Je suis entré en prison « protestant ». J’en suis sorti chrétien.

Comment un violent loyaliste d’Irlande du Nord est devenu pasteur et évangéliste.

Christianity Today August 29, 2022
Rob Durston

J’ai grandi à Belfast, en Irlande du Nord, à une époque de conflits âpres et violents entre protestants et catholiques. Les protestants voulaient que l’Irlande du Nord reste au sein du Royaume-Uni, tandis que les catholiques voulaient unifier l’Irlande en une seule république indépendante.

A Cause Worth Living For: The Story of Former Terrorist David Hamilton

A Cause Worth Living For: The Story of Former Terrorist David Hamilton

10Publishing

100 pages

$12.99

C’est à 14 ans que j’ai pris conscience pour la première fois des différences politiques entre protestants et catholiques. Ce jour-là, je séchais les cours avec un groupe de garçons, tous catholiques. Nous étions dans un vallon, parmi les arbres, où se trouvait une balançoire de corde attachée à une branche surplombant la rivière. Je me tenais là, à écouter ces garçons catholiques discuter de ce qu’ils allaient me faire. Ils décidèrent de me frapper et me jetèrent dans la rivière.

En sortant de l’eau, j’essayais de comprendre ce que j’avais fait pour mériter ça. Lorsque je leur posai la question, un des garçons me fit cette réponse : ils s’en étaient pris à moi parce que j’étais protestant. Jusque-là, je ne savais pas ce que signifiait être loyaliste ou républicain, pas plus que protestant ou catholique.

Ce jour marqua un tournant dans ma vie, et il me mit sur une voie destructrice. Je décidai que je n’aurais plus jamais d’amis catholiques. Et, encore adolescent, je pris la décision fatidique de devenir terroriste politique en entrant dans une organisation paramilitaire illégale appelée Ulster Volunteer Force (UVF). Je me voyais en militant vertueux luttant pour une juste cause : la loyauté envers la reine et le pays.

Le temps du changement

En tant que membre de l’UVF, j’ai commis plusieurs crimes dont un attentat à la bombe, un braquage de banque et plusieurs autres vols à main armée dont un m’a valu la prison à l’âge de 17 ans. Après ma libération un an plus tard, je me suis à nouveau impliqué, ce qui a abouti à une autre arrestation et à une peine de 12 ans.

J’étais en prison depuis quelques années quand quelque chose d’inhabituel se produisit. J’assistais à un service religieux juste avant Noël. Comme presque tout le monde, je n’étais pas là par conviction religieuse, mais seulement pour avoir l’occasion de sortir de ma cellule, de voir des prisonniers d’autres ailes de la prison et d’échanger de la contrebande et des potins. L’aumônier de la prison demanda tout à coup : « Un volontaire pour lire le passage de la Bible ce matin ? ». Alors que personne ne se manifestait, quelqu’un assis devant moi se retourna et dit : « Davey a dit qu’il le ferait ! ».

Mon premier réflexe fut de nier. Mais je savais que tout le monde se moquerait de moi. Alors je pris la bible et je lus le passage du récit de la Nativité dans l’Évangile de Luc. Quand j’eus fini, je me mis à sourire ! En un sens, ça faisait du bien. J’écrivis même une lettre à ma mère ce soir-là, expliquant ce qui s’était passé. Mais rien ne changea. Noël vint et repartit.

Début janvier, j’eus une autre expérience incroyable. Un soir, peu de temps avant de regagner ma cellule, je m’étais préparé une tasse de thé. Puis, une fois à l’intérieur, je remarquai un petit morceau de papier plié posé sur l’oreiller : un tract évangélique intitulé « Jésus-Christ revient bientôt ». Cela m’amusa. J’en fis une boulette pour la jeter par la fenêtre.

Mais une pensée soudaine me vint à l’esprit : « Il est temps pour toi de changer, de devenir chrétien ». C’était surprenant. Mais quelques instants plus tard, la pensée me revint à l’esprit.

Au début, j’en ris, pensant que Dieu ne s’intéresserait jamais à quelqu’un comme moi. J’étais un homme mauvais, coupable de bien des méfaits. L’UVF avait tué beaucoup de gens. Certains de mes amis étaient des meurtriers. Heureusement, je n’avais pris la vie de personne, mais ce n’était pas faute d’avoir essayé.

Je me ressaisis, quittant mes pensées pour revenir à la réalité, et posai ma tasse sur l’étagère, à côté d’une bible Gédéon. (Chaque prisonnier en gardait une dans sa cellule, non pas pour la lire, mais comme réserve de papier à cigarette.) Je feuilletai les pages par curiosité, lisant quelques lignes ici et là. N’y comprenant rien, je la remis sur l’étagère. Quelques minutes plus tard, j’essayai de lire une nouvelle fois. Cela n’avait toujours aucun sens pour moi.

Allongé sur mon lit, je pensais à ces moments où j’avais côtoyé la mort. Comme la nuit où l’Armée républicaine d’Irlande tenta de me tuer alors que j’étais au restaurant avec ma fiancée. Ou la fois où je posai une bombe qui explosa prématurément avant que je ne quitte le bâtiment. Bien que ma veste fût en lambeaux, je survécus sans une égratignure. Ou quand, dans la rue, quelqu’un posa un pistolet sur ma tempe et appuya sur la gâchette, et que le pistolet s’enrailla.

Peu de gens survivent pour raconter de telles histoires alors pourquoi étais-je encore en vie ? Soudain, une pensée me traversa l’esprit : « C’est Dieu qui m’a gardé en vie ! » Plus j’y réfléchissais, plus j’étais convaincu.

