Dieu aussi a connu le divorce

Puisse l’Église épargner une culpabilité injuste à ceux qui passent par le divorce, et offrir un chemin de grâce.

Christianity Today March 10, 2022
Image: Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: Yohann Libot / Leighann Blackwood / Unsplash

En entrant dans l’Église, de nombreux chrétiens divorcés ont l’impression de porter sur eux un D écarlate. L’autrice Elisabeth Corcoran était de ce nombre. Après la fin d’un mariage de près de 19 ans, elle faisait face à la douleur, la confusion et la honte. Ces sentiments furent aggravés lorsqu’on lui demanda poliment, peu après son divorce, de renoncer à une intervention qu’elle devait apporter lors d’un rassemblement de Noël pour femmes d’une Église. Se taire, bien sûr.

Suite à la sortie de son livre Unraveling: Hanging on to Faith Through the End of a Christian Marriage (« Démêler les fils : S'accrocher à la foi malgré la fin d'un mariage chrétien ») en 2013, elle a animé un groupe Facebook en ligne pour les divorcés. Elle a entendu des centaines d’histoires similaires à la sienne. Les divorcés s’entendent souvent rappeler ces mots : « Dieu déteste le divorce ». « Je sais », écrivait une femme. « Je n’en suis pas non plus une super fan. »

Même si la recherche montre que les mariages entre croyants pratiquants résistent nettement mieux que d’autres, le taux de divorce au sein de l’Église est toujours alarmant. Malheureusement, plutôt que de trouver dans l’Église un lieu de réconfort et de restauration, les divorcés sont souvent confrontés à une réponse culpabilisante.

Les différentes interprétations des circonstances dans lesquelles la Bible autorise le divorce (pour autant que l’on considère qu’elle le fait) donnent l’impression à certains chrétiens que les mains qu’ils aimeraient étendre pour manifester leur compassion sont liées. De plus, notre conviction bien ancrée selon laquelle « il faut être deux » pour faire fonctionner un mariage conduit souvent à l’opinion erronée qu’il « faut être deux » aussi pour faire échouer un mariage. En conséquence, nous tendons systématiquement à répartir les torts à égalité.

La vérité est qu’il suffit d’un seul partenaire pour détruire une alliance, comme nous pouvons l’apprendre de la relation de Dieu lui-même avec le royaume d’Israël.

Notre compréhension du mariage se fonde sur l’alliance que Dieu a conclue avec son peuple. Comme l’explique David Instone-Brewer dans son livre Divorce and Remarriage in the Church (« Divorce et remariage dans l’Église »), Dieu était l’époux d’Israël (És 54.5). Il l’a prise pour sienne et a juré de la nourrir, de la vêtir, de la chérir et de lui demeurer fidèle (Éz 16). En contraste flagrant avec la fidélité et l’attention de Dieu, les royaumes d’Israël et de Juda ont ignoré sans vergogne cette alliance : ils ont négligé Dieu, ont abusé de lui et l’ont trahi. Les prophètes désignent à plusieurs reprises ce comportement par un terme qui exprime cette violation de l’alliance : l’adultère (Ez 23.37 ; Jr 5.7).

L’alliance conjugale de Dieu avec le royaume d’Israël, au nord, a été détruite par le comportement sans scrupules de ce dernier. Jérémie 3.8 nous donne à entendre ces paroles : « j’ai renvoyé l’infidèle Israël à cause de tous ses adultères, […] je lui ai donné sa lettre de divorce » En Ésaïe 50.1, Dieu demande : « Où est la lettre de divorce par laquelle j’ai renvoyé votre mère ? »

Dieu avertit Juda, adultère et apostat : il doit tirer une leçon de l’exemple d’Israël. Les deux États frères avaient été infidèles et avaient rompu leurs alliances avec Dieu, mais alors que Dieu a divorcé d’Israël, il a offert à Juda, dans sa grâce, une deuxième chance (et même une troisième et une quatrième !). Son offre de restauration a été magnifiquement mise en scène par le mariage du prophète Osée avec l’infidèle Gomer, avant d’être finalement accomplie dans l’alliance conjugale éternelle entre le Christ et l’Église.

J’avais souvent noté le pardon patient de Dieu et le renouvellement de l’alliance dans le livre d’Osée, mais la description par Dieu de son propre divorce d’avec le royaume d’Israël me choquait. J’avais complètement intégré l’idée de « péché de divorce ». Indépendamment de la façon dont j’interprétais les paroles de Jésus à ce sujet, si Dieu lui-même avait fait l’expérience de cette rupture d’alliance, il me fallait repenser ma compréhension de la manière dont péché et divorce sont associés.

Soyons clairs : les alliances conjugales sont censées être permanentes, et le péché est toujours à blâmer lorsqu’un mariage se termine par un divorce. Nous commettons un péché lorsque nous rompons nos vœux, et le mariage nécessite la pratique régulière de la repentance et du pardon pour les fautes et les négligences commises entre époux. Il y a une différence, cependant, entre les erreurs mineures et involontaires et les violations délibérées des engagements de l’alliance. Dans le premier cas, nous devons pardonner et « nous supporter les uns les autres dans l’amour ». Dans le second cas, Dieu laisse un choix à la victime : rester et pardonner comme il l’a fait avec Juda, ou divorcer là où une alliance a été rompue par « dureté de cœur », comme cela s’est produit avec Israël.

Le péché lié au divorce réside dans la rupture des vœux conjugaux, pas nécessairement dans le divorce lui-même. Le divorce de Dieu était entièrement imputable au cœur pécheur et endurci d’Israël. Dieu était une victime irréprochable de ce divorce. Quand Dieu dit « Je hais le divorce » (Ml 2.16), il ne le dit pas avec le doigt d’un juge furieux pointant le coupable, mais avec le cœur brisé de celui qui expérimente la douleur du rejet et de la trahison de sa bien-aimée.

Le divorce n’est pas ce que Dieu veut ou souhaite pour nous. Même là où le divorce est permis, il n’est pas obligatoire, et il restera toujours une tragédie. Le divorce laisse derrière lui bien des ravages et des victimes.

Le fait que Dieu lui-même soit un « divorcé », malgré sa fidélité sans faille à l’alliance, nous incite à une compréhension plus nuancée du mariage et du divorce. Dans nos propres mariages, Dieu nous appelle à suivre son exemple de fidélité à l’alliance : il a démontré à quel point la grâce et le pardon sont nécessaires pour maintenir une relation stable face au péché humain. L’exemple de Dieu nous donne un cadre pour aborder de manière convaincante l’engagement et la grâce, mais aussi pour dire en contrepoint que, dans les situations de violation délibérée de l’alliance de la part d’un cœur endurci, le divorce est autorisé comme un moyen donné par Dieu de déclarer officiellement rompue une alliance qui l’est déjà dans les faits.

Nous trouvons plus de sagesse lorsque nous examinons les sujets brûlants dans le cadre plus large des Écritures. Une discussion sur la pureté en matière sexuelle ne devrait pas seulement porter sur la question de savoir si une personne est vierge lorsqu’elle se marie (même si elle a tout fait sauf…), mais sur la manière dont elle gère sa sexualité dans l’ensemble de sa vie. De même, le test décisif pour la fidélité à l’alliance dans le mariage ne devrait pas simplement être de savoir si quelqu’un a divorcé ou non (même si elle a tout fait sauf cela), mais doit porter sur la façon dont nous gérons notre mariage et cherchons quotidiennement à manifester la fidélité de Dieu envers notre conjoint.

Dieu nous appelle à être fidèles à notre alliance. Nous avons à pleurer les péchés que nous commettons lorsque nous ne respectons pas nos vœux envers notre conjoint, avant d’en arriver à nous lamenter sur le « péché de divorce ». S’opposer au divorce et jeter sur lui l’opprobre et la honte ne soutiendra et n’honorera pas autant le mariage que notre engagement ferme et plein de grâce à respecter nos vœux d’aimer, de chérir, de prendre soin et de rester fidèle. Nous sommes appelés à méditer sur notre fidélité à l’alliance bien avant de penser au divorce, et nous sommes appelés à la grâce quand la tragédie du divorce se produit.

Après des études de droit et de théologie dans son Afrique du Sud natale, Bronwyn Lea s’est installée en Californie. Mère de trois enfants, elle est conférencière, autrice de plusieurs livres et membre de la Redbud Writers Guild. Vous pouvez la retrouver sur son site, sur Facebook ou Twitter.

Traduit par Jacques Lemaire

Édité en français par Léo Lehmann

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

La bénédiction cachée de l’infertilité

Notre incapacité à avoir des enfants s’est transformée en possibilité de faire bien d’autres choses.

Christianity Today March 10, 2022

Il y a un certain narratif très courant dans les histoires d’infertilité. Le sentiment d’angoisse et de perte écrasante, quel que soit leur conclusion, contraste si radicalement avec ma propre expérience que parfois je dois me rappeler que, moi aussi, j’ai une histoire d’infertilité.

Ce terme, infertile, est peut-être médicalement et techniquement approprié, mais ce n’est pas un mot que j’utiliserais pour décrire ma vie. Un ami m’a un jour demandé conseil pour une personne en lutte avec l’infertilité. « Je ne sais pas trop », lui ai-je dit, « parce que je n’ai pas vraiment de lutte avec ça. »

Même si Dieu n’a pas exaucé mon désir de longue date d’avoir des enfants, il a rempli ma vie de tant d’autres cadeaux que ma plus grande lutte a été d’être une intendante fidèle de tant d’abondance.

J’avais 26 ans quand mon mari et moi avons cessé d’utiliser des contraceptifs.

Mais les enfants ne venaient pas.

Quand j’ai reçu un diagnostic d’endométriose, probablement la cause de mon incapacité à concevoir, j’ai subi une intervention corrective. Mon médecin m’a dit que je serais enceinte après six mois.

Je ne suis toujours pas tombée enceinte.

Mon mari et moi avons décidé que d’autres procédures n’étaient pas envisageables. Bien que nous soyons baptistes, nous adhérons aux principes énoncés dans l’instruction catholique Donum Vitae (« Le don de la vie »), qui fait la distinction entre les interventions médicales qui aident à ce que l’union conjugale débouche sur une grossesse et les interventions qui remplacent l’acte conjugal procréateur. Nous rejoignons la distinction faite par certains éthiciens et théologiens chrétiens entre procréation et reproduction : alors que la reproduction peut être réalisée de plusieurs façons, la procréation a lieu dans le mystère de deux corps devenant une seule chair et produisant un autre corps.

Telles étaient nos convictions. En y adhérant, j’étais prête à faire face à ce que j’allais perdre. Je n’imaginais pas, cependant, ce que j’allais y gagner.

Je me suis libérée de la tyrannie des technologies reproductives qui auraient transformé notre lit conjugal en site de fabrication, submergé mon corps d’aiguilles, d’hormones artificielles et de médicaments, et réduit le temps en une série interminable de cycles de 28 jours.

Un ami, pasteur pendant des années, a vu de nombreux couples infertiles « qui exigent le succès. Quand ils n’y parviennent pas, ils désespèrent plus de l’échec de l’intervention que de l’absence de l’enfant ». De tels échecs des efforts humains et de la technologie, dit-il, « peuvent causer et causent souvent des souffrances encore plus grandes ». Notre décision nous a libérés de cette potentielle souffrance.

Quand bien même j’aurais été tentée de déplorer l’absence d’enfant, Dieu ne m’en a jamais laissé le temps.

Mais plus important encore, en détournant mes yeux de cette option, j’ai pu voir les choses que Dieu apportait devant moi. Quand bien même j’aurais été tentée de déplorer l’absence d’enfant, Dieu ne m’en a jamais laissé le temps. À toutes les supplications ferventes que j’ai faites dans l’intimité devant Dieu, sa réponse a été d’ouvrir de nouvelles portes : une opportunité de mission, un nouveau projet d’écriture, un soudain contrat de livre, un travail inattendu, une promotion non sollicitée, la chance de prendre soin de parents vieillissants, une étudiante ayant besoin d’aide, une autre me disant que je suis sa « vraie mère », ou une autre encore prenant finalement à cœur mes conseils maternels.

Je n’ai jamais perdu mon désir d’avoir des enfants. Je n’ai jamais cessé de garder dans mon cœur mes prénoms préférés, juste au cas où. Mais, dans sa grâce, il y a longtemps que j’ai perdu tout désir d’avoir quelque chose qui ne viendrait pas directement de la main de Dieu, qui ne serait pas un don bon et parfait venu d’en haut (Jc 1.17).

La Bible regorge de récits de personnes qui ont pris la procréation en main plutôt que de faire confiance aux voies et aux temps de Dieu. Les conséquences ont été désastreuses.

Selon le centre américain de contrôle des maladies, 6 % des femmes mariées âgées de 15 à 44 ans sont stériles. Si nous voulons que nos histoires d’infertilité soient transformées en récits d’espoir et de guérison, l’Église doit enseigner aux femmes et aux hommes comment envisager et répondre à l’infertilité (ou au célibat, ou à l’infirmité, ou à tout autre mode de vie qui ne correspond pas aux attentes sociétales habituelles) dans le cadre plus large de l’Évangile.

Certes, toute la douleur de l’infertilité ne peut pas être éliminée. Mais une grande partie de cette douleur est perpétuée par une culture — y compris une culture d’Église — qui ne met pas suffisamment l’accent sur l’épanouissement qui découle du fait d’accepter nos limites plutôt que d’insister en vain pour qu’elles soient surmontées.

En choisissant d’accepter la vie et les limites que Dieu m’a données, ma vie est devenue richement fertile.

Karen Swallow Prior est professeure d’anglais et de christianisme et culture au Southeastern Baptist Theological Seminary . Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages.

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Books

Les troupes russes approchent d’Irpin, plaque tournante du monde évangélique ukrainien

Les Églises et ministères installés dans cette banlieue de Kiev tentent d’aider les habitants à échapper à la guerre. L’un des leurs y a laissé la vie.

Des personnes évacuées traversent un pont détruit pour fuir la ville d’Irpin, au nord-ouest de Kiev, le 7 mars 2022.

Des personnes évacuées traversent un pont détruit pour fuir la ville d’Irpin, au nord-ouest de Kiev, le 7 mars 2022.

Christianity Today March 8, 2022
Dimitar Dilkoff / AFP / Getty Images

Anatoly, un membre de la Irpin Bible Church (IBC – Église biblique d’Irpin) âgé de 26 ans, a rejoint le Seigneur.

Son dernier acte sur terre a été de porter la valise d’une jeune mère et de ses deux enfants, pour leur faire traverser le pont effondré d’Irpin et les mettre à l’abri des bombardements russes.

