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Les Nations unies sont un champ de mission

Ce que j’ai appris en représentant mon organisation chrétienne auprès de diplomates de 193 pays.

Christianity Today October 15, 2024

Je montre mon badge d’accès aux Nations unies au policier en faction. Il me fait signe de passer la barrière de sécurité. En approchant, je vois des tireurs d’élite avec des fusils sur le toit et j’entends une dizaine de langues différentes. Les limousines noires sont partout : les présidents et les Premiers ministres convergent vers New York, préparant leurs discours pour l’Assemblée générale des Nations unies, qui s’est ouverte ce mois de septembre. 

Cela fait cinq ans que j’ai eu pour la première fois accès à cette communauté de politiciens, d’humanitaires et de militants du monde entier en devenant représentant du Comité central mennonite (MCC, de l’anglais Mennonite Central Committee) auprès de l’ONU. J’ai observé les lenteurs de cette bureaucratie, ses difficultés à agir de manière décisive et énergique. J’ai entendu bien des personnes défendre des politiques auxquelles je m’oppose fondamentalement en raison de mes convictions chrétiennes. 

Mais dans mon engagement au sein du MCC, j’ai également pris conscience que mon lieu de travail est un champ de mission où j’ai quotidiennement l’occasion de témoigner en tant que disciple du Christ dans le monde de la politique. Une ambassadrice des Nations unies au Conseil de sécurité disait ainsi un jour à un petit groupe d’organisations chrétiennes que nous l’avions inspirée à rester fidèle à sa foi chrétienne face aux défis de la violence en Israël et en Palestine.

J’ai vu l’ambassadeur albanais auprès des Nations unies, siégeant alors au Conseil de sécurité, déclarer à un groupe de 40 étudiants chrétiens que sa vocation était de continuer à dénoncer au monde les mensonges de la Russie au sujet de son invasion militaire de l’Ukraine et que le fait de documenter la vérité compterait un jour. Dans le bâtiment des Nations unies, j’ai aussi fait face au mémorial dédié à Michael « MJ » Sharp, un ancien employé du MCC qui a ensuite travaillé pour les Nations unies. Après des années de travail avec des mentors congolais locaux, MJ et sa collègue suédoise des Nations unies Zaida Catalán sont tombés dans une embuscade et ont été exécutés par un groupe armé en République démocratique du Congo (RDC). Leur interprète et trois conducteurs de moto sont toujours portés disparus. 

Plus de 6 000 agences non gouvernementales ont obtenu le statut consultatif auprès des Nations unies, ce qui leur permet d’interagir officiellement avec les diplomates et le personnel de l’institution, d’entrer dans le complexe et de participer aux activités de l’ONU. L’Église catholique est présente ici par l’intermédiaire de Caritas, de même que les Églises anglicane, méthodiste et presbytérienne. Mais parmi les principales organisations évangéliques internationales américaines, dont Compassion International, Hope International, International Justice Mission, Samaritan’s Purse et World Relief, seule World Vision dispose comme le MCC d’un bureau dédié aux Nations unies et d’une présence constante à New York. 

Mais que se passerait-il si les disciples du Christ considéraient cette communauté de 5 000 membres du personnel diplomatique et de 8 000 employés des Nations Unies comme un groupe de personnes non atteintes par l’Évangile ? Et s’ils prenaient conscience que le fait d’influencer le pouvoir politique dans ces espaces a un impact considérable en termes de compassion et de justice pour les personnes que tant de chrétiens servent dans le cadre de ministères internationaux ? Et si nous liions amitié avec certains de ces fonctionnaires pleins de courage moral, de toutes origines et confessions, et les laissions nous inspirer ?

Une voix rare auprès du pouvoir politique

Dans un certain nombre des 45 pays où le MCC exerce des missions de soutien, de développement et de rétablissement de la paix, il est évident que le pouvoir politique fait fréquemment obstacle à notre mission. 

Le coup d’État militaire de 2021 au Myanmar a fait fuir un grand nombre de nos partenaires chrétiens locaux, qui ont continué à aider les autres tout en étant eux-mêmes déplacés à l’intérieur du pays. Lorsque les gangs ont pris le contrôle d’Haïti après l’effondrement du gouvernement, il est devenu pratiquement impossible de faire avancer les programmes de santé et d’agriculture. Treize années de guerre en Syrie ont ravagé le pays, engendré des millions de réfugiés et porté atteinte à la vie et au travail de nos partenaires chrétiens. 

Pour les ministères chrétiens actifs dans le monde entier, ce sont les partenaires locaux, vivant sur le terrain entre souffrance et espérance, qui savent ce qui se passe en temps réel et possèdent l’expertise nécessaire pour trouver des solutions. Ce savoir incarné peut être précieux et apprécié aux Nations unies.

Après le coup d’État militaire au Myanmar, nous avons, en collaboration avec un organe des Nations unies, mis à la disposition d’un partenaire un canal sécurisé de l’ONU pour établir un rapport de première main sur une attaque à l’arme chimique contre des civils. Lors de réunions avec des diplomates américains, nous avons expliqué comment l’interdiction de voyager en République populaire démocratique de Corée (Corée du Nord) imposée en 2017 aux ressortissants américains travaillant dans des agences humanitaires a mis un terme à nos 25 années de travail dans ce pays. En collaboration avec d’autres agences, nous avons persuadé les États-Unis d’accorder des autorisations qui ont permis à nos équipes d’entrer en Corée du Nord et de veiller à ce que des kits de nourriture et d’eau potable parviennent aux hôpitaux pour enfants. 

Lors d’une réunion avec l’ambassadeur d’un pays européen influent, ma collègue Victoria Alexander, âgée de 26 ans, a expliqué que nos partenaires sur le terrain à Gaza rencontraient d’importants obstacles pour acheminer de la nourriture et des articles ménagers aux familles, tandis qu’eux-mêmes fuyaient les bombes et souffraient de la perte d’êtres chers. Victoria a également raconté comment notre personnel américain à Jérusalem a été contraint de partir lorsque le gouvernement israélien a cessé de renouveler les visas pour les travailleurs humanitaires.

« L’information est la monnaie des Nations unies », m’a dit une diplomate chrétienne d’un pays occidental. « Les organisations chrétiennes ont un lien de confiance avec les communautés et l’église locale que même de nombreux diplomates de premier plan de ces pays n’ont pas. Cela donne de la crédibilité à ces organisations. »

Interagir sainement avec le politique

Dans Christianity in the Twentieth Century, l’historien Brian Stanley affirme que l’incapacité des églises à s’exprimer publiquement en Allemagne pendant la montée du nazisme et au Rwanda avant le génocide de 1994 nous rappelle que « l’efficacité du discours prophétique dépend d’un équilibre délicat entre préservation de l’accès aux acteurs du pouvoir politique et maintien d’une distance suffisante par rapport à ceux-ci pour sauvegarder son indépendance morale ».

Malheureusement, les chrétiens continuent à lutter entre la tentation de contrôler le pouvoir politique et celle de lui tourner totalement le dos. À l’ONU cependant, comme les organisations chrétiennes n’ont pas de représentants politiques et que les diplomates n’ont aucune obligation de nous écouter, nous pouvons apprendre à être une minorité dont la force réside simplement dans la persuasion et l’établissement de relations. Nous ne nous engageons pas pour prendre le pouvoir, mais pour témoigner des valeurs du royaume de Dieu. En outre, la présence de toutes les nations nous pousse à penser et à parler au-delà des intérêts d’un seul État, en nous appuyant sur nos relations avec les sans-pouvoir et les laissés-pour-compte du monde entier. 

À une époque où la politique est souvent marquée par les éclats et les emportements, la persuasion discrète constitue une bonne voie pour un engagement plus sain. Lorsqu’un groupe de collègues de notre ministère a visité notre bureau des Nations unies à New York ce printemps, nous avons rencontré un diplomate américain. Au cours du repas, je lui ai parlé des défis auxquels le MCC est confronté à Gaza et dans la péninsule coréenne, ainsi que du préjudice que certaines politiques américaines causaient, selon nous, à ceux qui étaient sur le terrain. Il a écouté patiemment. Après le départ du diplomate, Clair Good, un coopérant qui travaillait avec le MCC en République démocratique du Congo et au Kenya, m’a dit : « Chris, tu as abordé des sujets difficiles avec lui, mais avec un repas très agréable et en montrant de l’intérêt pour lui en tant que personne. Cela nous a aidés à comprendre l’importance de relations de respect dans notre interaction avec le monde politique. »

D’autres situations nécessitent de s’exprimer publiquement de manière inattendue. Au printemps dernier, le MCC et d’autres groupes se sont munis de pancartes indiquant « Pèlerinage de deuil pour tous les traumatismes, les pertes de vie et les souffrances en Palestine-Israël », et ont parcouru silencieusement 25 cercles dans les blocs autour de l’ONU pour représenter les 25 miles de longueur de la bande de Gaza. L’année dernière, à l’occasion du 70e anniversaire de l’armistice de la guerre de Corée, 50 diplomates des Nations unies ont assisté à notre cérémonie du souvenir et de la paix. Sans cet événement, organisé par le MCC et d’autres groupes croyants, aucune manifestation aux Nations unies n’aurait marqué les 70 ans de la division du peuple coréen.  

La même diplomate chrétienne d’un pays occidental citée plus haut m’a dit que les négociations à l’ONU sont longues et frustrantes, et que les progrès sont lents. « Mais j’apporte une vision chrétienne qui veut que tout le monde soit le bienvenu à la table et que l’on écoute ceux qui sont dans les pires situations. Ainsi que des personnes avec lesquelles je suis en profond désaccord. »

Chaque année, nous organisons un séminaire sur les Nations unies à l’intention des étudiants chrétiens du Canada et des États-Unis. Malgré nos efforts sincères pour être honnêtes sur les limites et les défaillances de l’ONU, les étudiants repartent avec de plus grands espoirs, inspirés par des ambassadeurs et des diplomates qui rehaussent la vocation politique. 

Grandir en tant qu’artisans de paix

À la suite de la populaire série Les survivants de l’Apocalypse, de nombreux évangéliques américains expriment une profonde méfiance à l’égard d’un « gouvernement mondial unique » qui constituerait une menace pour l’indépendance nationale, la liberté religieuse et le règne du Christ. Les Nations unies sont parfois présentées comme le cœur de cette menace. 

Mais qu’ils se rassurent : la plupart du temps, au milieu d’âpres batailles entre les États-Unis et la Chine au Conseil de sécurité, les Nations unies sont plutôt des « nations divisées ». Des partenaires du MCC en République démocratique du Congo et au Myanmar m’ont souvent rappelé que, dans leur pays, l’acronyme des « United Nations », UN, est souvent détourné en « United for Nothing », « Unis pour rien ». Et comme me l’a dit la diplomate chrétienne d’une nation occidentale, « l’ONU est une énorme institution. Cette énorme bureaucratie a tendance à penser que l’argent peut résoudre les problèmes. Il n’y a pas assez d’introspection sur les échecs de l’ONU, d’Haïti à l’Afghanistan. »

Mais il n’y a rien de surprenant à ce que le bon, le mauvais et le laid de notre monde se côtoient tous à New York ou que les Nations unies soient limitées dans leur pouvoir, car toute l’humanité est ici, à la fois créée à l’image de Dieu et éloignée de lui, déchue et fragile. Oui, il y a ici du courage moral et de l’excellence. Il y a aussi du gaspillage, de la lâcheté et de puissants fonctionnaires qui temporisent, mentent, font de l’obstruction et abusent de leur pouvoir. 

Mais ces défis moraux sont une raison supplémentaire pour les disciples du Christ d’être présents. 

« C’est la seule salle au monde où l’on voit des Ukrainiens parler avec des Russes, des Israéliens avec des Palestiniens, des Américains avec des Iraniens », souligne la diplomate new-yorkaise, qui ne peut être nommée en raison du caractère sensible de son travail. Les désaccords entre les nations font les gros titres. « Mais nous ne pouvons pas nous éviter ici », poursuit-elle. « Nous devons nous asseoir, nous écouter les uns les autres et mettre nos différences de côté pour trouver des domaines sur lesquels nous sommes d’accord, de l’accès à l’eau propre à l’intelligence artificielle. J’ai le WhatsApp de diplomates d’autres pays avec lesquels nous ne nous entendons pas. Même lorsque nous ne sommes pas d’accord, nous nous envoyons des messages. »

À une époque où nous évitons de plus en plus les personnes avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord, où nous nous cloîtrons dans des églises ou des quartiers de « gens comme nous », le fait d’être quotidiennement confronté tant à des amis qu’à des ennemis dans les couloirs de l’ONU peut engendrer des sentiments contrastés. Mais ce contexte peut devenir un terrain propice au développement des vertus bibliques propices à la promotion de la paix. 

Le théologien Stanley Hauerwas estime que l’ONU est une communauté de conversation nécessaire dont les chrétiens ne devraient pas se passer. 

« L’ONU n’empêchera pas les guerres, mais elle permet de les retarder, ce qui n’est pas à négliger », m’a-t-il dit. « Il est bon d’avoir des diplomates qui s’engagent à rendre la guerre moins probable et qui sont frustrés lorsque cela ne fonctionne pas. Cette frustration est une source d’énergie qui, espérons-le, portera ses fruits au bout d’un certain temps. Parce que la paix prend du temps et qu’il faut apprendre la patience. Parce que vous devez écouter ceux que vous méprisez. »

Jusqu’aux confins de la terre

En quittant l’Assemblée générale des Nations unies, je passe devant les 193 drapeaux et j’arrive au Church Center où je travaille. La chapelle, qui accueille des cultes chrétiens ouverts à tous, est ornée d’une grande fresque. L’œuvre, encastrée dans le mur du bâtiment, entremêle sculpture et vitraux. Intitulée Man’s Search for Peace (« La recherche de la paix par l’homme »), elle représente des formes humaines autour d’un grand œil, qui regarde à la fois à l’intérieur du sanctuaire et à l’extérieur, de l’autre côté de la rue, vers les Nations unies. Pour moi, cet œil représente celui du Seigneur.

Chaque fois que je passe devant, cette œuvre me rappelle que notre Dieu vivant, le Seigneur de toutes les nations, garde un œil à la fois sur les puissances qui s’expriment de l’autre côté de la rue et sur l’Église, nous exhortant à témoigner, parmi les puissants, du Seigneur qui « fait droit au malheureux [et] rend justice aux pauvres » (Ps 140.12).

Dans les Actes, Jésus a envoyé ses disciples jusqu’aux « extrémités de la terre » (Ac 1.8). Aujourd’hui, quotidiennement, des membres de tous ces peuples se retrouvent aux Nations unies. Puis ils rentrent chez eux et se dispersent dans toutes les nations. Depuis l’intérieur de ces immeubles new-yorkais, le témoignage chrétien peut toucher le monde entier. 

Chris Rice est directeur du bureau du Comité central mennonite auprès des Nations unies à New York. Il était auparavant directeur cofondateur du Duke Divinity School Center for Reconciliation. Son dernier livre est From Pandemic to Renewal: Practices for a World Shaken by Crisis (InterVarsity Press).

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Church Life

Dieu m’appelle-t-il à l’anonymat ou à l’influence ?

Je veux écrire pour édifier le corps du Christ, mais la nécessité de se constituer un public m’éloigne de ma communauté locale.

Christianity Today October 15, 2024
Illustration by Elizabeth Kaye / Source Images: Getty / Unsplash / Wikimedia Commons

J’ai récemment eu un échange avec un pasteur de Harrisburg, en Pennsylvanie. Sa communauté est petite pour notre contexte — 150 membres environ — et son emploi du temps est chargé, avec des tâches qui s’étendent bien au-delà des murs du bâtiment de l’église.

La semaine type du pasteur témoigne de son dévouement à l’égard de ses paroissiens. Il consacre la majeure partie de son temps aux visites, à la prière et à l’accompagnement pastoral, souvent dans des maisons de retraite et des hôpitaux. Il réserve le samedi à la préparation des sermons et essaie de garder le vendredi pour passer du temps avec sa famille.

Parfois, il reçoit des invitations à intervenir à l’extérieur : prendre la parole lors d’une conférence, contribuer à un média chrétien ou même écrire un livre — autant d’opportunités séduisantes qui témoignent de sa valeur intellectuelle et de son vaste réseau dans divers cercles chrétiens. Cependant, il refuse généralement ces sollicitations de crainte d’affecter la croissance spirituelle de son troupeau. Au lieu de se constituer un public, il nourrit une communauté. Ou bien, comme le formule l’autrice Jen Pollock Michel, il vit sa vie au lieu de laisser une histoire.

J’ai eu du mal à faire ce choix pour moi-même. Après avoir terminé mes études de théologie, j’ai commencé à écrire et à enseigner dans mon église locale. Comme je n’avais pas besoin de gagner de l’argent par mes écrits, j’avais le luxe d’une certaine flexibilité, et rapidement, chercher des endroits où être publié est devenu un travail en soi. C’est avec une profonde gratitude que j’ai reçu l’invitation à devenir membre d’une guilde d’écrivains et que j’ai vu d’autres personnes faire la promotion de mon travail. Mais j’ai aussi commencé à voir que le fait d’écrire régulièrement pour un public était compliqué, difficile et insoutenable si je voulais continuer à m’investir dans ma communauté.

Je veux écrire pour servir l’Église, mais l’écriture me prive de plus en plus de mon temps consacré à celle-ci. Supposons que je passe tout mon temps à présenter mes publications, à développer mon lectorat, à créer du contenu chrétien et à essayer de percer dans le « complexe industriel évangélique. » Serai-je encore le Christ pour les autres ? Est-ce que je manifeste son amour ?

D’un autre côté, si je me sens appelée à écrire et que je pense avoir quelque chose de valable à dire, est-il mal d’utiliser mon talent pour promouvoir mon travail ? Dois-je me contenter de l’anonymat, comme ce pasteur de Pennsylvanie ? Dois-je plutôt prendre du temps avec cette femme dont la mère est décédée, dont le mari est parti, ou qui a reçu un appel téléphonique de son médecin au sujet d’un scanner ? Je me suis souvent demandé si j’avais l’intelligence, la sagesse et la résistance nécessaires pour vivre la vie d’un écrivain chrétien.

Divers débats récents entre auteurs chrétiens sur les dynamiques de ce ministère et le paysage de l’édition suggèrent que je ne suis pas la seule à me poser cette question. La problématique est très marquée par la façon dont les changements technologiques ont transformé l’écriture. D’une certaine manière, l’édition s’est démocratisée. Entre les podcasts, les réseaux sociaux, les blogs, les lettres de nouvelles et les plateformes vidéo comme YouTube et TikTok, les contenus chrétiens ne manquent pas. Les obstacles à l’expression sont minimaux, permettant à beaucoup plus de voix de s’exprimer sur la théologie, la croissance spirituelle et la vie chrétienne.

Mais s’exprimer n’est qu’un premier pas. Être entendu nécessite d’entretenir un réseau et de promouvoir intentionnellement ses travaux. « Les éditeurs évaluent constamment les propositions de livres, non pas en fonction du contenu du livre, mais en fonction de l’audience de l’auteur », écrit Jen Pollock Michel dans un article sur la décision d’arrêter l’édition mais de continuer à écrire. « Cette personne sait-elle écrire ? Certes, c’est une bonne question. Mais je dirais que ce n’est même pas le plus important dans le calcul de l’édition. Cette personne peut-elle vendre ? C’est là que commencent les choses sérieuses. »

Vous devez établir une présence numérique solide et élargir votre public. Vous espérez que d’autres écrivains feront la promotion de votre travail comme vous faites la leur — les personnes que vous connaissez et que vous notifiez sur vos réseaux sociaux deviennent une monnaie d’échange. Il ne suffit pas d’être doué par l’Esprit, il faut promouvoir ses dons sur les réseaux. Vous créez du contenu Instagram, écrivez des pépites de sagesse et commencez à faire des vidéos dans l’espoir que plus vous créez de contenu, plus les gens vous remarqueront.

Mais est-ce ainsi que je devrais utiliser mon temps ? Qu’en est-il de mon service dans l’église ? Qu’en est-il des personnes qui vivent un divorce, une maladie, des difficultés parentales ou qui sont simplement à la recherche d’une communauté ? Si j’écris sur le Christ, est-ce que je néglige son corps ? Comme me l’a formulé la théologienne Nika Spaulding : « Est-ce que je manque l’impératif de donner la priorité aux besoins de l’église locale ? Ai-je besoin d’un rééquilibrage de mes aspirations et de mes ambitions ? »

C’est une question que je me pose tous les jours. Je crois que Dieu m’appelle à servir fidèlement là où je me trouve, à l’aimer et à aimer les membres de mon église locale — et non à être une bâtisseuse d’audience ou une influenceuse, à la recherche constante de la validation d’un public admiratif (et de la dopamine qu’elle procure). Mais je crois aussi que l’écriture est un moyen que Dieu m’a donné de servir, et l’industrie de l’édition me dit que je dois me constituer un public si je veux que quelqu’un lise mon travail. Lors de mes conversations avec la journaliste et écrivaine Devi Abraham, elle observait que dans le christianisme américain, comme dans la culture américaine en général, « l’anonymat n’est pas la voie du succès ».

Je n’ai pas de réponse claire à toutes ces questions, mais j’ai d’autres questions qui pourraient apporter de la clarté — et une histoire qui a réorienté ma pensée.

Peut-on trouver le contentement dans l’anonymat ? « J’ai pris la parole lors de deux événements féminins assez importants et, pour la première fois, je n’ai incité personne à s’abonner à ma lettre de nouvelles », racontait l’autrice Sarah K. Butterfield à propos d’une période au cours de laquelle elle a fait une pause dans l’écriture. « Je me suis présentée avec le seul objectif de servir les personnes présentes, sans aucun espoir d’accroître mon public. Le résultat a été libérateur ! »

Sommes-nous prêts à faire de même ? Comment nos habitudes d’écriture, de représentation et de publication changeraient-elles si nous n’essayions pas constamment d’augmenter notre nombre de lecteurs ? Y a-t-il dans notre âme une dissonance qui nous empêche de nous satisfaire de ce qui est petit et nous fait constamment aspirer à plus ?

Si Dieu nous a donné un don créatif, que signifie l’utiliser pour sa gloire ? Nous devons utiliser nos dons pour Dieu et pour l’extension de son royaume, mais il se pourrait bien que la portée qu’il veut que nous ayons dans notre ministère, dans l’église ou ailleurs, reste limitée. Et si Dieu voulait que nous exercions notre ministère — ou même que nous écrivions — pour un petit nombre de personnes, non pas en vendant 20 000 livres, mais en étant fidèles aux quelques personnes de notre entourage ? Notre « public » peut être une église locale ou un quartier.

