Un repas que nous n’oublierons pas de sitôt

Jeudi saint – L’espérance et l’inquiétude inhérentes à la dernière Pâque de Jésus

Christianity Today March 15, 2024
Come to the Table, par Kari Dunham. Huile sur lin. 56 x 83″. 2014.

Le soir venu, il s’y rendit avec les douze. Pendant qu’ils étaient à table et qu’ils mangeaient, Jésus dit : « Je vous le dis en vérité, l’un de vous, qui mange avec moi, me trahira. » (Marc 14.17-18)

Lecture proposée : Marc 14.17-26

Vous souvenez-vous de ce que vous avez mangé hier ? Quoi qu’il en soit, un croissant au petit-déjeuner ou encore un sandwich au déjeuner, la nourriture a probablement simplement servi de transition vers l’activité suivante de votre journée. La plupart des repas sont des obligations sans histoire destinées à remplir nos estomacs. Cependant, certains nous ralentissent et nourrissent nos âmes. Le souvenir d’un repas pris le 20 novembre 1993 me nourrit encore ainsi. La soirée était fraîche et bruineuse, typique de cette période de l’année à Vancouver. À la fin d’une journée soigneusement orchestrée pour optimiser les conditions de ma réussite, j’ai demandé à Toni de m’épouser. Après qu’elle a dit oui, nous avons célébré l’événement avec un délicieux plat de saumon. Le repas nous a donné l’occasion de nous rappeler pourquoi et comment nous sommes tombés amoureux. C’était un moment de résolutions nouvelles, un moment où nous nous sommes fait des promesses.

Dans l’intimité d’une soirée avec des amis chers à son cœur, Jésus a organisé un repas d’une portée éternelle. Le récit de Marc sur le repas du Seigneur se déroule « Le premier jour des pains sans levain, où l’on sacrifiait l’agneau pascal » (Mc 14.12). Le repas de la Pâque commémore la grande libération d’Israël par Dieu de son esclavage en Égypte. Tandis que le peuple de Dieu entretenait ce souvenir, celui-ci se faisait aussi attente, aiguisant un appétit pour la libération de l’oppression romaine. L’acte de sacrifier l’agneau de la Pâque était réitéré chaque année au temple. Sa signification serait bientôt renouvelée lors de la Cène.

L’histoire, cependant, passe de l’attente à l’inquiétude. Jésus interrompt la conversation : « Je vous le dis en vérité, l’un de vous, qui mange avec moi, me trahira. » (v. 18) Les plaisanteries de la table se sont certainement arrêtées net. Cette déclaration brutale subvertit la paix que symbolise un repas pris en commun. Les repas partagés constituaient un moment et un lieu où les alliances étaient ratifiées, où les amitiés s’approfondissaient et où même les ennemis pouvaient déposer leurs armes. Si toute trahison est dramatique, une trahison dans le contexte d’une telle hospitalité aurait été épouvantable.

Pendant que les disciples digéraient ses paroles, « Jésus prit du pain et, après avoir prononcé la prière de bénédiction, il le rompit et le leur donna en disant : “Prenez, ceci est mon corps.” Il prit ensuite une coupe et, après avoir remercié Dieu, il la leur donna et ils en burent tous. Il leur dit : “Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est versé pour beaucoup.” » (v. 22-24)

En règle générale, la bénédiction et la fraction du pain auraient simplement ouvert la voie au plat suivant du repas, à la manière d’une prière de reconnaissance et du passage d’une corbeille de pain. Cependant, les paroles du Christ dans le contexte de ce repas de la Pâque plein d’attente rédemptrice et d’inquiétude personnelle ont ritualisé quelque chose d’essentiel à propos de Dieu, à la fois pour les disciples à la table et pour tous ceux qui ont suivi depuis. Le fruit du salut est né d’un arbre hideux, cette vieille croix rugueuse sur laquelle le corps meurtri du Christ allait être suspendu. Ainsi, nous annonçons « la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11.26).

Oui, Jésus a ordonné au vent et aux vagues de faire silence. Il a ressuscité Lazare de la tombe. À son retour, tout genou fléchira et toute langue confessera qu’il est Seigneur (Ph 2.10-11). De telles visions de la puissance divine inspirent la crainte et l’adoration. Mais Jésus se présente comme un Sauveur brisé et meurtri, commémoré dans l’hospitalité de la table, et susceptible d’être trahi même au milieu de la bénédiction. Nous pouvons venir à lui en toute honnêteté et sans avoir peur de nos propres faiblesses. Par ses blessures, nous sommes guéris, et par son sang, nous sommes restaurés. Lors de la cène, chaque fois que nous prenons le pain et que nous buvons la coupe, nous ralentissons pour savourer le don divin de la joie qui nous a été offerte à travers les douleurs de notre Sauveur.

À méditer



Repensez à un repas mémorable de votre vie. Qu’est-ce qui l’a rendu significatif et quel a été son impact émotionnel ou spirituel ?

Comment la cène symbolise-t-elle des vérités essentielles concernant Dieu et la nature rédemptrice du sacrifice du Christ ?

Walter Kim est le président de l’Association nationale des évangéliques américains. Auparavant, il a été pasteur et aumônier de campus.

Cet article fait partie de Pâques au quotidien, notre série de méditations pour vous accompagner personnellement, en petit groupe ou en famille durant le carême et les fêtes de Pâques 2024.

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Un fatal fantasme

Mercredi saint – La trahison de Judas révèle une espérance mal orientée.

Christianity Today March 15, 2024
Death Is Vast As a Planet At Night, par Catherine Prescott. Huile sur toile. 20 x 25″. 2009.

Alors l’un des douze, appelé Judas l’Iscariot, alla vers les chefs des prêtres et dit : « Que voulez-vous me donner pour que je vous livre Jésus ? » Ils lui payèrent 30 pièces d’argent. (Matthieu 26.14)

Lecture proposée : Matthieu 26.14-16

« On peut observer […] que [Jésus] n’a jamais été considéré comme un simple professeur de morale. Il n’a produit cet effet sur aucun de ceux qui l’ont rencontré. Il produisait principalement trois effets : la haine, la terreur ou l’adoration. Il n’y a aucune trace de personnes ayant exprimé une approbation modérée. » C. S. Lewis, Dieu au banc des accusés.

Nous ne pouvons pas choisir la version de Jésus que nous allons adorer. Nous l’aimons tel qu’il est. Tout le reste est de l’idolâtrie. Tout le reste relève de la fantaisie. Tout le reste est en deçà de ce que Jésus a voulu nous offrir par sa mort.

Un jour, un homme a suivi Jésus et a été considéré comme l’un de ses disciples. Il lui a été permis d’accomplir des œuvres que seul Jésus pouvait permettre, et il a été chargé de veiller sur les ressources pour leur mission. Cependant, à un moment donné de son voyage de trois ans avec le Messie, il a succombé à la maladie du désenchantement. Sa vie, qui s’est achevée à Akeldama, ou « champ du sang » (Ac 1.19), souligne à la fois les limites de nos pensées humaines et l’invitation de Jésus à une confiance totale.

Mais prenons un peu de recul par rapport à la fameuse fatalité de son histoire, et observons l’environnement qui était le sien. Comment la vie à proximité de la Source de toute espérance, de toute beauté, de toute joie, a-t-elle pu se terminer dans une telle angoisse et un tel désespoir ? Le poison de la comparaison aurait-il ainsi aigri son cœur ? Son imagination a-t-elle été captivée par le fantasme d’un monarque héroïque qui renverserait un empire oppressif ? A-t-il vu une contradiction insoluble dans la réponse gracieuse de Jésus à Marie de Béthanie versant une précieuse huile pour oindre ses pieds ?

Le fantasme peut attacher une personne à une vision erronée des choses. Il prend la place que la foi et l’espoir devraient occuper. Lorsque les choses ne se passent pas comme prévu, la spirale de la désillusion et de la déception se met en place. Il faut trouver quelqu’un à blâmer. Bien qu’il soit tentant de reprocher à Dieu de ne pas avoir fait émerger le bien que nous avions imaginé, si nous faisons face à la réalité, c’est pourtant bien nous qui avons cédé à l’appel séduisant de l’illusion.

Face à la réalité de Jésus, l’allégeance de Judas à ses propres objectifs a fini par l’aveugler et il est passé à côté de l’histoire qu’il aurait pu vivre. Jésus n’entre pas dans nos cases et nos idées limitées. Il brise continuellement nos attentes. Sa royauté s’établit dans la grâce et la vérité, et non dans la satisfaction de nos désirs. Il a une intention, un but, une orientation à chacun de ses pas et chacune de ses décisions. Le chagrin, la douleur, la confusion, les attentes insatisfaites et les prières sans réponse ont tendance à révéler le fond de nos cœurs : aimons-nous Jésus pour ce qu’il est vraiment, ou pour le fantasme que nous nous sommes créé à son sujet ?

Jésus était bien le Roi qui renverserait un empire oppressif, mais contrairement aux attentes de Judas, cet empire n’était pas Rome, mais le péché, la haine et, en fin de compte, la mort. Jésus n’a rien de décevant. Il est le Roi qui réduit en miettes nos rêves les plus excitants pour révéler une autre histoire riche en possibilités, en foi et en joie.

Avec l’histoire de Judas, nous pleurons les fausses promesses de la chair et notre désir de succès mondains. Nous détachons aussi nos yeux des fantasmes que nous nous sommes construits pour les lever vers Celui dont la vie nous pousse à désirer des choses plus profondes, plus belles, plus authentiques et plus durables que tout ce que notre esprit peut concevoir.

Lorsque nos fantasmes s’effondrent et que nous nous sentons vulnérables, nous pouvons nous éloigner dans la déception, ou nous tourner vers Jésus dans notre vulnérabilité. Dans sa nature éternelle, il est celui qui veut engloutir nos illusions et nous offrir son espérance vivante, respirante, ressuscitée.

À méditer



Quelles sont les vérités sur Jésus que vous avez du mal à accepter ? Quels sont les aspects de sa nature avec lesquels vous luttez ?

Que change le fait d’aimer Jésus tel qu’il est ? Comment le fait de l’accueillir et l’aimer pleinement pourrait-il influencer votre vécu de tous les jours et votre vision du monde ?

Eniola Abioye est une missionnaire, autrice-compositrice et poète californienne qui collabore avec des groupes tels que Upper Room, Bethel et Maverick City.

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Les sectes ne sont pas qu’affaire de doctrine.

Un ex-membre explique comment les chrétiens peuvent soutenir le long cheminement de ceux qui quittent un groupe à forte emprise.

Christianity Today March 15, 2024
Illustration de Mallory Rentsch/Images source : Getty

Dans un reportage sur l’Église Shincheonji de Jésus, une secte sud-coréenne, certaines de nos sources évoquaient la difficulté que rencontrent souvent les familles et les amis pour aider leurs proches à voir clair sur les groupes religieux sectaires qu’ils ont rejoints et les aider à quitter ce milieu. Une fois sortis de ces groupes, leur chemin est encore long pour se reconstruire et, s’ils viennent d’un milieu chrétien, pour retrouver leur foi.

Nous nous sommes entretenus avec Tore Klevjer, accompagnateur chrétien basé à Wollongong, en Australie, et président du Cult Information and Family Support. Il nous parle de sa propre expérience dans la secte des Enfants de Dieu, de la manière dont il accompagne d’anciens membres de groupes religieux abusifs et de ce que les églises et les chrétiens peuvent faire pour mieux aider ceux et celles qui quittent ce genre d’environnement.

Cet entretien a été édité et abrégé par souci de clarté.

CT : Non seulement vous êtes un spécialiste de l’accompagnement en matière de sectes, mais vous avez aussi eu une expérience personnelle dans ce genre de contexte. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Klevjer : J’ai grandi dans un foyer chrétien à Byron Bay, en Australie. Après le décès de ma mère, j’ai entrepris un voyage en Europe. Au cours de cette période, ma petite amie a mis fin à notre relation et s’est mariée avec quelqu’un d’autre. Je me sentais proche de la dépression et j’ai commencé à redouter de retourner en Australie. J’avais l’impression que rien ne m’attendait là-bas. J’étais vulnérable et désillusionné par la vie. C’est alors que j’ai été recruté par les Enfants de Dieu, un groupe du genre hippie, taxé par les médias de « secte sexuelle » en raison de certaines de ses pratiques.

Je les ai rencontrés à Amsterdam, alors que je faisais du stop à travers l’Europe. Ce qui m’a séduit chez eux, c’est leur zèle, l’impression qu’ils donnaient d’être heureux et leur apparente liberté par rapport aux normes de la société. J’avais certes un étrange sentiment que quelque chose clochait, mais je ne savais pas exactement quoi. Cela me rappelait l’ambiance du film Les femmes de Stepford, comme si j’avais pénétré dans un monde surréaliste d’apparente perfection, dont j’ai compris plus tard qu’elle ne pouvait être due qu’à une emprise extrême.