Tous les quatre sont morts lorsqu’une bombe a atterri au milieu de ce qui aurait dû être leur couloir humanitaire. Dimanche 6 mars, huit personnes au total sont mortes dans la banlieue de Kiev, alors que les troupes russes exercent une forte pression pour encercler la capitale ukrainienne.

« Anatoly était profondément spirituel, avec un bon caractère chrétien », raconte son pasteur, Mykola Romanuk. « Quand il voyait un besoin, il essayait d’aider ».

Les négociations du week-end ont conduit à plusieurs cessez-le-feu pour l’évacuation des civils, tous rapidement rompus. Chaque camp rejette la responsabilité sur l’autre, et la Russie nie avoir ciblé des civils.

Mais les sources ukrainiennes décrivent des villes désormais marquées par les écoles, les hôpitaux et les quartiers résidentiels bombardés. C’est le cas à Irpin, où sont installés de nombreux ministères évangéliques.

Après la chute de l’Union soviétique, le « patriarche évangélique » ukrainien Gregory Kommendant a invité les ministères chrétiens à le rejoindre dans sa ville natale, située à 25 km au nord-ouest de la capitale, où il servait en tant que président de l’Union baptiste ukrainienne.

Il y a encore quelques jours, environ 25 ministères opéraient à partir d’Irpin, dont l’Association Évangile et Enfance, Jeunesse en Mission, Jeunesse pour Christ, l’IFES (GBU) et Samaritan’s Purse. La ville qui abritait autrefois une seule Église évangélique en compte aujourd’hui 13.

« Nous sommes ici depuis 20 ans, et les voisins n’ont jamais mis les pieds dans notre église », relate Romanuk. « Maintenant, ils vivent dans notre sous-sol, prient avec nous, et sont devenus nos amis ».

Décrivant Irpin comme « sécularisée », Romanuk présente sa congrégation baptiste de 700 membres comme la plus grande Église de cette ville de 60 000 habitants. Mais aujourd’hui, il ne reste plus qu’une équipe de cinq personnes, appelées à rester sur place et à s’occuper des assiégés.

Sous la conduite du responsable du comité missionnaire, la femme d’un diacre, agente immobilière, est la cuisinière en chef. Elle prépare trois repas par jour pour 200 personnes, tandis que d’autres se portent volontaires pour évacuer les citoyens sous le choc des bombardements vers l’Ukraine occidentale.

Depuis le début de la guerre, l’Église a transporté 100 à 200 personnes évacuées chaque jour, selon M. Romanuk. Alors que les Russes approchaient, ils en avaient évacué 3 000. Très tôt, les autorités ont remarqué leurs efforts et ont dirigé les gens vers l’Église.

Anatoly est l’un de ceux qui y sont retournés.

Anatoly, un chrétien ukrainien de 26 ans, fait partie des civils qui ont péri dans les attaques russes de dimanche.Diana Berezhnoi/Fournie par l’Union baptiste
Anatoly, un chrétien ukrainien de 26 ans, fait partie des civils qui ont péri dans les attaques russes de dimanche.

Originaire de Louhansk, dans la région du Donbass, il a commencé à fréquenter l’IBC en 2020, devenant membre l’année dernière. Informaticien dans une entreprise locale, il servait dans le ministère des médias avec le fils de Romanuk.

Après avoir évacué sa femme Diana et d’autres membres de sa famille en sécurité à l’ouest, il a rejoint ce qui restait du personnel de l’Église vendredi. Les bombardements ont véritablement commencé samedi, et les volontaires ont tenté d’évacuer autant de personnes que possible, en traversant le pont que l’armée ukrainienne avait endommagé pour ralentir l’avancée russe.

Dimanche, il manquait à l’appel. Les amis se sont inquiétés, ont prié et ont parcouru les médias sociaux à la recherche d’images de lui. Ils ont vu ses baskets sur l’une, son pull sur une seconde. Quelques minutes plus tard, une troisième photo révélait son visage, mort.

« Il nous manque beaucoup, c’est une tragédie pour sa famille et l’Église », déclare Romanuk. « Dieu a un plan qui dépasse notre compréhension, mais c’est difficile ».

Igor Bandura, un collègue pasteur à l’IBC, soutient maintenant le frère d’Anatoly à Lviv. Profondément affligé, il essaie de trouver quelqu’un pour faire le voyage inverse, 540 km vers l’est jusqu’à Kiev, pour les funérailles.

« Nous avons dû tout laisser derrière nous. Certains d’entre nous n’ont même pas eu le temps d’emporter les vêtements nécessaires », rapporte Bandura, vice-président de l’Union baptiste d’Ukraine. « Nous ne savons pas quel sort a été réservé à nos maisons. Nous ne savons pas s’il y aura un endroit pour ceux qui reviennent. »

Au moins, il est possible de revenir. La banlieue voisine de Bucha, où réside le président du Séminaire théologique évangélique ukrainien (UETS) de Kiev, est entièrement sous contrôle russe.

Mais Ivan Rusyn refuse d’évacuer.

« Cette guerre a complètement redéfini ma compréhension de la mission et du ministère holistique », dit-il. « Vous ne pouvez pas faire preuve de compassion à distance ».

Rusyn et ses sept collègues restants coordonnent les secours depuis les bureaux de la Société biblique ukrainienne, où il dort la nuit à même le sol.

Le séminaire n’est plus qu’à 300 mètres de la ligne de front.

Évacué vendredi, l’UETS a envoyé lundi les neuf derniers des 300 membres de la faculté, du personnel, des étudiants et des membres de leur famille en sécurité dans la partie occidentale de l’Ukraine. Mais chaque jour, une équipe envoie un bus à Irpin avec de la nourriture, de l’eau et des médicaments.

« C’est une catastrophe », souligne Rusyn. « On lit la peur dans les yeux des enfants ».

Déchiré par cette expérience, il rapporte avoir porté des personnes handicapées sur ses épaules pour atteindre les bus d’évacuation. Mais il parle aussi de sa joie devant les sourires des soldats ukrainiens qui savent que les prières des pasteurs et des prêtres les accompagnent.

« Notre objectif est que personne ici ne reste affamé », explique-t-il, promettant de rester dans la capitale aussi longtemps que le président Volodymyr Zelensky. « Les dirigeants chrétiens qui restent à Kiev et dans d’autres villes sont le témoignage incarné de Jésus-Christ ».

Mais ce témoignage s’exprime ailleurs aussi. Dans toute l’Europe de l’Est, des personnes prennent soin des 1,7 million de réfugiés. Beaucoup ont laissé leurs lits, relate Sergey Rakhuba, président de Mission Eurasia, et dorment désormais sur des matelas.

« Je suis dévasté, fatigué et accablé », confie-t-il, supervisant actuellement le travail en Pologne. « Mon cœur est brisé en mille morceaux ».

Son organisation était également basée à Irpin, et les 12 membres du personnel restés en Ukraine se sont réorganisés dans deux villes situées plus à l’ouest.

Il y a une pénurie catastrophique de médicaments, dit-il. Mais le besoin de soins pastoraux est encore plus grand.

« J’ai demandé leurs sujets de prière », raconte Rakhuba, les larmes aux yeux. « Les réfugiés mentionnent leurs maris, leurs pères et leurs fils — et quand ils vous serrent dans leurs bras, ils ne vous lâchent plus. »

Né dans le Donbass, il a épousé sa femme russe en 1983 et a vécu en Russie pendant les 15 années suivantes. Là-bas, il a souvent entendus les Ukrainiens désignés comme des « frères ». Mission Eurasia a quitté Moscou pour s’installer en Ukraine en 2007, en raison de la pression exercée par le gouvernement contre l’influence étrangère. Mais aujourd’hui, le changement complet d’esprit est saisissant, et lui fait penser à quelque chose de démoniaque.

« Irpin est devenue une capitale spirituelle », dit Rakhuba. « Parallèlement à l’agression militaire, c’est maintenant un lieu de guerre spirituelle ».

Mark Elliott, éditeur émérite de East-West Church Report, ancien membre de la faculté de Wheaton College, compare Irpin aux deux grands centres évangéliques américains de Wheaton et Colorado Springs, surtout depuis que des ministères ont commencé à y arriver depuis Moscou.

« Ils ont été tout à la fois poussés et attirés », explique-t-il. « D’une part les restrictions croissantes auxquelles sont confrontés les croyants et les institutions non orthodoxes en Russie, d’autre part la solide tolérance religieuse de l’Ukraine. »

Pendant 70 ans, la nation a été sous l’emprise du communisme soviétique, raconte Rusyn. Mais l’Église a bien utilisé les 30 années de liberté qui ont suivi. Si elle n’est pas protégée maintenant — il demande l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne — sa perte aigrira le goût de la liberté pour les amis occidentaux qui font de leur mieux pour aider, mais dont les gouvernements ne s’impliquent pas pleinement.

« Nous avons prêché l’Évangile, nous avons envoyé des missionnaires, nous n’avons fait de mal à personne », dit-il. « Notre message aux Russes est qu’il faut juste nous laisser tranquilles. »

Le président Zelensky a appelé à un plan de sanctions plus robuste, voire à un embargo complet contre la Russie.

Les dégâts du week-end s’étendent bien au-delà d’Irpin.

À Marioupol, où l’on estime que 200 000 personnes tentent de fuir, l’église baptiste du centre est l’un des rares bâtiments encore intacts. Au moment de sa construction, au début des années 1990, la fille du pasteur fondateur raconte que les gens se plaignaient que le sous-sol était trop grand. Il y a deux jours, alors que les bombardements avaient fermé un couloir qui avait été négocié, plus de 75 personnes se sont rassemblées en bas pour le culte du dimanche.

La congrégation baptiste d’Izyum, établie en 1998, a eu moins de chance, a rapporté le pasteur Vyacheslav Voronin à Taras Dyatlik, directeur régional d’Overseas Council pour l’Europe orientale et l’Asie centrale. Située près des zones de combat dans la région de Kharkiv, l’Église a servi les personnes déplacées jusqu’à ce qu’elle soit touchée la nuit dernière par un obus russe et prenne feu. La plupart des familles sont maintenant évacuées vers l’ouest de l’Ukraine.

Dans le port d’Odessa, Alexander Boichenko est revenu après avoir évacué sa famille pour continuer à servir dans le centre de secours de son Église. Il y a trois semaines, ils préparaient le mariage de leur fille en juin.

Ma femme s’est penchée vers moi et m’a chuchoté doucement : « Est-ce que ça pourrait être pour toujours ? ». « Je lui ai souri paisiblement, mais mon âme a éclaté en sanglots. »

Son travail n’est pas vain. Les personnes contactées en Ukraine s’accrochent toutes à Dieu.

« La tâche la plus importante pour l’Église en ce moment est de continuer à prêcher », estime Rakhuba. « Les Églises sont devenues un phare pour l’espoir ».

Et ce malgré l’agression « brutale et inhumaine » de l’armée russe, dont les chars se pressent vers Kiev, déclare Bandura. « Nous prions et travaillons — avec espoir et foi — pour que Dieu l’emporte et révèle sa gloire en Ukraine. »

Les dégâts importants ne les arrêtent pas.

« Nous pourrions perdre notre campus, mais après un conflit, il y a une chance de pouvoir reconstruire », affirme Rusyn. « Les Églises évangéliques deviendront plus fortes et feront partie intégrante de notre société. »

Le personnel du Séminaire biblique d’Irpin distribue du pain aux réfugiés et aux personnes se trouvant dans un hôpital local.Fournie par Mission Eurasia
Le personnel du Séminaire biblique d’Irpin distribue du pain aux réfugiés et aux personnes se trouvant dans un hôpital local.

Les croyants dispersés feront ce qu’ils peuvent.

La Irpin Bible Church comptait 67 petits groupes avant la guerre, indique Romanuk. Son équipe pastorale espère contacter chaque membre, et offrira toute l’aide disponible.

Mais il veut aussi les encourager : chacun devrait former un nouveau petit groupe, où qu’il soit, et rejoindre une Église évangélique locale.

Lundi, cependant, il a également évacué. Alors qu’il se dirigeait vers l’ouest pour rejoindre sa famille à Lviv, une notification de son agenda Google lui a rappelé qu’une conférence pastorale de 400 personnes aurait dû commencer ce jour-là à Irpin.

« Dieu nous a donné un nouveau ministère », dit Romanuk. « Notre conférence se tient maintenant avec les sans-abri, les personnes handicapées et les non-croyants de notre ville ».

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Books

Des centaines de pasteurs russes s’opposent à la guerre en Ukraine.

Les évangéliques ukrainiens réclament davantage de Bonhoeffers. Des évangéliques russes se mobilisent.

Une femme tient une pancarte « Arrêtez la guerre » dans le centre de Moscou lors d’une manifestation contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 3 mars 2022.

Une femme tient une pancarte « Arrêtez la guerre » dans le centre de Moscou lors d’une manifestation contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 3 mars 2022.

Christianity Today March 5, 2022
Contributor/AFP/Getty Images

Certains évangéliques ukrainiens en ont assez.

Éprouvés par une semaine de guerre, ils ont entendu de nombreuses prières pour la paix de la part de leurs collègues russes, mais pas de condamnation.

« Vos unions ont félicité Poutine et l’ont remercié pour la liberté religieuse dont ils jouissent », dit Taras Dyatlik, directeur régional d’Overseas Council pour l’Europe orientale et l’Asie centrale. « Le moment est venu de faire usage de cette liberté ».

Alors que Kiev, Kharkiv, Kherson et d’autres villes subissent lourdement l’invasion russe, les Nations unies signalent la mort de plus de 200 civils. Le service d’urgence de l’État ukrainien en dénombre plus de 2 000. Les pertes militaires sont controversées, les deux nations faisant état de milliers de morts dans les rangs adverses.

Mais plutôt que de se concentrer sur les chiffres, Dyatlik, qui coordonne un réseau régional de dizaines de séminaires protestants, se tourne vers la Bible.

« Souvenez-vous de Mardochée et d’Esther », écrivait-il le 1er mars dans une lettre ouverte. « Ne soyez pas comme Josaphat, qui a conclu une alliance avec Achab et s’est tu lorsque Dieu a parlé par l’intermédiaire du prophète Michée. »

Dyatlik reproche à ses collègues russes de s’être ralliés à la rhétorique nationale, d’abord en 2014, lorsque les forces soutenues par la Russie ont envahi la région orientale du Donbass, et à nouveau aujourd’hui. Mais « suppliant à genoux », il a engagé sa réputation auprès des responsables d’unions évangéliques en Russie, tout en reconnaissant leur difficile réalité.

