Abandonner le sommet de la réussite

Dans quelle mesure les idées de la réussite selon le monde guident-elles nos choix de tous les jours ?

La vallée du Connecticut

La vallée du Connecticut

Christianity Today March 21, 2023
Thomas Chambers / National Gallery of Art Open Access / Edits by Christianity Today

Ils se sont élevés quelque temps, mais ils ne sont plus là : ils s’effondrent et sont fauchés comme tous les autres, ils sont coupés comme la tête d’un épi.

— Job 24.24

Environ un mois avant mon mariage, j’ai commencé à rêver que j’étais en train de mourir. J’ai appelé ma sœur, diplômée en matière d’accompagnement. Elle m’a assuré que cela ne signifiait pas que j’avais choisi le mauvais partenaire de vie et m’apprêtais à épouser un tueur en série ! On rêve souvent de la mort quand on s’engage dans un changement de vie radical, m’a-t-elle expliqué.

La mort signifie la fin d’une saison et le début de quelque chose de nouveau. Ma psyché faisait le deuil de mon célibat. Mais cette mort à mon ancienne vie faisait également naitre l’espoir de ce qui allait venir. Quelques années plus tard, je me dis qu’il serait encore parfois bon de rêver de la mort, pour mieux revivre l’espoir de la résurrection. Nous avons besoin de laisser s’éteindre la notion de succès dans l’Église, mais aussi, et surtout, dans notre vie.

Étymologiquement, le mot « succès » vient du latin successus, qui signifie avancée ou ascension. En 2021 paraissait La deuxième montagne, traduction française d’un récit autobiographique publié en 2019 par David Brooks, célèbre chroniqueur du New York Times. Brooks y évoque une première montagne métaphorique, lieu d’une ascension personnelle et professionnelle frénétique, dont il affirme avec regret qu’elle l’a transformé « en un certain type de personne : distante, endurcie fermée […] Je mettais de côté mes responsabilités relationnelles. » Cette montagne de la réussite est un endroit solitaire. Parmi ses conquérants, on trouve des milliardaires qui se lancent dans les voyages dans l’espace, mais aussi des pasteurs en quête d’audience et de célébrité, ainsi que tous ceux et celles d’entre nous qui définissent le bonheur par le statut, le prestige ou le pouvoir.

« Je ne recherche pas la gloire et la richesse », me direz-vous peut-être. Mais combien de fois ne faisons-nous pas des choix et ne prenons-nous pas des décisions dictés par l’idée de réussite ? Nous ne poussons pas nos enfants à exceller, mais tout de même à avoir de bonnes notes. Nous acceptons une promotion au travail, même si elle nous laisse moins de temps pour notre famille et nos amis. Nous orientons davantage nos conversations ou nos profils sur les réseaux sociaux vers nos succès que vers la banalité de notre vie. Dans mes conversations avec des enseignants, des pasteurs, des responsables de diverses politiques, etc., je ressens qu’eux aussi sont obnubilés par la manière dont on les évalue, par leur réputation ou l’impact qu’ils ont sur leur entourage. Le succès doit pouvoir être comptabilisé et mesuré, malgré la conviction que c’est de manière invisible que le Seigneur sème et implante ses fruits en nous.

Récemment, lors d’une conférence, j’ai aperçu un ami que je me suis empressée d’aller saluer. Il parlait à une femme que je ne connaissais pas. Je lui ai dit bonjour, mais elle est restée assise. J’ai essayé de m’intéresser à elle, mais ce n’est que lorsque mon ami m’a présentée, citant mes publications et les prix que j’avais remportés, qu’elle s’est levée et m’a prêté attention. Cela m’a écœurée. Il lui fallait mon curriculum vitae pour daigner me parler. Il lui fallait ces illusoires impressions de mes mérites…

L’auteur Walker Percy a dit un jour en plaisantant : « Vous pouvez avoir les meilleures notes dans toutes les matières et malgré tout rater votre vie. » Comment nous défaire de cette idée prédominante que le succès est essentiel ? Dans la Bible, pourtant, les « success-stories » offrent de sinistres avertissements. J’en veux pour preuve, entre autres, la vie des rois Saül, David ou Salomon. Ceux que Dieu met en avant, ce sont des Ésaïe, Jérémie, Ezéchiel et d’autres prophètes qui n’ont pas réussi à se faire entendre. Et que dire du plus grand des échecs aux yeux du monde, celui de Jésus-Christ, exécuté par ceux qu’il était venu servir ? Dans toute la tradition de l’Église, des apôtres et des saints ont suivi la voie de cet échec, se faisant à leur tour serviteurs de Dieu, martyrs et ascètes, oubliés du monde. Pourquoi donc sommes-nous toujours attirés par des ambitions trompeuses, et comment changer ?

Paysage de montagne et pontThomas Gainsborough/National Gallery of Art Open Access
Paysage de montagne et pont

« Il était, étendu sur le drap de la bière, pesamment, comme tous les morts, les membres rigides. » Ainsi commence la nouvelle de Tolstoï intitulée La mort d’Ivan Ilitch. Le titre dévoile d’emblée que l’histoire sera celle de la disparition du personnage principal. Mais cette mort vaut la peine de s’y attarder, car la vie d’Ivan Ilitch ressemble fort à la nôtre. À l’approche de la fin, Ivan se lamente : « C’est comme si j’avais descendu une montagne au lieu de la monter […] Selon l’opinion publique je montais, mais en réalité, la vie glissait sous moi… » Ivan avait gravi la montagne trompeuse du succès. Il possédait une riche maison, avec tout ce que les gens aisés acquièrent pour ressembler aux autres gens aisés. Mais cette vie « réussie », ce « bonheur » étaient construits sur des bases bien fragiles. Ivan s’était seulement intégré, conformé aux standards des gens bien de l’époque.

Lorsqu’Ivan réalise qu’il va mourir, il hurle de terreur, gémit et proteste. Il ne veut pas mourir ; il ne peut pas mourir. Il n’était pas prêt à mourir. Dans les affres de la souffrance, surgit la question : « Qu’arrivera-t-il si toute ma vie, ma vie consciente, n’a pas été ce qu’elle devait être ? »

Cette révélation le ramène en pensée à ses « rares moments de révolte contre ce que la haute société approuvait. Ces moments de révolte, qu’il refrénait bien vite, étaient peut-être les seuls bons moments de sa vie, alors que tout le reste était vilenie. Et son service, et l’organisation de sa vie, sa famille, ses intérêts mondains et professionnels, qu’y avait-il eu de bon dans tout cela ? »

Face à la mort, Ivan se rend compte que tous ses « succès » ne sont que de la poudre aux yeux. Il a ignoré les choses réelles.

Et c’est là, dans cette souffrance, que va renaitre l’espoir. L’espoir de mourir bien, même après avoir vécu à la poursuite d’idéaux mensongers. Il regarde son fils qui lui embrasse la main, et sa femme, « le visage couvert de larmes », et il est triste pour eux, au point de vouloir porter leur douleur plus que la sienne. Il essaie de dire « Pardonne », mais ne peut formuler que « Passé ». Ayant découvert ce qui compte vraiment, Ivan est délivré de la crainte de la mort. La vieille montagne se désagrège. La lumière remplace la mort, et la joie surmonte la douleur.

Dans le récit de la conversion de David Brooks, au-delà du dérisoire sommet du succès, il aborde une autre montagne à gravir, la « deuxième montagne ». La première n’offrait qu’un bonheur éphémère, que l’auteur contraste avec la joie découverte sur la seconde :

Le bonheur vient de ce que l’on accomplit ; la joie vient de ce que l’on offre. Le bonheur s’estompe, on s’habitue aux choses qui nous ont rendus heureux. La joie ne s’estompe pas. Vivre dans la joie, c’est vivre dans l’émerveillement, la gratitude et l’espoir. C’est ce que l’on découvre sur la deuxième montagne, lieu de transformation.

Dans le parcours d’Ivan Ilitch, nous sommes témoins de cette belle transformation. Pourtant, alors que nous avons déjà entendu toutes ces choses, nous continuons bien souvent à vivre comme si la première montagne était le véritable sommet à atteindre. Cette montagne doit mourir à nos yeux. Les montagnes du Sinaï, du Thabor et de Golgotha sont celles qui comptent vraiment. Ce sont ces montagnes qui constituent les destinations saintes de notre vie, celles que nous devons gravir. Il nous faut pour cela renoncer à nos rêves de réussite. Car ces secondes montagnes, comme nous l’a montré notre extraordinaire Sauveur, ne requièrent pas l’ambition, mais bien l’obéissance, la transfiguration et la mort.

Questions de réflexion :



1. Comment définissez-vous le « succès » ou la « réussite » ? D’où tirez-vous cette définition : des Écritures, de l’enseignement de l’Église, de votre famille, de vos amis ?

2. Dans quels domaines auriez-vous tendance à prendre des décisions pour poursuivre le succès tel que le monde le définit ?

3. Si vous pouviez graver, sur votre pierre tombale, en une phrase, ce que vous avez réussi dans votre vie, de quoi s’agirait-il ?

Jessica Hooten Wilson est la première Seaver College Scholar of Liberal Arts à l’université Pepperdine et Senior Fellow au Trinity Forum. Elle est l’autrice de plusieurs livres, dont le plus récent est The Scandal of Holiness: Renewing Your Imagination in the Company of Literary Saints.

Cet article fait partie de notre série « À l’aube d’une vie nouvelle » qui vous propose des articles et des réflexions bibliques sur la signification de la mort et de la résurrection de Jésus pour aujourd’hui.

Traduit par Anne Haumont

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Books

À qui irons-nous ? Des anglicans du Sud rejettent le leadership de Canterbury

Après la décision « disqualifiante » de l’Église d’Angleterre de bénir des mariages entre personnes du même sexe, un rassemblement d’anglicans conservateurs se prépare pour avril.

Des évêques anglicans du monde entier à la conférence de Lambeth en 2022.

Des évêques anglicans du monde entier à la conférence de Lambeth en 2022.

Christianity Today March 15, 2023
Gareth Fuller/PA Wire/AP

Lorsque les anglicans conservateurs du monde entier se réuniront le mois prochain au Rwanda, ils pourraient commencer à envisager un nouveau cadre de leadership en réponse à la récente décision de l’Église d’Angleterre d’autoriser son clergé à bénir les mariages entre personnes du même sexe.

Cette décision à propos de ces bénédictions, un compromis conclu lors du synode général de l’Église d’Angleterre en février, a poussé les évêques représentant la majorité des anglicans du monde à menacer de rompre avec l’Église mère de leur communion.

« L’Église d’Angleterre s’est écartée de la foi historique transmise par les apôtres » et « s’est disqualifiée pour diriger la Communion [anglicane mondiale] en tant qu’Église “mère” historique », selon une déclaration approuvée par 12 archevêques alignés sur la Global South Fellowship of Anglican Churches (GSFA — « Communauté des Églises anglicanes du Sud »).

Ces évêques représentent des anglicans d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. L’un des membres du groupe, l’archevêque Foley Beach, fait lui partie des anglicans conservateurs d’Amérique du Nord qui ont rompu avec l’Église épiscopalienne, plus libérale.

« Même si les primats de la GSFA souhaitent préserver l’unité de l’Église visible et le tissu de la Communion anglicane, notre vocation à être un “saint reste” ne nous permet pas d’être “en communion” avec les provinces qui se sont éloignées de la foi historique et ont emprunté la voie de faux enseignements », a déclaré le GSFA, faisant notamment référence à l’approbation du mariage homosexuel.

L’Église d’Angleterre refuse toujours de célébrer des cérémonies pour des couples de même sexe et maintient que le mariage est une union à vie entre un homme et une femme, mais elle a maintenant choisi d’autoriser le clergé à proposer des prières et des liturgies lors de mariages civils. Lors du synode du mois dernier, l’Église d’Angleterre a également déclaré qu’elle se repentait de son incapacité à « accueillir les personnes LGBTQI+ et des préjudices que ces personnes ont subis et continuent de subir dans les Églises ».

Cette décision pourrait aggraver les dissensions déjà importantes au sein de la Communion anglicane, qui compte environ 85 millions de fidèles répartis dans 165 pays.

La GSFA n’est pas la seule à dénoncer les orientations prises par l’Église d’Angleterre. Des primats anglicans du Nigeria et d’Asie, ainsi que des conservateurs d’Amérique du Nord et d’Angleterre, se sont également opposés à cette évolution. Bien que certaines de ces querelles théologiques et éthiques au sein de la Communion anglicane remontent aux années 1970, des observateurs anglicans estiment que la tension actuelle pourrait conduire à une réorientation décisive du centre de gravité de la Communion vers le sud, où les anglicans sont plus nombreux et plus conservateurs.

Il y a cent ans, plus des trois quarts des anglicans du monde résidaient en Grande-Bretagne, selon le Pew Research Center, mais aujourd’hui, la plupart des anglicans se trouvent en Afrique.

La Communion anglicane comprend plus de 40 provinces et Églises autonomes à travers le monde, chacune ayant son propre évêque. Être « en communion » les uns avec les autres implique un accord mutuel sur les doctrines clés et l’accueil des anglicans d’autres Églises et provinces pour la participation aux sacrements. L’actuel archevêque de Canterbury, Justin Welby, est considéré comme le « premier parmi ses pairs » parmi les évêques anglicans.

La GSFA estime que cela pourrait changer. Les évêques du Sud ne sont « plus en mesure de reconnaître » Justin Welby comme « premier parmi ses pairs », ont-ils déclaré, parce qu’il a conduit le synode général de son Église à prendre des décisions « contraires à la foi et à l’ordre des provinces orthodoxes de la Communion, dont les membres constituent la majorité du troupeau mondial ».

Le GAFCON, un mouvement international d’anglicans conservateurs, partage ce sentiment. « Il est temps que le Primat de toute l’Angleterre se retire de son rôle de “premier parmi ses pairs” dans la direction de la Communion anglicane », a déclaré le mouvement dans un communiqué du 9 février rédigé par Foley Beach, président du Conseil des primats du GAFCON. « Il est maintenant temps pour les primats de la Communion anglicane de choisir eux-mêmes leur “premier parmi ses pairs”. »

« À qui irons-nous ? » Tel est le thème choisi par le GAFCON pour sa réunion du 17 au 21 avril au Rwanda. Le mouvement était déjà en désaccord avec les autres Églises anglicanes qui reconnaissent les mariages civils de couples de même sexe, notamment l’Église épiscopalienne d’Amérique, l’Église anglicane du Canada et l’Église épiscopalienne écossaise.

La plus grande Église anglicane du monde, l’Église du Nigeria, semble prête à accueillir favorablement tout changement de leadership au sein de la Communion.

« L’Église anglicane est au seuil d’une nouvelle réforme », a déclaré l’archevêque nigérian Henry Ndukuba dans un communiqué du 12 février, « qui doit balayer les dirigeants impies qui approuvent actuellement le péché, désorientent la vie des anglicans fidèles dans le monde entier et mettent en péril leurs espoirs d’éternité. »

Certaines communautés anglicanes anglaises sont également déçues par l’Église d’Angleterre. Fin février, les évêques de l’Église d’Angleterre ont rencontré entre 150 et 200 membres du clergé, dont beaucoup étaient préoccupés par l’approbation par le synode général de la bénédiction des mariages entre personnes de même sexe rapportait le Church Times.

L’Église anglicane d’Asie du Sud-Est s’est également opposée à la dernière décision de l’Église d’Angleterre concernant les mariages homosexuels, mais restera pour l’instant en communion avec l’Église mère historique.

« Malgré nos graves réserves concernant la décision de l’Église d’Angleterre, nous pensons que l’unité de la communion anglicane ne doit pas être abandonnée à la légère », ont déclaré les évêques de Singapour, de Malaisie occidentale, de Sabah et de Kuching dans une lettre pastorale datée du 18 février. « Nous resterons donc en communion avec l’Église d’Angleterre, tout en priant avec ferveur pour elle et en défendant hardiment la vérité de Dieu. »

Pour sa part, Justin Welby a semblé ouvert à un changement dans la structure du pouvoir anglican lors d’un discours prononcé le 12 février au Ghana.

« Je ne m’accrocherai pas à ma place ou à ma position en tant qu’outil de notre communion », a-t-il déclaré en faisant référence aux structures de direction qui maintiennent la cohésion de la Communion anglicane mondiale. « Le rôle de l’archevêque de Canterbury, le siège de Canterbury, est quelque chose d’historique. Les outils doivent évoluer avec le temps. »

David Roach est journaliste indépendant pour CT et pasteur de l’Église baptiste de Shiloh à Saraland, en Alabama.

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Perte de temps, œuvre d’amour

Chaque année, Pâques nous rappelle tout ce qu’il peut y avoir de merveilleux dans ce que le monde peut considérer comme une perte de temps.

