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Les 3 craintes de Dallas Willard à propos de la formation spirituelle

Pourrions-nous passer à côté de l’essentiel ?

Christianity Today November 16, 2022
Illustration by Xiao Hua Yang

Alors que j’étais encore un jeune homme, j’ai eu le privilège d’être témoin de l’essor d’un mouvement chrétien pour la formation spirituelle au sein des milieux évangéliques.

Celui-ci a commencé dans sa forme moderne en 1978, lorsque Richard Foster écrivit ce qui est devenu depuis l’un des textes de référence à propos des disciplines spirituelles : Éloge de la discipline.

Quelques années après sa publication, des chrétiens qui n’avaient jamais entendu parler de solitude, de silence ou de méditation pratiquaient désormais ces disciplines.

Beaucoup de choses encourageantes se passaient, mais Richard constata que de nombreux chrétiens pratiquaient les disciplines de manière isolée et avaient besoin de plus de conseils. C’est ainsi qu’en 1988 il demanda à Dallas Willard, à moi-même et à quelques autres personnes de se joindre à lui pour fonder un ministère de formation spirituelle appelé Renovaré (du mot latin signifiant « renouveler »).

Dallas, qui fut professeur de philosophie à l’université de Californie du Sud pendant 40 ans, a été l’un des pionniers les plus marquants de ce mouvement de formation spirituelle parmi les évangéliques et les protestants traditionnels. Il était un ami proche de Richard ; en fait, Dallas a été le premier à enseigner à Richard ces disciplines spirituelles, qui, bien sûr, n’avaient rien de nouveau, mais étaient enracinées dans l’Église ancienne.

Au début, nous avons rencontré beaucoup de résistance. Certains évangéliques étaient persuadés que nos enseignements sur la formation spirituelle étaient dangereux et provenaient du diable. Les gens se rassemblaient à l’extérieur de nos petites conférences en tenant des pancartes avec des messages comme « Hérésie New Age : Méfiez-vous ». Mais le mouvement se mettait en place.

Au cours de leurs longues années d’amitié, Richard a encouragé Dallas à écrire sur la formation chrétienne, et Dallas a finalement rédigé de nombreux livres influents, parmi lesquels on trouve notamment The Spirit of the Disciplines, Renovation of the Heart et son opus magnum, The Divine Conspiracy, traduit en 2018 en français sous le titre Le grand complot divin.

De nombreuses autres personnes se sont jointes à des efforts similaires. Les écrits d’Eugene Peterson sont devenus des best-sellers. Les livres des contemplatifs catholiques Thomas Merton et Henri Nouwen étaient repris par les presbytériens et les méthodistes, et même par certains baptistes. James Houston a fourni des fondements académiques depuis sa base du Regent College. En 1992, Dallas a commencé à donner le cours le plus populaire du programme de doctorat en vue du ministère du Fuller Theological Seminary, intitulé « Spiritualité et ministère ». Ce cours est en fait devenu si populaire que Fuller m’a engagé comme assistant d’enseignement de Dallas, tâche que j’ai exercée pendant presque dix ans.

En 2005, nous avons organisé une conférence internationale Renovaré à Denver, à laquelle plus de 2 500 personnes ont participé. Lorsque je suis entré dans l’auditorium, j’ai été bouleversé. Je me suis tourné vers Richard et lui ai dit : « Quelque chose a changé. Nous sommes passés du pilori à la popularité en moins de 20 ans ».

C’était vrai. Quelque chose avait changé. Très vite, de plus en plus de pasteurs et de paroissiens ont lu des livres sur la formation spirituelle. D’autres ministères de ce type ont été mis en place. Les éditeurs chrétiens ont créé des séries de livres et des labels en fonction de ces questions de formation. Les universités et les séminaires ont commencé à proposer des programmes sur le sujet.

J’ai remarqué que même les titres pastoraux ont commencé à changer. Au lieu de « pasteur pour la formation chrétienne » ou même « pasteur pour la formation des disciples », il y avait de plus en plus de postes de « pasteur pour la formation spirituelle » dans le personnel des Églises.

Mais en privé, j’ai remarqué autre chose durant ces décennies : Dallas exprimait de sérieuses inquiétudes quant à l’avenir du mouvement.

Des craintes prophétiques

Au fil des années, jusqu’au décès de Dallas en 2013, j’ai eu plusieurs conversations avec lui sur le développement de ce mouvement pour la formation spirituelle. Dallas m’a dit qu’il était heureux que les gens s’intéressent à la formation spirituelle et que c’était le signe d’un appétit profond et d’un besoin crucial dans l’Église.

