Le Canada a euthanasié 13 241 personnes en 2022. La mort a-t-elle perdu son aiguillon ?

Voici ce que j’ai appris en tant que médecin chrétien recevant des demandes d’« aide médicale à mourir ».

Christianity Today February 12, 2024
Illustration de Hokyoung Kim

La version française de cet article a fait l’objet d’une mise à jour.

Lorsque le personnel de l’hôpital m’a appelé au chevet de ma patiente, j’ai immédiatement pu constater la gravité de sa détresse. Elle était agitée et essoufflée. Son visage était marqué par la douleur et le dépit. « Je n’en peux plus », pleurait-elle.

Elle souffrait depuis des années d’une maladie chronique et avait été admise dans mon unité de soins intensifs pour des complications aiguës. Elle était affaiblie et épuisée. Sa peine et sa frustration avaient atteint leur paroxysme : « Je veux juste mourir. »

Son ami se tenait à côté de moi à son chevet, et il était manifestement bouleversé par sa détresse. « Demande juste une AMM », lui dit-il soudain, reprenant l’abréviation populaire de « aide médicale à mourir » la formule couramment utilisée ici au Canada pour parler de l’euthanasie et de l’assistance au suicide. « Tu pourras mettre fin à tout ça. »

J’ai été saisi par sa déclaration. Bien que la mort médicalement assistée soit possible dans mon pays, je ne m’attendais pas à ce que la conversation s’oriente dans cette direction. Je voyais là à quel point il se sentait désespéré et impuissant face à la détresse de son amie.

Après quelques interrogations en douceur, nous avons rapidement compris que cette patiente ne voulait pas vraiment mourir ; elle avait plutôt besoin d’être soulagée de sa douleur et de son anxiété et de mieux comprendre sa maladie et ce qu’elle signifiait pour son avenir. Elle voulait encore passer du temps avec ses proches. Nous avons travaillé sur ses symptômes et ses inquiétudes et elle s’est rapidement sentie plus calme et apaisée. En la voyant se reposer et converser avec sa famille, il était difficile de croire qu’il s’agissait de la même personne qui, quelques heures auparavant, réclamait qu’on mette fin à ses jours.

Ce qui est encore plus incroyable, c’est que la possibilité de mettre rapidement fin à sa vie est une option de plus en plus acceptable pour les patients canadiens, avec des conséquences qui se répercuteront dans le monde entier.

Dans ma jeunesse, je rêvais d’être médecin. Cette profession m’apparaissait comme une noble vocation, à la fois exigeante sur le plan intellectuel et profondément humaniste. J’ai donc entrepris le long parcours nécessaire pour devenir un médecin pleinement qualifié.

Au début, mon idéalisme quant au pouvoir de la médecine pour accompagner dignement la souffrance des êtres humains m’empêchait de prendre conscience de sa sensibilité potentielle à des changements culturels et sociaux plus larges — ou de voir les façons dont elle a aussi pu, tout au long de l’histoire, porter atteinte à la dignité humaine plutôt qu’elle ne la protégeait.

En 2014, peu de temps après la fin de ma formation de spécialiste en médecine intensive, le corps médical canadien et la société en général commençaient à discuter sérieusement de la possibilité de légaliser la mort assistée par un médecin.

Une affaire judiciaire très médiatisée impliquant deux femmes atteintes de maladies dégénératives et souhaitant mettre fin à leur vie a suscité une vague de soutien public à cette pratique. Donner la mort était de plus en plus considéré comme un acte de compassion plutôt que comme une menace existentielle. Nombre de mes collègues médecins se sont joints aux partisans de cette évolution du consensus moral. La société souhaitait ouvrir la possibilité d’une mort assistée par un médecin, et les professionnels de la santé avaient donc la responsabilité de l’offrir, par compassion et par respect pour les patients.

Je me souviens très bien du jour où j’ai compris que ceux d’entre nous qui refuseraient de contribuer à cette assistance à la mort seraient bientôt considérés comme des praticiens à l’éthique douteuse. Nous risquions d’en venir à être perçus comme plus préoccupés par nos propres dilemmes moraux que par le bien-être du patient. Si causer la mort était autrefois un vice, on en ferait bientôt une vertu.

Au nom du « progrès » moral, la profession prenait un nouveau rôle et s’arrogeait un nouveau pouvoir : non seulement sauver des vies, mais aussi mettre fin à certaines. Le sol se dérobait sous nos pieds. Qu’est-ce que signifierait ce changement pour ceux qui refuseraient de s’en accommoder ?

Sue Rodriguez était une femme de 42 ans, originaire de Colombie-Britannique, atteinte d’une maladie redoutable : la sclérose latérale amyotrophique (SLA), également connue sous le nom de maladie de Lou Gehrig. Confrontée à un handicap croissant, elle fit appel en 1993 à la Cour suprême du Canada pour qu’elle annule l’interdiction de l’aide au suicide prévue par le Code pénal, afin qu’elle puisse y recourir elle-même. Le tribunal rejeta son appel et confirma l’interdiction, déclarant que « cette politique publique fait partie de notre conception fondamentale du caractère sacré de la vie ». La Cour citait également « des préoccupations concernant les abus et la grande difficulté de mettre en place des garanties appropriées ».

Vingt ans plus tard, la Cour fut saisie d’une affaire très similaire. Cette fois, les choses étaient différentes. Des années d’observation des régimes libéraux d’aide au suicide en Belgique et aux Pays-Bas avaient semblé montrer que des garde-fous pouvaient protéger les personnes vulnérables contre une euthanasie contraire à leur volonté.

Selon d’éminents bioéthiciens du pays, les valeurs sociales canadiennes avaient également évolué. Un rapport influent préparé par des membres de la Société royale du Canada en 2011 affirmait que « les tentatives de faire appel à la dignité et au caractère sacré de la vie humaine ont été largement critiquées par les philosophes » et que « la valeur de l’autonomie individuelle ou de l’autodétermination […] devrait être considérée comme primordiale » parmi les « valeurs qui font l’objet d’un large consensus au sein de la société [canadienne] ».

Le rapport conclut :

il existe un droit moral, fondé sur l’autonomie, pour les personnes compétentes et informées qui ont décidé, après un examen approfondi des faits pertinents, que la suite de leur vie ne vaut pas la peine d’être vécue, à la non-ingérence dans les demandes d’assistance au suicide ou à l’euthanasie volontaire.

La possibilité légale suivit rapidement la possibilité morale. Gloria Taylor, également atteinte de SLA, porta son cas devant la Cour suprême du Canada. Elle demanda la possibilité d’une mort assistée : « Je vis dans l’appréhension que ma mort soit lente, difficile, désagréable, douloureuse, indigne et incompatible avec les valeurs et les principes selon lesquels j’ai essayé de vivre. »

D’autres témoins affirmèrent qu’ils « souffraient du fait de savoir qu’ils n’avaient pas la possibilité de mettre fin à leur vie de manière paisible au moment et de la manière qu’ils le souhaitaient. »

Dans une décision historique rendue en 2015, la Cour suprême estima alors que l’interdiction pénale du suicide et de l’euthanasie médicalement assistés violait la Charte canadienne des droits et libertés, en particulier le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne.

Fonder la liberté d’être tué sur le droit à la vie peut sembler contre-intuitif, mais la Cour estima que l’interdiction pénale de l’assistance médicale à la mort pourrait contraindre « certains individus à mettre fin prématurément à leurs jours, de peur d’être incapables de le faire lorsqu’ils atteindront le point où la souffrance sera intolérable ». En outre, la Cour estima que l’interdiction de la mort médicalement assistée constituait une ingérence dans les décisions individuelles relatives à l’intégrité corporelle et aux soins médicaux, qui relèvent des droits à la liberté et à la sécurité.

Un an plus tard, le gouvernement canadien suivait les conclusions du tribunal et légalisait l’aide médicale à la mort. Initialement, la loi stipulait que ce type d’assistance était limitée aux personnes atteintes de « souffrances aiguës et irrémédiables » et pour lesquelles « la mort était raisonnablement prévisible ». Toutefois, à mesure que la pratique s’est répandue et qu’elle a été mieux acceptée par la société, les restrictions destinées à protéger les personnes vulnérables ont été progressivement éliminées.

En 2021, l’exigence de « mort raisonnablement prévisible » a été supprimée, et les personnes en bonne santé souffrant d’un handicap physique sont devenues éligibles au suicide assisté. Au cours des délibérations parlementaires sur cette modification de la loi, j’ai témoigné devant le Sénat canadien aux côtés de deux femmes souffrant de handicaps physiques visibles et graves. Elles s’exprimaient clairement sur l’impact négatif que ce changement de loi aurait sur la communauté des personnes handicapées au Canada.

Il m’a été déchirant que le Canada déclare ces personnes éligibles à ce que l’on mette fin à leur vie, alors qu’une personne comme moi, sans aucun handicap physique identifiable, ne peut bénéficier d’une assistance médicale à la mort. Qu’est-ce que cela dit du regard porté par notre société sur les personnes handicapées ?

En six ans, le nombre de patients mourant avec l’aide d’un médecin au Canada a été multiplié par treize, passant d’environ 1 000 en 2016 à plus de 13 000 en 2022 — soit 4,1 % de tous les décès au Canada cette année-là, selon les rapports officiels du gouvernement d’octobre 2023.

Les données disponibles ne laissent pas penser que des patients auraient été contraints à l’aide médicale à la mort, mais une « culture de mort » (un terme que j’ai d’abord refusé d’utiliser parce que je le trouvais inutilement provocateur) s’est imposée de manière insidieuse et surprenante. La mort assistée n’est plus considérée comme une option désespérée de dernier recours, mais comme une « option thérapeutique » parmi d’autres, un moyen raisonnable et efficace de résoudre définitivement la souffrance, offerte non seulement aux mourants, mais aussi à ceux dont la vie n’est pas considérée comme digne d’être vécue.

Certains patients souffrant d’un handicap ou d’une maladie mentale ont déclaré que la mort assistée leur avait été proposée sans qu’ils abordent le sujet. Des personnes ont demandé et obtenu l’euthanasie parce qu’elles n’avaient pas accès à des possibilités de logement abordables. Il y a même certains rapports selon lesquels des patients ont bénéficié d’une mort médicalement assistée à la suite d’un diagnostic erroné, découvert lors de l’autopsie. Après un premier report, le gouvernement canadien envisage actuellement pour 2027 l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux patients atteints de maladie mentale. Certains font même pression pour qu’elle soit autorisée dans certains cas pour les enfants et les jeunes.

