Arbre de vie devant le trône de Dieu, dont les branches portent des fruits en toute saison et dont les feuilles guérissent les nations.

Un investissement dans l’avenir de l’humanité

Ceux qui plantent ou protègent des arbres en raison de leur foi sont en bonne compagnie. En fait, l’église où l’on m’a un jour soupçonné d’être du genre à faire des câlins aux arbres a fini par en planter sur son terrain. Plus encore, le logo de l’église arbore désormais un arbre de vie stylisé. Je crois que cette réponse est emblématique de ce qui se passera lorsque les chrétiens redécouvriront les arbres que Dieu a plantés dans les Écritures et reboiseront leur foi.

Abraham est la première personne de la Bible à avoir planté des arbres. À l’époque, il ne possédait pas un seul mètre carré de terre. D’après les Écritures, la plantation d’arbres a commencé par un acte de foi désintéressé. « Abraham planta des tamaris à Beer-Shéba, et là il fit appel au nom de l’Éternel, le Dieu d’éternité. » (Gn 21.33) Étant donné ce que sont les arbres, Abraham rendait ainsi le monde meilleur.

Nous comprenons mieux aujourd’hui le rôle de l’arbre dans les cycles de l’oxygène, du carbone et de l’eau à l’échelle mondiale. Tout cela était inconnu d’Abraham. Néanmoins, le bosquet du patriarche devait lui aussi être une bénédiction pour toutes les familles du monde (voir Gn 12.3). Abraham a planté pour la génération suivante, et celle d’après.

L’Ancien Testament se termine par une exhortation à penser à long terme et à se montrer reconnaissants pour ceux qui nous ont précédés. Les cœurs d’une génération devront se tourner vers les cœurs de la suivante, et vice versa (voir Ml 4.6). Seul le Seigneur connaît l’esprit de l’homme, mais dans le cas d’Abraham, la plantation et la protection des arbres étaient des preuves tangibles de ce qui se trouvait dans son cœur. La pensée à long terme est pleine de piété. La pensée à court terme ne l’est pas. C’est peut-être aussi pour cette raison que le premier psaume dit que le juste ressemble à un arbre.

Son auteur nous offre l’un des aperçus les plus clairs de la pensée de Dieu sur les arbres. Le roi David a dansé et poussé des cris de joie lorsque l’arche contenant la Bible, une jarre de manne et une branche d’amandier a été conduite vers le tabernacle qu’il avait préparé. Il a écrit un chant d’action de grâce pour célébrer l’événement. Celui-ci exprime l’attente impatiente de la seconde venue du Messie, et même les arbres se joignent à la fête : « Que les arbres des forêts poussent des cris de joie devant l’Éternel, car il vient pour juger la terre. » (1 Ch 16.33) La Bible nous dit que de nombreuses personnes se cacheront sous des rochers pour éviter le jugement lors du second avènement de Christ, mais pas les arbres. Ils seront eux aussi entendus et savent exactement quel sera le verdict.

Comme le dit la Bible, je crois que Jésus reviendra pour juger les vivants et les morts. Mais qu’en est-il de ceux qui affirment que le retour du Seigneur nous libère de toute préoccupation concernant les arbres ? « Toutes les ressources doivent être consacrées à l’évangélisation », entend-on encore parfois.

Si quelqu’un croit cela et agit en conséquence, je dis « Amen ! ». Mais trop souvent, cette idée est exprimée avec toute la sincérité de Judas Iscariote plaidant pour les pauvres alors que Marie oignait Jésus de parfum (voir Jn 12.1-8).

Les arbres sont un investissement de Dieu dans l’avenir de l’humanité. Ils sont le seul être vivant à qui Dieu offre un anneau à chaque anniversaire. Lui seul connaît le moment exact du retour du Christ. J’espère que ce sera demain matin. Mais en attendant, je planterai des arbres qui mettront un siècle à pousser et j’essaierai de répandre l’Évangile comme si demain devait ne jamais advenir.

Matthew Sleeth, docteur en médecine, est conférencier, auteur et directeur exécutif de Blessed Earth, une organisation qui promeut le soin de la création. Il est l’auteur de Reforesting Faith: What Trees Teach Us About the Nature of God and His Love for Us (WaterBrook, 2019).

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Après deux élections, la France reste divisée. Les évangéliques peuvent-ils faire la différence ?

Bien que les évangéliques ne représentent qu’un pour cent de la population, ils veulent que leur présence porte du fruit.

Des manifestants fêtent l’annonce des résultats du premier tour des élections législatives françaises de 2024.

Des manifestants fêtent l’annonce des résultats du premier tour des élections législatives françaises de 2024.

Christianity Today July 9, 2024
Abaca Press/AP Images

Comme leurs concitoyens, les évangéliques français se sont rendus aux urnes ce dimanche pour un second tour des élections législatives prenant des allures d’épreuve de force entre l’extrême droite et le reste du pays.

