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Des chrétiens africains face aux coups d’État

Une série de soulèvements militaires dans un Sahel en proie à la pauvreté et aux djihadistes ont fragilisé la démocratie. Troublent-ils également les croyants ?

Un jeune garçon regarde une affiche présentant le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, nouvel homme fort et chef de la junte au Burkina Faso, devant la grande mosquée de Ouagadougou après la prière du vendredi, le 28 janvier 2022.

Un jeune garçon regarde une affiche présentant le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, nouvel homme fort et chef de la junte au Burkina Faso, devant la grande mosquée de Ouagadougou après la prière du vendredi, le 28 janvier 2022.

Christianity Today March 19, 2022
John Wessels / AFP / Getty Images

L’Afrique est victime d’une « épidémie » de coups d’État militaires, déclarait en octobre le secrétaire général des Nations unies. Au cours des 18 derniers mois, des gouvernements ont été renversés au Mali (deux fois), au Tchad, en Guinée, au Soudan et tout récemment au Burkina Faso. Au moins trois autres tentatives ont été déjouées à Madagascar, en République centrafricaine et au Niger.

Avec une moyenne de deux par an au cours de la dernière décennie, il s’agit de la plus forte poussée en Afrique depuis 1999.

Comment les chrétiens de ces pays réagissent-ils ?

Abel Ngarsouledé, du Tchad, où environ 45 % des habitants de cette nation à majorité musulmane sont chrétiens, fait face à cette réalité.

« [I]l ne m’appartient pas de soutenir un coup d’État militaire dans mon pays », explique le secrétaire général de l’école doctorale de l’Université évangélique du Tchad. Cependant, « s’il veut écarter un roi de son trône, [Dieu] utilise tous les moyens en son pouvoir pour atteindre ses objectifs afin de rétablir sa crainte et la justice dans le pays ».

Lorsque le président tchadien a été tué sur le champ de bataille en avril 2021, l’armée a rapidement placé son fils à la tête d’un Conseil militaire de transition de 15 membres devant gouverner pendant 18 mois, renouvelable une fois. La promesse d’organiser un dialogue national a été suivie d’invitations adressées à des groupes rebelles, des hommes politiques, des représentants de la société civile, des universitaires et des responsables religieux.

Ngarsouledé a accepté l’invitation.

La rencontre ayant été reportée au mois de mai, il participe pour l’instant à deux comités dans le cadre d’un processus qui doit favoriser la réconciliation, la cohésion sociale et la tenue de nouvelles élections. Il n’y a aucune garantie que tout cela se produise, dit-il, et il demande la prière.

Également coordinateur adjoint du Conseil des institutions théologiques en Afrique francophone (CITAF), Ngarsouledé rappelle qu’à certains moments du récit de l’Ancien Testament Dieu a utilisé des prophètes ou des prêtres pour déposer des rois. Si c’est aujourd’hui par la prière que nous devons agir, le résultat final n’est pas sa préoccupation majeure.

« La forme de l’État n’est pas l’objet d’un enseignement biblique », dit-il, soulignant avant tout la préoccupation de Dieu pour la paix et la justice. « Ce sont les hommes qui adoptent telle forme ou telle autre de gouvernance selon l’orientation de leur cœur ».

Si l’opinion de Ngarsouledé ne reflète pas la défense absolue de la démocratie affichée par bon nombre de chrétiens occidentaux, il n’est pas le seul responsable chrétien africain dans ce cas.

« Parmi les formes de gouvernance évoquées (démocratie et autocratie), la démocratie semble être la mieux indiquée à l’instant », dit Samuel Korgo, directeur de l’Institut d’enseignement théologique et artistique (INSETA) au Burkina Faso. « Sauf que certains coups d’État viennent soulager les populations de certains régimes autoritaires, corrompus et incapables ».

C’est la raison pour laquelle la population a bien accueilli le coup d’État du 23 janvier dernier dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.

Cela inclut les chrétiens, affirme Korgo, également pasteur des Assemblées de Dieu. Bien qu’ils ne représentent que 30 % de la population, les chrétiens burkinabés ont toujours été à l’avant-garde du gouvernement. Cela n’a pas pour autant favorisé la démocratie : la nation a été sous régime militaire pendant 48 de ses 61 années d’indépendance, subissant huit coups d’État dans son histoire — un record pour le continent.

Une certaine inquiétude commence toutefois à apparaître. La situation après les coups d’État successifs au Mali voisin, dit Korgo, notamment avec les sanctions imposées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), préoccupe les Burkinabés.