Christianity Today March 15, 2023
Titian Ramsay Peale / National Gallery of Art Open Access / Paul Cezanne / Wikimedia Commons / Edits by Christianity Today

« Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront tous les jours de ma vie et je reviendrai dans la maison de l’Éternel jusqu’à la fin de mes jours. » (

Psaume 23.6

)

Avons-nous gâché notre vie ? Cette question m’assaillit un beau matin, à mon réveil. Une vague de découragement m’avait subitement envahie, telle qu’en connaissent parfois ceux qui œuvrent au service de leur Église, comme en l’occurrence l’épouse de pasteur que je suis.

Mon mari et moi avons plus d’années derrière nous que devant nous dans notre vie d’Église. Cela ne m’attriste pas encore. Les larmes viendront probablement plus tard, lorsque mon mari, Brent, quittera la chaire et délaissera son col clérical. Mais ce matin-là, une question m’assaillait. Que restait-il des trente dernières années, des onze Églises dont nous avions d’une manière ou d’une autre fait partie, de tous les nouveaux départs avec les adieux puis les fêtes de bienvenue ?

Certes, dans notre vie personnelle et au sein de ces communautés, nous avons vécu énormément de belles et bonnes choses. Nous avons été profondément touchés par l’amour de Jésus et par cette chaleur que son peuple répand autour de lui et sur la terre entière, rayonnant de cet amour sans pareil, miracle de l’Église à l’œuvre dans le monde entier.

Au fil des ans, nous avons expérimenté cette chaleur et cette ferveur de mille et une façons : les coups de main pour rénover les maisons, les échanges sur l’art d’être parent, des sorties avec le club de jeunes, les pièces de théâtre, les concerts, les ventes de charité, le secours aux réfugiés, les célébrations du Vendredi saint, les soupes du midi, les délicieuses dindes de Noël, les parcours Alpha sous toutes leurs formes, sans oublier les cultes traditionnels et leurs versions « modernes », autant d’efforts mis en place par souci du bien des communautés dont nous faisions partie.

La plupart du temps, je pense, l’Église offrait son amour sans arrière-pensée. Nos mains ouvertes débordaient et ne demandaient qu’à servir. Mais parfois, sous ce débordement d’amour — du moins pour moi — se cachait un désir subtil de toucher les gens afin que nos Églises puissent être plus grandes, et donc meilleures. Meilleures, et donc plus grandes. Être cette Église que tout le monde connaît. Réussir en termes de créativité, de chiffres, de volume et d’impact. Une Église dont la croissance explose et gagne du terrain.

Ce désir, je m’en repens et je l’abandonne. L’évaluation honnête de nos motivations nous conduit presque toujours à nous repentir. Et je ne suis pas seule à genoux, ici, devant cet autel. Nous sommes nombreux à devoir nous repentir, non pas du désir que l’Église locale croisse, mais du désir de croissance pour la croissance elle-même.

Lors d’un récent petit-déjeuner à l’église, mon regard a été attiré par le collier d’une paroissienne plus âgée. Il était composé de perles en bois sculptées de petits éléphants. On aurait dit que chacun avait été choisi avec soin dans l’étalage d’un artisan sculpteur, en souvenir d’un merveilleux voyage. « Je l’aime beaucoup », ai-je dit à cette dame. « Merci », m’a-t-elle répondu en touchant le bijou. Mais alors qu’elle voulait poursuivre la conversation, elle s’est arrêtée, désemparée.

« Je ne trouve pas le mot », s’excusa-t-elle en tapotant la tête d’un petit éléphant.

« Je peux vous aider ? », ai-je proposé.

« Non, merci », a-t-elle dit. « Je préfère le retrouver moi-même ». Le petit éléphant entre les doigts, la dame fouillait désespérément dans sa mémoire, à la recherche d’un mot perdu. Nous ne parlions plus. J’aurais pu changer de sujet, mais c’eut été un manque de respect. La paroissienne réfléchissait toujours. Les instants passaient. Nous faisions toujours silence. Finalement, on nous a appelées pour manger. Nous nous sommes souri, avons haussé les épaules et avons rejoint la file qui se formait.

Cette conversation pourrait paraître improductive. Elle n’a rien apporté, changé ou réglé de concret. Nous nous sommes séparées et je suis allée chercher des croissants et de la confiture. Techniquement, en termes d’emploi du temps, il aurait paru difficile de parler de succès. Mais dans l’Église, une apparente perte de temps peut se révéler être une œuvre d’amour.

Quelques semaines plus tard, je me tenais au fond de la salle pendant la sainte cène et je regardais les gens aller et venir, comme j’aime le faire. Les fidèles s’approchaient par les allées latérales, puis retournaient à leur place par l’allée centrale, toujours marquée d’une suite de « X » placés au sol, reliquats des anciennes restrictions sanitaires.

Parmi eux, il y avait cette même paroissienne qui retournait à son siège par l’allée centrale. Elle tenait son bout de pain dans la main. Elle le prendrait une fois assise, rare règle que nous avions gardée de l’époque COVID. Derrière elle suivaient des dizaines de paroissiens. Ceux-ci marchaient au ralenti pour éviter de la dépasser. Elle n’était pas pressée. Elle souriait, sans doute inconsciente de la petite foule qui grossissait derrière elle. C’était un défilé très lent. Tout en douceur, la communauté accompagnait cette dame vers sa place. Cela m’a fait chaud au cœur.

Ce tableau que j’avais sous les yeux me montrait notre Église dans sa plus sainte réussite. Notre communauté était tellement belle dans cette marche lente et patiente que lui inspirait l’amour ! Ce cadeau précieux, l’Église locale peut l’offrir à ses propres membres bien-aimés et fragiles, mais aussi, pour l’amour de Jésus, à toutes les personnes qui croisent son chemin.

Chaque année, Pâques nous rappelle tout ce qu’il peut y avoir de merveilleux dans ce que le monde considère comme une perte de temps. Celui qui, aux yeux de tous, semblait être un messie défaillant est en réalité le Messie qui a accompli le plus saint des périples. La mort est vie et le tombeau, vidé de son corps, témoigne de l’accomplissement d’une promesse qui vient tout chambouler. Pâques est le plus flamboyant et le plus subversif des espoirs, tel un paon qui passe sous nos fenêtres lors des derniers soubresauts de l’hiver que nous connaissons chez nous au Canada. Ici, au sein de l’Église, humble et magnifique, la réussite n’a plus rien à voir avec la version qu’en donne le monde.

Pâques a prouvé une fois pour toutes que Jésus se tient à nos côtés dans cette longue, lente et sûre marche qui n’aura peut-être jamais des allures de succès, mais qui sera, pour nous, le plus saint et fidèle des cheminements.

Questions de réflexion :



1. Nous n’avons pas l’habitude de considérer le Psaume 23, si connu et apprécié, comme un modèle de comportement envers notre prochain. Il nous éclaire sur la manière dont Jésus nous accompagne. Comment donc pourrait-il aussi illustrer la manière dont nous devrions être et agir envers les autres ?

2. Que pourrait vouloir dire accompagner l’autre dans ses vallées les plus sombres, en étant présent et attentif à lui, même si c’est difficile ?

3. Quelle table pourrions-nous dresser pour les personnes autour de nous ? Avec qui pourrions-nous cheminer en cette période ?

Karen Stiller est l’autrice de The Minister’s Wife: a memoir of faith, doubt, friendship, loneliness, forgiveness and more, et rédactrice en chef du magazine Faith Today.

Cet article fait partie de notre série « À l’aube d’une vie nouvelle » qui vous propose des articles et des réflexions bibliques sur la signification de la mort et de la résurrection de Jésus pour aujourd’hui.

Traduit par Anne Haumont

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Mourir à notre moi indispensable

Jésus nous exhorterait-il à abandonner les critères au moyen desquels nous évaluons et mesurons notre moi ?

Illustration par Bethany Cochran

Illustration par Bethany Cochran

Christianity Today March 10, 2023

« Puis il dit à tous : Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge chaque jour de sa croix et qu’il me suive, car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la sauvera. » – Luc 9.23-24

« Qu’est-ce qui doit mourir dans notre vie ? » Pour le chrétien, la réponse paraît évidente : « le moi ». Jésus parle en effet ainsi à ses disciples, « Si quelqu’un veut me suivre, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge chaque jour de sa croix, et qu’il me suive » (Luc 9.23 — BDS).

Nous avons tendance à entendre ces paroles comme un appel à renoncer aux appétits et aux désirs désordonnés du moi, et il y a certainement une part de vérité dans cette affirmation. Mais peut-être devrions-nous entendre les paroles de Jésus d’une manière plus radicale : comme une exhortation à abandonner les critères standards au moyen desquels nous évaluons et mesurons notre moi.

Nous vivons une ère technologique obsédée par la mesure de notre activité physique, de notre productivité intellectuelle, de notre santé émotionnelle et de notre utilité globale. Dans ce contexte, renoncer au moi en tant qu’entité mesurable — une entité dont la valeur peut être quantifiée, qui peut être jugée inefficace ou efficace, insignifiante ou influente, sans importance ou indispensable — a réellement quelque chose de radical.

Pourtant, l’Évangile de Luc nous oriente vers cette façon de lire les paroles de Jésus. À peine quelques versets après ces instructions, les disciples se disputent pour savoir « lequel d’entre eux était le plus grand ». Jésus répond en prenant un enfant sur ses genoux. Il met alors en avant une autre vision de soi : « celui qui est le plus petit parmi vous tous, c’est celui-là qui est grand » (Luc 9.48). Ce paradoxe este central dans l’économie du royaume de Dieu. Le renoncement à me pourvoir d’un moi considéré comme grand ou essentiel me donne la liberté de vivre fidèlement dans l’émerveillement et la gratitude de l’enfant.

Dans une sorte de parodie de livre de développement personnel intitulé Lost in the Cosmos, l’auteur américain Walker Percy propose une expérience de pensée liée à la question du suicide qui, malgré le caractère sensible du sujet, me semble pouvoir nous aider à ressentir le poids radical de l’appel de Jésus à renoncer à soi-même. Percy ne prend pas la réalité du suicide à la légère : son grand-père et son père s’étaient suicidés, et Percy pensait que la mort de sa mère dans un accident de voiture était également un suicide.

Alors que s’ôter la vie pourrait passer pour l’ultime renonciation à toute estime de soi, Percy envisage la chose différemment. En réponse à l’augmentation du nombre de dépressions et de suicides dans les années 1980 — problèmes qui n’ont fait que s’aggraver depuis — Percy invitait dans son texte un patient imaginaire tenté par le suicide à considérer cette éventualité : « vous êtes déprimé parce que vous avez toutes les raisons d’être déprimé. […] Vous vivez à une époque insensée — plus insensée que la normale, car malgré les grandes avancées scientifiques et technologiques, l’homme n’a pas la moindre idée de qui il est ou de ce qu’il fait. »

Ce que préconise Percy face à un désespoir si profond n’est pas de nier les nombreuses raisons valables de ce désespoir. Il appellerait plutôt à renoncer au mythe de notre indispensabilité. Dans son ouvrage, celui qui contemplerait le suicide est encouragé à confesser ceci : « Je ne suis pas indispensable ». Percy invite son interlocuteur à imaginer les suites de son suicide. Il énumère les conséquences probables de cet acte sur les membres de sa famille, ses voisins et ses collègues de travail. Malgré les perturbations que ce décès provoquerait, il en vient à cette conclusion : « en un temps étonnamment court, chacun retourne aux routines de son propre moi comme si vous n’aviez jamais existé. » D’où le résultat auquel il aboutit : « Après tout, vous n’êtes pas indispensable. »

Loin d’inciter à passer à l’acte, pour Percy, cette prise de conscience devrait enlever un immense fardeau des épaules de la personne souffrante : « Pourquoi ne pas vivre, au lieu de mourir ? Vous êtes libre pour cela. Vous êtes comme un prisonnier libéré de la cellule de sa vie. » Tous les autres peuvent encore être « malades d’inquiétude […] à propos de leur statut, de la nécessité de sauver la face, de leur estime de soi, des rivalités entre nations, de l’ennui, de l’anxiété, de la dépression dont ils cherchent notamment à se soulager dans les guerres et les catastrophes naturelles qui frappent régulièrement leurs voisins. » Mais celui qui a perçu sa non-indispensabilité est libéré des fardeaux d’un soi constamment incité à se mesurer. Ce que souligne Percy, c’est que la valeur intrinsèque de nos vies ne découle pas de notre productivité, de notre efficacité ou de l’importance que nous nous percevons ; lorsque nous mourons à ces façons de mesurer notre moi, s’ouvre la possibilité de vivre la vie comme un don incommensurable.

Percy conclut avec deux images mettant en contraste celui qui lutte encore contre la tentation de mettre fin à sa vie par désespoir et celui qui a envisagé la possibilité de se suicider puis a accueilli le caractère non indispensable de son existence :

Celui que tente le suicide est comme un petit aspirateur à soucis ambulant, aspirant les soucis du passé et aspiré par les soucis du futur. Il a le souffle court dans la poitrine.

L’ancien suicidaire ouvre sa porte d’entrée, s’assoit sur les marches et rit. Puisqu’il a la possibilité d’être mort, il n’a rien à perdre à être en vie. Il fait bon être en vie. Il se rend au travail parce qu’il n’est pas obligé de le faire.

Percy minimise peut-être ici les conséquences réelles de la mort d’une personne. La perte d’une personne humaine est une douleur profonde pour les membres de la famille et les proches. Bien que la vie puisse continuer, elle est irrévocablement altérée. Néanmoins, le fond de son propos subsiste : si nous abandonnons le moi devant sans cesse se mesurer, nous sommes libres de recevoir le moi donné, et ce changement a des implications profondes sur notre façon de vivre. L’abandon du moi mesurable détrône notamment l’idole de la grandeur — et la futilité paralysante qui l’accompagne — et nous permet de vivre fidèlement sans nous soucier de notre impact ou de notre importance potentiels.

Paysage d’hiver au clair de luneHenry Farrer/Wikimedia Commons
Paysage d’hiver au clair de lune

Si nous nous accrochons au mythe selon lequel nous sommes indispensables, que nous soyons individu ou institution, nous serons tentés par toute technologie ou tout mouvement politique qui promet d’étendre notre portée et de nous rendre plus efficaces. Si nous pensons que le succès dépend de nos efforts, nous nous tournerons vers les influenceurs de ce monde et les célébrités qui ont atteint une apparente grandeur. Quels outils utilisent-ils pour augmenter leur productivité ? Quelle application leur permet de maximiser leur impact ? Quelle stratégie politique ont-ils suivie ? Les aspirations à la grandeur peuvent justifier toutes sortes de moyens.

C’est précisément la tentation à laquelle Jésus a été confronté au début de son ministère, lorsque le Diable est venu à lui dans le désert. Jésus se voit offrir l’autorité sur tous les royaumes du monde s’il accepte simplement d’honorer le Diable (Luc 4.6-7). N’aurait-il pas pu atteindre le but de sa mission terrestre sans avoir à subir les souffrances et l’indignité de la passion ? Ce chemin aurait pu sembler beaucoup plus efficace ! Mais sa mission impliquait aussi la fidélité et l’obéissance au Père, qui l’ont conduit à Gethsémané et à Golgotha.

Le carême peut être l’occasion de prendre du recul — de faire un jeûne de nourriture, de médias sociaux ou d’autres moyens sur lesquels nous comptons pour mener un style de vie qui satisfait nos critères de réussite — et de reconsidérer si les outils que nous utilisons pour être efficaces sont en cohérence avec le chemin de la croix, le chemin du renoncement à soi, le chemin de Jésus.

Le revers de notre obsession de l’efficacité est un sentiment omniprésent de futilité et de désespoir : une autre personne ou institution semblera toujours réussir mieux que nous. Et même si nous résistons à la tentation de nous comparer aux autres, les problèmes de notre époque insensée planent au-dessus de nos têtes, nous intimidant par leur taille et écrasant tous nos maigres efforts. Pour utiliser le jargon d’une culture qui affirme et célèbre le moi mesurable, aucune « astuce de vie » ne vous permettra de « tirer parti » de vos atouts pour « faire la différence » ou « avoir un impact » sur des problèmes tels que le changement climatique, le racisme ou les apparents déclins de la foi. Ce sentiment de futilité peut induire un désespoir paralysant.

Mais en suivant Jésus et en renonçant au moi, nous retrouvons l’émerveillement et la vitalité enfantine que Percy espérait pour son ancien suicidaire. Pour transposer cette attitude dans les termes de mes exemples précédents, le fait de réaliser que vous n’avez pas à régler le problème du changement climatique vous permet de vous occuper joyeusement de votre jardin. Le fait de réaliser que vous n’avez pas à éradiquer le racisme vous libère pour écouter le vécu d’un ami d’une autre origine ethnique. Le fait de réaliser que vous n’êtes pas obligé d’inverser le déclin moral de la culture vous permet d’inviter des enfants du voisinage pour un après-midi de jeux. Réaliser que vous n’avez pas à sauver le monde vous libère pour aimer votre prochain.