Une fois que la mort sera considérée comme une forme de soins de santé, les « prestataires » de soins de santé seront censés pouvoir la proposer.

La logique de la mort assistée s’est montrée inexorable : si la mort est une thérapie permettant de traiter les blessures psychologiques liées à la souffrance et au sentiment que la vie n’a plus de sens, qui ne devrait pas être considéré comme éligible ?

Il est clair que cette évolution morale exerce une pression immense sur les médecins qui refusent de participer à l’aide à la mort. La pression exercée sur les professionnels de la santé ne porte pas tant sur la nécessité de pouvoir eux-mêmes accomplir l’acte de mettre fin à la vie que sur celle de pouvoir sciemment orienter un patient vers quelqu’un qui le fera. Mais référer un patient à un collègue n’est pas une chose anodine : nous sommes coupables si nous envoyons sciemment nos patients chez un médecin qui les traitera d’une manière que nous jugeons contraire à l’éthique.

Ainsi, le célèbre médecin autrichien Hans Asperger est récemment tombé en disgrâce pour avoir participé à l’euthanasie d’enfants pendant l’occupation nazie de l’Autriche. Bien qu’il ne les ait pas directement tués, il orientait des enfants atteints de déficiences intellectuelles vers une clinique du Troisième Reich qui les éliminait. Il s’est ainsi rendu complice de leur mort.

Un certain nombre de médecins canadiens se sont associés à des collègues du monde entier pour défendre la liberté de conscience dans l’exercice de la médecine, mais les pressions sont immenses. Plusieurs juridictions au Canada ont été les premières au monde à exiger que de telles orientations vers d’autres professionnels aient lieu, sous la menace d’une action disciplinaire potentielle, et ce n’est que via les tribunaux que des médecins chrétiens en Californie ont finalement eu gain de cause à ce sujet en 2023. Plus la mort sera considérée comme une forme de soins de santé, plus les « prestataires » de soins de santé seront censés la proposer.

L’euthanasie active est actuellement autorisée dans huit pays du monde, le Portugal ayant rejoint en 2023 la Belgique, le Canada, la Colombie, l’Espagne, le Luxembourg, la Nouvelle-Zélande et les Pays-Bas. L’assistance à la mort est également légale dans dix États américains et dans le District de Columbia, où des milliers de personnes se sont vu prescrire légalement des médicaments pour mettre fin à la vie au cours des quinze dernières années.

Les chrétiens devraient accorder une attention particulière au cheminement de l’acceptation éthique et culturelle de ces pratiques au Canada, car d’autres pays pourraient bien suivre. Aux États-Unis, plusieurs États ont élargi les critères d’accès à l’aide médicale à mourir au cours des dernières années. En France, le débat sur une possible ouverture à l’euthanasie est toujours en cours et un projet de loi est prévu pour les premiers mois de 2024.

L’histoire de l’adoption de l’euthanasie au Canada est bien plus profonde que les seules délibérations des universitaires ou les tractations des tribunaux. Il s’agit en partie de l’histoire du triomphe de l’esthétique sur l’éthique.

Les arguments en faveur de l’aide à la mort ne reposent pas tant sur une délibération morale rationnelle que sur l’attrait de la maîtrise de la mort. Alasdair MacIntyre observe qu’une forme d’émotivisme est désormais le paradigme moral dominant. Pour les émotivistes, une chose est bonne simplement parce qu’elle paraît bonne. Et la mort assistée, seloncertains, paraît tout simplement bonne.

Cette évolution culturelle est aussi l’histoire de la façon dont la laïcité peut fonctionner d’une manière étonnamment religieuse. Il fut un temps où la peur de la mort nous empêchait d’utiliser celle-ci pour échapper à la souffrance terrestre. Envisageant de se suicider, le Hamlet de Shakespeare en est dissuadé par « cette crainte de quelque chose après la mort, ce pays ignoré, des bornes duquel nul voyageur ne revient. » La conscience, conclut-il, « fait des poltrons de nous tous ».

Lorsque la souffrance paraît absurde, il peut sembler naturel, voire rationnel, de choisir la mort.

Mais si Dieu est mort, la conscience n’appelle plus à la prudence. Nous supposons savoir ce que la mort apporte. Un prestataire canadien, dans des paroles plus semblables à celles d’un prêtre que d’un médecin, décrivait avec assurance la mort assistée comme « une transition paisible vers l’au-delà ». Ce genre d’affirmation ne pourra jamais être éprouvée dans le cadre d’essais cliniques.

La confiance dans le caractère paisible de cette mort n’empêche d’ailleurs pas les « innovations techniques » : un militant australien de l’euthanasie fait depuis 2021 la promotion d’une « capsule à suicide » imprimée en 3D pour une expérience de suicide assisté « raffinée et élégante ». Ces approches expriment une foi aveugle dans une vision du monde dépourvue de Dieu, mais non moins religieuse.

Mais avant tout, ces développements sont l’histoire d’individus qui luttent pour trouver un sens à leur vie et un but à leur souffrance. Citant Friedrich Nietzsche, Viktor Frankl, psychiatre juif et survivant d’Auschwitz, observait : « celui qui a un pourquoi à vivre peut supporter presque n’importe quel comment. » En tant qu’individus « libérés », nous tenons à trouver nous-mêmes le sens à notre existence, mais ce sens inventé s’avère creux lorsque nous sommes confrontés à une souffrance irrémédiable.

Comment la souffrance peut-elle avoir un sens ? Qu’est-ce qui ferait que la vie avec la souffrance vaille la peine d’être vécue ? Si la souffrance est absurde, il peut sembler naturel, voire rationnel, de choisir la mort. Comme l’a dit l’écrivain et dramaturge français Albert Camus : « Mourir volontairement implique d’avoir reconnu, même instinctivement […] l’inutilité de la souffrance ».

Comment pouvons-nous donc, en tant que chrétiens, répondre à la problématique de l’assistance médicale à la mort ? Tout d’abord, il nous faut faire appel à la raison et à la lumière de la nature pour affirmer de manière absolue la valeur de la vie.

L’euthanasie et l’aide au suicide sont présentées comme une question de respect. Mais valoriser une personne, c’est valoriser son existence. La volonté de mettre délibérément fin à l’existence d’une personne dévalorise nécessairement cette dernière. Si les gens sont importants, nous ne devons pas mettre intentionnellement fin à leur vie.

Deuxièmement, nos Églises sont appelées à être des espaces où la mort assistée est inconcevable parce que les plus faibles, les personnes âgées, les personnes handicapées et les mourants sont considérés comme des membres irremplaçables de la communauté. Nous pouvons être un lieu où ceux qui souffrent bénéficient d’une présence dévouée à leur côté, de l’amour et du soutien qui leur rappellent leur valeur et les réconfortent dans la douleur. Après tout, c’est à cela que nous aspirons tous.

Troisièmement, nous pouvons plaider en faveur de l’accès à de meilleurs soins médicaux et palliatifs pour les personnes souffrantes ou mourantes. Le concept moderne des soins palliatifs a été initié par une femme médecin chrétienne, Cicely Mary Saunders, et a transformé les soins médicaux de fin de vie. Pourtant, l’accès à des soins palliatifs de qualité au Canada comme dans le reste du monde est encore bien trop limité.

Nous pouvons également défendre le droit à la liberté de conscience des médecins et des infirmières qui s’occupent des malades et des mourants, afin qu’ils ne soient pas contraints de participer à l’aide à la mort.

Enfin, le message de la croix du Christ que nous portons pour le monde ouvre à la foi, l’espérance et l’amour face à la souffrance et à la mort. Nous avons foi dans les desseins de Dieu pour notre bien ultime. Nous avons notre espérance dans sa puissance rédemptrice. Nous avons son amour qui a été répandu dans nos cœurs.

La souffrance ne peut pas nous priver du véritable sens de notre existence : connaître celui qui s’est donné pour nous et communier avec lui. En réalité, par la grâce de Dieu, la souffrance permet même souvent d’approfondir cette communion. Partir et être avec le Christ est bien ce qu’il y a de mieux pour nous, mais avec patience et foi, nous attendrons l’appel du maître.

Ewan C. Goligher est professeur adjoint de médecine et de physiologie à l’université de Toronto. Si vous ou l’un de vos proches pensez au suicide, parlez-en à quelqu’un. Des lignes téléphoniques nationales et d’autres services dédiés sont prêts à vous aider.

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Les 170 ans d’histoire chrétienne derrière ce qui se passe en Ukraine

Ce que nous oublions à propos de la Russie, de la Crimée et de l’histoire d’une Europe supposée laïque.

Christianity Today February 12, 2024
Extrait du Siège de Sébastopol, de Franz Roubaud/Wikimedia Commons

La version française de cet article a fait l’objet d’une mise à jour.

Depuis plusieurs années, la péninsule de Crimée se trouve au cœur de ce que certains ont décrit comme la plus grande crise internationale du 21e siècle. Mais ce n’est pas la première fois que la région joue un rôle aussi important dans les affaires internationales. Si l’événement reste probablement inconnu d’une bonne partie du grand public, ceux qui se sont un peu intéressés à l’histoire ont probablement déjà entendu parler du grand conflit que l’on appelle la guerre de Crimée (1853-1856).

On se souvient souvent aujourd’hui de ce conflit pour les travaux héroïques de l’anglaise Florence Nightingale qui posa alors les bases des soins infirmiers modernes. En réalité, cette guerre mériterait d’être bien mieux connue pour le moment charnière dans les affaires religieuses européennes qu’elle a été. En négligeant le caractère religieux de cet événement — et son origine chrétienne — nous passons à côté d’enjeux majeurs de la géopolitique moderne, au Proche-Orient et au-delà.

Compte tenu de la date de cette guerre, l’accent religieux pourrait sembler tout à fait anachronique. Il s’agissait, après tout, d’une lutte bien moderne entre les grandes puissances de l’époque : la Grande-Bretagne, la France et l’Empire ottoman opposés à la Russie tsariste. La guerre fut menée avec des technologies très modernes, notamment les chemins de fer et les télégraphes, sans parler d’une artillerie extrêmement meurtrière. Quelque 800 000 personnes y périrent, dont près de la moitié de maladie, soit au moins autant de décès que lors de la guerre civile américaine de la décennie suivante.