Le Nouveau front populaire, une fragile nouvelle coalition de partis de gauche, a formé un « front républicain » avec les partis centristes alliés au président Emmanuel Macron. Si cette stratégie a permis de contenir le Rassemblement national de Marine Le Pen en troisième position, ni les partis de gauche ni les partis centristes n’ont obtenu de majorité absolue à l’Assemblée nationale, une situation qui risque d’entraîner de nombreux blocages politiques dans les mois à venir.

Les évangéliques français ne représentaient qu’une infime partie des votants de dimanche ; environ 60 % de l’ensemble des électeurs de ce pays de près de 68 millions d’habitants se sont déplacés, ce qui représente la plus forte participation depuis 1981. Estimé à près de 745 000, le nombre des évangéliques a augmenté de près de 100 000 personnes au cours des dernières années, mais ceux-ci restent tout de même une petite minorité.

Malgré cela, les responsables évangéliques français se sont régulièrement engagés dans les défis qui touchent leur pays, abordant les préoccupations sur l’islam et la liberté d’expression, s’exprimant sur un projet de loi affectant les églises en même temps qu’il visait à mettre fin au séparatisme musulman et réaffirmant leurs valeurs pro-vie après que le pays a récemment inscrit l’avortement dans sa constitution.

Avant le premier tour de l’élection, le 30 juin, le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) avait appelé les croyants à prier, à faire preuve de discernement et à voter.

« La politique ne peut pas tout », rappelait le communiqué de presse, soulignant que, dans ces temps troublés, les évangéliques dont l’espérance ultime se trouve en Dieu doivent agir conformément à celle-ci et être « ferments de paix, semences de vie, acteurs de réconciliation et d’hospitalité. »

Nous avons demandé à plusieurs responsables protestants et évangéliques français quel rôle leur minorité pourrait jouer dans cette période tendue.

Erwan Cloarec, président du Conseil national des évangéliques de France (CNEF)

Dans ce temps de division et de confusion nationale, les Églises en France doivent plus que tout montrer par ce qu’elles sont qu’une autre société est possible. Une société où les divisions d’origine, de genre et de condition sociale qui fracturent l’humanité ne l’emportent pas ; c’est le sens du « ni juif ni grec ; ni esclave ni homme libre ; ni homme ni femme » dont l’apôtre Paul parle dans l’épitre aux Galates [3.28]. Nous devons cet exemple au monde, et nous devons de veiller à ce que les clivages et les invectives qui travaillent la société globale ne s’importent pas dans nos communautés.

Rachel Calvert, présidente d’A Rocha France

En France, les Églises évangéliques rassemblent souvent des personnes issues de divers milieux politiques, ethniques et socio-économiques. Nous déplorons la montée d’un parti qui fait des migrants des boucs émissaires tout en refusant de prendre au sérieux des défis à long terme, tels que l’effondrement de la biodiversité ou le changement climatique.

Dans ce climat fracturé, nous témoignons d’une autre réalité : en Christ, Dieu est en train de réconcilier toutes choses à lui-même. Le fait de servir ceux qui ne sont pas « comme nous » ainsi que de prendre soin de la création de Dieu permet d’apporter une contribution constructive.

Matthew Glock, missionnaire, pasteur et coordinateur de la commission implantation des Communautés et assemblées évangéliques de France (CAEF)

Les élections anticipées convoquées par le président Macron ouvrent une fenêtre sur les dysfonctionnements de la politique française et sur le mouvement inéluctable de nombreux électeurs vers les extrêmes de l’échiquier politique. Il est difficile d’imaginer comment les évangéliques en France pourraient jouer un rôle dans cette réalité politique nationale, mais, au niveau local, il y a beaucoup à faire.

Le moyen d’offrir de l’espoir en ces temps de confusion est de suivre le commandement de Jésus-Christ d’« aimer son prochain comme soi-même ». En suivant l’exemple d’amour sacrificiel du Christ, l’Église a beaucoup à offrir.

Caroline Bretones, pasteure de l’Église protestante unie de France

Persécutés pendant plus de deux siècles et très minoritaires, les protestants ont appris à vivre en France de manière discrète tout en développant un sens aigu de la responsabilité, de la liberté de conscience et de l’engagement social.

S’ils ont un rôle décisif à jouer aujourd’hui, ce n’est pas en faisant des déclarations publiques qui diabolisent certains partis tout en stigmatisant implicitement leurs électeurs, mais plutôt en continuant à rassembler des hommes et des femmes extrêmement divers (sur le plan ethnique, culturel, social et professionnel) autour d’une espérance chrétienne qui dépasse les clivages humains, mais aussi les frustrations et les solutions faciles.

En tant que chrétiens, notre appartenance commune au Royaume de Dieu doit passer avant toute autre citoyenneté de ce monde, et nous permettre d’ouvrir des espaces de dialogue et de communion là où les divisions menacent.

Françoise Caron, présidente de la Fédération nationale des associations familiales protestantes

La Bible nous encourage à désirer « le bien » pour notre ville, pour notre pays, car notre propre bien en dépend.