Tout d’un coup, je sus que je voulais devenir chrétien, même si je ne savais pas trop comment. Heureusement, le lendemain matin, je rencontrai le même homme qui avait mis le tract sur mon lit. À ma grande surprise, je me mis à confesser mon désir de devenir chrétien. Je pensais qu’il se moquerait de moi parce que je m’étais tant de fois moqué de lui à cause de sa foi. Au lieu de cela, il me prit simplement dans ses bras. Il me donna aussi plusieurs autres dépliants, de quoi lire pour un mois entier.

L’un des dépliants affichait une simple prière au verso :

Viens dans mon cœur, Seigneur Jésus, viens aujourd’hui dans mon cœur.
Viens dans mon cœur, Seigneur Jésus, viens y faire ta demeure.

Je fis cette prière six fois, juste pour m’assurer que Dieu me prenait au sérieux. Lorsque la porte de la cellule s’ouvrit pour que nous retournions au travail, je décidai d’en parler à la première personne que je verrai. À ma grande consternation, je l’entendis aussitôt crier : « Davey est chrétien maintenant ! Il a rejoint la brigade de Dieu ! »

Quand j’eus repéré l’aumônier de la prison, je criai : « Je suis chrétien maintenant ! ». Il s’arrêta et s’avança. « Quand est-ce arrivé ? », me demanda-t-il. Il m’invita à venir dans son bureau, où il s’assit et sourit pendant que je racontai mon histoire. Quand j’eus terminé, il ouvrit un placard et me donna la première bible que j’aie considérée comme la mienne, un petit nouveau testament Gédéon rouge. Quand il eut prié pour moi, je me sentais fort comme un bœuf.

L’espérance pour les désespérés

À l’époque, je n’avais pas imaginé que quelqu’un d’autre priait en coulisses : la belle-mère de mon oncle, une femme âgée nommée Mme Beggs. Le jour de ma condamnation, alors que ma mère pleurait son fils qu’elle croyait perdu, Mme Beggs secoua la tête et dit : « Si Dieu a pu changer le cœur de John Newton » — le capitaine du navire négrier qui a écrit « Amazing Grace » après sa conversion — « il peut changer le cœur de ton fils. Je prierai pour lui tous les jours. »

En fait, lorsque ma mère lui annonça la bonne nouvelle, Mme Beggs répondit qu’elle le savait déjà, parce que Dieu avait « enlevé le fardeau de son cœur ». Elle ajouta : « Dieu m’a dit que je devais prier pour son futur ministère, car il deviendra serviteur de Dieu ! » Maman pouvait à peine y croire, mais Mme Beggs avait raison.

Après ma libération, j’ai travaillé comme évangéliste pour Prison Fellowship Ministries, dont le fondateur Charles Colson m’avait rendu visite après ma conversion. Cinq ans plus tard, j’ai commencé à voyager à travers l’Europe comme évangéliste itinérant. Pour 12 autres années, je reçus un appel pour devenir pasteur d’une Église en Angleterre, ce que j’ai fait jusqu’à ma retraite. Aujourd’hui, de retour en Irlande, je continue à évangéliser à travers le pays.

Vraiment, il n’y a pas de cas si désespéré que Dieu ne puisse le sauver !

David Hamilton est pasteur à la retraite et vit en Irlande du Nord. Il est l’auteur de A Cause Worth Living For : The Story of Former Terrorist David Hamilton (« Une cause digne que l’on vive pour elle : l’histoire de l’ex-terroriste David Hamilton »).

Traduit par Philippe Kaminski

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Books
Review

L’autisme vu de l’intérieur

Dans un récit authentique de sa vie dans le spectre de l’autisme, un professeur de l’Université Taylor nous invite à aborder ses « déficiences » comme des dons.

Christianity Today August 16, 2022
Illustration by Jianan Liu

Les mots sont puissants, mais souvent de manière subtile. Les étiquettes, par exemple, nous aident à distinguer les choses, et une part importante de la science consiste à trouver des étiquettes appropriées pour caractériser les éléments de la réalité que l’on découvre. Mais l’étiquetage se complique dans le domaine des sciences humaines, notamment lorsque l’on a affaire à différents types de personnes.

On the Spectrum: Autism, Faith, and the Gifts of Neurodiversity

On the Spectrum: Autism, Faith, and the Gifts of Neurodiversity

Brazos Press

256 pages

$12.59

Je n’oublierai jamais le conseil prodigué par un de mes professeurs dans le cadre de mon programme de doctorat en psychologie : nous ne devrions jamais appeler les personnes atteintes de schizophrénie des « schizophrènes », disait-il, car cela les déshumanise en tendant à les réduire à leur trouble. Voilà qui résonnait avec ma conviction chrétienne que les personnes atteintes de schizophrénie sont aussi créées à l’image de Dieu.

Dans le monde d’aujourd’hui, les étiquettes semblent être devenues plus importantes. Pour beaucoup, elles servent de marqueurs d’identité dans un paysage politique et culturel de plus en plus fluide. Daniel Bowman Jr., poète et professeur d’anglais de l’Université Taylor, illustre cette dynamique dans son ouvrage intitulé On the Spectrum: Autism, Faith, and the Gifts of Neurodiversity (« Dans le spectre : L’autisme, la foi et les dons de la neurodiversité »). Ce livre fascinant et émouvant, un « mémoire sous forme d’essais » écrit par un évangélique exceptionnellement réfléchi et transparent, vise à recadrer notre réflexion sur l’autisme en suggérant de nouvelles étiquettes pour en parler.

Bowman défie plusieurs stéréotypes que de nombreuses personnes associent à l’autisme, ce qui rend le livre exceptionnellement convaincant, même si cela pourrait rendre discutable son rôle de porte-parole de la communauté autiste. Néanmoins, c’est précisément son degré remarquable de conscience de soi qui lui permet de donner des descriptions étonnantes de ce que signifie être autiste.