Le coup d’État compromet également ce qui paraissait un développement démocratique prometteur, puisque 86 % des habitants du pays considéraient les élections de 2020 comme « libres et équitables ». Mais depuis lors, l’insurrection djihadiste qui a déplacé 1,5 million de personnes s’est encore accentuée. Plus de 3 000 écoles ont été fermées, et près d’un cinquième de ses 22 millions d’habitants a désormais besoin d’une aide humanitaire.

La junte a promis de rétablir le contrôle sur la situation.

Ne vous y fiez pas, prévient Lawrence Gomez, secrétaire régional associé de la branche ouest-africaine de l’International Fellowship of Evangelical Students (GBU), affiliée à InterVarsity.

« C’est la responsabilité des militaires d’assurer la sécurité », souligne-t-il, depuis son domicile en Gambie. « S’ils ont échoué, ils ne peuvent pas me dire qu’ils feront mieux s’ils sont au gouvernement ».

De fait, la junte a reconduit le même ministre de la Défense.

La première chose que font les auteurs de coup d’État, dit Gomez, est de consolider leur pouvoir. Le développement devient alors une préoccupation secondaire et les élections promises ne sont qu’un moyen d’éviter la condamnation internationale.

Contrairement à la tendance apparente sur le continent, la Gambie est l’une des réussites démocratiques de l’Afrique. Une révolution populaire a délogé le président en place depuis 20 ans en 2017, après qu’il ait tenté de renverser une défaite électorale.

L’année dernière, le Malawi, la Zambie et la Tanzanie ont connu une transition pacifique du pouvoir. Depuis 2015, on peut également citer le Liberia, la Sierra Leone et le Nigeria. Sur l’ensemble du continent, 73 % des Africains souhaitent choisir leurs propres dirigeants et 76 % veulent une limitation des mandats.

En réalité, selon l’Institut d’études de sécurité, le continent est plus démocratique que d’autres régions, compte tenu de son niveau de développement.

Mais le problème, selon Gomez, est que trop de gouvernements ne font rien pour améliorer le statu quo. La démocratie elle-même ne résout pas les problèmes, et peut même laisser libre cours à des maux sociaux que la Bible condamne. Mais elle donne au moins le choix au peuple.

« Ce n’est pas parce que quelqu’un fait quelque chose de mal qu’il faut faire le mal pour le réparer », dit-il. « Le pire des dirigeants civils vaut mieux que le meilleur des dirigeants militaires ».

Pas nécessairement, estime Illia Djadi, analyste principal de Portes Ouvertes pour la liberté religieuse en Afrique.

« Militaire ou civil, ce n’est pas la question principale », affirme-t-il. « Il s’agit de savoir qui va aider à vivre en paix ».

Djadi relève que la plupart des tentatives de coup d’État récentes ont eu lieu dans la région du Sahel, région instable et frappée par la pauvreté, y compris dans son propre pays, le Niger. Seuls quatre mois de précipitations déterminent la production agricole annuelle, ce qui exacerbe ici le sous-développement dont souffrent déjà de nombreux pays d’Afrique.

Mais le fléau du djihadisme a tué 1 300 civils rien qu’au Mali, au Niger et au Burkina Faso l’année dernière, atteignant un total de 3 500 victimes depuis 2015. Les populations en ont assez.

« Attendons de voir si ces coups d’État changent les choses en bien, sur le terrain », dit-il. « Ce n’est pas le rôle des chrétiens de soutenir ou de s’opposer ».

À la place, Djadi compte plutôt sur la responsabilité de la communauté internationale.

Les nations occidentales doivent apporter leur aide. Mais répétant les mêmes erreurs qu’en Irak, elles se concentrent principalement sur la réponse militaire au djihadisme. Pourtant, c’est leur intervention en Libye qui a provoqué le chaos régional, entraînant la poussée de l’extrémisme islamique vers le sud du Sahel.

Le Mali est en train de chasser ses partenaires français dans la lutte contre le terrorisme, tandis que des troupes mercenaires russes entrent dans le pays. L’influence russe s’étend déjà en Libye et en République centrafricaine, et des rumeurs à ce sujet circulent au Burkina Faso, au Soudan, au Tchad et au Mozambique.