Au fil du temps, on m’a appris à faire passer des marchandises en contrebande, à échanger des devises au marché noir et à me présenter sous une fausse identité aux entreprises et aux églises pour obtenir leur soutien. Si je rechignais devant ces pratiques frauduleuses, on me disait : « Tu n’as pas la foi pour ça ? » Le péché était devenu quelque chose de totalement subjectif.

La secte nous obligeait à renoncer à nos familles et à nos anciens amis parce que « l’on aura pour ennemis les membres de sa famille » (Mt 10.36). J’ai pris le nouveau nom d’Abel et j’ai écrit une lettre à mon père pour lui dire que je n’avais plus qu’un seul père et que c’était Dieu. Cela lui a brisé le cœur.

Lorsque le groupe s’est introduit en Asie, nous sommes allés en Inde et y avons passé quatre ans à enseigner l’éducation religieuse dans diverses écoles et collèges.

Quand avez-vous commencé à vous rendre compte que quelque chose n’allait pas et comment avez-vous quitté le groupe ?

Au cours de ma dernière année dans le groupe, on nous imposait des séances de recyclage au cours desquelles nous étions rabaissés, surveillés, critiqués et exorcisés. Cela me frustrait. Et pour trouver du réconfort, je me tournais de plus en plus vers ma Bible et de moins en moins vers les écrits du groupe. J’ai commencé à remettre en question la secte des Enfants de Dieu et on nous a finalement mis à la porte, moi, ma femme et nos cinq enfants.

De retour en Australie, mon rétablissement fut très dur. J’avais été formaté par les Enfants de Dieu pendant 11 ans. Je n’avais plus aucune idée du fonctionnement de la société et je n’avais que très peu d’argent. Parallèlement, j’ai réalisé combien j’avais été dupé. J’avais aussi gâché quelques-unes des meilleures années de ma vie. Du coup, je buvais beaucoup, mon mariage était au bord du désastre et j’étais dans un tel désarroi émotionnel que je sanglotais de manière incontrôlée dès qu’on entonnait un cantique à l’église.

Je me suis finalement construit ma propre foi, à partir des fondements. Cela fait maintenant 39 ans que j’ai quitté la secte.

Après mon départ, j’ai absolument voulu comprendre comment les gens se laissent entrainer dans des systèmes de croyances où ils trahissent leurs propres repères moraux et se font avoir par des affabulations ridicules. J’ai dévoré de nombreux livres sur les systèmes de croyances sains et malsains et j’ai formalisé ces recherches en obtenant un diplôme d’accompagnement.

Au fil des ans, j’ai pu accompagner de nombreuses familles désemparées qui avaient perdu des êtres chers, partis dans des sectes de diverses religions. J’ai également aidé de nombreux anciens membres à se reconstruire.

Les évangéliques emploient souvent le terme « secte » pour désigner un groupe qui s’écarte du christianisme biblique orthodoxe, par exemple, un groupe qui nierait la divinité de Jésus. Quelle en serait votre définition ?

La plupart des professionnels qui travaillent dans ce domaine préfèrent une définition plus sociologique qui considère une secte comme un groupe qui contrôle, exerce une emprise ou abuse des droits et des libertés d’une personne. Ce type de contrôle peut également se produire au sein d’un groupe prônant une croyance orthodoxe. Une église peut, par exemple, être doctrinalement orthodoxe tout en ayant une emprise légaliste sur ses membres en utilisant la culpabilité et la peur.

Pour comprendre cela, il est utile d’examiner d’autres systèmes d’emprise, tels que celui de la violence domestique. Dans une relation abusive, l’identité propre d’une personne est systématiquement diminuée, jusqu’à ce qu’elle devienne totalement dépendante de son oppresseur et docile à son égard. Les personnes sous emprise deviennent alors participantes à leur autodestruction, car elles sont convaincues qu’elles ne peuvent pas fonctionner en dehors du système. Elles se laissent couper de toute influence extérieure. Tout est soumis au contrôle du groupe : leur comportement, les informations qu’elles reçoivent, leurs pensées et leurs réactions émotionnelles. Les individus restent dans des environnements religieux contrôlants pour les mêmes raisons qu’une personne reste dans une relation abusive.

Pourquoi pensez-vous qu’il est important, pour les chrétiens, de considérer le terme « secte » d’un point de vuesociologique plutôt que théologique ?

Tout d’abord, de nombreuses églises pensent que si leurs fidèles reçoivent un enseignement théologique de qualité, ils ne seront jamais la proie d’une secte. Mon père avait l’habitude de me dire : « Tiens-t’en à la Bible, fiston, elle n’a encore trompé personne ! » C’est vrai d’une certaine manière, mais on peut aussi utiliser la Bible de manière très fallacieuse. Si les membres ou ex-membres d’une secte acceptent d’entendre un enseignement sain et construit sur quelques doctrines bibliques centrales, cela peut les aider grandement à se détacher des mythes qu’on leur a enseignés. Mais, il y a bien plus que les croyances doctrinales qui attirent un individu dans une secte. L’emprise graduelle et la privation d’informations y jouent un rôle de premier plan.

D’autre part, quand une personne quitte une secte, la priorité de l’église est souvent de la ramener à une « bonne théologie ». Or, il faut aussi reconnaître que cette personne a été abusée et manipulée spirituellement et qu’elle a besoin de temps pour guérir. Souvent, les anciens membres d’une secte ont l’impression de ne pas être à leur place à l’église. Ils éprouvent des difficultés face aux figures d’autorité (y compris un pasteur ou un accompagnateur spirituel) et ils se rebellent souvent contre toute forme de structure. Ils ont besoin d’acceptation et de tolérance sur leur chemin de guérison.

Il est donc important de ne pas réfléchir pour eux, mais de leur présenter diverses pistes à explorer, afin qu’ils arrivent à leurs propres conclusions. L’enseignement de la Bible doit être abordé avec beaucoup de sensibilité, en laissant la place aux questions, aux échanges et aux divergences.

Dans votre pratique d’accompagnement, quels sont les premiers mots que vous adressez à un ancien membre d’un groupe sectaire ?

« Ce n’est pas ta faute. Les avoir rejoints ne fait pas de toi quelqu’un de stupide. »

Il y a souvent une certaine honte face au sentiment de s’être fait berner. Lorsqu’ils repensent aux absurdités qu’ils tenaient pour vraies, les anciens membres d’une secte se disent que seules des personnes insensées ou crédules ont pu non seulement les avaler, mais aussi les enseigner à d’autres. Reconnaître le processus de recrutement de la secte, apprendre comment ses victimes ont été intentionnellement conditionnées et ciblées est un excellent point de départ et une base sur laquelle s’appuyer pour progresser. Les recherches scientifiques sur notre besoin humain d’appartenance et les expériences dans le domaine de la conformité sociale nous montrent que n’importe qui peut être vulnérable à la manipulation si ses circonstances de vie s’y prêtent.

Expliquez-nous comment se passe l’accompagnement d’une personne victime d’une secte.

De nombreuses questions se posent, notamment en ce qui concerne les relations avec les proches, les limites et la capacité à dire non, la pensée critique, la perte d’identité et la perte de sens et d’objectif dans la vie.

Évaluer les besoins physiques et de santé mentale de la personne est un bon point de départ. A-t-elle de la nourriture, un toit au-dessus de sa tête, un réseau familial ? Ou est-elle seule et sans soutien ? A-t-elle besoin d’une intervention médicale ?

J’ai parlé à de nombreuses personnes qui ont suivi une thérapie après avoir vécu dans une secte et qui m’ont dit : « Le psychologue ne m’a pas compris ! » Certains accompagnants ont tendance soit à minimiser l’expérience sectaire et à se concentrer sur les problèmes d’enfance de leur patient, soit à attendre que celui-ci les forme à propos de son expérience dans la secte. Le patient repart avec le sentiment d’avoir payé pour enseigner le thérapeute. Pour être efficace dans ce domaine, un accompagnant doit pouvoir comprendre ce que le patient a vécu. Lui expliquer comment se produit la manipulation mentale et ce que les sectes ont en commun est une bonne base. Cela aidera le patient à normaliser ce qui lui est arrivé et à ne pas se sentir seul et isolé.

Un principe biblique utile à retenir est que Dieu a voulu nous créer avec le libre arbitre. Une secte contrôlante nous enlève ce libre arbitre. Par conséquent, si j’arrive à ramener une personne au point où elle est capable de penser par elle-même et ensuite à la guider dans une bonne direction sans lui imposer ma propre vision du monde, pour moi, c’est un succès. La véritable conversion, elle, est l’œuvre du Saint-Esprit.

Lorsque le patient est d’origine chrétienne, quand et comment aborder la question de la foi et de l’église ?

Je ne pars jamais du principe que je dois parler de théologie. Partager l’Évangile avec quelqu’un qui se remet d’avoir reçu un soi-disant « Évangile » peut être très déroutant pour la personne. Il m’arrive parfois de demander à un patient comment il perçoit sa foi après son départ de la secte, ce qui suscite des réactions mitigées. Beaucoup souhaitent attendre et voir, puis réévaluer la situation plus tard. Parfois, ils ont des questions spécifiques concernant les interprétations de la Bible ou les écrits tordus de la secte. Souvent, ils souffrent de phobies qui leur ont été inculquées. Ils craignent, par exemple, que s’ils s’éloignent de « la volonté supérieure de Dieu », ils seront jugés. Il est donc important d’identifier et de dissiper leurs peurs irrationnelles.

Si un patient lit encore sa Bible, je lui recommande d’opter pour une traduction différente de celle utilisée par la secte. Cela l’aide à la lire avec un regard neuf et à ne pas se heurter automatiquement aux interprétations de la secte. Il est bon également d’affirmer au patient sa liberté de ne pas lire sa Bible pendant un certain temps, jusqu’à ce que les choses se tassent. On lui recommandera alors plutôt de se concentrer sur d’autres disciplines spirituelles ou de réfléchir à la création de Dieu, à son amour, sa bonté, sa compassion.

Rappelez-vous que cette personne a été blessée spirituellement et qu’elle a fait confiance à quelqu’un qui lui disait détenir la vérité. Elle n’est pas prête à ce que quelqu’un d’autre lui dise la même chose. Elle a besoin d’amour, d’attention et d’espace pour guérir à son propre rythme. La fréquentation de l’église peut ne plus jamais convenir à certaines personnes qui ont été victimes d’une secte. Il se peut qu’elles veuillent simplement faire partie d’un petit groupe. Il est important qu’elles apprennent à prendre leurs propres décisions et à réfléchir par elles-mêmes. Les prophéties, les « paroles de connaissance » et l’hyperspiritualisation des expériences peuvent être des éléments problématiques pour une personne qui a été manipulée.

Si nous découvrons qu’un proche fait partie d’une secte, que devrions-nous faire ?

Essayez de maintenir la relation et la communication à tout prix. Il n’est pas utile de faire des déclarations directes telles que « Tu es tombé dans une secte » ou « Tu te fais avoir ». On inculque souvent dans les sectes que « l’on aura pour ennemis les membres de sa famille » (Mat 10.36). Si l’entourage de la victime dénonce la secte, cela ne fait que renforcer cette « prophétie » que les dirigeants lui ont enseignée. Cela vient appuyer le sentiment que le groupe a raison. Or, il faut éviter à tout prix de pousser la victime encore plus loin dans la secte.

Demandez-vous à quel besoin ce groupe répond dans la vie de votre proche. S’agit-il d’un besoin d’acceptation et de communauté ? Y a-t-il des relations brisées dans la famille ou autour ? Des problèmes de dépendance ? Un parent dominant ou contrôlant ? Parfois, il faut d’abord résoudre des problèmes familiaux pour que le proche ait envie de revenir.

Prenez contact avec quelqu’un qui connaît bien le fonctionnement des sectes pour trouver des conseils spécifiques sur votre situation. Il existe beaucoup de documentation qui explique comment réagir vis-à-vis du membre d’une secte. Ce genre de situation peut rarement être résolue par la seule logique.

Comment l’Église peut-elle être mieux préparée à protéger ses brebis vis-à-vis de sectes religieuses ?

Les églises pourraient faire un travail d’introspection en se rappelant que le contrôle sectaire peut exister à divers degrés. Elles devraient se demander si elles n’exercent pas un contrôle légaliste sur leurs membres. Rappelons-nous que les pharisiens de l’époque de Jésus vivaient des vies d’apparence vertueuse, mais extrêmement légalistes. Ils imposaient des lois et des attentes aux autres tout en ne reconnaissant pas leurs propres besoins et leur pauvreté d’esprit.

Il faut aussi noter que les sectes forment leurs membres — elles les enseignent et leur demandent de transmettre à leur tour cet enseignement. Ils mémorisent les Écritures sur des sujets clés. Je suis peiné de voir des groupes de jeunes chrétiens ne penser qu’à s’amuser tout en négligeant un enseignement apologétique solide et compréhensible leur permettant de fonder leurs propres croyances. Un enseignement biblique sur les signes de la seconde venue du Christ pourrait les préparer à identifier les faux prophètes.