Ce profond renoncement à l’importance de soi nous donne la confiance dont nous avons besoin pour rechercher la fidélité plutôt que l’influence, l’obéissance plutôt que l’efficacité. Ces normes à rebours de nos instincts influenceront profondément la façon dont nous décidons de la carrière à choisir, de la stratégie politique à suivre, de la technologie à adopter dans nos Églises et des modes de vie que nous embrassons.

Il n’y a rien de mal en soi à être efficace ou influent. Mais ces choses ne sont pas non plus bonnes en elles-mêmes. Et si nous considérons notre travail ou nos institutions comme irremplaçables, nous nous efforcerons sans cesse d’étendre leur portée. En revanche, si nous œuvrons comme ceux qui ont reconnu le caractère non indispensable de leur existence, nous travaillerons dans un esprit de gratitude. Comme nous le rappellent les rythmes sabbatiques, nous n’avons pas créé le monde, et ce n’est pas nous qui l’avons racheté de la servitude ; notre travail ne fait que participer à l’œuvre que Dieu a déjà accomplie.

Si Jésus n’a pas considéré « son égalité avec Dieu comme un butin à préserver », si Jésus « s’est dépouillé lui-même », ne devrions-nous pas d’autant plus renoncer à l’idée de notre propre importance (Ph 2.6-7) ? Dieu n’a pas besoin de moi pour accomplir ses desseins. Je ne suis aucunement indispensable. Jésus présente les enfants comme des exemples de cette attitude : les enfants sont bien souvent terriblement — ou délicieusement — inefficaces (Lc 9.47-48 ; 18.15-17). Ils ne paraissent faire aucun travail « essentiel » et entravent souvent la « productivité » des autres. En cela, ils nous rappellent que nous sommes appelés à mourir à nos visions de grandeur et à recevoir le royaume de Dieu avec la gratitude, l’émerveillement et la joie d’un petit enfant — ou d’un ex-suicidaire.

Vivons, parce que nous sommes morts. Entretenons nos jardins, prenons soin de nos familles, aimons nos voisins et mettons-nous au travail parce que nous sommes morts au moi mesurable et avons accueilli le moi donné.

« Si vous pensez au suicide, parlez-en à quelqu’un. Des lignes téléphoniques nationales dédiées sont à votre disposition. »

Questions de réflexion :



1. Qu’implique l’exhortation de Jésus à recevoir le royaume de Dieu comme un enfant ?

2. Quelles conséquences aurait pour vous d’embrasser l’appel de Jésus à être le plus petit plutôt que le plus grand ?

3. Comment pouvons-nous partager la joie de la mort à nous-mêmes avec ceux qui sont accablés par l’anxiété et la dépression ?

Jeff Bilbro est professeur associé d’anglais au Grove City College. Ses derniers ouvrages comprennent Reading the Times: A Literary and Theological Inquiry into the News et Loving God’s Wildness: the Christian Roots of Ecological Ethics in American Literature.

Cet article fait partie de notre série « À l’aube d’une vie nouvelle » qui vous propose des articles et des réflexions bibliques sur la signification de la mort et de la résurrection de Jésus pour aujourd’hui.

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Books

Fallait-il distribuer des bibles aux sinistrés ?

Réalités des croyants turcs et syriens au service de leurs concitoyens chrétiens et musulmans frappés par le tremblement de terre de février.

Des gens passent à côté des ruines d’une mosquée à Hatay, en Turquie, le 20 février 2023, après les tremblements de terre ravageurs dans le sud du pays et le nord de la Syrie.

Des gens passent à côté des ruines d’une mosquée à Hatay, en Turquie, le 20 février 2023, après les tremblements de terre ravageurs dans le sud du pays et le nord de la Syrie.

Christianity Today March 10, 2023
Chris McGrath/Getty Images

La version francaise de cet article a fait l’objet d’une mise à jour

Au milieu des aléas des secours apporté aux victimes du tremblement de terre du mois dernier, un Turc, courageux sauveteur d’une petite fille piégée sous des décombres, a provoqué un tollé sur les médias sociaux. L’homme avait malheureusement filmé son exploit sur Facebook Live et, contrairement à ses attentes, s’est fait reprocher son attitude dans des commentaires affluant de toute la Turquie.

Si personne n’a fait allusion à la religion de cet homme, les chrétiens turcs ont saisi cet événement pour mettre leurs frères et sœurs dans la foi en garde contre les risques d’exploitation du malheur d’autrui.

À la suite d’une distribution de bibles aux sinistrés, les autorités de Kahramanmaras, une des villes les plus fortement touchées par le séisme, ont fait savoir qu’elles ne voulaient pas d’aide de la part de l’Église. Ilyas Uyar, un des responsables de l’Église protestante de Diyarbakir a réagi dans le même sens : « Ce n’est pas la manière d’agir de Jésus, c’est opportuniste, et ce n’est pas constructif. »

Pour éviter des dérives, la Fondation des Églises protestantes de Turquie (la TeK) a travaillé à publier des lignes directrices, non sans avoir, au préalable, exprimé sa gratitude envers tous ceux qui avaient prié et donné des fonds pour soutenir les efforts de secours.

Parmi ces directives on trouve l’interdiction de la distribution de bibles et de matériel d’évangélisation ainsi que l’exhortation à un travail collaboratif ménageant les sensibilités de chacun. Il était essentiel que l’aide sur le terrain soit bien coordonnée, que soient évités tous commentaires politiques ainsi que toutes photos non autorisées.

Mais là n’étaient pas les seuls problèmes. Ilyas Uyar nous raconte qu’un groupe de chrétiens italiens était venu à Diyarbakir pour offrir son aide. Après avoir filmé et pris des photos, ces personnes ont demandé être reconduites vers Kahramanmaras. Peut-être allaient-elles organiser une collecte de fonds, une fois de retour en Italie, mais en attendant, elles donnaient l’impression de prendre les bénévoles locaux pour des guides touristiques.

Pour faciliter les choses et éviter les dérives, la TeK a promu le travail avec trois plateformes d’aide humanitaire, parmi lesquelles la First Hope Association (FHA).

Cette ONG, fondée par des protestants turcs, travaille depuis longtemps en étroite collaboration avec les autorités officielles. Depuis la catastrophe, elle a pourvu à une aide logistique importante. A titre d’exemple, plus de 4 000 personnes ont pu bénéficier quotidiennement de ses camions d’hygiène.

Dans la lignée des préoccupations de la TeK concernant les distributions de bibles, Demokan Kileci, président du conseil d’administration de FHA exprimait lui aussi sa colère face aux nombreuses organisations chrétiennes qui se sont saisies de la catastrophe pour lever des fonds. D’autres sont à ses yeux des touristes humanitaires bien intentionnés : « Ils envoient par avion un groupe de 20 personnes, qui logent dans des hôtels et louent des voitures pour venir dans la région. » « Pendant ce temps, notre peuple ne peut même pas trouver d'endroit où dormir. »

« La Turquie n’est pas arriérée », poursuit-il, « elle travaille selon les normes européennes avec des experts professionnels. Et l’Église fournit un soutien psychologique à ses nombreux bénévoles. »

Certains ont estimé que les accompagnements du traumatisme et les programmes pour les enfants auraient pu attendre un peu.

Mais même en répartissant les efforts dans le temps, la tâche restait immense. Pour obtenir du renfort, la FHA a également reçu l’autorisation de faciliter le travail de l’ONG américaine Samaritan’s Purse. Celle-ci a alors pu mettre en place un campement comptant 22 grandes tentes, un hôpital de campagne de 52 lits et une équipe tournante d'une centaine de spécialistes internationaux des secours en cas de catastrophe.

« Nous avons offert notre aide et ils l'ont immédiatement acceptée », rapporte Franklin Graham, à la tête de cette association évangélique d'aide. « Nous sommes ouverts sur notre foi chrétienne, mais nous ne sommes pas venus pour distribuer des boîtes à chaussures. »

Samaritan’s Purse est connue pour l’action « boites à chaussures », vaste opération mondiale de récolte de boites de cadeaux distribuées à la Noël à des enfants de familles pauvres. Si cette opération caritative poursuit clairement des objectifs d’évangélisation, ici, Graham souligne que l’association s’est concentrée sur l’aide humanitaire et le besoin immédiat de sauver des vies.

Par l’entremise de l’ambassade américaine, l’association a pu bénéficier de l’aide de l’armée turque pour des livraisons par hélicoptère sur le parking d'un hôpital effondré à l'extérieur d'Antakya. Le corps médical local est dévasté.

Une semaine après le séisme, Samaritan's Purse affrétait un avion de la taille d'un 747 pour livrer 600 tentes de grande taille pouvant abriter jusqu'à 1 000 familles. Plus de 900 d'entre elles ont reçu des soins médicaux, dont 25 opérations chirurgicales. Franklin Graham espérait que Samaritan’s Purse puisse œuvrer sur le terrain pendant une période pouvant aller jusqu’à quatre mois, en réapprovisionnant ses stocks tous les dix jours. L’association laissera tout son matériel aux populations locales, une fois la Turquie en mesure d’assumer elle-même tous les soins.

En attendant, le personnel de l’ONG souffrait de voir les victimes se réchauffer autour de feux dans la rue. « Nous voyons une grande souffrance, mais elle ne doit pas nous paralyser », dit Aaron Ashoff, directeur adjoint des projets internationaux, qui a puisé sa force dans les psaumes. « Il faut regarder cette douleur en face, puis en sortir et se rappeler pourquoi nous sommes là. »

Les deux autres organisations recommandées par la TeK ont aussi été à l’œuvre.

Aux côtés de ces grandes structures, diverses Églises et organisations locales ne sont pas en reste, déclare Soner Turfan, membre du conseil d’administration de la TeK. C’est particulièrement le cas des Églises sœurs de Diyarbakir et d’Antakya, très présentes dans leur ville. Le ministère de la radio Shema a pu rétablir son signal. « Nous devons maintenant diffuser l'espoir, la guérison et l'amour de Dieu », dit Turfan. « Nous devons pleurer avec eux et partager leur chagrin. »

L’Église d’Ilyas Uyar, petite communauté de 50 membres à Diyarbakir, était en nombre encore réduit après que bon nombre d’entre eux avaient été envoyés pour servir dans une douzaine d’Églises de la TeK à travers la Turquie. Cela a facilité la coordination des secours et l’aide aux victimes.

La congrégation d’Antakya avec sa trentaine de membres, avait depuis longtemps gagné une bonne réputation dans son quartier. À présent, le bâtiment de l’Église a été détruit, ainsi qu’environ 80 % de toute la ville. L’Antioche de la Bible a été « rayée de la carte », déclare Uyar.

À Diyarbakir, plus éloignée des épicentres du séisme, les bâtiments ont plutôt bien résisté. Certaines familles chrétiennes ont aussi été touchées, mais de généreux citoyens turcs ont pourvu aux besoins des habitants sinistrés.

Ailleurs, le nécessaire a longtemps manqué. À cause de la fermeture des routes, beaucoup d’autres endroits étaient très peu desservis, malgré le travail assidu des autorités, nous raconte Ilyas Uyar. Son Église, située à six heures d’Antakya, a donc décidé de louer un entrepôt à Adana, à seulement deux heures de route, pour servir de point de distribution aux bénévoles chrétiens envoyés dans plusieurs villes sinistrées. L’un d’entre eux a vécu pour cela un temps dans un conteneur d’expédition à Adiyaman.

Ender Peker, originaire de Mardin, a été rejoint par plusieurs autres personnes hébergées dans des conditions similaires, dont Eser Gunyel de l'Église Yalova Lighthouse d'Istanbul. Mettant à profit leurs talents de soudeurs, ils construisent des cabanes en tôle recouvertes de bâches et équipées d'un système de chauffage, tout en distribuant des couvertures, des matelas et plus de 20 tonnes de nourriture aux habitants dans le besoin.

Ils ont laissé leurs familles derrière eux, car les pillages ravagent la région.

« La première semaine (après le séisme), nous avons dû nous occuper de nous-mêmes », racontait Uyar. « Mais nous ne pouvions pas rester sans rien faire ».

L’équipe active à Adiyaman, elle, a obtenu des autorisations officielles et est restée comme seule présence évangélique dans la ville. Les membres d’une Église syriaque orthodoxe fortement endommagée et les 7 membres d’une congrégation protestante — dont un croyant sourd-muet, sauvé des décombres — ont tous été relocalisés dans d’autres zones pour plus de sécurité.

Ici et là, équipes chrétiennes et musulmanes collaborent.

De l’autre côté de la frontière, à Alep, en Syrie, les évangéliques arméniens de la ville participent à l’accueil des sans-abris, aux côtés d’autres Églises et écoles rescapées. « Chaque Église est responsable de son quartier, et non de sa propre communauté dispersée », déclare Haroution Salim, président des Églises protestantes arméniennes de Syrie. « Ensemble, nous donnons l’espoir d’un avenir meilleur, qu’après la destruction, vient la résurrection. »

Le Conseil des chefs des confessions chrétiennes compte 11 membres qui se réunissent régulièrement depuis des années. Le jour du tremblement de terre, c'était le chaos ; le deuxième jour, ils se sont réunis et ont décidé de faire sonner les cloches des Églises pour appeler tout le monde à se mettre à l'abri.

Protestants, grecs orthodoxes et musulmans se sont mélangés. L'organisation caritative islamique a promis de s'occuper de tous les chrétiens handicapés en leur fournissant un logement et une allocation mensuelle. Salim a inscrit deux familles arméniennes.

Sa communauté à lui est déjà active dans le voisinage, via le travail de nettoyage des rues, l’accès libre qu’elle donne à ses écoles et la distribution de colis alimentaires aux nécessiteux de la ville, déchirée par la guerre. Le nombre de familles aidées par l'Église a maintenant doublé, passant de 300 à 600, avec 25 % pour les membres, 45 % pour d'autres chrétiens et 30 % pour des bénéficiaires musulmans.

Le Conseil a également décidé de mettre en place des équipes d’ingénieurs pour l’inspection des bâtiments. Le gouvernement n’en a envoyé que trois à Alep, où 180 bâtiments ont été détruits par le séisme. Craignant les bureaucrates stressés qui pourraient trop vite faire démolir certaines habitations, les chrétiens ont assumé — et payé — le travail eux-mêmes. Le ministère en charge a accepté d’entériner les rapports effectués par les Églises.

Jusqu’à présent, seuls quelques bâtiments ont reçu le label vert. La majorité d’entre eux sont « orange » et nécessitent une évacuation imminente et des réparations importantes. Un tiers des bâtiments, les « rouges », seront démolis. Mais les gens font confiance à l’Église, dit Salim, et le Conseil des Églises du Moyen-Orient collecte des fonds pour payer les rénovations nécessaires. Ici, chaque dénomination examine les maisons de ses membres.

Parfois, cependant, les choses s’entremêlent. « Nous sommes témoins d’un nouveau phénomène », déclare Salim. « Le tremblement de terre a ébranlé nos consciences, comme il a ébranlé toute la région. » Ébranlera-t-il aussi la foi ? Certains éléments en provenance de Turquie laissent penser que tel est le cas.

« Nous confions nos vies aux chrétiens, aux juifs, aux Arméniens et même aux athées. Mais nous protégeons nos biens des musulmans ! » Ce message viral, faussement attribué à une star du rock turc, est, selon Ilyas Uyar, emblématique de la frustration des habitants à l’égard d’entrepreneurs qui ont construit des immeubles instables et de voisins qui cherchent à en piller les ruines.

Au lieu de s’en prendre aux musulmans, il faut avant tout avoir un regard sincère sur soi-même.

Pour répondre aux fidèles troublés, l’ancien de l’Église de Diyarbakir cite les Écritures. D’abord le sermon sur la montagne : « Mais toi, quand tu fais un don, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite » (Mt 6.3). Il encourage à ne pas s’inquiéter des fruits de leurs œuvres et rappelle la guérison par Jésus des dix lépreux, dont un seul est revenu pour le remercier.

Et si des extrémistes les accusent d’exploiter les nécessiteux, il leur faut se rappeler les paroles de l’apôtre Pierre qui exhorte à agir « en ayant une bonne conscience ; afin que, sur le point même où l’on vous accuse, ceux qui injurient votre bonne conduite dans le Christ soient pris de honte » (1 P 3.16 NBS).

Sa dernière salve, la plus accablante, il l’emprunte cependant à l’apôtre Paul, appliquant à certains chrétiens bien intentionnés ce que l’apôtre disait des Juifs de Rome : « le nom de Dieu est blasphémé parmi les nations à cause de vous » (Rm 2.24).

Dans six mois peut-être, il sera temps de parler de Jésus.

