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Entre guerre et rumeurs de guerre, les pasteurs ukrainiens prêchent et se préparent

Dimanche dernier, les sermons portaient sur la paix, mais aussi sur les conséquences d’une éventuelle invasion russe. Depuis, Poutine a reconnu l’indépendance de Donetsk et de Louhansk.

La coupole d’une église orthodoxe détruite dans la ville d’Avdiivka, dans la région de Donetsk, située sur la ligne de front entre les forces ukrainiennes et les séparatistes soutenus par la Russie, le 21 février 2022.

La coupole d’une église orthodoxe détruite dans la ville d’Avdiivka, dans la région de Donetsk, située sur la ligne de front entre les forces ukrainiennes et les séparatistes soutenus par la Russie, le 21 février 2022.

Christianity Today February 24, 2022
Aleksey Filippov / AFP / Getty Images

Face à une guerre imminente, les évangéliques ukrainiens prêchaient la paix la veille de l’escalade spectaculaire des tensions causée par le président russe Vladimir Poutine, qui a reconnu lundi soir l’indépendance de deux régions ukrainiennes séparatistes.

« Allez à la rencontre de ceux qui sont contre vous ou qui vous combattent », déclarait dimanche 20 février Yuriy Kulakevych, responsable des affaires étrangères pour l’Église pentecôtiste ukrainienne, à son assemblée, l’Église pentecôtiste de la paix de Dieu, dans la capitale, Kiev.

« Nous ne voulons pas seulement jouir nous-mêmes de la paix, mais aussi la partager ».

Cette exhortation à la paix basée sur le Sermon sur la Montagne s’inscrit dans une série de prédications de Kulakevych autour de l’éventualité d’une invasion russe. Il y a cinq semaines, alors que le conflit séparatiste dans la région orientale du Donbass commençait à s’intensifier, il offrait un survol de la Bible et de ses enseignements sur « les guerres et les rumeurs de guerre ».

Il a poursuivi avec une application à la situation de l’appel à ne pas laisser nos cœurs se troubler et, le dimanche suivant, une réflexion sur l’inquiétude. La semaine dernière, il essayait d’inclure des exemples plus généraux dans un sermon sur Jésus apaisant la tempête, évoquant la pandémie ou les difficultés professionnelles et relationnelles. Mais la menace russe ne s’est pas dissipée.

« Protégez-vous et protégez votre famille par tous les moyens possibles », a recommandé Kulakevych à l’Église. « Et servez de modèle aux personnes en difficulté. »

Ce même esprit anime les baptistes d’Ukraine.

« Les pasteurs de la zone grise ne quittent pas la région », souligne Igor Bandura, premier vice-président de l’Union baptiste d’Ukraine, décrivant la ligne de front. « Les chrétiens sont déterminés à prendre une part active aux besoins des personnes qui les entourent. »

Ils ont déjà implanté 25 Églises durant les 5 dernières années.

À l’Église biblique d’Irpin, dans la banlieue de Kiev, Bandura a rapidement modifié le sermon qu’il avait préparé sur le mariage. Au lieu de cela, il s’est concentré sur la prière : pour la sagesse, le courage, les pasteurs dans les territoires occupés, l’armée nationale, et même les ennemis de l’Ukraine.

« Je ne sais pas dans quel état d’esprit vous êtes venus ici », a-t-il lancé à ses auditeurs, « mais je sais avec certitude que si vous ouvrez votre cœur au Seigneur, vous en sortirez renouvelés, fortifiés en Jésus-Christ, et prêts à relever tous les défis de notre vie. »

Le dimanche soir, à l’Église de la grâce des chrétiens évangéliques de Kiev, plus de 1 000 personnes étaient réunies pour prier pour l’unité, la paix et la bénédiction de l’Ukraine. Des représentants de nombreuses dénominations évangéliques étaient présents, affirme Jaroslaw Lukasik, directeur de Eastern Europe Reformation.