En outre, les églises n’informent pas assez leurs jeunes sur les sectes et le phénomène de la manipulation. Elles supposent peut-être que si on leur enseigne la Bible, ils seront en sécurité. Or, il est essentiel de leur apprendre à détecter la manipulation et l’emprise et à comprendre ce qu’est la conformité sociale. Il leur sera utile aussi de pouvoir identifier les vulnérabilités personnelles susceptibles d’être exploitées par une secte : incertitude quant à l’avenir, isolement et manque de bonnes amitiés ou période de transition telle que le départ à l’université.

On dit qu’« une clôture en haut d’une falaise est bien plus efficace qu’un hôpital en bas ». Nous avons besoin dans nos églises de prendre conscience des phénomènes sectaires et d’enseigner nos jeunes plus sérieusement. Prenons bien soin des jeunes qui sont à un tournant de leur vie. Ils sont particulièrement vulnérables.

Traduit par Anne Haumont

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Une vaine louange ?

Mardi saint – La grâce de donner lorsque la générosité semble absurde

Christianity Today March 15, 2024
Offertory, par Susan Savage. Acrylique sur toile. 32 x 26″.

Elle a fait ce qu’elle a pu, elle a d’avance parfumé mon corps pour l’ensevelissement. Je vous le dis en vérité, partout où cette bonne nouvelle sera proclamée, dans le monde entier, on racontera aussi en souvenir de cette femme ce qu’elle a fait. (Marc 14.8-9)

Lecture proposée : Marc 14.3-9

S’il y a bien une chose que j’aime, c’est un cadeau inattendu, qu’il soit offert ou reçu. Récemment, je me suis retrouvée à laisser partir des invités chez moi avec des objets que je chérissais : théières, vêtements et même bijoux de ma propre personne. J’ai alors ressenti l’exaltation et la liberté que l’on trouve dans l’acte de donner des choses qui ont une vraie valeur. Mais les dons extravagants et inattendus de ce type proviennent rarement d’une générosité naturelle. Une grâce surnaturelle est à l’œuvre, comme celle que nous voyons dans l’histoire de la femme au vase d’albâtre (Mc 14.3-9).

Je sais que ce genre de choses est une grâce parce que j’ai passé la majeure partie de ma vie à souffrir d’une mentalité de pénurie : l’idée qu’il n’y en a pas assez pour tout le monde et que je ferais mieux de mettre de côté le peu que j’ai. Lorsque je lis le récit de la femme qui oint Jésus dans les jours précédant sa crucifixion, mon esprit se remplit d’un « oui » retentissant et j’essuie des larmes d’admiration devant cet acte mémorable d’adoration. Mais j’avoue — et je le fais en grimaçant — que ma chair a toujours la même réaction que ceux qui étaient dans la salle : je commence à scruter son extravagance.

Face à ceux qui protestent au gaspillage et à l’inconvenance, le Christ prend la défense de la femme, expliquant à ses disciples qu’elle l’a préparé pour son ensevelissement (v. 8). Son acte de dévotion et son sacrifice pointeront pour toujours vers la Bonne Nouvelle, et on se souviendra d’elle chaque fois qu’elle sera proclamée dans le monde entier (v. 9). La femme qui a oint Jésus a répandu ce qui pourrait avoir été son bien le plus précieux, déversant ce trésor pour l’amour du Dieu incarné. Elle a oint le Verbe avant son ensevelissement, rappelant de manière tangible que Jésus est l’Oint, le Messie tant attendu (Es 61.1-3).

Je m’imagine que Jésus était encore légèrement parfumé de cette huile lorsqu’il fut emmené devant Pilate. Je m’imagine que l’on pouvait encore sentir l’arôme boisé et doux du nard sur ses cheveux, sa barbe, un reste de cette onction. Lorsqu’il a porté sa croix, je me demande si les passants ont perçu le parfum, au-delà de l’odeur de la sueur et du sang. Peut-être ont-ils senti une douceur dans l’air lorsque le Christ est monté à Golgotha. Je me demande si les hommes cloués à leur propre croix de chaque côté de lui ont perçu cette odeur.

Dans le judaïsme ancien, le signe de l’onction était le plus souvent réservé aux rois. L’acte audacieux de cette femme ne reconnaissait pas seulement le Christ comme Roi des rois et Seigneur des seigneurs, il préfigurait également ce que le Christ ferait deux jours plus tard en s’abandonnant sur la croix d’une manière somptueuse, aimante et apparemment insensée. En se « déversant » en offrande, Jésus accomplit ce que nous n’aurions jamais pu faire par nous-mêmes. Ce qui nous paraît insensé peut parfois être de la fidélité ; ce qui peut sembler être du gaspillage peut se révéler adoration.

Ma générosité est plus une discipline spirituelle qu’une vertu ; je ne peux guère me vanter de mes dons, car ceux-ci sont contraires à la volonté de ma chair. Dieu, dans sa bonté, m’invite cependant à donner généreusement et me donne le pouvoir de le faire par son Esprit. Je me suis rendu compte qu’en m’apprenant à donner certaines choses, il guérit la partie de moi qui croit encore que je n’aurai jamais assez. Je me glorifie donc de cette faiblesse et je me réjouis même s’il m’arrive encore d’entendre les voix qui s’adressent à la femme de Béthanie :

« Comment oses-tu faire ça ? »

« C’est irresponsable. Tu es irresponsable. »

« Tu donnes plus que tu ne peux te permettre. Et pour quoi faire ? »

Puis vient Jésus, mon défenseur : « Elle a fait une belle chose… Elle a fait ce qu’elle a pu. » Et les voix se taisent.

À méditer



Quelle est votre réponse honnête à la générosité scandaleuse de la femme qui oint Jésus ? À qui ressembleriez-vous le plus dans cette scène ?

Comment cette extravagante générosité remet-elle en question nos instincts de préservation financière ou sociale ?

Hannah Weidmann est la cofondatrice de Everyday Heirloom Co, une marque qui se consacre à proposer aux femmes des bijoux rappelant leur statut de bien-aimées de Dieu en utilisant des méthodes intemporelles d’artisanat et de narration.

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Un pouvoir rendu possible par le sacrifice

Dimanche des Rameaux – L’âne, le lion et l’agneau.

Christianity Today March 15, 2024
Hall, par Claire Waterman. Huile sur papier. 2018.

Quand il eut pris le livre, les quatre êtres vivants et les vingt-quatre anciens se prosternèrent devant l’agneau. Chacun tenait une harpe et des coupes d’or remplies de parfums, qui sont les prières des saints. (Apocalypse 5.8)

Lecture proposée : Apocalypse 5.1-11

Pour mieux appréhender le paradoxe saisissant du dimanche des Rameaux — le roi Jésus parcourant les rues de Jérusalem sur un humble ânon — nous nous tournons vers l’Apocalypse. En Apocalypse 5, Jean décrit une scène dramatique où Dieu présente un rouleau qui ne peut être ouvert parce que personne n’en est trouvé digne. L’apôtre est saisi d’émotion devant la tragédie de cette situation et l’impossibilité de briser les sept sceaux. Un ancien ordonne alors à Jean d’arrêter de pleurer : « Ne pleure pas, car le lion de la tribu de Juda, le rejeton de la racine de David, a vaincu pour ouvrir le livre et ses sept sceaux. » (v. 5) J’imagine l’ancien faisant cette déclaration d’une voix tonitruante et d’un geste ample vers le trône, tous les yeux levés au ciel s’attendant à voir surgir un lion rugissant et flamboyant dans une démonstration de puissance extraordinaire. J’imagine des regards parcourant frénétiquement le ciel, brillants et pleins d’attentes, ignorant tout d’abord la créature qui s’est avancée du trône. C’est alors qu’ils le voient, lui, le seul digne, non pas un lion, mais un agneau sacrifié, égorgé, le sang coulant le long de sa poitrine, tachant sa pure laine blanche d’un sombre rouge cramoisi.

Il aurait été tout à fait possible que Jésus se présente comme le lion de la tribu de Juda, conformément à la manière dont l’ancien avait annoncé sa venue, mais il ne le fait pas. Au contraire, il apparaît comme l’une des créatures les moins menaçantes de la terre. Il est accessible. Humble. Doux.

Ce thème du pouvoir démontré par la retenue et le sacrifice traverse les pages de l’Écriture. Jésus-Christ révèle continuellement sa majesté dans l’humilité : le Roi des rois vient au monde non pas dans un palais, mais dans une grange empestant les excréments d’animaux. Sa gloire est d’abord manifestée non pas à Hérode le Grand, mais à de modestes bergers. Il ne choisit pas les siens parmi l’élite universitaire de son pays, mais parmi le commun des mortels. Il s’attache non pas aux échelons supérieurs de la société, mais aux sans-abri, faisant expérimenter à ses disciples déconcertés la réalité des valeurs inversées du Royaume.

Tel est le Messie qui monte à Jérusalem sur un âne pendant que l’on dépose des branches de palmier devant lui. Il ne se rend pas dans les allées du pouvoir pour renverser Rome et satisfaire les attentes conquérantes de la foule, mais au centre du culte juif pour confronter les conceptions erronées de ce que signifie servir Dieu. Jésus n’a pas succombé aux acclamations de la foule et n’a pas tenté de s’emparer d’un trône terrestre. Au contraire, son trône fut un instrument romain de torture et d’exécution, en obéissance au Père, et pour que nous puissions être pardonnés, purifiés et réconciliés avec Dieu.

Jésus a incarné l’intention originelle de Dieu, telle qu’elle ressort des chapitres 1 et 2 de la Genèse : que l’humanité exerce l’autorité sur la terre pour y faire naître la vie, comme un jardinier qui s’efforce de laisser s’exprimer la fécondité et la beauté des plantes. Adam et Ève ayant échoué dans cette tâche, un nouveau type d’être humain devait émerger — un être qui écraserait la tête du Serpent, mais qui serait également meurtri dans le processus. Jésus était un serviteur souffrant, un lion qui était aussi un agneau. Il est le Dieu à l’autorité inégalée qui revêt le vêtement d’un serviteur et lave les pieds de ceux qui l’abandonnent. Celui qui, la semaine de son exécution, monterait à Jérusalem sous les acclamations d’une foule et, quelques jours plus tard, affronterait une autre foule exigeant sa crucifixion. Immédiatement après son entrée triomphale, on le voit pleurer sur les foules, préoccupé par ceux qui l’entourent alors même que sa propre vie est en péril (Lc 19.41). Jésus était complètement en sécurité dans l’affection et la prévenance du Père. Il a vu au-delà du voile de la mort jusqu’à la résurrection, supportant ainsi la trahison, la flagellation et l’horreur de la croix.

En tant qu’êtres humains imparfaits, attirés par les applaudissements et craignant la douleur, nous cherchons souvent à incarner la puissance du lion, mais nous suivons un lion qui s’est fait agneau. Puissions-nous marcher dans les traces de notre maître en ce dimanche des Rameaux, en empruntant le chemin sacrificiel de la croix afin que d’autres puissent à leur tour découvrir la vie que nous avons trouvée dans le sang de notre Sauveur.

À méditer



Malgré sa puissance, pourquoi Jésus a-t-il choisi de s’abaisser et servir les autres ?

Est-ce que j’utilise mes ressources, mes capacités et mon influence pour servir les autres ? Si ce n’est pas le cas, comment pourrais-je prendre une mesure pratique cette semaine pour mettre mon pouvoir au service de ceux qui m’entourent ?

Mick Murray exerce le ministère pastoral depuis plus de 15 ans au sein de l’Antioch Community Church à Waco, au Texas.

Cet article fait partie de Pâques au quotidien, notre série de méditations pour vous accompagner personnellement, en petit groupe ou en famille durant le carême et les fêtes de Pâques 2024.

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Jeûner pour le Royaume de Dieu

La pratique musulmane du ramadan a changé ma compréhension du jeûne, de la prière et du carême.

Christianity Today March 13, 2024
Illustration de Mallory Rentsch/Images sources : Unsplash/Getty

Amman. Jordanie. Le soleil se couchait enfin sur une étouffante fin d’après-midi de vendredi. Sa lumière filtrait à travers la poussière de l’air, éclairant les bâtiments et les rues en contrebas, tandis qu’une odeur d’essence s’insinuait à travers ma fenêtre ouverte.

Je venais de rentrer d’une longue journée d’étude et de prière au Qasid Arabic Institute et je me préparais à recevoir mes amis musulmans pour le dîner. Le soir précédent, chez eux, ceux-ci avaient fait preuve d’une hospitalité extraordinaire à mon égard. Je n’étais pas sûr de pouvoir égaler leur amour et leur accueil ni d’être à la hauteur des normes culinaires que m’avait inculquées ma mère mexicaine. Plus que tout, je voulais que le repas que je préparais traduise pleinement l’affection et la fraternité sincères que j’éprouvais à leur égard.

Après tout, c’était le mois du ramadan, un mois sacré pour les musulmans, qui jeûnent de l’aube au crépuscule en vue de l’hospitalité, de la prière et de leur purification spirituelle. Comment le parfum de l’amour du Christ pourrait-il imprégner ce que j’avais appris de mes amis musulmans sur le jeûne et la prière ? « Seigneur, s’il te plaît, bénis ces fajitas au poulet après cette journée de jeûne et permets une bonne conversation après ce temps de prière », priai-je silencieusement.