« Lorsque nous donnons notre vie sans rien demander en retour, les gens se posent des questions », déclare Uyar. « Ils finiront par se demander d’où vient cet amour. »

Traduit par Anne Haumont

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Des exilés en chemin pour la maison

Nous aspirons tous au passage miraculeux du désert à la sécurité, de l’exil à la maison.

Tombe vide

Tombe vide

Christianity Today March 1, 2023
Illustration par Bethany Cochran

Et puisque je vais vous préparer une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi afin que, là où je suis, vous y soyez aussi. Vous savez où je vais et vous en savez le chemin.

– Jean 14.3-4

Le mari d’une amie de notre Église, dans la cinquantaine, est décédé de manière inattendue pendant la pandémie. Elle n’a pas été autorisée à être à son chevet lorsqu’il est décédé à l’hôpital, et elle n’a pas pu lui organiser de véritables funérailles. Elle est retournée seule dans la maison vide qu’ils venaient d’acheter. Les cartons de déménagement étaient encore fermés. La chaleur et la promesse d’un foyer confortable en prévision de la retraite avaient été brutalement remplacées par le froid de la tombe.

Le foyer est plus qu’un emplacement physique : il nous offre un ancrage stable, souvent partagé avec ceux que nous aimons. Jésus, sachant sa mort proche, promet à ses disciples qu’il les précède pour leur préparer une place dans la maison de son Père (Jean 14.2-4). Pourquoi, me suis-je souvent demandé, promet-il cela en particulier ?

Une réponse est peut-être que cette promesse fait ressortir un thème important pour ses disciples, dont l’identité était marquée par les réalités de l’exil et de la vie en territoire étranger. Les disciples n’étaient peut-être pas des vagabonds dans le désert comme leurs ancêtres, mais ils avaient tout quitté pour suivre celui qui n’avait pas d’endroit où poser sa tête. La promesse d’une demeure éternelle a dû résonner profondément en eux.

En tant que disciples de Jésus, cette promesse résonne aussi en nous. Pendant le carême, et tout au long de l’année, nous aspirons aussi, de multiples façons, au passage miraculeux du désert à la sécurité, de l’exil à la maison, de l’étranger à notre chez nous.

Le calendrier liturgique est l’une des façons dont l’Église a exprimé ce désir. Au fil des siècles, la tradition chrétienne a judicieusement associé le carême au désert, symbole de l’exil. Ainsi, la prière introductive du premier dimanche de Carême dans le Livre de la prière commune se concentre sur les tentations du Christ dans le désert, et les lectures quotidiennes des offices de cette période sont saturées de passages de l’Exode, du Deutéronome, de Jérémie et de la dernière moitié de la Genèse, soulignant la longue histoire d’exil et de déracinement des Israélites. En cette saison, les Églises du monde entier méditent sur ce que signifie cheminer pas à pas vers la maison.

Dans ma propre vie, la nostalgie du foyer a été imprimée en moi dès la naissance. Ma mère a immigré aux États-Unis depuis la Corée du Sud avec mon père dans les années 1980, en emportant seulement ce qui pouvait entrer dans sa valise. Elle a tout laissé derrière elle — ses parents, ses aspirations personnelles, la capacité de communiquer, tout ce qui lui était familier — pour en arriver à passer la plupart de ses journées seule dans un petit appartement, perdant l’espoir et des touffes de cheveux à cause d’une dépression très invalidante. Je suis née peu de temps après. Chaque année, le jour de mon anniversaire, lorsque je mange du miyeok-guk (soupe aux algues) en l’honneur de ma mère, comme le font les Coréens depuis des siècles, je médite sur la façon dont ce goût évoque pour moi les larmes.

De l’autre côté, la famille de mon mari vit depuis plus de cent ans sur la même ferme de trois mille hectares dans une région reculée de l’Oklahoma. Dans la maison construite par les grands-parents de mon mari, les édredons cousus par les mains des arrière-arrière-arrière-grands-mères, assemblés à partir de vieilles robes et de chemises de travail, réchauffent doucement nos enfants endormis la nuit, sixième et précieuse nouvelle génération.

Cependant, mon mari, nos enfants et moi vivons dans le Michigan et ne nous rendons à la ferme qu’une fois par an, au mieux. Il est déchirant de réaliser que nous pourrions être les dernières générations à avoir des souvenirs de cet endroit. Même là, où la permanence semblait autrefois si sûre, la crainte de la perte du foyer nous atteint.

Je crois que chacun d’entre nous, à sa manière, sait ce que signifie la perte du sentiment d’appartenance et la nostalgie d’un temps et d’un lieu où nous étions en sécurité. Parfois, nos maisons nous sont enlevées physiquement, comme lorsqu’un ouragan dévaste notre jardin, que la guerre frappe à notre porte ou qu’un voleur entre par effraction. Parfois, même assis dans notre propre salon, nous pouvons éprouver des pertes dévastatrices, comme lorsque la violence menace notre sécurité, qu’un membre de la famille décède ou qu’un fossé se creuse entre nous et un être cher. Même nos foyers spirituels — nos Églises, nos groupes de maison et nos ministères — peuvent nous être enlevés et nous laisser seuls et abandonnés. Même si nous échappons parfois longtemps à de telles pertes, la réalité est que, de ce côté-ci du ciel, nous sommes de toute façon tous des exilés face à la mort. À la fin, nous devrons tous quitter notre maison terrestre.

ChaussuresVincent Van Gogh/Wikimedia Commons
Chaussures

Si la mort est l’exil ultime, Pâques est l’ultime promesse de retour au pays. Car s’il est vrai que nous sommes un peuple habitué au mal du pays, nous sommes aussi un peuple avec lequel Dieu habite. Tout comme les Israélites errants avaient la présence de Dieu pour les accompagner, nous avons aussi un Sauveur ressuscité qui nous dit : « Je serai toujours avec vous. »

Récemment, mon amie privée de son mari a commencé quelque chose qu’elle appelle la « manne du lundi ». Du plus profond de son chagrin, elle parvient à préparer une marmite de soupe, à faire cuire une miche de pain et à inviter des amis chaque semaine en signe de gratitude. Tandis qu’elle lit et prie, son visage rayonne au-dessus des pages de sa bible usée. Ce sourire émerge des cendres. Manger à sa table, c’est entrevoir un temps où la mort, les larmes et l’exil ne seront plus. Aujourd’hui encore, la pierre roule peu à peu et l’ange plane au-dessus de nos tombeaux.

Les ancêtres pionniers de la famille de mon mari amarrèrent leur horloge au chariot et partirent à la recherche de quelque chose de mieux, tout comme mes propres parents. Ils avaient soif du lait et du miel promis au-delà du sable du désert, et ils ont tout enduré d’un cœur résolu. À présent, la sixième génération revient en visite, courant à travers la prairie et faisant peur aux sauterelles, et une pluie de fin d’été fait reverdir les champs pour encore un autre jour. Entre-temps, mes parents — couple d’immigrants solitaire — ont trouvé une Église où ils ont engagé leur vie pour le Christ aux côtés d’amis qui sont devenus comme une famille. En joignant leur vie à celle de Jésus, ils sont devenus le moyen par lequel beaucoup d’autres ont intégré la famille du Christ au fil des ans — y compris moi. L’histoire continue.

Aucun œil n’a vu et aucune oreille n’a entendu, mais je devine que notre foyer pascal auprès de Jésus aura le goût d’un bol de la soupe de ma mère et offrira la douce sensation d’un vieil édredon serré autour de soi. Ce sera comme si nous retrouvions nos chers grands-pères aux yeux fatigués, debout devant la charrue, se tournant vers nous pour nous embrasser. Ce sera comme s’asseoir autour d’une table et rire avec des gens qu’on aime. Comme voir un sourire s’épanouir sur le visage de la veuve. Ce sera comme rentrer à la maison.

« Heureux ceux qui trouvent leur force en toi : ils trouvent dans leur cœur des chemins tout tracés », chantent les fils de Koré dans le psaume 84. « Lorsqu’ils traversent la vallée des pleurs, ils la transforment en un lieu plein de sources. » Pâques réaffirme que notre désir de rentrer chez nous n’est pas vain et sans objet. Dans nos cœurs sont pavées les routes de la maison du Père. Comme les Israélites, comme les disciples, comme tous ceux qui nous ont précédés, il nous faut simplement continuer à marcher. Et en marchant, nous découvrons que le Christ, qui marche à nos côtés, fait en sorte que nos pas arrosent la terre.

Questions de réflexion :



1. De quelle manière avez-vous connu l’écharde de l’exil ou la perte de votre foyer dans votre propre vie ?

2. Quelle requête pourriez-vous présenter à Dieu afin que les ténèbres actuelles soient percées par la lumière de Pâques ?

3. Comme la veuve dont parle le texte, comment pourriez-vous « arroser la terre » dans votre cheminement à travers vos circonstances actuelles ?

Sarah Kyougah White est rédactrice en chef pour le Mouvement de Lausanne. Elle vit à Grand Rapids, dans le Michigan, avec sa famille.

Cet article fait partie de notre série « À l’aube d’une vie nouvelle » qui vous propose des articles et des réflexions bibliques sur la signification de la mort et de la résurrection de Jésus pour aujourd’hui.

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History

Que pouvons-nous déjà apprendre du réveil d’Asbury ?

Alors que s’expriment des espoirs de poursuite du mouvement, un historien des réveils examine quatre leçons potentielles de ce qui s’est passé à Wilmore.

Auditorium Hughes de l’université Asbury

Auditorium Hughes de l’université Asbury

Christianity Today March 1, 2023
Avec l’aimable autorisation de l’université Asbury

Le théoricien évangélique des réveils le plus connu, Jonathan Edwards, enseignait que personne ne peut juger un réveil de seconde main. Edwards vivait avant l’ère des télécommunications, mais je pense qu’il aurait encore aujourd’hui estimé que la réalité spirituelle d’un réveil n’est pas accessible à distance, quelle que soit la qualité technologique de la retransmission. L’image de la chose n’est pas la chose elle-même.

C’est pour cette raison que, cinq ans après m’être rendu à l’université Asbury pour donner une conférence sur les réveils religieux américains, j’y suis retourné pour en voir un.

De nombreux croyants peuvent se souvenir d’un moment exceptionnel dans la vie de leur assemblée, par exemple au cours d’un sermon inhabituel, du genre de ceux que de nombreux prédicateurs ne prêchent qu’une seule fois dans leur vie, ou alors dans un moment de grande bénédiction ou d’affliction touchant tout le monde. En de telles occasions, une communauté entière est unie dans la clarté de sa concentration sur Dieu, et elle agit « d’un seul cœur » ou homothumadon, pour reprendre le terme grec des Actes des Apôtres.

Il est remarquable que ce sentiment communautaire — qui peut s’exprimer par le chant et la louange, renforcés par de courtes lectures de l’Écriture et de brefs témoignages — se manifeste maintenant non seulement à Asbury, mais aussi dans diverses chapelles universitaires à travers les États-Unis. Les étudiants et les visiteurs vont et viennent, mais ceux qui se rassemblent éprouvent un sentiment d’unité.

Le mot réveil, en anglais revival, désigne une période au cours de laquelle une communauté chrétienne est revitalisée. On a défini le phénomène comme « une période d’éveil religieux : un intérêt renouvelé pour la religion », avec « des rassemblements souvent caractérisés par une effervescence émotionnelle. »

Le fait de désigner un rassemblement comme réveil laisse entendre que s’y est produite une intensification de l’expérience religieuse. Une multitude rassemblée ne constitue pas un réveil. Ce qui caractérise un réveil, c’est l’approfondissement du sentiment et de l’expression spirituels.

Les réveils sont des événements communautaires et qui touchent à l’expérience vécue. Il se produit souvent une contagion spirituelle, qui fait que les expériences d’une personne se répercutent sur les autres. Le terme de renouveau n’est pas aussi bien défini que celui de réveil, mais il évoque aussi un regain dans le zèle ou la vitalité d’un groupe de croyants chrétiens qui avaient décliné dans leur engagement.

Depuis le milieu des années 1700, les rapports sur les réveils chrétiens provenant de différentes régions et de différents groupes culturels présentent des thèmes communs. Les participants parlent de leur sens aigu des choses spirituelles, de leur grande joie et de leur foi, de leur profonde tristesse face au péché, de leur désir passionné de partager l’Évangile à d’autres et de leurs sentiments accrus d’amour pour Dieu et leurs semblables.

En période de réveil, les gens peuvent se masser dans les bâtiments disponibles, les remplissant au-delà de leur capacité. Les cultes peuvent durer du matin au milieu de la nuit. Les nouvelles d’un réveil se propagent généralement rapidement, et parfois les rapports qui en sont faits — en personne, dans la presse ou dans les médias audiovisuels — déclenchent de nouveaux réveils ailleurs.

Dans certains cas, les gens confessent ouvertement leurs péchés en public. Une autre caractéristique des réveils est la générosité : des personnes prêtes à donner de leur temps, de leur argent ou de leurs ressources pour soutenir ce qui se passe. Les réveils sont souvent controversés, les opposants et les partisans se critiquant mutuellement. Dans le sillage des réveils apparaît l’antirevivalisme.

Les réveils peuvent être marqués par des manifestations corporelles inhabituelles, des personnes qui tombent, se roulent sur le sol, sont traversées de mouvements musculaires involontaires, rient, crient et dansent sous l’action de l’Esprit. Une autre caractéristique des réveils pourrait être ce que l’on appelle les signes et les prodiges, tels que la guérison des malades, les prophéties, les visions ou les rêves révélant des choses cachées, la délivrance du pouvoir de Satan et le parler en langues.

Les réveils passés ont établi de nouvelles formes de communauté ainsi que des expressions pratiques et militantes de la foi. Les réveils ont remodelé des structures sociales et ecclésiales en transférant le pouvoir du centre vers la périphérie. Des personnes qui n’avaient pas l’occasion de s’exprimer ou de diriger ont été propulsées sous les feux de la rampe. Les femmes, les personnes de couleur, les jeunes et les moins instruits ont tous joué un rôle majeur dans les réveils chrétiens modernes.

Les réveils ont provoqué des débats sur la spiritualité authentique et ses contrefaçons, l’activité démoniaque et ses effets, le péril du fanatisme religieux, le ministère des laïcs, le rôle des femmes dans l’Église, la nécessité de nouvelles associations parmi les fidèles et les appels aux réformes et à la justice sociales.

Au cours du siècle dernier, l’Église mondiale s’est beaucoup développée grâce à des réveils religieux ou, comme l’auteur Mark Shaw les appelle, des « mouvements populaires charismatiques ». Ces mouvements ouvrent à une nouvelle vision pour l’avenir et suscitent ce que Shaw appelle un « fatalisme positif » : la conviction qu’aucun problème — personnel, familial ou politique — n’est trop important ou trop difficile pour pouvoir être résolu.

La question que se posent souvent les observateurs — s’agit-il vraiment d’un réveil ? — n’est peut-être pas la meilleure, car elle laisse entendre qu’il existerait un critère unique à l’aune duquel tout nouveau mouvement spirituel pourrait être évalué. Certains à Asbury préfèrent d’ailleurs parleur d’une effusion (de l’Esprit) plutôt que de réveil, évitant ainsi toute association limitante à ce dernier terme.

Puisque l’Esprit est Dieu, l’Esprit est infini. Il existe donc aussi une infinité de façons dont l’Esprit peut s’exprimer dans nos réalités humaines. Winkie Pratney compare le réveil à nos romances. Tout comme quelqu’un qui a déjà été amoureux peut trouver qu’être amoureux d’une nouvelle personne est une expérience toute nouvelle, la romance de l’Esprit ne sera jamais exactement la même en deux occasions différentes.

Les réveils qui ont vu le jour entre 1900 et 1909 au Pays de Galles, en Inde, aux États-Unis, en Corée, au Chili et ailleurs étaient liés, mais présentaient diverses variations locales. Les gens du Pays de Galles ont chanté des hymnes, et beaucoup se sont convertis. Ceux de Los Angeles ont parlé en langues. En Inde, des écolières se sont publiquement repenties de leurs péchés, comme l’ont fait de nombreuses personnes lors du réveil coréen. Des adorateurs au Chili ont eu des visions du paradis.

Qui peut dire pourquoi telle manifestation de l’Esprit a prévalu dans tel lieu et pas dans tel autre ? « Il y a diversité de dons, mais le même Esprit […] Or, à chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour le bien de tous. » (1 Co 12.4, 7)

Au lieu de se demander « Est-ce un réveil ? », il me semble que « Est-ce l’Esprit ? » constituerait une meilleure question. La reconnaissance de la diversité de l’action de l’Esprit devrait nous dissuader de porter des jugements spirituels trop rapides et de nous fier à notre propre expérience pour évaluer celle des autres.