Mais il craignait que l’accent ne soit mis sur la pratique des disciplines spirituelles elles-mêmes plutôt que sur ce qu’elles étaient censées faire. Dallas pensait que les choses dériveraient naturellement vers une concentration sur la technique, sur le comment et non le pourquoi des exercices spirituels.

Dallas craignait également que les Églises ne tentent d’utiliser l’intérêt pour la formation spirituelle en tant qu’outil de croissance de l’Église — et que, parce que celle-ci ne mènerait probablement pas à une croissance numérique, les responsables relégueraient la formation à l’un des nombreux départements d’une Église plutôt que de la considérer comme centrale pour leur mission.

Enfin, il craignait que le nombre croissant de ministères de formation spirituelle ne se fassent concurrence — plutôt que de coopérer — afin de promouvoir leur travail et d’assurer leur survie.

J’ai réfléchi à ces préoccupations pendant près de dix ans maintenant, et j’en suis venu à croire que Dallas était prophétique. Aujourd’hui, l’accent est mis sur la pratique des disciplines de manière presque isolée. Presque chaque semaine, je reçois un exemplaire d’un nouveau livre sur la formation spirituelle chrétienne, et presque tous portent sur une pratique particulière, comme le ralentissement, la solitude, le jeûne technologique, l’utilisation de l’Ennéagramme, le journal de gratitude ou la création d’une règle de vie. Ils accordent une grande attention au comment d’une certaine méthode tout en défendant ses avantages apparents, mais ils négligent souvent d’aider les lecteurs à comprendre ou à cultiver le pourquoi plus profond.

Je vois souvent des Églises lutter pour intégrer la formation spirituelle dans la vie de la communauté. Si de nombreuses Églises disposent de cursus de formation et de discipulat, elles ont tendance à se concentrer sur des programmes, des événements ou des groupes isolés au sein de leur Église, plutôt que de considérer la formation spirituelle comme un aspect attendu de la vie chrétienne pour tous.

Et j’ai vu — et expérimenté directement — le genre d’esprit de compétition entre responsables de formation et organisations contre lesquels Dallas avait mis en garde. Je n’ai que rarement vu le genre de coopération que Dallas jugeait nécessaire.

Dans l’une de nos dernières conversations, j’ai demandé à Dallas ce qui serait en jeu si ses craintes devenaient réalité. Sa réponse : « Un manque de transformation à l’image de Christ ».

C’est le cœur du problème : la formation spirituelle chrétienne porte fondamentalement sur la formation — sur le fait d’être formé à l’image du Christ (2 Co 3.18 ; Ga 4.19). En fin de compte, l’accent ne porte pas sur les disciplines, les programmes ou les techniques. La question est la suivante : les gens deviennent-ils plus semblables au Christ ? Et c’était la plus grande préoccupation de Dallas.

Risque n° 1 : Les techniques sans la transformation

Puisque Dallas n’est plus parmi nous, j’ai récemment effectué un tour d’horizon et parlé avec plusieurs de ses plus proches collègues et membres de sa famille de ce que Dallas pourrait dire aujourd’hui concernant le chemin parcouru par le mouvement de formation spirituelle et son avenir. J’ai parlé avec Richard Foster, John Ortberg, Steve Porter, Keith Matthews, l’épouse de Dallas, Jane Willard, et sa fille, Becky Willard Heatley. Les conversations ont été éclairantes et encourageantes, mais non sans certaines mises en garde et inquiétudes.

Pour saisir les craintes de Dallas, il est utile de comprendre son modèle de formation qui visait ce qu’il appelait revêtir « l’esprit du Christ ». Pour Dallas, cela signifiait s’approprier les perspectives de Jésus sur des questions clés telles que le caractère de Dieu le Père, la nature de la personne humaine en tant qu’âme incarnée, et la réalité présente du royaume de Dieu.

Dallas enseignait que les disciplines telles que la prière, la solitude et la mémorisation des Écritures ne sont qu’une partie du processus de formation. La deuxième est l’œuvre du Saint-Esprit, et la troisième consiste à apprendre à voir les épreuves et les événements de la vie à la lumière de la présence et de la puissance de Dieu.