« Servir dans une église locale et son voisinage est difficile, stimulant et épuisant », me disait l’enseignante Jen Wilkin. Mais il est également gratifiant de voir, en personne, des gens s’épanouir dans la connaissance des Écritures et l’amour de Dieu. Dans la cacophonie numérique des voix qui se disputent notre attention et notre approbation, nous devons, dans le cadre du ministère chrétien, trouver des moyens d’établir des relations significatives et de favoriser une croissance spirituelle en profondeur chez ceux qui sont concrètement à notre portée.

J’ai eu une longue discussion à ce sujet avec Al Hsu, directeur éditorial associé d’InterVarsity Press. Même dans le secteur de l’édition, dit-il, « l’audience n’est pas » — ou ne devrait pas être — « une fin en soi. C’est un prolongement de notre mission et de notre vocation. » Notre recherche d’audience doit être alignée sur notre vocation et sur les personnes que nous sommes appelés à servir, de sorte que les publics seront différents selon les personnes.

Pouvons-nous être patients dans notre développement ? Comme beaucoup d’écrivains, j’ai aspiré à ressembler aux têtes d’affiche, aux enseignants et aux auteurs qui disposent de vastes publics et ont atteint la célébrité. Peut-être leur ressemblerai-je un jour, mais ils ne sont pas arrivés là du jour au lendemain. D’éminentes autrices comme Beth Moore et Ann Voskamp « ont travaillé dans l’ombre pendant des années », observe l’écrivaine Karen Swallow Prior, « et, plus important encore, ne se sont pas lancées dans l’espoir d’acquérir les vastes audiences qu’elles ont aujourd’hui. »

L’autrice Christine Caine raconte comment elle a été « développée, pas découverte ». Elle souhaitait servir Dieu dès son plus jeune âge. Lorsque, jeune adulte, les responsables de l’église lui ont demandé de faire partie de l’équipe de nettoyage elle a donc accepté. Cela l’a amenée à assumer de plus grandes responsabilités et à bénéficier d’un accompagnement, et après des années passées à faire du ménage, son oui fidèle à 21 ans l’a préparée à l’énorme ministère qu’elle dirige aujourd’hui. Dieu a développé sa foi et ses compétences dans l’obscurité.

Que voulons-nous vraiment ? Peut-être Dieu veut-il que nous exercions notre ministère à petite échelle, au niveau local. Ou peut-être nous aidera-t-il à écrire pour des millions de lecteurs. Dans un cas comme dans l’autre, m’a dit l’autrice Mary DeMuth, nous devons prêter attention à notre cœur. « Est-ce que nous nous retrouvons à aimer ces interactions plus que les personnes qui se cachent derrière elles ? » « Dieu appelle à aimer des êtres humains de chair et d’os, et nous devons chercher à les bénir, à les aimer et à les connaître. »

Dieu nous appelle à le connaître et à marcher avec lui, et nous devons d’abord cultiver cela. Si Dieu veut pour nous un large public, il peut le réaliser. Nous ne devons pas perdre notre temps à rechercher l’importance et l’audience. Nous pouvons grandir là où nous sommes plantés, grandir dans la connaissance de Dieu et pratiquer sa présence au quotidien. La véritable mesure du succès n’est pas le nombre d’abonnés ou le chiffre des ventes, mais la profondeur de notre fidélité à Dieu.

J’ai lu récemment une brève histoire de la princesse franque Berthe, qui s’installa à Canterbury, dans le royaume anglais du Kent, vers l’an 580, pour épouser son roi païen, Ethelbert. Le christianisme avait déjà été introduit en Angleterre, mais n’était pas encore largement répandu.

Berthe était dotée d’une profonde foi chrétienne. Elle s’est mariée à la condition de pouvoir rester chrétienne et a emmené un évêque dans sa nouvelle patrie. Elle a correspondu avec le pape, qui écrira plus tard d’elle que ses « bonnes actions sont connues non seulement parmi les Romains […], mais aussi en divers endroits ».

En 597, après des années de persévérance apparemment « infructueuse » de Berthe, une équipe missionnaire dirigée par un moine nommé Augustin débarqua de Rome. Arrivés dans le Kent, ils prêchèrent l’Évangile au roi, qui reconnut enfin la souveraineté du Christ. De nombreuses personnes suivirent l’exemple du roi et Canterbury devint le centre du christianisme en Angleterre. Aujourd’hui encore, la ville est le foyer spirituel de nombreux chrétiens.

Berthe n’a pas laissé d’écrits ni de traces dans l’exercice public du pouvoir. Pourtant, ses années de fidélité ont contribué à l’évangélisation de l’Angleterre et de nombreuses autres nations. Aujourd’hui, l’UNESCO reconnaît sa chapelle de prière comme le plus ancien lieu de culte et de témoignage chrétien ininterrompu du monde anglophone. Dieu s’est servi de ses prières pour faire infiniment plus que ce qu’elle aurait pu demander ou imaginer (Ep 3.20).

Il peut utiliser notre obscure fidélité de la même manière. Si « nous préférons le spectaculaire », dit l’auteur Skye Jethani en évoquant la parabole du semeur, « Dieu se réjouit d’œuvrer dans la subtilité. Et alors que nous pensons que les résultats dépendent de la façon dont la Parole de Dieu est proclamée, Dieu sait que ceux-ci arrivent par la façon dont elle est reçue. » Notre souci est-il de construire une audience pour nous-mêmes ou d’être les mains et les pieds du Christ, en semant là où nous le pouvons et en laissant Dieu accorder la croissance qu’il voudra ?

E. L. Sherene Joseph est une enfant de troisième culture et une autrice concentrée sur la foi, la communauté et la culture. En tant qu’immigrante aux États-Unis, elle partage ses expériences de vie entre deux mondes différents. Vous pouvez retrouver son travail sur www.sherenejoseph.me.

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Theology

Confessions d’une solitaire

En tant que jeune épouse et mère, je me suis construit exactement la vie dont j’avais rêvé. La seule chose qui manquait, c’était tous les autres.

Christianity Today October 11, 2024
Illustration de Giovanni Da Re

Je ne me souviens pas du moment où j’ai réalisé que je n’avais pas de communauté.

C’était peut-être un dimanche, après le culte, lorsque, portant mon fils de neuf mois, je suis passée de la garderie à la salle principale et que j’ai éprouvé exactement ce que j’avais ressenti quand, immigrante de 14 ans, je suis entrée pour la première fois dans une école américaine. Horrible impression de déjà-vu. J’avais face à moi un océan de visages que je ne connaissais pas, des gens rassemblés en petits groupes d’amis, qui souriaient, bavardaient, hochaient la tête. Tout le monde semblait avoir sa place quelque part, et j’étais comme une nouvelle venue dans une église que je fréquentais depuis cinq ans.

Ou peut-être était-ce le samedi où ma mère passait un scanner pour un cancer du pancréas en Corée du Sud et où mon mari, David, avait dû s’absenter. J’étais mère seule à la maison, essayant de ne pas pleurer devant mon fils, Tov. J’aurais tellement aimé qu’un ami se présente à ma porte et s’assoie avec moi, prie à haute voix ou joue avec Tov pendant que j’essuyais mes larmes.

La question de la communauté ne m’avait pas beaucoup préoccupé jusqu’à ce que j’en aie vraiment besoin et que je constate son absence.

Les chrétiens connaissent souvent bien Genèse 2.18 : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. » Ce verset est le plus souvent appliqué au mariage, mais il s’agit d’une réalité qui nous touche tous : le Créateur, qui lui-même vit une forme de communauté dans l’intimité de la Trinité, a créé toute l’humanité pour être avec et pour d’autres personnes. Il n’est pas bon d’être seul, car nous ne sommes pas faits pour cela. Nous sommes sortis du ventre de notre mère en hurlant pour que quelqu’un nous prenne près de lui.

Mais à mesure que nous vieillissons et que nous devenons plus autonomes, occupés par les défis de la vie, nous apprenons à vivre de manière indépendante, comme certains s’accommodent d’une cheville cassée. Et nous continuons à boiter, relationnellement handicapés, jusqu’à ce que nous fassions face à une colline escarpée et que nous réalisions que nous avons besoin d’aide.

Des forces à l’œuvre dans la société, écrit le journaliste Derek Thompson dans The Atlantic, ont créé un écosystème social dans lequel nous sommes « à la fois poussés et attirés vers un niveau de solitude pour lequel nous ne sommes ni faits ni émotionnellement préparés ». Beaucoup de gens passent moins d’heures à socialiser en face-à-face qu’auparavant.

L’augmentation de la solitude semble être corrélée avec la détérioration de l’état de santé : le désespoir, la dépression et les pensées suicidaires chez les adolescents ont augmenté presque chaque année au cours des dix dernières années. L’espérance de vie aux États-Unis, après avoir progressé pendant des décennies, est tombée à son niveau le plus bas depuis 1996, en partie à cause des overdoses de drogues et des suicides.

L’année dernière, l’administrateur de la santé publique des États-Unis, Vivek Murthy, rapportait que la moitié des adultes américains déclaraient souffrir d’une grande solitude avant même la pandémie, une « épidémie de solitude et d’isolement » qui pourrait être aussi mortelle que le fait de fumer tous les jours.

Nous connaissons la solution à cette crise de l’isolement : nous avons besoin les uns des autres. Nous savons également que nous avons besoin d’une certaine infrastructure sociale pour établir et maintenir des rythmes réguliers de contacts humains de personne à personne. Cette infrastructure s’est réduite. Après avoir quitté l’Église et rejoint les non-affiliés, le chroniqueur du Washington Post Perry Bacon Jr écrit qu’il s’est senti « dans un trou à la forme d’une église ». « Notre société a besoin de lieux qui rassemblent les gens par-delà les divisions ethniques et de classe. »

C’est drôle. J’appartiens à une église. Et j’ai moi aussi l’impression de connaître un trou en forme d’église.

En juillet dernier, j’ai publié un message sur les réseaux sociaux à la recherche d’exemples « d’amitiés chrétiennes, belles, durables et profondes ».

J’aurais dû écrire « communautés » au lieu de « amitiés ». Plusieurs personnes ont répondu en décrivant des amitiés entretenues depuis des années. Mais ces amitiés étaient essentiellement vécues à distance, perpétuées via FaceTime et des messages vocaux.

J’ai des amis. J’ai été demoiselle d’honneur dans de nombreux mariages. Mais ce sont des amitiés qui datent de mon adolescence et de ma vingtaine. Nous sommes maintenant dispersés, à travers le pays, les océans et les étapes de la vie. Ce sont mes amis, mais ce n’est pas ma communauté. L’échange d’images amusantes ou de petits messages tout au long de la semaine ne me fournit que des étincelles de lien.

Des auteurs tels que la psychologue Susan Pinker ont documenté que les interactions numériques ne peuvent pas remplacer la présence physique — la valeur d’une étreinte, d’une main tenue, de l’odeur du même café chaud, du simple fait d’être assis tranquillement côte à côte. La communauté se distingue de ces amitiés par son caractère continu. Au lieu d’une constante solitude seulement interrompue par de brèves interactions, la communauté est une question de vivre ensemble, où les moments de solitude ne font qu’interrompre des interactions permanentes.

Mais nous sommes tous très occupés. Il faut des semaines pour programmer un rendez-vous. Et si vous avez des enfants, les plans sont souvent annulés à la dernière minute, comme lorsque mon amie a reporté notre rendez-vous pour la troisième parce que son enfant était encore tombé malade. C’était il y a presque un an, et nous n’avons toujours pas réussi à le faire. Nous avons une bonne excuse : bien que nous vivions toutes deux à Los Angeles, une heure de circulation nous sépare. Mais je n’ai pas de raison valable pour expliquer pourquoi il faut des mois pour organiser un dîner avec des voisins qui vivent dans mon quartier. Est-il possible que nous soyons vraiment si occupés ?

Lorsque j’étais enfant en Corée du Sud, ma famille faisait partie d’une petite église presbytérienne très unie. Nous vivions dans une ruelle où les voisins entraient et sortaient librement de leurs maisons respectives, partageant leur traditionnel kimchi fait maison.

Lorsque nous avons déménagé à Singapour après que mon père soit devenu missionnaire, nous avons vécu dans le foyer d’un collège biblique, partageant la cuisine et le salon avec des missionnaires du Myanmar et de Thaïlande.

Quand nous avons immigré aux États-Unis, nous nous sommes rapidement plongés dans l’église chinoise que mon père avait implantée, passant au moins 15 heures par semaine avec ces frères et sœurs en Christ. À l’université, je faisais partie d’une petite église dans le quartier coréen de Los Angeles, où je passais mes week-ends à organiser des soirées pyjama et des barbecues.

Mais j’étais jeune à l’époque, dans une culture et un lieu différents. Je n’avais pas besoin de chercher la communauté. Elle était juste là. Aujourd’hui, j’ai une trentaine d’années, je suis mariée, mère de famille et je vis dans l’une des villes les plus changeantes du monde. Où se trouve ma communauté dans cette saison ?

Une réponse à ma question sur les réseaux sociaux a attiré mon intérêt. Dans un courriel, Brian Daskam, de Denton, au Texas m’expliquait que sa communauté « ressemble souvent aux séries avec lesquelles nous avons grandi : Sauvés par le gongDawson’s CreekFriends. Chaque événement auquel nous assistons rassemble curieusement les mêmes personnages, la même poignée d’amis. »

Pendant des décennies, depuis le temps de leurs études et leur mariage, les Daskam et leurs amis ont organisé à tour de rôle des clubs de lecture le dimanche soir. Ils discutaient de Rousseau, de Locke et de Nietzsche. Ils ont continué à se rencontrer après l’arrivée des premiers bébés. L’espace était plein à craquer, encombré de chaises de bébé et de matelas à langer. Ils ont bercé ensemble leurs nouveau-nés et discutaient de ce qu’ils avaient à cœur, qu’il s’agisse de la suspension téléologique de l’éthique ou de l’apprentissage du sommeil.

Telle était la communauté que Brian et sa femme, Keri, ont cultivée pendant 20 ans. C’est dans ce village qu’ils ont élevé leurs enfants, qui sont aujourd’hui les meilleurs amis des enfants de leurs meilleurs amis.

Aujourd’hui, Brian a 45 ans et Keri 44. Avec trois enfants âgés de 16, 14 et 8 ans, ils sont plus avancés que moi dans la vie. Mais ils semblaient expérimenter exactement ce que j’attendais d’une communauté.

Lorsque j’ai rendu visite aux Daskam en septembre 2023, la première chose que j’ai remarquée à Denton, c’est que les gens conduisaient tranquillement, sans la rage et la frénésie que je connais à Los Angeles. Denton est une ville d’environ 148 000 habitants, située juste au nord de la zone métropolitaine de Dallas-Fort Worth. Il y règne une ambiance de ville universitaire. En la comparant au comté de Los Angeles, avec ses 10 millions d’habitants et ses 88 villes, j’ai commencé à douter : pourrais-je apprendre chez eux quelque chose qui soit applicable chez moi ?

Un vendredi soir, j’ai retrouvé Brian à la piscine de Denton, où son aînée, Cate, participait à un match de water-polo. Toute sa famille était présente, ainsi que plusieurs de ses amis dont les filles font également partie de l’équipe.

Je me suis assise sur un banc entre Keri et sa meilleure amie, Jeannie Naylor. Elles s’étaient rencontrées en tant que colocataires à l’université de North Texas à Denton et sont restées inséparables depuis lors.

« Je m’excuse d’avance, mais je vais être très bruyante », nous a dit Jeannie. Elle criait et applaudissait à tout rompre. À ma droite, les applaudissements de Keri étaient plus retenus. « Keri est trop gentille », taquinait Jeannie. Les deux sont très différentes : Jeannie est exubérante et grégaire. Keri est réservée et introvertie. Et elles ne peuvent imaginer la vie l’une sans l’autre.

Il y a quelques années, les deux familles ont été brièvement séparées par quelques 3000 kilomètres. En 2018, les Daskam ont déménagé à Olympia, dans l’État de Washington, après que Brian ait accepté un nouvel emploi en tant que responsable de communication. Brian et Keri étaient tristes de quitter leur communauté, mais confiants dans leur capacité à en bâtir une nouvelle.

« Nous avions déjà appris à créer une communauté », se souvient Brian. « Nous pensions reproduire le modèle dans l’État de Washington. Nous serions des missionnaires de la communauté ! »

Pour Brian, qui, au lycée, avait décoré son casier de posters de montagnes et de lacs, vivre dans cette région des États-Unis était un rêve. Ils ont acheté une cabane en rondins installée sur près d’un hectare de nature sauvage, au milieu des baies, des cerfs, des aigles et, à l’occasion, des pumas. Le week-end, ils randonnaient dans des forêts de conifères, récoltaient des huîtres sur la plage et faisaient du kayak parmi les phoques des baies du Pacifique.

Il ne manquait qu’une chose : la communauté.

Les Daskam ont essayé d’organiser un club de lecture. Ils ont préparé un festin et ont attendu. Personne n’est venu. « C’était comme si on nous laissait tomber juste avant une danse », se souvient Keri. Ils n’arrêtaient pas d’inviter des gens. Certains ont refusé. D’autres ont annulé à la dernière minute ou se sont présentés une fois puis ont disparu. Certaines semaines, la seule interaction sociale des Daskam consistait à sourire aux gens à l’église.

Il s’est avéré que la création d’une communauté était un réel défi pour des trentenaires transplantés dans un autre État. « Nous étions naïfs », estime Keri. « Nous avons essayé de toutes nos forces, mais cela n’a pas fonctionné. Je ne sais toujours pas pourquoi nous n’avons pas réussi à obtenir cette alchimie magique que nous connaissons ici [à Denton]. »

C’est alors que le COVID-19 a frappé. Finalement, Keri a demandé à Brian : « Est-ce qu’on pourrait revenir en arrière ? Est-ce que tu peux me sortir d’ici ? »

Il a fallu faire des sacrifices importants pour revenir. Brian a quitté son emploi et envoyé une douzaine de CV par jour pour des postes qui lui permettraient de travailler à Denton. Ils ont vendu leur belle cabane et se sont mis en quête d’une nouvelle maison.

En juin 2022, quatre ans après leur départ, ils ont tout remballé et sont rentrés chez eux. Lorsqu’ils sont revenus, c’était comme si leurs amis leur avaient gardé leur place. Comme s’ils n’étaient jamais partis.

Nous nous retrouvions donc dans cette piscine, une soirée de plus à traîner ensemble. Après le match, j’ai continué à bavarder avec Jeannie pendant que Keri distribuait des cookies faits maison. Le soleil était couché, mais les suites d’un après-midi d’automne à 35 degrés se faisaient encore bien ressentir. Je comprenais pourquoi Brian s’était réfugié dans les montagnes.

« Je ne sais pas pourquoi je vis ici », a observé Jeannie. Mais elle ne peut pas partir, car, comme les Daskam, elle reste attachée à sa communauté. « Ce dont nous aurions besoin », s’est-elle exclamée, « c’est de déménager tous ensemble. »

Mais je me suis demandé si ce groupe serait en mesure de maintenir la profondeur et la fréquence de ses interactions dans une autre ville. Denton n’est pas seulement une toile de fond. Cette ville fait partie de leur communauté. Le fait qu’ils aient vécu leurs années de formation ici, passant ensemble d’étudiants à jeunes mariés, puis à jeunes parents, est important. Ils vivent toujours à neuf minutes en voiture les uns des autres et leurs enfants fréquentent les mêmes écoles. Cela change les choses. Ce qui compte, c’est qu’ils croisent souvent les mêmes visages dans les cafés et les épiceries, qu’ils se plaignent et souffrent ensemble des mêmes étés torrides.

J’ai vécu dans 12 maisons différentes, dans trois pays, et je rêve toujours de déménager. Pas une seule fois je n’ai pris en compte la communauté. J’ai supposé que je trouverais les miens où que j’aille — et non pas que j’irais là où se trouveraient les miens.

Le samedi soir, je suis arrivée chez Kevin et Emily Roden, des amis de longue date des Daskam. Brian avait encouragé les membres de son entourage à lire le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare et avait invité Matthew Lee Anderson, professeur à l’université Baylor, à animer une discussion sur la pièce et sur la manière dont les gens transfigurent leurs désirs et leurs aspirations.

Il y avait de l’eau gazeuse, des carafes à l’ancienne, des boules de mozzarella et des bretzels. J’ai salué le pasteur des Daskam, un veuf au visage sympathique, et j’ai serré la main de plusieurs habitués de leurs repas dominicaux. Ensuite, nous nous sommes tous assis — plus de 30 personnes au total — pour débattre et rire de ce que peut être notre vie en tant qu’êtres humains.

« C’est bizarre, ce que vous faites », s’est amusé le professeur. « Passer le samedi soir à penser à ces choses. »

Mais j’ai senti que cette soirée n’était pas simplement un événement unique ; il y avait là le fruit d’une institution que les Daskam avaient affinée pendant deux décennies. Ces repas du dimanche soir, où l’on débutait la semaine en partageant le pain avec les siens, constituaient une puissante liturgie. Ils forgeaient en leurs participants des identités qui n’étaient pas celles d’individus ou de familles nucléaires, mais de parties d’un collectif de croyants qui réfléchissent et échangent intentionnellement et en profondeur. Leurs conversations façonnaient leurs pensées, leurs valeurs et leurs intérêts.

J’ai encore pu échanger avec l’animatrice, Emily Roden, une petite femme aux cheveux auburn bouclés coupés à hauteur du menton. Les Roden et les Daskam s’étaient rencontrés à l’université, alors qu’ils vivaient dans le même complexe de maisons victoriennes. Aujourd’hui, leur fille aînée, Rosie, est la meilleure amie de Cate. Avant de déménager à Washington, les Daskam ont passé leurs deux dernières nuits à Denton chez les Roden. C’était comme une grande soirée pyjama.

« Et ils sont partis », se souvient Emily. « Sauf que cette fois-ci, ils n’allaient pas à deux minutes d’ici, mais à plusieurs États de distance. » Elle secoue la tête. « Je pourrais presque pleurer rien qu’en y repensant. » Elle se souvient s’être sentie perdue. « L’une des principales raisons de notre présence à Denton a disparu », a-t-elle dit à son mari à l’époque.

L’absence des Daskam a laissé un vide dans leur communauté. Cela a changé la dynamique. Qui pourrait remplacer la curiosité et le côté intello de Brian ou la douce sagesse et les talents de cuisinière de Keri ? « Ce genre d’amitié n’arrive qu’une fois dans une vie », me dit Emily.

Et pour certains, jamais.

J’ai ressenti une douleur. Si David et moi déménagions, quelqu’un dirait-il que notre départ a laissé un vide dans son monde ?