« Vous craignez la prison », dit-il. « [Mais] ne soyez pas fidèle à Poutine. Soyez fidèle au corps du Christ. »

Vendredi 4 mars, la Douma, le parlement russe, a adopté une nouvelle loi prévoyant jusqu’à 15 ans de prison ceux qui diffuseraient des « informations mensongères » à propos des violences en Ukraine, tandis que les autorités répriment les Russes qui qualifient l’« opération militaire » de « guerre ». Dénigrer les forces armées peut désormais entraîner une peine de trois ans de prison ; appeler à des rassemblements contre la guerre peut coûter cinq ans. En fonction du degré de gravité, les chrétiens et les autres citoyens russes qui commettent de tels actes sont également passibles d'amendes et de travaux forcés.

Dyatlik n’est pas le seul à se sentir frustré par la situation. S’il fait appel aux Écritures, son collègue Valerii Antoniuk, lui, fait appel à l’histoire.

« Où sont vos Bonhoeffers, où sont vos Barths ? » demande le chef de l’Union panukrainienne des Églises des chrétiens évangéliques-baptistes. « Votre silence présent est le sang et les larmes des enfants, des mères et des soldats ukrainiens — il est sur vos mains ».

Pavel Kuznetsov, quant à lui, veut simplement que l’on utilise les mots justes — loi ou pas loi.

« De nombreux croyants en Russie prient au sujet de la “situation” en Ukraine. La situation s’appelle GUERRE », écrit sur Facebook le pasteur de l’Église Parole de vie à Boyarka, à 25 km au sud-ouest de Kiev. « Quand vous prierez encore, dites à Dieu que c’est une guerre, et que nous sommes tués ici ». Plusieurs centaines d’évangéliques russes auraient reçu le message.

« Le temps est venu où chacun d’entre nous doit appeler les choses par leur vrai nom, tant que nous avons encore une chance d’échapper à la punition d’en haut, et d’empêcher l’effondrement de notre pays », déclare une lettre ouverte signée par un groupe de pasteurs russes et d’autres responsables protestants. « Nous demandons aux autorités de notre pays de mettre fin à cette effusion de sang insensée ! ».

Leur message est également biblique. Il cite Jérémie 18.7-8, qui affirme que la nation qui se détourne de ses mauvaises habitudes sera épargnée. Il fait référence à Caïn commettant le péché de fratricide contre son frère Abel. Et il appelle leur nation à appliquer les paroles de Jésus : « Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prendront l’épée mourront par l’épée. » (Mt 26.52).

Dyatlik a reçu cette déclaration avec une grande joie, mais aussi dans une attitude de prière fervente. « Ils risquent littéralement leur vie », explique-t-il. « Mais ils montrent leur amour pour le Seigneur et son corps : nous sommes un dans l’Esprit ».

La lettre ouverte est disponible sur le site web de la maison d’édition Mirt, un petit éditeur évangélique de Saint-Pétersbourg, et est signée par une majorité de baptistes et de pentecôtistes russes affiliés à des Églises ou des séminaires à Moscou, Saint-Pétersbourg et plus de 40 autres villes. Elle a été clôturée après avoir collecté 400 signatures en deux jours.

« C’est une démarche extraordinairement courageuse par rapport à la timidité évangélique qui régnait auparavant sous Poutine », déclare Mark Elliott, rédacteur en chef émérite de East-West Church Report, une revue qui s’attache depuis 29 ans à expliquer le christianisme eurasiatique aux chrétiens de l’Ouest. « Je suis stupéfait et encouragé par le fait que ces personnes défendent courageusement l’Ukraine. Ils souffriront pour cela, à moins que Poutine ne soit détrôné. Que le Seigneur ait pitié. »

« Cette lettre n’est pas une réaction typique des protestants russes. Rester à l’écart de la politique a été leur principale position pendant des décennies », déclare Andrey Shirin, professeur au séminaire baptiste de Virginie, né en Russie. « Ils ont été régulièrement accusés par les autorités soviétiques d’être antigouvernementaux. En réponse, ils ont affirmé être des croyants, pas des politiciens. »

« De nombreux protestants russes maintiennent cette position dans le conflit actuel », ajoute-t-il. « Mais certains souhaitent une plus grande implication dans la société, et la tragédie qui se déroule en Ukraine a touché une corde sensible. »

L’un des cosignataires, cependant, s’oppose à l’idée que tous les chrétiens russes devraient faire de même.

Alexey Markevich, l’un des neuf protestants russes à avoir signé officiellement la lettre avant qu’elle ne soit diffusée publiquement, estime que tout le monde ne doit pas être un Bonhoeffer.

« La première vocation de l’Église est la proclamation de la Parole de Dieu [… C]ette proclamation se fait de diverses manières : les pasteurs prêchent, les théologiens écrivent, les philanthropes distribuent du pain, les gens pleurent avec ceux qui pleurent, les militants se tiennent sur les places », affirme-t-il. « Il est important pour chacun d’entre nous de discerner sa vocation et de la remplir honnêtement devant Dieu, en le servant et en servant les gens. »

Par ailleurs, Bonhoeffer et d’autres figures célèbres de la lutte contre le mal, s’ils sont des modèles de fidélité, ne correspondent pas directement aux demandes que les Ukrainiens adressent aux Russes aujourd’hui.

« Leurs exemples sont importants et pertinents pour nous », explique Markevich. « Mais [ils ne sont pas] sortis manifester, et [Bonhoeffer] n’a mené aucune activité publique. »

Il sera difficile d’obtenir des résultats par de telles actions, selon lui. Que ce soit en écrivant des lettres ou en remplissant les places publiques, les évangéliques de Russie n’ont aucune influence politique pour arrêter la guerre. Certains essaieront tout de même, comme Markevich dit l’avoir fait depuis 2014. Mais le véritable pouvoir se trouve ailleurs.

« Dieu peut arrêter la guerre », dit-il. « C’est pourquoi nous crions vers lui ».

Moins risqué, mais néanmoins coûteux sur le plan ecclésial, certains prêtres orthodoxes ukrainiens affiliés à Moscou demandent à leurs évêques locaux de désavouer le patriarche Kirill de l’Église orthodoxe russe.

« Cette tragédie sans précédent [et] déchirante a été attisée par la conspiration malintentionnée et l’inaction malveillante d’une personne que nous ne pouvons pas reconnaître comme notre patriarche », ont affirmé dix prêtres du diocèse de Tcherkassy de l’Église orthodoxe ukrainienne, à 190 km au sud-est de Kiev, dans une déclaration commune.

« Nous demandons la rupture de toutes les relations avec l’Église orthodoxe russe, et le rétablissement de la communion eucharistique avec le patriarche œcuménique. »

En 2019, le patriarche œcuménique de l’Église orthodoxe basé à Istanbul a reconnu l’indépendance de l’Église « orthodoxe d’Ukraine », tandis que de nombreuses paroisses en Ukraine ont rejeté cette décision et ont choisi de rester dans l’Église « orthodoxe ukrainienne » sous l’égide du patriarcat de Moscou, comme dans le passé. (Les chiffres exacts des paroisses ukrainiennes affiliées à l’Église orthodoxe d’Ukraine et à l’Église orthodoxe ukrainienne sont difficiles à déterminer)

Désormais bombardés par les forces russes, les dix prêtres ont adressé leur lettre au métropolite Onufriy, chef de l’Église orthodoxe ukrainienne, et ont exigé que leur évêque local rompe les liens avec Kirill.

Ils se sont également appuyés sur la Bible, renvoyant à Esther et à Proverbes 24, qui enjoint le croyant à ne pas feindre l’ignorance, mais à secourir ceux qui sont confrontés à la mort.

« Nous trouverons la force de tenir non pas avec des individus faibles d’esprit », ont-ils déclaré, « mais avec le Christ, qui est notre véritable pasteur, père et protecteur, à qui reviennent l’honneur et la gloire pour tous les temps. Amen. »

Leur action a été suivie par les prêtres de l’Église orthodoxe ukrainienne de Lviv, qui est devenu le premier diocèse à appeler unanimement à la rupture avec Moscou.

« Aujourd’hui, les masques tombent. Il est évident pour tout le monde que derrière des paroles sur l’amour fraternel et la création d’un espace spirituel unique du “monde russe” se cachait une volonté humaine de faire disparaître et d’ignorer le peuple ukrainien libre et attaché à Dieu », affirment-ils dans leur communiqué, comparant Poutine au Caïn biblique.

« Maintenir l’unité de la prière et de l’eucharistie avec le Patriarcat de Moscou […] fait passer les fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne pour des collaborateurs ennemis, et des traîtres. »

Le monde connaît de semblables divisions.

Le 2 mars, l’Assemblée générale des Nations unies a voté par 141 voix contre 5, avec 35 abstentions, pour condamner la Russie et demander la fin des hostilités. Seules la Biélorussie, la Syrie, la Corée du Nord et l’Érythrée se sont jointes à la Russie pour s’opposer à cette mesure.

Sergei Ryakhovsky, président de l'Union russe des chrétiens de confession évangélique, l'une des deux plus grandes associations pentecôtistes du pays, a été cité dans Vzglyad, un journal russe en ligne, comme priant pour que l’« opération militaire russe » – terminologie préférée de Poutine – prenne fin avant Pâques, le 24 avril, et présentant Jean-Baptiste comme défenseur des soldats.

« Tout chrétien, quelle que soit sa confession, est contre la violence », aurait-il déclaré, selon l'article de Vzglyad. « Mais en même temps, je suis conscient que la paix s'obtient par différentes méthodes, y compris la force, comme dans cette situation. »

Ryakhovsky a par la suite dénoncé cette interview comme fausse dans un post Instagram. « Chers frères et sœurs, si dans un avenir proche vous lisez dans la presse des citations de moi à propos de l’Ukraine, sachez qu'elles sont fausses », a-t-il posté vendredi. Entre temps, l’article de Vzglyad a été retiré.

De nombreux analystes prédisent un conflit de longue durée.

« Le plus probable est que les occupants ne feront qu’accroître leurs efforts, détruisant notre pays et nos vies », estime Roman Soloviy, directeur de l’Institut de théologie d’Europe de l’Est à Lviv. « Par conséquent, nous ne pouvons pas abandonner. […] Au milieu du chaos, de la douleur et de la mort, nous devons rester entre les mains de Dieu des instruments de réconfort, d’aide et d’espoir. »

Et une partie de ces choses provient désormais aussi de Russie, alors même que son gouvernement a entrepris de censurer ses médias. Les sources d’information libérales Dojd et l’Écho de Moscou ont récemment été fermées, mais certains leaders évangéliques continuent de s’exprimer.

« Aucun intérêt ou objectif politique ne peut justifier la mort de personnes innocentes », indique leur lettre ouverte. « La guerre détruit non seulement l’Ukraine, mais aussi la Russie : son peuple, son économie, sa moralité et son avenir. »

Traduit par Léo Lehmann

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Une solution aux conflits ? Bien raconter les histoires de guerre.

Le livre de Samuel nous montre comment concilier nos différences au moyen d’une narration rédemptrice.

Christianity Today February 28, 2022
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: WikiMedia Commons / Andrew_Howe / Getty Images

Je suis missionnaire en Croatie, un beau pays au passé très complexe. Il y a 24 ans, lorsque je suis venu ici pour la première fois lors d’un voyage de mission d’été avec l’organisation Cru, j’ai découvert que les Croates aimaient passer des heures dans les cafés à partager leurs récits. Mes nouveaux amis m’ont beaucoup parlé d’histoire — les rois du 10e siècle, les fascistes, les communistes et leurs expériences pendant la guerre d’indépendance qui s’était terminée deux ans avant mon arrivée. Le passé s’immisçait constamment dans la conversation.

Issu de la culture tournée vers l’avenir de la Silicon Valley, j’ai été fasciné par leur intérêt pour l’histoire. Mais ce trait m’apparaissait avant tout comme une curiosité locale. À l’époque, je n’imaginais pas à quel point le poids du passé pèserait également bientôt sur mon propre pays, les États-Unis.

Nous vivons à une époque de grands conflits sociaux. Nos débats sont alimentés par des histoires concurrentes. Sommes-nous la ville sur la colline ou la nation la plus diabolique de l’histoire ? L’élection a-t-elle été volée ou cette histoire est-elle un mensonge échafaudé de toutes pièces ? Les vaccins COVID-19 sont-ils un énorme succès ou font-ils partie d’une sombre conspiration ? Les Églises elles-mêmes sont déchirées par des récits concurrents sur la théorie critique de la race, les scandales d’abus sexuels, etc.

Ce genre de conflit entre les croyants est partout dans l’Écriture. La Bible avance sans broncher dans des histoires apparemment inconciliables. À travers des récits laconiques et ingénieux, les auteurs bibliques pourraient bien avoir poussé leur public d’origine vers la guérison. Pour les Israélites, des mots comme « Jébusien » ou « Samaritain » n’étaient pas étranges et difficiles à prononcer. Pour eux, ces étiquettes étaient aussi chargées que « confédéré », « socialiste » ou « Black Lives Matter » le sont pour nous.

Les livres historiques de l’Ancien Testament sont probablement la première utilisation du récit (au lieu du poème épique) pour raconter un histoire nationale. Ils emploient un style courageux et direct pour rapporter des histoires douloureuses de manière à ce que les ennemis puissent se réconcilier. J’en trouve l’exemple le plus riche en 1 et 2 Samuel.

Dans ce récit, Israël subit deux transitions massives : le passage de sa direction par des juges et des prophètes à une royauté sous Saül, puis le transfert du pouvoir à la lignée davidique. Ces bouleversements ont créé des changements de pouvoir avec des effets générationnels durables. Ce furent les années 1939, 1968 et peut-être 2020 de l’Israël royal, des années de grands bouleversements.

Au cours des 20 années où j’ai servi comme missionnaire à plein temps en Croatie, j’ai pris part à des centaines de conversations sur son histoire torturée, en parlant avec d’autres pères avant les matchs de football, avec des chefs d’entreprise dans des études bibliques ou encore avec des voisins âgés dans le village natal de ma femme. Avec ces expériences à l’esprit, il m’est facile d’imaginer des disputes constantes entre les partisans Judéens du règne de David, les Benjaminites, et ceux qui préféraient l’ancien système des juges et des prophètes.

Dans 1 et 2 Samuel, ces diverses perspectives sont toutes incluses et respectées. Nous savons que Samuel a dirigé la nation et a entendu la voix de Dieu. Mais — dans un détail presque totalement inexploré dans les sermons et les commentaires — c’est Samuel qui déclenche la crise de leadership en faisant avancer ses fils sans valeur comme ses héritiers. Les anciens ne demandent un roi qu’en réponse à la catastrophique entreprise népotiste de Samuel (1 S 8.1-5).

Le leadership du prophète se termine par un échec. Saül devient alors le premier roi, pèche et sombre dans la folie. Mais il sauve aussi le peuple et punit les ennemis d’Israël de tous côtés. David le remplace comme roi et est un homme selon le cœur de Dieu. Mais c’est aussi un agresseur sexuel meurtrier.