L’une des craintes de Dallas — une chose qu’il a en somme prédite — était que l’intérêt pour la pratique des disciplines, bien qu’essentiel, éclipse les deux autres parties. Comment le savait-il ? Parce que la pratique des disciplines, bien que difficile, offre naturellement une forme de récompense immédiate. Mesurer la croissance spirituelle en soi est difficile ; savoir si l’on a accompli telle ou telle pratique dévotionnelle ne l’est pas. Si je passe cinq minutes en prière ou 15 minutes à lire un livre de méditation, j’aurai l’impression d’avoir fait quelque chose de « spirituel ». Et ces actions peuvent très bien conduire à un sentiment de connexion avec Dieu.

Mais elles peuvent aussi se transformer en pratiques légalistes, ce qui constituait l’échec des pharisiens qui jeûnaient, faisaient l’aumône et priaient pour « être vus » (Mt 6). Le légalisme est une recherche de mérite, qui consiste à penser, par exemple, que j’ai jeûné cette semaine et je peux donc m’attendre à une bénédiction de Dieu. Si je crois que Dieu inflige châtiments et bénédictions en fonction de mes pratiques religieuses, je ne tarderai pas à transformer les disciplines spirituelles en légalisme.

Il y a quelques années, une femme de mon Église pensait qu’elle devait avoir un « temps de silence » quotidien (qui consistait à lire un extrait de son livre de méditation) pour que Dieu bénisse sa vie. Bientôt, elle commença à penser que si elle faisait un temps de silence plus long, elle obtiendrait plus de bénédictions. À un moment donné, elle lisait sept livres de méditation pendant son temps de prière. Je lui ai expliqué que les disciplines ne sont censées faire que deux choses : nous relier à Dieu ou nous aider à briser le pouvoir du péché. Lorsqu’elle a découvert cela, son approche des disciplines a été considérablement modifiée.

Becky Willard Heatley m’a parlé de la crainte de son père que les disciplines spirituelles soient « élevées et séparées » du reste de la transformation. « Il pensait que cela serait dangereux », car les disciplines deviennent alors une forme d’idole — les moyens deviennent des fins. Nous nous concentrons davantage sur les disciplines que sur Dieu, sur le fait de briser l’emprise du péché ou sur le soin de nos âmes incarnées.

Steve Porter, professeur à l’université Biola, qui édite le Journal of Spiritual Formation and Soul Care et était proche de Dallas, pense que son inquiétude concernant l’exaltation et la mise à part des disciplines était que cela laisserait de côté les fondements historiques, scripturaires, théologiques et anthropologiques de ces disciplines.

J’en ai fait l’expérience de première main. J’avais été invité à parler de formation spirituelle dans une grande Église évangélique. Mon hôte était la pasteure pour la formation spirituelle, qui était ravie de me présenter ce qu’elle avait fait dans ce domaine et de me demander des conseils pour aider sa congrégation à se développer spirituellement.

Elle était également impatiente de me montrer le résultat d’un projet d’une année entière : un labyrinthe installé en extérieur. J’ai été surpris, même un peu choqué. Il s’agissait d’une Église évangélique, et les labyrinthes ont souvent fait l’objet d’un examen rigoureux dans de nombreux cercles évangéliques. Et pourtant, il était là, grand et magnifiquement aménagé. La pasteure m’a dit qu’il était très populaire auprès de nombreuses personnes de l’Église.

J’ai posé quelques questions. Pourquoi s’était-elle sentie appelée à créer ce labyrinthe ? Elle m’expliqua que l’expérience du labyrinthe l’avait conduit à une percée dans sa propre foi et qu’elle voulait que d’autres en fassent l’expérience. Elle ressentait une profonde paix intérieure lorsqu’elle marchait dans le labyrinthe.

Avait-elle enseigné aux participants l’histoire chrétienne du labyrinthe et ce qu’il est censé faire ? Elle répondit qu’elle avait créé un dépliant qui expliquait aux participants comment utiliser le labyrinthe.

Qu’espérait-elle en tirer ? Elle expliqua qu’elle essayait de montrer l’importance de la formation spirituelle dans l’Église locale. Elle pensait que si le labyrinthe devenait populaire, cela « validerait » son travail dans l’Église.

Lorsque je considère cet exemple à la lumière de la préoccupation de Dallas, la question profonde n’est pas de savoir si un labyrinthe est une pratique orthodoxe, ou s’il cultive des sentiments de paix intérieure, ou comment le faire correctement, ou encore s’il permet de valider le ministère de formation spirituelle d’un pasteur.