Je me suis également sentie étrangement gênée. Lorsque je disais aux gens pourquoi je visitais Denton, ils me regardaient presque avec compassion. « Oh, je suis vraiment désolé. »

Je ne m’étais jamais sentie gênée jusqu’à ce moment-là. Tout le monde n’a-t-il pas eu du mal à trouver une communauté ? Pas eux, semble-t-il. Ils plaisantaient sur leur désir de fuir Denton, mais dans une résignation satisfaite. Que ferions-nous d’autre ? Nous sommes chez nous.

« Ce que tu es en train de me dire », demandai-je plus tard à Brian, « c’est que je devrais retourner à l’université, y retrouver mes meilleures amies, acheter des maisons dans le même quartier, avoir des bébés en même temps et passer 20 ans ensemble pour avoir la même communauté que toi. »

Il a ri. Il voit bien qu’une grande partie de ce qu’il a est simplement une grâce de Dieu : « Nous savons que c’est injuste, que certaines de ces choses ne sont pas à la portée de tout le monde. »

Peut-être pas. Les Daskam avaient essayé dans l’État Washington, et en étaient revenus. Mais ce que j’ai vu à Denton, c’est le fruit de 20 ans de rencontres organisées et de nombreux échanges spontanés. Le groupe s’est réuni fréquemment, que ce soit de manière cohérente et intentionnelle, ou aléatoire et spontanée. Ses muscles sociaux, constamment étirés et entraînés, étaient à la fois souples et forts.

Je suis retournée à Los Angeles avec un trou dans le cœur. Le sentiment n’était pas insoutenable, mais j’avais vu de mes propres yeux ce à quoi j’aspirais ardemment pour moi et ma famille. Je me sentais aussi réconfortée par les luttes des Daskam à Washington. Je n’étais pas seule ; il est réellement difficile de créer une communauté.

Mais comment en est-on arrivé là ?

David et moi nous sommes mariés le 10 avril 2020, en plein âge d’or des règles de distanciation sociale. Un mois plus tôt, la pandémie avait arrêté le monde. Les écoles et les églises étaient fermées. Les salles de sport et les cinémas avaient fermé leurs portes. Même les terrains de jeux et les plages étaient fermés par des rubans adhésifs.

Nous nous sommes mariés dans le jardin de David en présence de Dieu, de notre pasteur et d’une caméra à travers laquelle nos amis et notre famille ont été témoins de nos vœux. Notre « réception » s’est déroulée sur Zoom, et David et moi avons dîné de sushis apportés par un livreur. Sur l’écran de notre iMac, ma belle-mère avait l’air malheureuse ; mon beau-père pleurait, mais pas de joie.

Je n’y ai pas trop prêté attention. Nous avions économisé des milliers de dollars. Personne ne pouvait dire que mon maquillage était hideux ou que je portais des baskets sous ma robe. D’ailleurs, un mariage n’est-il pas simplement une question d’amour et d’engagement entre un mari et sa femme ? Qu’est-ce que cela faisait, alors, si lorsque la fenêtre Zoom s’est refermée, nous étions soudain seuls dans notre maison pour le reste de la journée, pour le reste de la semaine et pour les mois suivants ? Un mariage, c’est juste l’union de deux personnes, non ?

C’est ainsi que notre nouvelle vie a commencé. Notre église ne s’est pas réunie en personne pendant plus d’un an. J’ai pris l’habitude de suivre le sermon en direct tout en faisant mousser le lait pour mon café. Nous avons cessé de participer aux « dîners » de quartier bihebdomadaires sur Zoom. Ces rencontres virtuelles nous semblaient bizarres et inutiles.

David se plaignait de se sentir isolé ; moi, je me sentais libérée, à l’abri des petits drames de mon entourage, des fêtes d’anniversaire ou des baby showers. Mes projets s’articulaient autour de mes intérêts et de mon confort.

Puis lentement, progressivement, le monde extérieur est revenu. Notre église s’est à nouveau réunie physiquement pour les cultes. Nous avons retrouvé des amis au restaurant. Mais à ce moment-là, j’avais pris l’habitude de vivre en autarcie avec moi-même. Faire une heure de route pour rencontrer un ami me semblait soudain inutile et épuisant. Fallait-il faire tous ces efforts alors qu’il suffisait d’envoyer un SMS ou d’appeler ?

Le samedi matin 18 septembre 2021, mon mari a reçu un appel de son père. J’étais encore au lit, mais j’entendais les sanglots bruyants et rauques de mon beau-père à travers le téléphone.

Alors que mes beaux-parents faisaient leur promenade quotidienne habituelle, un voisin au volant de son pick-up avait traversé à toute allure un carrefour très fréquenté et heurté ma belle-mère.

Lorsque David et moi avons pris l’avion pour Bismarck, dans le Dakota du Nord, les médecins l’avaient déclarée morte. Mon beau-père nous a accueillis dans la maison d’enfance de David, les yeux rougis et les joues gonflées, l’air frêle et dévasté dans sa sombre maison de quatre chambres.

Nous sommes restés trois semaines à Bismarck. Des proches sont venus de tout le pays. Amis et voisins ont sonné à la porte et déposé des plateaux de biscuits, de la soupe et des croquettes de pommes de terre. Nos téléphones portables ont vibré toute la journée au rythme des messages d’amis et de collègues : « On prie pour vous » « Dites-nous si vous avez besoin de quelque chose. » « Nous sommes sans voix. »

Lorsque nous sommes rentrés à la maison, mon mari n’était plus le même. Il ressentait des besoins qu’il ne parvenait pas à nommer. Je ne savais pas comment être la femme dont il avait besoin, et ses amis ne savaient pas comment être les amis dont il avait besoin.

Notre église nous a demandé si nous voulions recevoir des repas. Nous avons refusé. Nous vivions loin de la plupart des membres de la communauté et, de plus, je déteste les plats cuisinés.

Je me rends compte aujourd’hui que refuser cette offre était une grave erreur. Les gens voulaient une raison de venir frapper à notre porte, de s’inviter, et je leur avais barré la route. Au fil du temps, les gens ont donc oublié. Ils avaient leurs propres problèmes. Certains ont envoyé des SMS pour demander comment allait David, mais ils n’ont pas su comment réagir lorsqu’il leur a dit qu’il était toujours en deuil.

Cinq mois après la tragédie, j’ai appris que j’étais enceinte de six mois.

Lorsque j’ai donné naissance à notre fils, nous l’avons appelé Tov pour nous rappeler que Dieu est tov – « bon » en hébreu. Dieu a créé le monde et l’a déclaré tov. Il a également déclaré : Lo-tov heyoth ha’adam levaddo. « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. »

C’est grâce à Tov que j’ai réalisé que j’étais seule. Lorsqu’il est né, j’ai à nouveau décliné les offres de repas de notre église ; je voulais juste qu’on me laisse tranquille. Le post-partum et la maternité ont bouleversé mon univers. J’avais perdu ma liberté sur mon corps, mon temps et mon attention. J’étais dégoûtée par tout ce qui s’écoulait de mon corps, dégonflé mais encore boursouflé. Du jour au lendemain, j’étais devenue responsable d’un être humain sans défense. Je ne voulais voir personne ni être vue.

Neuf mois se sont écoulés jusqu’à ce qu’un dimanche, à l’église, j’émerge de la garderie et, sortant la tête du brouillard de la maternité, je ne voie que des visages inconnus.

Au cours de ces neuf mois et des va-et-vient que connaît Los Angeles, notre communauté d’environ 100 personnes s’était transformée. Je ne l’avais pas remarqué. Mais mon manque d’attention n’était pas uniquement dû à la maternité. Il découlait aussi de mois de concentration sur ce qui me paraissait simplement plus commode et confortable pour moi.

Il y avait aussi d’autres obstacles à ce vécu communautaire. L’arrivée d’un bébé a diminué notre flexibilité. Nous ne pouvions pas participer à certains repas de quartier ou soirées de prière incompatibles avec l’heure du coucher. Nous avons investi dans les relations avec une autre famille, en espérant que nos fils deviendraient les meilleurs amis du monde, puis la famille a déménagé à 350 km de Los Angeles. Je faisais partie d’un groupe de discipulat, mais en raison de conflits entre nos agendas, nous nous réunissions une fois toutes les six semaines. « On devrait se voir un jour » est devenu un mensonge si courant que nous le disons avec autant de désinvolture qu’une simple salutation.

Oui, nous étions occupés. Mais être « trop occupé » pour ceux qui nous entourent, c’est tout simplement donner la priorité à d’autres choses que la communauté. À quoi ressemblerait notre vie aujourd’hui si nous avions fait d’autres choix, comme celui d’accepter ces repas que nous proposait l’église ?

Après avoir visité Denton, j’ai effectué plusieurs changements.

Tout d’abord, j’ai appelé quelques amis proches et j’ai pris des rendez-vous mensuels pour passer du temps ensemble. Si nous n’avions pas un programme structuré, je savais que nous ne nous rencontrerions qu’une ou deux fois par an.

Ensuite, David et moi avons dressé une liste de nos valeurs familiales. En haut de la page : le dimanche est sacré. Plus question que notre heure passée à l’église soit simplement suivie de quelques courses avant de nous poser devant la télé. Le dimanche sera consacré à notre famille dans la foi, même si cela implique d’exclure certaines activités extrascolaires pour Tov.

Troisièmement, nous avons décidé de trouver une église plus proche de chez nous. Nous ne pouvions pas nous imaginer former une communauté cohérente dans une église lointaine avec des rythmes de communion auxquels notre famille ne pouvait pas participer. L’adage le dit bien : loin des yeux, loin du cœur.

Dans notre nouvelle église dans le voisinage, nous avons trouvé un petit groupe qui se réunissait le dimanche après-midi. Lors de notre première visite, d’autres enfants plus âgés ont joué à l’extérieur pendant que Tov restait avec nous. Il sautait dans tous les sens, comme un lapin sous l’emprise d’une boisson énergisante, éparpillant des miettes partout. Nous nous sentions très mal, mais personne n’a semblé gêné. Une étudiante s’est mise à genoux et l’a distrait avec de petits tours de passe-passe.

Cette première rencontre avait quelque chose de gênant. Il est toujours difficile de s’introduire dans un groupe qui a déjà formé sa propre culture et sa propre dynamique. Tout le monde était amical, mais nous n’avons pas immédiatement sympathisé avec qui que ce soit. Nous étions juste… tellement différents.

Lors de la réunion suivante, nous nous sommes retrouvés chez quelqu’un d’autre. La première chose que j’ai vue, c’est une grande pancarte de campagne devant la maison à l’appui d’un candidat que je ne soutiendrais jamais. J’ai gémi. Je savais que la position politique d’une personne ne devrait pas avoir d’importance au sein du corps du Christ, mais ce panneau me laissait une certaine impression.

À quoi m’attendais-je ? À ce que nous tombions directement sur de nouveaux amis avec lesquels nous commencerions à aller faire les courses ensemble et à nous répandre en confidences autour d’un feu de bois ? La première communauté que Jésus a bâtie était celle de ses 12 disciples, des hommes aux opinions politiques, aux personnalités et aux milieux sociaux très divers, dont les chamailleries sont bien attestées dans les Évangiles (Lc 9.46). Pourquoi pensais-je que ma communauté devrait partager mes intérêts, mon humour et mes opinions politiques ?

Je me débattais encore avec ces pensées lorsque j’ai mis la main sur un livre intitulé When the Church Was a Family: Recapturing Jesus’ Vision for Authentic Christian Community, de Joseph H. Hellerman. J’avais lu de nombreux ouvrages sur l’amitié et la communauté, mais c’était le premier que je trouvais à mettre directement cette question en lien avec l’Église.

« En tant qu’Américains chrétiens pratiquants, nous avons été formés pour croire que notre épanouissement individuel et notre relation personnelle avec Dieu sont plus importants que tout lien que nous pourrions avoir avec nos semblables, que ce soit à la maison ou à l’église », écrit Hellerman. « De manière très subtile et insidieuse, cette idée nous a conditionnés. »

Les chrétiens contemporains placent souvent les besoins de la famille au-dessus de ceux de la communauté, et considèrent même cela comme biblique. Mais Hellerman affirme que ce n’est pas ce qu’enseignent les Écritures et l’Église primitive.

« En présentant l’Église comme une famille, le Nouveau Testament va à l’encontre de notre orientation culturelle individualiste », écrit-il. La vision qu’a Dieu de l’Église comme notre première famille « offre un puissant antidote » aux maux de notre société.

J’étais encore en train de lire l’introduction du livre lorsque j’ai réalisé que Joseph Hellerman se trouvait être le « Pasteur Joe » qui prêchait à l’église que David et moi fréquentions depuis quelques semaines.

Je lui ai envoyé un courriel. Il habite en fait à cinq minutes de chez moi. Nous nous sommes retrouvés dans son café préféré. Il avait grandi dans le quartier et élevé deux filles dans la maison à deux chambres de son enfance. Alors que nous échangions sous la chaleur du soleil californien, des voisins s’arrêtaient pour nous saluer.

À 71 ans, Joseph Hellerman, dégage quelque chose d’estival. Il exerce son ministère depuis plus de quarante ans, utilisant son église comme une sorte de « laboratoire », comme il le dit, pour tester ses convictions sur la communauté. Il prêche régulièrement contre l’individualisme occidental et tente de donner l’exemple dans sa propre vie. « Cela n’a pas été facile », me dit-il.

Il est fier de son église. Mais sur environ 400 membres, il estime qu’une centaine de personnes vivent véritablement l’église comme une famille. « Nous avons travaillé, travaillé, travaillé, et c’est le mieux que nous puissions faire. »

La pandémie a été la période la plus conflictuelle de son expérience dans le ministère. Il a été horrifié et déçu de voir les membres de l’église se chamailler et s’attaquer les uns les autres sur les réseaux sociaux au sujet des vaccins et des masques. Certains s’en sont allés en raison de leurs divergences.

L’orthodoxie n’était pas le problème, dit Hellerman : « J’ai vu trop de bonne théologie associée à un mauvais relationnel au fil des ans. » Nous savons intellectuellement ce que nous devons faire, ce à quoi nous aspirons, explique-t-il. Mais nous ne savons pas comment mettre cela en pratique, ou nous ne voulons pas le faire. Il y a trop de forces contraires :

« Quand je regarde ma propre vie, mes propres réticences en matière de communauté, je vois que ma femme et moi ne comprenons pas le concept de communauté comme nous le devrions. Cela nous attire et nous effraie à la fois. C’est notre maison. Notre argent. Notre vie. »

Je ne crois pas avoir été dépitée par le fait que Hellerman, qui a consacré un livre entier à ce sujet, ait encore du mal à mettre les choses en pratique. Au contraire, je me suis sentie encouragée : 100 des 400 membres de son église parvenaient tout de même à vivre en communauté. Et le pasteur était plein d’empathie pour ceux qui n’y arrivaient pas, parce qu’il nage contre les mêmes courants.

La semaine où nous nous sommes vus, Hellerman travaillait à un sermon sur le rôle du Saint-Esprit dans la communauté. Il peut prêcher autant qu’il veut, m’a-t-il dit, mais en fin de compte, « si c’est la vérité, alors quand elle est partagée, c’est le Saint-Esprit qui la confirmera pour les gens. »

Je suppose que c’est ce qui s’est passé en moi : l’Esprit a confirmé ce que je savais et désirais depuis toujours. « David et moi ne voulons plus passer d’une église à l’autre », ai-je dit à Hellerman. « Nous voulons planter nos racines ici. Je veux que mon fils grandisse dans une église où il peut trouver des oncles et des tantes de substitution. Je veux qu’il soit élevé non seulement par David et moi, mais aussi par la communauté ecclésiale. Je veux qu’il aime l’église comme une famille. »

C’était la première fois que je l’exprimais à haute voix, mais c’est une prière qui a progressivement mûri dans mon cœur. Tout avait commencé par une aspiration centrée sur mes besoins et ceux de ma famille : avoir une communauté.

Au fil du temps, le Saint-Esprit m’a éclairée et corrigée, révélant mon égoïsme et mon entêtement, approfondissant et élargissant mes prières vers quelque chose de plus proche du cœur de Dieu, quelque chose qui, je l’espère, reflète les prières nocturnes de Jésus avant de choisir les disciples qui bâtiraient son Église (Lc 6.12).

Et si c’est ce que Dieu veut pour nous, notre chemin est simple : suivre et recevoir. Suivre, même si cela signifie que nous renonçons à certains projets, que nos habitudes sont chamboulées et que nous sacrifions du temps et des ressources. Recevoir, parce que la communauté est un don de Dieu, même si les personnes qui m’entourent ne se conforment pas à mes préférences. Même si elles me blessent, m’ennuient ou me gênent parfois.

Cela semble si simple. Pourtant, c’est tellement, tellement difficile. Parfois, je me dis que cela va aller. D’autres fois, je me sens démunie : Y arriverons-nous vraiment ?

L’année dernière, quelques jours avant Noël, j’ai appris que nous allions avoir un autre bébé. Notre vie va devenir encore plus chaotique, encore plus occupée. Et selon ce que nous choisirons, nous risquons d’être encore plus isolés.

Mais nous devons le faire. C’est parti pour le deuxième tour. Et cette fois, j’accepterai les repas proposés. Merci.

Sophia Lee est reporter internationale pour CT.

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News

La Proclamation de Séoul a surpris les délégués au congrès de Lausanne. Ses auteurs s’expliquent.

Les responsables du groupe de travail sur la théologie, composé de 33 membres, éclairent leur déclaration en 97 points et 13 000 mots.

Ivor Poobalan, directeur du Séminaire théologique de Colombo, et Victor Nakah, directeur international de Mission To the World pour l’Afrique subsaharienne, ont coprésidé le comité de rédaction de la Proclamation de Séoul.

Christianity Today October 3, 2024
Photo par Morgan Lee

La décision du Mouvement de Lausanne de publier une déclaration théologique en 97 points et 13 000 mots au premier jour de son quatrième congrès mondial a suscité une semaine de débats et de discussions.

Le document en sept parties, qui se positionne théologiquement sur l’Évangile, la Bible, l’Église, la « personne humaine », le discipulat, la « famille des nations » et la technologie, a été mis en ligne peu avant le coup d’envoi de l’événement, dimanche 22 septembre au soir.

La Proclamation de Séoul « a été conçue pour combler certaines lacunes, pour être un complément sur sept sujets clés sur lesquels nous n’avons pas suffisamment réfléchi ou écrit au sein du Mouvement de Lausanne », expliquait David Bennett, directeur mondial associé de Lausanne, le dimanche après-midi, dans une rencontre avec les médias pour expliquer la vision et l’objectif de la déclaration.

« Nous n’avons pas essayé de créer un quatrième document qui remplacerait ou rendrait obsolètes les trois précédents », a-t-il précisé.

Le lundi, les organisateurs du congrès expliquaient également lors d’une conférence de presse que le texte était définitif.

Néanmoins, deux jours plus tard, le Christian Daily International rapportait qu’une section traitant de l’homosexualité avait été modifiée après la publication. Ces modifications devaient être apportées avant la publication de la déclaration de Séoul, a commenté le même mardi un porte-parole de Lausanne.

Jeudi, en réponse à la publication de la déclaration, Ed Stetzer, directeur régional de Lausanne pour l’Amérique du Nord, exhortait publiquement l’organisation à « affirmer avec force que l’évangélisation est “centrale”, “prioritaire” et “indispensable” à notre mission ». Vendredi au soir, 286 délégués avaient signé une lettre ouverte organisée par Korean Evangelicals Embracing Integral Mission demandant au Groupe de travail théologique de Lausanne, l’organe qui a rédigé la Proclamation de Séoul, de la réviser en accordant une attention particulière à 10 points spécifiques.    

Jusqu’au vendredi, aucun responsable de Lausanne ne s’était exprimé en détail sur le texte depuis la scène du congrès ou sur les raisons pour lesquelles la déclaration a été finalisée avant la conférence — un choix qui a surpris ceux qui, sur la base des congrès précédents, s’attendaient à un document encore susceptible d’être révisé en fonction des réactions des délégués.  

Vendredi matin, Mike du Toit, directeur de la communication et du contenu de Lausanne, a finalement envoyé un courriel à l’ensemble des délégués, expliquant que la Proclamation de Séoul « se concentre sur certains sujets théologiques identifiés par le Groupe de travail de Lausanne sur la théologie comme nécessitant une plus grande attention de la part de l’Église mondiale, et y réfléchit sur la base de l’Évangile, l’histoire biblique que nous vivons et que nous racontons ».

« Nous reconnaissons qu’en présentant la Proclamation de Séoul, nous aurions dû expliquer plus clairement son objectif et la manière dont les participants sont invités à interagir avec celle-ci », a-t-il écrit. Le courriel contenait également un lien vers un formulaire permettant de soumettre un retour. 

Il indiquait également que les délégués seraient invités à signer un document intitulé « Collaborative Action Commitment » lors de la séance de clôture de samedi et que ce document n’était pas lié à la Proclamation de Séoul.

Plus tard dans la matinée, Philip Ryken, président du Wheaton College et intervenant en séance plénière, a mentionné la Proclamation de Séoul et a encouragé les délégués à faire part de leurs commentaires. 

Entre-temps, nous avions entendu des dizaines de délégués confus et frustrés par l’absence de canaux formels de retour. La compréhension que plusieurs avaient de l’objectif de la déclaration divergeait des propos de Bennett lors de ses conférences de presse du dimanche et du lundi.  

Le processus menant à la déclaration de Séoul a débuté à la fin de l’année 2022, lorsque le conseil de Lausanne a désigné le Sri-Lankais Ivor Poobalan, directeur du Séminaire théologique de Colombo, et le Zimbabwéen Victor Nakah, directeur international de Mission To the World pour l’Afrique subsaharienne, comme co-présidents d’un comité de rédaction. Poobalan et Nakah ont travaillé avec 33 théologiens d’Afrique du Sud, d’Inde, d’Éthiopie, de Norvège, du Viêt Nam, du Japon, de Corée du Sud, des États-Unis, du Royaume-Uni, du Brésil, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, d’Iran, de Palestine, de Suède, de Singapour et de Zambie.

« Nous ne sommes pas surpris par les conversations qui ont été générées », commente Nakah. « Il s’agit d’un document théologique, après tout, et les sujets abordés dans cette déclaration sont de réelles problématiques. »

C’est dans l’après-midi du jeudi du congrès que notre éditrice responsable pour CT Global, Morgan Lee, a pu échanger avec Poobalan et Nakah à propos de cette déclaration.

L’entretien a été édité pour des raisons de longueur et de clarté.

Comment s’est articulée l’entreprise de la Proclamation de Séoul ? 