Je vois cela tout premièrement comme un appel à prier pour notre pays et pour ceux et celles qui le dirigent. C'est aussi être à leurs côtés quand cela est possible pour être « artisans de paix » et témoins, porte-parole de ceux et celles qui souffrent et des actions que l'on peut mener en leur faveur. C'est prendre notre place en tant que représentants de la société civile porteurs des valeurs de l'Évangile, là où l’on peut être entendu…

C'est également être au cœur de nos villes et de nos quartiers, pour que nos paroles soient prolongées par des actes. Dans l'action nous nous retrouvons plus proches des hommes et des femmes de bonne volonté, quelles que soient leurs opinions politiques.

Enfin, c’est choisir toujours d'imaginer ce que Jésus ferait à notre place ! Nous devons et pouvons être source d'apaisement, de réconciliation. Nous pouvons dénoncer les dérives, faire valoir les valeurs de l'Évangile par l'exemple, les actions concrètes, les paroles pleines de respect de bienveillance.

C'est aux fruits que nous portons que nous sommes reconnus et c'est ce qui peut faire la différence dans ces moments troublés !

Nicolas Blum, équipier GBU et ancien à l'Église protestante évangélique des Ternes

« Liberté, égalité, fraternité » : en France, les Églises évangéliques font partie des rares endroits où les trois mots de notre devise nationale sont vécus. Nous voulons inviter nos concitoyens et nos personnalités politiques à découvrir le « vivre-ensemble » chrétien, dans lequel les différences générationnelles, sociales ou de cultures d'origine sont des atouts et non des facteurs de division ou de rejet.

La fidélité à l'Évangile et le témoignage de l'espérance chrétienne vécue au quotidien, dans l'amour concret de chacun et dans la joie, voilà les contributions que nous pouvons apporter pour l'apaisement de notre société. Le changement dont les habitants de notre pays ont actuellement besoin, c'est Jésus !

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Suivre Christ, c’est aussi lutter contre la corruption

Six façons dont les chrétiens peuvent aggraver le problème et cinq étapes vers une solution.

Christianity Today July 5, 2024
Illustration par Elizabeth Kaye/Images sources : Getty/Unsplash

Le 6 décembre 2022 à 4 heures du matin, le domicile de Martha Chizuma, directrice générale du Bureau de lutte contre la corruption du Malawi, est encerclé par 19 agents armés conduits par le chef de la police du pays. Emmenée en pyjama au poste, elle y subit un interrogatoire serré, agenouillée sur le sol, avant d’être relâchée. […]

Avocate formée à Londres et ancienne médiatrice du gouvernement du Malawi, Chizuma est la première responsable malawite de la lutte contre la corruption choisie sur base du mérite. « Les gens se sont battus contre ma nomination, et maintenant ils veulent m’affaiblir », explique-t-elle, en particulier parce qu’elle dirigeait une grande enquête mettant sur la sellette les promesses d’intégrité du gouvernement.

Ses opposants espéraient sans doute faire taire une fonctionnaire zélée déterminée à « cracher du feu sur les politiciens corrompus », comme le rapportait le Nyasa Times quelques jours plus tard. Ils n’ont pas réussi.

La lutte contre la corruption exige un immense courage, car cette pratique est très lucrative. Son impact est très difficile à estimer, mais elle pourrait rapporter plus de 1 000 milliards de dollars par an dans le monde. Chaque année, 25 % des adultes dans le monde paient au moins un pot-de-vin. L’organisation Transparency International (TI), offre, par sa mesure de l’indice de perception de la corruption, un outil qui permet de promouvoir la lutte contre ce fléau. Et malheureusement, pour de nombreux pays à majorité chrétienne, cet indice n’est pas bon.

Trop souvent les évangéliques font partie du problème en acceptant de nombreuses pratiques malsaines dans leur milieu : pots-de-vin, fraude, népotisme, traite des êtres humains, promotions canapé dans l’enseignement, blanchiment d’argent, enseignants fantômes dans les écoles, et bien d’autres choses encore. Une Africaine formée dans un séminaire évangélique américain qui venait d’échanger des dollars contre de la monnaie locale m'a un jour surpris : « Je ne fais affaire qu'avec des changeurs musulmans. Je ne ferais jamais confiance à un chrétien ! »

« L’Église doit nettoyer ses écuries d’Augias », déclarait l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo en 2017, comparant les églises nigérianes aux écuries crasseuses du célèbre mythe grec. « Non seulement elles célèbrent, mais elles vénèrent ceux dont les sources de richesse sont douteuses. Elles acceptent les cadeaux […] de n’importe qui sans poser de questions. Cela donne l’impression que tout est acceptable dans la maison de Dieu. »

Mais pourquoi certains chrétiens sont-ils insensibles au problème, voire y contribuent-ils ? Il y a au moins six raisons à cela.

Premièrement, beaucoup de membres d’église sont peu enclins à demander des comptes à ceux qui gèrent leur communauté. D’autres font l’autruche, comme s’il n’était pas possible que des coreligionnaires soient corrompus. Ils ne prêtent donc pas attention à certains signes avant-coureurs et ne cherchent pas plus loin.