Par la grâce de Dieu, mes fajitas au poulet maison ont été bien accueillies et ont laissé place à plusieurs heures de riches échanges sur l’Évangile, la prière et ce que signifie la foi dans un monde qui semble s’enfoncer dans la sécularisation.

À bien des égards, les trois mois que j’ai passés en Jordanie ont profondément transformé ma compréhension de Dieu. En cette période de carême, j’ai commencé à repenser ce que signifient le jeûne et la prière en tant que chrétien à la lumière de mon expérience de la lecture des Évangiles dans un contexte à majorité musulmane.

Ayant grandi dans une famille catholique, je pensais que le jeûne consistait à ne pas manger certains aliments. Ceux qui s’astreignaient à un régime alimentaire strict s’attiraient ainsi les éloges. Après avoir embrassé le protestantisme au lycée, j’ai commencé à considérer le jeûne comme quelque chose que des gens malavisés faisaient pour essayer de gagner leur salut. Moi, Alex, le chrétien réformé, je n’allais pas m’adonner à de telles pratiques. Au lieu de cela, je « jeûnais » en renonçant à quelque chose que j’aimais pour montrer à Dieu à quel point j’étais sérieux dans mon engagement envers lui. Mes prières de repentance appelaient à ce que Dieu prenne toute la place dans ma vie intérieure et me sanctifie. Je croyais tellement à la souveraineté de Dieu que je m’attendais à ce qu’il fasse tout le travail.

Avec le recul, je me rends compte que j’avais mal compris la signification et le but des pratiques spirituelles que sont le jeûne et la prière, aussi bien en tant que catholique qu’en tant que protestant. Le jeûne n’est pas une question de nourriture ; il ne s’agit pas de s’affamer à la manière de saint Jérôme en son temps. Il ne s’agit pas non plus de renoncer à quelque chose pour démontrer ma sainteté. Ce que j’ai compris, c’est que le véritable jeûne et la prière, tels qu’ils sont décrits dans les Écritures, sont un acte de rébellion contre nos désirs et une préparation à l’action.

Dans le chapitre 6 de Matthieu, juste après avoir énuméré les Béatitudes, Jésus enseigne à ses disciples à ne pas prendre un air sombre lorsqu’ils jeûnent. Il y voit une marque d’hypocrisie. « Mais toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage afin de ne pas montrer que tu jeûnes aux hommes, mais à ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » (Mt 6.17-18)

Le jeûne ne vise pas ici le bien d’autrui, ni même notre propre bien. Jésus paraît affirmer que le jeûne se fait pour l’amour de Dieu. Ceux qui prennent une mine défaite et teignent leur visage de cendres souhaitent attirer l’attention des autres. Leur religiosité vise à épater la galerie. Leur quête de sainteté est motivée par leur satisfaction d’eux-mêmes et l’attention qu’ils reçoivent des autres. Cette vigueur et cet engagement religieux leur donnent un sentiment de plénitude spirituelle. Mais ce n’est pas le genre de religiosité que veut Dieu.

Le prophète Ésaïe, au chapitre 58, critique Israël qui recherchait les bénédictions de Dieu tout en opprimant les autres : « le jour où vous jeûnez, vous accomplissez vos propres désirs et traitez durement tous vos ouvriers. » (v. 3) Il décrit comment le peuple crie pour que Dieu reconnaisse son jeûne parce qu’il a courbé la tête « comme un roseau » et s’est couché « sur le sac et la cendre » (v. 5).

Mais Ésaïe répond : « Ce n’est pas en jeûnant de cette manière que vous ferez entendre votre voix là-haut. » (v. 4, PDV) Au contraire, le jeûne que Dieu désire consiste à « détacher les chaînes dues à la méchanceté, dénouer les liens de l’esclavage, renvoyer libres ceux qu’on maltraite [et à mettre] fin aux contraintes de toute sorte ! » (v. 6) « Partage ton pain avec celui qui a faim et fais entrer chez toi les pauvres sans foyer ! », demande le prophète (v. 7). Grâce à ce jeûne, la justice d’Israël jaillira « comme l’aurore » et sa « restauration progressera rapidement » (v. 8). Seul ce jeûne de justice rendra gloire à Dieu et suscitera sa bénédiction, dit Ésaïe.

Le prophète critique ainsi ceux qui s’enflent d’ardeur spirituelle parce qu’ils se conforment aux apparences du jeûne et s’attendent à ce que Dieu et la société reconnaissent leur piété. Leur jeûne est devenu indifférent aux désirs de Dieu. Leurs privations, que ce soit par le jeûne ou même par leurs dons aux pauvres, sont devenues un moyen de promouvoir leurs propres projets, si injustes soient-ils.

Le jeûne que Dieu appelle de ses vœux dans Ésaïe consiste non seulement à prendre soin des opprimés, mais aussi à mettre fin à l’exploitation systémique (v. 3c) et à la violence (v. 4) qui perpétuent l’oppression. Au lieu de se contenter de donner aux pauvres, Ésaïe appelle Israël à « détacher les chaînes dues à la méchanceté » (v. 6a) en s’attaquant aux systèmes injustes qui maintiennent les plus faibles dans la pauvreté.

Le jeûne que le Seigneur désire est une rébellion contre les dégâts systémiques du péché dans le monde — un jeûne qui renverse l’injustice, libère les opprimés, nourrit les affamés et habille ceux qui sont nus. Le but du jeûne n’est pas d’avoir l’estomac affamé, mais il est bien question d’avoir faim. Le jeûne ne constitue pas en lui-même un reniement de soi, mais il y a bien un moi à renier. Le jeûne est un acte de rébellion qui consiste à dire non aux choses que nous désirons afin de créer en nous un profond sentiment de faim pour la justice et la droiture parfaites de Dieu.

À notre époque, notre attention est constamment sollicitée, distraite par des divertissements en tous genres et obnubilée par l’image que nous donnons de nous-mêmes en ligne. Lorsque nous réfrénons les appétits que suscitent en nous nos idoles, nous nous retrouvons affamés, tendus et déstabilisés. Ainsi, je crois que le jeûne que Dieu désire est un jeûne qui nous déstabilise au plus profond de notre être et nous empêche de véritablement trouver le repos tant que nous ne sommes pas unis à l’objet réel de nos désirs : Dieu. En d’autres termes, le jeûne permet à nos âmes de faire l’expérience d’une faim inassouvie que seul Dieu peut vraiment satisfaire. L’âme qui jeûne, unie à Dieu, ne désire pas la louange des autres. Que vaut celle-ci lorsque l’on est rempli de Dieu ?

Le jeûne est une rébellion contre le consumérisme capitaliste qui nous dit que, pour être heureux, nous devons consommer davantage. L’âme qui demeure en Dieu ne se sent pas surchargée par le fait de nourrir les pauvres, de libérer les opprimés et de lutter contre l’injustice. Au contraire, l’âme qui jeûne véritablement se sent portée par Dieu à faire ces choses. L’âme qui est en Dieu ne peut que désirer le Royaume de Dieu sur terre.

C’est ce désir du royaume de justice et de liberté de Dieu sur terre qui pousse l’âme à jeun à la prière. Cet élan vers la prière est le résultat de la tension que l’âme du jeûneur ressent entre la présence de Dieu et les réalités de la vie dans ce monde déchu. L’âme à jeun demeurant en Dieu reçoit une vision de la gloire potentielle de la création telle qu’elle devrait être dans le Royaume de Dieu. Cependant, dans cette vie, nous ne pouvons pas demeurer constamment dans la présence de Dieu. Nous devons être présents à la création telle qu’elle est et ne pas nous réfugier dans une tour d’ivoire spirituelle, loin des pauvres et des opprimés.

Lors de la transfiguration, Pierre désire installer « trois abris » pour Jésus, Moïse et Elie, soulignant son désir de demeurer toujours dans cette présence (Mt 17.4). Pourtant, Jésus les ramène au pied de cette glorieuse montagne et guérit dans la foulée un garçon possédé par un démon (Mt 17.14-20). Jésus montre ainsi à ses disciples que, même s’il est bon de voir la gloire du Seigneur, il n’est pas suffisant de rester pour toujours dans cet état alors que le monde a besoin de guérison.

En cette période de carême, réfléchissons à la manière dont l’âme qui jeûne fait passer le croyant du désir à l’action inspirée par la prière. Lorsque nous jeûnons, nous entraînons notre âme à se concentrer sur son véritable désir : Dieu. Privée de ses idoles, l’âme à jeun aspire à Dieu. Faisant cependant face à l’immensité des besoins dans le monde, son premier recours est alors la prière. Comme le jeûne, la prière n’est pas destinée à attirer la louange des autres. « Gardez-vous d’accomplir vos devoirs religieux en public […] Sinon, vous ne recevrez pas de récompense de votre Père », dit Jésus (Mt 6.1).

Il demande à ses disciples de prier à l’écart et de manière ciblée, car Dieu sait déjà ce dont nous avons besoin avant même que nous le demandions (Mt 6.5-8). Il y a là une tension intéressante. D’une part, les humains ont besoin de mots pour prier, car sans mots, nous avons du mal à communiquer. Pourtant, en utilisant nos mots, nous pourrions faire l’erreur de penser que Dieu opère selon nos normes, le limitant aux concepts que véhiculent nos mots. Lorsque nous prions pour « le bien », par exemple, nous sommes limités à ce que le français et notre contexte met derrière ce mot. Un chrétien arabe qui prie pour le Ḥasan prie pour quelque chose de bon, d’excellent ou de favorable.

Cependant, Jésus nous dit que Dieu sait ce qui vaut mieux pour nous avant même que nous ne prononcions un mot. Dieu transcende les contraintes du langage humain. Dieu s’accommode des intentions exprimées par nos mots tout en se situant au-delà des concepts linguistiques limités contenus par ceux-ci. Notre compréhension de ce qui est « bon » ne peut contenir Dieu, qui est ineffable, au-delà de notre esprit humain. L’âme à jeun comprend cela parce que le croyant a abandonné ses idoles intellectuelles et est ouvert à une action de Dieu qui dépasse sa compréhension. Dieu est plus grand que notre conception limitée de la bonté. Et heureusement !

La pratique conjointe du jeûne et de la prière cultive l’aspiration de l’âme à communier avec Dieu et à rechercher son royaume par des actions tangibles dans ce monde. L’âme à jeun confesse : « Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Un tel jeûne éveille le désir de desserrer les liens de l’injustice, de briser le joug de l’oppression, de nourrir les affamés, d’ouvrir la porte aux sans-abri et de vêtir ceux qui sont nus. La prière qui naît d’une âme à jeun débouche souvent sur une action concrète. Ainsi, lorsque l’on demanda au rabbin Abraham Heschel revenant de la marche de Selma aux côtés de Martin Luther King Jr s’il avait trouvé le temps de prier, il répondit : « j’ai prié avec mes pieds ».

Assis dans mon appartement en cette fin de soirée de juin, j’écoutais les sons faiblissants de l’appel à la prière qui résonnaient dans la mosquée voisine, et j’avais faim. Je n’avais pas mangé de la journée. C’était le ramadan et je jeûnais avec mes amis musulmans en témoignage de ma foi chrétienne. Ayant jeûné pendant plusieurs jours, ne mangeant qu’avant le lever et après le coucher du soleil, je m’étais habitué à la sensation de faim physique.

Cependant, j’ai découvert une faim différente et plus profonde au cours de ce mois — une faim spirituelle pour que le Royaume de Dieu se manifeste dans ma vie et dans celle de ceux qui m’entourent. Je voulais voir l’Évangile à l’œuvre pour les pauvres et les opprimés : pour que l’homme avec sa charrette de réservoirs de carburant tirée par un âne soit libéré de sa pauvreté, pour que mes amis réfugiés trouvent un foyer sûr et permanent, et pour que la ville où je vivais soit florissante. J’aspirais à ce que l’univers atteigne l’harmonie que l’on trouve chez son Créateur.

Et bien que nous ayons mangé, j’ai fini la soirée affamé. Bien que nous ayons discuté jusque tard dans la nuit, je ne me sentais pas satisfait. Le jeûne a éveillé en moi un nouveau regard sur le monde, qui ne se contente pas de connaissances ou de gains matériels. Par mon jeûne durant ce ramadan, j’ai commencé à prendre conscience du saint mécontentement que l’on ressent face à un monde qui souffre et qui a besoin de personnes radicalement transformées par Dieu.

J’ai quitté la Jordanie depuis longtemps. J’ai une famille merveilleuse et un travail épanouissant et plein de sens. Je ne pourrais pas demander mieux. Pourtant, dans les moments calmes de la journée, je constate que mon âme aspire sans cesse à une forme de jeûne. En cette période de carême et de ramadan, puissions-nous jeûner pour éclaircir l’aspiration de notre âme à Dieu. Que cette clarté nous pousse à prier. Et que ces prières nous incitent à l’action.

Alexander Massad est professeur adjoint de religions mondiales au Wheaton College.