Poobalan : Nous nous sommes demandé si nous avions besoin d’une autre déclaration. Il n’était pas nécessaire que nous rédigions un document simplement parce que le Congrès devait produire un document. Les documents de Lausanne existants sont excellents en eux-mêmes. 

Mais les responsables de Lausanne ont estimé qu’à mesure que le christianisme mondial se développait dans de nouveaux endroits, une nouvelle génération de chrétiens ne connaissait pas la Déclaration de Lausanne, l’Engagement du Cap ou le Manifeste de Manille et n’était peut-être pas très intéressée par un retour à ces documents. Ils sont plutôt préoccupés par les questions d’actualité. 

Par exemple, l’anthropologie n’est devenue un sujet important qu’au 21e siècle, et ces dernières années, elle a pris encore plus d’ampleur. Il était donc important pour nous d’aborder certaines de ces questions. Nous ne remplaçons pas les documents précédents, mais nous essayons de trouver des moyens d’ajouter plus de valeur à ce que Lausanne représente, en fournissant des lignes directrices qui aideront l’Église mondiale à faire face à des questions difficiles. 

Quel a été le processus d’élaboration de la déclaration ? 

Poobalan : Tout au long de ces 50 années, nous avons parlé de l’autorité, de l’infaillibilité et de l’utilité de l’Écriture, mais nous n’avons pas vraiment abordé la question de son interprétation. Notre objectif était d’aborder des questions qui ont été quelque peu négligées ou contraintes, telles que le défi majeur de la formation des disciples ou la question de ce que signifie être humain. C’est ainsi que nous sommes arrivés à ces sept sujets, bien que beaucoup d’autres auraient pu être abordés. 

Nakah : Pour ceux qui se demandent pourquoi nous avons recommencé avec l’Évangile, c’est parce qu’il existe aujourd’hui de nombreux « évangiles » différents. Si les évangéliques ne s’accordent pas sur une manière de lire, d’étudier et d’interpréter l’Écriture, comment allons-nous trouver des réponses aux questions auxquelles l’Église est confrontée aujourd’hui ? Si l’herméneutique n’est pas prise en compte, c’est l’évangile selon Ivor ou Victor. 

Pourquoi la déclaration a-t-elle été finalisée avant le Congrès ? 

Poobalan : Différentes approches sont possibles. La Déclaration de Lausanne a été finalisée pendant le Congrès. Au Cap, il n’y a pas eu de document final à la fin du congrès ; il a été publié bien plus tard, mais l’écoute a eu lieu au Cap et l’équipe a utilisé ces informations pour terminer le document plus tard. 

Nous avons décidé de finaliser ce document, de le présenter au Congrès et de nous faire ensuite une idée des discussions. Nous n’avons pas encore décidé de ce que nous ferons en conséquence, mais nous discuterons des contributions ensemble, en tant que responsables de Lausanne, et nous verrons ce que nous ferons à partir de là. 

Nakah : La façon dont les gens ont réagi au document donne une image plus précise de la diversité théologique du monde évangélique mondial. Mais toutes ces conversations sont un bon retour d’information. 

À tort ou à raison, le document n’était pas destiné à être présenté, à recevoir des commentaires, puis à être affiné. Si ça avait été ce que nous voulions, nous l’aurions fait. C’est pour cette raison que ces retours sont justifiés. On ne présente pas un document théologique en espérant simplement que tout le monde se réjouisse.

J’ai entendu des critiques sur l’absence de canaux formels pour réagir au document. Cela n’a pas empêché certains délégués de donner leur avis. Mais si ces retours suscitent ensuite des changements, je peux imaginer que d’autres délégués se sentent frustrés qu’il n’y ait pas eu de moyen plus formel de communiquer leur opinion. 

Poobalan : Je pense que demain [27 septembre], cette question sera abordée et je pense que les gens auront la possibilité de donner leur avis. Bien sûr, il devait de toute façon y avoir des retours, et une fois que vous formalisez cette possibilité, il y a une attente quant à ce que vous allez en faire, et c’est ce à quoi le conseil de Lausanne va s’atteler. 

Nakah : Nous sommes très reconnaissants au conseil d’administration d’avoir accepté ce document et d’avoir pris le relais. Mais en fin de compte, c’est le document de Lausanne. Il faut que les responsables du mouvement expliquent les lignes directrices à suivre pour aller de l’avant. 

Il n’existe probablement aucune autre déclaration théologique dont le processus a été conjointement mené par des théologiens du Zimbabwe et du Sri Lanka. Comment vos arrière-plans et votre contexte ont-ils pu influencer cette déclaration ? 

Poobalan : J’ai été surpris lorsqu’on nous a demandé, à Victor et à moi, de coprésider le groupe de travail théologique, car ce groupe joue un rôle essentiel et a toujours été conduit par des Occidentaux. La volonté audacieuse du conseil d’administration de penser différemment et d’inviter deux coprésidents du Sud a été surprenante, mais aussi stimulante et encourageante. Cependant, nous voulions nous assurer que le document ne devienne pas uniquement une affaire du Sud. 

C’est pourquoi, lors de la constitution de notre équipe, nous avons cherché des personnes qui pourraient représenter différentes parties de l’Église. Nombre de ces 33 théologiens sont très connus, mais ils formaient un groupe extraordinaire pour collaborer les uns avec les autres. 

Lors de chaque rencontre avec eux, j’ai ressenti deux choses : un sentiment de grande expertise dans la salle et une humilité totale.

Nakah : À d’autres moments de ce processus, nous avons réalisé que nous avions besoin d’une expertise spécifique. Plus d’une fois, nous nous sommes rendu compte que quelqu’un manquait à l’appel et nous avons dû nous adresser à une personne qui avait fait des recherches dans ce domaine, car nous savions que nous n’étions pas des experts. Nous avons fini par travailler avec des gens bien plus intelligents et malins que nous. C’était une joie. 

Pouvez-vous citer une ou deux sections de la Proclamation de Séoul qui témoignent réellement de la présence du Sud dans ce document ?  

Nakah : Comme nous le savons, l’Afrique est devenue le terreau de l’évangile de la prospérité. À la lumière de cela, la section sur l’Évangile était importante, car il est possible de parler de plusieurs évangiles sur le continent africain. Nous avons voulu formuler le document de manière à ce que tous ceux qui le lisent en sortent avec une compréhension de l’Évangile rafraîchissante et stimulante. 

Le deuxième grand défi pour l’Église du monde majoritaire aujourd’hui est celui de la formation des disciples. Certains théologiens africains s’insurgent encore lorsque l’on dit que l’Église en Afrique est large d’un kilomètre et profonde d’un centimètre. Mais c’est toujours la réalité. 

Par conséquent, s’il y a une section qui est la plus importante pour l’Église africaine à l’avenir, c’est bien celle-ci. Nous espérons qu’elle incitera les responsables d’églises et d’organisations paraecclésiales à prendre au sérieux la formation de disciples.

Poobalan : Ce document aborde la question de l’anthropologie théologique. Dans l’Église, il règne une certaine confusion sur ce que signifie être un être humain racheté. Certaines personnes ont parfois revendiqué un statut divin ou un pouvoir supérieur à ce que la Bible offre à l’être humain racheté. 

Mais aussi dans le domaine du genre et de la sexualité, le Sud s’est parfois demandé : « Pourquoi le christianisme ne parle-t-il que du point de vue du Nord ? » Dans ce sens, il était important de parler de sexualité et de genre pour clarifier le fait que nos convictions ne sont pas des réactions à ce qui se passe en Occident, mais des expressions de l’enseignement des Écritures. 

Par conséquent, une section entière est consacrée à l’enseignement de l’Écriture sur la sexualité et le genre. Les exposés bibliques y sont un peu plus nombreux, car l’Église mondiale a besoin de clarté sur ce qu’enseignent les Écritures. 

En outre, la section sur la « famille des nations » traite de l’importance de la paix et de ce que signifie être une nation au sens biblique et moderne du terme. Par exemple, pouvons-nous simplement faire l’équivalence entre des noms historiques de peuples et des pays sans autre contexte ? [Note de l’éditeur : Voir la section 84 de la déclaration de Séoul] Nous essayons d’aborder les situations actuelles dans lesquelles les chrétiens trouvent parfois des appuis théologiques à des positions particulières dans leur approche de la guerre ou d’un conflit.

Et pourtant, il y a parfois des contradictions dans notre approche. Les chrétiens peuvent parfois dénoncer toute violence à l’encontre des civils, mais à d’autres moments, ils peuvent trouver des raisons théologiques pour la justifier.

Je sais que certains délégués de Lausanne, en raison de leur contexte national et des personnes auprès desquelles ils exercent leur ministère, ont trouvé les sections sur les questions LGBT soit trop douces, soit trop dures. 

Nakah : Pour le groupe qui a travaillé sur cette section, nous avons estimé que l’herméneutique était un bon point de départ. Nous avons donc commencé par demander : « Qu’enseigne la Bible ? » Dans notre groupe, il y avait un consensus général sur ce que disait la Bible, et les désaccords portaient sur l’application dans des contextes concrets. 

Aux responsables qui estiment que notre approche a été un peu molle, j’adresse la question suivante : Est-il biblique d’insulter les gays et les lesbiennes ? Si vous revenez à l’Écriture, la Bible vous aide à comprendre que Dieu aime les pécheurs. C’est tout à fait différent d’une approche culturelle qui les dévalorise. 

Comment avez-vous choisi les conflits à mentionner nommément dans la section sur la « famille des nations » ?  

Poobalan : Nous avons reconnu que tous les conflits ne pouvaient pas être mentionnés, car ce n’était pas le but. Certains conflits ont été réglés au point que le pays a tourné la page, comme en Afrique du Sud, au Sri Lanka ou en Irlande du Nord. Les exemples de conflits actuels servent de points de référence pour discuter de l’enseignement biblique sur les conflits et de la position des chrétiens. Nous comprenons que des personnes se sentent touchées et tristes qu’un conflit particulier qu’elles ont vécu ne soit pas mentionné. 

En ce qui concerne Gaza et Israël, la situation est unique, car l’Église est très fortement divisée, en fonction de sa théologie sur Israël. 

D’une certaine manière, nous aimerions que l’Église mondiale mette cette question au centre et dise : « Parlons-en. Quelle est réellement la théologie biblique d’Israël ? Comment cela s’accorde-t-il avec notre conception de l’Église » (que nous avons examinée dans le troisième chapitre de la déclaration) ? Il est important de discuter des détails de la Proclamation de Séoul, mais nous aimerions vraiment que l’Église revienne à la question : « Où se trouve notre base théologique ? » 

Nous espérons vivement que ce travail incitera l’Église à engager le dialogue. Ce ne sera pas facile, car il y a actuellement beaucoup d’émotions en jeu, mais nous espérons que l’Église s’attellera à cette tâche, car il est douloureux pour elle de se polariser sur cette question en fonction de la théologie.

Si je suis un délégué qui lit la Proclamation de Séoul et que je suis d’accord avec une grande partie de celle-ci, mais pas avec la totalité, dois-je continuer à penser que je peux faire partie du Mouvement de Lausanne ? 

Nakah : Je reviens à la question de savoir ce qui unit les évangéliques. Quels sont les fondements non négociables ou les essentiels de la foi chrétienne ? 

Lorsqu’il s’agit de questions d’actualité, la plupart des évangéliques ne comprennent pas vraiment l’immense diversité du corps évangélique mondial. Si quelqu’un décide de s’associer ou non au Mouvement de Lausanne sur la base de cette déclaration, c’est regrettable.

Poobalan : Il est naïf de penser que tous les évangéliques, même dans un unique pays, seront d’accord sur tout. Mais nous pratiquons cette discipline de l’amitié en maintenant que l’essentiel de la foi ne doit pas être compromis. 

Même John Stott et Billy Graham, les fondateurs du Mouvement de Lausanne, n’étaient pas d’accord sur certains aspects, mais ils ont pu rester amis. Ils restaient en dialogue. De même, au sein de ce Congrès, notre idée de la collaboration ne repose pas sur le fait que nous pensions tous de la même manière. La collaboration implique la volonté de tendre la main à d’autres personnes qui partagent les mêmes convictions fondamentales. 

Que voulez-vous que les gens retiennent sur la façon dont cette déclaration traite de l’évangélisation ? 

Poobalan : La déclaration est très claire : l’évangélisation est absolument importante. Nous voulons nous éloigner des vieilles dichotomies qui séparent le message que nous proclamons de la vie que nous menons. Tout au long de la déclaration, on trouve de nombreuses références à l’importance de la proclamation verbale, mais la proclamation verbale par des personnes qui ne démontrent pas la réalité de ce qu’elles proclament finira par saper la vérité du message.

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News

Le quatrième congrès de Lausanne porte une attention particulière aux jeunes, aux chrétiens dans le monde du travail et à la technologie

Plus de 5 000 évangéliques de plus de 200 pays se sont réunis en Corée du Sud pour célébrer et élaborer des stratégies d’évangélisation.

Les panélistes partagent l’influence que le Mouvement de Lausanne a eu sur leurs ministères le 24 septembre 2024.

Christianity Today September 27, 2024
GOY

L’héritage chrétien de la famille de Steve Oh remonte aux missionnaires protestants arrivés en Corée dans les années 1800.

« Ma famille a été bénie par le mouvement missionnaire mondial », raconte Oh, un pasteur australien d’origine coréenne qui dirige l’Église communautaire Living Hope de Sydney.

Du 22 au 28 septembre, Steve Oh faisait partie des 5 200 chrétiens de plus de 200 pays qui se sont retrouvés à Incheon, en Corée du Sud, pour le quatrième congrès de Lausanne. Ce rassemblement était une occasion de « boucler la boucle », et de commémorer les fruits personnels et collectifs de l’évangélisation mondiale au cours du demi-siècle écoulé.

Cinquante ans après l’initiative historique de Billy Graham et de John Stott, qui avaient rassemblé 2 700 évangéliques de 150 pays, les dirigeants du mouvement pensent que cette collaboration peut aller encore plus loin.

« Les six mots les plus dangereux dans l’Église mondiale aujourd’hui sont “Je n’ai pas besoin de vous” », a déclaré Michael Oh (sans lien avec Steve Oh), Directeur exécutif du Mouvement de Lausanne. Membre de la diaspora coréenne, il portait un hanbok traditionnel lors de son discours d’ouverture du dimanche.

Au cours des 15 années qui se sont écoulées depuis que Lausanne a convoqué son dernier congrès au Cap, en Afrique du Sud, le Mouvement a cherché à élargir le cercle des structures considérées comme des partenaires essentiels du Grand mandat confié par Jésus à ses disciples. Divers événements ont été organisés — pour les dirigeants de moins de 40 ans à Jakarta en 2016, et pour les chrétiens actifs dans le monde du travail séculier, ou ceux qui ne sont pas des professionnels du ministère chrétien à Manille en 2019.

Depuis sa première édition en 1974, Lausanne a approfondi la collaboration entre les évangéliques du monde entier, affirment les responsables que CT a interrogés sur place lors de Lausanne 4. Tout en s’attachant à former des jeunes responsables et à étendre ses réseaux, le Mouvement a publié en préparation du congrès un important rapport intituléÉtat du Mandat missionnaire et la Proclamation de Séoul, deux documents qui réaffirment l’engagement de Lausanne à servir de leader d’opinion en matière d’évangélisation et de théologie.

Dans la période précédant le rassemblement, Lausanne a fortement incité les Églises locales à adopter une attitude de coopération.

De nombreuses congrégations coréennes ont historiquement lutté pour s’entendre. En 2014, l’Alliance évangélique mondiale a annulé son Assemblée générale prévue dans la capitale sud-coréenne en raison des divisions entre les évangéliques du pays.

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Dès le début du processus de planification du Congrès de Lausanne de cette année, l’Église Onnuri, l’une des plus grandes communautés réformées presbytériennes de Corée, a réuni plus de 430 églises pour prier. Environ 200 églises ont collectivement lancé une série de prédications suivies dans le livre des Actes des Apôtres. Nombreux sont ceux qui ont collecté des fonds pour couvrir les frais du rassemblement. Environ 4 000 chrétiens locaux priaient pendant l’événement.

L’Église coréenne a apporté une contribution financière importante pour la location du centre de congrès, les repas, le transport et les coûts de production.

Il n’a pas été facile d’instaurer la confiance entre les responsables chrétiens coréens, selon Yoo Kisung, un organisateur local qui dirige l’Église Good Shepherd à Séoul. Mais il reconnaît que cette préparation a été une occasion de réfléchir et d’inspirer la prochaine génération : « Les jeunes qui ont travaillé avec Lausanne sont les futurs dirigeants de l’Église coréenne. »

Les dirigeants du Mouvement de Lausanne qui se sont déplacés pour l’événement, comme Menchit Wong, membre du Conseil d’administration originaire des Philippines, ont également souligné l’impact générationnel.

« Maintenant que je suis beaucoup plus âgée, ma tâche est de voir des responsables de plus en plus jeunes prendre leur place pour amener les enfants à Jésus », dit-elle.

Le congrès de Séoul présente un pourcentage record de femmes (29 %) et de délégués de moins de 40 ans (16 %). Plus de 1 450 participants ont une activité professionnelle séculière. Mardi, un dîner était organisé pour les jeunes leaders, remplissant une immense salle de bal du centre de congrès, et plus tard dans la semaine, Lausanne organisait une cérémonie de recommandations à l’œuvre de Dieu pour les participants dont l’activité professionnelle se déroule dans le monde du travail séculier (28 %).

Si les organisateurs de Lausanne 4 avaient initialement souhaité que les Nord-Américains se limitent à environ 5 % de l’ensemble des délégués présents, les délégués vivant dans cette région ont finalement représenté 25,5 % de l’ensemble des participants. Avec les Européens (13 %), les Occidentaux représentaient 38,5 % du total des délégués.

Environ un tiers (36,9 %) des délégués résident dans des pays asiatiques, contre 12,8 % en Afrique et 7,7 % en Amérique latine. Les représentants vivant en Océanie représentaient 3 % et ceux des Caraïbes 1,1 %.

Pour Casely B. Essamuah, Ghanéen basé aux États-Unis et Secrétaire du Forum chrétien mondial, passer la semaine avec cette population diverse et disparate rappelle que « l’Église est plus grande et plus vaste que n’importe laquelle de nos dénominations ou n’importe laquelle de nos enclaves. »

« Lorsque vous venez ici, vous ne pouvez qu’être inspirés par ce que Dieu fait dans le monde entier », a-t-il déclaré. « Votre cœur est également brisé par la persécution que subissent d’autres personnes, et cela influence votre vie de prière. On rencontre des gens et on peut travailler en réseau avec eux pour le plus grand bien de l’Église mondiale. »

Selon Christian Maureira, Directeur et professeur au séminaire Martin Bucer au Chili, entendre des chrétiens du monde entier raconter des histoires de persécution et de la grâce de Dieu est une expérience unique en son genre. « Entendre ce que Dieu fait au Pakistan, en Malaisie, en Europe, dans le monde musulman […] a un impact considérable. »

Pour Claudia Charlot, Doyenne de la Faculté de commerce de l’Université Emmaüs à Cap-Haïtien, en Haïti, ce rassemblement lui a permis d’entrer en contact avec des missionnaires asiatiques de la One Mission Society, l’organisation qui a fondé l’école dans laquelle elle travaille.

« Je n’aurais jamais rencontré ces personnes sans Lausanne », a-t-elle déclaré.

Chacun des précédents congrès de Lausanne a donné lieu à la publication d’un document évangélique qui a fait date : la Déclaration de Lausanne (1974), le Manifeste de Manille (1989), et l’Engagement du Cap (2010). Lausanne a annoncé dimanche la publication de la Proclamation de Séoul, un traité en sept parties qui énonce des positions théologiques sur l’Évangile, la Bible, l’Église, la « personne humaine », la vie de disciple, la « famille des nations » et la technologie.

La Proclamation de Séoul « a été conçue pour combler certaines lacunes, pour apporter un complément sur sept sujets clés sur lesquels nous n’avons pas suffisamment réfléchi ou écrit au sein du Mouvement de Lausanne », a déclaré David Bennett, Directeur associé mondial de Lausanne.

« Nous n’avons pas essayé de créer un quatrième document qui remplacerait ou rendrait obsolètes les trois documents précédents », a-t-il ajouté.

La déclaration — un texte de 97 points et de 13 000 mots — a été publiée dès le premier jour du congrès. Sa publication a surpris certains délégués, qui s’attendaient à avoir la possibilité d’apporter leur contribution, étant donné que les congrès précédents avaient collectivement élaboré des déclarations en l’espace d’une semaine.

« S’appuyant sur une histoire riche et diversifiée, cette déclaration du @LausanneMovement a beaucoup de bon, et je suis reconnaissant pour la clarté théologique de ce moment », a écrit Ed Stetzer, Directeur régional de Lausanne pour l’Amérique du Nord, sur Instagram. « Cependant, j’aurais aimé qu’elle interpelle davantage les chrétiens à donner la priorité à l’évangélisation. »

Au moins un groupe, le Korean Evangelicals Embracing Integral Mission (KEEIM) [Évangéliques coréens pour la mission intégrale], a organisé une réunion le mardi pour que les délégués partagent et rassemblent leurs préoccupations.

Des éléments de la Déclaration de Séoul sur le thème de l’homosexualité ont été modifiés après sa publication, selon un rapport de Christian Daily International.

Des responsables chrétiens coréens ont fait part de leurs objections aux versions originales, notamment en ce qui concerne la manière dont elles pouvaient donner l’impression que « de nombreuses Églises locales et communautés chrétiennes ont commis des erreurs, alors que ce n’est pas le cas pour la plupart des Églises locales et communautés chrétiennes. »

Au paragraphe 69, au lieu de décrire comment les chrétiens attirés par le même sexe rencontrent des difficultés « dans de nombreuses Églises locales en raison de l’ignorance et des préjugés », il est maintenant indiqué que ces choses se produisent « même dans les communautés chrétiennes. » Au lieu de dire que l’Église se repent de ses « échecs », le texte dit maintenant qu’elle se repent de son « manque d’amour. »

Le mot « fidèle », qui était utilisé pour décrire les croyants qui éprouvent une attirance pour le même sexe, a également été supprimé dans le paragraphe suivant. À l’origine, ces modifications devaient être apportées avant la publication de la déclaration de Séoul, a déclaré mardi le porte-parole de Lausanne.

Ivor Poobalan, Directeur du séminaire théologique de Colombo au Sri Lanka, et Victor Nakah, Directeur international de Mission to the World pour l’Afrique subsaharienne, ont dirigé conjointement le groupe de travail théologique de Lausanne, qui a consacré environ 18 mois à l’élaboration de la Déclaration.