Le récit est d’une richesse étonnante. Robert Alter, professeur d’hébreu et de littérature comparée à l’Université de Californie à Berkeley, est convaincu que l’auteur de Samuel croyait à l’alliance, à la prophétie et à l’élection mais d’une manière si complexe que « cela frôle la subversion ». Samuel a été écrit par les vainqueurs, les partisans du règne de David. Mais ceux-ci pourraient concourir pour le record du gagnant le plus autocritique de tous les temps.

Les professeurs de droit à l’Université de New York Moshe Halbertal et Stephen Holmes soutiennent dans The Beginning of Politics : Power in the Biblical Book of Samuel (« Au commencement de la politique : le pouvoir dans le livre biblique de Samuel ») que cette complexité fait de 1 et 2 Samuel le premier ouvrage de réflexion politique de l’histoire.

Pensez à l’appel désespéré de Saül à ses compagnons benjaminites alors que son royaume s’effondre : « Ecoutez, Benjaminites! Le fils d’Isaï vous donnera-t-il à tous des champs et des vignes ? Fera-t-il de vous tous des chefs de milliers et de centaines ? » (1 S 22.7). Ce n’est pas seulement Saül ou sa famille qui perd le pouvoir. Toute sa tribu perd son statut. Samuel met astucieusement en évidence les dynamiques sociales et économiques.

Imaginez un rouleau de Samuel arrivant pour la première fois dans un village encore partagé entre la nostalgie de Samuel et l’enthousiasme pour son roi. Alors que le prêtre lit à haute voix, tout le monde est nerveux. Mais que se passe-t-il ? Je suppose que chaque groupe grimace parfois, hoche énergiquement la tête à d’autres moments, et se rappelle de la souveraineté de Dieu. Les hochements de tête se font accusateurs lorsque des anecdotes notoires surgissent, mais à la fin tous doivent bien admettre que l’histoire a été racontée de manière équitable. En incorporant habilement des détails majeurs de toutes parts et en affirmant la souveraineté de Dieu, ces livres ont réconcilié le peuple de Dieu avec la royauté davidique.

Pour la première fois en 1000 ans, la Croatie a la chance de raconter sa propre histoire complexe à sa jeunesse. Malheureusement, elle ne raconte qu’une version très unilatérale de son histoire — une version que nos deux fils entendent dans le système scolaire public depuis 11 ans. Chaque basculement du pouvoir ne permet de raconter qu’un côté de l’histoire et exclut la moitié de la nation.

Nous avons tous une compréhension partielle de notre propre histoire. Pour des raisons très locales, les Croates se sont retrouvés d’un côté ou de l’autre du fascisme ou du communisme. Samuel m’aide à prendre pied au milieu de ce véritable crève-cœur. Il me rappelle d’accepter qu’il y a des faits de chaque côté, de m’attendre à ce que l’histoire soit complexe et de ne pas mépriser les gens uniquement pour leur allégeance. Il me permet aussi de proclamer notre espérance que Dieu est toujours aux commandes.

Pendant plus d’une décennie, j’ai été en lien avec un programme en Croatie appelé Renewing Our Minds (« Renouveler notre pensée »). Il rassemble des jeunes de pays très marqués par les conflits pour une conférence de deux semaines axée sur le rétablissement de la paix à travers l’exemple de Jésus. Le génie du programme est qu’il se concentre d’abord sur le jeu et le travail d’équipe afin que les jeunes découvrent que leurs supposés « ennemis » ne sont pas si différents d’eux. Ce n’est qu’alors que les responsables du programme présentent les récits contradictoires de l’histoire par le biais de conférenciers et de médias. Bien des jeunes n’ont jamais été confrontés au fait que l’autre côté a sa propre histoire cohérente.

La dernière partie de la conférence se concentre sur la reconstruction d’une meilleure vision des « autres » à travers des pratiques de rétablissement de la paix inspirées de Jésus. En faisant connaissance de personnes de l’autre camp, en racontant leurs histoires et en écoutant les histoires des autres, la transformation peut commencer.

J’ai déjà écrit un chapitre de livre sur Samuel en tant que récit réconciliateur, basé en grande partie sur mon contexte croate. Mais cette histoire biblique peut parler à chaque nation. Le message subtil que Samuel nous adresse est à la fois réconfortant et douloureux :

Premièrement, Dieu comprend à quel point nous sommes sensibles à l’honneur de notre peuple. Il ne nous demande pas de mépriser nos ancêtres. Leurs actes honorables ne seront pas perdus, même s’ils se sont retrouvés du mauvais côté de l’histoire. On ne peut pas considérer des groupes entiers de personnes comme des boucs émissaires.

  • Néanmoins, il peut y avoir un bon et un mauvais côté de l’histoire. Aux États-Unis, durant la Guerre de sécession, le Sud a combattu pour défendre l’esclavage et a perdu, comme il le méritait. Le Nord ne s’est pas initialement battu pour libérer les esclaves et a également sa propre histoire raciale tragique. Mais il était du bon côté.
  • Dieu attend de nous que nous ne détournions pas les yeux des événements historiques, aussi déplaisants soient-ils. Toujours dans mon contexte américain, si nous voyons les péchés d’Israël si clairement dans l’Ancien Testament, comment pouvons-nous ignorer la transformation d’êtres humains en simples biens mobiliers, les violations des traités avec les tribus amérindiennes, la loi d’exclusion des Chinois et bien d’autres injustices ? Comment pouvons-nous nous attendre à ce que les Églises soient en bonne santé si elles refusent d’être aussi claires sur leurs propres scandales que la Bible à partir de laquelle elles prêchent ?
  • Une histoire complexe peut être fidèlement retransmise par une bonne narration. L’auteur de Samuel ne nous dit pas de lire d’abord un livre sur les dynamiques ethniques de la Palestine pour comprendre l’histoire. Il ne nous enferme pas non plus dans l’exiguïté d’une théorie complotiste. De petits détails, tels Paltiel qui pleure après Michal ou les robes en lin qu’Hannah apporte au temple chaque année pour son petit garçon, ouvrent nos cœurs à l’humanité et la faillibilité de nos dirigeants.
  • En fin de compte, Dieu sait ce qu’il fait et accomplit sa volonté parmi les nations. Il nous donne à chacun un pays qui nous forme et que nous apprenons à aimer. Et il nous offre ces incroyables outils bibliques avec lesquels naviguer dans les conflits parfois apparemment insolubles de notre époque.

Les États-Unis représentent beaucoup de choses pour moi. J’y vois une formidable expérience démocratique, un refuge pour les réfugiés et un foyer pour la liberté religieuse. Mais ce pays a aussi sa propre histoire sombre et cruelle, en particulier en ce qui concerne les Noirs et les Amérindiens. Dieu nous invite à intégrer tous ces différents éléments dans une seule histoire réconciliatrice. Il désire que nous aimions profondément notre nation et luttions aussi pour qu’elle rende des comptes.

Nous avons besoin de voix comme celle de l’auteur anonyme de Samuel, qui écrivait de l’intérieur de la cour du roi et s’est risqué à dire la vérité d’une manière convaincante pour que la nation puisse commencer à guérir de ses divisions. L’auteur de Samuel nous montre comment les pasteurs et les responsables chrétiens n’ont pas seulement un rôle prophétique à jouer ; ils tiennent également un rôle de conteurs réconciliateurs dans leurs Églises et leurs communautés.

Si vous dirigez des gens divisés, voici ma proposition : relisez le livre de Samuel. Considérez les Benjaminites et les Judéens comme des gens de gauche et de droite, des noirs et des blancs, des conservateurs et des progressistes ou quelques autres groupes qui s’opposent dans votre contexte.

Laissez infuser la gloire et la honte de chaque tribu. Pouvez-vous être un conteur réconciliateur au sein de votre propre peuple lorsqu’il parle de racisme, de COVID-19 ou d’élection présidentielle ? N’offrez pas de théories du complot ou des concepts académiques en vogue qu’ils seraient censés avoir appris la veille. Proposez-leur un récit posé et consistant qui n’épargne personne et transperce les cœurs.

Soyez concis. Concevez votre récit de manière à ce que les deux parties soient obligées d’admettre que vous avez intégré leur point de vue. Vous n’avez pas besoin de prononcer un jugement ; rappelez plutôt avec confiance que Dieu contrôle toujours la situation dans son ensemble. Bien raconter l’histoire est en soi influent et formateur. Et surtout, partagez-le de manière à ce que toute votre communauté puisse en faire l’expérience, ensemble. Si nous pouvons écouter une histoire ensemble et que nos enfants entendent leurs parents admettre « c’est vrai », il y a de l’espoir que nous puissions avancer vers la réconciliation.

Il y a tant en jeu dans une narration véridique. Des peuples se meurent faute d’un récit commun, poussés vers le schisme par des sources d’information partisanes. Si nous avons trop peur de leur raconter une histoire qu’ils peuvent tous accepter, même à contrecœur, ils ne perdureront pas en tant que communauté.

Les Benjaminites étaient les « perdants » historiques, mais ils ont gardé vivant le souvenir de ce qui était bon et de ce qui ne l’était pas. Finalement, ils se sont réconciliés avec le règne venu de Juda. C’est ainsi qu’ils ont fait partie du reste qui n’a pas été emporté avec les tribus du nord. Durant la période où le royaume d’Israël a été divisé en deux, les rois de Juda régnaient en fait sur Juda, Benjamin et une grande partie des Lévites. Ce récit a aidé à sauver le peuple de Benjamin de l’apostasie et de la destruction.

Les Benjaminites n’ont jamais oublié ni méprisé Saül, malgré tous ses défauts. Des siècles plus tard, un couple benjaminite de Tarse nommait fièrement son fils en son honneur. Nous le connaissons mieux sous le nom de Paul. Il a prêché la bonne nouvelle que le Messie, le Lion de Juda, le Fils de David, était Jésus crucifié et ressuscité des morts.

C’est tout le pouvoir réconciliateur d’une histoire courageuse et bien racontée.

Nolan Sharp est missionnaire de l’organisation Cru en Croatie et travaille avec des personnes engagées dans le monde des affaires.

Traduit par Teodora Haiducu

Édité en français par Léo Lehmann

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Books

Malgré les assauts de dimanche, les Églises ukrainiennes persévèrent

On parle de David près du fleuve Dniepr et des pasteurs russes appellent à la paix depuis Moscou.

La cathédrale Saint-Volodymyr se détache de l’horizon de la capitale pendant le couvre-feu du week-end, le 27 février à Kiev, en Ukraine.

La cathédrale Saint-Volodymyr se détache de l’horizon de la capitale pendant le couvre-feu du week-end, le 27 février à Kiev, en Ukraine.

Christianity Today February 28, 2022
Chris McGrath / Getty Images

Alors que les troupes russes rencontrent une résistance plus forte que prévu de la part des soldats et des citoyens ukrainiens à Kiev et dans d’autres villes, les pasteurs des deux nations ont adapté les célébrations dominicales en conséquence de la situation.

« Toute l’Église s’est mise à genoux pour prier pour notre président, pour notre pays et pour la paix », rapporte Vadym Kulynchenko à propos de son Église de Kamyanka, à 230 km au sud de la capitale. « Après le culte, nous avons proposé une formation aux premiers secours ».

Un temps a été consacré au partage de témoignages de ces pénibles journées de raids aériens. De nombreux psaumes ont été rappelés, et le message de Kulynchenko était centré sur Proverbes 29.25 : « C’est un piège que de trembler devant les hommes, mais se confier en l’Éternel procure la sécurité ».

À la chapelle du Calvaire de Svitlovodsk, vie ordinaire et chaos de la guerre se côtoient. Andrey et Nadya, déplacés de Kiev par les tirs de missiles russes jeudi, ont échangé leurs vœux de mariage et célébré une grande fête.

Le couple devait se marier ce week-end dans la capitale, mais il a dû trouver refuge dans l’église natale de Nadya, située à 300 km au sud-est, le long du fleuve Dniepr, pour célébrer un mariage à l’improviste.

« En plein milieu d’une guerre ? Quel sens cela a-t-il ? » a interrogé le missionnaire américain Benjamin Morrison. « C’est pendant la guerre que ça a le plus de sens. Quel meilleur rappel que la guerre ne peut pas détruire l’amour ? Et quelle meilleure façon de dire que nous servons un Roi placé au-dessus de tout cela que de se réjouir au milieu du chaos ? ». Le mariage a eu lieu samedi, comme prévu.

Dimanche, la communauté d’environ 80 personnes — qui commence tout juste à accueillir de nouveaux arrivants en quête de refuge — s’est rassemblée pour écouter un sermon sur David et Goliath.

« Oui, David a dû se battre. Oui, c’était difficile et effrayant, mais Dieu était son assurance », a conclu Morrison, engagé depuis 20 ans dans le pays et marié à une Ukrainienne. « Qu’il soit aussi la nôtre, et qu’il coupe la tête de l’ennemi ».

Dimanche 27 février, l’Ukraine affirmait que plus de 4300 soldats russes avaient été tués. La Russie n’a pas publié de chiffre officiel concernant ses pertes.

En ce qui concerne ses propres pertes, le ministère ukrainien de la Santé recensait dimanche soir plus de 350 morts et près de 1 700 blessés. Ce décompte combinerait les pertes civiles et militaires, mais distingue 14 enfants morts et 116 blessés.

Taras Dyatlik, directeur régional de la mission Overseas Council en Europe de l’Est et en Asie centrale, en a tiré le calcul suivant : en trois jours de combats, 40 soldats russes sont morts toutes les heures ; un soldat toutes les minutes et demie.

« Ce sont pour la plupart des enfants de 19 à 25 ans », déplore-t-il. « La profondeur de nos brisures humaines ne peut être guérie que par l’Esprit saint ».

Le métropolite Epiphanius, chef de l’Église orthodoxe d’Ukraine, indépendante de Moscou,, a plaidé en faveur de ces morts auprès du patriarche Kirill, chef de l’Église orthodoxe russe, basé à Moscou.

« Si vous ne pouvez pas élever la voix contre cette agression », a-t-il déclaré, « récupérez au moins les corps des soldats russes dont la vie a été sacrifiée pour les idées que vous et votre président vous faites du “monde russe”. »

Avant la guerre, le président Vladimir Poutine affirmait que l’Ukraine n’était qu’une extension de la Russie, sans existence historique indépendante. Selon Epiphanius, le gouvernement ukrainien a cherché à se coordonner avec le Comité international de la Croix-Rouge pour rapatrier les cadavres, mais n’a reçu aucune réponse de la Russie.