Le discernement spirituel, tel que Jésus l’a enseigné, exige que nous distinguions « à leurs fruits » (Mt 7.20) la réalité et les contrefaçons. Dans son traité intitulé Religious Affections, Edwards fait de la « sainte pratique » le principal signe de véritable spiritualité. Le problème, c’est que la « sainte pratique » ne devient évidente qu’avec le temps, alors que notre univers de réseaux sociaux prononce ses jugements en quelques secondes. Nous devons nous engager dans une réflexion patiente et priante et nous abstenir de jugements trop rapides si nous voulons faire preuve d’un discernement juste et biblique.

Quatre leçons possibles d’Asbury

Asbury est un réveil qu’il me paraît difficile de ne pas apprécier. Sur place, je n’ai rien vu d’extrême, d’excentrique ou de déplaisant. Les personnes qui ont fait la queue pendant des heures pour entrer ont été d’une politesse sans faille. À l’intérieur, je n’ai vu aucun des comportements visant à attirer l’attention qui ont souvent accompagné les réveils du passé et engendré des controverses.

Alors que nous chantions des cantiques populaires tels que « Ouvre les yeux de mon cœur », « Revelation Song », « Sans nombre sont les raisons (Bénis l’Éternel) » et « No Longer Slaves », je me suis souvenu des récits du réveil gallois de 1904-1905, avec des cultes de plusieurs heures de chants communautaires, sans aucun conducteur humain visible, et sans beaucoup de prédication, qui conduisit cependant à une estimation de 100 000 conversions.

Une femme chilienne, s’exprimant par l’intermédiaire d’un interprète, a déclaré que les nouvelles d’Asbury avaient enflammé l’Amérique latine. Les responsables nous ont encouragés à nous lever et à tendre les mains vers le sud pour prier pour le réveil en Amérique latine. Cela m’a rappelé la demande envoyée en 1905 par des croyants de Los Angeles à Evan Roberts — chef de file du réveil gallois — pour que lui et d’autres prient pour le réveil en Californie. Il a répondu, les assurant de ses prières. Les pentecôtistes considèrent le réveil de la rue Azusa de 1906 en partie au moins comme une réponse à ces demandes adressées à Dieu à plus de 8000 km de là.

Les responsables d’Asbury avouent qu’ils ne savent pas où les choses vont aller, mais l’ADN spirituel du récent réveil permet de tirer quelques conclusions préliminaires :

1. Rejeter le culte et la culture des célébrités revivalistes

Les moyens de communication ont évolué au cours du siècle dernier, et il en a été de même pour les célébrités au cœur des réveils. Ces personnes avaient la réputation d’être tellement ointes et douées de l’Esprit que leurs paroles ou leur présence physique modifiaient l’atmosphère spirituelle et entraînaient des multitudes de personnes dans une rencontre avec Dieu qui transformait leur âme.

Pourtant, trop souvent, les célébrités revivalistes n’ont pas été à la hauteur de leur réputation. D’autres ont semblé offrir des débuts prometteurs, mais sont tombés par la suite dans des compromis sexuels ou financiers qui ont mis fin à leur ministère.

Mais que se passerait-il s’il se produisait un réveil spirituel sans célébrités ? Le prince des ténèbres pourrait en rester perplexe. Comment saper un réveil dans lequel les dirigeants évitent les feux de la rampe et servent humblement et anonymement pour le bien commun de tous ? Sans un leader remarquable à corrompre par orgueil, cupidité ou luxure, comment scandaliser le public ?

Depuis la scène d’Asbury, des responsables ont pris la parole pour le dire clairement : « Il n’y a pas de célébrités dans cette affaire. La seule célébrité, c’est Jésus ». L’Église a été exhortée à « se réveiller au fait qu’une génération émergente a désespérément faim de surnaturel et se rebelle contre toute forme de divertissement religieux. »

2. Repenser la relation entre la vie spirituelle et les médias numériques

Les descriptions de ce qui s’est passé à Asbury pourraient paraître finalement assez banales : des gens se rassemblent, ils chantent, ils lisent les Écritures, ils racontent l’œuvre de Dieu dans leur vie. N’est-ce pas ce qui se passe dans d’innombrables Églises chaque semaine ? La qualité insaisissable de l’expérience d’Asbury n’aura de sens que pour quelqu’un qui y a personnellement assissté.

Cet élément intangible — le je ne sais quoi de la présence divine et de ce sentiment de communauté — ne peut pas être transmis électroniquement, même si ceux qui dirigent ce mouvement l’avaient souhaité.

Asbury est donc un plaidoyer en faveur d’une spiritualité incarnée et un coup porté à la médiatisation désincarnée. N’imaginez pas que YouTube, Facebook ou TikTok vous feront vivre la même expérience.

Ce message pourrait ne pas plaire à tout le monde. Il va à l’encontre de l’idée de plus en plus répandue selon laquelle tout ce qui est humainement important est transmissible par voie électronique. Asbury nous dit que tel n’est pas le cas !

3. Réconcilier les approches calvinistes et wesleyano-arminiennes du réveil

À partir du début des années 1800, les calvinistes ont perçu le spectre de l’hérésie pélagienne dans l’accent mis par le revivalisme sur les personnalités humaines et les techniques liées aux émotions. Appliquée au réveil chrétien, l’option pélagienne serait de dire que « si nous devons avoir un réveil, alors nous pouvons. » Cette prémisse conduit à se concentrer sur la technique et les méthodes permettant de provoquer un réveil.

À l’encontre de réveils « élaborés » par l’effort, l’énergie et la manipulation humaine, les calvinistes qui ont soutenu ce genre de mouvements conçoivent les réveils comme « envoyés » par la grâce soudaine et inattendue de Dieu. Pour reprendre une analogie courante, un agriculteur peut labourer la terre, mais doit attendre les averses célestes pour arroser les cultures.

Pour les calvinistes, les techniques censées garantir le réveil sont non seulement trompeuses, mais aussi blasphématoires, car elles suggèrent que quelque chose de surnaturel — la sainte présence de Dieu — pourrait être manipulé par l’homme. À l’inverse, les méthodistes et autres arminiens ont souvent vu dans les propos des calvinistes une justification de la complaisance ou du fatalisme.

Pourtant, l’opposition entre « réveils » calvinistes et « revivalisme » non calviniste est surestimée. Les arminiens qui auraient « élaboré » leurs réveils par des efforts humains, ont surtout beaucoup cherché, prié et attendu Dieu. Les calvinistes, qui étaient censés ne rien faire d’autre que de chercher, prier et attendre le réveil « envoyé » par Dieu s’efforçaient d’attiser les flammèches de grâce qui apparaissaient parmi eux.

Rien à Asbury ne prête le flanc à la critique courante du revivalisme centré sur l’homme. Bien qu’il se soit produit sur un campus méthodiste, le réveil d’Asbury présente les marques de spontanéité et de fidélité aux Écritures qui, selon les calvinistes, sont des conditions préalables à la reconnaissance d’un « mouvement de Dieu ». En tant que calviniste, j’espère que mes collègues calvinistes ne s’y opposeront pas. J’espère au moins qu’ils suivront le conseil d’Edwards en allant voir sur place avant de porter un jugement.

4. Réduire le fossé entre réveils de type pentecôtiste et critiques anti-pentecôtistes

Certains évangéliques définissent le réveil comme « une bénédiction extraordinaire des moyens ordinaires de la grâce ». C’est ce que l’on voit à Asbury. Les « moyens ordinaires », tels que le chant de l’assemblée, la lecture des Écritures et la prière, récoltent des « bénédictions extraordinaires » en cette saison de grâce. La tradition méthodiste du réveil pourrait offrir un baume pour aider à guérir le désastreux clivage entre pentecôtistes et anti-pentecôtistes.

Le méthodisme se trouve dans une position médiane, presque à mi-chemin entre les franges les plus extrêmes des charismatiques indépendants et l’anti-revivalisme implacable de certains protestants confessionnels. John Wesley était ouvert aux expériences spirituelles inhabituelles, mais intolérant à l’égard d’une spiritualité perturbatrice, des doctrines étranges et des évangélistes récalcitrants qui refusaient la correction fraternelle.

Cette attitude wesleyenne d’ouverture prudente pourrait permettre au réveil d’Asbury de contribuer à combler un fossé entre chrétiens à propos des réveils. Asbury pourrait encourager les pentecôtistes et les anti-pentecôtistes à se rencontrer dans cet entre-deux méthodiste et à ouvrir leurs cœurs et leurs esprits les uns aux autres.

En tant que charismatique, j’y vois une leçon particulière pour mes collègues pentecôtistes et charismatiques. Aujourd’hui, certaines parties de nos mouvements très centrés sur l’Esprit se sont éloignées de principes fondamentaux tels que la Bible, le salut des perdus, la repentance, l’obéissance et la croix du Christ, au profit de « visions dans la salle du trône », de rencontres avec des anges et de spéculations sur la fin des temps. Cela doit être corrigé, et Asbury suggère qu’il est possible de le faire sans devenir anti-pentecôtiste.

Les anti-pentecôtistes ne sont pas seuls à limiter l’Esprit. Lorsque les charismatiques considèrent les expériences spectaculaires, ou la liste des dons charismatiques de 1 Corinthiens 12, comme les seuls phénomènes surnaturels, ils omettent beaucoup de choses. Les Écritures enseignent que l’Esprit est celui qui convertit, le Consolateur, le Sanctificateur et l’Esprit de Vérité, tout comme il est le Guérisseur et la source de tous nos dons.

Asbury est un rappel que le salut lui-même est surnaturel. La Parole de Dieu est surnaturelle. La condamnation des péchés est surnaturelle. La compassion pour ceux qui souffrent et ceux qui sont perdus est surnaturelle. Nous avons besoin d’embrasser l’horizon complet des œuvres de l’Esprit.

Un nouveau paradigme pour l’avenir

Le spécialiste des sciences sociales Anthony Wallace est un auteur intéressant à propos du réveil. Dans la présentation que Mark Shaw fait de la théorie de Wallace, les « mouvements de revitalisation » se déroulent en trois phases : problème, paradigme et puissance.

Au stade du problème, les gens ont l’impression que leurs cartes de la réalité ne fonctionnent plus. Les anciennes routes mènent à des impasses. Au stade du paradigme, un leader ou un groupe de leaders émerge sans être ni réactionnaire (s’accrochant au passé) ni radical (rejetant tout du passé). Dans la phase de puissance, le nouveau paradigme devient un mouvement de masse.

Si nous appliquons ces idées à la situation actuelle de l’Église mondiale, nous pourrions tenir le raisonnement suivant :

L’Église a besoin de renouveau et de réforme, mais nous restons bloqués au stade du problème. Les vieilles routes ont conduit à des impasses, notamment les divisions apparemment insolubles — calvinistes contre arminiens, pentecôtistes contre anti-pentecôtistes — qui accaparent le temps, l’attention et l’énergie que nous sommes appelés à concentrer sur Dieu et sur l’appel à l’évangélisation et à la formation de disciples. L’un des signes que nous nous trouvons dans cette étape du problème est que les débats sur les réveils eux-mêmes sont aussi devenus tout à fait prévisibles et banals.

Le réveil d’Asbury pourrait ouvrir à l’étape du paradigme. Le nouveau paradigme, selon Wallace, n’est pas entièrement nouveau, mais constitue un réagencement de modèles antérieurs. Conformément à cette théorie, ce qui est vécu à Asbury n’est ni réactionnaire ni radical.

L’étape du paradigme implique que des leaders redécouvrent le Nouveau Testament et les racines de leurs propres idées et pratiques. Comme un arbre, le modèle émergent a besoin de s’enraciner profondément avant de pouvoir commencer à déployer ses branches.

Les défis d’un nouveau mouvement se présenteront surtout lors du passage du stade du paradigme au stade de la puissance, lorsqu’un mouvement commence à remettre en question le statu quo. L’opposition à cette étape de montée en puissance proviendra à la fois des réactionnaires et des radicaux.

Si un nouveau paradigme de revitalisation spirituelle peut rester résolument centriste et éviter de se laisser capturer par les réactionnaires ou les radicaux, alors il y a un espoir que ce paradigme devienne un paradigme dominant, et qu’une revitalisation et une réforme généralisées et systémiques de l’Église deviennent alors possibles.

Encore quelques conseils pour le réveil

En attendant de voir quels nouveaux paradigmes pourraient émerger, permettez-moi de conclure avec quelques recommandations pour le réveil, de la part de quelqu’un qui a passé des années à lire et à écrire sur les réveils chrétiens et qui a eu l’occasion d’observer ce qui s’est passé à Asbury.

Si vous êtes croyant et que vous entendez parler de nouvelles expériences de l’amour de Dieu au sein de son peuple, ainsi que d’un désir plus profond de prière et d’adoration, réjouissez-vous. Notre réaction par défaut — avant toute autre chose — devrait être la joie.

Méfiez-vous des personnes qui se présentent comme des experts du Saint-Esprit (même des personnes comme moi, qui écrivent des articles comme celui-ci). Personne ne connaît tout de l’Esprit. Chacun d’entre nous est en cours d’apprentissage.

Laissez Dieu vous guider et vous donner du discernement, en vous appuyant sur les Écritures et en échangeant avec un pasteur et d’autres compagnons de route spirituels. Le Seigneur désire que vous puissiez « discerner ce qui est essentiel » (Ph 1.10). Il ne vous laissera pas tomber. Reconnaissez que les événements spirituels, contrairement aux événements physiques, ne sont pas simplement accessibles par nos cinq sens. Les choses spirituelles doivent être discernées spirituellement, ce qui signifie qu’elles doivent être discernées par leurs effets, qui se révèlent au fil du temps.

Priez pour les responsables et les participants aux réveils et pour le réveil de votre propre cœur. Joignez-vous à d’autres croyants pour prier avec ferveur pour le réveil dans votre propre communauté. Faites cause commune avec des personnes partageant les mêmes idées, également issues d’autres groupes ethniques, sociaux ou confessionnels. Une plus grande unité avec elles pourrait bien faire partie du plan de Dieu.

En suivant finalement le modèle d’Asbury, rassemblez des chrétiens plus jeunes et des leaders plus expérimentés. La fougue de la jeunesse et la sagesse de l’âge offrent un mélange détonant.

Michael McClymond est professeur de christianisme moderne à la Saint Louis University. Il a dirigé l’Encyclopedia of Religious Revivals in America, en 2 volumes, et est le co-auteur (avec Gerald McDermott) de The Theology of Jonathan Edwards. Son prochain livre s’intitulera Martyrs, Monks, and Mystics: An Introduction to Christian Spirituality (Paulist Press, automne 2023).

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Ukraine : le ministère en temps de guerre

Reportage hivernal auprès de pasteurs ukrainiens « prêts à rencontrer Dieu à tout moment ».

Sacs de sable devant les fenêtres d’une église de Kherson.

Sacs de sable devant les fenêtres d’une église de Kherson.

Christianity Today February 27, 2023
Photographie de Joel Carillet pour CT

James fait tant de prières en une journée qu’elles s’échappent de sa bouche comme la buée dans l’hiver glacial de l’Ukraine.

Pour ce pasteur principal d’une grande Église de Kherson, la prière n’est pas une occupation parmi d’autres. C’est une bouée de sauvetage. Il prie à haute voix lorsque les missiles russes font trembler les murs de son Église et que son fils de quatre ans pleure. Il prie à haute voix avant de se rendre dans les villages voisins pour livrer du pain. Il prie à haute voix quand il est terrifié, ce qui lui arrive souvent.

Ainsi, par un mardi matin glacial de décembre, James, qui a demandé à être identifié par son surnom anglais, se retrouve agrippé au volant de sa camionnette jaune poussiéreuse et prie en ukrainien. Il se tourne vers un pont menant à une île artificielle sur le cours du Dniepr boueux, que les habitants appellent simplement « l’île » Les bombardements russes ont brisé plusieurs fenêtres d’une petite église, et James transporte du contreplaqué pour les recouvrir.

L’île est une cible fréquente des attaques russes. De l’autre côté de la rivière se trouve la partie orientale de l’Oblast de Kherson, toujours sous occupation russe. Chaque jour depuis le mois de novembre, lorsque des dizaines de milliers de soldats russes ont précipitamment fui Kherson, la capitale provinciale, ceux-ci lancent des roquettes, des grenades, des obus de char et de mortiers de l’autre côté de la rivière, comme pour se venger. Presque chaque jour amène son lot de décès.

Sera-ce son tour aujourd’hui ?

Mais les fenêtres d’une église ont besoin d’être réparées. Sur les 30 000 habitants que comptait l’île à l’origine, il n’en reste plus qu’un quart, pour la plupart des personnes trop âgées, trop handicapées ou trop têtues pour être évacuées. L’église est la seule de l’île à offrir un abri et des fournitures. Alors James serre les dents et traverse le pont.