La population ne s’intéresse pas à la géopolitique, affirme Djadi. Simplement désireuse de sécurité, elle souffre du poids des sanctions économiques punitives. La CEDEAO a adopté une approche différente avec chaque coup d’État, en fonction de la volonté de travailler ensemble à la restauration démocratique.

Djadi s’oppose fermement à ces sanctions et appelle à une plus grande coopération en matière de développement. L’Église est un partenaire compétent — lorsqu’elle n’est pas la cible d’attaques — qui contribue au bien-être socio-économique grâce à ses nombreuses écoles, hôpitaux et organisations d’aide.

« Il est de la responsabilité de l’Église mondiale de soutenir le corps du Christ », déclare-t-il. « Mais le Sahel ne reçoit pas l’attention qu’il mérite ».

John Azumah, directeur de l’Institut Lamin Sanneh de l’Université du Ghana, est d’accord avec une grande partie de ces affirmations. Les sanctions économiques sont préjudiciables. Dans le Sahel, la sécurité est une nécessaire priorité pour les chrétiens. Et les gouvernements africains n’ont pas réussi à soutenir la démocratie par le développement.

Il réfléchit cependant aux deux décennies de gouvernance multipartite réussie de son pays, et à l’origine de cette réussite. Le Ghana est au troisième rang des tentatives de coup d’État en Afrique, avec 10 tentatives, dont cinq ont été couronnées de succès.

Les juntes n’apportent pas la stabilité qu’elles promettent.

« L’Église a été à l’avant-garde de la lutte contre la dictature », selon Azumah. « Mais elle n’a pas été en profondeur, et nos séminaires ont échoué en matière de théologie publique ». La démocratie est certainement le système de gouvernement le plus approprié pour l’Afrique, dit-il, car elle garantit les libertés et soutient les communautés minoritaires. Mais elle a également été un vecteur de corruption, et l’Église a souvent été impliquée.

Même lorsqu’elle n’était pas impliquée dans la corruption, elle s’est régulièrement rangée du côté du pouvoir.

« L’Église n’a pas à se mobiliser pour la démocratie, mais à se mobiliser pour le peuple », estime Azumah, soulignant la nécessité d’être non partisan. « Préservez les principes malgré les désillusions de la nation, mais dénoncez toujours les abus. »

Le pessimisme à propos de la démocratie est omniprésent en Afrique et dans le monde. L’organisation Freedom House a récemment enregistré la quatorzième année consécutive de déclin démocratique mondial. Sur les douze plus fortes baisses, sept concernent l’Afrique subsaharienne. Seuls 9 % des habitants du continent vivent dans sept nations considérées comme « libres », le chiffre le plus bas depuis 1991.

De même, Afrobarometer observe que sur 15 nations étudiées depuis 2011, seule la Sierra Leone a enregistré une hausse du soutien aux élections. Et dans 34 pays, seuls 43 % des citoyens sont satisfaits du fonctionnement de leur démocratie.

C’est pour cette raison que Ngarsouledé s’est engagé.

Dirigeant des équipes de travail et rapporteur d’une équipe de réconciliation nationale, il interagit avec des officiers supérieurs de l’armée, des responsables gouvernementaux, des universitaires, des hommes d’affaires et des militants de la société civile. Si les discussions sont ouvertes et que l’engagement en faveur de la liberté religieuse est bien présent, le partisanisme est aussi parfois une réalité.

« Dieu me donne la grâce d’être écouté », dit-il, « mes interventions ont un impact positif dans le contexte de la transition actuelle ».

La plupart des sources font état d’une prise de conscience croissante des chrétiens de la nécessité de s’engager en politique. Malgré ses critiques, Azumah insiste sur cette question dans les séminaires du Ghana. Gomez vise à élever une nouvelle génération de leaders parmi ses étudiants. Et Korgo affirme que la dynamique holistique de l’Évangile nécessite que les chrétiens luttent contre la pauvreté et la corruption.

Mais les pasteurs, disent-ils, doivent éviter de s’engager publiquement en politique.

Les opinions des responsables chrétiens africains varient en ce qui concerne la démocratie et les coups d’État militaires. Mais quel que soit le système, l’expression politique de la nature pécheresse de l’être humain ne se limite bien sûr pas à l’Afrique.

« Citoyen du ciel, je sers Dieu au sein de ma nation et au-delà, sur la base des valeurs chrétiennes », dit Ngarsouledé. « [C]’est bien parmi cette génération corrompue et perverse que le chrétien est appelé à vivre sa foi. »

Traduit par Léo Lehmann

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