Kirill est dans une situation délicate car les croyants sous son autorité se trouvent de part et d’autre de la frontière. En 2019, le patriarche œcuménique de l’Église orthodoxe basé à Istanbul a reconnu l’indépendance de l’Église « orthodoxe d’Ukraine », tandis que de nombreuses paroisses en Ukraine ont rejeté cette décision et ont choisi de rester dans l’Eglise « orthodoxe ukrainienne » sous l’égide du patriarcat de Moscou, comme dans le passé. (Les chiffres exacts des paroisses ukrainiennes affiliées à l’Église orthodoxe d’Ukraine et à l’Église orthodoxe ukrainienne sont difficiles à déterminer)

Exprimant sa conviction que les parties belligérantes surmonteront leurs divisions et leurs désaccords, Kirill a appelé « l’ensemble tout entier de l’Église orthodoxe russe à offrir une prière spéciale et fervente pour le rétablissement rapide de la paix ». Au fondement de son propos, il a invoqué l’histoire commune séculaire des deux peuples.

Epiphanius, lui, a toutefois conclu son message au patriarche en notant que le calendrier de l’Église orthodoxe marque ce dimanche 27 février pour le souvenir du Jugement dernier.

Poutine a rehaussé le niveau d’alerte de ses forces nucléaires. Les alliés occidentaux de l’Ukraine non membre de l’OTAN ont renforcé leurs sanctions à l’encontre des principales banques et personnalités politiques russes, y compris Poutine. S’ils n’ont pas choisi l’option maximaliste consistant à couper complètement la Russie du système international SWIFT pour les transferts bancaires, beaucoup ont approuvé l’envoi d’une aide défensive supplémentaire à Kiev.

Pendant ce temps, onze séminaires protestants de l’Est de l’Europe — dont le Séminaire théologique de Kiev et le Séminaire évangélique réformé d’Ukraine — ont publié une déclaration commune sur Facebook, qui a été partagée par plus de 650 personnes.

« Nous sommes appelés à dire la vérité et à dénoncer la tromperie », déclarent-ils. « Nous […] condamnons fermement l’agression ouverte et injustifiée visant à détruire les institutions et l’indépendance de l’Ukraine et basée sur des mensonges flagrants » de Poutine « qui sont clairement contraires à la révélation de Dieu ». Ils écrivent encore :

Nous confessons le pouvoir réel et illimité de Dieu sur tous les pays et continents (Ps 24,1), ainsi que sur tous les rois et dirigeants (Pr 21.1) ; par conséquent, rien dans toute la création ne peut interférer avec l’accomplissement de la volonté bonne et parfaite de Dieu. Nous affirmons, avec les premiers chrétiens, que « Jésus est Seigneur », et non César.

Nous exprimons notre solidarité avec le peuple d’Ukraine. Nous partageons la douleur de ceux qui ont déjà perdu leurs proches. Nous prions pour que tous les plans de l’agresseur soient déjoués et mis à mal. Nous appelons toutes les personnes de bonne volonté dans le monde à résister aux mensonges et à la haine de l’agresseur. Nous appelons chacun à demander la cessation des hostilités et à exercer toute l’influence possible sur la Fédération de Russie afin de mettre un terme à cette agression injustifiée contre l’Ukraine.

Six de ces séminaires sont basés en Ukraine. Deux, restés anonymes, sont basés en Russie.

Quelques pasteurs russes se sont montrés encore plus audacieux.

Victor Sudakov, pasteur principal de la New Life Church à Ekaterinbourg, la quatrième plus grande ville de Russie, a changé sa photo de profil Facebook jeudi pour y intégrer un petit drapeau ukrainien. Samedi, il a changé sa photo de couverture pour afficher le drapeau et le tryzub, le trident doré des armoiries officielles de l’Ukraine.

L’action du pasteur pentecôtiste, qui fait partie de l’Union russe des chrétiens de foi évangélique-pentecôtiste (ROSKhVE), a suscité des centaines de commentaires. « Frère, j’ai toujours pensé et dit que tu étais un homme courageux », a déclaré l’un d’eux. « Ce que vous faites maintenant n’a pas de prix ! ».

Dimanche, Sudakov relayait une pétition sur le site Change.org destinée aux Russes qui s’opposent à la guerre en Ukraine. Plus de 960 000 personnes l’avaient signée dimanche soir.

Le 25, une déclaration officielle de ROSKhVE citait les Actes des Apôtres évoquant le fait que Dieu a fixé des limites à l’habitat des êtres humains (Ac 17.26). « Quelles qu’en soient les causes, la guerre est un mal terrible », peut-on y entendre. « Dieu nous a appelés à aimer [et] les valeurs premières ne devraient pas être les contours précis des frontières, mais les âmes humaines. »

Priant pour que la paix « soit rétablie aussi vite que possible », le communiqué appelait à jeûner « jusqu’à la résolution divine de ce conflit fratricide ».

Un peu comme Kirill, ROSKhVE met en avant l’unité séculaire entre les évangéliques russes et ukrainiens. De nombreux missionnaires envoyés par ces derniers, déclare le porte-parole, sont aujourd’hui pasteurs et évêques d’Églises. L’association espère que cette unité accélérera une réconciliation rapide.

« Je suis tellement désolé que mon pays ait attaqué son voisin », déclare Constantin Lysakov, pasteur de la Bible Church de Moscou. « Peu importe comment nous appelons cet événement, peu importe comment nous le justifions […] on ne peut pas nier sa responsabilité lorsque l’on se repent. Et nous devrions tous nous repentir de ce qui s’est passé. »

« Il n’y a qu’une seule source de réconfort dans tout cela pour moi », a-t-il écrit sur Facebook. « Le Christ est sur le trône, Dieu le Père tient tout entre ses mains, le Saint-Esprit remplit le cœur de ceux qui ont confiance en lui et rien ne peut triompher de sa puissance. Dieu accomplit les plus grandes œuvres de rédemption lorsque tout semble désespéré. […] Je prie pour la paix. »

Au début de la guerre, Evgueni Bakhmutsky tenait déjà le même discours.

« Mon âme est accablée, mon cœur est déchiré par l’horreur et la honte, et mon esprit est choqué par la folie humaine », déclarait le pasteur de la Russian Bible Church à Moscou. « Nous ne sommes pas des politiciens, nous sommes des enfants de Dieu. Nous ne sommes pas appelés à refaire la carte géopolitique du monde pour plaire à tel ou tel dirigeant. […] Que le monde voie que les enfants de Dieu s’aiment et s’acceptent les uns les autres, non pas à cause de leur langue [ou] de leur nationalité […], mais parce qu’ils ont été acceptés par le Christ. »

Un texte biblique souvent cité dans les Églises évangéliques russes le dimanche suivant le déclenchement de la guerre était le Psaume 2.1 : « Pourquoi les nations conspirent-elles et les peuples complotent-ils en vain ? »

D’autres Églises ont mis l’accent sur la solidarité et la prière.

Dimanche, dans toute la Russie, les quelque 700 églises des 26 unions protestantes qui composent la Communion panrusse des chrétiens évangéliques ont déclaré conjointement un temps de prière et de jeûne pour la paix, a déclaré Pavel Kolesnikov, ancien président de cette association et directeur régional pour l’Eurasie du Mouvement de Lausanne. « C’est notre manière d’agir », nous a-t-il déclaré.

Leur programme de prière comprend cinq points essentiels :

1) Pour la paix entre les peuples frères de Russie et d’Ukraine
2) Pour que les autorités et les dirigeants aient la crainte de Dieu, la force et la volonté de faire la paix.
3) Pour la sécurité du peuple ukrainien, ainsi que des chrétiens vivant en Ukraine dans les lieux de conflit armé
4) Pour l’Église, afin que Dieu la préserve des divisions et des conflits dans cette situation de tension.
5) Pour le discernement de la manière dont chaque association d’Églises peut répondre aux besoins des personnes touchées par la guerre

Dans sa propre Église, l’Église baptiste de Zelenograd à Moscou, Kolesnikov a demandé aux participants du service du matin de se donner la main — chaque homme, femme et enfant — pour prier pour la paix et la sagesse pour les gouvernements des deux pays. Son Église a également collecté des fournitures, comme le font de nombreuses Églises russes, pour aider les réfugiés ukrainiens dans les pays voisins.

« Ce n’est pas notre guerre », a-t-il déclaré. « Nous aimons nos frères et sœurs ukrainiens ».

S’associant au jeûne de dimanche, l’Union russe des baptistes chrétiens évangéliques a appelé les croyants à être des artisans de la paix.

« Bénis les nations agitées et envoie la paix, la repentance. Nous demandons ta miséricorde sur tous », a déclaré Sergey Zolotarevskiy, pasteur de l’Église baptiste centrale de Moscou, sans mentionner directement le conflit.

Oleg Alekseev, pasteur de la Source d’eau vive, la plus ancienne Église baptiste de Voronezh (en Russie centrale), a repris le Psaume 2 comme texte principal de son message.

« Les vraies victoires ne se produisent pas [sur les champs de bataille], et ce n’est pas là que prend naissance le bien », a-t-il dit. « Il prend naissance [dans l’Église], lorsque nous [prions] fidèlement pour les rois, les dirigeants et tous les peuples. »

Ruslan Nadyuk, pasteur de l'Église baptiste Parole pour l’âme à Moscou, a prêché que la réponse chrétienne appropriée à cette situation est celle de la prière incessante que le conflit soit résolu pacifiquement et selon la volonté de Dieu. Il s’est appuyé en ce sens sur Jacques 5.16 : « la prière du juste est puissante et efficace ».

Conditionnés par des décennies de persécution sous les tsars et les communistes, de nombreux croyants russes ont décidé que protester était au mieux inutile et au pire dangereux. Cela a eu pour effet d’approfondir leur vie de prière, déclare Andrey Shirin, professeur de théologie en Virginie, né en Russie, qui a étudié les sermons et les commentaires Facebook de pasteurs russes pour le compte de notre magazine.

« Lorsque des troubles apparaissent, les évangéliques russes n’en parlent pas beaucoup — en particulier lorsqu’ils sont de nature politique », explique Shirin. « Cependant, les évangéliques russes prient beaucoup. En fait, ils estiment que cette réponse est la plus puissante. »

Dans la même ligne, Bakhmutsky, le pasteur moscovite, déclarait sur Facebook, « ne vous empressez pas de juger les autres à travers le prisme de votre culture, de votre situation et de votre conscience. Ne pensez pas que la prière est quelque chose d’insignifiant ou d’inutile. Pour la plupart d’entre nous, c’est tout ce qui nous reste ».

Mais certains pasteurs ont été plus directs dans leurs commentaires.

Yuri Sipko, ancien président de la plus grande dénomination baptiste de Russie, a déclaré que les chrétiens devaient avant tout répondre par la prière. Jésus, cependant, pourrait répondre aux événements en Ukraine avec les mots de Jean 15.13 : « Il n’y a pas de plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis ». Pour les Ukrainiens, a-t-il dit, cela devrait être le principe directeur dans cette guerre.

Andrey Direenko a lui fait part de sa consternation. « La douleur, les larmes, les horreurs du sang versé déchirent nos cœurs », a déclaré l’évêque pentecôtiste de Iaroslavl, en Russie centrale. « Cela semble être un cauchemar, mais c’est l’horrible réalité ».

Et au milieu de cette réalité, des organisations chrétiennes ont répondu.

« Je demande à toutes les familles ayant des orphelins, ainsi qu’aux familles élevant des enfants handicapés et qui souhaitent se déplacer vers des zones plus sûres, d’écrire sous ce post », a déclaré Nicolai Kuleba, médiateur évangélique pour les enfants en Ukraine. « Laissez des commentaires, indiquez un numéro et nous vous contacterons ».

De nombreuses Églises en Ukraine fournissent des abris. Mais d’autres le font aussi à l’étranger. « Nous ne sommes qu’une petite Église, et notre capacité d’aide est donc limitée, peut-être à quelques dizaines de familles », a déclaré Péter Szabó, pasteur d’une Église presbytérienne à Budapest. « Mais notre plus grand espoir ne se trouve pas dans ce que nous pouvons ou allons faire, mais dans ce que notre Roi, le Seigneur Jésus-Christ, peut et va faire ».

Prêchant à partir d’Actes 13, il a rappelé que la vie chrétienne ne se résume pas aux échecs que nous pouvons connaître, mais que le « fil conducteur de la grâce de Dieu » donne au croyant un espoir certain pour l’avenir.

Ayant désespérément besoin d’une telle perspective, environ 78 000 réfugiés ont fui vers la Hongrie, affirme-t-il. Les Nations unies ont fait état d’une migration vers l’ouest totalisant 386 000 personnes, notamment en Pologne, en Slovaquie et dans d’autres pays limitrophes.

Des milliers d’Ukrainiens sont passés en Moldavie. À l’Église biblique de Kishinev, une congrégation non confessionnelle russophone de la capitale du pays, plusieurs familles de réfugiés ont assisté aux services pour la première fois dimanche matin.

L’Église et ses partenaires, des travailleurs dont les bureaux sont maintenant transformés en lieux d’hébergement, font la navette entre les réfugiés et les fournitures nécessaires depuis que la guerre a éclaté. Evghenii « Eugene » Solugubenco a été frappé par le sujet de prédication qu’il avait choisi plusieurs mois auparavant : la fidélité de Dieu.

« Ces mots ne signifient pas grand-chose pour nous lorsque nous allons manger l’après-midi après le culte. Mais quand vous êtes un réfugié, ils signifient beaucoup plus […] J’ai prié pour que Dieu étreigne ces gens et leur fasse savoir qu’il les aime parce qu’il est fidèle », a déclaré Solugubenco, qui a commencé son sermon avec Lamentations 3.23-24 : « [Ses compassions] se renouvellent chaque matin. Que ta fidélité est grande ! Je le déclare, l’Éternel est mon bien, c’est pourquoi je veux m’attendre à lui. »

« Les gens sont généralement assez réservés dans cette partie du monde », rapporte-t-il. « Ils ne viennent pas vers le pasteur après le culte. Mais aujourd’hui, ils l’ont fait. »

Et certains Ukrainiens voient l’action de Dieu.

« Les soldats et les officiers me disent qu’ils sont témoins de miracles venant d’en haut », rapporte Oleksiy Khyzhnyak, un pasteur pentecôtiste à Bucha, à 45 km au nord-ouest de Kiev, qui a été témoin des combats les plus violents de dimanche. « “Ces succès ne sont pas les nôtres”, m’ont-ils dit. »

Khyzhnyak a dit à Yuri Kulakevych, responsable des affaires étrangères pour l’Église pentecôtiste ukrainienne, que des roquettes s’écrasaient sans exploser et que des chars russes tombaient en panne de carburant. Les soldats, perdus dans des endroits inconnus, demandent aux villageois des indications et même du pain.