Bowman parle honnêtement d’anxiété sociale, de « troubles des fonctions exécutives », d’une tendance à repousser les autres, de crises de nerfs périodiques et d’une profonde honte. Ce qu’il décrit offre un précieux aperçu des types particuliers de souffrance endurées par au moins certaines personnes atteintes d’autisme.

Porter l’étiquette

L’ensemble des chapitres de l’ouvrage de Bowman tournent autour de quelques thèmes communs. Être dans le spectre autistique, soutient-il, est une façon légitime d’être un humain, mais cette condition est tragiquement pathologisée et incomprise par la « majorité neurotypique » (les personnes sans autisme). Le livre invite les lecteurs à écouter la voix des personnes autistes elles-mêmes afin de vraiment les comprendre, ainsi que l’autisme, « de l’intérieur ».

Bowman défend l’idée que la beauté, l’art et la littérature contribuent de manière significative à l’épanouissement humain, en particulier lorsqu’ils émergent de sources inattendues, comme les personnes marginalisées. Le livre, qui met en valeur sa propre façon de manier les mots, expérimente différents genres, y compris quelques entretiens et une lettre qu’il a écrite à deux mentors bien-aimés (bien que malheureusement, il n’y ait pas de poèmes !). Mais Bowman nous envoûte par ses histoires, et celles-ci forment la majeure partie du livre.

Le récit qu’il fait de sa prise de conscience progressive qu’il pourrait être autiste (un diagnostic qui n’a été confirmé professionnellement qu’en 2015) est particulièrement touchant. Découvrir la vérité fut un réel soulagement pour Bowman. Cela donnait un sens aux schémas de souffrance qu’il avait connus tout au long de sa vie. Depuis son diagnostic, il a adopté l’autisme comme partie intégrante de son identité.

Il dirait vraisemblablement que cela lui a permis de voir le bon côté de sa condition et de réaliser aussi pleinement que possible le potentiel que Dieu lui a donné. La joie qu’il dégage aujourd’hui quand il parle de l’autisme est contagieuse et devrait encourager d’autres personnes comme lui à partager leurs propres histoires.

Cela conduit à l’une des plus grandes surprises du livre, du moins de mon point de vue : Bowman se réjouit ouvertement de l’étiquette « autiste ». En fait, il préfère même parler d’« autistes » au lieu d’employer l’appellation plus générale (et, à mes yeux, plus respectueuse) de « personnes atteintes d’autisme ». Il apprécie profondément que ses amis tiennent compte de son autisme, car cela signifie à ses yeux qu’ils le soutiennent en tant qu’autiste.

Selon Bowman, ce genre de reconnaissance franche va à l’encontre de notre approche dominante de l’autisme aujourd’hui, qu’il appelle le « paradigme de la pathologie ». Selon lui, nous sommes trop enclins à voir les personnes autistes à travers une lentille réductrice, un prisme objectif et scientifique qui glorifie les capacités physiques, sociales et émotionnelles qui ont tendance à leur faire défaut. Cela, soutient-il, reflète les préjugés de la majorité neurotypique, qui considère simplement l’autisme comme un trouble psychologique.

Dans cette perspective, l’autisme implique un ensemble de symptômes négatifs, souvent définis et évalués par des observateurs non autistes insensibles qui ressentent une gêne lorsqu’ils y sont exposés. On pourrait aussi appeler cela le « paradigme scientifique », étant donné ses origines dans l’étude empirique et le traitement de l’autisme.

Selon toute vraisemblance, une certaine variante de ce paradigme scientifique prévaut encore aujourd’hui chez bon nombre de ceux qui travaillent avec des personnes autistes (comme cela aurait été le cas pour la plupart de mes professeurs de psychologie). Mais Bowman pense que cette approche ne fait qu’exacerber l’aliénation que les autistes ressentent déjà souvent. Se concentrer sur les problèmes de l’autisme plutôt que sur les personnes autistes et s’efforcer simplement de gérer et de minimiser les symptômes ressemble à un stratagème visant à contrôler les autistes au profit de la majorité neurotypique.

Bowman, lui, préfère le « paradigme de la neurodiversité », qui part du point de vue des autistes et considère l’autisme comme une question de différence neurologique et non d’anomalie. Pour prendre un exemple, les partisans de la neurodiversité interprètent plutôt les comportements de balancements (« stimming », ou stéréotypies) comme un mécanisme d’adaptation apaisant et utile. Bowman déplore le manque de curiosité et d’empathie de la majorité neurotypique envers les membres de la communauté autiste.

De nombreuses suggestions de Bowman permettent de lutter efficacement contre des schémas bien ancrés faits de préjugés et d’ignorance. Mais d’autres reposent sur des bases plus fragiles. Un professeur contemporain cité par Bowman affirme que « le comportement des personnes [autistes] n’est pas imprévisible, inadapté ou bizarre ». Selon un autre, « Le concept de “cerveau normal” ou de “personne normale” n’a pas plus de validité scientifique objective — et n’a pas de meilleure utilité — que le concept de “race supérieure” ».

Si l’on aborde de telles déclarations de manière charitable, elles peuvent être interprétées comme de bons efforts pour saper la stigmatisation de l’autisme et contrer les sentiments de honte chez les personnes autistes. Mais elles semblent aussi manifestement trompeuses, surtout en ce qui concerne les formes plus sévères d’autisme. Et Bowman lui-même doit se donner beaucoup de mal pour aider les lecteurs à comprendre les défis uniques auxquels il est confronté.

Il est important de se rappeler que les troubles du spectre de l’autisme, tels que l’Association psychiatrique américaine les définit dans son manuel de diagnostic de référence, varient considérablement dans leurs manifestations.