D’autre part, on observe parfois une exacerbation de la corruption lors du passage d’une religion populaire traditionnelle à une affiliation chrétienne. Un récent rapport non publié, basé sur des entretiens avec 48 responsables chrétiens en Afrique, explique que de nombreux adeptes de religions traditionnelles africaines n'osent pas mentir parce qu'ils croient que leurs ancêtres les observent d'outre-tombe et pourraient leur infliger un châtiment ferme et expéditif. En revanche, selon certaines personnes interrogées, certains chrétiens africains semblent plus disposés à mentir – même lorsqu'ils jurent sur la Bible – parce qu'ils pensent que le Dieu chrétien est miséricordieux et diffère son jugement.

Troisièmement, si les pasteurs « prêchent la lutte contre la corruption, ils perdront des membres qui apportent des offrandes importantes », déclare Orinya Agbaji de l’Assemblée du Palais des prêtres, une église d’Abuja, au Nigeria. Dans de nombreux cas, explique Orinya, les églises protestantes qui dépendent des offrandes évitent d’offenser des donateurs corrompus mais généreux.

Quatrièmement, dans de nombreux pays, les pasteurs ou autres personnes engagées à l’église subissent les attentes de leur entourage — famille et communauté ethnique — pour partager leurs avantages. Ce phénomène que la journaliste Michela Wrong appelle « à notre tour de manger » crée une très forte pression sur ces personnes pour détourner les finances de l’organisation au profit des leurs.

Munkhjargal Tuvshin, pasteur de la Truth Community Church à Oulan-Bator, en Mongolie, soulève un cinquième problème : « La plupart des chrétiens tendent à penser que la corruption concerne le monde, pas l’Église. Cet état d’esprit dualiste nous éloigne de la vérité. »

Selon Orinya, initiateur d’une grande campagne anticorruption parmi les pentecôtistes du Nigeria, un sixième facteur serait l’évangile de la prospérité. Le message de ce mouvement hérétique selon lequel « si vous êtes pauvre, vous ne devez pas être un enfant de Dieu » incite parfois ses adeptes à voler, croyant que même les gains mal acquis sont une bénédiction divine.

Dans ce contexte, comment les chrétiens pourraient-ils faire une différence substantielle face aux habitudes de corruption ?

La première étape serait d’encourager les assemblées à donner au quotidien la priorité à l’intégrité face à une culture qui favorise la malhonnêteté. Citant Éphésiens 4.25, « Rejetez donc le mensonge, et que chacun de vous parle avec vérité à son prochain ; car nous faisons partie les uns des autres. », le pasteur Taba Ebenezar à Bamenda, au Cameroun, exhorte sa communauté à « faire de chaque jour, un jour d’intégrité ».

Les disciples de Christ doivent savoir que Dieu n’agit pas dans un esprit commercial, en accordant des faveurs à ceux qui paient les pots-de-vin demandés par un chaman ou un prédicateur de la prospérité. Ebenezar, dont le pays est classé 140e sur 180 dans l’indice de perception de la corruption, déclare : « Nous ne pouvons pas parler uniquement du salut alors que le pays est en train de régresser. »

Deuxièmement, les églises doivent devenir des sociétés modèles. Les dirigeants laïques auront une meilleure vision de ce qu’est une nation intègre lorsque les églises donneront l’exemple d’une vie sans corruption. Trop d’églises et d’organisations missionnaires dissimulent des comportements contraires à l’éthique en recourant à des pratiques de gestion malsaines, par exemple en signant des accords de non-divulgation, sapant ainsi le message d’espoir et d’intégrité qu’elles devraient transmettre.

Global Trust Partners (GTP), une émanation mondiale de l’organisation américaine Evangelical Council for Financial Accountability, cherche à modifier ces comportements délétères en créant des groupes de pairs qui promeuvent l’intégrité fiscale et éthique ainsi que la générosité. Pour le directeur financier de GTP, l’Australien Matthew Gadsden, « grâce à la transparence de la gouvernance, les gens pourront être assurés que leurs dons seront utilisés aux fins prévues ».

Les responsables d’église ne réalisent souvent pas à quel point des organismes non confessionnels comme Transparency International ont besoin d’eux. Selon Roberto Laver, un ancien avocat de la Banque mondiale qui travaille sur les questions de corruption en Amérique latine, ces organisations ont « tous les outils en matière de redevabilité sociale, mais manquent des connexions relationnelles et de l’éthique universelle que l’église peut offrir.

Il établit un contraste intéressant entre les catholiques et les évangéliques en Amérique latine : « l’Église catholique romaine s’exprimera sur tous les sujets, y compris la corruption […] mais ses propos feront peu de différence [sur le plan personnel]. Quant aux évangéliques, individuellement, ils sont plus honnêtes, mais ils se taisent en public. » Laver s’interroge : « Si l’Église ne démontre pas une plus grande honnêteté publique, quel espoir peut-on trouver dans l’Évangile ? ».