Une mission de distribution de pain parrainée par les Pays-Bas à Brovary, à 25 km à l’est de Kiev, a justement du mal à en fournir suffisamment. Elle approvisionne déjà le voisinage et les personnes déplacées de l’est du pays et espère pouvoir étendre ses activités aux hôpitaux et à l’armée ukrainienne.

Mais sous la pression du conflit, leur propre réservoir de main-d’œuvre se réduit et se dirige vers l’ouest. « Nous voudrions commencer à cuisiner 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, à partir de lundi, mais pour l’instant nous n’avons pas assez de boulangers. »

Morrison peut comprendre. Son Église, Calvary Chapel, vient d’acheter 1,5 tonne de farine. Mais comme de nombreux pasteurs nous l’ont exprimé, la situation est épuisante. Les sirènes d’alarme aérienne constantes ne laissent guère de répit. Les besoins immenses permettent peu de repos.

« Ce matin, je me suis réveillé avec l’impression qu’un camion venait de me rouler dessus », décrit-il, « mais bien que nous nous sentions tous épuisés, nous allons de l’avant, en croyant que le Christ nous a placés ici pour ce moment. »

Reportage additionnel de Kate Shellnutt.

Traduit par Léo Lehmann

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Une Ukrainienne avait besoin de prière. Un Russe a répondu.

Témoignage de deux amis chrétiens, séparés par les frontières, mais unis par leur passion pour l’évangélisation et leurs larmes face à la guerre

Alexey S. et Angela Tkachenko

Alexey S. et Angela Tkachenko

Christianity Today February 27, 2022
Image source fournie par Angela Tkachenko/Modifié par Christianity Today

Le texte suivant fait référence à une réunion de prière mondiale d’urgence organisée par Lausanne Europe le jeudi 24 février.

Angela Tkachenko :

Ma mère est entrée dans ma chambre au milieu de la nuit. « La guerre a commencé. »

Je vis à Sumy, une ville ukrainienne d’environ 250 000 habitants qui se trouve près de la frontière russe. Il y a une semaine, mon mari a insisté pour que je prenne nos enfants et ma mère et que je nous mette en sécurité. Nous sommes arrivés aux États-Unis, mais il est resté derrière.

Jeudi, j’ai immédiatement commencé à paniquer. Que se passait-il à Sumy ? Où était mon mari ? Était-il en sécurité ? Lorsque j’ai finalement pu le joindre, il m’a dit qu’il s’était réveillé au bruit des bombes. Il était maintenant pris dans les embouteillages en essayant de sortir de la ville en voiture. J’ai fait défiler sur mon téléphone des photos de longues files d’attente dans les stations-service et de personnes dormant dans les stations de métro, et j’ai lu l’annonce du gouvernement interdisant aux hommes âgés de 18 à 60 ans de quitter le pays. Reverrai-je mon mari ? Quand ? Ma grand-mère de 93 ans est seule… mon équipe… mes amis… notre maison…

J’ai lutté pour tenir toute la journée. Dans l’après-midi, j’ai rejoint une réunion de prière en ligne organisée par le Mouvement de Lausanne à la suite de l’invasion. Lorsque l’animateur m’a demandé comment j’allais, j’ai fondu en larmes. J’étais en colère. Je me sentais trahie, brisée et piétinée par la Russie. J’ai dit à tout le monde que j’avais peur pour mon mari et pour mes amis à Kiev qui priaient en ce moment pour savoir s’ils devaient évacuer.

Puis l’animateur a demandé si quelqu’un pouvait prier pour moi. Mon ami Alexey s’est porté volontaire. Mon ami russe, Alexey.

Alexey S. :

Je me suis réveillé jeudi matin en sursaut pour apprendre que mon pays avait envahi l’Ukraine. J’étais à Moscou pour un voyage dans le cadre de mon ministère, à plus de 3 000 kilomètres de ma famille à Novossibirsk, en Sibérie. C’était une matinée froide et j’ai regardé les nouvelles en silence tout en luttant pour prendre mon petit-déjeuner. La honte de voir mon pays déclencher une guerre contre un autre — un pays que j’ai visité pas moins de quatre ou cinq fois — a commencé à m’envahir. J’avais peur pour l’avenir du monde et je pleurais pour mes frères et sœurs ukrainiens qui allaient vivre ou mourir à la suite de cette décision.

Je suis né et j’ai grandi en Union soviétique, en Sibérie. Après l’effondrement de l’URSS, je suis devenu chrétien à l’âge de 23 ans après avoir entendu l’Évangile prêché dans le centre de rééducation de ma mère. Pour moi, trouver la foi en Christ était plus qu’accepter que j’étais enfant de Dieu — c’était réaliser que j’avais des frères et des sœurs dans le monde entier. L’une d’entre elles est mon amie ukrainienne, Angela.

J’ai rencontré Angela il y a sept ans, lors de la conférence de Lausanne à Jakarta. J’ai été frappé par son audace lorsqu’elle partageait l’Évangile. L’une de ses initiatives consistait à mobiliser des équipes pour entrer dans les boîtes de nuit de différentes villes ukrainiennes afin d’engager la conversation avec des personnes qui n’entreraient jamais dans une église ! Depuis lors, nous sommes devenus de bons amis et nous nous sommes soutenus mutuellement dans nos ministères. En 2018, Angela a amené une équipe à Moscou pendant la Coupe du monde de football pour partager l’Évangile dans les rues. Ces souvenirs ne cessaient de me revenir lorsque je regardais les informations.

Plus tard dans la journée, j’ai rejoint la réunion de prière de Lausanne et j’ai été reconnaissant de voir qu’Angela y était aussi. Cela m’a brisé le cœur d’entendre ce qu’elle et les autres Ukrainiens présents vivaient. Je me sentais mal à l’aise à l’idée que mon pays lui cause personnellement tant de détresse. Lorsque l’animateur a demandé qui se portait volontaire pour prier pour elle, j’ai répondu présent et j’ai commencé à parler à Dieu tout en pleurant.

Angela :

J’ai toujours aimé mes amis russes, même si, dans mon enfance, il n’y avait pas de « Russes » ou d’« Ukrainiens ». Nous formions tous une seule nation appelée l’Union soviétique. Enfant, j’ai souvent sauté dans un train qui partait à 17 heures de Sumy et arrivait à 11 heures le lendemain matin à Moscou, où vivent encore mes tantes et mes cousins. Avec le temps, les choses ont changé. En 2014, après l’annexion de la Crimée par la Russie, je me suis vite rendu compte que les Russes voyaient la situation tout à fait différemment de moi. Peu d’entre eux comprenaient d’où je venais. Parfois, on se moquait de moi.

En 2018, je me suis rendu à Moscou pour un voyage d’évangélisation de rue pendant la Coupe du monde. Pendant trois semaines, nous nous sommes tenus sur la Place Rouge, partageant l’Évangile et priant avec les Russes et les visiteurs du monde entier. Dix mois plus tard, 150 équipes de Russie s’étaient inscrites à la journée mondiale d’évangélisation du ministère que je sers. Beaucoup nous ont dit plus tard qu’ils n’osaient pas prêcher en public auparavant, mais qu’ils se sentaient inspirés après nous avoir vus. J’ai été touchée par la bravoure et le courage de nos frères et sœurs en Russie.

L’automne dernier, Alexey m’a demandé par téléphone quels étaient mes rêves pour atteindre la prochaine génération pour le Seigneur. Je lui ai dit que je cherchais des partenaires pour m’aider à diriger cinq stages missionnaires intensifs en Russie. Alexey a proposé de soutenir mes efforts et m’a ensuite fait part de ce qu’il avait à cœur. Il voulait réunir des responsables missionnaires de nos pays pour prier et partager des moments de convivialité autour d’une tasse de thé. Je me souviens m’être dit : « C’est le genre de leader que je suivrais, et je sais que les jeunes le feraient aussi. »

En entendant la prière sincère d’Alexey pour moi, ma famille et mon pays, l’Ukraine, je n’ai pu contenir mes larmes. Sa douleur était réelle. Ses paroles m’ont rappelé que je faisais partie d’une famille qui n’est pas fondée sur la nationalité, la couleur de la peau ou le statut. Il n’y a que Jésus.

Parmi toutes les personnes que Dieu aurait pu utiliser pour me réconforter ce jour-là, il a utilisé un frère russe pour me donner un aperçu de son cœur.

Alexey :

À la fin de ma prière, l’animateur m’a demandé comment je me sentais. Je leur ai dit que je me sentais très mal. J’avais terriblement honte des actions de mon pays.

Je n’oublierai jamais le regard de mes amis ukrainiens. Au lieu d’une condamnation, j’ai vu de la compassion. Angela a voulu prier pour moi. Elle a demandé à Dieu de se montrer aux chrétiens de Russie qui se sentaient impuissants et effrayés. Elle a prié pour un réveil en Russie et en Ukraine, un désir que nous partagions dans nos cœurs depuis des années.

Le jour où la Russie a envahi notre voisin, Dieu a utilisé une sœur ukrainienne pour me donner un nouvel aperçu de sa grâce.

Angela :

L’ennemi veut nous diviser dans ces jours, en semant la haine et la séparation entre l’Église en Ukraine et en Russie. J’ai mal quand je vois certains dirigeants chrétiens en Russie ne pas prendre ouvertement position pour l’Ukraine. Peut-être certains craignent-ils de se mettre en danger, eux ou leurs enfants, s’ils s’expriment. Je sais que la peur et le danger sont réels, et j’essaie de ne pas juger, car je ne suis pas Dieu. Mais c’est quand même douloureux.

Mais je crois que la chose la plus importante pour nous, chrétiens, est de nous rappeler que nous sommes une seule épouse, un seul corps du Christ. Son sang coule dans nos veines et nous sommes tous unis par son Esprit.

La Russie bombarde actuellement mon pays et tue mon peuple. Mais, au milieu de cette douleur, le corps du Christ doit rester uni, pleurer ensemble et prier ensemble. Mon cher ami Alexey en a donné l’exemple.

Alexey :

Frères et sœurs de Russie, d’Ukraine ou de tout autre pays, nous avons tous un seul Père céleste et nous sommes tous membres de la même famille. Cette guerre n’est pas une guerre entre nous. Peu importe vos opinions politiques ou votre théologie du pouvoir. Quand l’un de mes proches souffre, je veux être là pour lui.

À mes amis ukrainiens en particulier, merci d’être prêts à pleurer et à prier avec moi et d’accueillir mes sentiments de peur et de regret, malgré le fait que je sois russe. Cela me donne confiance que Satan sera vaincu une fois de plus, et que l’Église de Dieu continuera à démontrer l’amour de Jésus.

Angela Tkachenko est directrice de la mission Steiger Ukraine.

Alexey S. vit en Russie.

Article préparé selon un rapport fait à Sarah Breuel, directrice de Revive Europe et coordinatrice de la formation à l’évangélisation pour l’IFES Europe.

Cet article peut être lu ou partagé en ukrainien et en russe.

Traduit par Léo Lehmann

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

L’Église ukrainienne a besoin de plus de bibles.

Alors que l’Europe de l’Est est frappée par la guerre, beaucoup se tournent vers le secours des Écritures.

Des Ukrainiens prient sur la place centrale de Kharkiv, Ukraine.

Des Ukrainiens prient sur la place centrale de Kharkiv, Ukraine.

Christianity Today February 24, 2022
Image: Courtesy of Ukrainian Bible Society

Ces derniers dimanches matins en Ukraine, des murmures parcouraient les Églises : Il paraît que les soldats à la frontière orientale sont équipés de lance-roquettes portables. Le fils Bondarenko a reçu une balle dans la jambe ; on dit qu'il ne marchera plus jamais. Saviez-vous que les Kovals sont partis ? Certaines questions sont restées inexprimées : Serons-nous de nouveau ici la semaine prochaine ?

Ce jeudi, ces murmures se sont transformés en cris lorsqu'une les missiles se sont abattus sur plusieurs villes d’Ukraine.

L'invasion place l'Église ukrainienne au cœur du conflit, les dirigeants chrétiens devant faire face au désespoir et à l'incertitude de la population. Ils restent debout, unis et forts, et aident les Ukrainiens à trouver l'espoir dans la Parole de Dieu.

En tant que responsable de la Société biblique américaine, j'ai été en contact étroit avec mon ami et homologue Anatoliy Raychynets, secrétaire général adjoint de la Société biblique ukrainienne. Au cours des derniers mois, il m'a fait part de rapports difficiles à lire : des mères pleurant leur fils devant les hôpitaux, des enfants qui ne se souviennent pas du visage de leur père, des milliers de personnes désespérées et craintives.

Mais Anatoliy a aussi observé autre chose : des responsables d'Église travaillant ensemble pour la paix, et des personnes cherchant l'espoir dans les Écritures.

Dans l'Église d'Anatoliy, les gens ont peur de tout perdre. En réponse, il partage le Psaume 31 avec tous ceux qui cherchent le réconfort. Les gens sont souvent surpris d'entendre des mots qui, selon eux, auraient pu être écrits à Kiev en 2022 : « Béni soit l’Eternel, car il m’a témoigné son merveilleux amour lorsque je me trouvais dans une cité assiégée. » (v. 22).

Alors que les gens sont aux prises avec l'inconnu, beaucoup découvrent le message de la Bible pour la toute première fois. Selon Anatoliy, ces dernières semaines, les prêtres et les pasteurs se sont rendus en masse au magasin de la Société biblique à Kiev pour acheter des bibles. La demande est si forte qu'ils sont à court de stock.

C'est, selon Anatoliy, l'un de leurs plus grands défis : « Nous avons besoin de plus de bibles. »

Une autre ressource offerte par l'Église en Ukraine est l’accompagnement des traumatismes à partir de la Bible. Un programme introduit en ce sens il y a seulement six ans s'est avéré incroyablement efficace, notamment pour les familles de personnes tuées lors du conflit avec la Russie. Il permet aux responsables de communauté de guider de petits groupes de personnes à travers un processus de restauration.

Cette méthode est à présent disponible dans de nombreuses Églises du pays, mais la Société biblique ukrainienne n'arrive plus à répondre aux demandes de ressources et de formation.

Que pouvons-nous faire pour aider dans ce domaine ?

Nos frères et sœurs en Ukraine ont besoin de bibles pour les personnes qui cherchent du réconfort dans ces moments douloureux. Ils ont besoin de ressources pour offrir le baume des Écritures à leurs traumatismes. Et ils ont besoin que nous intercédions pour eux.

« Je vous demande, au nom de Jésus-Christ, à tous ceux qui peuvent prier, de nous garder dans vos prières », déclare le pasteur Viacheslav Khramov. « Aujourd'hui, la guerre a frappé notre pays. Nous demandons à tous ceux qui peuvent prier de prier pour nous. Priez pour l'Ukraine. Priez pour que les vies soient épargnées, ainsi que nos corps et nos âmes. »

Anatoliy, lui aussi, se fait l'écho de cette supplique.