À une extrémité du spectre, on trouve des personnes « au fonctionnement accru » ayant des « besoins de soutien moins importants ». À l’autre extrémité se trouvent les personnes « fonctionnant moins bien » ayant « des besoins de soutien plus élevés », une catégorie englobant des déficiences intellectuelles graves (par exemple, des adultes dont l’âge mental est de moins de quatre ans), de graves difficultés de langage et de communication et des comportements d’automutilation (morsures, coups à la tête, arrachage de cheveux) qui peuvent causer des dommages corporels durables.

La plupart des parents d’enfants qui souffrent de la sorte resteront probablement perplexes face à un appel à une simple « neurodiversité ». Ces personnes sont reconnaissantes des avancées thérapeutiques et n’ont aucun mal à qualifier l’autisme de trouble. Mais il ne s’agit vraisemblablement pas d’une question qui pourrait être tranchée en donnant raison ou tort à un camp ou l’autre. Compte tenu de la grande diversité parmi les personnes dans le spectre de l’autisme, il semble naturel que certains de leurs défenseurs se concentrent sur l’obtention de diagnostics précis et de traitements efficaces pour les troubles graves, tandis que d’autres se concentrent sur la lutte contre les stéréotypes et la stigmatisation qui affectent et limitent certains.

Une faiblesse perfectionnée

La foi chrétienne joue un rôle central (sinon exclusif) dans l’histoire de Bowman. Même s’il rapporte de nombreux épisodes où il s’est senti stigmatisé dans l’Église à cause de son autisme, il affirme volontiers, avec Paul, que « la puissance de Dieu s’accomplit dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12.9).

Pourtant, le regard chrétien sur la souffrance et la faiblesse humaines contient des richesses que ni les approches neurotypiques ni les approches axée l’idée de neurodiversité ne peuvent égaler à elles seuls. Les Écritures nous disent que Christ est venu « non pour les bien-portants », mais pour « les malades » (Luc 5.31). Il a promis du repos à « vous tous qui êtes fatigués et chargés » (Matthieu 11. 28). Il a déclaré que les « pauvres en esprit » sont bénis (Matthieu 5.3), car dans son royaume « beaucoup de premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers » (Marc 10.31).

Ce renversement des valeurs est crucial pour l’idée chrétienne de la rédemption. En Christ, toutes nos faiblesses deviennent des occasions pour que sa gloire brille d’autant plus, et nous sommes invités à les réinterpréter à la lumière de sa mort et de sa résurrection. Cela signifie qu’en tant que chrétiens nous ne nions pas la réalité de la faiblesse et admettons l’idée d’une normalité incluant certaines capacités physiques, mentales et émotionnelles. Cependant, nous sommes également appelés à agir lorsque des personnes présentant ces traits sont privilégiées par rapport à d’autres, en particulier lorsque ce type de hiérarchie apparaît au sein de l’Église. Nous avons à suivre l’exemple de Dieu en élevant les humbles et les délaissés. Comme Paul nous le rappelle, « Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages ; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les forts » (1 Corinthiens 1.27).

Il est aisé de comprendre pourquoi certains sont tentés de nier leurs handicaps et leurs troubles, ou de vouloir à tout prix les présenter sous l’apparence d’un bien. Mais les voir du point de vue de Dieu nous aide à apprécier à la fois les fardeaux réels qu’ils imposent et la gloire qu’ils révèlent.

Accepter nos handicaps et nos troubles prend du temps, peut-être même toute une vie. Et cela nécessite amour et soutien en abondance de la part des autres. Pour moi, c’est là que le livre de Bowman vient me bousculer. Ce n’est pas parce que je crois que nous sommes tous créés à l’image de Dieu que je traite tout le monde en conséquence, ou que j’entretiens toutes mes relations avec cette vérité à l’esprit. Je dois donc bien avouer que malgré ma formation psychologique (ou peut-être à cause de celle-ci), je n’avais jamais vraiment pris en compte l’intérêt de comprendre le monde dans lequel vivent les autistes.

Je suis donc reconnaissant envers Bowman qui a attiré le lecteur neurotypique que je suis dans son monde et défié certaines de mes idées préconçues. Grâce à son livre, j’espère que la prochaine fois que je rencontrerai un autiste, je serai un peu plus curieux, connecté et aimant.

Eric L. Johnson est professeur de psychologie chrétienne à l’Université baptiste de Houston.

Traduit par Valérie Doerrzapf

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Comment prier quand nous souffrons ?

Ce qui passe pour confiance et calme en Dieu peut masquer une forme de résignation.

Christianity Today August 11, 2022
Image source : Massimo Pizzotti/Getty

Lorsque nous souffrons, nous pouvons donner l’impression d’un certain repos en Dieu, acceptant simplement tout ce qu’il nous donne. Mais ce semblant de calme peut en réalité cacher une résignation spirituelle dangereuse et mortelle. La vérité est parfois que nous avons perdu espoir et avons apposé un autocollant « Jésus » sur le visage de notre désespoir.

Après la mort de mon bébé Paul, ce qui semblait être un repos en Dieu pour les autres n’était qu’un masque de résignation. J’avais supplié Dieu d’épargner la vie de mon bébé, et pourtant il est mort alors même que je priais. Dans les jours qui ont suivi sa disparition, j’ai planifié ses funérailles, parlé de la bonté de Dieu et prononcé des paroles de saine théologie, une théologie à laquelle je croyais. J’ai dit que je me reposais sur les promesses de Dieu, que j’avais confiance en elles et que je me tenais debout grâce à elles, mais intérieurement, je détournais mon visage de Dieu.