Selon M. Bennett, les rédacteurs du document se sont posé la question :

  • Que faut-il faire ?
  • Y a-t-il des domaines où le désir de Dieu pour les nations et son désir pour son Église n’est pas complètement réalisé ? Des domaines où nous n’avons pas écouté assez attentivement, ou des domaines où notre monde en mutation soulève de nouvelles questions auxquelles nos trois documents fondateurs n’ont pas apporté de réponses suffisantes ?

Ce document fait suite au rapport publié il y a quelques semaines concernant l’actualité du Grand mandat missionnaire. Ce rapport de 500 pages explore la situation actuelle de l’évangélisation mondiale à travers des données et des résultats de recherche, et propose des idées et des opportunités pour que les responsables des différentes régions puissent continuer à exercer leur ministère de manière efficace.

« Il existe des centaines de milliers de communautés ecclésiales qui comptent des centaines de millions de disciples de Jésus-Christ », écrivent dans l’introduction Poobalan et Nakah, qui ont également participé à la rédaction de ce rapport. « Mais pour mener à bien le Grand mandat, nous avons besoin d’une Église adaptée, avec des cœurs et des esprits tournés vers sa réalisation. »

Cet engagement en faveur d’un travail théologique approfondi séduit Tom Lin, Président de l’association étudiante InterVarsity Christian Fellowship (GBU), basée aux États-Unis.

« Nous avons là un concept unique issu de Lausanne, qui pourrait se répandre au fil des ans dans de nombreux endroits du monde », a-t-il déclaré.

Kim Jongho, du groupe KEEIM, a connu les documents de Lausanne alors qu’il était en première année d’université. « Leur engagement en faveur d’une mission intégrale m’a montré que je pouvais être un chrétien responsable dans la société », rapporte-t-il. « Ils étaient pour moi un signe d’espoir. »

Bien que Lausanne ait démontré une telle influence sur le monde évangélique depuis 50 ans, un mouvement comme celui-ci doit veiller à ne pas se reposer sur sa propre histoire, déclare Ruslan Maliuta, stratège de réseau pour OneHope en Ukraine.

« Dans les années 70, rassembler des milliers de personnes venues du monde entier était en soi une réussite extraordinaire », a-t-il déclaré. « C’est toujours un exploit, mais un réseau de mégaéglises peut le faire aussi. Bien qu’il s’agisse toujours d’un effort important, ce n’est pas quelque chose qui se démarque. »

Dans un monde en mutation, les organisations qui ont la capacité de se réunir à ce niveau devraient plutôt réfléchir au type de réunions qu’elles organisent.

« Chaque groupe mondial important, y compris Lausanne, doit s’efforcer de se réimaginer à notre époque », dit Ruslan Maliuta.

À cette fin, Lausanne a mis en place un centre de découverte numérique, une série d’expositions interactives destinées à aider les participants à en savoir plus sur les points de rencontre entre l’évangélisation et la technologie. Les sessions de l’après-midi traitent de sujets tels que l’intelligence artificielle et le transhumanisme.

Et Michael Oh, lors de son discours du mardi soir, qui commémorait le 50e anniversaire de Lausanne, a rappelé aux délégués que le mouvement était « passionnément engagé dans trois domaines : le discipulat dans le monde, la maturation des disciples dans l’Église et le digital. »

« Nous nous trouvons à un moment décisif pour le corps du Christ », a déclaré Paul Okumu, du Kenya Center for Biblical Transformation. « D’une part, il y a beaucoup d’enthousiasme et de célébrations autour de ce que Dieu fait. Mais d’un autre côté, la persécution et l’intolérance religieuse qui s’annoncent suscitent une inquiétude exceptionnelle. »

« Je suis ici pour montrer ma solidarité avec l’Église évangélique mondiale, en reconnaissant à la fois sa beauté et sa résilience, ainsi que ses imperfections et son désordre », dit Lisman Komaladi, Secrétaire régional de l’IFES pour l’Asie de l’Est à Singapour. « Je suis convaincu qu’ensemble, nous pouvons devenir des témoins plus fidèles du Christ dans le monde, où que nous soyons. »

Traduit par Jonathan Hanley et révisé par Léo Lehmann

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Comment implanter des églises en Europe ?

Si certains considèrent l’ambition comme cruciale pour l’évangélisation, d’autres expérimentent des approches plus subtiles pour entrer en contact avec celles et ceux qui ne pensent pas avoir besoin de Dieu.

Christianity Today September 25, 2024
Luigi Olivadoti

Son objectif est audacieux. Mais pour James Davis, fondateur du Global Church Network, les chrétiens ont besoin de plans et de délais. Sinon, ils ne feront jamais ce qu’ils doivent faire pour accomplir le Grand mandat confié par le Christ à ses disciples.

Son organisation s’est réunie à Zurich, en Suisse, en septembre dernier, avec 400 responsables d’œuvres chrétiennes de toute l’Europe, et ensemble, ils se sont engagés à trouver et à équiper plus de 100 000 nouveaux pasteurs au cours de la prochaine décennie. Le réseau prévoit d’établir 39 centres en Europe, avec un objectif de 442 autres dans les années à venir, pour former des serviteurs à la proclamation de l’Évangile : des implanteurs d’églises, des évangélistes et des pasteurs.

« Une vision devient un objectif lorsqu’elle est assortie d’une échéance », affirmait Davis lors de l’événement.

« Aujourd’hui, tant de dirigeants chrétiens doutent de leurs convictions et sont convaincus de leurs doutes. Il est temps pour nous de douter de nos doutes et de faire confiance à nos convictions. Nous revendiquerons, escaladerons et hisserons notre drapeau au sommet de notre Everest, le Grand mandat missionnaire. »

Davis a un certain nombre de partenaires très motivés dans ce projet, notamment les Assemblées de Dieu, la Church of God (Cleveland, Tennessee), et la International Pentecostal Holiness Church. Dans le contexte d’une coalition plus large, le réseau compte également l’Église wesleyenne, l’Église du Nazaréen, les églises Foursquare, l’Église de Dieu en Christ et la mission OMF International (anciennement Overseas Missionary Fellowship). Toutes ces structures veulent collaborer à l’accomplissement du mandat de Matthieu 28 dans un avenir proche. Si leur objectif européen apparaît quelque peu hors de portée, il est certain qu’ils feront encore beaucoup d’efforts d’ici à l’échéance.

Le Global Church Network n’est pas seul. En Allemagne, la Bund Freikirchlicher Pfingstgemeinden (Association des églises libres pentecôtistes) a annoncé son intention d’implanter 500 nouvelles églises d’ici 2033. Le groupe, qui fêtera son 150e anniversaire en 2024, a déclaré à CT qu’il implantait actuellement de nouvelles assemblées au rythme d’environ sept par an. La formation de nouveaux pasteurs est un élément clé de sa stratégie de croissance.

La Bund Evangelisch-Freikirchlicher Gemeinden in Deutschland (Association des Églises évangéliques libres d’Allemagne) a implanté 200 églises au cours de la dernière décennie. Elle s’est développée et compte aujourd’hui environ 500 églises et 42 000 membres. Les églises évangéliques libres prévoient également d’implanter 70 nouvelles communautés d’ici 2030, au rythme de 15 par an, puis 200 autres d’ici 2040.

« Se fixer de tels objectifs est une pratique assez répandue en Europe », rapporte Stefan Paas, qui occupe la chaire J. H. Bavinck de missiologie et de théologie interculturelle à l’Université libre d’Amsterdam, et auteur de Church Planting in the Secular West.

Il n’est cependant pas convaincu que cette approche convienne aux missions chrétiennes. En fait, il ne pense pas que l’ambition, l’éloquence et la décision de fixer des objectifs mesurables représentent un schéma qui fonctionne réellement.

Les recherches de Stefan Paas montrent que les approches fondées sur l’offre – l’idée selon laquelle il suffit d’implanter pour que les gens viennent – semblent prometteuses et connaissent souvent un succès initial, mais que les résultats s’évaporent la plupart du temps. Si l’on croit généralement que l’implantation de nouvelles églises est un facteur de croissance, ce n’est pas ce que montrent les faits.

« Oui, les nouvelles églises ont tendance à attirer plus de gens et de convertis, mais elles les perdent également en plus grand nombre », nous affirme Paas. « On observe une sorte de dynamique de porte de derrière où les gens viennent dans les nouvelles églises mais les quittent ensuite. »

Il a examiné les statistiques des membres des églises évangéliques libres de 2003 à 2017 et a constaté que les implantations d’églises étaient souvent associées à une croissance rapide, suivie d’un lent déclin.

« C’est une chose d’attirer les gens, c’en est une autre de les garder », commente-t-il.

Selon Paas, le problème réside en partie dans le fait que les éléments qui attirent les gens dans les nouvelles églises, comme la bonne musique, la prédication dynamique et le sentiment d’une réelle passion pour un événement, ne débouchent pas sur un discipulat plus profond. Les gens ne s’impliquent pas davantage et ne s’engagent pas plus, et lorsque l’église perd de sa nouveauté ou de son enthousiasme, ils s’en éloignent.

C’est la raison pour laquelle les implantations d’églises semblent souvent plus réussies dans les contextes urbains, où de nombreuses personnes arrivent chaque jour. On peut ironiquement observer qu’il s’avère plus facile d’attirer de nouveaux convertis dans des contextes profondément laïques, tels que les anciens pays communistes. Mais faire en sorte que les gens franchissent la porte d’entrée n’est pas un défi aussi important que d’établir des liens profonds, significatifs et transformateurs. De nombreux nouveaux arrivants ne restent pas.

Paas estime que les chrétiens devraient se concentrer davantage sur la contextualisation, l’expérimentation de nouvelles idées et des approches innovantes, et la formation des pasteurs à l’établissement de vraies relations interpersonnelles. Alors que James Davis et d’autres affirment que l’ambition est nécessaire pour mobiliser les gens afin d’évangéliser le monde, les implantations d’églises en Europe réussissent grâce à l’expérimentation et à la créativité, d’après Paas.

« Les espaces expérimentaux et les nouvelles expressions sont bien plus importants que les implantations d’églises traditionnelles », estime-t-il. « L’innovation est beaucoup plus importante que l’entrepreneuriat axé sur la croissance. »

C’est ainsi qu’a décidé de procéder l’église d’Eisenach, une petite ville d’environ 42 000 habitants située dans le Land de Thuringe, dans l’est de l’Allemagne. Eisenach a des liens historiques avec la Réforme protestante – Martin Luther et Jean-Sébastien Bach y ont tous deux vécu, bien qu’à des époques différentes. Mais aujourd’hui, environ 70 % de la population ne revendiquent aucune affiliation religieuse. Ils sont, comme le disent les Allemands, konfessionslos (« sans confession »).

« La foi n’est tout simplement pas de mise ici », explique la pasteure Cordula Lindörfer. « Lorsque les citoyens d’Eisenach sont en difficulté ou en crise, ils ne pensent ni à Dieu ni à l’Église. Ils ne se tournent jamais vers le surnaturel. Ils n’y voient tout simplement pas d’intérêt. »

Cela peut rendre l’implantation d’une église assez délicate. C’est pourquoi la pasteure et son équipe, avec le soutien de l’Association des églises évangéliques libres, ont décidé de ne pas commencer par un Gottesdienst (« culte dominical »), mais de se concentrer d’abord sur trois autres G : gemeinschaftgeniessen, et gestatten (communion, réjouissance, et liberté)

À la « StartUp Church », leur implantation à Eisenach, l’équipe invite les membres de la communauté à des brunchs mensuels pour discuter de sujets tels que la question de savoir si la « justice pour tous » est une chimère utopique ou quelque chose qui pourrait être concrétisé. Le premier événement de l’église, en 2020, s’est déroulé dans une brasserie. Ils l’ont annoncé comme un rendez-vous pour « discuter des doutes et des croyances, et parler de Dieu et du monde. »

Aujourd’hui, StartUp organise une réunion hebdomadaire dans un bar local appelé Cat’s Leap, et les familles se rencontrent dans un parc à proximité.

Lors d’un récent rassemblement , les participants ont exploré les différentes perspectives possibles sur l’histoire que Jésus a racontée au sujet des ouvriers d’une vigne qui recevaient tous le même salaire, même s’ils travaillaient des durées différentes (Matthieu 20.1-16).

Selon la pasteure, la plupart des personnes qui viennent à StartUp ont entre 30 et 40 ans. Elle ne prêche ni n’enseigne beaucoup, et son travail est moins celui d’un pasteur typique que celui d’une modératrice et d’une rassembleuse.

« Les habitants d’Eisenach sont tous prêts à discuter ; ils ont tous des opinions et des idées », affirme-t-elle. « Pour moi, il s’agit avant tout de créer un espace où ils se sentent les bienvenus, où les gens viennent pour tisser des liens plutôt que pour se faire concurrence. »

Stefan Paas pense que cette approche représente probablement le véritable avenir de la croissance des églises dans l’Europe sécularisée. Le succès aura moins à voir avec des objectifs de grande envergure qu’avec des objectifs complexes, et devra se concentrer sur le travail quotidien consistant à se faire des amis, à créer des liens, à montrer aux gens l’amour de Dieu et à les inviter à envisager que la foi chrétienne peut être pertinente dans leur vie quotidienne.

Ceux qui pensent que l’implantation d’églises en Europe sera rapide et facile devraient probablement rester chez eux, nous dit le chercheur. « Sinon, vous serez déçus ; vous risquez même de perdre la foi. »

Lui n’a pas perdu la sienne.

Lorsqu’il examine le travail missionnaire qui se déroule sur le continent, il trouve de l’espoir dans la promesse rapportée par Paul en 1 Corinthiens 1.18-31 : Dieu utilise des choses insensées pour accomplir ses desseins divins.

L’implantation d’une église peine à prendre racine au Liechtenstein

En roulant vers le Sud sur la Route européenne 43, vous remarquerez peut-être qu’il n’y a que cinq sorties pour le Liechtenstein. Mais il se peut que vous ne le remarquiez pas, tant cette monarchie germanophone, longue de 24 kilomètres, est vite dépassée.

Situé entre l’Autriche et la Suisse et entouré par les Alpes, le Liechtenstein est l’une des plus petites nations du monde. C’est aussi l’une des plus riches. Le produit intérieur brut du Liechtenstein s’élève à la somme astronomique de 197 000 dollars par personne. Cela représente plus de deux fois la valeur économique produite chaque année aux États-Unis et plus de trois fois la valeur produite par l’Allemagne, qui est considérée comme la « locomotive économique » de l’Europe.

Ainsi, la plupart des gens, s’ils pensent au Liechtenstein, n’y voient pas un champ de mission.

Mais la plupart des gens se trompent, selon l’équipe de pasteurs père-fils Paul et Mike Clark. Depuis juin 2022, les Clark tentent d’implanter une église au Liechtenstein.

« Ici, il y a autant besoin de l’Évangile qu’ailleurs », dit le fils, Mike, 44 ans, lors d’une promenade dans la capitale, Vaduz, une ville d’environ 6 000 habitants située en contrebas du château où le monarque, le prince Hans-Adam II, vit avec sa famille.

Environ 70 % des 40 000 habitants sont catholiques. Il existe quelques petites minorités d’autres groupes religieux – 8 % du pays s’identifie comme protestant réformé et 6 % comme musulman – mais la plupart des gens sont comptés comme catholiques.

« Ne vous fiez pas aux statistiques officielles », dit Mike Clark. « Seuls 10 % environ de ces personnes se rendent à l’église le dimanche. »

Convaincre les Liechtensteinois d’envisager d’aller à l’église, et de surcroît dans une église évangélique, s’est révélé être un véritable défi dans un pays défini par le capital privé et le catholicisme institutionnel. Peu de gens semblent intéressés par les conversations sur la foi. Rares sont ceux qui reconnaissent des besoins spirituels. Bien que peu pratiquants, l’idée d’une autre forme de foi que le catholicisme leur est étrangère.

« Nous avons tout essayé pour entrer en contact avec les gens », raconte Paul Clark, un Américain de 72 ans qui a passé des dizaines d’années en Europe. « Mise en place d’une table d’information dans le centre-ville de Vaduz. Création d’une chorale de gospel. Et maintenant, nous lançons un cours Alpha pendant l’été » afin d’enseigner les bases du christianisme.

La chorale gospel était appréciée, mais personne ne revenait visiter l’église. L’obtention des autorisations de la mairie pour le cours Alpha a demandé beaucoup de temps et d’énergie, mais les cours ne sont pas particulièrement fréquentés.

Il s’avérera peut-être que les gens ne sont tout simplement pas intéressés par l’église. Actuellement, le Liechtenstein compte plus de casinos (sept) que d’assemblées chrétiennes non-catholiques (cinq). Le pays ne compte que deux églises évangéliques : la Freie Evangelische Gemeinde à Schaan et la Life Church Liechtenstein à Eschen, où les Clark s’occupent d’un petit groupe de personnes tout en rêvant d’en atteindre beaucoup plus.

La Life Church se réunit une fois par mois dans une zone où se sont implantées de nombreuses entreprises à la périphérie de la ville. L’organisation de l’église est simple : quelques rangées de chaises en plastique, un écran escamotable avec une image des Alpes en arrière-plan, quelques tables à l’arrière, et pour grignoter, un mélange de gâteaux faits maison, de chips et de guacamole achetés dans le commerce.

Paul Clark dirige la louange à la guitare acoustique, accompagné d’un jeune brésilien jouant du cajon. Un dimanche, environ 25 personnes sont venues au culte de 16 heures. La plupart d’entre elles venaient d’églises partenaires de Suisse orientale et d’Autriche occidentale. Ils ont chanté en allemand des chants bien connus sur la scène internationale tels que « Bénis l’Éternel Ô mon âme » et « Goodness of God ». Paul leur a rappelé ce qu’est l’implantation d’une église. Citant les paroles allemandes du chant « Brille Ô Jésus », il a prié pour que Jésus fasse briller la lumière de la gloire de son Père sur le Liechtenstein.

Si le nombre de participants n’augmente pas, cette assemblée risque de fermer d’ici la fin de l’année 2024.

« D’après mon expérience, si une église ne gagne pas de terrain au cours des deux premières années, elle n’en gagnera jamais », commente Paul Clark.

Les implantations d’Églises en Allemagne, au Liechtenstein et en Suisse montrent les défis et les opportunités pour les évangéliques en Europe.

Il sait de quoi il parle. Il a quitté le Michigan pour la première fois dans les années 1970 pour venir en Europe avec Teen Challenge. Il a rencontré sa femme, Mechthild, qui travaillait également avec Teen Challenge, en Allemagne de l’Ouest. Au cours des 50 dernières années, le couple a contribué à la création de six églises en collaboration avec l’Association des églises libres pentecôtistes. Ces communautés se trouvent dans les États allemands de la Sarre, de la Rhénanie-Palatinat et de la Thuringe.

Mike Clark a suivi les traces de ses parents et a participé à la création d’œuvres chrétiennes dans le Missouri, aux Émirats arabes unis et à Oman.

Les deux membres de la famille Clark affirment cependant que le Liechtenstein est peut-être l’endroit le plus difficile pour parler aux gens de Jésus. L’implantation d’une église a été plus difficile ici que partout ailleurs.

« Suivre le Christ ici a un coût », dit Mike Clark. « Il ne s’agit pas de mettre sa vie en jeu, mais il y a une certaine perte d’anonymat et une pression sociale qui accompagne le fait de dire “J’ai décidé de suivre Jésus.” »

Mais le binôme père-fils reste déterminé. Ils croient – ou peut-être espèrent est un meilleur mot – que certaines âmes affamées se posent des questions sur la foi qu’elles ne peuvent pas explorer dans le contexte de l’Église catholique. Ils souhaitent que les habitants du Liechtenstein disposent d’une option évangélique locale. Dans la situation actuelle, beaucoup seraient obligés d’aller chercher cette possibilité en dehors des frontières.

En fait, à l’origine, l’idée de cette implantation d’église est née lorsque des visiteurs du Liechtenstein sont venus dans l’église déjà établie des Clark à Bregenz, en Autriche. Comme Life Church, la Freie Christengemeinde de Bregenz (FCG) est installée dans des locaux situés dans une zone d’implantation d’entreprises et de bureaux. Les participants se retrouvent dans une ancienne usine textile sur les rives du lac de Constance, dans un bâtiment à l’allure moderne et postindustrielle.

En route pour l’Autriche, alors que les frontières entre certaines des nations les plus riches défilent, Mike Clark fait remarquer que « les frontières ne sont pas un problème lorsqu’il s’agit d’échanges commerciaux dans cette partie du monde. »

Il ajoute : « Mais les gens ne devraient pas avoir à franchir des frontières pour venir au Christ. »

La FCG Bregenz est cependant très internationale, comme beaucoup d’églises évangéliques en Europe. Des Autrichiens assistent aux rencontres, mais aussi des Allemands, des Suisses et des Liechtensteinois, ainsi que des expatriés du Kenya, de Syrie et des États-Unis.

Mike Clark a lui-même grandi en Allemagne, a étudié la théologie aux États-Unis, a obtenu un doctorat en droit aux Pays-Bas, et, avec sa femme Laura, a passé 15 ans à travailler dans le domaine de l’aide d’urgence et du développement, avant de ressentir l’appel à implanter une église en Autriche, puis une autre au Liechtenstein.

Les Clark ont fondé l’église de Bregenz en 2016. Mike Clark, qui a été ordonné dans une église pentecôtiste en 2004, la dirige depuis 2020.

Il apporte toute son expérience passée à son ministère, et son identité interculturelle transparaît lorsqu’il prêche. Lorsqu’il monte sur scène, les fidèles pourraient penser qu’ils se trouvent dans une église aux États-Unis. Avec sa barbe, son jean moulant, son pull gris, ses tennis blanches et son iPad, « Pastor Mike » a l’air d’un pasteur branché d’une mégaéglise. Puis il se met à prêcher en allemand, une langue qu’il maîtrise parfaitement.

Chaque dimanche, une soixantaine de personnes se rendent dans son église autrichienne, et autant suivent le culte en ligne. Selon Mike Clark, la FCG Bregenz est l’une des nombreuses églises implantées dans l’État autrichien du Vorarlberg, à l’extrême ouest du pays, au cours des dix dernières années. La plupart des églises du réseau comptent moins de 50 fidèles chaque dimanche, ce qui fait de la FCG Bregenz une figure de proue. L’église est devenue un terrain d’entraînement pour les implanteurs d’églises qui cherchent à évangéliser davantage d’Européens.

Evert van de Poll, missiologue néerlandais, estime que l’Europe représente un défi particulier pour l’évangélisation. Le poids de l’héritage culturel chrétien et un siècle de sécularisation font que peu de gens cherchent à se rendre dans les églises.

Les nouvelles formes de spiritualité individuelle peuvent être très populaires, mais cela se traduit rarement par une curiosité pour les expériences spirituelles vécues dans une église évangélique.