Pourtant, les causes de la guerre semblent appartenir à une époque strictement prémoderne et l’excellent récit qu’en fait l’historien Orlando Figes y voit « la dernière croisade ». Comme à l’époque médiévale, cette guerre est née de la situation des chrétiens sous domination musulmane au Moyen-Orient et plus particulièrement de la question du contrôle des lieux saints de Jérusalem.

À partir du 15e siècle, la puissance musulmane dominante était l’Empire turc ottoman, qui régnait sur des millions de chrétiens : Arméniens, Grecs, Slaves et autres. Alors que la puissance ottomane s’effondre, les nations chrétiennes européennes exercent une forte pression sur ses frontières qui se rétrécissent et annexent des parts de son territoire. À partir des années 1770, le principal prédateur est la Russie orthodoxe, qui ne tarde pas à établir son contrôle sur la région de la mer Noire et à s’enfoncer dans le Caucase. Les Russes ont également exigé et obtenu à l’époque le droit de protéger les lieux saints, qui devaient être placés sous la surveillance des orthodoxes.

Avec le temps, les Russes auraient sans doute mis la main sur l’ensemble du royaume ottoman si d’autres puissances, notamment la Grande-Bretagne, n’avaient pas redouté la création d’une superpuissance russe s’étendant de l’Arctique à l’océan Indien. Ainsi, la Grande-Bretagne devint le protecteur et garant d’un régime ottoman corrompu et défaillant. Cet équilibre international de la terreur permit à l’Empire ottoman de subsister jusqu’au 20e siècle.

Le statu quo fut cependant déstabilisé en 1852 par l’avènement d’un nouveau régime français sous la direction de Napoléon III, parvenu au pouvoir à la suite d’un coup d’État. Confronté à de profondes divisions à l’intérieur du pays et désireux de prouver sa légitimité, il chercha à asseoir sa position en provoquant une crise internationale. Pour ce faire, il exploita les querelles entre orthodoxes et catholiques à Jérusalem, des combats de rue épouvantables et grossièrement indignes menés par le clergé des deux camps, qui dégénéraient parfois en véritables émeutes.

En 1846, une de ces batailles cléricales fait 40 morts. En 1853, Napoléon exige des Ottomans qu’ils placent les lieux saints sous le contrôle de l’Église catholique romaine et appuie ses demandes par une expédition navale. Sans entrer dans tous les détails de la diplomatie tortueuse qui s’ensuit, la guerre éclate en octobre 1853. Et oui, à l’ère des machines à vapeur et de la révolution industrielle, c’est encore pour des motifs religieux que la moitié de l’Europe entra en guerre.

Dans l’histoire européenne, on pourrait avoir tendance à supposer que le rôle de la religion dans la politique et la guerre s’est affaissé bien plus tôt qu’il ne l’a réellement fait. Certes, les guerres de religion se concentrent pour l’essentiel aux 16e et 17e siècles. Mais la plupart des États du continent sont restés ouvertement chrétiens jusqu’à la Première Guerre mondiale et au-delà, et la plupart connaissaient une forme d’église d’État. Lorsque des guerres éclataient, les gouvernements et les églises présentaient la cause de leur nation en termes religieux, voire apocalyptiques, dépeignant leurs ennemis (généralement chrétiens) comme l’engeance de Satan. En Angleterre, la guerre de Crimée fut la dernière pour laquelle le gouvernement proclama officiellement des journées nationales de prière, de jeûne et d’humiliation.

La grande exception en matière de place de l’Église est la France, où les traditions républicaines laïques ont marqué le paysage. Pourtant, c’est bien la France de Napoléon III qui endossera le rôle de croisé catholique pour provoquer un bain de sang sur le continent. Même plusieurs décennies après le siècle des Lumières, on aurait tort de négliger le rôle du christianisme dans la politique et l’organisation de l’État en Europe.

Cela n’a jamais été aussi vrai que dans la Russie tsariste, où, jusqu’en 1917, la politique n’a jamais perdu son caractère apocalyptique et messianique. Lorsque l’Empire byzantin tombe aux mains des Turcs en 1453, la Russie moscovite estime reprendre le flambeau. Deux Rome sont tombées, proclament les tsars, une troisième se tient debout et il n’y en aura jamais de quatrième. En tant que troisième Rome, Moscou se voyait comme l’héritière des espoirs qui entouraient le glorieux nom de Byzance, y compris les rêves et visions véhiculés par divers textes tels que l’Apocalypse apocryphe de Daniel. Dans cette tradition, un futur Constantin devait libérer le monde chrétien orthodoxe des fils de Hagar de plus en plus souvent identifiés aux Ottomans musulmans. Au plus fort des guerres turques, dans les années 1770, la Grande Catherine baptise l’un de ses petits-fils Constantin.

Tout au long du 19e siècle, même des hommes d’État russes apparemment rationnels et peu religieux prolongèrent cette idée d’une destinée messianique de leur nation appelée à défendre l’orthodoxie contre les musulmans et les catholiques. Rien n’empêchera cet empire de libérer les chrétiens des Balkans et d’étendre ensuite son pouvoir sur l’Anatolie, la Syrie et la Palestine. Certaines paroles du pseudo-Daniel guidaient encore les actions russes en 1914.

De toute évidence, les politiques russes reflétaient des motifs à la fois religieux et séculiers, et ces deux forces se sont combinées inextricablement pour conduire à cette version russe de la « destinée manifeste » américaine. Lorsque les Russes annexèrent la Crimée en 1783, ils le firent parce qu’ils avaient ainsi la possibilité de projeter leur puissance dans la région de la mer Noire et pourraient désormais construire des bases navales en eaux chaudes. Au 19e siècle, Odessa est une ville en plein essor, le pendant russe de San Francisco à cette époque. Sébastopol devient une puissante forteresse navale. Mais les Russes considéraient aussi que l’extension de leur pouvoir sur ce qui avait autrefois été des terres musulmanes prouvait la véracité de leur vision nationaliste et religieuse d’eux-mêmes. Dans les années 1850, ils perçurent bien la menace politique et religieuse mortelle que représentait l’invasion par des forces étrangères de la Crimée, ce territoire sacré désormais reconquis.

Le pouvoir tsariste a disparu depuis longtemps et le régime soviétique qui lui a succédé n’avait guère de temps à consacrer à ces visions mystiques chrétiennes. Cependant, avec la fin des rêves soviétiques, les Russes se sont à nouveau tournés vers les racines religieuses de l’idéologie nationale. Les régimes postsoviétiques ont travaillé en étroite collaboration avec l’Église orthodoxe, qui s’est montrée très heureuse de soutenir un gouvernement fort et de bénir les événements nationaux. En retour, l’État a aidé l’Église à reconstruire de nombreuses cathédrales et monastères orthodoxes. Depuis plusieurs décennies, l’État et l’Église s’efforcent même de reconstituer la présence russe, autrefois importante, dans les lieux saints, même si c’est aujourd’hui bien sûr sous contrôle politique israélien.

Il n’était donc guère surprenant de voir cette nouvelle sainte Russie étendre son bras protecteur sur le régime de Bachar el-Assad traditionnellement soutenu par les chrétiens en Syrie. Depuis 250 ans, les régimes russes se revendiquent comme protecteurs des chrétiens de cette région.

Il serait réjouissant que les États-Unis et l’Europe tiennent pleinement compte de ces facteurs religieux dans leur réponse à la crise actuelle en Ukraine. Réjouissant, mais peu probable.

Philip Jenkins est professeur d’histoire à l’université Baylor.

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L’Égypte antique éclaire l’Ancien Testament.

Un voyage au pays des pharaons m’a aidée à comprendre le peuple d’Israël dans son contexte.

Christianity Today February 12, 2024
pgaborphotos/Getty

Nous savons tous que la Bible ne part pas d’une page blanche. Elle nous rend témoignage de la vie de peuples anciens qui s’inscrivaient dans un contexte historique et culturel spécifique, également très influencé par sa géographie.

En dehors de la Terre promise, l’Égypte est l’un des lieux les plus importants pour les Israélites. Non seulement le peuple de Dieu y a vécu pendant quelque 400 ans, mais Abraham et le prophète Jérémie y ont tous deux fait escale. Même Jésus a passé ses premières années en Égypte, emmené par ses parents fuyant Hérode.

Au cours des quatre dernières années, alors que je rédigeais un commentaire sur le livre de l’Exode, j’ai beaucoup lu sur l’Égypte et j’ai réalisé à quel point les anciens Égyptiens peuvent nous apprendre à lire et à comprendre la Bible dans son juste contexte. C’est ce qu’a encore souligné un voyage d’études que j’ai effectué le mois dernier avec le Dr James Hoffmeier, égyptologue de renom. Cette rencontre en personne avec les pyramides, les temples, les musées et les tombes a donné vie à bien des passages familiers.

Le livre de l’Exode est rempli de références à la vie des Israélites en Égypte — y compris des mots empruntés à l’égyptien et des images qui résonnaient d’une manière particulière dans ce contexte.

Pendant leur long séjour en Égypte, des générations d’Israélites ont été régulièrement exposées à certains motifs, et nombre de ces représentations picturales ont inspiré l’imagerie biblique. Pour communiquer les vérités éternelles concernant Yahweh, les auteurs bibliques se sont en effet servi des moyens à leur disposition. Certaines représentations devaient faire particulièrement sens pour leur auditoire. Après avoir contemplé moi-même certaines d’entre elles, elles ont plus de sens pour moi également.

Voici six exemples que j’ai trouvés particulièrement intéressants.

Le temple jardin

J’avais déjà lu que les peuples du Proche-Orient ancien aménageaient leurs temples à l’image de jardins, mais j’ai pu observer ce phénomène de mes propres yeux.