J’avais trop honte pour admettre aux autres, et même à moi-même, à quel point j’étais déçue par Dieu, alors j’ai étouffé ma douleur avec des platitudes auxquelles je voulais croire tout en détournant mon cœur du Seigneur. Ma foi autrefois vibrante s’est rapidement transformée en apathie et en absence de prière, car j’avais perdu tout espoir que Dieu soit à mon écoute.

Des mois plus tard, en désespoir de cause, j’ai fini par recommencer à implorer Dieu. Je n’avais nulle part où aller. Il m’a rencontrée dans mon découragement et m’a ramenée à lui. J’ai ressenti une liberté retrouvée en étant complètement ouverte à lui, alors j’ai commencé à exprimer mes peurs, à noter mes questions dans un journal et à prier à partir des Psaumes pendant que je digérais mon chagrin. Cette saison de lutte dans la prière avec Dieu a finalement réactivé mon cœur. Plutôt que des réponses, j’ai trouvé le repos en Dieu lui-même et une paix qui dépassait mon entendement. Mon parcours de lutte dans la prière au cœur de la souffrance est ce qui m’a finalement fait sortir de ma résignation désespérée pour aboutir à une véritable confiance.

La raison pour laquelle nous luttons

Lutter dans la prière, c’est crier vers Dieu, demander ce dont nous avons besoin, ne rien retenir. Ce n’est pas lutter contre Dieu, mais c’est s’accrocher à lui, s’attendre à ce qu’il réponde et refuser de lâcher prise ou de détourner le regard. Saint-Augustin a écrit dans ses Confessions : « La meilleure disposition pour prier est de se sentir désolé, abandonné, dépouillé de tout ». Plus nous sommes désespérés, plus nous prions avec ardeur et de manière spécifique. Quand nous constatons que Dieu seul peut changer la situation à laquelle nous sommes confrontés, nous tombons à genoux, déterminés à ne pas abandonner jusqu’à ce qu’il nous réponde.

Quand mon premier mari a quitté notre famille, j’ai imploré Dieu jour et nuit pour qu’il se repente. Quand on m’a diagnostiqué un syndrome post-poliomyélite, j’ai imploré Dieu de prolonger et augmenter ma force. Quand ma fille est devenue de plus en plus rebelle à l’adolescence, j’ai demandé à Dieu de changer son cœur. Je n’ai pas simplement demandé ces choses. J’ai supplié, parfois le visage à terre, souvent en larmes, plusieurs fois par jour. Personne n’a eu à me le rappeler. J’avais désespérément besoin que Dieu m’aide.

Les Écritures nous dirigent constamment vers ce genre de prière acharnée, déterminée, de lutte. Jacob a lutté toute la nuit avec Dieu, déclarant : « Je ne te laisserai pas partir à moins que tu ne me bénisses », et sa ténacité lui a valu un nouveau nom : Israël, qui signifie « il lutte avec Dieu » (Gn 32.26-28). Anne a supplié amèrement le Seigneur pour avoir un enfant ; après de nombreuses années d’infertilité, Dieu lui a donné un fils (1 S 1.9-20). David a souvent lutté avec Dieu dans la prière, et ses psaumes regorgent de demandes urgentes et souvent frénétiques auxquelles Dieu a répondu (Ps 6, 22, 69).

Jésus a fait l’éloge de la prière incessante dans sa parabole de la veuve insistante qui s’est obstiné à implorer un juge injuste pour que justice soit faite contre son adversaire (Lc 18.1-8). En raison de ses demandes continuelles — sa volonté de s’acharner jusqu’à l’agacement — elle a été récompensée. Jésus conclut sa parabole en disant : « Et Dieu ne fera-t-il pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Continuera-t-il à les repousser ? Je vous le dis, il veillera à ce qu’ils obtiennent justice, et ce rapidement ». Dieu ne nous repousse jamais. Dieu ne se lasse jamais de nos demandes et n’ignorera jamais nos supplications. Nos cris accomplissent toujours quelque chose.

Considérez ce que les pleurs signifient pour les nourrissons. C’est une réponse naturelle face au besoin. Les bébés qui ne crient pas quand ils ont faim ou quand ils sont mouillés ont généralement été négligés ; ils ont appris que leurs sanglots étaient inutiles et ne changeraient rien. Mais quand un bébé pleure, ces pleurs sont une affirmation instinctive que quelqu’un répondra à ses besoins. C’est là le cœur de la lutte dans la prière. Lorsque nous luttons — dans notre douleur et nos besoins — nous reconnaissons que nous faisons confiance à Dieu pour qu’il nous entende et réponde à nos cris.

Comment les choses peuvent mal tourner

La lutte dans la prière et le repos dans la prière peuvent comporter des dangers inhérents. Le problème réside dans la lutte sans confiance et dans le repos sans lutte. Lorsque nous luttons sans confiance, nous sommes honnêtes à notre sujet sans reconnaître la vérité sur Dieu. Et lorsque nous nous reposons sans lutter, nous sommes véridiques à propos de Dieu sans être véridiques à propos de nous-mêmes. Les deux peuvent conduire à la dureté du cœur.

Alors que le Seigneur nous invite à lutter dans la prière, cela ne nous autorise pas à exiger la réponse que nous voulons, comme si Dieu nous était redevable et devait obéir à nos ordres. Lorsque les gens prient avec ce genre d’état d’esprit, une prière sans réponse peut les amener à se détourner de Dieu avec colère et hostilité, mettant en doute la bonté, la puissance ou même l’existence de Dieu. Leur lutte leur a semblé inutile et ils s’en vont désabusés.