Malgré l’accent mis dans de nombreux ouvrages actuels sur les disciplines spirituelles, ces pratiques n’ont pas pour but de réduire le stress, d’ordonner la routine quotidienne, de mieux comprendre sa personnalité, de vivre des « expériences spirituelles » ou d’obtenir un certain nombre d’autres avantages marginaux qui résultent souvent de ces disciplines. Toutes ces questions sont secondaires par rapport à l’objectif de devenir plus semblable au Christ.

Beaucoup d’entre nous ont laissé les disciplines spirituelles devenir une forme d’idole, détachée de toute compréhension historique, biblique, théologique et anthropologique. Beaucoup d’entre nous ont supposé par inadvertance que ces pratiques allaient nous transformer. Mais les pratiques elles-mêmes sont impuissantes sans Dieu.

Nous devons veiller à ne pas laisser les disciplines éclipser la raison réelle de leur pratique : approfondir notre relation à Dieu et créer un espace pour que la grâce de Dieu puisse agir dans nos vies.

Risque n° 2 : L’ABC sans le D

Une autre crainte exprimée par Dallas concerne l’Église. Il était un fervent partisan de l’Église locale et croyait que l’un de ses rôles principaux était de former des disciples, comme le Christ le demande dans son envoi missionnaire (Mt 28.16-20). Le principe de base de son livre The Great Omission est que beaucoup de nos Églises omettent le cœur même de la mission : « faire des disciples », soit « leur apprendre à obéir à tout ce que je vous ai prescrit ».

Dallas pensait que, dans de nombreuses Églises évangéliques, l’accent était mis sur le fait de « faire des chrétiens », au lieu de faire des disciples. Ces concepts devraient être synonymes, mais ils ne le sont pas. Dallas a souvent fait remarquer qu’aujourd’hui on peut être chrétien (en vertu d’une confession de foi) sans être — ou même avoir l’intention d’être — un disciple. En d’autres termes, on peut être convaincu d’être chrétien parce que l’on adhère à une doctrine (comme « Jésus est ressuscité des morts »), tout en n’ayant aucune intention de faire ce que Jésus a dit de faire (comme « Bénis ceux qui te maudissent », « Aime ton ennemi », et ainsi de suite).

Dallas pensait que ce phénomène était dû à quelque chose de plus profond : les paramètres par lesquels nous avons tendance à mesurer le succès des Églises. Dallas désignait ces mesures communes par l’acronyme ABC : Assistance, Bâtiment, Capital.

Par exemple, une Église de 75 personnes qui se réunit dans un vieux bâtiment et a peu d’argent pour payer du personnel ou des ministères, tend à passer, comme le dit souvent Richard Foster, pour « un échec marginal sur le tableau de score ecclésiastique ». À l’inverse, si nous voyons une Église qui a 5 000 participants par semaine, un ensemble de bâtiments si grand que les personnes doivent être transportées en voiturettes de golf, et de l’argent pour financer d’innombrables ministères, nous sommes prompts à supposer que cette Église est un énorme succès.

Mais Dallas croyait fermement que le « succès » de l’Église (si on peut l’appeler ainsi) ne devait pas être mesuré par l’ABC, mais par le D : le discipulat. Jésus, comme l’aurait fait remarquer Dallas, ne cherchait pas à faire de plus grandes Églises, mais à faire de « plus grands chrétiens ». À cette aune, une Église de 75 personnes qui grandissent dans la foi chrétienne pourrait avoir beaucoup plus de succès qu’une Église de 5 000 personnes qui ne s’engage pas à faire de ses membres des disciples.

Selon Dallas, la formation spirituelle ne doit pas être reléguée à un programme ou à une retraite ; elle est essentielle à la vie collective de nos congrégations.

Dans les Églises qui négligent la formation des disciples, les membres qui parviennent à une vie de foi plus mûre s’isolent souvent. C’est en substance la conclusion d’une étude très discutée réalisée en 2007 par la Willow Creek Community Church. Cette méga-Église avait mis l’accent sur la transformation des personnes en recherche en membres de sa communauté, et cela fonctionnait. Mais lorsque certaines de ces personnes ont commencé à connaître une croissance significative dans leur vie spirituelle, elles ont senti qu’il n’y avait pas de place pour elles.

Ceux qui avaient faim d’une vie plus profonde ont trouvé refuge dans les ministères paraecclésiaux de formation spirituelle : Le Transforming Center de Ruth Haley Barton, l’Institut Rénovaré, la School of Kingdom Living ou encore l’Apprentice Institute. Ces types de ministères sont devenus les communautés par défaut pour de nombreuses personnes qui ne pouvaient expérimenter un engagement significatif dans la formation spirituelle au sein de leur Église locale.