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Books

Attaque de Clapham : l’aide des églises britanniques aux migrants musulmans sur la sellette

Selon un pasteur évangélique, les témoignages de responsables religieux n’ont jamais été censés être le facteur décisif dans l’évaluation des demandes d’asile.

L’église baptiste de Weymouth a accueilli 40 demandeurs d’asile de la barge d’hébergement de migrants Bibby Stockholm.

L’église baptiste de Weymouth a accueilli 40 demandeurs d’asile de la barge d’hébergement de migrants Bibby Stockholm.

Christianity Today March 8, 2024
Finnbarr Webster/Getty Images

Une attaque au produit chimique ayant blessé une douzaine de personnes dans la banlieue de Clapham, au sud de Londres, a relancé, il y a un peu plus d’un mois, le débat national sur le système d’asile britannique et l’implication de l’Église auprès des migrants convertis.

L’auteur présumé de l’attaque, Abdul Ezedi, était un réfugié afghan arrivé illégalement en Grande-Bretagne en 2016. Après le rejet de ses deux premières demandes d’asile, il avait finalement obtenu ce droit en appel, alors même qu’il avait été condamné pour un délit sexuel en 2018.

Lors de son procès, il avait expliqué qu’il s’était converti de l’islam au christianisme et qu’il serait persécuté par les talibans s’il était renvoyé en Afghanistan. Un membre du clergé s’était porté garant de la sincérité de la foi d’Ezedi. Son plaidoyer avait convaincu le juge et Ezedi avait reçu le statut de réfugié.

Le tollé qui a suivi l’attaque de Clapham s’est amplifié à mesure qu’ont été révélés les détails de l’affaire et la sincérité de la conversion d’Ezedi a été sérieusement mise en doute. Entretemps, la police de Londres a affirmé avoir retrouvé son corps dans la Tamise, où il s’est probablement noyé.

Suella Braverman, membre du Parlement britannique, ancienne ministre de l’Intérieur (dont les responsabilités englobent les questions d’immigration), a déclaré à The Telegraph que « les églises du pays [facilitent] les fausses demandes d’asile à une échelle industrielle ».

Braverman affirme que, dans certaines églises, en tant que migrant, il suffit d’« assister à l’office une fois par semaine pendant quelques mois, de sympathiser avec le vicaire, d’inscrire sa date de baptême dans le registre paroissial et, bingo, un membre du clergé certifiera que vous êtes désormais un chrétien qui craint Dieu et qui risque d’être persécuté s’il est renvoyé dans son pays musulman d’origine ».

Selon les médias, la demande d’asile d’Ezedi avait été soutenue par une assemblée baptiste, mais la plupart des critiques qui ont suivi ont visé l’Église d’Angleterre. Matthew Firth, un ancien prêtre de cette l’Église, a déclaré à The Telegraph que si l’Église d’Angleterre n’avait pas commis « directement mal agi », elle avait néanmoins fait preuve de « naïveté » et avait souvent « fermé les yeux » sur des conversions douteuses de la part de demandeurs d’asile.

Les responsables de l’Église d’Angleterre ont contesté ces accusations et soutiennent qu’il n’appartient pas aux assemblées locales de déterminer qui peut prétendre ou non à l’asile. L’archevêque de Canterbury, Justin Welby, a déclaré début février que « c’est au gouvernement de protéger nos frontières et aux tribunaux de statuer sur les demandes d’asile. L’Église est appelée à aimer la miséricorde et à pratiquer la justice. »

Dans cette affaire, la plupart des déclarations de responsables ecclésiaux ont reflété la manière dont le clergé avait réagi à des controverses similaires dans le passé. Toutefois, certains éléments indiquent que l’Église pourrait bientôt modifier la manière dont elle soutient les demandeurs d’asile.

En effet, certains pasteurs, tout en affirmant leur devoir de soutien aux personnes vulnérables, ont admis qu’il était difficile de discerner si les convertis qui se préparent au baptême sont vraiment croyants. Dans ce sens, The Guardian rapporte que l’Église d’Angleterre est en train de réviser ses directives à l’intention du clergé à propos de son engagement envers les demandeurs d’asile. On ne sait actuellement pas encore de quels changements de directives spécifiques il s’agit.

D’autres communautés, en dehors de l’Église d’Angleterre, ont également fait l’objet d’une couverture médiatique intense après l’attentat de Clapham.

Plusieurs médias se sont penchés sur le ministère de l’église baptiste de Weymouth auprès des migrants musulmans qui vivaient sur la barge Bibby Stockholm. Ce bâtiment naval avait été affrété par le gouvernement britannique pour servir d’espace de vie à environ 500 demandeurs d’asile pendant le traitement de leur demande.

Selon un reportage de la BBC datant de début février, cette église baptiste travaillait avec 40 hommes, dont 6 avaient déjà été baptisés. Et d’après la déclaration, sur BBC Radio 4, de Dave Rees, un ancien de l’église, la présence d’un pasteur parlant le farsi avait renforcé l’engagement de l’église auprès des migrants.

L’église baptiste de Weymouth fait partie de l’Alliance évangélique du Royaume-Uni, un réseau d’églises et de croyants évangéliques dans le pays et membre fondateur de l’Alliance évangélique mondiale. Danny Webster, directeur du plaidoyer de l’organisation, estime que le discours ambiant a exagéré le rôle des églises dans l’obtention des demandes d’asile.

Il soutient que les témoignages de responsables d’église n’ont jamais été destinés à être le facteur décisif dans l’évaluation des demandes d’asile. Ils sont plutôt simplement considérés comme une meilleure preuve de foi authentique que les réponses des demandeurs d’asile aux questions triviales posées par les assistants sociaux du ministère de l’Intérieur, qui font parfois preuve d’un grand illettrisme religieux. (CT a par le passé évoqué quelques-unes de ces questions utilisées pour évaluer la foi des convertis chrétiens demandeurs d’asile au Royaume-Uni). Webster estime toutefois que l’attentat de Clapham pourrait conduire à certains ajustements.

« Je pense que les responsables d’église devront faire preuve de plus de discernement encore à l’avenir », dit-il. « Je pense qu'il serait judicieux d'établir des normes de base, c'est-à-dire de savoir depuis combien de temps cette personne fréquente l'église, quel a été son engagement – il s'agirait donc de critères plus factuels plutôt que [d'une opinion personnelle]. »

Malgré le risque élevé de critiques, Webster estime que les croyants devraient continuer à s’engager auprès des demandeurs d’asile : « Nous voulons que les églises partagent leur foi, nous voulons que les gens se fassent baptiser et, en fin de compte, ce n’est pas à nous de décider de la sincérité de quelqu’un. »

Sara Afshari, chargée de recherche au Oxford Centre for Mission Studies, encourage également les églises à continuer à soutenir les demandeurs d’asile et les autres migrants. Elle s’est convertie au christianisme en 1989, alors qu’elle vivait encore en Iran, son pays natal. Après son baptême, elle a été emprisonnée à plusieurs reprises en raison de sa foi.

Elle est ensuite venue au Royaume-Uni pour étudier la théologie et a trouvé une communauté de soutien au sein de l’Église d’Angleterre. Ses recherches doctorales à l’université d’Édimbourg ont porté sur la conversion au christianisme d’Iraniens d’origine musulmane. Elle affirme que « seul Dieu connait le cœur d’un converti ».

« Malheureusement, nous n’entendons parler que de ceux qui trahissent l’Église, et non de ceux qui soutiennent réellement sa croissance et l’enrichissent, ce qui est le cas de la majorité d’entre eux », nous dit Afshari. « Même en Iran, nous avons des exemples de personnes qui ont trahi l’Église, et ces trahisons ont coûté la vie à d’autres. Mais encore une fois, cela ne n’a pas empêché les dirigeants de l’Église iranienne d’accueillir [les nouveaux convertis]. »

Traduit par Anne Haumont

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Books

Confusion, changements de cap, licenciements : que se passe-t-il à l’American Bible Society ?

L’organisation historique et généreusement dotée a connu deux années de turbulences : cinq directeurs généraux, des problèmes d’argent et un ralentissement de son action internationale. Elle est à la recherche d’un nouveau départ.

Le bâtiment new-yorkais de la Société biblique américaine en 1893, à gauche, et le siège actuel de Philadelphie, à droite.

Le bâtiment new-yorkais de la Société biblique américaine en 1893, à gauche, et le siège actuel de Philadelphie, à droite.

Christianity Today March 7, 2024
Wikimedia Commons, Google Street View/Edits by CT

La Société biblique américaine (ABS), vieille de 208 ans, avait une mission simple : imprimer et distribuer des bibles aux États-Unis. À son apogée en 1979, elle en distribuait 108 millions par an.

Une fois que les Américains ont eu accès à des bibles, le défi de l’ABS a été de faire en sorte que les gens les lisent. Au début des années 2000, l’organisation s’est orientée vers une mission de promotion de « l’interaction avec les Écritures ». Cet objectif n’est pas aussi aisé à quantifier que le nombre de bibles imprimées. Dans les années qui ont suivi, ceux qui gravitaient autour de l’organisation n’ont pas toujours été d’accord sur ce qu’il fallait faire avec les ressources héritées de cette grande organisation. Un nouveau musée de la Bible ? Une application biblique pour les militaires ? Un programme d’études sur la guérison des traumatismes par les Écritures ?

Et dans quelle mesure une organisation qui travaille en partenariat avec des sociétés bibliques du monde entier doit-elle se concentrer sur la partie « américaine » de sa mission ?

Cette crise d’identité au 21e siècle s’est accentuée au cours des deux dernières années avec cinq directeurs généraux successifs, des dizaines de millions de dollars de déficit financier et la perte d’un donateur important. Selon certaines sources, une trentaine d’employés ont été licenciés à la fin de l’année dernière, ce qui représente environ 20 % du personnel.

Au milieu de toutes ces questions, l’ABS modifie ses priorités. Mais il n’est pas évident de savoir si les désordres organisationnels sont à l’origine de ces décisions ou font partie des difficultés liées au changement de stratégie. Nous avons interrogé des employés de l’ABS, d’anciens membres du personnel, des donateurs et d’autres personnes engagées. Leurs analyses des causes des problèmes actuels varient.

L’enjeu est de taille, car l’ABS dispose d’un budget annuel d’environ 100 millions de dollars et d’une dotation de 600 millions de dollars, ce qui la place dans le premier pour cent des organisations chrétiennes recensées dans la base de données de Ministry Watch en termes d’actifs. Les sociétés bibliques du monde entier comptent sur son soutien. Au cours des deux dernières années de turbulences, le personnel et d’autres soutiens de l’ABS disent n’avoir pas eu une idée claire de qui dirigeait l’organisation.

Sur les cinq directeurs généraux que l’organisation a connus depuis 2022, deux étaient des membres du conseil d’administration qui assuraient l’intérim, une pratique inhabituelle. L’un d’entre eux, Jeff Brown, n’a tenu qu’un mois. Aucun des membres du conseil d’administration devenu directeur général n’est encore dans le conseil.

L’ABS « ne voulait pas s’occuper de ces questions », déclare Ellen Strohm, une directrice au sein de l’ABS qui a quitté son poste en janvier 2023 après 18 ans de service. Au cours de sa carrière, elle supervisait la collecte de fonds et la gestion de projets.

Elle estime qu’il existait une culture de la « pensée magique » selon laquelle tout allait s’améliorer sans que l’on s’attaque aux problèmes systémiques.

L’ABS aurait évolué vers un fonctionnement plus proche de celui d’une fondation, la supervision de subventions prenant au fil des ans le pas sur l’exercice direct d’un ministère. Selon Strohm et d’autres anciens employés, l’organisation n’a pas mis en place les systèmes nécessaires pour que cela fonctionne, ce qui a engendré des problèmes en cascade.

Aux États-Unis, l’organisation se concentre sur divers projets d’« interaction avec les Écritures » et touche chaque année des centaines de milliers de militaires par le biais de son ministère des services armés ; elle promeut son programme de recherche « State of the Bible » et gère à Philadelphie un nouveau musée sur la Bible dans la vie américaine, le Faith and Liberty Discovery Center.

Historiquement, l’organisation a financé des traductions de la Bible dans le monde entier, avec pour objectif de traduire la Bible dans toutes les langues vivantes d’ici à 2033. Ces dernières années, elle a concentré ses ressources sur son projet de promotion de soins post-traumatiques appuyés sur l’Écriture, afin d’aider les communautés religieuses à faire face aux traumatismes locaux.

Depuis le mois de février, la nouvelle directrice générale de l’ABS, Jennifer Holloran, première femme à occuper ce poste et ancienne directrice de Wycliffe Bible Translators USA, s’est trouvée confrontée à de nombreux défis […]. En août dernier, le cabinet de recrutement de cadres qui cherchait un directeur pour l’ABS indiquait rechercher quelqu’un capable de « mener une transformation organisationnelle ».