Inversement, le refus de lutter avec Dieu dans la souffrance — quand on se contente à la place d’offrir des paroles pieuses, des platitudes religieuses et une fausse joie extérieure — peut souvent masquer un cœur qui a perdu tout espoir et est loin de Dieu. Ce soi-disant repos dans la prière peut aussi être une excuse pour la paresse spirituelle, en priant des prières brèves et détachées, sans cœur ni vitalité. C’est ce que Charles Spurgeon appelait les « prières du bout des doigts » dans The Power of Prayer in a Believer’s Life (« La puissance de la prière dans la vie du croyant »), des prières qu’il décrit comme « ces petits coups délicats toqués à la sauvette à la porte de la miséricorde », des demandes qui se font plus pour les apparences ou par obligation, sans aucune attente de réponse.

Ce que nous attendons de Dieu peut être la clé pour discerner le vrai repos dans la prière du faux repos. Notre repos nous éloigne-t-il passivement de Dieu parce que nous avons abandonné tout espoir qu’il réponde ? Ou notre repos nous rapproche-t-il activement de lui parce qu’au fond nous savons qu’il répond toujours au mieux, même si nous ne le comprenons pas ? J’ai fait l’expérience de ces deux choses. Après la mort de Paul, mon « repos » était une façade de méfiance passive et de désespoir ; mais après le départ de mon premier mari, mon repos en Dieu a jailli né d’une confiance active et d’un espoir éternel.

La raison de notre repos

Alors que le genre de faux repos que j’ai décrit nous éloigne de Dieu, le vrai repos nous en rapproche. Esaïe 26.3 nous rappelle : « À celui qui est ferme dans ses dispositions, tu assures une paix profonde, parce qu’il se confie en toi ». Le repos exige une confiance active en Dieu, en gardant nos pensées fixées sur lui.

Le vrai repos vient de Dieu et se trouve en lui seul. « En vérité, mon âme trouve du repos en Dieu », déclarait David (Ps 62.1). Jésus nous exhorte à venir à lui et à trouver le vrai repos pour nos âmes (Mt 11.28-29). Se reposer en Dieu dans la prière apporte une paix surnaturelle et un calme intérieur, car nous reposons nos âmes devant Dieu comme un enfant sevré en sa présence (Ps 131.2).

La présence de Dieu est notre repos. Le Seigneur l’a dit à Moïse quand il s’inquiétait pour l’avenir : « Je marcherai moi-même avec toi, pour te rassurer, je te donnerai du repos » (Ex 33.14). Lorsque nous savons que le Seigneur est avec nous, nous pouvons cesser de nous inquiéter du présent ou de l’avenir et entrer dans son repos, certains qu’il nous protégera et pourvoira à nos besoins. Cette paix dans la présence du Seigneur est active et non passive. Elle est le résultat du choix de faire confiance, de s’approcher de Dieu dans la prière et de s’abandonner à sa volonté.

Le vrai repos vient après la lutte

Les Écritures soulignent que le vrai repos et la paix au beau milieu de la souffrance sont souvent le fruit de la prière et de la lutte dans la prière. Dans Philippiens 4.6-7, Paul nous exhorte à ne pas être anxieux, mais plutôt à prier pour tout. Ce n’est qu’après avoir déversé nos requêtes devant le Seigneur que sa paix surnaturelle nous enveloppera. Paul le savait de par son expérience personnelle de la souffrance ; dans 2 Corinthiens 12.7-10, il raconte avoir supplié le Seigneur à trois reprises d’enlever son écharde dans la chair. Dieu n’a pas enlevé l’écharde, mais a montré à Paul comment sa faiblesse était une opportunité de se reposer et de se glorifier dans la force de Dieu.

Dans Lamentations 3, Jérémie crie vers Dieu avec un sentiment de désolation, d’amertume et de désespoir. Il formule quelques-unes des plaintes les plus angoissées et les plus désespérées de toutes les Écritures, en disant : « Il m’a assiégé d’amertume et de difficultés. […] j’ai beau crier et implorer, il n’écoute pas ma prière. […] Il m’a fait sortir du chemin, m’a mis en pièces et m’a laissé sans aide » (v. 5, 8, 11). Mais alors que Jérémie se remémore le caractère de Dieu, il ose espérer que l’amour et la miséricorde de Dieu le délivreront. Il déclare : « À cause du grand amour du Seigneur, nous ne sommes pas consumés, car ses tendresses ne sont pas épuisées, chaque matin elles se renouvellent ; grande est ta fidélité. Je me dis : “Le Seigneur est ma part ; c’est pourquoi je compte sur lui” » (v. 22-24). Après s’être lamenté et avoir a lutté dans la prière, Jérémie s’est reposé.

Lorsque nous luttons dans la prière avec foi, nous découvrons les trésors cachés de la grâce de Dieu. Ce n’est pas une foi faible qui nous pousse à lutter et à passer des nuits blanches dans la prière, mais une foi suffisamment forte pour croire que Dieu lui-même viendra à notre rencontre et nous répondra, qu’il n’est pas indifférent à nos cris, mais qu’il remue au contraire ciel et terre pour répondre à nos supplications. À Gethsémané, les disciples se sont endormis, inconscients de ce qui allait se passer. Leur repos est né de l’ignorance et de la faiblesse. Pendant ce temps, Jésus luttait avec Dieu, priant dans une telle « angoisse » que « sa sueur était comme des gouttes de sang qui tombaient à terre » (Lc 22.44) alors qu’il demandait à son Père d’écarter la souffrance imminente. Après avoir demandé, le Christ a volontairement accepté la réponse du Père, confiant que Dieu ferait ce qui serait le mieux.

Le repos biblique dans la souffrance commence par la lutte. Nous ne pouvons pas pleinement nous abandonner à Dieu dans la prière, en nous reposant en lui, sans d’abord nous engager dans le combat de la foi. Lorsque nous luttons dans la prière, nous avons confiance que Dieu accomplit quelque chose à travers nos prières, qu’il nous change en cours de route et nous invite à une rencontre avec lui qui changera notre vie. Nous luttons pour que nos prières soient exaucées, et nous luttons lorsque nos demandes semblent rester sans réponse, et ces deux situations finissent par laisser place à un véritable repos dans le Seigneur. Ce repos actif est ce à quoi aspire notre cœur ; comme l’a dit Augustin : « Tu nous as faits pour toi, ô Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en toi.