Keith Matthews, professeur de séminaire à la Azusa Pacific University, qui a travaillé aussi étroitement avec Dallas que tous ceux que je connais, m’a dit : « Dallas avait prévu qu’il serait difficile de créer des communautés de foi capables de soutenir une véritable transformation. Il a vu comment, pour la plupart des gens, cela restait essentiellement un effort individuel. Sans les communautés, il est très difficile de poursuivre la croissance. »

Depuis le début de notre travail avec Renovaré, nous avons souvent vu des personnes qui grandissaient dans leur vie spirituelle, mais trouvaient leurs propres Églises peu accueillantes pour leurs efforts, voire hostiles. Un couple qui a participé à tous les ministères que Renovaré avait à offrir et qui a fait l’expérience d’une réelle transformation personnelle a rejoint son Église locale au Texas dans l’espoir de partager cette méthode de formation de disciples avec d’autres. Le pasteur principal leur a dit qu’ils pouvaient organiser un petit groupe, mais qu’il ne soutiendrait pas davantage la chose. Cela a duré une décennie. Puis, lorsque le pasteur principal a lui-même participé à un programme de formation spirituelle, il en est ressorti convaincu que c’était essentiel. Il a encouragé l’ensemble de l’Église à s’impliquer.

Un obstacle à l’intérêt pour la formation spirituelle à l’échelle de l’Église est qu’elle ne conduit souvent pas à une croissance numérique. Dallas savait que si un pasteur se concentrait sur ce type de vie de disciple dans la vie d’une congrégation, cela pourrait en fait conduire à une baisse de la fréquentation — ce que Dallas appelait « une sainte réduction ». La formation de disciples est lente et difficile — un défi dans un monde qui préfère la rapidité et la facilité.

« Il ne serait pas juste de dire que les pasteurs rejettent les efforts de formation spirituelle parce que ceux-ci ne font pas directement augmenter la fréquentation », m’a dit John Ortberg. « Ils les négligent simplement parce qu’ils pensent que cela les éloigne d’autres choses qui, elles, feraient croître la fréquentation de leurs Églises. »

Et si de nombreuses Églises emploient aujourd’hui un « pasteur pour la formation spirituelle », beaucoup d’entre eux n’ont reçu qu’une faible formation en la matière et sur ses fondements historiques et théologiques. Dans l’Église qui a construit le labyrinthe, par exemple, j’ai demandé à la pasteure pour la formation spirituelle où elle avait fait sa propre formation. Elle m’a expliqué qu’elle n’avait pas de formation formelle, mais que la formation spirituelle était sa « passion » et que le pasteur principal l’avait donc nommée à ce poste.

Mon but n’est pas de critiquer cette pasteure ou d’autres pour un manque de formation. Mais les pasteurs bien intentionnés qui n’ont pas une compréhension théologique, historique et anthropologique plus large de la formation spirituelle, comme l’a noté Steve Porter, risquent de finir par incarner la première crainte de Dallas : une concentration sur les disciplines spirituelles à l’exclusion d’une approche plus holistique de la transformation.

Dans Renovation of the Heart, Dallas écrivait : « Je rencontre rarement quelqu’un qui occupe une position de responsabilité au sein du peuple du Christ et qui ne fait pas de son mieux pour servir le Christ de la meilleure façon qu’il ou elle sache le faire — généralement de manière sacrificielle, et souvent avec beaucoup de bons fruits. Mais nous devons comprendre comment nous pouvons faire mieux. »

Risque n° 3 : La concurrence au détriment de la coopération

La dernière préoccupation de Dallas concernait les nombreux ministères de formation spirituelle qui ont émergé au fur et à mesure que le mouvement s’est développé. D’une part, il était vraiment heureux de voir de plus en plus de personnes établir des centres de retraite, des programmes, des instituts et des cursus de formation académiques et non académiques. Mais d’un autre côté, Dallas était parfaitement conscient d’un problème potentiel : il craignait que les responsables de ces ministères considèrent les autres comme des concurrents plus qu’ils ne coopèrent.

Je suis moi-même passé par là. En 2009, j’ai proposé qu’un nouveau programme que j’avais créé soit intégré au ministère global de Renovaré. Mais Richard et d’autres ont estimé qu’il était temps pour moi de quitter le nid, pour ainsi dire, et de créer un programme distinct. Dans le courant de cette année-là, nous avons donc créé l’Apprentice Institute for Christian Spiritual Formation à la Friends University.