Les chrétiens d’Ukraine ne considèrent plus les « derniers jours » comme une ère eschatologique lointaine décrite dans l’Apocalypse. « Nous vivons comme si aujourd’hui était notre dernier jour », m’a dit l’un d’entre eux, faisant écho à un sentiment que j’ai entendu exprimé de la part de tant d’Ukrainiens. Et si jamais ils oublient que leur vie n’est qu’une vapeur passagère, les explosions et les coupures de courant régulières les ramènent rapidement à la vérité : nous sommes ici pour un moment, et demain nous ne serons plus.

Un pasteur ukrainien et des volontaires chargent du contreplaqué pour protéger une église sur une île de Kherson.Photographie de Joel Carillet pour CT
Un pasteur ukrainien et des volontaires chargent du contreplaqué pour protéger une église sur une île de Kherson.

Lorsque Kherson est tombée aux mains des Russes, James et sa femme ont choisi de rester dans la ville avec leur famille : « Si nous mourons, nous mourrons ensemble. » Ils ont quatre enfants, âgés de 4 à 17 ans. Ils se souviennent des bombardements russes qui ont fait trembler leur appartement du cinquième étage comme une pile de blocs de bois, des cris de terreur de leur seconde fille, puis du rassemblement de leurs enfants et de leur course vers l’église.

La décision de rester a été difficile, mais évidente, raconte James. « Nous avons vu le désespoir dans les yeux des gens. Ils ne voyaient plus de lendemain. Qui leur donnera de l’espoir si je cours en Amérique ou en Europe ? »

Pendant trois semaines, ils ont dormi sous les escaliers de l’église. Environ 300 autres personnes ont trouvé refuge dans le sous-sol du bâtiment, certaines pendant des mois. Des gens dormaient assis, et dans les toilettes des hommes. Une famille avec un bébé de huit mois se retrouvait entassée dans un placard d’un mètre et demi de haut.

James était leur pasteur principal depuis à peine un an.

Le choix de James de rester avec sa famille en territoire occupé n’est pas des plus courants. Le plus souvent, les pasteurs ukrainiens en première ligne ont évacué leurs familles pour les mettre en sécurité, en particulier celles qui avaient de jeunes enfants. D’autres sont partis avec leur famille, ou sont restés aussi longtemps qu’ils le pouvaient avant de finir par fuir.

Aujourd’hui, un an après l’invasion à grande échelle, de nombreux pasteurs qui sont partis n’ont plus d’Église à rejoindre. Leurs communautés se sont dispersées, leurs bâtiments ont été détruits, ou ces communautés meurtries par la guerre sont hésitantes quant à leur retour.

« Nous les appelons “pasteurs orphelins” », explique Valeriy Antonyuk, président de l’Union baptiste d’Ukraine, la plus grande union protestante du pays. Il estime que sur les 2 100 pasteurs baptistes que compte l’Ukraine, environ 200 ont évacué. Environ 200 autres ont été appelés au service militaire. La moitié des personnes qui avaient été évacuées sont revenues, mais beaucoup ont dû être réaffectées dans une autre Église. Pour certains, la réintégration dans leur Église a été « douloureuse », rapporte Valeriy Antonyuk. Certains fidèles éprouvent du ressentiment et de la douleur à l’idée que leur pasteur soit parti en pleine crise, tandis que d’autres ont des réserves quant à ce que d’anciens combattants continuent à exercer leur ministère.

Tels sont les problèmes que la guerre a imposés à de nombreuses Églises en Ukraine. Les pasteurs disent que certains responsables qui sont restés ont été arrêtés, menacés et torturés par les forces russes. D’autres ont tout simplement disparu. Des récits d’horreur font le tour des communautés.

Pavel Smolyakov est le pasteur principal des Églises baptistes de l’Oblast de Kherson. Sa communauté, Calvary Baptist, est l’Église phare de la dénomination à Kherson. Un jour après l’invasion, elle accueillait 46 orphelins, âgés de 4 mois à 4 ans, provenant d’un orphelinat local. Les forces russes bombardaient la région, et l’orphelinat, avec ses grandes fenêtres, n’était pas sûr.

Pendant deux mois, l’église a hébergé les enfants dans son sous-sol. Les membres de la communauté ont aidé à nourrir, laver et réchauffer les enfants, dont certains avaient des besoins spécifiques et nécessitaient des soins 24 heures sur 24. Les volontaires se sont dispersés dans toute la ville, faisant la queue pendant des heures pour se procurer des médicaments, du lait et d’autres fournitures pour bébés qui seraient épuisés dans la soirée.

Pavel Smolyakov a beaucoup lutté face à l’anxiété et au poids de la responsabilité de la vie de ces enfants. Les soldats russes, craignait-il, pourraient les prendre et les utiliser comme propagande de guerre. Presque chaque jour, les fonctionnaires mis en place par l’occupant frappaient à la porte de l’église, harcelant le personnel de questions : Qui était responsable ici ? Pourquoi ces orphelins se trouvaient-ils là ?

Puis, une semaine avant Pâques, un fonctionnaire russe en uniforme s’est présenté un matin avec des soldats armés et a donné deux options à Pavel Smolyakov : soit le personnel et les volontaires restants de l’orphelinat pouvaient escorter les enfants jusqu’à l’orphelinat, soit les soldats emporteraient les orphelins de force.

Le pasteur aida à ramener les enfants, et le reste était prévisible : Pavel Smolyakov raconte qu’une photo de lui est passée à la télévision russe. Les Russes affirmaient avoir sauvé les orphelins des mains de trafiquants et l’accusaient, lui et l’Église, de prélever des organes sur les enfants pour le marché noir américain. « C’est là que j’ai su que ma vie était en danger », raconte-t-il. Il lui a fallu quatre jours, avec sa femme, pour contourner les postes de contrôle russes et se faufiler jusqu’à Odessa.

D’après ses dernières nouvelles, dans un message Telegram du gouverneur de l’Oblast de Kherson, les enfants avaient été emmenés en Crimée annexée par la Russie.

Alors que Smolyakov me raconte cette histoire, notre interprète, un pasteur de jeunesse ayant lui-même deux jeunes enfants, s’arrête pour s’essuyer les yeux.

Pavel Smolyakov reste très factuel. « Il n’est pas facile de parler d’émotions en ce moment », explique-t-il.

Les pasteurs qui ont choisi d’évacuer, comme beaucoup d’autres Ukrainiens, luttent contre la culpabilité. Ils s’inquiètent pour les troupeaux qu’ils ont laissés derrière eux. Un pasteur m’a raconté qu’il s’était échappé d’une ville occupée en septembre, après que les forces russes eurent fermé son église au milieu d’un service dominical et saccagé sa maison. « Je sais que cela n’a rien de glorieux », m’a-t-il dit, « mais nous avons décidé qu’il valait mieux rester en vie. » La plupart des membres de sa communauté ont également été évacués, mais il en reste environ 200, principalement des personnes âgées.

Le pasteur, qui a requis l’anonymat pour protéger les membres de l’Église qui se trouvent toujours en territoire occupé, est désormais sans domicile fixe et va d’ami en ami, en attendant de pouvoir retourner dans son Église, dont le bâtiment est utilisé par l’armée russe. En ligne, il est en contact quotidien avec des paroissiens qui ont fui à travers l’Ukraine et le monde. D’une certaine manière, ils expérimentent là un retour forcé au type de vie communautaire qui était leur lot pendant la pandémie de COVID-19.

« Au séminaire on ne m’a pas appris comment être le pasteur d’une Église en territoire occupé », commente-t-il. « On ne m’a pas appris au séminaire comment être le pasteur d’une Église dispersée dans 15 pays différents. »

Dans l’Église de James, trois des cinq anciens ont quitté Kherson. La plupart des responsables de ministères sont partis — le groupe de louange, les enseignants de l’école du dimanche, le pasteur des jeunes. Au début de l’invasion, l’Église comptait des dizaines de bénévoles qui aidaient à combler les lacunes en matière de leadership. Mais comme les conditions ont empiré, beaucoup ont été obligés d’évacuer.

Lorsque des centaines de personnes affamées et désespérées se sont rassemblées devant son église, James a bien ressenti les étroites limites de son humanité. Quand il pense à tous les habitants des villages isolés environnants qui, pendant des mois, ont enduré un hiver exceptionnellement froid, sans électricité, sans chauffage et sans eau, il regrette de ne pas pouvoir les atteindre tous.

Une distribution de nourriture dans une église de Khershon.Photo de Joel Carillet pour CT
Une distribution de nourriture dans une église de Khershon.

Mais ensuite, il regarde ceux qui sont restés — sa femme inébranlable, ses enfants et la poignée de bénévoles réguliers de l’Église — et il se dit que cela suffira pour le travail du jour. Ces personnes ont été pour lui la houlette et le bâton du psaume 23, le soutien venu de Dieu dans la vallée de l’ombre de la mort.

Il y a ainsi deux hommes d’une vingtaine d’années qui sont restés avec James depuis le début de la guerre, aidant à tout ce qui est nécessaire à l’Église. Durant l’année 2022, ils sont devenus plus proches que la famille. Tous deux ont demandé à ce que leurs noms ne soient pas repris, de peur que les Russes ne les ciblent en tant que travailleurs humanitaires.

Ils forment un drôle de trio : James, la quarantaine, barbe brune en broussaille, regard passionné et jeans noirs, offre une espèce de mélange de pasteur jeunesse rebelle et de Gandalf. L’un de ses acolytes joue le rôle du boute-en-train, qui ne cesse de taquiner son pasteur et de faire des blagues. L’autre, un fin violoniste aux cheveux blond vénitien, avec des lunettes à monture métallique et un penchant pour les sucreries, est réfléchi et intentionnel.

Ils dorment sur de minces matelas dans le sous-sol de l’Église, et les deux plus jeunes se relaient pour monter la garde à l’étage pendant la nuit. « Nous sommes les gardiens de l’église », me dit l’un d’eux. Peu de jeunes gens sont restés à Kherson s’ils avaient le choix. Il est resté, dit-il, « parce qu’il y a des gens qui ont besoin d’aide. »

Le mardi où j’ai accompagné James pour apporter du contreplaqué à l’église de l’île, ses deux assistants l’accompagnaient. La vieille camionnette du pasteur n’ayant pas de banquette arrière, les jeunes hommes s’installent derrière lui sur de bancales chaises d’enfant en plastique.

S’il y a des pasteurs orphelins, la communauté qu’ils visitent est aussi une Église orpheline. Son pasteur a fui avec sa jeune famille le premier jour de l’invasion. La majorité de la communauté a également fui.

James a nommé un des membres de sa propre Église, un ingénieur du son sans qualifications pastorales formelles, pour conduire ceux qui restent. L’ingénieur, qui a demandé à être identifié par son surnom, Nevod, vit dans un appartement de l’autre côté de la rue. Après que des missiles russes ont détruit la salle de concert où il travaillait, il s’est retrouvé responsable d’une église qui fait office d’abri anti-bombe et de centre de services sociaux.

Chaque jour, grâce à son générateur, jusqu’à 600 téléphones portables sont rechargés dans le bâtiment. Environ 200 personnes peuvent s’abriter dans le sous-sol pendant les bombardements.

« C’est le pasteur maintenant », me dit James quand nous entrons dans le bâtiment.

Nevod secoue la tête. « Non, non », proteste-t-il. « Pas un pasteur, juste un volontaire. »

James insiste : « Si, tu es un pasteur. » Il tape quelque chose en ukrainien dans Google Translate et me montre son téléphone. L’écran affiche « Homme sacrificiel. » « C’est ce qu’il est », explique James. « Pendant neuf mois, sans salaire, il était ici, au service du Christ. »

Neuf mois. La durée de l’occupation russe de Kherson. Assez longtemps, dans ces circonstances, pour vivre de nombreuses expériences.

Kherson est la première ville clé et la seule capitale régionale dont les Russes se sont emparés depuis l’invasion. La ville est tombée presque immédiatement après le début de la guerre. Autrefois centre économique prospère au sol agricole fertile, elle est du jour au lendemain devenue une ville fantôme. Pendant des mois, les gens se sont terrés chez eux, ne sortant que pour le strict nécessaire. Au début de l’après-midi, les rues étaient vides, à l’exception des chiens errants.

« Cela joue sur votre mental », m’a dit un pasteur : Après des mois de panneaux d’affichage proclamant que « La Russie est là pour toujours ! », beaucoup de gens ont commencé à y croire.

Le 11 novembre, lorsque les chars ukrainiens ont défilé dans le centre-ville de Kherson avec des drapeaux bleu et jaune et que des civils dansants ont pris des selfies dans les rues, James n’a d’abord pas pu croire que sa ville était réellement libérée. Quel tour les Russes leur jouaient-ils encore ? Les soldats russes étaient connus pour se déguiser en civils ou en soldats ukrainiens afin de débusquer les sentiments pro-ukrainiens.

Le temps de se rendre compte de la libération, il n’a eu que peu de temps pour se réjouir. Au milieu des célébrations, les gens faisaient déjà la queue devant son église pour obtenir des bouteilles d’eau et du pain.

Les forces russes en retraite avaient détruit les infrastructures essentielles de la région. Pendant environ trois semaines, il n’y a eu ni électricité, ni eau, ni chauffage, ni téléphone. À la fin du premier jour de liberté, alors que les rues étaient plongées dans une obscurité totale, 7 000 personnes s’étaient présentées devant l’église pour obtenir de l’aide.

D’une certaine manière, le Kherson post-libération était en plus mauvais état que le Kherson occupé par les Russes. Lors de ma visite début décembre, de nombreux endroits n’avaient toujours pas d’électricité. Les magasins, les banques, les restaurants et les écoles étaient toujours fermés. Les gens n’avaient pas de travail. Les balançoires des aires de jeu oscillaient, vides d’enfants. La ville s’installe dans un silence inquiétant après le couvre-feu de 19h30, et des bombardements sporadiques secouent les nuits — un rappel constant que l’ennemi se tient juste de l’autre côté de la rivière.

Le jour où nous avons visité l’île, les Russes ont bombardé Kherson 51 fois selon le gouvernement local, frappant principalement des zones civiles, et faisant deux morts et un blessé.

Le premier bombardement que nous avons entendu ce jour-là eut lieu à 10h20. James et Nevod étaient en train de parler logistique à l’extérieur de l’église lorsque deux femmes, l’une âgée et l’autre en fin de grossesse, se sont approchées pour demander de l’aide. Ils venaient à peine de finir de parler que les explosions en grappe des roquettes russes Grad retentirent à proximité. La femme plus âgée a mis ses bras autour de la plus jeune, et elles se sont précipitées dans l’église avec Nevod.

« On doit y aller », a crié James, en agitant les bras vers son van. « Allons-y ! »

Nous avons sauté dans son van. James a appuyé sur l’accélérateur et nous avons quitté l’église pour traverser le pont de l’île.

James dit qu’il a vu pire : des chars russes tirant sur les écoles, des enfants mourant de faim pendant que les soldats russes font la fête dans les cafés, les Russes pillant les récoltes et les équipements des agriculteurs de Kherson. « Ce n’est pas la guerre », déclare-t-il en appuyant fermement sur son doigt. « C’est un génocide. »

Sur le chemin du retour vers sa propre église, James montre du doigt un bâtiment du centre-ville qui ressemble à un château de sable piétiné. Il s’agissait d’une base russe, explique-t-il, avant que l’armée ukrainienne ne la détruise avec un lance-roquettes HIMARS fourni par les États-Unis. Le pasteur lâche un sourire en coin. « J’aime ça », s’exclame-t-il dans le peu d’anglais qu’il connaît. « HIMARS, pour toujours ! »

La guerre a marqué toutes les régions d’Ukraine, et pas seulement les territoires occupés.

Un samedi à Vyshneve, une banlieue densément peuplée de Kiev, la brève lumière du jour hivernal s’estompe plus tôt que prévu : le ciel, encore indigo à 8 heures, s’assombrit à 15 heures. Les épais nuages d’une imminente tempête de neige se profilent.

L’effet des coupures de courant, qui sont monnaie courante depuis que les forces russes attaquent le réseau électrique ukrainien, s’en trouve renforcé. La ville, qui comptait 42 000 habitants avant l’invasion, est aussi sombre qu’un village médiéval. Les lampadaires et les panneaux de signalisation sont éteints. Les immeubles d’habitation apparaissent comme des cubes incolores, à l’exception des éclairs jaunes que produisent quelques unités équipées de générateurs. Les phares des véhicules rebondissent sur la neige, et les piétons marchent avec précaution sur les trottoirs glacés qui brillent à la lumière des lampes frontales.

Dans l’obscurité glaciale, la Salvation Church apparaît comme une oasis bourdonnante de vie et de lumière. Des effluves de café et de brioches grillées réchauffent l’air. L’église est le seul bâtiment public de Vyshneve à offrir de l’électricité pendant les pannes. Chaque jour, elle ouvre son centre de jeunesse, qui comprend un café et un sous-sol, pour que les membres de la communauté puissent se réchauffer, avaler des cappuccinos chauds et travailler sur leurs ordinateurs portables.