Vaneetha Rendall Risner est écrivaine et conférencière. Son dernier livre est Walking Through Fire : A Memoir of Loss and Redemption.

Traduit par Valérie Dörrzapf

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Nous serions-nous trompés à propos de Matthieu 18 ?

Plus que de discipline dans l’Église, il y est question d’épanouissement de la communauté.

Christianity Today August 11, 2022
Illustration by Duncan Robertson

Un pasteur apprend qu’un homme marié a une liaison avec une femme mariée participant au même groupe d’étude biblique. Les conséquences ne font que s’amorcer. Selon les Écritures, comment le pasteur devrait-il réagir ?

Ou imaginez cette situation : l’un des deux pasteurs conduisant une implantation d’Église est de plus en plus imprévisible. Il montre des signes classiques de narcissisme, laissant derrière lui une série de personnes blessées après s’être opposées à son leadership autoritaire. Comment son copasteur devrait-il gérer cette situation ?

Descendons d’un cran : deux lycéens du groupe de jeunes ont une attirance l’un pour l’autre. Les parents du garçon, inquiets de la situation, se démènent alors pour y mettre fin. Les parents de la fille en sont blessés et en colère. Depuis, la tension monte entre les parents et les accusations fusent des deux côtés. Le pasteur est amené à s’interposer. Quelle devrait être la marche à suivre ?

Ceux qui ont été dans le ministère n’ont pas besoin d’avoir beaucoup d’imagination pour reconnaître ces scénarios ; la plupart des pasteurs ont connu des situations similaires. Les manifestations du péché sont infinies, mais aussi prévisibles. Il n’y a pas que les pauvres que nous aurons toujours avec nous, comme le disait Jésus, mais aussi les mauvaises actions des humains, y compris des chrétiens.

Une question de discipline ?

Au cours des 25 dernières années, j’ai eu le privilège d’être à la fois pasteur et professeur, et actuellement les deux à la fois. Selon mon expérience, il est beaucoup plus difficile d’être pasteur que d’être professeur, et ce en grande partie à cause de la complexité des relations au sein de l’Église.

Si les conflits vont et viennent dans une congrégation, ils ne disparaissent jamais pour toujours. Au cours de la dernière année seulement, je me souviens de multiples cas de blessures, de malentendus, d’anxiété agressive et de conflits entre chrétiens dans mon Église, y compris au sein du personnel engagé. J’ai été amené à aider dans certaines situations, j’ai simplement eu connaissance d’autres et j’ai été personnellement impliqué et affecté par certaines autres encore.

Je ne devrais pas être surpris. Nous ne devrions pas être surpris. C’est la vie réelle courante dans l’Église du Christ. Nos vies en communauté sont conflictuelles parce que nous sommes des humains limités et moralement abîmés, mais vivre ensemble est notre destinée.

Tout au long de l’histoire, l’Église a utilisé plusieurs approches pour faire face à ce genre de situations, allant de l’excommunication aux processus de restauration, ou usant de dissimulation. Dans de nombreuses Églises américaines aujourd’hui, l’accent est mis sur le besoin de « discipline dans l’Église » pour traiter le péché et ses conséquences. Pour protéger la pureté de la communauté, on établit des procédures disciplinaires pour les cas de péchés choquants ou persistants.

Au cœur de la plupart des enseignements sur la discipline dans l'Église, on retrouve un passage clé : Matthieu 18.15-20. Ces quelques versets sont devenus le texte de référence pour le sujet. Ils servent d’étoile polaire et de carte pour guider les pasteurs dans les étapes nécessaires pour faire face au désordre moral. Cela est compréhensible, et pas complètement dénué de bon sens.

Mais une lecture attentive de Matthieu 18 donne une vision différente de ce que Jésus enseigne dans ces quelques versets. Plutôt que de considérer ce passage en simples termes de discipline, celui-ci peut être vu comme un ensemble d’instructions pratiques et constructives que Jésus donne à la communauté chrétienne pour le cours normal et conflictuel de la vie d’Église. Matthieu 18 parle bien plus de créer des communautés florissantes que de gérer les problèmes d’Église.

Le grand livre du discipulat

« Le contexte est roi, mais Jésus est Seigneur », voilà ce que mon fils se plaît à rappeler en citant un peu sarcastiquement l’un de ses professeurs. La vieille rengaine selon laquelle « il faut tenir compte du contexte littéraire » reste vraie lorsqu’il s’agit de comprendre Matthieu 18. Ce chapitre bien connu n’est pas isolé. Ce n’est qu’une partie de ce que de nombreux biblistes considèrent comme le livre le plus structuré de toute la Bible : l’Évangile selon Matthieu.

L’une des nombreuses raisons qui ont de longue date conduit à placer l’Évangile de Matthieu en tête du canon du Nouveau Testament est qu’il propose un programme clair et puissant pour transformer toute personne en disciple de Jésus. Matthieu est le grand livre du discipulat, et ceci grâce à une structure littéraire remarquablement agencée et clairement conçue au regard de son objectif : faire des disciples.

Dans le monde antique, les gens écrivaient des biographies de grands maîtres et philosophes pour faire l’éloge de leurs enseignements et de leur mode de vie. C’est essentiellement ce que sont nos Évangiles : des récits émaillés de discours d’enseignements, invitant les gens à devenir des disciples de Jésus.