Presque immédiatement, j’ai eu le sentiment que tout programme que nous développions et toute ressource que nous créions étaient une menace pour les autres ministères de formation spirituelle. J’étais tenté de considérer ces organisations ou leurs dirigeants comme des rivaux. J’ai fait part de mon inquiétude à Dallas, et il m’a répondu que c’était une préoccupation qu’il avait à propos du mouvement : « Le besoin est si grand que, même si nous nous regroupions, nous aurions du mal à avoir un impact ».

Ce phénomène n’est pas nouveau. La concurrence dans l’Église est monnaie courante depuis l’époque des apôtres : moi je suis pour Paul, moi pour Pierre, moi pour Apollos (1 Co 1.12 ; 3.4). Et Dallas savait que cela était particulièrement vrai non seulement au sein des Églises, mais aussi entre elles.

J’ai un jour invité Dallas à parler à un groupe de pasteurs. Il a proposé de compléter la phrase : « Le travail le plus important d’un pasteur est… ». Puis il a fait une pause et nous avons tous tendu l’oreille, impatients d’entendre la réponse. Il a poursuivi : « Le travail le plus important d’un pasteur est de prier pour le succès des Églises de sa région ».

Ce n’était pas ce que nous attendions. Je pensais qu’il dirait quelque chose comme : « Le travail le plus important d’un pasteur est de mémoriser et de méditer les Écritures » ou « de pratiquer un sabbat régulier ».

Mais Dallas a expliqué que si les pasteurs pouvaient véritablement prier pour le succès des Églises de leur région — des Églises qui auraient instinctivement pu être considérées comme concurrentes — alors le cœur de ces responsables serait vraiment en phase avec le royaume de Dieu. « Après tout », a-t-il dit, « nous faisons tous partie de la même équipe. »

Un esprit de compétition concernant son Église ou son ministère de formation spirituelle peut être un instinct humain très naturel. Mais si nous voulons sérieusement revêtir l’esprit du Christ, il est clair qu’un esprit de compétition n’est pas en phase avec les valeurs de son royaume. Nous faisons partie de la même équipe, et notre transformation à l’image de Christ s’atteste par notre désir de rechercher d’abord le bien du royaume.

Mon ami James Catford, un responsable de longue date de Renovaré, utilise l’analogie du sauvetage de Dunkerque pendant la Seconde Guerre mondiale pour expliquer l’esprit vers lequel Dallas essayait de nous orienter.

À un moment crucial de la guerre, des milliers de soldats britanniques et alliés se sont retrouvés bloqués à Dunkerque, en France, juste de l’autre côté de la Manche. Comme le montre le film éponyme, ces troupes étaient constamment menacées par la Luftwaffe, et il n’y avait pas assez de navires de la marine britannique pour les sauver tous. Le gouvernement a donc demandé à tous les civils britanniques disposant d’un bateau de traverser la Manche pour aller chercher des soldats.

Des bateaux de toutes formes et tailles ont largué les amarres et ramené au pays plus de 338 000 soldats britanniques et alliés. Certains pensent que sans cet effort commun l’Allemagne aurait gagné la guerre.

Parmi ceux qui s’engagent en faveur de la formation spirituelle, si nous devons tenir compte de l’inquiétude de Dallas, alors tous ceux qui ont un « bateau » — une organisation, un programme, un livre, un centre de retraite, un podcast de formation, et ainsi de suite — doivent s’unir dans ce travail profondément nécessaire : la formation de disciples, de personnes véritablement transformées.

Puissions-nous être attentifs au danger de céder à un esprit de compétition ; puissions-nous continuellement et humblement inviter Jésus à garder nos cœurs en phase avec les valeurs du royaume. Nous sommes vraiment tous dans le même bateau.

Il y a peu, j’ai passé une heure en visioconférence avec le nouveau président de Renovaré, Ted Harro, et nous avons discuté du travail de nos deux ministères de formation spirituelle.

« Je n’ai qu’une seule idée en tête, Jim », m’a dit Ted. « Comment pouvons-nous être le meilleur partenaire pour vous aider à faire le travail que vous faites ? »

Je lui ai dit que j’avais exactement le même intérêt en tête. À cet instant, j’ai eu l’impression que, quelque part dans la gloire, Dallas se réjouissait.

James Bryan Smith est titulaire de la chaire Dallas Willard de formation spirituelle chrétienne à l’Université Friends, directeur exécutif de l’Institut Apprentice et auteur de The Good and Beautiful God .

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