Une troisième piste est de transmettre une vision saine de la souveraineté de Dieu, de ses attentes éthiques à l’égard des croyants et du potentiel de transformation qu’offre la foi en Christ. Il y aura là une base solide pour décourager la participation à la corruption.

Ainsi, au Cameroun, pour contrecarrer la culture ambiante, le pasteur Ebenezar a été invité par les autorités des écoles publiques à enseigner l’intégrité aux enfants. Il avance dans ce domaine grâce à une campagne de sensibilisation très créative avec une émission de radio hebdomadaire, des casquettes et des maillots promotionnels, et des récompenses à la mi-temps des matchs de football pour les jeunes qui montrent le bon exemple.

Martin Allaby, expert britannique en matière de lutte contre la corruption, souligne qu’« il n'y a pas de solution de rechange à un changement culturel profond ».

À Jinja, en Ouganda, Anyole Innocent, le directeur de la radio Busoga One, partage la vision chrétienne de l’intégrité à son million d’auditeurs quotidien sur les ondes. Les efforts créatifs comme ceux d’Innocent et d’Ebenezar sont précieux. Que ce soit par le biais des films, de la musique, dans les églises, les écoles ou les foyers, avec des adultes ou des enfants, l'enseignement d'une vision chrétienne du monde constitue une base solide pour les efforts de lutte contre la corruption.

La vision chrétienne du monde aide aussi à reconnaitre les liens entre désordre social, corruption et pauvreté. Les fonctionnaires qui cherchent à obtenir des pots-de-vin sont souvent eux-mêmes victimes de supérieurs corrompus qui retiennent leurs salaires, par ailleurs souvent trop bas. Le Seigneur nous appelle à partager nos biens avec des familles appauvries — en particulier au sein de l’Église — pour qu’elles ne se rabattent pas sur les pots-de-vin. Il est intéressant de noter que si la Bible condamne fréquemment la perception de pots-de-vin, elle ne condamne nulle part le fait d'en verser. Mais ceux qui se sentent obligés de le faire devraient toutefois se demander dans quelle mesure ils contribuent au maintien d’une situation problématique.

Une quatrième stratégie clé, mise en évidence par le sociologue James Davison Hunter de l’université de Virginie, est le développement de réseaux multisectoriels de dirigeants capables de travailler ensemble. La « secte de Clapham » de William Wilberforce, à la fin du 18e et au début du 19e siècles en est un bel exemple. Avec l’appui du renouveau wesleyen, les banquiers, parlementaires, auteurs, activistes, pasteurs, écrivains et éducateurs qui en faisaient partie ont profondément transformé l’Angleterre, autrefois gangrenée par la corruption. Ce genre de réseaux permet de coordonner la lutte contre la corruption en connectant notamment ce qui se passe dans les églises aux efforts de réforme nationaux.

Pathways for Integrity, un réseau récemment lancé en Ouganda, promeut également ce genre d’actions. Anyole Innocent, le directeur de station radio, en fait partie : « À l’avenir, nous envisageons un réseau englobant des organisations qui comptent sur nous pour former leurs employés, des créateurs et demandeurs d’emploi qui font confiance à nos recommandations et des investisseurs occidentaux qui recherchent notre assistance pour leurs projets en Ouganda et qui veulent savoir quelles initiatives, y compris gouvernementales, sont dignes de confiance. »

Le réseau « Faith and Public Integrity », cofondé par Allaby et Laver, rassemble lui des universitaires et des dirigeants chrétiens qui mettent leurs efforts en commun. Certains évangéliques comme Martha Chizuma prennent également part à des réseaux comme les Chandler Sessions, qui ne sont pas spécifiquement chrétiens.

La cinquième partie de la stratégie consiste à trouver un porte-parole vertueux et sacrificiel qui soit le visage du mouvement, à l'instar de Martin Luther King Jr. qui a légitimé le mouvement des droits civiques aux États-Unis dans les années 1950 et 1960. Les activistes ont besoin d'une figure de proue pour rassembler leurs voix en faveur du changement. Ebenezar est l'une de ces voix au Cameroun : « Si nous, pasteurs, nous engageons sur cette question, notre nation sera restaurée et libérée ! »

Peut-être aurions-nous besoin d'un James Yen du 21e siècle pour mener la lutte contre la corruption mondiale. Yen était un célèbre réformateur agraire chrétien pendant la lutte acharnée entre les nationalistes (le gouvernement chinois au pouvoir de 1912 à 1949) et les communistes. Mao Zedong et Tchang Kaï-chek tentèrent tous deux de le recruter pour leurs gouvernements respectifs, mais il déclina les deux offres.

Un jour, après ces refus polis mais fermes, un haut fonctionnaire qui passait dans une limousine vit Yen tomber de son vélo alors qu'il traversait des rails de tramway. Le lendemain, une nouvelle voiture apparut mystérieusement à l'endroit où Yen logeait. Il rangea discrètement la voiture dans le garage d'un ami, préférant l'embarras et les pantalons boueux à la trahison de son intégrité chrétienne par l'acceptation de cadeaux de la part d'un gouvernement corrompu.