[Note de l’éditeur : vous trouverez plus d’exemples de prédications de dimanche dernier à la fin de l’article]

Depuis plusieurs semaines, l’Ukraine vit dans la tension, alors que des troupes russes, dont le nombre est estimé à 150 000, ont été massées à la frontière. Mais la « zone grise » connaît les épreuves depuis bien plus longtemps. Cette étendue de terre dans le Donbass, qui représente environ 40 villages, se situe entre la zone contrôlée par le gouvernement ukrainien et les milices soutenues par la Russie dans les régions occupées de Donetsk et de Louhansk.

En 2014, la Russie envahissait déjà l’Ukraine pour soutenir certains séparatistes, et annexait la péninsule de Crimée, au bord de la mer Noire. Elle a désormais reconnu l’indépendance des deux « républiques » autoproclamées de Donetsk et Louhansk.

La semaine dernière, Elijah Brown, de l’Alliance baptiste mondiale, a effectué une visite de solidarité à Kiev, la septième ville la plus peuplée d’Europe.

« La tension est palpable, on la ressent dans cet air glacé », a-t-il déclaré dans une vidéo depuis la capitale. « Si le chaos et la confusion devaient prévaloir, les Églises baptistes pourraient être des phares dans leur localité ».

Debout devant la cathédrale Sainte-Sophie, la plus ancienne église d’Ukraine, « rivale » du 11e siècle de Sainte-Sophie de Constantinople qui a contribué à la diffusion de la foi orthodoxe dans le monde russe, Brown a affirmé que les baptistes ont investi localement 2 millions de dollars dans l’aide, les secours et le développement.

L’Union ukrainienne des Églises baptistes évangéliques, plus grande communauté protestante d’Ukraine, dénombre 2 272 églises, 320 groupes missionnaires et 113 000 croyants adultes.

Beaucoup de ces croyants se mobilisent. Bandura explique que des plans sont en cours pour transformer les sous-sols des églises en centres pour réfugiés, tout en faisant des réserves de fournitures. Des membres ayant une formation médicale se préparent à servir.

« Nous espérons vraiment que notre maison de prière ne sera pas nécessaire pour abriter des personnes », déclare Volodymyr Nesteruk, pasteur de l’Église baptiste de la régénération à Rivne, à 320 km à l’ouest de Kiev. « Mais nous nous préparons pour que les gens puissent venir ici, si nécessaire, pour trouver la sécurité et un abri ».

Loin de la zone grise orientale, Rivne n’est qu’à 160 km au sud de la frontière avec la Biélorussie, un allié de la Russie où 9 000 soldats se sont rassemblés pour des exercices de combat.

Mais les préparatifs se font encore plus à l’ouest.

« Si quelque chose arrive, nous vous ouvrirons nos maisons et nos églises », a déclaré Yaroslav Pyzh, président du Séminaire baptiste de Lviv, à seulement 60 km à l’est de la Pologne.

Ces derniers jours, les autorités ukrainiennes ont tenté de minimiser la menace d’une invasion, notamment depuis le nord de la Biélorussie. Les troupes rassemblées là-bas ne sont pas suffisantes pour un assaut rapide sur Kiev, estiment-elles.

Mais le conflit s’est intensifié dans le Donbass, menaçant même l’unité entre baptistes.

« Des chrétiens sont contraints de prendre les armes contre l’Ukraine », a déclaré un pasteur de Louhansk qui a requis l’anonymat, faisant référence à des rapports qu’il a reçus des Églises locales.

« Les frères ont reçu des convocations indiquant qu’ils devaient se présenter à l’administration militaire. […] En cas de désobéissance, ils devront rendre des comptes. »

Depuis 2014, environ 14 000 personnes ont été tuées dans cette guerre. Mais jusqu’à présent, la tendance était à la baisse. Seuls 25 civils ont été tués en 2021, le chiffre le plus bas depuis le début du conflit.

Les positions ukrainiennes ont été bombardées 80 fois dimanche, selon un porte-parole militaire. Deux soldats ont été tués, et les troupes ont reçu l’ordre de ne pas riposter. Les autorités séparatistes ont toutefois déclaré que quatre civils avaient été tués par les bombardements ukrainiens.

Les évangéliques du Donbass rapportent des informations contradictoires.