« Bien que les défis spécifiques auxquels l’ABS a été confronté ces dernières années se soient présentés avant que je ne prenne mes fonctions de directrice générale, je sais que le conseil d’administration et les principaux responsables ont fait de grands progrès pour recentrer l’organisation autour de sa vision et de sa mission historiques », a déclaré Holloran dans un communiqué qu’elle nous a adressé. Elle affirme que l’ABS « développera de nouveaux moyens pour soutenir les églises et les organisations partenaires dans la création d’opportunités pour tous les peuples de faire l’expérience du message transformateur de l’Écriture ».

Après les licenciements survenus à la fin de l’année dernière, le conseil d’administration a envoyé un courriel au personnel indiquant que le modèle de fonctionnement de l’ABS nécessitait un « changement fondamental » et que l’organisation gérerait « moins de programmes ministériels distincts et individuels, en particulier par elle-même. Nous nous concentrerons plutôt sur des programmes qui […] s’appuient sur nos forces en matière de partenariat, de rassemblement et de leadership éclairé. »

Il semble que l’ABS s’orientera davantage vers l’octroi de subventions, comme l’attribution de fonds pour des travaux de recherche sur la Bible à des groupes tels que Scriptura.

Dans une déclaration répondant à un certain nombre de nos questions, la présidente du conseil d’administration, Katherine Barnhart, a réaffirmé ce changement de stratégie.

« Depuis environ deux ans, le conseil d’administration de l’American Bible Society a stratégiquement aligné sa planification et son travail de manière à ce que l’ABS se concentre sur la recherche, l’encouragement et la promotion d’innovations en matière d’accès à la Bible et d’interaction avec elle », écrit-elle.

« Alors que nous allons de l’avant, l’ABS tire parti de ses principales forces — notamment le rassemblement de partenaires, la fourniture de ressources et le développement et le partage de connaissances — pour jouer un rôle important dans la création et l’extension de programmes qui peuvent à grande échelle pousser la culture américaine et le monde vers les Écritures. Ce recentrage signifie, en partie, que l’ABS gère aujourd’hui moins de programmes ministériels distincts et individuels, en particulier par elle-même. »

Les déclarations fiscales de l’organisation confirment qu’elle a évolué vers un fonctionnement plus proche de celui d’une fondation : ses effectifs ont diminué au fil des ans à mesure qu’elle passait de projets propres à l’octroi de subventions à des partenaires réalisant des projets de promotion de la Bible. Selon ses dernières déclarations fiscales publiques, la plus grande partie de son budget (environ 40 millions de dollars sur les 103 millions de dollars de dépenses pour l’exercice 2022) est consacrée aux subventions accordées à des organisations américaines et internationales. En 2013, elle n’accordait que 11 millions de dollars de subventions sur un budget de 92 millions de dollars.

La présidente du conseil d’administration, Katherine Barnhart, a une expérience dans le domaine des fondations, puisqu’elle a siégé au conseil d’administration de la National Christian Foundation (NCF), à laquelle elle et son mari ont fait don de leur entreprise familiale il y a plus de dix ans. Le vice-président de l’ABS, David Wills, a longtemps été président de la NCF.

Malgré cette évolution vers plus d’octrois de subventions, l’ABS consacre encore une part importante de son budget aux salaires et aux avantages sociaux — 28,8 millions de dollars pour l’exercice 2022.

Le conseil d’administration a également connu des changements depuis 2022. Seuls 10 des 19 membres du conseil d’administration de 2022 y siègent encore, mais les deux derniers présidents du conseil d’administration sont toujours là.

Au cours des deux dernières décennies, l’organisation a intentionnellement réduit le nombre de membres de son conseil d’administration : au début des années 1990, le conseil d’administration comptait 72 membres, puis 30 en 2013, lorsque les statuts ont été modifiés pour limiter le conseil d’administration à 18-24 membres. Il compte aujourd’hui 13 membres, selon le site internet de l’organisation.

La manière dont l’organisation a géré ces changements a nui au moral des troupes, selon de nombreux membres du personnel, anciens et actuels.

Au fil des ans, d’autres organisations chrétiennes à but non lucratif ont changé d’orientation et ont été victimes d’une « mort à petit feu » due à un manque de clarté de leur mission, à des membres du conseil d’administration qui ne remplissaient pas leur rôle, à une mauvaise culture d’entreprise, à l’absence de bons indicateurs et à des donateurs qui éloignaient l’organisation de sa mission, écrivent Peter Greer et Chris Horst dans Mission Drift.

Problèmes financiers et opérationnels

En 2019, Ellen Strohm s’occupait des dons importants à l’ABS. Elle se souvient d’avoir eu l’impression de faire une crise cardiaque à cause de la pression au travail. Elle s’est rendue à l’hôpital où elle a appris qu’elle souffrait d’un pneumothorax.

Cette année-là, l’organisation a découvert qu’elle avait dépassé son budget de 17 millions de dollars. Le dépassement n’avait pas été signalé plus tôt. Cela a entraîné un certain nombre de changements : le départ du directeur général de l’époque, Roy Peterson, des licenciements et une réévaluation des programmes de partenariat financés par l’organisation. L’organisation a pu couvrir le déficit en partie en puisant dans sa dotation, qui s’élève à plus de 600 millions de dollars. Il n’y a eu aucune preuve de mauvaises intentions de la part de l’ABS, qui a récemment fait l’objet de plusieurs audits.

Strohm estime que la réponse de l’organisation aux audits révélant des fonctionnements inadéquats « consistait à soigner l’organisation à la légère ».

Le manque à gagner de 17 millions de dollars semble lié à une confusion entre les organisations partenaires à l’étranger et l’ABS, selon des sources. Les partenaires dépensaient des budgets de projets que l’ABS n’avait pas encore financés.

L’ABS a été un partenaire financier solide pendant tant de décennies que les responsables du programme ont supposé que les budgets promis seraient respectés. Le fait que les partenaires de la société biblique aient des exercices financiers qui tombent à des dates différentes de celles de l’ABS aurait également contribué à la confusion.

Malgré ces défaillances systémiques, selon des membres du personnel actuels et passés, l’organisation a réduit ses programmes de surveillance de divers secteurs. En 2020, l’ABS a dissous Global Scripture Impact, l’unité interne de vérification qui évaluait les programmes financés par l’ABS. Elle a ensuite créé une nouvelle instance appelée « Reporting and Metrics », qui s’est également réduite au cours des années suivantes. Elle dispose désormais d’une nouvelle équipe, appelée « Ministry Insights », qui assure un suivi indépendant des programmes qu’elle soutient.

Les déficits ont été monnaie courante : les déclarations fiscales de l’ABS montrent qu’elle a engendré un déficit total de 56 millions de dollars entre les exercices 2016 et 2022, malgré un excédent de 9 millions en 2022. Selon son rapport de gestion, l’organisation a enregistré un déficit supplémentaire de 11 millions de dollars au cours de l’exercice 2023.

Malgré les déficits, l’ABS dispose encore d’une certaine marge de manœuvre financière avec sa dotation qu’elle avait augmenté de près de 300 millions de dollars en 2015 en vendant son siège de Manhattan et en déménageant à Philadelphie.

Perte d’un partenaire de traduction

Une autre série de problèmes est apparue en ce qui concerne les rapports sur les projets, l’organisation étant passée d’une large base de petits donateurs à une base plus restreinte de donateurs majeurs. En général, les petits dons sont dirigés vers les fonds généraux. Les grands donateurs souhaitent eux généralement que leur argent soit dépensé d’une certaine manière et veulent des rapports plus détaillés, ce qu’Ellen Strohm considère que l’ABS n’était pas en mesure de fournir.

Le passage des petits donateurs aux grands donateurs a « cassé les systèmes », nous explique-t-elle. Selon certaines sources, les donateurs américains ont également tendance à vouloir des indicateurs d’« impact », que les partenaires de l’organisation à l’étranger n’ont pas toujours mis en avant. Les partenaires de traduction à l’étranger pouvaient par exemple simplement envoyer un rapport trimestriel indiquant qu’ils avaient terminé la traduction du livre de Marc, ce qui n’est pas un rapport « standard » aux États-Unis.

Il n’existait pas de « système d’entreprise permettant de suivre les entrées et les sorties dollar par dollar », rapporte l’ancienne responsable des dons. « Lorsqu’il s’agit de relier un dollar d’un donateur à un projet, c’est là que les choses se compliquent et qu’il faut disposer de systèmes très performants. […] L’ABS n’avait qu’une très vague idée de la manière dont l’argent qu’ils recevaient ou donnaient était dépensé. »

En conséquence, elle a déclaré que l’organisation créait des stratégies « si larges que, quelle que soit l’action souhaitée par un donateur, il serait possible de l’y intégrer ».

L’un de ces principaux donateurs était l’organisation Every Tribe Every Nation (ETEN), qui, selon plusieurs sources, versait des millions à l’ABS, principalement pour des travaux de traduction de la Bible. Selon Strohm et d’autres sources, en 2018, l’organisation — dont Mart Green, de la famille Hobby Lobby, est un des les principaux bailleurs de fonds — a commencé à exiger davantage de rapports, faute de quoi elle réduirait son financement.

L’ETEN donnait à l’ABS environ 11 millions de dollars en 2019 et a commencé à diminuer ses dons en 2020, car les rapports ne s’amélioraient pas. Selon Strohm, un audit des fonds de l’ETEN a montré que le taux de conformité de l’ABS était inférieur à 40 %, ce qui signifie que moins de 40 % des fonds étaient utilisés conformément aux intentions des donateurs.

En 2022, l’ETEN a complètement cessé de financer les traductions et, plus tard dans l’année, a retiré tout son financement à l’ABS, ce qui, selon certaines sources, était au moins en partie dû à l’incapacité de l’ABS à fournir des rapports suffisants. L’ETEN a réorienté une partie des fonds vers l’United Bible Societies Association (UBS-A), selon des sources de l’ABS. L’UBS-A, ou en français Alliance biblique universelle, est le consortium des sociétés bibliques mondiales, dont beaucoup supervisent des projets de traduction.

Selon un rapport de fin d’année 2021 de l’UBS-A, « l’association a obtenu des niveaux croissants de financement de la part d’organisations ayant des objectifs similaires, telles que ETEN (Every Tribe Every Nation) et YouVersion ».

Pour l’ABS, ce retrait a contribué à aggraver les problèmes de budgétisation et a été l’un des principaux facteurs du déficit de 16 millions de dollars de l’exercice 2021, considère Strohm.

« Dans la communauté UBS, lorsqu’on lance un projet de traduction de la Bible, on s’y engage pour la durée », dit l’ex-directrice. « On présuppose que vous financerez l’ensemble du projet. L’ABS était entre le marteau et l’enclume. Il n’y avait pas d’argent pour poursuivre ses engagements, et le donateur souhaitait avoir des rapports plus précis. »

Coupes globales

Dans le passé, environ la moitié des subventions de l’ABS ont été accordées à l’étranger et l’autre moitié à des organisations aux États-Unis. Selon plusieurs sources, l’ABS a procédé à des coupes dans ses financements internationaux et a réorienté ses activités vers le contexte américain. Elle qui contribuait à hauteur de 40 % à un fonds destiné à compléter les budgets des sociétés bibliques mondiales aurait réduit sa contribution à 25 %.

Entre-temps, elle a investi des dizaines de millions dans le Faith and Liberty Discovery Center à Philadelphie, qui « explore la relation entre la foi et la liberté en Amérique, de sa fondation à aujourd’hui ». Une source relève que l’ABS reflète une tendance dans l’église américaine en général, où l’argent se concentre davantage sur le ministère domestique que sur le travail missionnaire mondial.

La Société biblique du Liban a lancé un programme d’accompagnement post-traumatique sur cinq ans avec le soutien de l’ABS en 2021. D’après Mike Bassous, directeur de longue date de la Société biblique du Liban, l’ABS s’est retirée du programme l’année dernière.

Bassous rapporte que la Société biblique du Liban était à peu près à mi-parcours du programme, ayant formé environ 300 enseignants bibliques. L’ABS leur permet toujours de collecter des fonds pour le programme auprès de grands donateurs américains par son intermédiaire, mais avec des « frais administratifs » de 28,5 % qui s’appliquent à tous les dons de grands donateurs pour les programmes d’accompagnement post-traumatique.

« Je parle l’anglais américain. Je peux comprendre l’Amérique des entreprises », dit Bassous. « Mais vous ne saviez pas à qui parler à l’ABS. […] Quelque chose ne va pas. »

En ce qui concerne les traductions bibliques à l’international, un donateur de l’ABS a reçu des messages contradictoires sur les projets de l’organisation. Un courriel reçu d’un membre du personnel de l’ABS à la fin de l’année dernière indiquait que l’organisation « se désengagerait des travaux de traduction d’ici le 1er décembre 2023 ». Puis, dans un communiqué de presse publié en janvier à propos de la nouvelle directrice générale, la présidente du conseil d’administration, Katherine Barnhart, déclarait : « Tout en continuant à soutenir le travail essentiel de traduction des Écritures, l’ABS doit également développer de nouveaux moyens pour rendre la Bible disponible. »

« Je suis un soutien de longue date, mais en tant que donateur, je suis dans le flou », dit Nick Athens, ancien membre du conseil d’administration de l’ABS et donateur.