De nombreux temples que nous avons visités présentaient des piliers taillés à la manière de tiges de papyrus. La célèbre salle hypostyle du grand temple d’Amon-Rê à Karnak comptait 134 piliers en forme de papyrus d’une taille énorme — sept personnes peuvent à peine passer leurs bras autour d’un seul pilier. À une extrémité de la salle, les bourgeons du papyrus étaient fermés, mais à l’autre extrémité, les pétales de la plante étaient largement ouverts et en pleine floraison. Chaque pilier était décoré de reliefs sculptés dans la pierre et rehaussés de vives couleurs, avec des teintures à base de poudres végétales.

Les plafonds des temples, lorsqu’ils sont conservés, présentent invariablement des représentations d’un ciel bleu profond orné d’étoiles jaunes. Bien que les temples soient entièrement construits en pierre, ils offrent l’image de jardins luxuriants, avec des représentations d’arbres et de plantes comme le papyrus et le lotus.

Il n’est donc pas étonnant que le temple d’Israël ait eu un plafond d’un bleu profond maintenu par des attaches en or pour scintiller à la lumière du chandelier (Ex. 26.1-2, 6, 31-32). Il n’est pas étonnant que le chandelier à l’intérieur du temple ait pris la forme d’un arbre avec des branches et des bourgeons, et que des grenades pendaient de la robe du grand prêtre d’Israël (Ex 25.31-40 ; 28.31-33). Un temple-jardin exprime la réalité de Dieu comme Créateur et souligne son rôle dans l’épanouissement du monde naturel.

Les ailes protectrices

Dans les temples égyptiens, on voit partout des créatures ailées, tantôt des séraphins, tantôt d’autres divinités, avec leurs ailes déployées offrant leur protection au pharaon. La barque sacrée transportant l’image divine était invariablement flanquée de protecteurs ailés.

Ces images m’ont rappelé les chérubins brodés sur les rideaux du tabernacle et du temple d’Israël (Ex 26.31) et les chérubins d’or aux ailes déployées au-dessus de l’arche de l’alliance dans le Saint des Saints (Ex 37.9, 1 R 6.27). Je comprends aussi mieux pourquoi Boaz décrit Ruth comme cherchant la protection sous les ailes de Yahweh (Rt 2.12) et pourquoi le psalmiste évoque des personnes se réfugiant sous ces mêmes ailes de Dieu (Ps 17.8 ; 36.7 ; 91.4).

Le don de l’Esprit

Don de la vie au pharaon Ramsès IIFournie par Carmen Imes
Don de la vie au pharaon Ramsès II

Vous avez peut-être remarqué qu’il manque le nez à la plupart des statues égyptiennes antiques. Si cela peut s’expliquer en partie par le fait que le nez est la partie la plus vulnérable d’une statue lorsqu’elle se renverse, il faut aussi savoir que le moyen le plus rapide de désacraliser une statue — et d’indiquer qu’un pharaon n’a plus le droit de régner — est de lui casser le nez.

Les Égyptiens croyaient que les âmes entraient et sortaient par le nez. Un pharaon mort sans nez serait doublement mort — non seulement physiquement, mais aussi spirituellement — sans espoir de résurrection. Les pharaons se donnaient beaucoup de mal pour protéger leur corps afin qu’il reste intact et donc viable dans l’au-delà. Leur momie était logée dans toute une série de cercueils emboîtés les uns dans les autres, comme d’énormes poupées russes.

Dans de nombreuses tombes et temples funéraires que nous avons visités, nous avons vu des scènes gravées dans la pierre dans lesquelles une divinité offrait au pharaon une croix ansée, ou ânkh, symbole de la vie, en la portant à son nez. En recevant la vie de la divinité après sa mort, le pharaon devait être spirituellement animé pour exécuter la volonté des dieux.

Ces scènes de « don de vie » me rappellent Genèse 2, où Dieu insuffle la vie au premier être humain. James Hoffmeier soulignait également que lorsque David prie « ne me retire pas ton Esprit saint » dans le Psaume 51.13, il ne craint probablement pas de perdre son salut, mais plutôt la légitimité divine pour son règne. Rappelons que Dieu avait retiré son Esprit à Saül pour l’écarter de la royauté (1 S 15.23 ; 16.14). David ne voulait pas qu’il lui arrive la même chose.

Le bras fort de Pharaon

Pendant des milliers d’années, les objets d’art égyptiens ont fréquemment représenté les pharaons le bras levé dans une pose soulignant leur puissance militaire. On peut en voir un bon exemple sur la célèbre palette de Narmer, datant de 3100 av. J.-C. Pharaon s’y tient debout, une main tendue derrière la tête, tenant une masse, et une autre tendue devant lui, saisissant la chevelure de son ennemi vaincu.

Palette de NarmerFournie par Carmen Imes
Palette de Narmer

Ce que je n’avais pas réalisé, c’est l’omniprésence de cette représentation. Nous l’avons vue dans chaque temple, parfois des dizaines de fois. Dans le temple de Ramsès III, le premier pylône (portail d’entrée) et tous les piliers de la première chambre montrent le pharaon dans cette pose, chacun représentant un ennemi différent à sa merci. En fait, la salle fonctionne comme un résumé en images des succès militaires de Ramsès.

La représentation n’est pas seulement picturale, mais aussi textuelle. Sur l’un des murs extérieurs, une inscription au-dessus de la scène indique « celui qui a le bras fort », ce qui correspond à l’un des titres préférés de Pharaon : « Au bras fort ».

Cela vous semble familier ? Tout au long de l’Ancien Testament, Yahweh se présente comme celui qui a « une main puissante et un bras étendu », généralement en référence à ses actions pendant l’Exode. La référence au « bras étendu » de Dieu est presque exclusivement limitée aux contextes égyptiens (Ex 6.6 ; Dt 4.34 ; 5.15 ; 2 R 17.36 ; Jr 32.21).

Ainsi, Yahweh lance un défi direct à Pharaon et à ses adorateurs, comme s’il leur disait : « Vous pensez avoir un bras fort ? Regardez ce que je peux faire ! »

La vie quotidienne dans l’Égypte ancienne

Outre la façon dont cette imagerie éclaire le texte biblique, ces œuvres m’ont beaucoup appris sur la vie quotidienne, le travail et les rôles des hommes et des femmes dans l’Égypte ancienne.

Dans les tombes des nobles et des ouvriers, ainsi que dans les musées conservant les objets qui y ont été retrouvés, j’ai vu des statues, des peintures et des sculptures représentant la fabrication du pain, de la bière, des briques, la sculpture et l’écriture, les semailles et les moissons, le tannage du cuir, des scènes représentant l’accouchement, etc. J’ai vu des peignes, des palettes de maquillage et des bijoux, des outils pour filer et teindre la laine et le lin, et des reproductions de métiers à tisser antiques. J’ai vu des outils de charpentier et des couteaux en silex, des houes et des meules, une tente cousue à la main, des lits et des chaises.

Les anciens Égyptiens pensaient qu’une personne aurait besoin dans l’au-delà de tout ce dont elle avait besoin dans cette vie. Ils s’attendaient à travailler dans les champs du dieu Osiris, c’est la raison pour laquelle ils garnissaient leurs tombes de toutes sortes d’outils tels que des charrues et des pelles, ainsi que d’un lit, d’une chaise et de vêtements. En revanche, les Hébreux de l’époque semblent surtout s’être préoccupés de la manière dont on se souviendrait de leur « nom » ou de leur réputation après leur mort et ne disaient presque rien sur la vie après la mort — en tout cas jusqu’aux périodes les plus récentes de l’Ancien Testament.

Les Égyptiens avaient ainsi eu une juste intuition quant à la poursuite de la vocation humaine dans l’au-delà — d’une manière à certains égards semblable à la façon dont nous concevons aujourd’hui la nouvelle Jérusalem — mais il fallut attendre plusieurs centaines d’années avant que Dieu ne révèle davantage de détails au peuple juif.

Ce genre d’informations nous échappent lorsque nous ignorons le contexte historique et géographique de l’Ancien Testament. Pourtant, grâce au climat sec et sablonneux de l’Égypte, nous avons encore la possibilité de voyager plus de 3 000 ans en arrière et d’avoir un aperçu bien préservé d’une culture qui a profondément façonné les Israélites et tout le peuple de Dieu venu par la suite.

Carmen Joy Imes est professeure associée d’Ancien Testament à l’université de Biola. Elle est l’autrice de plusieurs livres, dont Bearing God’s Name: Why Sinai Still Matters, et elle rédige actuellement un commentaire sur l’Exode pour Baker Academic.

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Books

Assister ou non à un mariage LGBTQ ? Un pasteur confronté à la polémique.

Une recommandation pastorale récemment prodiguée par le pasteur américain Alistair Begg lui vaut controverses et exclusions.

Parkside Church/capture d’écran

Parkside Church/capture d’écran

Christianity Today February 12, 2024
Alistair Begg

Depuis quelques semaines, Alistair Begg, pasteur de l’église Parkside à Chagrin Falls (Ohio) et animateur de l’émission de radio Truth for Life, est pris dans ce qu’il appelle « une tempête dans un verre d’eau » après un conseil émis à propos du fait d’assister ou non à un mariage LGBTQ.

Ce conseil, a-t-il déclaré lors d’un de ses derniers sermons, se fondait sur le commandement de Jésus d’aimer même ceux avec qui nous sommes en désaccord ou que nous désapprouvons.

« Jésus a dit que vous étiez censés aimer vos ennemis », a déclaré Begg, s’appuyant sur une série de textes bibliques pour affirmer que les chrétiens doivent faire preuve de compassion — et non de jugement — à l’égard de ceux qui se sont égarés.

Par ces paroles, Begg répondait à la controverse suscitée par des commentaires qu’il avait donnés lors d’une interview promotionnelle pour un de ses livres devenue virale sur les réseaux sociaux. Dans cette interview, donnée à l’automne dernier, Begg racontait sa rencontre avec une grand-mère qui lui avait demandé si elle devait ou non assister au mariage de son petit-fils avec une personne transgenre. Le pasteur, bien qu’opposé au mariage entre personnes de même sexe, lui avait donné le conseil d’y aller et d’apporter un cadeau aux futurs mariés. Ce serait, selon lui, une manière de montrer son amour envers son petit-fils, même si elle n’approuvait pas ce mariage.

« Votre amour pour eux peut les prendre au dépourvu, alors que votre absence ne ferait que renforcer leurs préjugés vis-à-vis des chrétiens, vus comme pleins de jugements, critiques, et incapables de supporter quoi que ce soit », expliquait le pasteur évangélique. Pour lui, les chrétiens devraient être prêts à prendre des risques pour témoigner de l’amour à ceux qui les entourent.