Dans le cadre de la conscription générale annoncée samedi dernier, seuls les femmes, les enfants et les personnes âgées sont autorisés à quitter les zones occupées, rapporte le pasteur anonyme de Louhansk. Environ 100 000 personnes l’ont fait, recevant 10 000 roubles russes (environ 127 dollars) dans des camps de réfugiés près du port de Rostov sur la mer Noire. Mais il n’y a aucune raison d’évacuer, dit-il, car l’armée ukrainienne n’avance pas.

Pavel Karamyshev, qui dirige un camp évangélique à Donetsk, confirme les informations sur les bombardements et les migrations massives. Mais il ajoute que les deux camps tirent, bien qu’il ne soit pas sûr de qui est à l’origine des tirs.

« Le Seigneur est vivant, et béni soit notre protecteur, » dit-il, « intensifions les prières pour la protection du Donbass ».

Ses propos ont été adressés à Vitaly Vlasenko, secrétaire général de l’Alliance évangélique russe, qui avait du mal à penser que l’Ukraine pouvait être derrière les bombardements.

« Il ne serait pas sage pour l’Ukraine de commencer quoi que ce soit ; ne provoquez pas d’agression », a-t-il déclaré, « il se passe quelque chose de malsain ».

Confiant que la Russie n’est pas non plus directement à l’origine de la situation, il estime que les provocations pouvaient venir de n’importe quel côté. Peut-être l’armée a-t-elle cherché à faire échouer les négociations entre le président russe Vladimir Poutine et le président américain Joe Biden.

Mais au regard de l’histoire tsariste et soviétique, il craint que les rebelles ne puissent déclencher les hostilités pour ensuite appeler la Russie à l’aide.

L’Église de l’Annonciation des baptistes chrétiens évangéliques de Vlasenko, à Moscou, a organisé une prière spéciale pour la paix et la réconciliation dimanche.

Bien qu’il n’y ait pas eu d’accent particulier sur le sujet dans son sermon, le pasteur adjoint Vladimir Tripolski a partagé un témoignage poignant de sa fuite avec sa famille depuis la Tchétchénie, deux décennies plus tôt, lorsque les séparatistes musulmans se battaient pour obtenir leur indépendance de la Russie. « Je ne savais pas où j’irais, mais une Église baptiste m’a offert un abri », a raconté Tripolski, suscitant l’émotion de l’auditoire. « Ouvrons nos cœurs aux réfugiés ».

Vlasenko rapporte que des discussions sont en cours sur la façon dont l’Alliance évangélique russe peut aider dans les camps établis aux alentours de Rostov.

Brown a exprimé ses remerciements aux Ukrainiens et aux Russes qui rendent un témoignage fidèle.

« En tant que famille baptiste enracinée en Jésus-Christ comme Seigneur », dit-il, « nous témoignons de la vérité biblique selon laquelle si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ».

Certains Ukrainiens, cependant, interpellent les Russes.

« Est-ce que vous chantez encore des chants “spirituels” le dimanche […] malgré le sang versé quotidiennement, en votre nom, par vos troupes, par votre gouvernement d’assassins, de menteurs et d’usurpateurs ? » demande Gennadiy Mokhnenko, pasteur de l’Église des bons changements. « Continuez, ne vous laissez pas distraire de votre […] faux christianisme ».

Mokhnenko, actif dans le ministère auprès des orphelins, a des raisons de craindre que de nouveaux enfants se retrouvent dans le besoin. Son Église se trouve à Marioupol, à 50 km de la frontière russe. C’est la deuxième plus grande ville de la région de Donetsk et sa capitale de substitution, car elle reste sous le contrôle du gouvernement ukrainien, non loin des lignes de front du conflit.

Dans cette situation instable, Poutine et Biden avaient provisoirement convenu d’un prochain sommet dans le courant du mois, à condition qu’il n’y ait pas d’invasion. Mais la reconnaissance de l’indépendance des deux régions séparatistes et a projet d’envoi de troupes de « maintien de la paix » compromettent vraisemblablement. la rencontre.

On ne sait pas encore si des troupes russes sont déjà arrivées sur le territoire souverain ukrainien.