De tout ce qu'il m'a dit, c'est la solidarité de l'Église ukrainienne, par-delà les confessions, les frontières et les partis, qui m'inspire le plus.

« Nous parlons à nos collègues en Russie », m'a-t-il dit. « Nous, responsables d'Église, nous parlons les uns aux autres, et nous prions ensemble. Nous sommes unis dans le Seigneur. »

Voilà précisément le message évangélique que nous sommes appelés à faire rayonner dans ce monde en souffrance : la Parole de Dieu peut réconcilier les ennemis, chasser le désespoir et guérir les cœurs qui souffrent.

C'est une image de l'Église unie que nous voyons briller en Ukraine. Au milieu de la guerre, des manœuvres politiques et des divisions, l'Église de Jésus-Christ continue de répandre l'Évangile et de bâtir le royaume.

Robert L. Briggs est président et directeur général de la Société biblique américaine.

Traduit par Léo Lehmann

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Books

Entre guerre et rumeurs de guerre, les pasteurs ukrainiens prêchent et se préparent

Dimanche dernier, les sermons portaient sur la paix, mais aussi sur les conséquences d’une éventuelle invasion russe. Depuis, Poutine a reconnu l’indépendance de Donetsk et de Louhansk.

La coupole d’une église orthodoxe détruite dans la ville d’Avdiivka, dans la région de Donetsk, située sur la ligne de front entre les forces ukrainiennes et les séparatistes soutenus par la Russie, le 21 février 2022.

La coupole d’une église orthodoxe détruite dans la ville d’Avdiivka, dans la région de Donetsk, située sur la ligne de front entre les forces ukrainiennes et les séparatistes soutenus par la Russie, le 21 février 2022.

Christianity Today February 24, 2022
Aleksey Filippov / AFP / Getty Images

Face à une guerre imminente, les évangéliques ukrainiens prêchaient la paix la veille de l’escalade spectaculaire des tensions causée par le président russe Vladimir Poutine, qui a reconnu lundi soir l’indépendance de deux régions ukrainiennes séparatistes.

« Allez à la rencontre de ceux qui sont contre vous ou qui vous combattent », déclarait dimanche 20 février Yuriy Kulakevych, responsable des affaires étrangères pour l’Église pentecôtiste ukrainienne, à son assemblée, l’Église pentecôtiste de la paix de Dieu, dans la capitale, Kiev.

« Nous ne voulons pas seulement jouir nous-mêmes de la paix, mais aussi la partager ».

Cette exhortation à la paix basée sur le Sermon sur la Montagne s’inscrit dans une série de prédications de Kulakevych autour de l’éventualité d’une invasion russe. Il y a cinq semaines, alors que le conflit séparatiste dans la région orientale du Donbass commençait à s’intensifier, il offrait un survol de la Bible et de ses enseignements sur « les guerres et les rumeurs de guerre ».

Il a poursuivi avec une application à la situation de l’appel à ne pas laisser nos cœurs se troubler et, le dimanche suivant, une réflexion sur l’inquiétude. La semaine dernière, il essayait d’inclure des exemples plus généraux dans un sermon sur Jésus apaisant la tempête, évoquant la pandémie ou les difficultés professionnelles et relationnelles. Mais la menace russe ne s’est pas dissipée.

« Protégez-vous et protégez votre famille par tous les moyens possibles », a recommandé Kulakevych à l’Église. « Et servez de modèle aux personnes en difficulté. »

Ce même esprit anime les baptistes d’Ukraine.

« Les pasteurs de la zone grise ne quittent pas la région », souligne Igor Bandura, premier vice-président de l’Union baptiste d’Ukraine, décrivant la ligne de front. « Les chrétiens sont déterminés à prendre une part active aux besoins des personnes qui les entourent. »

Ils ont déjà implanté 25 Églises durant les 5 dernières années.

À l’Église biblique d’Irpin, dans la banlieue de Kiev, Bandura a rapidement modifié le sermon qu’il avait préparé sur le mariage. Au lieu de cela, il s’est concentré sur la prière : pour la sagesse, le courage, les pasteurs dans les territoires occupés, l’armée nationale, et même les ennemis de l’Ukraine.

« Je ne sais pas dans quel état d’esprit vous êtes venus ici », a-t-il lancé à ses auditeurs, « mais je sais avec certitude que si vous ouvrez votre cœur au Seigneur, vous en sortirez renouvelés, fortifiés en Jésus-Christ, et prêts à relever tous les défis de notre vie. »

Le dimanche soir, à l’Église de la grâce des chrétiens évangéliques de Kiev, plus de 1 000 personnes étaient réunies pour prier pour l’unité, la paix et la bénédiction de l’Ukraine. Des représentants de nombreuses dénominations évangéliques étaient présents, affirme Jaroslaw Lukasik, directeur de Eastern Europe Reformation.

[Note de l’éditeur : vous trouverez plus d’exemples de prédications de dimanche dernier à la fin de l’article]

Depuis plusieurs semaines, l’Ukraine vit dans la tension, alors que des troupes russes, dont le nombre est estimé à 150 000, ont été massées à la frontière. Mais la « zone grise » connaît les épreuves depuis bien plus longtemps. Cette étendue de terre dans le Donbass, qui représente environ 40 villages, se situe entre la zone contrôlée par le gouvernement ukrainien et les milices soutenues par la Russie dans les régions occupées de Donetsk et de Louhansk.

En 2014, la Russie envahissait déjà l’Ukraine pour soutenir certains séparatistes, et annexait la péninsule de Crimée, au bord de la mer Noire. Elle a désormais reconnu l’indépendance des deux « républiques » autoproclamées de Donetsk et Louhansk.

La semaine dernière, Elijah Brown, de l’Alliance baptiste mondiale, a effectué une visite de solidarité à Kiev, la septième ville la plus peuplée d’Europe.

« La tension est palpable, on la ressent dans cet air glacé », a-t-il déclaré dans une vidéo depuis la capitale. « Si le chaos et la confusion devaient prévaloir, les Églises baptistes pourraient être des phares dans leur localité ».

Debout devant la cathédrale Sainte-Sophie, la plus ancienne église d’Ukraine, « rivale » du 11e siècle de Sainte-Sophie de Constantinople qui a contribué à la diffusion de la foi orthodoxe dans le monde russe, Brown a affirmé que les baptistes ont investi localement 2 millions de dollars dans l’aide, les secours et le développement.

L’Union ukrainienne des Églises baptistes évangéliques, plus grande communauté protestante d’Ukraine, dénombre 2 272 églises, 320 groupes missionnaires et 113 000 croyants adultes.

Beaucoup de ces croyants se mobilisent. Bandura explique que des plans sont en cours pour transformer les sous-sols des églises en centres pour réfugiés, tout en faisant des réserves de fournitures. Des membres ayant une formation médicale se préparent à servir.

« Nous espérons vraiment que notre maison de prière ne sera pas nécessaire pour abriter des personnes », déclare Volodymyr Nesteruk, pasteur de l’Église baptiste de la régénération à Rivne, à 320 km à l’ouest de Kiev. « Mais nous nous préparons pour que les gens puissent venir ici, si nécessaire, pour trouver la sécurité et un abri ».

Loin de la zone grise orientale, Rivne n’est qu’à 160 km au sud de la frontière avec la Biélorussie, un allié de la Russie où 9 000 soldats se sont rassemblés pour des exercices de combat.

Mais les préparatifs se font encore plus à l’ouest.

« Si quelque chose arrive, nous vous ouvrirons nos maisons et nos églises », a déclaré Yaroslav Pyzh, président du Séminaire baptiste de Lviv, à seulement 60 km à l’est de la Pologne.

Ces derniers jours, les autorités ukrainiennes ont tenté de minimiser la menace d’une invasion, notamment depuis le nord de la Biélorussie. Les troupes rassemblées là-bas ne sont pas suffisantes pour un assaut rapide sur Kiev, estiment-elles.

Mais le conflit s’est intensifié dans le Donbass, menaçant même l’unité entre baptistes.

« Des chrétiens sont contraints de prendre les armes contre l’Ukraine », a déclaré un pasteur de Louhansk qui a requis l’anonymat, faisant référence à des rapports qu’il a reçus des Églises locales.

« Les frères ont reçu des convocations indiquant qu’ils devaient se présenter à l’administration militaire. […] En cas de désobéissance, ils devront rendre des comptes. »

Depuis 2014, environ 14 000 personnes ont été tuées dans cette guerre. Mais jusqu’à présent, la tendance était à la baisse. Seuls 25 civils ont été tués en 2021, le chiffre le plus bas depuis le début du conflit.

Les positions ukrainiennes ont été bombardées 80 fois dimanche, selon un porte-parole militaire. Deux soldats ont été tués, et les troupes ont reçu l’ordre de ne pas riposter. Les autorités séparatistes ont toutefois déclaré que quatre civils avaient été tués par les bombardements ukrainiens.

Les évangéliques du Donbass rapportent des informations contradictoires.

Dans le cadre de la conscription générale annoncée samedi dernier, seuls les femmes, les enfants et les personnes âgées sont autorisés à quitter les zones occupées, rapporte le pasteur anonyme de Louhansk. Environ 100 000 personnes l’ont fait, recevant 10 000 roubles russes (environ 127 dollars) dans des camps de réfugiés près du port de Rostov sur la mer Noire. Mais il n’y a aucune raison d’évacuer, dit-il, car l’armée ukrainienne n’avance pas.

Pavel Karamyshev, qui dirige un camp évangélique à Donetsk, confirme les informations sur les bombardements et les migrations massives. Mais il ajoute que les deux camps tirent, bien qu’il ne soit pas sûr de qui est à l’origine des tirs.

« Le Seigneur est vivant, et béni soit notre protecteur, » dit-il, « intensifions les prières pour la protection du Donbass ».

Ses propos ont été adressés à Vitaly Vlasenko, secrétaire général de l’Alliance évangélique russe, qui avait du mal à penser que l’Ukraine pouvait être derrière les bombardements.

« Il ne serait pas sage pour l’Ukraine de commencer quoi que ce soit ; ne provoquez pas d’agression », a-t-il déclaré, « il se passe quelque chose de malsain ».

Confiant que la Russie n’est pas non plus directement à l’origine de la situation, il estime que les provocations pouvaient venir de n’importe quel côté. Peut-être l’armée a-t-elle cherché à faire échouer les négociations entre le président russe Vladimir Poutine et le président américain Joe Biden.

Mais au regard de l’histoire tsariste et soviétique, il craint que les rebelles ne puissent déclencher les hostilités pour ensuite appeler la Russie à l’aide.

L’Église de l’Annonciation des baptistes chrétiens évangéliques de Vlasenko, à Moscou, a organisé une prière spéciale pour la paix et la réconciliation dimanche.

Bien qu’il n’y ait pas eu d’accent particulier sur le sujet dans son sermon, le pasteur adjoint Vladimir Tripolski a partagé un témoignage poignant de sa fuite avec sa famille depuis la Tchétchénie, deux décennies plus tôt, lorsque les séparatistes musulmans se battaient pour obtenir leur indépendance de la Russie. « Je ne savais pas où j’irais, mais une Église baptiste m’a offert un abri », a raconté Tripolski, suscitant l’émotion de l’auditoire. « Ouvrons nos cœurs aux réfugiés ».

Vlasenko rapporte que des discussions sont en cours sur la façon dont l’Alliance évangélique russe peut aider dans les camps établis aux alentours de Rostov.

Brown a exprimé ses remerciements aux Ukrainiens et aux Russes qui rendent un témoignage fidèle.

« En tant que famille baptiste enracinée en Jésus-Christ comme Seigneur », dit-il, « nous témoignons de la vérité biblique selon laquelle si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ».

Certains Ukrainiens, cependant, interpellent les Russes.

« Est-ce que vous chantez encore des chants “spirituels” le dimanche […] malgré le sang versé quotidiennement, en votre nom, par vos troupes, par votre gouvernement d’assassins, de menteurs et d’usurpateurs ? » demande Gennadiy Mokhnenko, pasteur de l’Église des bons changements. « Continuez, ne vous laissez pas distraire de votre […] faux christianisme ».

Mokhnenko, actif dans le ministère auprès des orphelins, a des raisons de craindre que de nouveaux enfants se retrouvent dans le besoin. Son Église se trouve à Marioupol, à 50 km de la frontière russe. C’est la deuxième plus grande ville de la région de Donetsk et sa capitale de substitution, car elle reste sous le contrôle du gouvernement ukrainien, non loin des lignes de front du conflit.

Dans cette situation instable, Poutine et Biden avaient provisoirement convenu d’un prochain sommet dans le courant du mois, à condition qu’il n’y ait pas d’invasion. Mais la reconnaissance de l’indépendance des deux régions séparatistes et a projet d’envoi de troupes de « maintien de la paix » compromettent vraisemblablement. la rencontre.

On ne sait pas encore si des troupes russes sont déjà arrivées sur le territoire souverain ukrainien.

Malgré l’escalade actuelle, le pasteur anonyme de Louhansk déclarait en début de semaine que les épiceries et les réseaux de communication restent ouverts, bien que des files d’attente pour le gaz aient commencé à se former. Yuriy Ochkalov, pasteur de l’Église Maison de l’Évangile à Donetsk, postait un appel à la prière, tout en notant le beau temps dominical devant son lieu de culte.

« Si l’occupation de ces territoires préfigure ce qui peut arriver à l’Ukraine », déclare cependant Brown, rappelant que les baptistes ont été désignés comme terroristes et que 40 de leurs églises du Donbass ont été fermées, « cela devrait nous amener tous à prier avec plus de ferveur. »

Bandura est du même avis, et espère la victoire. « Nous croyons que l’Éternel des armées bénira l’Ukraine et que les plans du diable et de ses serviteurs seront détruits. »

Kulakevych, cependant, renvoie ce même propos à sa congrégation et à tous ceux qui l’écoutent. Aussi périlleuse que soit la situation politique, il se déroule un combat spirituel plus important.

« Face à la menace croissante de la guerre, nous restons les ambassadeurs du Christ », a-t-il conclu son sermon. « La paix vient par la réconciliation avec Dieu ».

En quelques mots, exemples de sermons de pasteurs baptistes ukrainiens du dimanche 20 février :



• Les chrétiens ne doivent pas être intimidés, prêchait Vasyl Furta à Vyshneve, près de Kiev. Se concentrant sur Esaïe 41.13, où Dieu dit qu’il tient notre main droite, le pasteur a rappelé aux croyants la présence de Dieu, sa force et son soutien.