Les commentaires de Begg ont déclenché une tempête parmi bon nombre de ses fans et partisans, en particulier dans les communautés conservatrices calvinistes et d’autres communautés évangéliques. Selon le Public Religion Research Institute (PPRI), les évangéliques blancs restent l’un des groupes religieux les plus réticents envers le mariage homosexuel aux États-Unis.

Selon le PRRI, 38 % des évangéliques blancs se disent favorables au mariage homosexuel. En revanche, 87 % des sans-religion, 81 % des juifs, 77 % des bouddhistes, 77 % des protestants traditionnels blancs et 75 % des catholiques approuveraient le mariage entre personnes du même sexe.

Alistair Begg devait prendre la parole en mars à l’importante Shepherds Conference qui rassemble de nombreux pasteurs évangéliques réformés sous la houlette du pasteur et auteur californien John MacArthur. Une fois les commentaires de Begg rendus publics, MacArthur et lui en auraient discuté et estimé que la controverse constituerait « une distraction inutile », selon un porte-parole de Grace to You, l’un des sponsors de la conférence.

« Le conseil du pasteur MacArthur sur cette question aurait été complètement différent de celui qu’Alistair Begg dit avoir donné à la grand-mère qui s’interrogeait », a expliqué Phil Johnson, directeur exécutif de Grace to You, dans un email à Religion News Service. « Les deux parties ont donc convenu qu’il était nécessaire que le pasteur Begg se retire ».

Peu après que toute cette polémique soit devenue virale, American Family Radio, un réseau de radiodiffusion évangélique, abandonnait l’émission Truth for Life, basée sur les sermons de Begg.

Ont également suivi une série d’articles rédigés par d’autres responsables évangéliques pour affirmer que les chrétiens ne devraient pas assister aux mariages LGBTQ. « Après tout, le fait d’assister à un mariage pour montrer son “amour” ou pour éviter d’offenser l’autre est une forme de bénédiction, mais qui reste cachée », écrit Carl Trueman, professeur d’études bibliques et religieuses au Grove City College, pour la publication catholique First Things.

Tim Wildmon, président de l’American Family Association, de son côté, a animé une émission spéciale expliquant pourquoi le groupe s’est distancié de Begg. L’AFA avait reçu des plaintes suite à cette émission et avait pris contact avec le pasteur, diffusé depuis plus d’une décennie.

« L’objectif de cet appel était la réconciliation, mais la réconciliation dans la vérité », déclare Walker Wildmon, un vice-président de l’AFA qui compare le conseil de Begg à celui d’un père proposant de conduire son enfant alcoolique dans un bar. Begg a selon lui refusé de revenir sur ses propos.

Un membre du personnel de l'église Parkside a déclaré à Religion News Service que Begg n'avait aucun commentaire à faire sur son retrait d'American Family Radio.

Begg, originaire d’Écosse et vivant aux États-Unis depuis quarante ans, enseigne depuis longtemps que les relations sexuelles en dehors du mariage, qui, pour lui, doit être conclu entre un homme et une femme, sont répréhensibles. Il est donc fort surpris de la controverse suscitée par ses commentaires et des accusations selon lesquelles il aurait abandonné l’enseignement chrétien.

« Maintenant, on peut ne pas être d’accord sur le fait que j’aie donné de bons conseils ou non à cette grand-mère. », précise-t-il. « Il y a des membres de l’équipe pastorale de mon église qui ne pensent pas que j’ai donné là de très bons conseils. »

Durant le sermon ensuite consacré à cette question, Begg s’est appuyé sur la parabole du fils prodigue qui souligne le pardon plutôt que le jugement, et la parabole du bon Samaritain, qui met en avant la compassion plutôt que les prétentions à la sainteté. Ces deux histoires, dit-il, montrent la puissance de la grâce de Dieu.

Begg s’est également inspiré de l’histoire racontée par Jésus d’un berger qui avait 100 brebis et qui, en ayant perdu une, avait laissé les 99 autres derrière lui pour retrouver celle qui s’était perdue.

« De même, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de changer d’attitude », déclare Jésus dans Luc 15.7.

Begg a mis en garde sa communauté contre les chrétiens qui ne semblent pas disposés à faire preuve de grâce ou de pardon envers les autres et contre des pasteurs avides de condamner haut et fort les pécheurs. Le pasteur a expliqué qu’il portait son « chapeau de grand-père » lorsqu’il a donné son conseil à cette grand-mère avec l’espoir qu’elle puisse témoigner de l’amour de Dieu envers son petit-fils.

« Je ne pensais qu’à une chose : comment aider cette grand-mère ? », dit Begg, précisant qu’il ne voulait pas qu’elle perde son petit-fils.

Dans des circonstances différentes et à une personne différente, a-t-il ajouté, il aurait peut-être prodigué un conseil différent. Mais il n’a pas l’intention de se repentir de ses conseils, quoi qu’il arrive sur les réseaux sociaux.

Begg, en définitive, se dit heureux que ce soient les conseils qu’il avait donnés à cette grand-mère qui soient devenus viraux, plutôt d’autres de ses sermons concernant la sexualité.

« Parce que si je dois trébucher d’un côté ou de l’autre, je trébucherai de ce côté-là », a-t-il souligné. « Je trébucherai du côté de la compassion. »

Traduit par Anne Haumont

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Les yeux fixés sur le prix du service fidèle

Cinquième dimanche du carême – Une ferme discipline nous prépare à la récompense.

Christianity Today February 12, 2024
Intersection, par Curtis Newkirk. Acrylique sur panneau de bois. 24 x 24″. 2021.

Tous les athlètes à l’entraînement s’imposent une discipline sévère. Ils le font pour gagner une couronne qui se fane vite ; mais nous, nous le faisons pour gagner une couronne qui ne se fanera jamais. (1 Corinthiens 9.25 – NFC)

Lecture proposée : 1 Corinthiens 9.24-27

La ville de Corinthe était l’hôte des Jeux isthmiques. Organisés tous les deux ans (et non tous les quatre ans, comme les Jeux olympiques), ils célébraient Poséidon, le dieu de la mer. Les athlètes s’entraînaient pendant des mois pour se préparer à la compétition et pouvoir accomplir leurs prouesses devant un public avide d’exploits.

Lorsque l’apôtre Paul met l’église de Corinthe au défi de « courir de manière à remporter le prix » (1 Co 9.24), il utilise une image familière pour eux : celle de l’athlète. Celui-ci s’entraîne « pour obtenir une couronne qui va se détruire », écrit Paul. « Mais nous, c’est pour une couronne indestructible. » (v. 25) Paul exhorte ses lecteurs à considérer leur vie chrétienne comme un accomplissement sportif : s’entraîner, courir, se battre et bien finir.

Nous aimons souligner la réalité du salut comme cadeau. Un cadeau et un prix sont deux choses bien différentes. Un don est offert gratuitement ; un prix se mérite et se gagne. Le prix auquel Paul fait référence en 1 Corinthiens 9 n’est pas le salut, mais la récompense des œuvres que nous accomplissons en tant que peuple de Dieu sauvé. La façon dont nous vivons notre salut sur terre a des répercussions réelles, à la fois dans le présent et dans l’éternité. Plus tôt dans sa lettre à l’église de Corinthe, Paul l’exprime par la métaphore de la construction d’une maison :

« personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, à savoir Jésus-Christ. Que l’on construise sur ce fondement avec de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, du bois, du foin ou de la paille, l’œuvre de chacun sera dévoilée : le jour du jugement la fera connaître, car elle se révélera dans le feu et l’épreuve du feu indiquera ce que vaut l’œuvre de chacun. » (1 Co 3.11-13)

Toute personne qui suit le Christ reçoit le don gratuit du salut par la grâce de Dieu (Ep 2.8). La façon dont nous bâtissons à partir de ce don constituera la mise en œuvre de notre salut (Ph 2.12). Si nous construisons avec du foin et de la paille — des choses sans valeur et temporaires — notre vécu de foi ici-bas n’aura pas grand-chose à mettre en avant. Mais lorsque nous construisons avec l’or, l’argent et les joyaux coûteux d’une vie chrétienne mûre, de bonnes œuvres accomplies pour ce monde, la qualité de notre œuvre sera finalement révélée.

Pour construire de cette manière, nous devons être forts. Comme un athlète qui s’entraîne pour les jeux, nous devons discipliner notre corps et le garder sous contrôle (1 Co 27), non pas par légalisme, par honte ou par peur, mais par amour pour le Dieu qui nous a sauvés. La discipline — vivre une vie intégrant certaines limites — apporte la liberté. En disant non aux impulsions malsaines et en écoutant l’Esprit saint, nous sommes libérés pour développer des relations plus profondes, une meilleure santé, une foi plus forte et un témoignage plus parlant. Une vie disciplinée n’est pas sans but, mais recentrée. Nous avons fixé nos yeux sur le prix que représentera le « C’est bien, bon et fidèle serviteur » (Mt 25.21) de notre maître et pouvons courir en gardant à l’esprit le désir de son approbation.

Nous ne choisissons pas la discipline pour mériter le salut, nous la choisissons parce que nous sommes sauvés. Parce que nous sommes en Christ, une nouvelle création, nous devons choisir de dire « non » à certaines choses et de dire « oui » à ce qui est meilleur — en matière de gestion du temps, de repos, de connexion, de discipulat, de santé ou encore de croissance. La saison du carême peut nous permettre de dire un « non » temporaire à certaines choses afin de faire l’expérience d’un « oui » à Dieu beaucoup plus profond et plus satisfaisant. Tout domaine dans lequel nous apprenons à retarder notre satisfaction par amour pour Dieu (et non par légalisme) nous conduit à une expérience plus profonde de son affection et de la force d’une vie guidée par l’Esprit.