Malgré l’escalade actuelle, le pasteur anonyme de Louhansk déclarait en début de semaine que les épiceries et les réseaux de communication restent ouverts, bien que des files d’attente pour le gaz aient commencé à se former. Yuriy Ochkalov, pasteur de l’Église Maison de l’Évangile à Donetsk, postait un appel à la prière, tout en notant le beau temps dominical devant son lieu de culte.

« Si l’occupation de ces territoires préfigure ce qui peut arriver à l’Ukraine », déclare cependant Brown, rappelant que les baptistes ont été désignés comme terroristes et que 40 de leurs églises du Donbass ont été fermées, « cela devrait nous amener tous à prier avec plus de ferveur. »

Bandura est du même avis, et espère la victoire. « Nous croyons que l’Éternel des armées bénira l’Ukraine et que les plans du diable et de ses serviteurs seront détruits. »

Kulakevych, cependant, renvoie ce même propos à sa congrégation et à tous ceux qui l’écoutent. Aussi périlleuse que soit la situation politique, il se déroule un combat spirituel plus important.

« Face à la menace croissante de la guerre, nous restons les ambassadeurs du Christ », a-t-il conclu son sermon. « La paix vient par la réconciliation avec Dieu ».

En quelques mots, exemples de sermons de pasteurs baptistes ukrainiens du dimanche 20 février :



• Les chrétiens ne doivent pas être intimidés, prêchait Vasyl Furta à Vyshneve, près de Kiev. Se concentrant sur Esaïe 41.13, où Dieu dit qu’il tient notre main droite, le pasteur a rappelé aux croyants la présence de Dieu, sa force et son soutien.

• « Pourquoi Dieu permet-il la guerre ? » interrogeait Pavlo Marchenko à Shostka, à 320 km au nord-est de Kiev, près de la frontière entre la Russie et la Biélorussie. Prêchant sur le Psaume 135.6 selon lequel le Seigneur fait ce qui lui plaît, le pasteur a rassuré les auditeurs en leur disant que Dieu n’est pas indifférent aux Ukrainiens. Mais parfois, il nous « troublera », a déclaré le pasteur, afin que les gens se tournent vers lui dans la repentance, tant pour eux-mêmes que pour leur peuple.

• Dieu est notre protection et notre aide, a prêché Alexander Pakhai à Dubno, à environ 300 km à l’ouest de Kiev. Mais en s’appuyant sur des exemples tirés du Psaume 44, le pasteur a rappelé aux auditeurs que si Dieu délivre parfois miraculeusement, il peut aussi conduire son peuple à travers des temps de désolation. Dans tous les cas, il agit pour sa gloire, pour que les humains sachent qu’il est Dieu.

• « Notre foi est-elle suffisante ? » a demandé Eduard Bondarovsky à Korsun-Shevchenkivskyi, à 140 km au sud de Kiev. Tirant une comparaison avec un nageur capable de naviguer sur une petite rivière, mais pas en haute mer, le pasteur a prévenu que les troupes qui pourraient traverser la frontière sont loin d’être des amis. Serons-nous prêts à persévérer dans l’espérance, a-t-il lancé aux croyants, certains que Dieu est toujours notre protecteur ?

• La guerre est arrivée aux portes de la ville lorsque le peuple s’est choisi de nouveaux dieux, a relevé Dmytro Polyarush à Zhashkiv, également à environ 140 km au sud de Kiev. Prêchant sur Samson à partir du livre des Juges, le pasteur a rejeté l’idée que Dieu se réjouit de tels châtiments. Au contraire, Polyarush a encouragé les fidèles en leur disant que Dieu était déjà à l’œuvre pour préparer le prochain libérateur.

• Soyez reconnaissants pour les renseignements américains et britanniques, a déclaré Vyacheslav Shcherbakov à Zhytomyr, à 135 km à l’ouest de Kiev. Comparant la Russie à l’adversaire de Néhémie, Tobija, en Néhémie 4, le pasteur a fait remarquer que le travail des espions a permis de déjouer l’agression contre Jérusalem. Ni Poutine, ni personne d’autre ne peut nous séparer de l’amour de Dieu, a-t-il souligné.

Traduit par Léo Lehmann

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