Tous les chrétiens ne doivent pas nécessairement refuser de servir dans un gouvernement corrompu. Mais des leaders vertueux et prêts aux sacrifices sont importants pour mettre en lumière la corruption et la dénoncer. Lorsque les « œuvres infructueuses des ténèbres » (Ep 5.11) sont dévoilées, elles flétrissent sous la lumière éclatante de la vérité.

À Tegucigalpa, la capitale du Honduras, l’Association pour une société plus juste (ASJ) s’est concentrée sans relâche sur la corruption dans les écoles publiques. Par ses efforts, elle a permis, en deux ans, de réduire de 26 % à 1 % le pourcentage d’enseignants fantômes (qui ne se présentent pas en classe mais continuent de percevoir leur salaire), récupérant d’importants fonds pour les 2 millions d’enfants en âge scolaire du pays.

Lorsque les écoles ont rouvert après une fermeture de 28 mois due au COVID-19, l'ASJ a de nouveau mobilisé ses 20 000 volontaires pour surveiller les écoles et repérer les cas d'enseignants fantômes. Grâce aux volontaires, dit Kurt Ver Beek, cofondateur de l'ASJ, les élèves honduriens ont reçu les 200 jours d'enseignement prévus au cours de l'année scolaire 2023-2024. L'ASJ a persisté malgré les pressions occasionnelles de certains représentants du gouvernement.

Au Malawi, Martha Chizuma persévère elle aussi, encouragée par quelques amis. Trois jours après son arrestation inattendue, une dizaine de femmes démunies se sont approchées d’elle alors qu’elle attendait son chauffeur. « Elles m’ont serrée dans leurs bras, en pleurant, parce qu’elles savaient ce qui m’était arrivé », se souvient-elle. « L’une d’entre elles m’a dit : “J’étais tellement que tu sois arrêtée, car tu es la seule à te battre pour nous !” »

Bien que le Malawi ait un président évangélique, Lazarus Chakwera, la corruption est toujours profondément enracinée dans le pays. En mai, lorsque des accusations à l’encontre d’un haut fonctionnaire véreux ont été soudainement abandonnées, la déception a rappelé à Chizuma que son chemin est souvent solitaire. Nous avons besoin de plus d'évangéliques comme ces dix femmes qui l'ont encouragée à poursuivre son œuvre !

Robert Osburn est chercheur à l’Institut international Wilberforce et auteur de Taming the Beast: Can We Bridle the Culture of Corruption?

Traduit par Anne Haumont

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Isaac Asimov pensait que l’histoire pourrait encore durer des millénaires. Et nous ?

L’œuvre de l’auteur de Fondation interroge notre appétit pour les prophéties de fin du monde.

Le célèbre auteur de science-fiction Isaac Asimov avec une photo de la Terre vue de l’espace.

Le célèbre auteur de science-fiction Isaac Asimov avec une photo de la Terre vue de l’espace.

Christianity Today July 3, 2024
Douglas Kirkland / Contributeur / Getty / Edits by CT

«Les signes se multiplient de jour en jour. Le monde est en ébullition. Nous sommes à l’aube — en ce moment même — de la fin des temps. » Voici ce que l’on peut lire dans l’annonce d’une prochaine conférence eschatologique à laquelle prendront part d’éminents leaders évangéliques américains.

De l’autre côté de l’Atlantique, en tant que pasteur en Belgique, j’entends aussi régulièrement des frères et sœurs évangéliques convaincus ou inquiets que tel ou tel événement de l’actualité révélerait que le Christ ne revient pas seulement bientôt, comme il nous l’a dit, mais très bientôt. Je peux les comprendre : outre les préoccupations plus larges de notre monde, notre continent est confronté à de nombreux défis qui me font espérer l’arrivée du royaume de Dieu.

Cependant, je reste souvent surpris : pourquoi ce type de convictions eschatologiques très immédiates se perpétue-t-il alors que Jésus nous a dit explicitement que nous ne pouvons pas savoir quand la fin viendra (Mt 24.36 ; Ac 1.7) ? Le contraste avec un célèbre écrivain de science-fiction, qui a passé des décennies à envisager la poursuite de l’histoire humaine pour plusieurs milliers d’années encore, m’amène à me demander si nous ne recouvririons pas d’un vernis chrétien une certaine forme de pessimisme. L’Écriture nous appelle à plus de réalisme.

Au début des années 2000, à l’époque où de nombreux jeunes évangéliques se retrouvaient plongés dans des ouvrages prémillénaristes comme Les survivants de l’Apocalypse, je découvrais une autre série de livres : la trilogie de Fondation d’Isaac Asimov.