Dans la déclaration qu’elle nous a transmise, Barnhart n’a pas répondu directement à nos questions concernant les changements en matière de traduction. Elle explique cependant ceci : « Lorsque notre recentrage affecte nos partenariats avec d’autres organisations, nous travaillons avec ces partenaires pour explorer d’autres sources de financement et de direction. Nous continuons à soutenir la traduction des Écritures en partenariat avec UBS, tout en nous engageant à nouveau à développer de nouveaux moyens pour rendre la parole de Dieu accessible à tous. »

Au sein de l’organisation, le personnel ne sait toujours pas si et comment l’organisation pense faire face aux récents événements. L’ABS avait commandé une enquête interne, menée par le cabinet d’avocats Simms Showers et communiquée au conseil d’administration l’année dernière, mais le personnel ne sait toujours pas quel était l’objet de l’enquête ni les recommandations qui en ont découlé.

Même la communication de base, disent-ils, a diminué ; le rapport annuel de gestion de l’organisation pour 2023 fait neuf pages, alors qu’il en faisait quatre fois plus les années précédentes.

Des espoirs de changement

Du point de vue d’Ellen Strohm, les problèmes sont systémiques et culturels. Ils ne peuvent être imputés à un seul responsable à quelque moment que ce soit.

« L’ABS a le don de vous briser le cœur », dit-elle. « Le personnel travaille généralement de bonne foi. […] Ils se sont débarrassés de presque tous les responsables depuis que je faisais partie de l’organisation, et les mêmes choses se sont poursuivies. »

Plusieurs sources déclarent qu’une plus grande ouverture de l’organisation pour discuter des problèmes — au lieu d’une culture de « mise en scène de la réussite », comme le formule l’une d’entre elles — aiderait à ramener l’organisation vers la santé.

Plusieurs personnes ont exprimé leur optimisme quant au choix de la nouvelle directrice générale, Jennifer Holloran.

« L’embauche de Jennifer Holloran est, à mon avis, un acompte bien nécessaire de la part de l’actuel conseil d’administration de l’ABS sur la dette qu’il a envers l’héritage de l’organisation, les donateurs, le personnel récent et actuel, et les amis soucieux de l’ABS », nous a déclaré J. David Schmidt, qui a conseillé en matière de stratégie les principaux responsables de l’ABS entre 2012 et 2022. « Son expérience chez Wycliffe et sa volonté de servir en cette période critique est un baume d’espérance dont nous avons grand besoin, surtout après les luttes de gouvernance de ces dernières années. »

Holloran aura la lourde tâche de superviser rien moins qu’un changement majeur dans l’identité de l’ABS. Dans son histoire de l’organisation, The Bible Cause, John Fea note que celle-ci s’est considérée pendant la plus grande partie de son histoire comme une « organisation de service » qui publiait des bibles et produisait des traductions des Écritures. L’ABS doit maintenant voir si elle peut trouver sa voie dans l’attribution de subventions plutôt que dans le service direct.

Eugene Habecker, directeur général de l’ABS de 1991 à 2005, a dit : « Le monde a besoin d’une ABS saine et fonctionnelle. »

Note de l’éditeur : Nicole Massie Martin, responsable de l’impact pour CT, qui a récemment fait partie de la direction de l’ABS, n’a pas été interrogée pour la rédaction de cet article.

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The Chosen tourne sa face vers Jérusalem

Annoncée en français pour Pâques, la saison 4 de la série sur Jésus prend un tour plus sérieux. Échos de la première en anglais à Los Angeles.

Jésus, joué par Jonathan Roumie, et ses disciples dans la saison 4 de The Chosen.

Jésus, joué par Jonathan Roumie, et ses disciples dans la saison 4 de The Chosen.

Christianity Today March 6, 2024
Fournie par The Chosen

À un moment de la saison 4 de The Chosen, Jésus (Jonathan Roumie) sort un instant. Quelques disciples se chamaillent pour une question insignifiante et Jésus se retrouve seul avec le Jacques « le petit » (Jordan Walker Ross) et Thaddée (Giavani Cairo), les deux premiers hommes à l’avoir suivi.

À ce stade de l’histoire, Jésus a été confronté à toutes sortes de défis. Il a reçu de très mauvaises nouvelles concernant son cousin Jean le Baptiste (David Amito) ; ses disciples se disputent pour des questions de statut ; leur mouvement attire des milliers d’adeptes, de critiques et de curieux grâce aux sermons et aux miracles accomplis par Jésus. Et à présent, ses opposants se transforment en véritables ennemis, les joutes verbales commençant à laisser place à la violence physique.

Au milieu de tout cela, Jésus s’assoit tranquillement avec Jacques et Thaddée et leur demande s’ils se souviennent de l’époque où ils n’étaient que tous les trois. « Vous arrive-t-il de regretter cette époque ? » demande-t-il.

Il est difficile de ne pas y voir une part d’autobiographie du créateur de la série, Dallas Jenkins, et de ses collaborateurs. À l’instar du christianisme naissant qu’il dépeint, The Chosen s’est développé à pas de géant depuis la mise en ligne des quatre premiers épisodes, juste à temps pour Pâques 2019.

Le premier grand pas avait été franchi au début de la pandémie de COVID-19, lorsque les producteurs ont mis la série à disposition gratuitement. Il devait s’agir d’une mesure temporaire destinée à aider les gens à surmonter les fermetures et l’isolement, mais les responsables de la série ont constaté que les dons de fans affluaient si rapidement qu’ils permettraient de maintenir la gratuité à long terme. (La série est désormais financée par les dons faits à la Come and See Foundation.)

Après avoir achevé la deuxième saison en 2021, les producteurs ont commencé à expérimenter des sorties en salles, en commençant par un épisode spécial de Noël cette année-là et en continuant avec la première de la saison 3 en 2022 et sa finale en février 2023. Au total, si l’on tient compte d’un autre épisode spécial de Noël sorti en décembre dernier, les sorties en salles de The Chosen ont jusqu’à présent engrangé environ 38 millions de dollars. En Amérique du Nord, certains épisodes ont rencontré plus de succès que certaines superproductions ou des films candidats aux Oscars sortis au même moment.

En cours de route, la série est devenue un grand succès sur Netflix, Amazon Prime et d’autres plateformes ayant acquis les droits de diffusion, [y compris en francophonie où la saison 3 a même fait l’objet d’une première en salle à Paris]. Les acteurs principaux de la série ont prêté leur célébrité — même restreinte à un public de niche — à des films chrétiens à succès comme Jesus Revolution et The Shift.

La saison 4 sera l’expérience la plus audacieuse de la série. Aux États-Unis, chaque épisode a été diffusé en salle : les trois premiers le 1er février, trois autres le 15 février et les deux derniers le 29 février. (Le premier volet aura duré environ 3 heures et 20 minutes — plus long que le récent Oppenheimer, mais plus court que Killers of the Flower Moon.) C’est la première fois qu’une saison entière d’une série télévisée est diffusée sur grand écran.

Mais malgré ce succès et le soutien des fans de la série, The Chosen a également connu des douleurs de croissance. Certains rebondissements, comme la rechute de Marie-Madeleine (Elizabeth Tabish) dans la saison 2, ont suscité la controverse. Une campagne publicitaire de « psychologie inversée » consistant à « vandaliser » des panneaux d’affichage représentant Jésus et ses disciples a provoqué bien des critiques. Chaque bande-annonce et chaque vidéo des coulisses ont été scrutées à la loupe pour y déceler des éléments douteux, qu’il s’agisse d’un drapeau LGBTQ porté sur le plateau par l’un des caméramans ou de la théologie sous-jacente à certaines lignes de dialogue extrabibliques.

Ainsi, lorsque Jésus et ses deux disciples regardent en arrière et s’émerveillent de l’ampleur prise par leur mouvement depuis ses humbles débuts, il est tentant de penser que les réalisateurs insèrent quelque chose de leur propre expérience dans la série.

Mais Jenkins, qui a déjà parlé par le passé des influences de la vie réelle sur sa série, déclare que toute ressemblance sur ce point est purement involontaire. Répondant à nos questions à la veille de la première de la série à Los Angeles, il estime que l’histoire portée à l’écran façonne le phénomène The Chosen et ses acteurs plus que ceux-ci ne la façonnent.

« Je crois que c’est moins nous qui imprégnons la série que la série qui nous imprègne. Je pense que nous finissons par essayer de vivre certaines des leçons que nous tirons de la série en racontant l’histoire. Ma femme dit toujours : “Nous ne sommes pas à l’abri des leçons de chaque saison”, et je pense donc que ce qui se passe dans la saison a un impact sur nous. »

« Il est possible que des éléments subconscients entrent en ligne de compte », ajoute-t-il, « mais nous ne nous sommes pas dit : “Oh, comme le ministère de Jésus s’est développé de manière exponentielle, la série progresse aussi, alors parlons-en de cette manière.” Je pense que c’est un peu le fruit du hasard. »

Noah James, qui joue le disciple André, semble plus ouvert à l’idée que l’art puisse refléter la vie dans ce cas. « Nous n’avions aucune idée de la direction que prendrait cette série », nous explique-t-il. « Nous espérions, mais même dans nos rêves les plus fous, nous ne pensions pas que nous serions ici, à vous parler aujourd’hui, de la sortie de la saison 4 dans des salles de cinéma. Ce n’était même pas envisagé. »

« Et je pense que de la même manière, dans la série, nous, les disciples, faisons de notre mieux pour en somme garder le toit sur la maison. Nous ne savons pas où cela va, mais cela devient très, très effrayant, en particulier dans cette saison, parce qu’à mesure que le mouvement prend de l’ampleur, il attire l’attention — parfois une attention non désirée — et vous voyez les disciples lutter pour y faire face. »

La saison 4 marque un tournant important pour la série. Jenkins a annoncé depuis un certain temps que la série durerait sept saisons. Nous en sommes donc au point médian, la partie où certains puissants moments des saisons précédentes — la nourriture distribuée à 5 000 personnes ou Jésus marchant sur l’eau — cèdent la place à un sentiment croissant que les choses pourraient très mal tourner pour Jésus et ses disciples.

Avec cette tournure plus sombre et inquiétante de l’histoire, la série plonge plus profondément dans les émotions de ses personnages — des émotions qui résonnent d’autant plus que les téléspectateurs ont maintenant passé près de cinq ans à apprendre à connaître ces hommes et ces femmes. Et l’un des personnages les plus profondément touchés, bien sûr, est Jésus lui-même.

L’un des choix les plus audacieux de The Chosen est la façon dont la série se penche sur l’humanité de Jésus, inventant page après page pour lui des dialogues sans source claire dans les Évangiles, tout en affirmant sa divinité.

D’une part, le Jésus de cette série évoque comme avec désinvolture le fait que la création du monde est « un de ses souvenirs préférés ». Mais la série le dépeint également comme une personne ordinaire avec une vie intérieure semblable à la nôtre. Il peut se montrer très vulnérable et a parfois besoin de prendre le temps de digérer ce qu’il vit.

L’un des épisodes de cette saison commence par le réveil de Jésus après un rêve et, pendant un instant, le spectateur a l’impression d’avoir un aperçu de ce qu’il se passe dans sa tête. À un autre moment, alors qu’il contemple les souffrances à venir, Jésus prend appui sur quelqu’un pour trouver un soutien — et la personne vers laquelle il se tourne n’est pas celle à laquelle on pourrait s’attendre. Et lorsque The Chosen nous conduit au tombeau de Lazare et au célèbre très court verset qui nous dit que « Jésus pleura » (Jn 11.35), le Jésus de la série ne se contente pas de verser une ou deux larmes dignes. Il tombe à genoux et se met à sangloter.

Jenkins admet qu’il s’engage dans des « eaux dangereuses » en plaçant le public « dans la tête de Jésus », « parce que comment pourriez-vous le faire pleinement ? »

Mais il soutient que cela fait partie d’une saine exploration de ce que signifie pour le divin de devenir humain, et pour le Créateur de devenir Emmanuel, « Dieu avec nous » (Mt 1.23). « Ce n’était pas Dieu au-dessus de nous pendant qu’il était ici », dit Jenkins. « Il était avec nous. Il a habité parmi nous. Il a dansé avec ses amis lors de mariages, il a certainement eu des rêves, et il a été triste. Nous le voyons triste dans les Écritures, et je pense qu’il est intéressant d’explorer les raisons de cette tristesse. »

Jonathan Roumie — qui avait d’abord joué Jésus dans des courts métrages réalisés par Jenkins avant qu’ils ne travaillent ensemble sur The Chosen — nous explique qu’il était important de montrer Jésus faisant l’expérience de toutes ces choses parce que c’est la pleine humanité de Jésus qui nous relie à lui et nous permet de nous identifier à lui et de prendre conscience de sa capacité de compatir à notre égard (Hé 4.14-16).