La couronne des Jeux isthmiques était en pin. Dans la culture grecque et romaine, le pin représentait la vie éternelle. Pourtant, la couronne reçue par l’athlète vainqueur se décomposait en quelques semaines. Ces couronnes ne duraient pas, mais notre prix durera toujours (1 Co 9.24-25). La récompense que nous recevons pour une vie chrétienne fidèle et disciplinée est éternelle et immuable. Les chemins que nous parcourons pour faire fructifier notre salut sont vus et honorés par notre Dieu, et lorsque nous nous trouvons face à lui, nous pouvons savoir que chaque effort invisible, chaque épreuve durement endurée, chaque renoncement douloureux en valait la peine. Puissions-nous dire avec Paul : « J’ai combattu le bon combat, j’ai terminé la course, j’ai gardé la foi. » (2 Tm 4.7)

À méditer



Comment la période du carême peut-elle être le moment de certains « non » temporaires pour un « oui » plus profond à Dieu ?

Comment Paul utilise-t-il la métaphore de l’athlète pour transmettre une vérité spirituelle plus profonde ? Auriez-vous dans votre propre vie des exemples de ces réalités ?

Phylicia Masonheimer est la fondatrice de Every Woman a Theologian, l’autrice de deux livres et l’animatrice du podcast Verity.

Cet article fait partie de Pâques au quotidien, notre série de méditations pour vous accompagner personnellement, en petit groupe ou en famille durant le carême et les fêtes de Pâques 2024.

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Pourquoi les tempêtes sont-elles nécessaires à la survie ?

Quatrième dimanche du carême – Le carême nous aide à voir les épreuves de la vie d’une manière nouvelle.

Christianity Today February 12, 2024
The Storm, par Joel Sheesley. 40 x 50″. 2002.

Mes frères et sœurs, considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous pouvez être exposés, sachant que la mise à l’épreuve de votre foi produit la persévérance. (Jacques 1.2-3)

Lecture proposée : Jacques 1.2-4

« Tu as failli mourir, petit frère. »

Il avait à peine prononcé ces mots que mon frère aîné s’affaissait sur une chaise à côté de mon lit d’hôpital.

J’avais souffert pendant des jours après qu’une intervention chirurgicale relativement banale se soit transformée en une épuisante infection postopératoire de tout le corps. Mon frère, chirurgien généraliste, n’était pas du genre à mâcher ses mots. Son épuisement montrait bien qu’il n’exagérait pas.

Il avait passé des jours à étudier mes dossiers médicaux, demandant test sur test dans une quête désespérée pour diagnostiquer la bactérie qui essayait de me tuer. Bien que son humeur du moment ait été résolument maussade, c’est lui qui m’avait sauvé la vie grâce à une dernière intervention chirurgicale corrective. « Tu vas t’en sortir, mon frère. Tu vas t’en sortir. »

Ce soir-là, alors que j’étais allongé sur mon lit d’hôpital, un orage s’est abattu sur la ville. Le bruit apaisant de la pluie m’a tiré de mon lit pour la première fois depuis des jours, et je me suis traîné comme un vieillard jusqu’à une chaise près de la fenêtre, écoutant les gouttes de pluie tomber puis couler en petits ruisseaux sur le rebord de la fenêtre. En fermant les yeux, j’ai réfléchi au mystère des épreuves, tandis qu’un verset de la Bible résonnait dans ma tête :

« Mes frères et sœurs, considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous pouvez être exposés, sachant que la mise à l’épreuve de votre foi produit la persévérance. Mais il faut que la persévérance accomplisse parfaitement sa tâche afin que vous soyez parfaitement qualifiés, sans défaut, et qu’il ne vous manque rien. » (Jc1.2-4)

Pour moi, ce passage a souvent résonné comme une aspiration sadique à la souffrance. Pour quelqu’un qui a passé une grande partie de sa vie à vouloir éviter l’inconfort, l’idée de joie dans la lutte a quelque chose de blasphématoire. Le fait d’être croyant ne conduit-il pas à la bénédiction ? Comment la douleur et la souffrance des épreuves pourraient-elles être considérées comme « un sujet de joie complète » ?

Dans les années 1980, un centre de recherche appelé Biosphère II a construit un écosystème fermé pour tester ce qui serait nécessaire pour coloniser l’espace. Tout a été soigneusement choisi et prévu, et les arbres plantés à l’intérieur ont poussé et ont semblé prospérer. Puis ils ont commencé à tomber.

J’imagine que les botanistes ont dû observer la chose avec étonnement, ne trouvant aucune trace de maladie, d’acarien ou d’autre parasite. Il n’y avait rien pour faire chuter les arbres. Les conditions étaient parfaites. C’est alors qu’ils se sont rendu compte de ce qui manquait, quelque chose de très simple et pourtant absent de la structure qu’ils avaient mise en place : le vent.

L’air était trop calme, trop serein, une facilité qui garantissait que les arbres étaient condamnés. Ce sont la pression et les variations du vent naturel qui permettent aux arbres de se renforcer et à leurs racines de se développer. Bien que les arbres de Biosphère II aient eu tout le soleil, la terre et l’eau dont ils avaient besoin, en l’absence de vents changeants, ils ne développaient aucune résilience et finissaient par tomber sous le poids de leur propre abondance.

Se pourrait-il que ce soient nos difficultés, plus que nos joies, qui nous rapprochent de Dieu ? Elles nous rappellent notre désespoir et nous ramènent à la seule source de vie abondante. Romains 5.3-5 nous encourage ainsi :

Bien plus, nous sommes fiers même de nos détresses, sachant que la détresse produit la persévérance, la persévérance la victoire dans l’épreuve, et la victoire dans l’épreuve l’espérance. Or cette espérance ne trompe pas, parce que l’amour de Dieu est déversé dans notre cœur par le Saint-Esprit qui nous a été donné.

J’ai passé la plus grande partie de cette nuit près de la fenêtre tandis que la pluie continuait à tomber. Alors que mon corps se remettait lentement, j’ai ressenti la paix de Dieu comme une étreinte chaleureuse, me rappelant qu’il avait été avec moi à chaque étape de mon voyage aux portes de la mort, guidant les mains de mon frère alors qu’il me sauvait la vie, remplissant cette chambre d’hôpital de son Esprit.

Pendant que nous traversons cette période de carême avec nos diverses luttes, puissions-nous commencer à voir les épreuves et les tempêtes d’une nouvelle manière. Même si la douleur continue naturellement à nous rebuter, nous pouvons voir la main de Dieu lorsque les vents de l’épreuve s’abattent sur nous, et nous pourrons nous consoler en constatant que nos racines sont de plus en plus profondes.

À méditer



Il est souvent difficile de percevoir les épreuves de manière positive lorsque nous les subissons. En réfléchissant à votre vie, comment les expériences difficiles que vous avez vécues vous ont-elles transformé pour le mieux ? Qu’avez-vous appris ?

Dans vos moments les plus sombres, qu’est-ce que Dieu vous a appris sur lui-même ? Comment vous a-t-il réconforté et aidé ? Y a-t-il quelqu’un autour de vie, qu’il s’agisse d’un ami ou d’un membre de votre famille, que vous pourriez encourager aujourd’hui en partageant votre histoire ?

Robert L. Fuller est écrivain et cinéaste. Il vit à Waco, au Texas, avec sa femme et ses trois enfants adolescents. Il est l’auteur d’un roman de science-fiction pour adolescents à paraître.

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À travers une saison sans réponses

Troisième dimanche du carême – Apprendre à vivre d’une espérance sereine au milieu du chagrin

Christianity Today February 12, 2024
Evening Romance par Cherith Lundin. Huile sur panneau. 30 x 48″. 2010.

L’Éternel a de la bonté pour celui qui compte sur lui, pour celui qui le recherche. Il est bon d’attendre en silence le secours de l’Éternel. (Lamentations 3.25-26)

Lecture proposée : Lamentations 3.22-26

Cette année, je tente d’apprendre à vivre d’une espérance sereine. Ma fille de huit ans est atteinte du syndrome de Down. Son parcours déjà sinueux a pris un tournant inattendu à l’âge de six mois, lorsqu’une tempête incessante de crises d’épilepsie a semé le chaos dans son cerveau et son corps. Les handicaps et les retards laissés par ces crises ont touché tous les aspects de sa vie.

Au fur et à mesure que mon mari et moi avancions dans les diagnostics, le voyage de notre famille s’est transformé en un pèlerinage lent et constant vers l’inconnu. Semaine après semaine, nous nous sommes installés sur la table de kinésithérapie avec notre fille, espérant que ses muscles sortent de leur sommeil, priant pour que l’électricité statique dans son cerveau s’apaise. Au milieu de ses luttes, nous entendions des questions d’amis et de membres de la famille bien intentionnés qui nous demandaient quand elle ferait ses premiers pas ou prononcerait ses premiers mots. Nous n’avions pas de réponses.

Les progrès ont été terriblement lents et nos efforts ont parfois été perçus comme une cause perdue. Pendant la pandémie, nous sommes passés à des séances de thérapie virtuelle et nous nous sommes accrochés à l’écran de notre ordinateur qui préservait l’espoir d’un meilleur développement de notre fille. Alors que l’isolement s’aggravait et que nos cœurs devenaient lourds d’incertitude, j’ai atteint un point où cet espoir me semblait aussi fragile que le corps de ma fille, prêt à s’abîmer au moindre contact. Mon mari a persévéré alors que je n’y arrivais pas. Alors que j’avais brusquement refermé l’ordinateur, avec le sentiment que son frémissement d’espoir s’était tu, il a continué à se présenter à ces séances de thérapie virtuelle. Il a entretenu cette lueur d’espérance même lorsque j’avais presque sombré dans le désespoir.

Le temps passant et le monde sortant de son sommeil, nous avons repris nos pèlerinages hebdomadaires vers les hôpitaux et les cliniques, garant notre monospace encombré sur les places réservées aux personnes handicapées. Aujourd’hui, notre fille est en deuxième année, toujours incapable de se lever seule, mais capable de prendre appui sur ses pieds avec l’aide d’une main secourable ou d’un déambulateur. Avec un peu d’aide et d’assurance, elle s’avance, l’espoir s’épanouissant au rythme de ses pas.