Né en Russie avant d’émigrer aux États-Unis alors qu’il était tout petit, Asimov aura écrit ou édité plus de 500 livres. De 1942 à 1950, il publie une collection de nouvelles et de romans consacrés à la chute et à la renaissance d’un empire galactique dans un très lointain futur, aux alentours de l’an 24000. Cette trilogie de Fondation a eu une telle influence qu’elle est réputée être derrière divers éléments d’autres classiques de science-fiction tels que Dune et Star Wars. Et c’est encore tout récemment qu’Apple en a tiré une série télévisée.

Dans Fondation, tout commence lorsque Hari Seldon, un brillant scientifique, parvient à la conclusion que l’effondrement est inévitable. Grâce à ce qu’il appelle la psychohistoire, il calcule non seulement que l’empire disparaîtra dans les 300 prochaines années, mais aussi que, si rien n’est fait, 30 000 ans de ténèbres suivront cette disparition. Seldon élabore alors un plan pour réduire cette période de chaos à un simple millénaire et accélérer la renaissance d’un nouvel empire grâce à la « Fondation ».

Au fil des ans, Asimov développera la trilogie de Fondation en un « Cycle de Fondation » et l’associera à ses Cycles des robots et de l’Empire pour construire ce que certains ont décrit comme une hypothétique « histoire du futur », explorant les divers moments cruciaux des plus de 20 000 ans séparant Seldon de nous. Ce faisant, il a anticipé de nombreuses questions auxquelles nous faisons face aujourd’hui, en particulier le développement des robots et de l’IA et la façon dont nous pourrons vivre avec eux.

En l’absence de la croyance que Dieu mettrait fin à l’histoire à un moment donné, et avec un certain degré d’optimisme quant aux capacités de l’humanité à faire face aux menaces, le non-chrétien Asimov avait toute liberté pour explorer ses hypothèses sur l’avenir et les crises auxquelles il nous confronterait. Son travail reste ainsi une source d’inspiration pour ceux qui réfléchissent aux défis contemporains.

L’eschatologie chrétienne, au contraire de la chronologie d’Asimov, a souvent été plutôt pessimiste quant à la poursuite de la vie de ce monde. Dans son recensement humoristique des annonces de fin imminente à travers l’histoire, le Pocket Guide to the Apocalypse dénombre de nombreux prédicateurs plus ou moins chrétiens ayant prédit la « fin du monde » en leur temps, en commençant dès le deuxième siècle avec l’hérétique Montanus.

Martin Luther s’inscrit lui aussi dans cette tradition. En son 16e siècle, face à l’état désastreux du Saint Empire romain germanique et à la menace d’invasions turques, il écrit : « Le monde court à sa fin, et il me vient souvent cette pensée que le jour du Jugement pourrait bien arriver avant que nous eussions achevé notre traduction de la sainte Écriture. Toutes les choses temporelles qui y sont prédites se trouvent accomplies. »

Luther était plus modéré que certains de ses contemporains, tels que le théologien Thomas Müntzer, dont les croyances sur la fin des temps conduisirent des milliers de paysans allemands à la révolte avant d’être massacrés. Mais tous, comme bien d’autres beaucoup plus récents, faisaient fausse route. Malgré les crises incessantes, la terre a continué à tourner. Et malgré ces foules d’annonces trompeuses, toutes sortes de prophètes continuent à proclamer la fin toute proche du monde et à trouver un auditoire attentif.

Même en dehors des milieux chrétiens, l’Horloge de l’Apocalypse plane toujours au-dessus des têtes. Pourquoi ?

Le philosophe sceptique belge Maarten Boudry a récemment publié un article explorant ce qu’il appelle « les sept lois du pessimisme » dans lequel il décrit toute une série de raisons pour lesquelles nous, humains, restons malgré tout anxieux à propos de notre monde.

À côté de mécanismes plus connus à l’origine de notre sentiment que tout est en train de s’effondrer, comme l’invisibilité tranquille des bonnes nouvelles, notre appétit instinctif et protecteur pour les mauvaises nouvelles et la manière dont les réseaux sociaux alimentent aujourd’hui intentionnellement cet appétit, Boudry met également en évidence ce qu’il appelle « la loi de conservation de l’indignation ». En somme, notre niveau d’indignation a tendance à rester le même, même lorsque les conditions s’améliorent. Nous augmentons simplement notre sensibilité à des maux moindres, de sorte que les plus anxieux trouveront toujours un motif à leur anxiété.

D’autre part, selon Boudry, les solutions que nous trouvons à un problème nous conduisent à oublier le problème lui-même et à nous concentrer sur les nouveaux problèmes qui découlent de nos nouvelles solutions, même si ces nouveaux problèmes sont moins aigus que les précédents (ce qu’il appelle « la loi des solutions auto-effaçables »). Plus frappant encore, le philosophe souligne que plus nous jouissons de liberté dans une société, plus nous sommes en mesure de dénoncer de nouveaux maux inconnus dans d’autres contextes (« la loi de la désinfection solaire »). Ainsi, le progrès lui-même peut alimenter le pessimisme.