L’Oblast de Kiev a parcouru un long chemin depuis les premiers mois de l’invasion, lorsque les troupes russes envahissaient les villes clés autour de la capitale. En un dimanche de fin 2022, les églises étaient remplies de fidèles. Des pasteurs plongeaient les nouveaux croyants dans un baptistère. Une chorale chantait dans une nouvelle communauté à Vorzel, un village situé à l’extérieur de Kiev qui, quelques mois auparavant, était un dépotoir de mines, de tanks abandonnés et de cadavres. Les magasins, les pharmacies et les stands de café étaient ouverts. Les jeunes léchaient la graisse de leurs doigts au McDonald’s, et les babouchkas poussaient des bébés emmitouflés dans des poussettes.

Dans la Salvation Church, un groupe de jeunes filles vêtues de pantalons de survêtement et tenant des plumes blanches géantes répètent un numéro de danse pour le prochain spectacle de Noël. Elles planent et se pavanent aux tintements de la musique, sous un plafond dont les quatre coins sont marqués de l’inscription « Jésus est roi ».

« C’est ma fille, la plus grande fille là-bas », me dit le pasteur Mykola Savchuk, en pointant son doigt.

Mykola Savchuk a deux enfants : une fille de 15 ans et un fils de 13 ans. Le deuxième jour de l’invasion, lorsqu’il a vu les chars russes pénétrer dans une ville proche de chez lui, il a immédiatement conduit sa famille chez ses parents, dans l’ouest de l’Ukraine : « Je ne pouvais pas supporter de voir mes enfants souffrir. » Mykola Savchuk est retourné à Kiev par ses propres moyens, à temps pour le culte du dimanche. Lorsque les forces russes se sont retirées en avril, il a ramené sa famille à la maison pour Pâques.

Est-ce que les choses revenaient à la normale ?

« De l’extérieur, oui », raconte Savchuk. « Mais à l’intérieur, non. » Il est trop tôt pour mesurer l’importance du traumatisme psychologique infligé à la nation. Ceux qui savent comment était la vie en Ukraine avant la guerre voient le stress mental, les petits et grands changements, les miracles quotidiens de la survie : la résilience, la persistance, la détermination à profiter des petites choses du quotidien.

À gauche : Des fidèles participent à une implantation d’église à Vorzel, à l’extérieur de Kiev. À droite : Les rues sont calmes autour de la Salvation Church, dans la banlieue de Kiev, à Vyshneve.Photographie de Joel Carillet pour CT
À gauche : Des fidèles participent à une implantation d’église à Vorzel, à l’extérieur de Kiev. À droite : Les rues sont calmes autour de la Salvation Church, dans la banlieue de Kiev, à Vyshneve.

Dans les premiers mois de la guerre, la Salvation Church a perdu 90 % de ses 3 000 membres. La moitié a été évacuée à l’étranger, les autres en Ukraine occidentale. Le premier dimanche après l’invasion du 24 février, Mykola Savchuk est monté en chaire en se demandant combien de personnes viendraient. Il a été surpris d’en voir 300, soit environ 10 %. La moitié des 16 pasteurs ont évacué. À certains dirigeants qui étaient restés, Savchuk a conseillé de partir ; il voyait leur santé mentale se dégrader.

Comme James à Kherson, il se couchait chaque soir en pensant : « Cela pourrait être la dernière nuit de ma vie. » Cette incertitude constante fait des ravages. Cinq jours après l’invasion, lorsque le premier choc s’est finalement dissipé, Myykola Savchuk se réveillait soudain seul au milieu de la nuit, en sanglots.

Mais il y a un temps pour se lamenter, et il y a un temps pour agir. Les besoins immédiats étaient immenses et urgents : médicaments, nourriture, fournitures diverses. Tous les magasins étaient fermés. Les gens avaient besoin d’un abri et d’aide pour évacuer, et ils ont frappé aux portes des églises parce que celles-ci étaient les institutions les plus rapides, les plus efficaces et les plus flexibles pour offrir de l’aide.

Bien qu’ils aient perdu des communautés et des pasteurs, les responsables des Églises ukrainiennes affirment que les non-croyants sont plus nombreux que jamais à franchir leurs portes. La Salvation Church a ajouté un court sermon de 10 minutes à ses services dominicaux habituels afin d’expliquer les bases de l’Évangile à ceux qui ne les connaissent pas. Mykola Savchuk estime que 20 à 40 nouveaux arrivants ont répondu aux appels à l’autel chaque dimanche. La communauté a toujours mis l’accent sur l’évangélisation, mais il voit que la guerre a renforcé l’urgence de prêcher l’Évangile. « La vie peut s’arrêter à tout moment. Je devais regarder mon Dieu en face : Qu’est-ce que je fais ? »

« C’est un moment très spécial », a déclaré Valeriy Antonyuk, président de l’Union baptiste. « Dans des moments d’épreuves comme celui-ci, nous voyons comment Dieu multiplie sa grâce. C’est difficile. Nous pleurons beaucoup. Mais nous voyons Dieu à l’œuvre […] Nous voyons toute cette moisson. C’est la saison pour semer. »

La guerre a exacerbé le besoin de pasteurs en Ukraine, en particulier ceux qui sont formés aux soins post-traumatiques. Même avant l’invasion, d’après Valeriy Antonyuk, l’Union baptiste aurait eu du travail pour environ 500 pasteurs supplémentaires. Selon lui, le conflit a incité des centaines de jeunes gens — dont beaucoup s’installaient dans les derniers rangs — à s’inscrire dans des séminaires ukrainiens. Le problème est que « les pasteurs ne se forment pas en deux ans ».

Lors d’une réunion stratégique des baptistes à Irpin, environ 200 pasteurs et responsables de ministères venus de tout le pays se sont réunis pour discuter de l’impact de la guerre sur leur travail. Il y avait de la lassitude, mais aussi une grande effervescence : les défis du ministère en temps de guerre sont énormes, mais le ministère ne s’arrête pas pour autant.

« Tout le monde a peur, mais nous sommes dans le ministère », les a encouragés Antonyuk à la fin de la réunion. « La guerre est une nouvelle réalité. Nous ne savons pas ce qui se passera demain. Mais nous devons tous mourir un jour. Si c’est en 2023 qu’il en soit ainsi. »

Trois jours après la libération de Kherson, Pavel Smolyakov s’est rendu directement à l’église baptiste Calvary. Il avait été évacué à Odessa une semaine après Pâques — après que les médias russes l’aient dépeint comme un trafiquant d’orphelins — et n’était pas revenu à Kherson depuis sept mois.

Le trajet était harassant. Il a dû manœuvrer sa voiture autour de champs de mines et de cadavres gisants dans les rues. Mais les retrouvailles avec sa congrégation ont été joyeuses. Ils se sont embrassés. Ils ont pleuré. Ils ont prié et adoré.

Quand Smolyakov a finalement retrouvé son appartement, il était étrangement calme. Tout était exactement comme il l’avait laissé plus de six mois auparavant : les draps, les tasses, les plis familiers et les bibelots. C’était comme si le temps s’était arrêté à l’intérieur de sa maison alors que le monde extérieur avait changé.

Tous les pasteurs de Kherson — ceux qui sont rentrés et ceux qui ne sont jamais partis — sont « très occupés », rapporte Pavel Smolyakov. En tant que responsable régional, il encourage les pasteurs fatigués, forme les nouveaux et aide les personnes évacuées qui reviennent. Mais ne vous attendez pas à ce que votre Église soit la même, prévient-il. De nombreuses communautés se sont vidées. Les trois quarts des 400 membres de sa propre communauté se sont dispersés en Ukraine et en Europe. Sur six pasteurs, seul Smolyakov est retourné à Kherson.

Et pourtant. Tout au long de l’occupation, les membres restants de l’Église Calvary se réunissaient encore chaque matin à 10 heures pour prier. Comme les premiers chrétiens d’Actes 2, ils se réunissaient quotidiennement pour rompre le pain, partager leur nourriture et louer Dieu. Et comme dans les Actes, Dieu a ajouté jour après jour à son Église.

Aujourd’hui, 300 nouveaux visages font partie intégrante de la vie de cette communauté. Ce sera un défi lorsque les responsables et les membres reviendront dans un corps d’Église inconnu, anticipe Smolyakov, mais c’est un défi heureux : un rappel réconfortant que l’Église n’a jamais cessé de faire ce qu’une Église doit faire.

L’Église de James à Kherson n’est plus non plus la même qu’avant la guerre. Sur 400 membres, il n’en reste que 50. Les rencontres du dimanche étaient autrefois remplies des rires et des cris de 150 enfants. Maintenant, on en trouve à peine 20. Il ne reste qu’une équipe très réduite, et avec les bombardements russes quotidiens, dit James, ceux qui sont partis « seraient fous de revenir ».

Lors de ma visite, quelques semaines avant Noël, il m’a fait entrer dans le lieu de culte sombre et glacial. Il s’agissait d’un grand auditorium doté de toutes sortes de lumières de scène et d’équipements médiatiques sophistiqués, et même d’un harnais pour des artistes qui flottaient autrefois au-dessus de l’estrade. Aujourd’hui, l’équipe responsable des médias est partie. L’équipe théâtrale s’en est allée. Il n’y a personne pour jouer de la batterie ou de la guitare.

En 2021, l’Église avait offert une spectaculaire représentation de Noël à une salle comble. James n’avait aucune idée du nombre de personnes qui se présenteraient à l’office en 2022. Il devrait peut-être faire passer des chants de louange préenregistrés.

Mais dans l’église tout autour de lui, un autre type de culte avait lieu. Les femmes âgées versaient le riz dans de petits sacs pour le distribuer. Un cuisinier qui avait perdu son restaurant mijotait du chou et de la purée de pommes de terre dans la cuisine de l’église avec sa femme et sa belle-mère. La femme de James était debout toute la journée, passant de l’enseignement à domicile pour ses enfants au service des affamés. Une douzaine de bénévoles formaient une chaîne humaine reliant un camion de livraison à la salle de stockage de l’église, déchargeant des sacs de nourriture donnés par d’autres Églises.

À l’extérieur, le vacarme des roquettes russes se faisait entendre, si fréquent qu’il s’estompait finalement dans le fond, comme les klaxons de la circulation.

« Les anciens cultes vous manquent-ils ? » demandai-je.

« Non », dit James sans hésiter. « Avant, les gens ici étaient tous déjà croyants. Maintenant, nous voyons de nouvelles personnes qui n’ont jamais entendu l’Évangile. »

James semble à la fois jeune et vieux, vigoureux et usé par le temps. Il a vu et entendu trop de choses au cours de l’année écoulée, mais il est toujours capable d’en tirer une énergie nouvelle — un effet, peut-être, des prières qu’il ne cesse de prononcer.

James rentre en voiture de l’île de Kherson après que les bombardements aient écourté une visite dans une église.Photographie de Joel Carillet pour CT
James rentre en voiture de l’île de Kherson après que les bombardements aient écourté une visite dans une église.

Dieu sait s’il en a besoin. Un jour, alors qu’il livrait de la nourriture et des biens de première nécessité à un village, un char russe a fracassé plusieurs voitures à l’endroit où il était passé quelques instants auparavant. Il n’a pas osé regarder en arrière, mais a continué à rouler, frémissant de comprendre à quel point sa femme avait failli devenir veuve et ses enfants orphelins.

J’ai pensé à mon propre enfant de sept mois à Los Angeles. « Ne regrettez-vous jamais d’être resté à Kherson ? » demandai-je.

« Des regrets ? Non ! Non ! Jamais ! », m’a-t-il répondu. « Nous sommes sur la ligne de front de Dieu. Nous sommes prêts à rencontrer Dieu à tout moment. »

À côté de lui, l’un de ses acolytes a lancé une blague, et l’autre a gloussé.

L’expression de James s’est détendue. Ses yeux se sont mis à rire. Il a peut-être été en première ligne, et ce sont peut-être ses derniers jours, mais si le Seigneur le veut, avec son Église à ses côtés, il les vivra avec le sourire.

Sophia Lee est rédactrice internationale pour Christianity Today .

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Books

Un memento mori de tous les jours

Au mercredi des Cendres, se rappeler que nous devons tous mourir

Christianity Today February 22, 2023
Adaptations par Christianity Today/ Philips Gysels/ Emile Bernard/ Wikimedia Commons

Il faut que lui croisse et que, moi, je diminue. — Jean 3.30

Chaque fois que quelqu’un entrait dans la maison de mon enfance dans le nord de l’État de New York, il voyait deux photographies noir et blanc encadrées sur la table de notre salle à manger. Avec un peu de perspicacité, chacun pouvait discerner que notre foyer était irrévocablement et irréparablement lié à l’éternité. Les photos étaient celles de ma mère de 37 ans, Hanna, et de ma sœur de 10 ans, Esther.

Ma mère est morte d’un anévrisme cérébral massif alors que j’avais un an, sept jours seulement après avoir donné naissance à son huitième enfant. Cinq ans jour pour jour après la mort de maman, ma sœur Esther est morte d’un ostéosarcome.

Après la perte de son âme sœur, mon père endeuillé instaura la tradition de laisser une place pour ma mère à chaque repas familial. Cela continua même après le remariage de papa, et aussi longtemps que les enfants vécurent à la maison. Nous avons toujours placé le portrait de maman — elle tient une rose et sourit — au-dessus de l’assiette. Après la mort de ma sœur, sa photo a rejoint celle de maman. Nous leur réservions cette place, quel que soit le nombre de personnes que nous avions invitées ; et si quelqu’un se joignait à nous à l’improviste, nous l’invitions à « utiliser la place de maman et d’Esther ».

De cette façon, et sans m’en rendre compte, j’ai été élevée dans la pratique quotidienne du memento mori. Un memento mori, du latin « souviens-toi que tu vas mourir », est un rappel symbolique du caractère inévitable de la mort. Même si, enfant, je n’aurais pas pu l’exprimer, je savais intuitivement qu’en conservant la mémoire de notre mère et de notre sœur, nous reconnaissions à la fois le caractère définitif de leur absence et la minceur du voile qui nous séparait. Certains de mes amis les plus proches m’ont dit plus tard que cela les faisait réfléchir chaque fois qu’ils entraient dans notre maison : deux membres de la famille qui m’étaient chers n’étaient pas là dans leur corps, mais assurément présents en esprit.

Ayant grandi dans la communion des Églises du Bruderhof, qui a une tradition d’association de la nuée de témoins d’Hébreux 12 à notre foi vivante, j’ai simplement considéré comme acquis que ceux qui étaient morts faisaient toujours partie de la même Église éternelle dont nous, qui continuions à vivre, étions une petite partie. Mon cœur d’enfant, qui avait connu très tôt ce deuil profond, trouvait du réconfort et de l’inspiration dans ces mots du pasteur et théologien allemand C. F. Blumhardt dans Jetzt ist Ewigkeit (« L’éternité, c’est maintenant »), qui étaient souvent partagés comme un rappel de la nature transcendante de l’Église :

Nous devons rivaliser avec ceux qui sont au ciel. Notre tâche est d’offrir la lumière sur terre, dans la faiblesse terrestre ; la leur est d’offrir la lumière dans le ciel, dans la clarté éternelle. Qui en fera le plus ? Soyons vigilants, de peur d’être un jour couverts de honte. C’est la même course, bien que nous soyons placés à des postes différents, et le même objectif. Persévérons ensemble : ils accomplissent leur devoir là-haut, nous faisons le nôtre ici-bas.

Pour moi, il allait de soi que ma mère et ma sœur (ainsi que de nombreux autres êtres chers disparus) étaient liés à notre réalité ici et maintenant ; je les percevais comme une présence aimante, qui me guidait, jamais loin de moi.

Ce sentiment est resté en moi, même si j’ai quitté la maison dans laquelle j’ai été élevée il y a longtemps. Dans les années qui ont suivi, nous avons enterré mon père et ma belle-mère. Au moment de leurs anniversaires ou à d’autres occasions spéciales, leurs photos ornent le mur de ma propre maison, dans le nord de la Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. À côté d’eux se trouvent parfois des photos de ma mère, de ma sœur et du père de mon mari. Il n’y a pas de place vide à notre table, mais les vies de ceux que j’ai aimés et qui sont partis avant moi m’inspirent chaque jour. Et je serai toujours reconnaissante à mon père pour la leçon qu’il nous a enseignée, à moi et à mes frères et sœurs : accepter et honorer la réalité de la mort est une pratique porteuse de vie. Plutôt que d’agiter, elle rassure. Plutôt que de faire peur, elle sécurise. Elle fait du deuil un cadeau fournissant le cadre d’une vie plus épanouie.

Aujourd’hui, alors que je célèbre ma vingtième saison pascale en Australie, je médite sur le fait qu’il est naturel de craindre le déclin et la perte, qu’ils soient physiques, moraux, politiques ou relationnels. Mais en même temps, la saison du carême et de Pâques nous rappelle que les choses doivent parfois mourir pour porter une nouvelle plénitude de vie.