• « Pourquoi Dieu permet-il la guerre ? » interrogeait Pavlo Marchenko à Shostka, à 320 km au nord-est de Kiev, près de la frontière entre la Russie et la Biélorussie. Prêchant sur le Psaume 135.6 selon lequel le Seigneur fait ce qui lui plaît, le pasteur a rassuré les auditeurs en leur disant que Dieu n’est pas indifférent aux Ukrainiens. Mais parfois, il nous « troublera », a déclaré le pasteur, afin que les gens se tournent vers lui dans la repentance, tant pour eux-mêmes que pour leur peuple.

• Dieu est notre protection et notre aide, a prêché Alexander Pakhai à Dubno, à environ 300 km à l’ouest de Kiev. Mais en s’appuyant sur des exemples tirés du Psaume 44, le pasteur a rappelé aux auditeurs que si Dieu délivre parfois miraculeusement, il peut aussi conduire son peuple à travers des temps de désolation. Dans tous les cas, il agit pour sa gloire, pour que les humains sachent qu’il est Dieu.

• « Notre foi est-elle suffisante ? » a demandé Eduard Bondarovsky à Korsun-Shevchenkivskyi, à 140 km au sud de Kiev. Tirant une comparaison avec un nageur capable de naviguer sur une petite rivière, mais pas en haute mer, le pasteur a prévenu que les troupes qui pourraient traverser la frontière sont loin d’être des amis. Serons-nous prêts à persévérer dans l’espérance, a-t-il lancé aux croyants, certains que Dieu est toujours notre protecteur ?

• La guerre est arrivée aux portes de la ville lorsque le peuple s’est choisi de nouveaux dieux, a relevé Dmytro Polyarush à Zhashkiv, également à environ 140 km au sud de Kiev. Prêchant sur Samson à partir du livre des Juges, le pasteur a rejeté l’idée que Dieu se réjouit de tels châtiments. Au contraire, Polyarush a encouragé les fidèles en leur disant que Dieu était déjà à l’œuvre pour préparer le prochain libérateur.

• Soyez reconnaissants pour les renseignements américains et britanniques, a déclaré Vyacheslav Shcherbakov à Zhytomyr, à 135 km à l’ouest de Kiev. Comparant la Russie à l’adversaire de Néhémie, Tobija, en Néhémie 4, le pasteur a fait remarquer que le travail des espions a permis de déjouer l’agression contre Jérusalem. Ni Poutine, ni personne d’autre ne peut nous séparer de l’amour de Dieu, a-t-il souligné.

Traduit par Léo Lehmann

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Une nouvelle perspective sur la sexualité chrétienne ?

Des évangéliques contestent aujourd’hui la « culture de la pureté » qui a beaucoup influencé le discours sur la sexualité dans leur milieu. Nous avons besoin d’aborder le sujet autrement.

Christianity Today February 23, 2022
Image: Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: Marina Reich / Unsplash

J’aimerais avoir gardé mes exemplaires des livres sur la sexualité et les fréquentations qui étaient populaires dans ma jeunesse, pour voir ce que la jeune fille de quinze ans que j’étais y avait souligné. Je suis sûre que j’y avais glissé quelque part une liste intitulée « Comment je voudrais que mon futur mari soit » (pour être honnête, la liste devait être plutôt courte : Jonathan Taylor Thomas, un acteur que j’admirais).

J’ai racheté et relu ces livres quand j’ai écrit Talking Back to Purity Culture (« En réponse à la culture de la pureté »). Alors que je revisitais les mots qui ont tant façonné ma génération, j’ai été frappée par le poids des croyances que j’avais intériorisées. Je me suis sentie embarrassée de réaliser qu’une si grande partie de ce que j’avais accepté comme vrai n’avait rien à voir avec la sexualité biblique ou la grâce de Dieu.

Before You Meet Prince Charming (« Avant que tu ne rencontres le prince charmant ») de Sarah Mally dépeint le cœur de la femme comme un gâteau au chocolat. Si quelqu’un en mange un morceau avant la fête (c’est-à-dire le mariage), le gâteau, et donc sa valeur relationnelle à elle, n’est plus complet. Dans l’introduction de Every Young Woman’s Battle (« Le combat de toute jeune femme »), Stephen Arterburn avertit les lectrices que chaque fois qu’un homme a une relation sexuelle avec une femme il lui prend « un morceau de son âme ».

Ces messages non bibliques sur la valeur de l’être humain, qui vont clairement à l’encontre de la théologie de l’imago Dei, s’accompagnaient de fausses promesses de mariage, de relations sexuelles épanouies et d’enfants pour quiconque pratiquait l’abstinence prénuptiale. Cependant, c’est peut-être le message d’ensemble, désignant les femmes comme responsables de la pureté sexuelle des deux sexes, qui m’a le plus accablée en tant qu’adolescente grandissant dans l’Église.

Dans leur livre, Réservé aux copines, Shaunti Feldhahn et Lisa A. Rice déclarent que « les adolescents sont en conflit avec leurs puissantes pulsions physiques » et que « beaucoup de garçons ne se sentent ni capables ni responsables de mettre un frein au développement de la sexualité ». Leur conclusion, adressée aux femmes ? « Les garçons ont besoin de votre aide pour vous protéger tous les deux. »

Je me souviens que, malgré que cela soit contraire aux paroles de Jésus, je croyais que les hommes étaient vraiment incapables de contrôler leur convoitise si les femmes n’assumaient pas la responsabilité de s’habiller et d’agir de manière à l’éteindre. Ces livres m’ont clairement enseigné que la responsabilité du péché sexuel et de la tentation — et même de l’agression — reposait entièrement sur les épaules des femmes. Les tactiques utilisées, les mensonges insérés entre des versets bibliques et les fausses promesses m’ont laissée complètement ébahie. J’ai grincé des dents. J’ai pleuré. Il m’est même arrivé de jeter un livre à travers la pièce.

Un mouvement croissant de chrétiens conservateurs ressent un saint mécontentement envers la façon dont le mouvement évangélique a abordé les sujets de la sexualité, du mariage et du genre dans le passé. Nous avons vu des enseignements nuisibles et non bibliques être perpétués pendant beaucoup trop longtemps, et une nécessaire remise en question est en cours.

Sheila Wray Gregoire, blogueuse et auteure de The Great Sex Rescue (« Le grand sauvetage du sexe »), a vu sa propre perspective changer en en apprenant davantage sur les expériences des femmes dans les mariages chrétiens, notamment grâce à une enquête à large échelle sur la satisfaction conjugale, la foi et les croyances sur la sexualité.

« J’ai passé toute l’année dernière à supprimer d’anciens articles de blog et à demander que mes plus vieux livres ne soient pas réédités », m’a-t-elle dit. « Je révise et j’améliore. Je veux m’assurer que les informations que je donne sont réellement saines. »

Elle espère que les auteurs chrétiens populaires qui ont promu ce qu’elle considère comme des messages trompeurs et nuisibles sur la sexualité et le mariage, notamment Emerson Eggerichs (Amour et respect) et Stephen Arterburn et Fred Stoeker (Le combat de tous les hommes), feront de même.

Même si nos yeux s’ouvrent sur les lacunes et les erreurs des enseignements passés, il n’est pas facile d’articuler ce que nous devrions enseigner à la place. Si nous n’enseignons pas les principes de la culture de pureté des années 1990, que devrions-nous enseigner à nos enfants sur la sexualité ?

Enseigner le discernement

La question qu’on me pose le plus souvent est « Quel livre pourrais-je donner à mon adolescent ? » Les livres sont tangibles. On peut les toucher, les recommander et en corner les pages. Dans mon contexte américain, si vous signez une « carte d’engagement à la pureté », vous pouvez l’épingler sur votre tableau d’affichage à la maison ou la glisser dans un journal intime. Si vous achetez une « bague de pureté », vous pouvez la porter à votre doigt tous les jours. Nous aimons tenir l’obéissance entre nos mains.

Or, je crains que dans nos tentatives de réformer les enseignements du passé nous pourrions facilement tomber dans l’erreur d’échanger les anciennes règles contre de nouvelles, puis traiter ces dernières comme la plus récente définition de la sagesse, de l’obéissance et du christianisme pour tous les croyants.

Nos nouvelles règles pourraient paraître différentes, mais devenir rapidement tout aussi dogmatiques et extrabibliques. Les règlements noir sur blanc concernant ces sujets — comme la question de s’embrasser ou non en dehors du mariage, ou à quel âge les adolescents peuvent commencer à se fréquenter — peuvent diminuer notre besoin d’étudier la Parole de Dieu, de pratiquer le discernement et de développer nos propres convictions.

Certes, les enfants et les adolescents ont besoin de conseils, et il est sage d’avoir certaines règles et une structure familiales. Mais nous sous-estimons les adolescents si nous les croyons incapables de faire face à ces questions. Donnez-leur une chance. (Vous pourrez toujours utiliser votre droit de veto !) Avoir des conversations peut sembler plus intimidant qu’imposer une loi, mais au bout du compte, cela donnera à vos enfants les outils nécessaires pour gérer ces enjeux avec sagesse et discernement longtemps après qu’ils auront quitté vos soins.

La culture de la pureté est partie de concepts bibliques. La sainteté est biblique, tout comme les avertissements contre l’immoralité sexuelle. Néanmoins, je me demande comment les choses auraient été pour beaucoup d’entre nous si, au lieu que le groupe de jeunes de l’Église se transforme encore et encore en lieu de débat autour du thème des fréquentations, nous avions étudié ensemble en profondeur les attributs de Dieu. Ou encore si, au lieu d’organiser des défilés de mode pudique, nous nous étions penchés sur les Évangiles et sur la vie du Christ. En isolant certaines notions bibliques et en leur donnant une importance démesurée, nous risquons non seulement de tomber dans des erreurs d’interprétation, mais aussi de créer notre propre version du christianisme, de la justice et même du salut.

Quand j’enseignais l’anglais au lycée, les élèves me demandaient souvent : « Qu’y aura-t-il à l’examen ? » Ils le demandaient si souvent que j’ai cessé de leur faire passer des examens pour remplacer ceux-ci par des devoirs et des projets que je leur attribuais. Cette méthode les obligeait à avoir une réflexion plus profonde et nuancée et, bien sûr, à travailler plus. Mais il n’y avait pas que les étudiants qui auraient préféré des réponses plus claires et directes. En tant qu’enseignante, il m’aurait été plus facile d’ouvrir un roman et de leur dire quoi penser, de leur expliquer une vision du monde au lieu de leur demander de comprendre par eux-mêmes à travers notre lecture en groupe. Enseigner la littérature avec nuances et réflexion demande plus de temps et de discussions, et plus de frustrations. Mais cela en valait la peine.

Le discernement est une démarche à long-terme. Si nous remplaçons la culture de la pureté par une nouvelle série de livres et de conférences qui disent quoi faire ou ne pas faire, nous allons immédiatement retomber dans des pratiques analogues. Lorsque nos enfants sont petits, il est possible de coller une liste de règles sur le réfrigérateur. Les enfants ont besoin de directives claires. Ils sont encore en croissance et n’ont pas la capacité de considérer les choses avec le discernement d’un adulte. Il y a un temps pour des règles non scripturaires comme « Ramassez vos jouets avant d’en sortir d’autres » ou « Pas de collations sucrées avant le dîner ». En tant que chrétiens matures, par contre, nous ne pouvons pas nous contenter de nous nourrir de lait.

« Celui qui continue à se nourrir de lait n’a aucune expérience de la parole qui enseigne ce qu’est la vie juste : car c’est encore un bébé. Les adultes, quant à eux, prennent de la nourriture solide : par la pratique, ils ont exercé leurs facultés à distinguer ce qui est bien de ce qui est mal. » (Hé 5.13-14 – Bible du Semeur)

L’Église n’a pas besoin d’un nouvel ensemble amélioré de règles pour la sexualité. Nous avons besoin de formation spirituelle. Lorsque nous créons des normes extrabibliques pour réguler ce qui appartient aux zones grises et complexes de l’Écriture, que ces règles soient conservatrices ou progressistes, nous enlevons aux chrétiens la possibilité de discuter, de réfléchir en profondeur, de lutter avec la Parole de Dieu et d’être transformés à l’image de Christ.

En réforme constante

Un passage du nouveau livre de Sheila Grégoire dit ceci : « En tant que culture, il est important que nous regardions en face les dommages que nous avons causés — même par accident — pour pouvoir avancer vers la vie abondante que Jésus veut pour nous. » Mon mari Evan m’a suggéré un terme emprunté à la Réforme protestante pour désigner ce processus : semper reformanda, ou « toujours à réformer ».

Nous devons être prêts à humblement jeter un regard en arrière sur les choses que nous avons crues et enseignées. Dans cette constante réforme, notre objectif est de nous conformer de plus en plus à la Parole de Dieu et à la personne de Jésus-Christ. Ce n’est pas Dieu qui a besoin d’être réformé, mais nos propres cœurs et notre compréhension.

Il viendra un temps où nous reconsidérerons cette période actuelle de l’histoire de l’Église, celle où les chrétiens ont décidé de réévaluer la culture de pureté. Nous découvrirons des critiques qui ont dévié de l’Évangile, et des retours de balanciers qui auront besoin d’être à leur tour corrigés. Mon livre sera sur la liste. D’autres y seront aussi. C’est comme ça que ça fonctionne.

Nous sommes des disciples imparfaits, luttant sans cesse pour mieux comprendre Dieu et sa Parole. Nous ferons des erreurs en cours de route qui nous montreront notre besoin de réflexion régulière. De réévaluation. De réforme. L’humilité est nécessaire non seulement pour la conversion mais aussi pour toute la vie chrétienne.

Dans tout ce que nous faisons, disons et prônons, nous devons prendre le temps de nous arrêter et de nous demander : « Cela vient-il vraiment de Christ ? » C’est un travail fatigant, mais saint.

Rachel Joy Welcher est l’autrice de Talking Back to Purity Culture : Rediscovering Faithful Christian Sexuality (« En réponse à la culture de la pureté : redécouvrir la sexualité chrétienne authentique »). Elle est chroniqueuse et rédactrice au magazine Fathom .

Traduit par Émilie Leblanc Tremblay

Édité par Léo Lehmann

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Apple PodcastsDown ArrowDown ArrowDown Arrowarrow_left_altLeft ArrowLeft ArrowRight ArrowRight ArrowRight Arrowarrow_up_altUp ArrowUp ArrowAvailable at Amazoncaret-downCloseCloseEmailEmailExpandExpandExternalExternalFacebookfacebook-squareGiftGiftGooglegoogleGoogle KeephamburgerInstagraminstagram-squareLinkLinklinkedin-squareListenListenListenChristianity TodayCT Creative Studio Logologo_orgMegaphoneMenuMenupausePinterestPlayPlayPocketPodcastRSSRSSSaveSaveSaveSearchSearchsearchSpotifyStitcherTelegramTable of ContentsTable of Contentstwitter-squareWhatsAppXYouTubeYouTube