En somme, que l’on soit aux prises avec les effets directs d’une guerre ou plus simplement confronté aux défis de la vie moderne dans un contexte plus favorable, l’être humain trouvera toujours matière à alimenter l’idée de déclin. La plupart des inquiétudes concernant la fin des temps que j’ai entendues personnellement émanaient de personnes vivant dans des pays connaissant un degré d’abondance et de sécurité inédit dans l’histoire. Mais les plus riches et les plus puissants ont potentiellement plus à perdre que ceux qui n’ont presque rien.

De ces diverses angoisses très humaines à l’idée que le Christ serait sur le point de revenir, il pourrait n’y avoir qu’un pas assez rapidement franchi. Dans ces « Jésus revient très bientôt », ne faudrait-il pas souvent entendre une version chrétienne de « Ce monde me fait peur » ou « Je n’aime pas la façon dont les choses évoluent » ?

Dans une humanité où œuvrent les sept lois de Boudry, l’individu qui offre un appui biblique à l’idée de déclin attirera inévitablement l’attention. Quelle que soit la qualité de l’exégèse de ceux qui affirment savoir que le Christ est sur le point de revenir à cause de tel ou tel événement présent, ceux-ci offrent une validation concrète à la détresse ressentie par certains et redonnent aux plus anxieux un certain contrôle grâce aux certitudes immédiates qu’ils fournissent. Mais aussi attrayantes que ces choses puissent être, Dieu nous appelle à de meilleures voies pour vivre notre vie et témoigner de notre espérance auprès de nos contemporains.

Il ne nous appartient pas de faire des plans pour les 20 000 prochaines années, mais nous manquons de l’imagination d’un Asimov lorsque nous ne pouvons pas concevoir la survie de l’humanité, ou simplement de nos enfants, au-delà du cadre que nous connaissons actuellement. Certes, de nombreuses situations terribles sur notre planète nous font profondément désirer le renouveau promis par notre Dieu. Mais d’époque en époque, on peut observer que ce qui nous apparaît comme de profonds bouleversements ne signifie pas nécessairement que Dieu s’apprête à tirer le rideau ou en aurait fini d’agir dans notre monde.

Dans les romans d’Asimov, la menace imminente dépasse de loin tout ce que nous pouvons craindre, même dans notre monde globalisé : la chute d’un empire intergalactique, la barbarie et des guerres cosmiques conduisant à la mort de milliards de personnes. Pourtant, Asimov ne décrit pas cela comme « la fin du monde ». Certains survivront et devront reconstruire la civilisation. La question principale est de savoir s’ils seront suffisamment préparés pour raccourcir la période de chaos qui suivra la chute de l’empire.

L’Écriture n’encourage ni un pessimisme anxiogène qui nous rendrait méfiants à l’égard de tout ni un optimisme naïf qui attendrait de l’humanité qu’elle progresse d’elle-même vers un état de paix et d’harmonie. Comme le met en scène la récente adaptation de l’œuvre d’Asimov par Apple, quels que soient l’exotisme d’un hypothétique environnement interstellaire, les vaisseaux spatiaux, les technologies inventives ou les vêtements fantaisistes qui nous attendent, l’humanité restera constante dans son mélange de beauté et de corruption. Dans ce monde, le blé et l’ivraie poussent côte à côte (Mt 13.24-30 ; Ap 22.11).

Lorsque Jésus nous a dit « Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur viendra. » (Mt 24.42), il ne parlait pas de guetter des signes à venir, que ce soit dans le ciel ou dans la géopolitique du Proche-Orient. Il parlait de veiller sur nous-mêmes, comme il l’explicite dans la parabole qui suit à propos du bon et du mauvais serviteur. Le serviteur fidèle ne reste pas à la porte à attendre le retour de son maître. Il prend soin de ceux qui lui ont été confiés (v. 45-46).

Au lieu de nous mettre en quête perpétuelle d’indices permettant de dire que notre Maître reviendrait précisément maintenant, nous sommes appelés à le rendre présent à nos contemporains par la façon dont nous agissons, continuant à marcher à l’image de Christ, quelle que soit la durée de l’histoire de l’humanité.

Parmi les nombreux personnages de la trilogie originale de Fondation, les plus aptes à faire face à des circonstances difficiles sont ceux qui croient en la viabilité du plan inconnu de Seldon pour la Fondation, malgré l’insécurité, les guerres, les émeutes ou les mauvais dirigeants. Je ne révélerai pas ici ce qu’il advient du plan de Seldon. En fin de compte, l’eschatologie d’Asimov n’est pas celle de l’Écriture. Mais nous savons avec certitude que l’auteur de notre plan est bien plus digne de notre confiance.

Dans un monde complexe et en perpétuel changement, cette assurance nous permet d’offrir à nos contemporains la présence de chrétiens ancrés dans l’éternité et prêts à affronter les questions difficiles et les dures réalités de notre temps avec la grâce de leur Seigneur. Et ce jusqu’à ce qu’il revienne vraiment.

Léo Lehmann est coordinateur du travail en français de CT et directeur des publications du Réseau de missiologie évangélique pour l’Europe francophone (REMEEF). Il vit en Belgique dans la région de Namur.

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