Dans l’hémisphère sud, nous fêtons Pâques en automne et le paysage qui m’entoure offre à cette époque de l’année un memento mori évident : c’est la saison du dépérissement, de la mue et de l’affaissement vers le repos hivernal. Les perce-neige, les crocus, les cerisiers en fleurs, les poussins duveteux et les papillons en train d’éclore qui égayaient les fêtes de Pâques de mon enfance de symboles de vie nouvelle et de motifs évidents de résurrection ont disparu. Au lieu de cela, je me retrouve avec l’écorce écaillée des eucalyptus qui se régénèrent, les feuilles qui tombent des arbres que nous avons plantés, les oiseaux chanteurs qui s’en vont et les jours qui raccourcissent. Pâques en Australie me demande d’entrer dans un temps de contemplation plus profond sur la véritable signification des paroles de Jésus : « si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12.24).

Quel est le « grain de blé » que nous devrions être prêts à laisser mourir en ce moment de notre histoire ? Cette question devrait interpeller chacun d’entre nous personnellement, et nous tous collectivement, en tant qu’Église répandue à travers le monde. Nous vivons à une époque où, dans un grand nombre de nos communautés, l’isolement et la division ont conduit à la mort de liens réconfortants et de riches traditions spirituelles, nous laissant agrippés à des poignées de direction qui ne semblent plus fonctionner. Ou bien nous courons après des figures (ecclésiales ou politiques) dont le charisme nous attire, mais qui, trop souvent, n’ont guère plus à offrir. Nous aimons notre Jésus ressuscité, pas crucifié et mourant ; exalté, pas brisé et enterré. Nous célébrons la récolte, mais rechignons devant le sacrifice.

« Il faut que lui croisse et que, moi, je diminue. » (Jn 3.30) Jean Baptiste nous met au défi et nous montre par où commencer. Serions-nous prêts à nous placer, jusqu’à notre dernier souffle, au service du Christ et de nos « compagnons, en route comme [nous] vers la tombe », pour reprendre l’expression de Charles Dickens, satisfaits de franchir ce seuil sans laisser derrnière nous un héritage visible et héroïque ? À une époque où tout le monde peut s’exprimer avec vigueur sur la plateforme de son choix, sommes-nous prêts à nous asseoir avec ceux qui sont en marge et à simplement écouter ?

Dans mon Église, nous aimons chanter « The Wisp of Straw » (« Le brin de paille ») de Georg Johannes Gick à Noël et à Pâques. Ce chant pénètre au cœur du mystère de la mort permettant que nous puissions vivre. La chanson donne la parole à un brin de paille, reconnaissant d’avoir contribué à offrir un lit pour recevoir Jésus dans la crèche. Mais ce n’est pas tout :

Lorsque tu béniras le vaste monde
jusqu’à ses confins,
je serai un champ mûr
qui attendra ta main.
Avant que tu ne meures pour le bien de tous les hommes
sur la croix élevée,
je serai le pain que tu romps
afin de nous racheter.

Le blé moulu qui forme le pain rompu de la Cène, et les raisins écrasés qui se fondent dans son vin, nous appellent à rejeter ce qui brille et flatte notre orgueil, à nous défaire des modèles d’efficacité axés sur les chiffres, la croissance et le marketing. Le dernier geste d’amour de notre Seigneur avant sa mort et le premier après sa résurrection étaient des gestes de service, dépourvus de gloire : il a lavé les pieds de ses disciples ; il leur a préparé le petit déjeuner. Le Christ ressuscité nous demande d’aller vivre, de marcher et de pleurer aux côtés de ses frères et sœurs blessés et fatigués — et, lorsque notre temps sera écoulé, d’être joyeusement satisfaits de ne plus jamais être mentionnés, sachant que notre travail est celui de Dieu, pas le nôtre.

Le théologien Eberhard Arnold l’a formulé ainsi dans son essai « Obstacles » du livre Called to Community (« Appelés à la communauté ») : « Ce n’est que dans la mesure où toutes nos propres forces sont démantelées que Dieu pourra faire croître les fruits de l’Esprit et construire son royaume à travers nous, en nous et parmi nous. Il n’y a pas d’autre moyen. »

En tant qu’Église mondiale, en tant que communauté locale, en tant qu’individus spirituels, puissions-nous embrasser la mort quotidienne à soi-même comme notre memento mori pour nous conduire à vivre et à aimer plus profondément dans cette vie et dans celle qui vient.

Alors, libérés du besoin obsessionnel et primaire d’être reconnus et fêtés, d’être immortalisés parmi les mortels, nous serons vraiment capables de comprendre les paroles de Jésus après son analogie du grain de blé qui meurt pour prospérer : « Celui qui tient à sa vie la perd, et celui qui déteste sa vie dans ce monde la gardera pour la vie éternelle » (Jn 12.25).

Questions de réflexion



1. À quoi tenez-vous que vous devriez peut-être laisser tomber pour que Jésus devienne plus grand dans votre vie ?

2. Si vous êtes tenté de rechercher une reconnaissance malsaine, comment pourriez-vous rediriger votre énergie vers des actes de service qui pourraient passer inaperçus ?

3. Choisissez une façon dont vous pourriez établir une pratique quotidienne ou un rappel du

memento mori

afin de vivre une vie plus pleinement ancré dans la vie à venir.

Norann Voll est une fille de fermier originaire de New York. Elle vit maintenant au sein de la Danthonia Bruderhof Community, dans la campagne australienne, avec son mari, Chris, et ses trois fils. Elle écrit pour le magazine Plough sur le discipulat, la maternité et le soutien à l’alimentation.

Cet article fait partie de notre série « À l’aube d’une vie nouvelle » qui vous propose des articles et des réflexions bibliques sur la signification de la mort et de la résurrection de Jésus pour aujourd’hui.

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Réveil d’Asbury : Nous sommes témoins d’une « œuvre surprenante de Dieu ».

Après deux semaines et une affluence de près de 50’000 personnes, l’université a annoncé la fin prochaine de l’ouverture de sa chapelle au public. Réflexions d’un professeur aux débuts de l’événement.

Des rassemblements de réveil sont en cours à l'université Asbury dans le Kentucky depuis le 8 février.

Des rassemblements de réveil sont en cours à l'université Asbury dans le Kentucky depuis le 8 février.

Christianity Today February 21, 2023
Avec l’aimable autorisation de Baptist Press

La plupart des mercredis matins à l’université Asbury, dans la petite ville de Wilmore au Kentucky, sont comme tous les autres. Quelques minutes avant 10 heures, les étudiants commencent à se rassembler dans l’auditorium Hughes pour un temps de culte. Les étudiants sont tenus d’assister à un certain nombre de ces moments de « chapelle » chaque semestre. Ils ont donc tendance à s’y rendre par habitude.

Mais le 8 février dernier, les choses ont été différentes. Après la bénédiction finale, le chœur gospel a commencé à chanter un dernier refrain, et il s’est alors produit quelque chose qui défie toute description. Les étudiants ne sont pas partis. Ils ont été saisis par ce qui semblait être un sentiment de transcendance tranquille mais puissante, et ils ne voulaient pas partir. Ils sont restés et ont continué à célébrer. Après plusieurs jours, ils étaient toujours là. J’enseigne la théologie de l’autre côté de la rue, au Asbury Theological Seminary, et lorsque j’ai appris ce qui se passait, j’ai immédiatement décidé de me rendre à la chapelle pour voir par moi-même. Quand je suis arrivé, j’ai vu des centaines d’étudiants qui chantaient paisiblement. Ils louaient et priaient sincèrement pour eux-mêmes, leurs voisins et notre monde, exprimant repentance et contrition pour le péché et intercédant pour la guérison, la plénitude, la paix et la justice.

Certains lisaient et récitaient les Écritures. D’autres étaient debout, les bras levés. Plusieurs d’entre eux étaient regroupés en petits groupes qui priaient ensemble. Quelques-uns étaient agenouillés contre la clôture de l’autel à l’avant de l’auditorium. Certains étaient prostrés, tandis que d’autres parlaient entre eux, le visage rayonnant de joie.

Ils étaient encore en train d’adorer quand je suis parti le mercredi en fin d’après-midi et quand je suis revenu le soir. Ils étaient encore en prière lorsque je suis arrivé tôt le jeudi matin, et en milieu de matinée, des centaines de personnes remplissaient à nouveau l’auditorium. J’ai vu de nombreux étudiants se presser vers la chapelle.

Le jeudi soir, il n’y avait plus que des places debout. Des étudiants avaient commencé à arriver d’autres universités : l’université du Kentucky, l’université des Cumberlands, l’université Purdue, l’université wesleyenne d’Indiana, l’université chrétienne d’Ohio, l’université Transylvania, l’université Midway, l’université Lee, le Georgetown College, l’université nazaréenne Mt Vernon, et bien d’autres.

Le culte s’est poursuivi toute la journée du vendredi et même toute la nuit. Le samedi matin, j’ai eu du mal à trouver un siège ; le soir, le bâtiment était plein à craquer. Chaque nuit, des étudiants et d’autres personnes sont restés dans la chapelle pour prier toute la nuit. Et le dimanche soir, la dynamique ne montrait aucun signe de ralentissement.

Certains appellent cela un réveil, et je sais que, dans notre contexte américain ces dernières années, ce terme a été associé à certaines formes d’activisme politique et au nationalisme chrétien. Pour que je sois clair : personne à Asbury n’a ce type d’orientation en vue.

Mon collègue Steve Seamands, un théologien retraité du séminaire, m’a dit que ce qui se passe ressemble au célèbre réveil d’Asbury de 1970 qu’il a connu lorsqu’il était étudiant. Ce réveil avait entraîné la fermeture des classes pendant une semaine, puis s’était poursuivi pendant deux semaines supplémentaires avec des rassemblements nocturnes. Des centaines d’étudiants étaient partis pour partager ce qui s’était passé avec d’autres écoles.

Mais ce que beaucoup ne réalisent pas, c’est qu’Asbury a une histoire encore plus riche et ancienne en matière de réveils. L’un d’entre eux remonte à 1905 et un autre, plus récent, à 2006, lorsqu’un culte organisé par des étudiants a donné lieu à quatre jours de célébration, de prière et de louange continues.

Beaucoup de gens racontent qu’ils ne se rendent même pas compte du temps qui s’écoule pendant qu’ils sont là. C’est pour eux presque comme si le temps et l’éternité se confondaient, alors que le ciel et la terre se rencontrent. Toute personne qui en a été témoin pourra convenir que quelque chose d’inhabituel et d’imprévu est en train de se produire.

En tant que théologien analytique, je me méfie du battage médiatique et de la manipulation. Mon arrière-plan est celui d’un segment particulièrement revivaliste de la tradition méthodiste de sainteté, où j’ai vu des efforts pour fabriquer des « réveils » ou des « mouvements de l’Esprit » qui étaient parfois non seulement creux, mais aussi nuisibles. Je ne veux rien avoir à faire avec ça.

Et à vrai dire, ce qui se passe n’a rien à voir avec ça. Il n’y a pas de pression ni de battage médiatique. Il n’y a pas de manipulation. Il n’y a pas de ferveur émotionnelle aiguë.

Au contraire, l’événement a été jusqu’à présent plutôt calme et serein. Le mélange d’espoir, de joie et de paix qui se manifeste est indescriptiblement fort, presque palpable même — un sentiment vif et incroyablement saisissant de shalom. L’action du Saint-Esprit est indéniablement puissante, mais aussi pleine de douceur.

Une foule de près de 1 500 personnes s’était rassemblée à l’auditorium Hughes sur le campus de l’université Asbury le 10 février.Alex Griffith/Avec l’aimable autorisation de Baptist Press
Une foule de près de 1 500 personnes s’était rassemblée à l’auditorium Hughes sur le campus de l’université Asbury le 10 février.

Le saint amour du Dieu trinitaire est manifeste, et il y a en lui une douceur inexprimable et une force d’attraction profonde. On comprend immédiatement pourquoi personne ne veut partir et pourquoi ceux qui doivent partir veulent revenir dès qu’ils le peuvent. Dieu peut agir de manière mystérieuse ; Jésus nous dit que l’Esprit souffle où il veut (Jn 3.8). Et parfois, Dieu fait ce que Jonathan Edwards appelait une « œuvre surprenante » et ce que John Wesley désignait comme un ministère « extraordinaire ».

Je crois fermement qu’une large part de ce qui est vital pour la vie chrétienne se produit dans la vie de tous les jours — dans les disciplines et les liturgies quotidiennes, qu’elles soient formelles ou informelles, dans les décisions répétées de marcher dans la droiture, dans les actes d’amour sacrificiel envers le prochain, dans les prières murmurées au creux de nos désespoirs silencieux.

Je sais que ces actes « extraordinaires » de Dieu ne remplacent pas le ministère « ordinaire » du Saint-Esprit par la Parole et les sacrements. De même, les œuvres « surprenantes » de Dieu ne remplacent pas le long cheminement du discipulat. Si c’était le cas, comme me le rappelle mon collègue Jason Vickers, nous serions dépendants de ce genre d’expérience — plutôt que de l’Esprit saint qui donne gracieusement ces expériences — pour nous soutenir. Mais je crois aussi que nous devons être prêts à reconnaître et à célébrer ces rencontres étonnantes avec le Saint-Esprit. Notre Seigneur promet que ceux qui « ont faim et soif de justice » seront rassasiés. Il a promis qu’il enverrait « un autre Consolateur ». Il a même dit qu’il serait préférable qu’il s’en aille et envoie son Esprit.

Et tous ceux qui ont passé du temps dans l’auditorium Hughes d’Asbury ces derniers jours peuvent témoigner que ce Consolateur promis est présent et puissant. Je ne peux pas analyser — ni même décrire adéquatement — tout ce qui se passe, mais il ne fait aucun doute pour moi que Dieu est présent et agissant.

Plusieurs étudiants actuels et anciens élèves m’ont dit qu’ils priaient ensemble depuis plusieurs années pour que Dieu se manifeste, et qu’ils étaient ravis au-delà des mots de voir ce qui se passait. J’enseigne un cours d’anthropologie théologique à l’université ce semestre, et lors de notre rencontre du vendredi 10 février, j’ai rappelé à mes étudiants que nous sommes des créatures faites pour l’adoration et la communion avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit. C’est notre telos, la fin pour laquelle nous avons été créés. Nous ne sommes jamais plus vivants et entiers que lorsque nous adorons. Et ce que nous vivons maintenant — ce sentiment inexprimable de paix, de plénitude, de sainteté, d’appartenance réciproque et d’amour — n’est qu’une toute petite fenêtre sur la vie pour laquelle nous sommes faits.

Il est clair qu’il ne s’agit pas de la vision béatifique du Christ dans toute sa gloire, mais si ce que nous voyons est ne serait-ce que l’ombre la plus ténue de cette réalité, alors ce qui nous attend est une joie et un amour véritablement indicibles.

Ella Blacey et Lauren Powell prient pendant un service de culte à l’université Asbury.Avec l’aimable autorisation de Baptist Press
Ella Blacey et Lauren Powell prient pendant un service de culte à l’université Asbury.

J’ai également rappelé à mes élèves que nous avons été créés pour adorer Dieu ensemble, dans l’unité et en communion les uns avec les autres. Ainsi, le culte que nous vivons dans notre chapelle doit avoir des implications réelles pour notre communion en dehors de celle-ci. C’est d’autant plus important que nous travaillons actuellement sur des enjeux délicats concernant les questions raciales et ethniques.

Les réveils précédents ont toujours porté des fruits qui ont béni à la fois l’Église et la société. Pour exemple, même les historiens non croyants reconnaissent que le second Grand Réveil a joué un rôle essentiel dans la fin de l’esclavage aux États-Unis. Je suis impatient de voir les fruits que Dieu fera germer d’un tel réveil dans notre génération.

Le vendredi midi après le début de tout cela, mon fils Josiah m’a retrouvé et m’a dit que lui et ses amis s’étaient agenouillés devant l’autel et avaient prié ensemble. Il y avait quatre personnes dans son groupe, et elles priaient chacune dans une langue différente. Il m’a demandé plus tard : « Est-ce que c’est quelque chose comme ce que sera le paradis ? » Je lui ai dit que je pensais que oui, bien que ce ne soit encore que le plus faible reflet de ce que « aucun œil n’a vu, aucune oreille n’a entendu ». C’est comme si un petit coin de paradis nous avait rejoints ici sur terre.

L’Évangile n’est pas seulement vrai, mais aussi lumineusement merveilleux et mystérieusement beau. Chaque fois que je quitte l’auditorium de la chapelle ces derniers jours, j’ai le sentiment d’avoir goûté et vu que le Seigneur est bon.

Thomas H. McCall est professeur de théologie (chaire Timothy C. et Julie M. Tennent) au Asbury Theological Seminary à Wilmore, Kentucky.

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