Van de Poll rapporte qu’il a vu des évangéliques tendre la main avec succès aux migrants et aux réfugiés en Europe. Certaines églises – en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, en Autriche et même dans le riche petit pays du Liechtenstein – tentent d’adopter un modèle plus sensible à la demande, avec un culte de tendance contemporaine, une prédication pertinente et un message qui démontre que l’Évangile reste d’actualité.

Mais ce qui fonctionne d’un côté d’une frontière européenne, souligne le missiologue, ne fonctionne pas nécessairement de l’autre côté.

« On pourrait penser que les principes de base sont les mêmes, mais les frontières sont importantes », explique-t-il. « Les pasteurs et les missionnaires doivent prendre conscience de la diversité de l’Europe et des lignes de démarcation entre les différents États, les diverses cultures, et les différents degrés d’influence protestante, catholique ou laïque. »

C’est peut-être la leçon que les Clark tirent de la Life Church au Liechtenstein. Malgré leur succès en Autriche et leur expérience internationale variée, rien ne semble prendre racine dans la topologie aisée du plus petit État germanophone d’Europe.

Peut-être que l’année prochaine, si l’église peut tenir le coup aussi longtemps, quelques pousses de vie apparaîtront dans ce terrain.

Mais peut-être pas.

Les évangéliques s’implantent avec succès dans une ville suisse

Pour une petite ville, Buchs compte un nombre surprenant d’églises. Cette commune située à l’extrémité orientale de la Suisse compte une communauté catholique romaine, bien sûr, et une communauté de l’Église protestante, mais aussi une église de l’Alliance évangélique, une église évangélique libre, une église néo-apostolique, une communauté chrétienne internationale et l’église non-affiliée GRACE.Church.

En fait, il y a environ une assemblée évangélique pour 1 000 habitants, ce qui a valu à Buchs le surnom de « Canaan sur le Rhin », une Terre promise pour les évangéliques suisses.

Seuls 2 % environ des Suisses s’identifient comme évangéliques. Mais à Buchs, pour une raison ou une autre, environ 10 % des gens pratiquent le culte dans une église évangélique.

Pourquoi cette ville est-elle différente ?

Les pasteurs qui servent les églises de Buchs ont quelques théories. Il n’y a peut-être pas d’explication sociologique, disent-ils, car le Saint-Esprit agit d’une manière qui dépasse l’entendement humain.

« Il y a quelque chose de prophétique dans cet endroit », nous raconte Ben Stolz, pasteur de l’église GRACE, en buvant un cappuccino dans un café de Buchs. « La ville a un profond passé spirituel. »

Ulrich Zwingli, le réformateur du XVIe siècle, est né juste à côté de Buchs. La ferme où il a grandi est toujours un lieu de pèlerinage et de réflexion spirituelle.

Plus récemment, le prédicateur charismatique Leo Bigger est lui directement né à Buchs. Catholique de naissance, il a été promoteur de discothèques et a joué dans son propre groupe de rock avant de devenir évangélique et de gravir les échelons de la direction de l’International Christian Fellowship (ICF). Aujourd’hui, il est le pasteur de la plus grande assemblée protestante de Suisse, ICF Zurich, et la communauté s’est développée pour fonder environ 60 églises dans 13 pays. L’une d’entre elles se trouve bien sûr à Buchs et est dirigée par Sarah et Werner Eggenberger.

L’église de Ben Stolz attire environ 150 personnes chaque dimanche, auxquelles s’ajoutent une trentaine de personnes qui suivent le culte en ligne. Cette assemblée non-affiliée est l’une des plus importantes de la ville. Elle est connue pour son culte contemporain, son atmosphère détendue et ses sermons d’actualité.

Stolz, qui a grandi à Buchs, la décrit comme une église « moderne et vivante ». Il rêve qu’un jour l’Europe puisse être « parsemée de communautés vibrantes et saines » comme GRACE.Church, « où les gens viennent pour connaître Jésus-Christ, font l’expérience de la guérison et s’épanouissent grâce à leur connaissance croissante de l’amour et de la grâce de notre Dieu merveilleux. »

Il sait que certaines personnes trouvent cette vision dérangeante, voire choquante. Il y a quelques années, le théologien catholique Günther Boss, de l’autre côté de la frontière, au Liechtenstein, a utilisé GRACE.Church comme exemple de ce qui ne tourne pas rond dans le christianisme moderne. Il a déclaré que sa théologie était superficielle, que ses prédications étaient « répugnantes » et que la communauté était à la fois trop moderne et trop démodée.

« Dans leur forme, ils sont très enthousiastes, très jeunes », commentait Boss au Liechtensteiner Vaterland, l’un des deux quotidiens du pays. « Mais dans leur contenu, ils sont réactionnaires et ont des idées morales très restrictives. »

De telles critiques ne sont pas rares en Europe. Les églises libres – celles qui fonctionnent sans les privilèges accordés par l’État – sont souvent stigmatisées comme des sectes étranges et antisociales. Toutefois, à Buchs, il y a suffisamment d’évangéliques pour que la plupart des gens puissent en connaître personnellement, et les attaques ont ici moins de poids qu’ailleurs.

« Nous assistons aux mariages des uns et des autres, nous participons aux funérailles, nous célébrons les naissances et les baptêmes ensemble », raconte Martin Frey, pasteur d’une église protestante suisse officielle. « Cela permet d’informer les gens sur les églises libres et de faire en sorte que l’image de la “secte” soit dépassée. »

Frey considère Stolz comme un ami et aime boire un café avec lui. Il travaille également avec d’autres pasteurs évangéliques de la ville. Ils ont des différences théologiques, bien sûr, mais il les connaît, entretient des relations avec eux et voit à quel point ils s’investissent pour répondre aux besoins spirituels des habitants.

Selon Frey, les habitants de Buchs trouvent dans une église évangélique quelque chose qu’ils ne trouvent pas dans les communautés religieuses plus traditionnelles.

« Tendre les bras pendant la louange, se lever et chanter, parler en langues – tout cela est très, très éloigné de la mentalité suisse typique », commente Martin Frey. « Les Suisses ont tendance à se retenir. »

Pourtant, certains habitants Buchs ont le sentiment d’être plus en contact avec Dieu et d’autres chrétiens lorsqu’elles renoncent à leur retenue instinctive, ou du moins lorsqu’elles parviennent à la surmonter.

Olivier Favre, un pasteur baptiste réformé et sociologue suisse, contributeur du livre Le phénomène évangélique, affirme que c’est la clé du succès des évangéliques. Ils comprennent les besoins humains. Ils montrent aux gens comment se connecter les uns aux autres et avoir une relation avec le divin.

« Dans notre société très individualisée, où beaucoup sont seuls, l’idée d’une relation personnelle avec Dieu, la croyance qu’il répond aux prières, qu’il peut guérir les malades et faire des miracles, répond à un besoin spirituel », écrit Favre.

De ce point de vue, la ville de Buchs n’est pas si différente de ce que l’on trouve dans d’autres pays européens. La ville possède une histoire unique, un sens de la spiritualité et suffisamment d’évangéliques pour qu’ils ne soient pas considérés comme bizarres et marginaux, comme ils le sont dans d’autres lieux. Mais les gens se ressemblent. L’Europe est l’Europe. Et les efforts d’évangélisation sont tous relativement semblables.

Lors d’un récent dimanche « vision » à l’église GRACE.Church, Stolz a présenté un plan de croissance pour la communauté. La recette comprend de l’amitié et un témoignage chrétien fidèle, nous explique-t-il. Il espère que cela conduira bientôt à la construction d’un nouveau bâtiment pour le culte, rendant ainsi l’une des nombreuses églises de Buchs un peu plus visible.

Il veut que GRACE.Church soit comme une lumière pour les gens dans l’obscurité. Ou un feu qui réchauffe ceux qui ont froid.

« Les gens se sentent seuls », dit-il, « et les églises de Buchs sont là pour aider à créer des liens. »

Ken Chitwood est le correspondant européen de CT.

Traduit par Jonathan Hanley et révisé par Léo Lehmann

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Ideas

Jésus aurait-il tenu des propos racistes ?

Columnist; Contributor

Certains l’imaginent dans sa conversation avec une femme syro-phénicienne. Mais le contexte montre autre chose.

Christianity Today September 13, 2024
Wikimedia Commons / Edits by Rick Szuecs Every

Je croise régulièrement de nouveaux articles affirmant que Jésus était raciste.

Chaque fois, ceux-ci se basent sur la guérison de la fille d’une femme syro-phénicienne (Mt 15.21-28 ; Mc 7.24-30). Lorsque celle-ci demande à Jésus de prendre en pitié sa fille possédée par un démon, il lui répond, en effet : « Ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens. » Ce à quoi la femme réplique : « C’est vrai, Seigneur, d’ailleurs les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ». Jésus loue alors sa foi et guérit instantanément l’enfant. Certains concluent que Jésus, ayant agi de manière raciste en qualifiant les étrangers de « chiens », se serait rendu compte de son erreur dans la tournure prise par cet échange.

Il y a cependant différents contrarguments à cette lecture du passage. Théologiquement, tout d’abord, nous savons que Jésus était sans péché (Hé 4.15). Ensuite, d’un point de vue exégétique, la rencontre avec la Syro-Phénicienne reprend la forme générale de beaucoup d’autres récits de guérison dans les Évangiles : un appel à l’aide, suivi d’un échange où Jésus défie ses interlocuteurs — « Crois-tu que je sois capable de faire cela ? », « Qui m’a touché ? », « Est-il permis de guérir le jour du sabbat ? » — pour se terminer par un miracle.

Selon les récits canoniques, le Christ a déjà guéri des non-juifs à ce moment-là (Mt 8.5-13, 28-34), sans parler de sa conversation avec une Samaritaine, qui a scandalisé ses disciples (Jn 4.1-42). D’un point de vue historique, il est anachronique de parler de « race » à cette époque. Et il est, en définitive, également peu plausible que Matthieu ait conté un récit visant à dépeindre un Jésus motivé par des préjugés ethniques. Cela ne cadre pas avec son Évangile qui s’ouvre sur l’adoration du roi nouveau-né par des mages païens et se termine sur l’envoi des apôtres pour aller faire de toutes les nations des disciples.

Il y a là quelques arguments de poids pour ne pas considérer Jésus comme raciste. Mais en fin de compte, la meilleure raison de ne pas se rallier à cette opinion est contextuelle. En replaçant la rencontre avec la femme syro-phénicienne dans l’ensemble du texte de Matthieu (et de Marc), on s’aperçoit que les paroles provocatrices de Jésus visent à faire ressortir un point essentiel concernant l’étendue de sa mission.

Une grande partie de Matthieu 13-16 est marquée par le thème du pain. Il y a d’abord des paraboles sur les graines, le blé, le levain et la farine (13.1-43). Jésus fournit ensuite du pain à 5 000 personnes (14.13-21). Plus tard vient la question du rituel du lavage des mains avant le repas (15.1-20). Puis arrive le récit de la guérison de l’enfant de la Syro-Phénicienne, avec ses images de « pain » et de « miettes ». S’ensuit un autre récit où Jésus fournit du pain, à 4000 personnes cette fois (15.32-39), et un autre propos sur le pain et le « levain » des pharisiens et des sadducéens (16.5-12).

Dans ces passages, la nourriture constitue donc un élément central dans une redéfinition des frontières du peuple de Dieu. Les païens sont-ils souillés s’ils n’observent pas les lois alimentaires juives ? Et sont-ils les bienvenus pour manger les « miettes » qui tombent de la table juive ? Les réponses à ces deux questions montrent que l’accueil de Dieu est bien plus large que ce que l’on pensait alors. Ce qui rend les gens purs, ce n’est pas la nourriture qu’ils absorbent, mais bien leur attitude de cœur (15.11). Et les païens qui s’approchent du Christ par la foi reçoivent ce qu’ils recherchent (15.28).

Les deux récits de multiplication des pains illustrent bien les plans de Dieu pour son royaume multiethnique. Les 5 000 personnes du premier repas miraculeux étaient des Israélites ; ils ont récupéré 12 paniers de restes, un pour chaque tribu. En revanche, le repas des 4 000 personnes — qui a lieu immédiatement après la guérison de la fille de la Syro-Phénicienne — se déroule dans la Décapole, en territoire païen (Marc 7.31). Israël mange en premier, mais les non-juifs sont également nourris. Les « chiens » reçoivent du pain, comme les « enfants ». Cela correspond au message de Matthieu dans son ensemble : la mission du Christ, d’abord adressée aux juifs, (Mt 10.5-6) s’étend ensuite aux non-juifs (28.19).

Un dernier point mérite aussi une mention. Jésus est le deuxième prophète des Écritures, qui, fuyant les autorités officielles d’Israël, rencontre une femme païenne désespérée, s’entretient avec elle à propos de nourriture et guérit son enfant. Dans le cas d’Élie (1 R 17.7-24), c’est la femme qui fournit de la nourriture au prophète. Avec Jésus, le Pain de Vie, les choses sont différentes. C’est lui qui nourrit non seulement une personne ou un seul groupe de personnes, mais des milliers d’affamés, jusqu’à l’humanité entière.

Andrew Wilson est pasteur enseignant à la King’s Church London et auteur de God of All Things. Vous pouvez le retrouver sur Twitter @AJWTheology.

Traduit par Anne Haumont

News

Parcours de vie : Daniel Bourdanné, de l’étude des mille-pattes à la direction mondiale de l’IFES

L’ancien responsable tchadien du ministère étudiant, décédé le 6 septembre dernier, soutenait particulièrement l’édition chrétienne en Afrique.

International Fellowship of Evangelical Students/Adaptations par Rick Szuecs
Christianity Today September 13, 2024

Daniel Bourdanné, scientifique originaire du Tchad, en Afrique centrale, aura inspiré de nombreux jeunes évangéliques du monde entier en tant que secrétaire général de l’IFES et promoteur de longue date de l’édition de livres chrétiens en Afrique. Il est décédé le 6 septembre à l’âge de 64 ans des suites d’un cancer. 

En 2007, après des années de ministère auprès des étudiants, Daniel Bourdanné était devenu secrétaire général de l’International Fellowship of Evangelical Students (IFES), faîtière de très nombreux Groupes bibliques universitaires à travers le monde. Il occupera le poste jusqu’en 2019. Lecteur passionné (et parfois auteur), il travailla de 2018 jusqu’à son décès avec Africa Speaks pour promouvoir l’édition de livres chrétiens sur le continent.

Daniel Bourdanné passa une grande partie de sa vie en Afrique francophone, notamment au Togo, au Cameroun et en Côte d’Ivoire, avant de s’installer à Oxford, en Angleterre, à sa nomination comme secrétaire général de l’IFES. Au moment de son décès, il vivait à Swindon, en Angleterre. 

« Dieu m’a envoyé dans le monde à partir de ce continent, et il me ramène avec le monde sur ce même continent, pour que je termine mon rôle de missionnaire de l’Eglise africaine. », déclarait-il dans son discours d’adieu prononcé en Afrique du Sud en 2019, lors de l’assemblée mondiale de l’IFES. 

« Daniel était fier d’être africain », témoigne Tiémoko Coulibaly, secrétaire général des Groupes bibliques des élèves et étudiants du Mali, affilié à l’IFES. « Bien que vivant en Occident, son cœur était en Afrique, ce continent qui l’a vu naître et dont il n’a jamais désespéré. »

Fils de pasteur, Daniel Bourdanné naît le 18 octobre 1959 à Pala, dans le Mayo-Kebbi Ouest, au Tchad. À l’âge de 10 ans, il perd son père, dont la mort l’oblige à commencer à travailler dans les champs, à couper du bois et à cultiver des légumes pour que sa mère puisse les vendre. Ces responsabilités sont alourdies par la guerre civile qui durera de 1965 à 1979 et coûtera la vie à des milliers de personnes. 

Quelques mois avant la fin de la guerre, Daniel obtient une bourse pour poursuivre des études en écologie animale à l’Université du Tchad. Il obtient ensuite une licence en sciences naturelles à l’Université de Lomé, au Togo (anciennement Université du Bénin). 

En 1983, il s’installe à Abidjan, en Côte d’Ivoire, pour préparer un doctorat en écologie animale. Et en 1990, il soutient une thèse sur les mille-pattes et devient membre de la Société internationale des myriapodologues. 

Tout en poursuivant ses études, Daniel Bourdanné commence à travailler comme professeur de biologie dans un lycée. Cependant, sa passion pour le partage de l’Évangile avec les étudiants s’était déjà éveillée depuis bien longtemps. « À l’âge de 14 ans, lors d’une étude biblique sur Apocalypse 1, j’ai ressenti pour la première fois la vision et la passion de voir des étudiants sauvés pour le Seigneur », racontera-t-il par la suite.

« Directement ou indirectement, les universités déterminent et orientent plus ou moins profondément l’avenir des sociétés humaines », écrivait-il dans un article sur l’évangélisation des étudiants publié dans le Dictionnaire de théologie pratique en 2011. « Les étudiants sont souvent à l’avant-garde des changements sociaux dans le monde. En effet, quand ils se mettent en marche tous ensemble, grâce à leur énergie, leur vitalité, leur détermination, leur ferveur, leur imagination et leur créativité, ils peuvent faire bouger la société. »

En 1990, Daniel Bourdanné commence à travailler avec l’IFES en tant que secrétaire itinérant ; il est nommé secrétaire régional des Groupes bibliques universitaires d’Afrique francophone (GBUAF) en 1996.  

Lorsqu’il devient secrétaire général en 2007, succédant à Lindsay Brown qui occupait ce poste depuis 1991, l’IFES avait déjà 60 ans et était établie dans plus de 150 pays. Au cours de ses 12 années de mandat, le mouvement se développera encore considérablement, notamment en ce qui concerne la diversité de ses dirigeants. 

Sous la présidence de Daniel Bourdanné, l’IFES a accordé plus de place aux théologiens du Sud. En 2007, il nomme Christy Jutare, des Philippines, première femme secrétaire régionale de l’IFES, pour diriger la région Eurasie. En 2011, il installe les deux premiers représentants des étudiants au conseil d’administration de l’IFES. En 2016, il relance une revue mondiale de réflexion théologique et missiologique, Word and World.

Interrogé sur les moments forts de son mandat, il soulignait notamment le fait d’avoir vu Dieu « emprunter des chemins inhabituels » en invitant des personnes inattendues à se joindre à lui, ainsi que la joie de voir Dieu ouvrir des portes dans des contextes difficiles.

Il relevait également un défi majeur : « nous célébrons notre unité », écrivait-il dans son courriel d’adieu au ministère étudiant, « mais nous sommes humains, et il n’est donc pas surprenant que quelqu’un essaie parfois de promouvoir son agenda ou ses préférences. […] Ayant moi-même grandi dans un contexte de guerre et de conflits tribaux, j’ai été peut-être plus sensible à la façon dont ceci pouvait devenir une menace pour l’unité de l’IFES. »

L’une des grandes passions de Daniel Bourdanné était de permettre à l’Église mondiale d’entendre davantage les chrétiens africains. Il les encourageait à ne pas se contenter d’une unique école de pensée et à prendre leur place dans le domaine de la théologie.

« Certains d’entre nous se diront du côté de Billy Graham », observait-il dans son discours de 2019, « d’autres du côté de John Stott, ou encore de John Piper, et ces différences nous enrichissent, plus qu’elles ne nous divisent. » Cependant, ajoutait-il : « Parmi ces trois noms, il n’y en a pas d’africain. Il n’y a pas de nom non plus de quelqu’un d’Amérique latine, ni d’Asie. »

L’amour de Daniel Bourdanné pour les étudiants n’avait d’égal que son amour des livres. Le scientifique en possédait des milliers, soigneusement conservés dans trois bibliothèques différentes : chez lui, en Angleterre, dans son bureau d’Oxford et dans une résidence en Côte d’Ivoire.

C’est sa passion pour l’écrit qui l’amena à lancer son premier magazine. Avec quatre amis, ils mirent en commun leurs ressources pour financer le premier numéro et investir dans la publication. Le magazine tourna sans aide financière extérieure – hormis un don unique de 80 dollars de la part de missionnaires – jusqu’à la dispersion du groupe d’amis.

En 1995, Daniel Bourdanné devient directeur des Presses bibliques africaines. En 2018, il rejoint le conseil d’administration d’Africa Speaks, où il continua à siéger jusqu’à son décès, soutenant la croissance de l’industrie de l’édition chrétienne en Afrique en encourageant les auteurs chrétiens africains à écrire et à publier et en faisant la promotion de leurs livres. 

Pour les chrétiens africains, pensait-il, les livres pouvaient être des catalyseurs de transformation. « L’Afrique ne connaîtra pas sa révolution éditoriale tant que nous n’aurons pas gagné la bataille de l’amour des livres », écrivait-il. Une bataille qu’il voyait comme un appel à une contamination du continent africain : une contamination positive qui, à l’image des paroles de Jésus en Marc 7.14, ne viendrait pas de l’extérieur, mais de l’intérieur.

Il était convaincu que l’Afrique devait se donner les moyens de son propre progrès par un changement de mentalité accompagné d’une collaboration fructueuse avec l’Occident.

« À quoi sert la ferveur africaine du dimanche si les démons de la corruption, des conflits et des génocides ressurgissent de plus belle dès le lundi ? », interpellait-il en 2006 à Genève un auditoire composé principalement de responsables évangéliques européens. « À quoi servent en Europe nos cultes et nos prières, si nos vies restent orientées par la recherche du profit maximum et si nos Églises restent divisées ? » 

Il appelait les chrétiens européens à lutter pour le changement : « Nos actes parlent plus que nos paroles. Il faut que les victimes de l’injustice voient l’engagement des chrétiens occidentaux dans ce domaine. »

Bien qu’il ait davantage fait la promotion de la littérature chrétienne qu’il n’a écrit lui-même, il est notamment l’auteur de Ces évangéliques d’Afrique, qui sont-ils ? (1998), et L’Évangile de la prospérité, une menace pour l’Église en Afrique (1999).

En 2018, l’Université Calvin lui décerne le Prix Abraham Kuyper pour l’excellence en théologie et en vie publique réformées, soulignant son travail dans l’édition chrétienne francophone et son ministère auprès de l’IFES. 

« Il y a un quart de siècle, Daniel a constaté que les étudiants chrétiens avaient besoin d’être guidés, à partir d’une vision chrétienne du monde, sur toute une série de sujets qui les préoccupaient, et il s’est donc mis à l’œuvre », déclarait Jul Medenblik, président du Calvin Theological Seminary. 