« Il sait exactement ce que c’est que d’être humain, parce qu’il a été pleinement humain », rappelle-t-il. « Il passait donc par toutes les choses que les humains traversent : les rêves, les rires, les pleurs, la douleur, la frustration, la colère — une juste colère, dans son cas, évidemment. Vous voyez, la frustration face aux gens qui ne le prennent pas au mot, qui ne le croient pas et qui ne l’entendent pas. Il a dû rêver. Il a dû faire toutes ces choses que nous faisons. »

La question de savoir dans quelle mesure Jésus connaissait l’avenir lors de son séjour sur terre est un débat de longue date, mais la question revêt une acuité particulière dans The Chosen, car certains rebondissements de l’intrigue mettent à rude épreuve les relations entre ceux qui accompagnent Jésus. Le Jésus de cette série sait-il que ces choses vont se produire ?

« Il y aura beaucoup de questions à ce sujet », admet Jenkins, qui ajoute que lui et Roumie ont laissé la place à une certaine « beauté du mélange » lorsqu’ils ont décidé combien de fois Dieu le Père « a accordé à Jésus la connaissance de certaines choses ».

« En fait », explique-t-il en se référant à Matthieu 24.36, « Jésus a dit qu’i l y a des choses que le Père sait et que lui ne sait pas. Nous sommes donc à l’aise dans cette tension. »

Pourtant, aussi sérieuse que soit cette saison, elle offre aussi beaucoup de joie, et l’on sent à certains moments le plaisir qu’y prennent les acteurs. Cela n’est peut-être nulle part plus évident que dans une scène où certains des disciples jouent eux-mêmes des acteurs, mettant en scène pour les autres disciples les événements célébrés chaque année à Hanoucca.

Jenkins estime que la légèreté de scènes comme celle-ci, qui pourraient ne pas sembler essentielles à l’objectif de la série, aide à préparer le terrain pour d’autres choses plus sérieuses.

« Nous aimons montrer ces moments plus personnels, ces moments d’humanité, ces moments amusants qui, à bien des égards, ont quelque chose du calme avant la tempête. » « Notre idée est que lorsque vous connaissez un peu plus Jésus, que vous connaissez davantage ces personnes et que vous passez du temps avec elles, même dans des moments plus légers qui n’ont pas grand-chose à voir avec leur ministère, alors lorsqu’elles font effectivement l’expérience de grandes choses, cela a d’autant plus d’impact. »

Quelle sera la suite ?

Trois saisons supplémentaires, pour commencer. Les Évangiles ne disent pas exactement combien de temps a duré le ministère terrestre de Jésus, mais on considère traditionnellement qu’il a duré environ trois ans. The Chosen a déjà duré deux ans de plus. « Nous faisons une course contre la montre pour nous assurer que nos acteurs n’aient pas l’air d’avoir vieilli de dix ans », plaisante le producteur Chris Juen.

Jenkins évoque la possibilité de réaliser un film au cinéma pendant l’une des futures saisons de The Chosen, au lieu de se contenter de rassembler des épisodes existants pour le grand écran. Jenkins et le président de la production de la série, Mark Sourian, ont tous deux mentionné la possibilité de raconter d’autres histoires se déroulant dans « l’univers de The Chosen ».

Pour l’instant, il ne s’agit que d’idées, et il est trop tôt pour dire où celles-ci pourraient mener. Mais l’avenir ouvert de la série rappelle une autre scène de la saison 4, dans laquelle Jacques « le petit » réfléchit à tout ce qui s’est passé.

« Aucun d’entre nous n’aurait pu imaginer où tout cela allait nous mener », dit-il à Marie-Madeleine.

« Nous ne le pouvons toujours pas », répond-elle.

Peter T. Chattaway est un critique de cinéma qui s’intéresse particulièrement aux films en lien avec la Bible. Il vit avec sa famille à Abbotsford, en Colombie-Britannique, au Canada.

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Christianity Today March 6, 2024
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Lors d’une rare session conjointe au château de Versailles, les législateurs français ont voté par 780 voix contre 72 l’inscription de l’accès à l’avortement dans la Constitution, faisant de leur pays le premier au monde à se doter d’une telle disposition.

Bien que l’avortement soit déjà légal en France, le Parlement réagissait ainsi à l’annulation par la Cour suprême des États-Unis de l’arrêt Roe v. Wade en 2022, ainsi qu’au virage conservateur pris par divers pays à travers le monde. Le gouvernement français a voulu consolider les lois existantes en prévision d’une éventuelle victoire de l’extrême droite lors des prochaines élections présidentielles en France en 2027, même si aucun parti politique ne prône ouvertement la fin de l’avortement.

Le vote a largement dépassé le seuil des trois cinquièmes des sénateurs et députés nécessaire pour modifier la Constitution, qui stipule désormais que la liberté d’avorter est « garantie » en France. Si de nombreuses voix se sont réjouies de cette décision, des voix pro-vie s’expriment aussi, notamment issues du catholicisme et de la petite minorité évangélique du pays (qui représente environ 1 % de la population). Un groupe d’environ 2 500 manifestants, ralliés par les organisateurs de la Marche pour la Vie, proche des milieux catholiques, s’était rassemblé à Versailles lundi, alors que les députés arrivaient pour le vote.

« Je pense qu’il est très important de constater que de nombreux Français ne sont pas d’accord avec l’inscription de l’avortement dans la Constitution », déclarait Nicolas Tardy-Joubert, président de Marche pour la Vie. « Cette [manifestation] est essentielle pour montrer qu’il existe une autre façon d’envisager la vie publique dans notre pays. […] Nous devons protéger la vie, et pas introduire dans notre constitution une liberté garantie de pouvoir tuer quelqu’un. »

Il souligne cependant que, si cette journée a été marquée par la tristesse, « elle devrait également être porteuse d’espoir, parce que nous devons réveiller les consciences et soigner les blessures […] Il s’agit d’un processus à long terme. »

Dans son discours prononcé avant le vote historique, le Premier ministre Gabriel Attal a salué l’ajout à la Constitution comme une deuxième victoire pour Simone Veil, survivante de l’Holocauste et ministre française de la Santé qui avait défendu la loi de 1975 légalisant l’avortement en France, connue sous le nom de « loi Veil ».

Cependant, comme le rappelle la déclaration du Conseil national des évangéliques de France (CNEF), la loi Veil considérait l’avortement comme un dernier recours : « L’exception devait être le principe. La situation de détresse, le critère. » Le CNEF souligne que, pour Simone Veil, l’avortement devrait garder son « “caractère d’exception” […] afin d’éviter que la société ne “paraisse l’encourager” », mais le dissuade plutôt.

Mais aujourd’hui, note la déclaration, « [l]a liberté garantie devient le principe. La situation de détresse a été évacuée de la loi. »

Le Comité protestant évangélique pour la dignité humaine (CPDH) estime lui aussi que cette mesure fait apparaître l’avortement comme la solution privilégiée par le gouvernement pour les femmes confrontées à des grossesses non désirées.

« Cet isolement face à la décision d’une IVG est une forme d’abandon des autorités publiques, face au désarroi que peut connaître une femme dans un moment délicat de sa vie, sans lui fournir d’autre alternative que de mettre fin à la vie qu’elle porte en elle. », déclare l’instance dans un communiqué. « La liberté qu’on lui offre est aussi le soutien dont on la prive. »

Le CPDH note également que le vote de lundi, par lequel « l’interruption volontaire de vie deviendra sûrement une des valeurs de la République » constituera « [u]ne avancée politique pour le Président Macron — et il s’en félicite naturellement — mais aussi un vrai recul éthique. »

Marjorie Legendre, pasteure, professeure d’éthique et de spiritualité à la Faculté Libre de Théologie évangélique de Vaux-sur-Seine et membre de la Commission d’éthique protestante évangélique (CEPE), estime que l’inclusion de l’avortement dans la Constitution est un signal d’alarme pour les évangéliques français. Au lieu de s’opposer uniquement à l’avortement en privé, ils en parlent désormais plus ouvertement dans l’Église et dans la société.

Il est assez courant que le gouvernement organise des tournées d’écoute et invite le public à participer et à débattre lorsqu’il s’agit de grandes questions, mais tel n’a pas été le cas avec la décision de constitutionnaliser l’avortement. Erwan Cloarec, président du CNEF, rapporte que, bien que le gouvernement organise des rencontres avec son organisation et d’autres groupes religieux sur d’autres sujets, il ne les a pas invités à s’exprimer sur celui-ci. À sa connaissance, le gouvernement n’a même pas entendu l’Église catholique, qui a toujours un poids historique en France. Malgré cela, « c’est notre devoir de dire ce que nous croyons ».

Marjorie Legendre, s’exprimant à titre personnel et non en tant que représentante d’une institution, attire l’attention sur la manière dont le gouvernement privilégie le droit de choisir de la femme par rapport aux droits de l’enfant.

« J’ai l’impression qu’on met tellement en avant le droit des femmes qu’on oublie le droit de l’enfant à naître. Mais qui est le plus faible dans l’histoire ? Le chrétien est appelé à prendre la défense du plus faible. Je ne dis pas qu’il faut opposer le droit de la femme, qui peut elle aussi être en situation de fragilité, et le droit de l’enfant à naître, mais là il y a une disproportion au profit uniquement du droit de la femme. »

Si l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution n’entraîne pas de changements immédiats dans la pratique, puisque des lois protégeant l’avortement sont déjà en place, certains évangéliques craignent qu’elle n’ait une incidence sur d’autres formes de liberté. Par exemple, le CNEF déclare : « les protestants évangéliques de France appellent le gouvernement à veiller à offrir aux femmes qui le souhaiteraient la liberté et les moyens de garder ou de confier leur enfant. »

Certains craignent également que le changement constitutionnel n’empiète sur le droit des professionnels de la santé de ne pas pratiquer des procédures qui vont à l’encontre de leur conscience. Marjorie Legendre ne pense pas que la clause de conscience soit juridiquement menacée. Elle fait partie de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Mais elle craint que, dans la pratique, les médecins ou les infirmières ne subissent des pressions pour pratiquer des avortements, ce qui affaiblirait en fin de compte la clause de liberté de conscience.

Si les chrétiens occidentaux peuvent considérer ce qui se passe en France comme une mise en garde, Erwan Cloarec observe qu’il est essentiel de prendre en compte les contextes culturels et historiques distincts de chaque pays.

« Notre posture c’est d’essayer d’être constructifs et d’être crédibles, de dialoguer avec les autorités du pays sans être dans une démarche de confrontation, conscients de vivre dans un contexte sécularisé, mais sans renoncer pour autant à dire ce que nous croyons », explique-t-il. En fin de compte, « nous souhaitons être l’Église de Jésus Christ. C’est-à-dire aimants, accueillants pour tous. »

Pour la suite, Luc Olekhnovitch, président du CEPE et pasteur depuis 30 ans, se réjouit que le CNEF ait publié un communiqué de presse afin qu’il y ait une réaction publique. Au-delà, les églises ont du pain sur la planche. « La bataille culturelle est perdue sur cette question », déclare-t-il. « En revanche, il ne faut pas abandonner la bataille culturelle dans les églises, la bataille de respecter la vie de la conception jusqu’à la mort. »

Selon Nicolas Tardy-Joubert, de la Marche pour la Vie, il est encore possible d’empêcher des avortements. Il relève que, selon une étude réalisée en 2020 par le groupe pro-vie Alliance Vita, 88 % des Français seraient intéressés à mieux comprendre les causes et les conséquences de l’avortement, dont le nombre s’élève à environ 200 000 par an dans le pays.

« Nous pensons donc que les députés et les sénateurs devraient s’impliquer dans des recherches pour mieux comprendre pourquoi nous avons autant d’avortements et quelles en sont les conséquences en termes de santé publique, de démographie et d’économie », souligne-t-il. « L’objectif de réduire de moitié les avortements en France, par exemple, est atteignable si nous sommes prêts à mettre en place les politiques nécessaires. »

De telles initiatives pourraient être accueillies favorablement même par ceux qui n’ont pas de raisons éthiques de souhaiter une baisse du nombre d’avortements. Comme de nombreuses régions du monde, la France est confrontée à une baisse rapide de la natalité qui aura des répercussions sur la main-d’œuvre du pays et pèsera sur son système de protection sociale : en 2023, le nombre de naissances dans le pays a été le plus bas depuis 1946.

Marjorie Legendre estime que les églises ont un rôle à jouer dans la lutte contre une « culture de la mort » en s’exprimant de manière prophétique en faveur d’une « culture de la vie ». Selon elle, cela se fera « dans l’enseignement des jeunes, dans l’enseignement des adultes qui ont des parents vieillissants, etc. Il y a de la marge de manœuvre dans nos communautés à ce niveau-là. Et, en ce sens nous pouvons être des modèles et des témoins au sein de la société de la “culture de la vie”. »

Elle ajoute : « Nous avons toutes les raisons d’avoir une “culture de la vie” : nous adorons le Dieu vivant, le Dieu de la vie, le Christ ressuscité ! Nous avons toutes les raisons de célébrer la vie, de savourer la vie, de respecter la vie : à nous d’être des modèles et des témoins de la vie, du commencement à son terme. »

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