Des amis, des membres de la famille et même des connaissances ont fait des rêves récurrents où elle marchait. La première fois que j’ai fait ce rêve, je me suis réveillée en me sentant stupide d’avoir imaginé quelque chose d’aussi audacieux. Ce tendre espoir se heurtait aux couches d’autoprotection que je m’étais bâties. Pourtant, les remparts que j’ai soigneusement entretenus pendant si longtemps sont récemment tombés : je tenais les mains de ma fille debout devant moi, se balançant au rythme du groupe de louange. Pendant que nous chantions, elle s’est propulsée en avant, m’entraînant derrière ses jambières et ses baskets roses et se dirigeant de plus en plus vite vers l’avant du sanctuaire. Je l’ai prise dans mes bras et j’ai alors pu voir quelque chose je n’avais pas vu auparavant : cette profonde vérité qu’elle voulait se précipiter dans les bras aimants du Sauveur qui se soucie d’elle.

Celui qui comprend les abîmes de notre humanité — qui connaît bien nos os fatigués et nos cœurs endoloris — l’appelle sa bien-aimée, la chérit et, par un mystérieux retournement, me chérit aussi , moi, la sceptique, la cynique, la mère qui, parfois, ne peut que murmurer le mot « espoir ».

Dieu ne rejette pas les désirs que nous chérissons dans les coins tranquilles de nos cœurs. Le Dieu qui a parlé à Élie dans le silence et la tempête prend soin de nos fragiles espoirs et, comme nous le voyons dans Lamentations 3, qualifie de bonnes notre patience et notre persévérance.

Je ne sais pas si ma fille courra en toute liberté de ce côté-ci du ciel, mais je sais ceci : le Seigneur est bon pour ceux qui espèrent en lui (v. 25). Le carême nous invite à contempler notre fragilité. Rappelez-vous en cette période de méditation, alors que nous habitons encore ce monde fatigué, que même l’attente de notre espérance est un cadeau précieux. Lorsque vous ne voyez que des prières sans réponse, ne méprisez pas les signes d’espérance au long du chemin.

Lorsque vous vous demanderez si vos appels à l’aide, même les plus faibles, ne servent à rien, rappelez-vous ceci : « Il est bon d’espérer tranquillement, d’espérer tranquillement le secours de Dieu » (Lm 3.25-26, d’après The Message). Que nos cœurs soient remplis d’une espérance tranquille, comme un don sacré. Que les faibles échos de cette espérance nous soutiennent alors que nous faisons avec Dieu nos pas hésitants et chancelants dans l’attente, l’obscurité et l’inconnu.

À méditer



Quand l’espérance s’est-elle réduite à un simple murmure dans votre vie ? Que s’est-il passé ?

Comment votre définition de l’espérance change-t-elle lorsque vous considérez non seulement la divinité, mais aussi l’humanité de Jésus ?

Kayla Craig est autrice et fondatrice de Liturgies for Parents. Elle vit dans l’Iowa avec son mari et ses quatre enfants.

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Rester calme au milieu de la bataille

Deuxième dimanche du carême – Les enjeux sont tels,comment pouvons-nous suivre les instructions du psalmiste ?

Christianity Today February 12, 2024
Hometown Hills par Caroline Greb. Huile sur panneau. 5x7’’. 2021.

« Arrêtez ! dit-il, reconnaissez-moi pour Dieu. Je serai glorifié par les peuples, je serai glorifié sur la terre. » (Psaume 46.11 – BDS)

Lecture proposée : Psaume 46.7-11

L’été dernier, par une nuit humide, je me suis retrouvée assise dans l’obscurité sous mon porche à regarder fixement un étrange cactus en pot. Cet Epiphyllum oxypetalum, souvent appelé « belle de nuit », m’a été offert par un vieil ami jardinier. Il m’a promis qu’il produirait des fleurs nocturnes aussi spectaculaires qu’éphémères. « Et il est très facile à entretenir », a-t-il assuré. « J’ai sept ou huit fleurs à la fois sur mon autre plant. » Et pourtant, cinq ans plus tard, je n’avais vu qu’une seule fleur fanée, pendant entre les tiges aplaties comme un ballon dégonflé. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. J’ai arrosé le cactus régulièrement, mais pas trop souvent. J’ai ajusté sa position pour qu’il soit exposé à la lumière indirecte du soleil. J’ai fertilisé et j’ai taillé. Je l’ai rentré fidèlement à l’intérieur avant que les températures extérieures ne chutent. Ses tiges tentaculaires poussent rapidement dans toutes les directions. Mais les bourgeons promis pour la fin de l’été ne sont jamais apparus.

Puis, au printemps dernier, alors que ma famille se débattait dans une vague de pertes traumatisantes, j’ai délaissé la plante sur le coin du porche d’entrée et je me suis tournée vers d’autres besoins plus urgents. En cette soirée de fin d’été, c’est donc à ma grande surprise que j’ai trouvé deux bourgeons gonflés, enveloppés de sépales roses et courbés et prêts à fleurir.

L’appel du Psaume 46.11, « Arrêtez, et sachez que je suis Dieu ! » (NBS), est devenu un refrain populaire. Autour de moi, je peux le voir sur des autocollants de pare-chocs, des panneaux lettrés à la main et toutes sortes de contenus prêts à partager sur les médias sociaux. Nous l’invoquons pour nous encourager à ralentir notre rythme effréné et à faire confiance à Dieu pour prendre soin de nous. Mais la traduction de la TOB offre une perspective légèrement différente : « Lâchez les armes ! reconnaissez que je suis Dieu ! ».

Le Psaume 46 commence par décrire un contexte de bouleversement cataclysmique. Déclarant que Dieu est notre refuge, notre force et notre aide, le psalmiste s’en tient à cette vérité même « quand la terre est bouleversée, quand les montagnes sont ébranlées au cœur des mers et que les flots de la mer mugissent, écument, se soulèvent jusqu’à faire trembler les montagnes » (v. 3-4). Le texte présente des images de destructions et de conflits violents à l’échelle mondiale, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles ou de chaos politique.

Dans la troisième et dernière partie du psaume, le psalmiste décrit l’intervention de Dieu en utilisant des images guerrières : « C’est lui qui a fait cesser les combats jusqu’aux extrémités de la terre ; il a brisé l’arc et rompu la lance, il a détruit par le feu les chars de guerre. » (v. 10) Au vu de l’ensemble du psaume, il semble que le verset 11 ne nous dise pas simplement de faire une pause dans l’agitation de notre vie. Il s’agit plutôt d’une injonction contre-intuitive à cesser de lutter désespérément pour notre propre sécurité et notre survie.

L’année dernière, le monde de ma famille a effectivement donné l’impression de basculer dans les profondeurs de la mer. Tout dans nos vies a été bouleversé par la mort soudaine de deux jeunes amis et les conséquences de ce traumatisme. Chaque jour, j’ai lutté désespérément pour trouver la sécurité et pour protéger mes enfants des ténèbres qui menaçaient de les engloutir. Je tremblais, j’étais en colère et je sentais que j’avais besoin d’un refuge. Avec de tels enjeux, comment pouvais-je suivre l’injonction du psalmiste et lâcher les armes ? Pourtant, le Psaume 46.11 souligne que le milieu d’une bataille est précisément le moment de se tenir tranquille. Le commandement s’accompagne d’un appel à la contemplation : « Sachez que je suis Dieu ! »

Dieu ne s’engage pas à éloigner de nous les tragédies et les épreuves — si c’était le cas, nous n’aurions pas besoin d’une forteresse. Au contraire, il s’engage à être le donjon qui nous garde en sécurité au milieu des batailles enflammées et des eaux déchaînées. Forts de cette assurance, nous n’avons plus besoin de nous battre seuls.

Le carême ne nie pas les réalités qui nous brisent le cœur, nous fatiguent les os et nous oppressent la poitrine. Cette période nous appelle à cesser notre lutte, non pas parce que nous abandonnons, mais parce que nous choisissons de rendre témoignage à la promesse que Dieu fait à ses enfants.

En cette moite nuit d’été, je me suis assise tranquillement et j’ai regardé les sépales rougeâtres du cactus s’enrouler en arc de cercle, puis s’étirer comme des rayons de soleil autour des pétales souples qui se déployaient. Dans l’obscurité, ses fleurs pâles brillaient comme des étoiles, me guidant vers le Dieu qui me dit « Sois tranquille ».

À méditer



Dans quels contextes avez-vous déjà entendu le Psaume 46.10 et son appel à « rester tranquille » ? En quoi la traduction de la TOB — « lâchez les armes » — modifie-t-elle votre compréhension de ce verset ?

Quel est le domaine de votre vie où vous avez l’impression de vous battre ? À quoi ressemblerait le fait de cesser de lutter seul ? Quelles sont les promesses de Dieu qui pourraient vous inciter à plus de tranquillité ?

Elissa Yukiko Weichbrodt est autrice et professeure associée d’art et d’histoire de l’art au Covenant College de Lookout Mountain, dans l’État américain de Géorgie.

Cet article fait partie de Pâques au quotidien, notre série de méditations pour vous accompagner personnellement, en petit groupe ou en famille durant le carême et les fêtes de Pâques 2024.

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Un chemin pour des cœurs hardis

Premier dimanche du carême – Le prix de la Croix dans un monde passionné de plaisir

Christianity Today February 11, 2024
Table Assemblage par Michelle Chun. Huile sur toile, 60x50’’. 2020-2021.

Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive ! » (Matthieu 16.24)

Lecture proposée : Matthieu 16.24-27

Dans une des paroles les plus saisissantes de l’Écriture, le Christ dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive ! » (Mt 16.24) À ce stade du récit de la Passion, les disciples ne connaissent pas encore la force de ces paroles de Jésus. Ils comprenaient certes ce qu’était une croix et connaissaient les horreurs de la crucifixion, mais ils ne savaient pas encore que le Christ lui-même mourrait sur cet instrument de torture romain ni les diverses formes de souffrance auxquelles ils seraient eux-mêmes confrontés.

Au cœur du christianisme se trouve l’impératif de renoncer à nous-mêmes. Dans une culture qui tourne autour de l’affirmation de soi, il devient naturellement de plus en plus difficile de bien faire comprendre cet aspect de notre foi. L’idée que nous nous reniions nous-mêmes comme un acte de spiritualité est aujourd’hui contre-intuitive. Dans son livre L’âge séculier, Charles Taylor aborde le défi du renoncement à soi-même à l’ère moderne : « Pour de nombreuses personnes aujourd’hui, mettre de côté leur propre chemin pour se conformer à une autorité extérieure ne semble pas être une forme de vie spirituelle intelligible. »

Le renoncement à soi n’est pas seulement difficile. À notre époque, où l’épanouissement personnel est la pierre angulaire d’une vie réussie, il paraît incompréhensible. Pourtant, notre foi ne nous demande pas de négliger l’épanouissement personnel : elle en redéfinit simplement les termes. Selon le récit biblique, nous avons en fait été créés pour renoncer à nous-mêmes, et c’est en le faisant que nous devenons pleinement ce que nous sommes.