Timothée Joset, professeur associé de missiologie à la Faculté libre de théologie évangélique (FLTE) en France et membre du Global Resource Ministries de l’IFES, raconte que son ami Daniel l’avait initié aux questions complexes auxquelles est confrontée l’Afrique francophone et aux relations globales Nord-Sud.

« Ce qui m’a aussi impressionné, c’était sa résilience. Il n’était pas rancunier, même s’il a subi beaucoup de racisme », rapporte encore Timothée Joset, citant un exemple si flagrant que le théologien N.T. Wright le mentionna même dans un sermon de Pâques. 

Après que l’IFES l’avait engagé comme secrétaire général, « le haut-commissariat britannique à Accra traînait les pieds concernant la demande de Daniel de venir ici, puis l’a rejetée avec un minimum d’explications », raconte Wright. « Daniel a alors demandé l’autorisation de se rendre au Royaume-Uni avec son visa de visiteur en cours, et on lui a répondu qu’il pouvait le faire. Mais à son arrivée, il a été détenu pendant 22 heures, ses téléphones portables ont été saisis et il a été renvoyé en Afrique par avion. » 

Malgré ce qu’il avait subi, Daniel Bourdanné inspirait ses pairs par son caractère attentionné et son humilité. L’un de ses étudiants se souvient avec émotion de la façon dont il lui avait personnellement envoyé des livres, alors que le système postal anglais confondait sans cesse son adresse avec celle d’un autre pays. Un autre collègue international rappelle que Daniel préférait s’asseoir par terre pendant les conférences, pour permettre à d’autres d’avoir une chaise.

Cette humilité n’a cependant jamais empêché Daniel Bourdanné d’interpeller ses frères et sœurs sur des sujets qui lui tenaient à cœur, comme l’évangélisation. Il servit le Mouvement de Lausanne en tant que directeur adjoint international pour l’Afrique francophone (21 pays), jusqu’à la conférence de Lausanne de 2010 au Cap, en Afrique du Sud. Lorsqu’il quitta ce poste, il fut nommé au conseil d’administration du Mouvement de Lausanne.

« Peut-on être crédible en annonçant un évangile qui ignore l’exploitation des gens simples par les plus forts ? Peut-on continuer de se préoccuper du salut des âmes des Africains […] en fermant les yeux sur leur situation sociale ? », demandait-il en 2016. « En quoi l’Évangile est une bonne nouvelle pour des communautés qui vivent dans un environnement où leurs besoins minimums de base sont encore loin d’être satisfaits ? Comment rester silencieux face aux inégalités sociales qui montent en Afrique et face aux questions environnementales ? La proclamation et l’action doivent aller de pair. »

Daniel Bourdanné laisse derrière lui son épouse Halymah, originaire du Niger, et leurs quatre enfants.  

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Books

Comment lire la Bible en couleur ?

Pourquoi un groupe multiethnique d’éditeurs a commencé à travailler sur un nouveau commentaire du Nouveau Testament.

Christianity Today September 12, 2024
Illustration by Mallory Rentsch Tlapek / Source Images: Getty / Unsplash

Assis dans un café, une pile de livres encombrant la petite table devant moi, je ressassais des idées sombres sur le manque d’attention des milieux académiques à l’égard de l’Église noire et de l’interprétation des Écritures des responsables et spécialistes afro-américains. Mon temps passé dans l’enseignement supérieur religieux avait démontré de bien des manières sa croyance que la tradition qui m’avait formé n’avait pas grand-chose à dire au reste du monde.

Les idées et les tendances qui s’imposent naissent en Europe ou chez les Blancs d’Amérique du Nord. Les chrétiens noirs, l’histoire le montre, ont eux souvent été vus comme théologiquement simplistes, voire dangereux. Mais je souhaitais ardemment que les gens connaissent cette tradition telle que je l’avais vécue : vivifiante, spirituellement robuste et intellectuellement stimulante. Nous avions lutté avec Dieu et trouvé notre chemin vers la foi dans un contexte de racisme anti Noirs souvent entretenu par d’autres chrétiens. Je voulais faire connaître cette histoire, ainsi que le fruit de notre travail. Et c’est toujours mon désir.

Tout en sirotant mon café, une idée m’a soudain frappé. Cette idée fut le point de départ de The New Testament in Color: A Multiethnic Commentary on the New Testament (« Le Nouveau Testament en couleur : un commentaire multiethnique du Nouveau Testament »). Je m’étais toujours plaint du manque de reconnaissance des universitaires blancs envers les voix afro-américaines. Mais, en fait, je ne savais pas grand-chose non plus des interprétations bibliques de mes compatriotes d’origine asiatique, ni de leurs développements théologiques et historiques, et des dons qui en découlent pour le corps du Christ. Il en allait de même pour les interprétations latino-américaines et des approches de lecture de la Bible des Premières Nations et des peuples autochtones.

D’une certaine manière, j’étais hypocrite. Je voulais que les gens s’intéressent aux contributions de ma communauté, sans m’investir de la même manière pour les autres. Il me fallait passer moins de temps à me plaindre et plus de temps à écouter. Cette prise de conscience fut donc le point de départ de ce projet de commentaire, avec l’espoir de nous retrouver, par-delà nos différences ethniques, et de créer ensemble quelque chose de beau.

Je voulais savoir quel fruit pourrait émerger de la production commune d’un commentaire par les divers groupes ethniques présents en Amérique du Nord. J’avais soif d’apprendre de mes frères et sœurs en Christ au-delà du mode binaire Noir-Blanc qui façonnait mon univers dans le Sud des États-Unis.

Il était naturel que j’exprime des doléances envers le pouvoir académique en place. En 2019, la Société de littérature biblique, le plus vaste regroupement de spécialistes de la Bible, a réalisé une étude sur ses membres. Il s’est avéré que 86 % (2 732 sur 3 159) de ceux qui se décrivaient comme professeurs de collège ou d’université, étaient d’origine européenne ou caucasienne.

Compte tenu de la démographie des États-Unis (et du reste du monde), il est plus que juste de dire que les études bibliques sont dominées de manière disproportionnée par les Blancs ou les Européens. Si Dieu donne son Esprit à chacun et équipe tout le corps du Christ pour lire et interpréter la Bible, il est tragique que tout le corps du Christ ne soit pas engagé dans le processus de lecture, d’interprétation et d’application de ces textes. Aucune partie du corps n’a le droit de parler au nom de tous. Nous avons besoin les uns des autres.

Certains se demandent toujours si le manque de diversité ethnique est important. L’interprétation biblique ne consiste-t-elle pas simplement à traduire des mots et à relier entre elles les idées formant des phrases, des paragraphes, des récits ou des lettres ? C’est ce que l’on m’a toujours dit : pour être de bons interprètes, il suffit d’une bonne compréhension du contexte historique ainsi que d’une expertise grammaticale, textuelle et linguistique.

Je ne veux négliger aucune de ces compétences importantes et vitales et les auteurs de The New Testament in Color ont travaillé dur pour acquérir ces outils scientifiques. Les textes bibliques sont la Parole que Dieu adresse à son peuple et nous devons faire de notre mieux pour les lire correctement et attentivement.

Mais pour ce faire, il est justement essentiel qu’une diversité de voix soit présente dans le processus d’interprétation biblique. En effet, nous abordons toujours le texte en tant que nous-mêmes, c’est-à-dire en tant qu’êtres humains avec leurs expériences, leurs préjugés, leurs dons et leur passif. Nous ne sommes pas des esprits désincarnés sans histoire ni culture. Nous ne sommes pas des machines exégétiques ; nous sommes des personnes qui interprètent.

Tous, nous venons de quelque part. Et ce quelque part a laissé son empreinte, que nous le reconnaissions ou non. Lorsqu’une culture domine le discours, nous nous fermons à ce que l’Esprit Saint dit dans d’autres cultures. Chaque approche contextuelle de la Parole de Dieu, enracinée dans la confiance en celle-ci, est un don d’une tradition particulière à l’ensemble de l’Église. Elle nous donne l’assurance qu’aucune de nos expériences n’est perdue, que tout ce que nous sommes est utile à Dieu.

Nous ne sommes pas appelés à mettre de côté notre culture dans le processus de lecture de la Bible. Comme notre ethnicité, elle a son origines en Dieu (Ep 3.14-15). Chaque culture et chaque ethnie, développée par des êtres humains créés à l’image de Dieu, est marquée à la fois par son origine divine (Gn 1.28) et par la rupture avec Dieu (Gn 3).

Il n’y a pas de culture parfaite. Dans la rencontre avec le Dieu vivant, chaque culture et chaque peuple est interpellé est appelé à devenir une meilleur version de lui-même. Nos cultures sont sans paix jusqu’à ce qu’elles trouvent la paix dans leur Créateur. Aucune ne reste inchangée au contact des Écritures. La parole que Dieu adresse aux humains et à leurs cultures est toujours oui et non. Il nous offre le pardon pour ce qui a raté et encourage nos combats pour ce qui est bon, vrai et beau.

Une interprétation biblique consciente de notre situation sociale rend compte de l’œuvre de l’Esprit à travers l’étude de la Bible dans les différents milieux culturels et ethnies du monde. Malheureusement, on a trop souvent confondu sanctification de la culture et occidentalisation de la culture, ce qui a causé d’énormes dommages à l’Église. L’œuvre transfiguratrice de Dieu ne s’accomplit pas avec l’Occident comme référence. Les sociétés ne deviennent pas plus saintes à mesure qu’elles ressemblent davantage à l’Europe, mais à mesure qu’elles se rapprochent de Dieu.

Ce cheminement auquel chaque culture est appelée pour trouver son identité à la lumière de la Parole de Dieu est non seulement bon pour elle, mais aussi pour l’ensemble du corps du Christ. En nous écoutant les uns les autres, nous sommes notamment amenés à découvrir comment notre propre culture a parfois entravé une juste lecture de certains textes.

En raison des diverses manières dont les Écritures ont été utilisées pour justifier des choses indéfendables telles que la colonisation, l’esclavage et le mépris avéré pour les cultures non occidentales, de nombreuses interprétations bibliques contextuelles se sont enracinées dans une herméneutique du soupçon dans le but de résister à ces maux.

Mais, s’il est juste de s’opposer à l’utilisation abusive des Écritures pour justifier le mal, nous pensons également que toute approche du texte doit se faire dans une herméneutique de la confiance. Le Dieu qui s’y adresse à nous est un ami, et non un ennemi. Nous voulons honorer le fait que les traditions ecclésiales dont nous sommes issus ont vécu leur libération et leur transformation spirituelle avec ces textes, et non contre eux. Certains y voient de la naïveté. Pour moi, il s’agit d’une sagesse durement acquise.

Les Écritures constituent notre guide à tous pour la foi et la vie chrétiennes. Évoquer le concile de Nicée, par exemple, ne signifie pas privilégier la culture occidentale pour définir le christianisme mondial. Il s’agit d’affirmer que Dieu était à l’œuvre parmi ces chrétiens du passé pour nous dire des choses qui sont vraies et bonnes. Nous espérons que, de même, dans les générations à venir, malgré nos compromis et nos échecs, les chrétiens pourront encore apprécier notre contribution théologique, même si aucune tradition n’est irréprochable.  

Nous ne voulons donc pas que nos différentes cultures dominent les textes. Nous voulons que – grâce à l’interaction entre nous, le texte, l’histoire et la culture – les vérités qui étaient invisibles pour certains se révèlent avec plus d’éclat. D’un chœur émane une beauté que les solistes ne peuvent atteindre.

En fin de compte, les fruits de notre travail seront visibles dans la manière dont nous aurons aidé les croyants, les responsables d’études bibliques et les étudiants à mieux lire le texte. Comme tout groupe d’auteurs engagés à servir le corps du Christ, nous accueillerons volontiers les réactions des lecteurs de bonne foi. Notre objectif n’est pas de remplacer une forme d’hégémonie par une autre, ni de clore la conversation autour de la lecture culturelle des textes. Nous voulons encourager une recherche commune de la pensée de Christ et de ses desseins pour son peuple.

Cela dit, nous avons bon espoir que nos écrits feront ce que visent tous les bons commentaires : renvoyer le lecteur au texte avec de nouvelles questions, des réponses et un sentiment d’émerveillement face à cette antique parole qui se renouvelle sans cesse, nous questionne et nous inspire pour suivre toujours plus fidèlement notre Roi et Seigneur.

Extrait de The New Testament in Color, sous la direction d’Esau McCaulley, Janette H. Ok, Osvaldo Padilla, et Amy Peeler. Copyright (c) 2024 par Esau McCaulley, Amy L. Peeler, Janette H. Ok, et Osvaldo Padilla. Traduit et publié avec la permission de InterVarsity Press. www.ivpress.com

Esau McCaulley est l’auteur de How Far to the Promised Land: One Black Family’s Story of Hope and Survival in the American South et du livre pour enfants Andy Johnson and the March for Justice. Il est professeur associé de Nouveau Testament et de théologie publique au Wheaton College.

Traduit par Anne Haumont

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Books

Un monument théologique à l’unité dans la diversité

Il y a cinquante ans, la solution de la déclaration de Lausanne à la division parmi les évangéliques n’était pas l’uniformité.

Christianity Today August 16, 2024
Illustration d’Ibrahim Rayintakath

Dans le film Memento, paru en 2000, Leonard Shelby souffre d’une lésion cérébrale qui l’empêche de former de nouveaux souvenirs à long terme. Il peut se rappeler une information pendant 30 secondes à une minute au maximum, puis il oublie tout.

La déconnexion entre Leonard et son passé le laisse dans un état de perpétuelle perplexité quant à la façon dont il s’est retrouvé dans sa situation présente : Quel ennemi est-ce que je fuis et pourquoi ? Pourquoi est-ce que je tiens une arme ? Sa confusion est la conséquence de son amnésie, de son incapacité à se souvenir de sa propre histoire. Si Leonard pouvait simplement réapprendre et mémoriser des éléments importants de son passé, il retrouverait une existence stable, avec une compréhension saine de lui-même et des gens qui l’entourent.

Les évangéliques contemporains sont dans une situation semblable. Nous sommes nous aussi bien souvent déconnectés de notre passé, mais pour des raisons plus réversibles qu’une lésion cérébrale. En conséquence de cette déconnexion, les évangéliques sont plus divisés que jamais, et beaucoup luttent contre des adversaires qui étaient autrefois des amis.

Et si nous faisions une pause pour nous souvenir de notre histoire ? Non seulement nous nous rappellerions qui nous sommes et comment nous en sommes arrivés là, mais nous pourrions même redécouvrir le meilleur de ce que le mouvement évangélique a été, est et pourrait encore être.

L’un des plus grands problèmes aujourd’hui est qu’il semble n’y avoir pratiquement aucun consensus sur ce que le mot évangélique signifie. Il serait heureux que les évangéliques du monde entier puissent se mettre d’accord sur les paramètres de base de l’évangélisme — quelque chose de suffisamment restreint pour encourager une saine diversité, mais de suffisamment substantiel pour garantir l’intégrité doctrinale.

Ou peut-être l’auraient-ils déjà fait ?

Il y a cinquante ans, en juillet 1974, environ 2 700 responsables chrétiens de 150 pays se sont retrouvés à Lausanne, en Suisse, à l’initiative de l’évangéliste américain Billy Graham et du théologien britannique John Stott.

La conférence était officiellement intitulée « Premier congrès international sur l’évangélisation du monde », mais elle est surtout restée dans les mémoires comme le premier congrès de Lausanne de 74. Bien que le rassemblement n’ait inclus qu’une partie de l’Église mondiale, le magazine Time avait rapporté à l’époque que le congrès était « probablement la plus grande réunion de chrétiens jamais organisée ».

En haut : Les participants arrivent au Palais de Beaulieu à Lausanne, en Suisse, en 1974. En bas : Des interprètes traduisent les séances plénières de Lausanne dans les six langues officielles du congrès.Fournies par la Billy Graham Evangelistic Association
En haut : Les participants arrivent au Palais de Beaulieu à Lausanne, en Suisse, en 1974. En bas : Des interprètes traduisent les séances plénières de Lausanne dans les six langues officielles du congrès.

Le résultat le plus important et le plus durable de ce rassemblement est certainement la déclaration de Lausanne qui, avec le temps, s’est avérée l’un des documents les plus influents de l’évangélisme moderne. L’objectif du document était de répondre à une question clé : Dans quelle mesure devons-nous être d’accord les uns avec les autres pour nous associer dans l’œuvre de la mission mondiale ?

À l’époque, comme aujourd’hui, le monde évangélique ressentait les effets de la controverse entre fondamentalistes et progressistes, qui a provoqué de douloureuses scissions dans presque toutes les grandes institutions et dénominations chrétiennes. L’approche fondamentaliste face aux différences impliquait rigidité doctrinale et emploi de critères de vérité rigoureux. La perspective progressiste tentait d’éviter de fixer des limites doctrinales, risquant ainsi de s’écarter considérablement du christianisme historique.

Mais les évangéliques de Lausanne ont adopté une autre approche.

L’approche évangélique de la diversité mise en valeur lors du congrès se caractérise à la fois par (1) une négociation prudente de l’unité par-delà les différences, en se fondant sur les confessions communes du christianisme historique et (2) la célébration de la diversité vue en elle-même comme un bien, et même une expression du plan de Dieu pour l’Église mondiale et universelle rassemblant tous les croyants.

La déclaration de Lausanne donne une définition théologique de l’évangélisme et évite intentionnellement tout élément sociopolitique associé au mouvement. Elle ne prend pas non plus position sur toute une foule de questions importantes, mais tout de même secondaires, en matière de théologie, de doctrine et de pratique. Par exemple, on n’y trouve rien sur le baptême, les rôles des hommes et des femmes dans le ministère, ou l’âge de la terre et l’évolution.

En évitant ce genre de questions, la déclaration de Lausanne a permis de rassembler des chrétiens qui, autrement, auraient pu rester divisés. Les responsables du congrès ont cherché à créer une communauté transcendant ces différences au service d’une mission commune appelant « l’Église tout entière à apporter l’Évangile tout entier au monde tout entier ».

D’une certaine manière, cette déclaration se présente comme une confession de foi composée de 15 articles, d’une introduction et d’une conclusion. Avec un peu plus de 3 100 mots en anglais, le document était suffisamment court pour être imprimé lisiblement sur les deux faces d’une seule page. Dans ce qui reste comme un précieux accompagnement à la lecture de la déclaration, Stott, président du comité de rédaction, détailla le raisonnement qui sous-tend chaque article.

Il serait erroné de considérer ce document comme une simple confession de foi. Stott le décrit comme une forme de pacte — un « contrat contraignant » qui engage ses signataires dans un but et un partenariat communs. Après 10 jours de débats, de discussions et de négociations, la plupart des participants (2 300) signèrent ensemble le document. John Stott formule ainsi la démarche : « Nous ne voulions pas simplement déclarer quelque chose, mais faire quelque chose — nous engager dans la tâche de l’évangélisation mondiale. »

Aujourd’hui encore, la Déclaration est destinée à être signée par ceux qui la lisent et l’acceptent. Ce faisant, nous nous engageons à coopérer les uns avec les autres dans la mission de Dieu.

Comme de très nombreux évangéliques, je n’avais jamais entendu parler de la déclaration de Lausanne dans mon enfance, et on ne m’a demandé de la signer qu’à l’âge adulte. Je suis un Indien à la peau foncée, né en Californie du Sud en 1978 d’immigrants de première génération qui étaient tous deux chrétiens — dont un père qui a étudié à l’université Biola.

Et tandis que ceux qui fréquentaient des institutions chrétiennes s’engageaient parfois vis-à-vis de la déclaration de Lausanne, j’ai été formé dans une école secondaire publique et une université d’État laïque. Les églises que j’ai fréquentées dans mon enfance étaient non confessionnelles, ce qui avait des avantages, mais conduisait aussi à une certaine amnésie quant à l’histoire du christianisme.

J’ai entendu parler pour la première fois de la déclaration à la fin de l’année 2000, il y a 24 ans, alors que j’étais étudiant de troisième cycle me destinant à la médecine scientifique. J’avais alors posé ma candidature pour la bourse Harvey Fellowship, offerte aux chrétiens entrants dans des domaines sous-représentés : tous les candidats devaient signer la déclaration de Lausanne. Ayant été accepté, je me suis rendu l’été suivant à Washington, DC, pour un événement d’une semaine destiné à faire la connaissance d’un petit groupe d’autres nouveaux boursiers Harvey.

Cet événement a considérablement élargi mon expérience de la diversité évangélique. Ben Sasse, historien à Yale et presbytérien réformé, a été le premier chrétien que j’ai connu à présenter une défense plausible du baptême des enfants, même si lui et moi n’étions pas d’accord à ce sujet. Mac Alford, biologiste végétal à l’université Cornell, était le premier chrétien que j’ai rencontré qui soutenait l’évolution — que je rejetais à l’époque.

Et même si ces désaccords étaient gênants, du moins pour moi, nous avions tous signé la déclaration de Lausanne (qui ne prend position sur aucune de ces questions) et nous étions donc déjà engagés à coopérer.

La déclaration de Lausanne rend théologiquement compte de nos différences à partir de la conviction que ces différences peuvent avoir une valeur intrinsèque. Les responsables du congrès ne se complaisaient pas dans une l’idée d’un accord minimaliste, mais cherchaient à fonder une communauté capable de dépasser nos différends.

La déclaration considère que nos différents points de vue sur l’Écriture sont un mécanisme par lequel la sagesse de Dieu se révèle à nous :

[l]a révélation de Dieu dans le Christ, telle que nous la trouvons dans l’Écriture, ne saurait changer. Par elle, le Saint-Esprit continue à nous parler aujourd’hui ; dans chaque culture il illumine l’intelligence du peuple de Dieu afin qu’il perçoive personnellement et de façon nouvelle la vérité divine et il révèle ainsi à l’Église entière la sagesse infiniment variée [litt: multicolore] de Dieu.

Au lieu de nier les frontières doctrinales pour atteindre une paix de façade, l’Évangile nous appelle à lire nos Bibles ensemble, faire le tri dans nos différences et négocier nos accords. Cette approche était clairement présente dans la façon dont la déclaration de Lausanne a vu le jour.

Bien que le congrès lui-même n’ait duré que 10 jours, le processus de rédaction de la déclaration a nécessité des mois de dialogue et de négociation. Mais avec 2 700 délégués à la conférence, quel était le degré de coopération possible ? Il s’avère qu’il y eu de réelles possibilités en la matière, de telle sorte que Stott pouvait affirmer « que la déclaration de Lausanne exprime un consensus de la pensée et de l’esprit du Congrès de Lausanne ».

La rédaction du document fut confiée à un petit comité comprenant Stott, Hudson Armerding, alors président du Wheaton College, et Samuel Escobar, théologien péruvien de l’InterVarsity Christian Fellowship.

Plusieurs mois avant la réunion de juillet, les participants avaient reçu des documents de tous les orateurs de la rencontre et avaient été invités à faire part de leurs commentaires par écrit. Rédigé par J. D. Douglas, à l’époque éditeur pour Christianity Today, l’avant-projet était basé sur les thèmes et les idées clés de ces documents.

Stott commentait : « On peut déjà dire que ce document est issu du Congrès (bien que le Congrès ne se soit pas encore rassemblé), car il reflète les contributions des principaux orateurs dont les textes avaient été publiés à l’avance. »

Avant la conférence, une première version avait été envoyée à plusieurs conseillers avisés, dont les commentaires ont servi à orienter la première révision du document. Une deuxième révision a ensuite été supervisée par le comité.

Mais les rédacteurs ont également voulu interagir avec les participants eux-mêmes, les écouter et apprendre d’eux. Ainsi, au milieu de la rencontre de juillet, chaque participant a reçu une copie de la troisième version de la déclaration et a été invité à soumettre ses réponses et à en discuter au sein de petits groupes organisés chaque jour.

À partir de ce retour d’information, les objections et les propositions d’amendements ont été soumises à l’examen du comité de rédaction. Selon Stott, le congrès

a réagi avec beaucoup de diligence. Plusieurs centaines de propositions ont été reçues (dans les langues officielles), traduites en anglais, triées et étudiées. Certains amendements proposés se sont annulés réciproquement, mais le comité de rédaction a incorporé tout ce qu’il pouvait.

En fin de compte, cette négociation a eu un impact substantiel sur le document final autour de trois thèmes principaux. Tout d’abord, une formule soigneusement négociée sur l’inerrance biblique a été ajoutée. Deuxièmement, les propos de la déclaration sur la responsabilité sociale ont été renforcés. Troisièmement, plusieurs changements ont été apportés pour refléter les préoccupations et la sagesse de l’Église en dehors du monde occidental. Ces trois thèmes, je crois, résument les leçons de Lausanne pour le moment présent.

I. L’article sur l’autorité de l’Écriture a été renforcé pour inclure une déclaration longuement discutée sur l’inerrance, influencée par les contributions de Francis Schaeffer et d’autres : « Il n’y a point d’erreur dans tout ce qu’elle affirme. » Cette modification spécifique a fait l’objet d’une vive controverse, ce qui a constitué un défi de taille pour le comité de rédaction.

D’une part, les raisons d’inclure une affirmation de l’inerrance étaient fortes. Une vision différente des Écritures est à l’origine de nombreux désaccords profonds entre les évangéliques et les chrétiens progressistes. Les revendications modernistes poussées par la haute critique soutenaient que la Bible faisait « autorité », mais que son message était toujours susceptible d’être modifié en raison de ses nombreuses erreurs.

Parallèlement à cette affirmation, de nombreux chrétiens libéraux rejetaient la croyance en la résurrection, la naissance virginale et l’existence d’un Adam et d’une Ève historiques. Et si ces trois confessions classiques du christianisme n’ont pas la même importance, le rejet de n’importe laquelle d’entre elles constitue une révision majeure aux conséquences considérables.

Clarifier la nature de ce désaccord sur les Écritures était au premier plan des préoccupations des organisateurs de la conférence. Pour de bonnes raisons, les évangéliques ne pouvaient pas aisément envisager de s’associer dans la mission mondiale avec ceux dont la compréhension de l’Évangile n’incluait pas, par exemple, la résurrection corporelle de Jésus. Il y avait là un tout autre Évangile (Ga 1.6-9). Pour reprendre les mots de l’apôtre Paul, « si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est inutile » (1 Co 15.17).

Dans son contexte immédiat, le congrès de Lausanne était par ailleurs une réponse à la Conférence de Bangkok sur le salut aujourd’hui, convoquée l’année précédente (1973) par le Conseil œcuménique des Églises (COE). Le lieu même avait été choisi en partie en raison de la proximité de Lausanne avec Genève, où se trouve le siège du COE.

La conférence de Bangkok comprenait des délégués évangéliques ainsi que des chrétiens libéraux et traditionnels, dont beaucoup s’étaient éloignés de l’orthodoxie. Et bien que son rapport final intègre une concession aux évangéliques, affirmant avec Actes 4.12 qu’« il n’y a pas d’autre nom [que Jésus] donné parmi les hommes par lequel nous devions être sauvés », d’autres demandes visant à renforcer la théologie de l’Évangile — faisant écho à la déclaration de Francfort de 1970, dans laquelle les chrétiens allemands s’opposaient à la « tournure humaniste » des missions au sein du COE — furent rejetées comme des approches occidentales qui ne parlaient pas pour tout le monde.

En outre, le rapport de Bangkok contenait des déclarations qualifiant toute libération d’une oppression sociétale de forme de salut, y compris « la paix du peuple au Vietnam, l’indépendance en Angola, la justice et la réconciliation en Irlande du Nord et la libération de la captivité du pouvoir ». Dans Christianity Today, Peter Beyerhaus écrivait :

Ici, sous une couverture apparemment biblique, le concept de salut a été tellement élargi et privé de sa spécificité chrétienne que toute expérience libératrice peut être décrite comme « salut ». En conséquence, toute participation à des efforts de libération serait appelée « mission ».

Le théologien allemand ajoutait que la conférence présentait également le maoïsme — le communisme chinois — comme une alternative acceptable au christianisme. De même, l’Église du prophète Simon Kimbangu, qui affirmait être l’incarnation de Dieu le Père et que son fils était la seconde incarnation de Jésus, y était décrite comme un exemple louable de ministère autochtone.

Loin d’être anodines, ces orientations constituaient des appels intentionnels de la direction du COE aux Églises asiatiques et africaines, et toute objection théologique était rejetée comme vaine tentative d’inféoder les Églises autochtones à la pensée occidentale.

Si personne ne peut dicter qui peut se présenter comme chrétien ou même évangélique, la déclaration de Lausanne fonde l’unité chrétienne sur une mission commune, celle de proclamer l’Évangile tout entier au monde tout entier. Cette mission est la raison pour laquelle, malgré nos différences, nous nous joignons à cette communauté souvent inconfortable qu’est l’Église.

Les désaccords sérieux sur la nature de l’Évangile peuvent souvent être attribués à deux façons fondamentalement différentes de comprendre l’Écriture. Toutes les parties au débat s’accordaient à dire que l’Écriture fait autorité, mais certains voient ses enseignements comme toujours changeants et pleins d’erreurs.

D’autre part, même pour de nombreux chrétiens orthodoxes, le terme d’inerrance restait une pierre d’achoppement. Le mot était déjà utilisé par certains fondamentalistes comme un test doctrinal décidant exclusion ou inclusion. Pour compliquer le problème, le terme était mal défini, car il faudrait encore quelques années avant que les déclarations de Chicago sur l’inerrance et l’herméneutique ne soient rédigées, respectivement en 1978 et en 1982. Il n’est donc pas surprenant que de nombreux participants se soient fortement opposés à l’utilisation du mot « inerrance » dans le paragraphe sur les Écritures.

La solution de Stott à cette impasse a été forgée au cours du processus de négociation et s’est avérée judicieuse. Au lieu d’imposer le mot, il l’a remplacé par une définition claire et concise affirmant de l’Écriture qu’il « n’y a point d’erreur dans tout ce qu’elle affirme ». Les évangéliques qui s’opposaient au terme d’inerrance pouvaient soutenir cette version, qui écartait cependant de nombreux progressistes.

II. Le congrès a également renforcé l’article de la déclaration relatif à la responsabilité sociale. Là encore, les rédacteurs se distinguèrent à la fois des progressistes du COE et de la réaction excessive des fondamentalistes à l’évangile social du libéralisme.

Le cheminement de Billy Graham sur la question de la justice sociale fournit un contexte instructif. En 1953, rompant avec son éducation sudiste, Graham commença à insister pour que ses auditoires soient mélangés, avec des Noirs et des Blancs assis les uns à côté des autres.

En 1960, il prit la parole lors de réunions de réveil très médiatisées dans plusieurs pays d’Afrique, prêchant l’Évangile à des foules gigantesques dans des stades bondés, mais refusa de venir prêcher l’Évangile à des foules ségréguées par l’apartheid sud-africain.

Ces agissements constituaient des déclarations sociopolitiques claires sur la mixité raciale dans l’église, ce qui suscita la rage de nombreux fondamentalistes, y compris ceux de sa propre dénomination, les baptistes du Sud.

Une semaine après le refus de Graham en Afrique du Sud, l’évangéliste et diffuseur fondamentaliste Bob Jones Sr. Lui répondait dans un message radiophonique de Pâques intitulé « La ségrégation est-elle scripturaire ? » Arguant d’une lecture torturée d’Actes 17.26, Jones enseignait que la réponse était oui. Les efforts visant à mélanger les « races » et à mettre fin à la ségrégation allaient, selon lui, à l’encontre de l’ordre créé par Dieu et nous détournaient de la tâche de partager l’Évangile. En cela, Jones se faisait l’écho de l’opinion de nombreux chrétiens du sud des États-Unis.

Bien que l’apartheid ait perduré jusque dans les années 1990, Graham prêcha finalement en Afrique du Sud en 1973, juste un an avant Lausanne, dans ce qui fut peut-être l’un des premiers grands rassemblements du pays à réunir des Noirs, Blancs et autres personnes de couleur. Devant une foule mélangée de 100 000 personnes, le prédicateur soulignait : « le christianisme n’est pas une religion de l’homme blanc […] le Christ appartient à tous les peuples. »

En haut à gauche : A. Jack Dain et Billy Graham signent la déclaration de Lausanne lors de la cérémonie de clôture du congrès de Lausanne, 1974. En bas à gauche : Des responsables du congrès de Lausanne lors d’une conférence de presse en 1974. À droite : Martin Luther King Jr et Billy Graham.Fournies par la Billy Graham Evangelistic Association
En haut à gauche : A. Jack Dain et Billy Graham signent la déclaration de Lausanne lors de la cérémonie de clôture du congrès de Lausanne, 1974. En bas à gauche : Des responsables du congrès de Lausanne lors d’une conférence de presse en 1974. À droite : Martin Luther King Jr et Billy Graham.

Graham était un ami de Martin Luther King Jr et parfois un allié public de la cause de ce dernier. Il a continué à grandir dans son désir de voir s’établir plus de justice raciale au cours de sa vie, mais s’est aussi demandé s’il en avait fait assez. En 2005, il a exprimé ses regrets de ne pas avoir milité plus énergiquement en faveur des droits civiques, souhaitant avoir manifesté avec King dans les rues.

Ce contexte éclaire la version finale du texte de la déclaration, qui distingue le travail de proclamation de l’Évangile — centré sur le message de Dieu qui nous est adressé spécifiquement dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ — de l’engagement en faveur de la justice sociale :

Là aussi, nous reconnaissons avec humilité que nous avons été négligents et que nous avons parfois considéré l’évangélisation et l’action sociale comme s’excluant l’une l’autre. La réconciliation de l’homme avec l’homme n’est pas la réconciliation de l’homme avec Dieu, l’action sociale n’est pas l’évangélisation, et le salut n’est pas une libération politique. Néanmoins, nous affirmons que l’évangélisation et l’engagement sociopolitique font tous deux partie de notre devoir chrétien.

En réponse à la Conférence de Bangkok, la déclaration de Lausanne précise que la libération de l’oppression n’est pas à confondre avec le concept biblique de salut. Cependant, la déclaration évite également l’erreur fondamentaliste consistant à négliger la justice sociale et appelle même les évangéliques à se repentir d’avoir dissocié le christianisme de sa préoccupation légitime pour l’ordre social.

Ce sont des leçons essentielles pour nous aujourd’hui. Les difficultés que nous rencontrons pour aborder les questions raciales, la diversité et la justice sociale ne sont pas nouvelles. Le débat théologique sur l’évangile et la justice sociale est au moins aussi ancien que la controverse entre modernistes et fondamentalistes. Les évangéliques ont à juste titre rejeté l’évangile social et les formes spécifiques de la théologie de la libération qui s’éloignaient de l’enseignement historique du christianisme. Pourtant, nous avons souvent été trop complaisants — et trop peu préoccupés par notre complaisance — dans notre quête de justice.

Aujourd’hui, la bataille fait rage autour de la théorie critique de la race (CRT) et des initiatives en matière de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI). Il existe de nombreuses façons de définir et de mettre en œuvre la CRT et les initiatives de DEI, dont certaines s’apparentent à des versions sécularisées de la théologie de la libération. Mais le désir d’inclure et d’encourager la diversité dans la société est admirable et reflète en fin de compte l’aspiration au royaume de Dieu. C’est la raison pour laquelle de nombreux appels chrétiens en faveur de la justice raciale s’appuient sur le langage et les préoccupations de l’Écriture et sont même ancrés dans la personne de Jésus-Christ.

Au moins aux niveaux les plus élevés, les objectifs déclarés de la CRT et des quêtes de diversité, d’équité et d’inclusion ne sont pas le problème, même si nous craignons que de nombreuses approches de ces fins soient malavisées ou destructrices. Pour ceux d’entre nous qui sont préoccupés par les versions antibibliques de la CRT, le meilleur antidote pourrait être de suivre l’exemple de la déclaration de Lausanne. Puissions-nous articuler une solide théologie de la justice et aller jusqu’au bout de nos actions — et puissions-nous nous repentir de nos échecs passés en matière de justice.

III. En étudiant le Mouvement de Lausanne, je suis toujours frappé par la fierté, la joie et l’amour des membres pour la diversité de l’Église non occidentale et par leur désir d’amplifier sa voix. Les conférences sont structurées de manière à inclure des personnes issues des pays les plus éloignés, sous-représentés et dépourvus de ressources. Elles proposent des tarifs dégressifs pour permettre aux participants les moins fortunés d’y participer. Même si les organisateurs réunissent à chaque fois le groupe de chrétiens le plus global et diversifié de l’histoire, ils expriment toujours leur tristesse pour les secteurs de l’Église qui ne peuvent pas être présents.

Cela dit, l’engagement de Lausanne en faveur d’une participation mondiale s’est heurté à plusieurs obstacles dès le début de son histoire, à commencer par son premier rassemblement, au cours duquel plus de 1 000 des 2 700 participants venaient de pays en développement.

Avant Lausanne, certains responsables africains demandaient un « moratoire » sur les missionnaires occidentaux et sur les fonds collectés par l’intermédiaire de leurs réseaux. Cela s’expliquait en partie par le fait que beaucoup s’opposaient aux modèles paternalistes à l’œuvre dans les missions et souvent alimentés par de grands déséquilibres de richesse. Les missions occidentales, même bien intentionnées, ont parfois été exploiteuses et ne réussissent pas toujours à créer des relations de collaboration saines qui soient utiles aux pays non occidentaux. Il est clair que l’association de la culture occidentale au christianisme par le mouvement missionnaire a déformé l’Évangile et a souvent été une pierre d’achoppement pour le reste du monde.

Les organisateurs de Lausanne ont invité au congrès des chrétiens de tous bords, dont le théologien kenyan John Gatu, l’auteur de l’appel au moratoire. Lors du congrès, le groupe East Africa National Strategy, composé d’une soixantaine d’Africains, s’est saisi de cette question. Un débat solide et argumenté s’est ensuivi entre Gatu, qui plaidait en faveur du moratoire, et Festo Kivengere, un évêque anglican de l’Ouganda, qui s’y opposait. À la fin de la semaine, les deux parties avaient suffisamment aplani leurs divergences pour proposer une déclaration de consensus au congrès :

L’idée qui sous-tend le moratoire est celle d’une dépendance excessive à l’égard des ressources étrangères, qu’il s’agisse de personnel ou de finances, qui entrave l’initiative et le développement de la responsabilité locale. [Notre] groupe a estimé que l’application du concept de moratoire pourrait être envisagée dans des situations spécifiques plutôt que de manière générale.

Avec le retrait effectif du moratoire dans son ensemble, le reste du Congrès — et le comité de rédaction principalement occidental — aurait pu réagir triomphalement et laisser de côté la question. Au lieu de cela, le comité a reconnu la légitimité des préoccupations africaines et a amendé le projet de déclaration pour y ajouter : « Nous reconnaissons également que certaines de nos missions ont été trop lentes à former des responsables autochtones et à leur demander d’assumer les tâches qui leur incombent. »

Ailleurs, dans son article « Évangélisation et culture », la déclaration reconnaît également que si l’Évangile « ne présuppose nullement la supériorité d’une culture par rapport à une autre », « [t]rop souvent, les missions ont exporté, en même temps que l’Évangile, une culture étrangère ».

La déclaration telle qu’elle a été diffusée par le Comité de Lausanne pour l’évangélisation du monde dans les années 1970.
La déclaration telle qu’elle a été diffusée par le Comité de Lausanne pour l’évangélisation du monde dans les années 1970.
La déclaration telle qu’elle a été diffusée par le Comité de Lausanne pour l’évangélisation du monde dans les années 1970.
La déclaration telle qu’elle a été diffusée par le Comité de Lausanne pour l’évangélisation du monde dans les années 1970.

Dans ce processus, l’Église non occidentale reprenait à juste titre l’Église occidentale, et l’Occident a réagi par la repentance. Une fois de plus, la « sagesse multicolore de Dieu », pour reprendre l’expression originale de la déclaration, s’est révélée non pas en dépit, mais à cause de désaccords qu’il fallait régler.

À l’origine de cette question, il y avait le désir légitime des chrétiens non occidentaux d’être accueillis sur un pied d’égalité. Et la déclaration de Lausanne salue ouvertement la beauté de cette vision :

Nous nous réjouissons de voir se lever une nouvelle ère missionnaire. Nous assistons à la disparition rapide du rôle dominant des missions occidentales [démontrant] que la responsabilité d’évangéliser appartient au Corps du Christ tout entier.

Il y a cinquante ans, les évangéliques prenaient conscience de la manière dont les églises non occidentales souffraient lorsque l’Évangile était trop étroitement lié aux cultures et aux pays occidentaux. Aujourd’hui, nous en voyons aussi les dangers et les dommages que ce lien a causés aux églises occidentales.

Chaque fois que nous identifions le christianisme à l’Occident ou à toute autre entité sociopolitique, notre témoignage et notre compréhension de l’Évangile sont déformés. Et lorsque nous ignorons la diversité des voix de l’Église mondiale, nous négligeons la « sagesse multicolore » de Dieu.

En haut à gauche : Festo Kivengere. En haut à droite : John Stott. En bas : Participants à Lausanne II en 1989.Fournies par Wheaton Archives &amp
En haut à gauche : Festo Kivengere. En haut à droite : John Stott. En bas : Participants à Lausanne II en 1989.

La déclaration de Lausanne a donné naissance à une étrange sorte de mouvement, un réseau de chrétiens du monde entier issus de diverses dénominations et organisations. Et bien que le congrès lui-même ait été composé exclusivement de protestants, la déclaration se voulait ouverte sur les autres branches du christianisme. Au moins parmi les bénéficiaires de la bourse Harvey, de nombreux catholiques et chrétiens orthodoxes l’ont également signée.

Un chrétien de Chine m’a raconté que le jour où on lui avait demandé de signer la déclaration, il s’est trouvé dans une réelle inquiétude. En Chine, les signatures sont des preuves matérielles que le gouvernement utilise pour identifier les chrétiens et les persécuter ; on lui a donc appris à ne jamais signer quelque chose qui l’impliquerait à ce point. Pourtant, après mûre réflexion, il a décidé de signer cette déclaration, la seule déclaration de foi qu’il ait jamais signée. Beaucoup d’entre nous ne serons jamais confrontés à une persécution comme celle qu’il pouvait craindre, mais en signant la déclaration, nous nous associons solidairement à lui et bien d’autres personnes comme lui.

La communauté de Lausanne a continué à croître et, bien qu’elle reste pleine de désaccords, elle a gardé une vision claire de la mission confiée par Celui qui est plus grand que toutes nos différences.

En haut : Les participants discutent du programme à Lausanne II, 1989. En bas : Une session lors de Lausanne II.Fournie par Wheaton Archives & Special Collections, Wheaton College, IL
En haut : Les participants discutent du programme à Lausanne II, 1989. En bas : Une session lors de Lausanne II.

La communauté de Lausanne a également continué à rassembler de nouvelles générations de responsables. Quinze ans après le congrès de 1974, en 1989, le deuxième Congrès international pour l’évangélisation du monde s’est réuni à Manille et a été connu sous le nom de Lausanne II. Ce congrès réunissait 4 300 délégués de 173 pays, dont l’Union soviétique. Et en 2010, 21 ans plus tard, le troisième congrès de Lausanne s’est réuni au Cap, en Afrique du Sud. Cette fois-ci, 4 000 délégués de 198 pays étaient réunis en personne, mais beaucoup d’autres ont participé virtuellement.

En septembre, le quatrième congrès se tiendra à Séoul, où 5 000 délégués — dont moi-même — participeront en personne et 5 000 virtuellement. Des dizaines de milliers d’autres personnes participeront à des réunions satellites dans le monde entier.

Beaucoup de choses ont changé depuis la dernière réunion en 2010. De nouvelles guerres font rage dans le monde entier et des rumeurs de guerre planent jusqu’en Corée où nous nous rencontrerons. Les États-Unis se préparent à une nouvelle élection présidentielle controversée, à l’instar de nombreux autres pays, et plusieurs dénominations continuent à faire face aux tensions entre fondamentalisme et progressisme.

Néanmoins, j’espère que les évangéliques auront une fois de plus l’occasion de se rappeler qui nous sommes, d’où nous venons et pourquoi il est vital pour nous de travailler par-delà nos différences plutôt que de les ignorer, de les étouffer ou de nous diviser à leur sujet. En nous réorientant sur le travail de la mission mondiale de Dieu, peut-être pourrons-nous retrouver la meilleure version de ce que signifie être évangélique.

Alors qu’approche la rencontre de Séoul, j’encourage tous les croyants, qu’ils soient évangéliques ou non, à lire la déclaration de Lausanne, à en discuter et à envisager de la signer. Que les responsables d’église en parlent en chaire afin que les communautés puissent faire face à ce qu’elle demande de nous. Qu’elle nous rappelle la belle et chère communauté de différences et de désaccords à laquelle nous sommes appelés.

Engageons-nous ensemble, une fois de plus, à entreprendre la grande tâche de l’évangélisation du monde, afin que l’Église tout entière puisse apporter l’Évangile tout entier au monde tout entier.

S. Joshua Swamidass est médecin scientifique, professeur associé de médecine de laboratoire et de médecine génomique à l’université de Washington à Saint-Louis, fondateur de Peaceful Science et auteur de The Genealogical Adam and Eve (L’Adam et l’Ève généalogiques).

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