Le monde définit l’épanouissement comme quelque chose qui se développe à partir de la sincérité du cœur de l’individu, sans aucune contrainte extérieure. Le christianisme enseigne que nos cœurs sont méchants et peu fiables, que nous désirons des choses qui ne sont pas seulement mauvaises selon quelque principe externe, mais mauvaises pour nous.

Jésus enseigne ce paradoxe selon lequel le renoncement à soi est accomplissement de soi (Mt 16.25). Ce qui fait la différence, c’est que le « moi » qui s’accomplit est défini par Dieu, et non par nos caprices humains. Ce que nous sommes (enfants de Dieu) et ce que signifie une vie accomplie (l’union avec le Christ) ne dépendent pas de nous. Être avec le Christ, c’est être dégagé de nos désirs égoïstes.

Que signifie donc concrètement le renoncement à soi-même ? Il consiste à nous détourner du péché. Tout péché revient à choisir notre propre voie contre la volonté de Dieu pour nous. C’est une forme d’affirmation perverse du moi qui fait passer ses désirs avant le bien de son prochain et même avant Dieu.

L’obéissance est une croix que nous portons ; il y a là une forme de souffrance, même s’il s’agit d’une souffrance qui apporte la guérison, la paix et la restauration. Nous aimons imaginer que l’obéissance à Dieu se ferait sans douleur, sauf peut-être en cas de persécution. Mais même lorsque le monde ne nous sanctionne pas pour notre foi, le simple fait de choisir de ne pas pécher implique de la souffrance. Dans le cas de péchés persistants et profondément enracinés, la repentance exige que l’on s’extirpe des mauvaises habitudes, que l’on rompe avec les rituels familiers, que l’on s’arrache à la désobéissance. Et cela peut faire mal.

Par exemple (et nous ne le reconnaissons pas assez), choisir d’être fidèle dans le mariage exige que nous nous privions du plaisir de l’intimité avec d’autres personnes. Pour certaines personnes la chose semble facile, mais pour d’autres, cela peut être un réel défi. Après tout, le monde est rempli de personnes belles, intéressantes et charmantes. Le « oui » que l’on dit à son conjoint est aussi renoncement à tous les autres. Pour le vivre pleinement, je me prive de la possibilité d’être avec quelqu’un d’autre.

En cette période de carême, nous nous souvenons que cette forme de renoncement est un modèle pour la vie chrétienne. Alors que le monde nous rappelle constamment à quel point ses plaisirs sont délicieux — à quel point nous les « méritons » et pourquoi honorer nos désirs reviendrait à nous aimer nous-mêmes — nous nous engageons au contraire à marcher selon le Christ. L’avarice, l’orgueil, l’envie, la luxure, la gourmandise : tous ces péchés dont les plaisirs nous aguichent, notre suivance du Christ nous oblige à les renier. Ces plaisirs nous nuisent, mais au départ, comme le pain mangé en cachette, ils sont agréables (Pr 9.17).

La voie chrétienne nécessite un cœur hardi. Elle exige beaucoup de courage, d’humilité et d’abnégation. Mais nous avons un Sauveur fidèle qui nous a montré le chemin, qui connaît le coût du renoncement et la beauté de la fidélité. Et la fidélité est belle. Le même Christ qui a souffert sur la croix a été glorifié dans son corps. De même, lorsque nous renonçons à nous-mêmes, nous sommes glorifiés aux yeux de Dieu. Nous recevons une paix qui ne peut venir que du renoncement à nos désirs pécheurs et de la jouissance de Dieu.

À méditer



Comment le christianisme redéfinit-il l’épanouissement par rapport à la vision séculière de l’épanouissement personnel ?

Pendant ce carême, quels sont les défis spécifiques qui pourraient se trouver devant vous en matière de renoncement ? Comment pourriez-vous les aborder avec courage ?

O. Alan Noble est professeur agrégé d’anglais à l’Université baptiste de l’Oklahoma, conseiller de Christ and Pop Culture et auteur de trois livres.

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La vie comme une fleur qui fane

Le mercredi des Cendres brise nos illusions d’invincibilité.

Christianity Today February 11, 2024
Poppies & Dogwood par Elizabeth Bowman. Huile sur toile. 2023.

L’être humain né de la femme ! Sa vie est courte, mais pleine d’agitation. Il pousse comme une fleur, puis il se flétrit ; il s’enfuit comme une ombre, sans résister. (Job 14.1-2)

Lecture proposée : Job 14.1-6

Chaque année, aux alentours du mercredi des Cendres, une colline située près de notre maison dans les montagnes de l’ouest de la Caroline du Nord se couvre du jaune des jonquilles naissantes. Ces fleurs sont les premières à fleurir au printemps et leur teinte dorée contraste vivement avec les gris et les bruns de l’hiver encore bien présent.

Aussi brillantes que soient ces fleurs, elles sont éphémères. Dans les jours qui suivent leur émergence, ces jonquilles sont balayées par le froid rigoureux de la montagne qui persiste toujours plus longtemps qu’on ne l’espère. Une gelée tardive ou une chute de neige s’accrochera inévitablement aux pétales frémissants, coupant court à leurs élans de beauté. Au bout de quelques semaines, les fleurs qui restent se flétrissent et brunissent, tombant finalement sur la terre durcie par la glace et frustrant notre optimisme quant à l’arrivée prochaine de jours plus chauds.

Il n’est pas étonnant que Job, un homme dont la souffrance occupe une place importante dans le récit biblique, ait comparé la fragilité de sa vie éphémère à celle d’une fleur délicate. Même s’il possédait des richesses extraordinaires, même s’il comptait parmi les justes, il était vulnérable. Il était droit, avisé, et tout aussi susceptible que n’importe qui d’autre de subir des catastrophes. Ses biens ont été détruits par le feu et les pillards, ses enfants ont été tués dans une catastrophe naturelle et sa bonne santé s’est évanouie dans une douloureuse maladie. À la suite de ces catastrophes, Job a pleinement réalisé ce qui est atrocement vrai pour chacun d’entre nous : nos jours sont balayés par le vent, éphémères, vécus dans le sillage de la rupture avec Dieu.

Les privilégiés que sont beaucoup d’entre nous ont souvent l’impression de contrôler la situation. Dans mon pays, notre génération dispose d’un accès sans précédent à la nourriture, à l’eau, à un toit et aux soins médicaux. Notre capacité à choisir ce que nous ferons comme travail, qui nous épouserons, quelles communautés nous rejoindrons est sans précédent dans l’histoire.

Parallèlement, l’industrie du bien-être et du développement personnel nous a inculqué l’idée que nous sommes en mesure de contourner toute sensation ou expérience inconfortable. L’épuisement peut être atténué par la bonne recette de smoothie ou le bon mélange d’huiles essentielles, le chaos peut être contrôlé par la bonne application de gestion du temps, la tristesse peut être apaisée par la pleine conscience ou la méditation, et l’ennui peut être atténué par un service de vidéos en ligne ou une plateforme de réseaux sociaux.

En outre, en tant que chrétiens, nous pourrions être tentés de croire qu’une théologie solide et un engagement constant dans les disciplines spirituelles pourront nous servir de rempart contre les chocs de la vie. Les amis de Job pourraient bien avoir supposé la même chose à propos de leur juste compagnon.

Peu à peu, le mensonge s’installe : Je peux contrôler mes résultats. Je peux éviter la souffrance.

Cette illusion d’invincibilité explique pourquoi tant d’entre nous se sentent déboussolés — voire lésés — lorsque les difficultés surviennent inévitablement. C’est une leçon d’humilité que de réaliser que la souffrance et la mort font partie de notre condition humaine, quels que soient nos vertus, notre vigilance ou nos privilèges. Nos vies ressemblent moins à des forteresses bien construites qu’à des fleurs éphémères. Nous sommes tous douloureusement exposés, aussi vulnérables que ces jonquilles qui éclosent dans le froid brutal.

Jésus nous rappelle une réalité potentiellement troublante : Dieu « fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes » (Mt 5.45). Mais dans le même sermon, Jésus nous dit aussi de ne pas nous inquiéter, de ne pas craindre pour ce que nous mangerons, boirons ou porterons. « Étudiez comment poussent les plus belles fleurs des champs », nous dit-il (6.28).

Les fleurs sont revêtues de leur beauté sans qu’elles y soient pour quoi que ce soit. Elles « ne travaillent pas et ne tissent pas ». Dieu est l’artiste qui veille à leur floraison et à leur fanaison. Et ce même Dieu sait ce dont nous avons besoin. L’humiliation que constitue notre impuissance peut conduire à une forme inattendue de repos, un recul quant à nos efforts pour contrôler nos résultats, un répit de nos propres travaux.

Je vise intentionnellement à me concentrer sur la manière dont ces jonquilles poussent et à admirer leur éclat plutôt que de déplorer la brièveté de leur floraison. Même si la vie de ces fleurs est brève, elles sont une lueur d’espoir, un rappel concret que les saisons changent, que la chaleur revient toujours et que la beauté reste possible même dans les environnements les plus rudes. C’est Dieu, et lui seul, qui fait tout cela.

Il n’y a jamais eu d’hiver où cette colline n’a pas été ainsi ravivée de beauté. Ces jonquilles ressemblent à un miracle, un avant-goût d’une plus grande résurrection à venir. Et sous les soins bienveillants de Dieu, même les espoirs les plus fragiles peuvent s’épanouir en une joie éternelle.

À méditer



En quoi est-il troublant que notre vie soit comparée à celle des fleurs ? En quoi cela peut-il être réconfortant ?

Comment notre illusion de contrôle est-elle amplifiée par les privilèges dont nous bénéficions ?

Comment l’abandon de cette illusion de contrôle peut-il conduire au repos ?

Amanda Held Opelt est autrice, conférencière et compositrice. Elle écrit sur la foi, le deuil et la créativité et a publié deux livres.

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