Pour accomplir son objectif de faire des disciples, Matthieu regroupe l’essentiel de l’enseignement de Jésus en cinq grandes parties (chapitres 5-7, 10, 13, 18 et 23-25). Chacun de ces discours célèbres s’articule autour d’un thème, exposant des leçons facilement mémorisables pour devenir disciple. Le but de Jésus à travers ses enseignements est de réorienter les sensibilités, les amours, les habitudes, les comportements et les pensées de ses disciples, en accord avec le royaume de Dieu à venir, tel qu’il se révèle à travers lui. C’est ce que signifie être disciple : prendre sur soi le joug de la sagesse de Jésus et apprendre sa manière très différente d’habiter le monde (11.25-30).

Lorsque l’on reconnaît que Matthieu 18 n’est qu’une partie d’une sorte de manuel du disciple composé des enseignements de l’Évangile et que l’objectif primordial du livre est la formation des disciples, il est possible alors de lire les paroles de Jésus au chapitre 18 avec plus de justesse. Bien qu’exercer la discipline envers des membres d’Église égarés puisse être une application des instructions de Jésus, cette interprétation est au mieux étroite, et pourrait être porteuse d’erreurs. La chose la plus importante à comprendre à propos de Matthieu 18.15-20 est qu'il ne s'agit pas principalement d'un manuel de discipline pour l’Église, mais plutôt d'une petite partie d'un programme plus vaste et constructif afin que les disciples chrétiens sachent comment vivre en communauté.

Un code de vie en communauté

Mon oncle, à la fois instruit et sympathique, plaisantait toujours en disant qu’une journée n’est jamais perdue quand on peut utiliser un mot allemand. En voici un bon, transmis par Martin Luther lui-même, qui décrit avec justesse le but de Matthieu dans les chapitres 18 à 20 : haustafel, « table ou code domestique ». Un code domestique donne des instructions sur la manière de se comporter entre membres d’une unité familiale élargie et sur les attitudes à pratiquer et à mettre en valeur. On trouve d’autres exemples bibliques de code domestique en Éphésiens 5.22-6.9 et Colossiens 3.18-4.1.

Matthieu 18-20 sert le même objectif pour le « foyer » ou la « famille » qu’est l’Église, pour le peuple de Dieu nouvellement formé en Jésus-Christ. Il explore une variété de situations relationnelles pour instruire les disciples du Christ et savoir qui et quoi honorer. Cette section met en valeur les enfants et les personnes vulnérables (18.1-14 ; 19.13-15), souligne l’importance du pardon mutuel entre frères et sœurs en Christ (18.15-35) et la haute considération de Dieu pour le mariage (19.1-12), et privilégie ceux qui suivent la voie de la souffrance de Christ, face aux riches et à ceux qui se font passer pour justes (19.16-30).

Pris en commun, ces chapitres offrent une vision d’une nouvelle façon d’habiter le monde ensemble, illustrant ce que nos relations devraient être. C'est ce contexte global de Matthieu 18.15-20 qui passe inaperçu si l’on s’en tient seulement à ces quelques versets. L’enseignement de Jésus, ici, n’est qu’un exemple de la saveur particulière que les relations au sein de l’Église du Christ sont appelées à avoir.

La marque fondamentale

Ce texte supposé traiter de « discipline ecclésiastique » s’inscrit en réalité dans le grand thème du pardon comme marque fondamentale de la communauté chrétienne. L’exhortation éthique centrale de Matthieu est l’appel à être miséricordieux. En donnant des exemples d’actes de bonté (avec par exemple l’attitude de Joseph envers Marie, sa fiancée, en 1.19) et à travers les enseignements de Jésus, Matthieu met l’accent sur l’appel constant de Jésus à ce que ses disciples soient des êtres de pardon.

Faire preuve de miséricorde est une vertu à double face : la compassion miséricordieuse envers ceux qui sont dans le besoin (6.2-4 ; 9.12-13 ; 12.7) et le pardon miséricordieux envers ceux qui nous ont fait du tort (5:7,9 ; 6:14–15 ; 18:21–35). Et ce sentiment de miséricorde qui conduit à pardonner aux autres est le principal marqueur qui distingue les véritables disciples de Christ. En fait, le manque de pardon est l'une des raisons pour laquelle certains pourraient être exclus de l'Église selon les étapes décrites dans 18.15-20 — parce que ceux-ci ne veulent pas se réconcilier avec un autre membre, malgré l'exhortation à le faire adressée à chacun dans la communauté.

Ce thème de la miséricorde au travers du pardon est encore souligné par la longue parabole que Jésus raconte immédiatement après 18.15-20. Cette parabole du serviteur impitoyable (aux v. 21-35) est l’un des enseignements de Jésus les plus dérangeants et les plus forts. Il illustre et fait comprendre son propos : les chrétiens doivent se pardonner l’un l’autre.

Ce n'est pas que Matthieu 18.15-20 n'aborde pas les moyens pratiques de traiter le péché dans la communauté chrétienne. Le texte le fait effectivement. Mais lorsque l’on élargit la lecture pour prendre en compte le contexte dans sa globalité, on s’aperçoit que la discipline n’est pas l’élément moteur. Ce qui est au cœur du texte, c’est la croissance de la communauté caractérisée par la miséricorde et la grâce de Christ.

Un travail de longue haleine

Tout au long de Matthieu 18 à 20 se manifeste également la réalité persistante et inévitable du conflit au sein de la communauté chrétienne. Ce passage nous aide à avoir des attentes réalistes à propos de notre vie communautaire et de ses conflits. Les instructions de Jésus sont nécessaires parce que les humains font le mal : ne pas tenir compte des enfants, causer du tort aux personnes vulnérables, divorcer sans raison, se battre pour savoir qui est le plus grand et, surtout, pécher les uns contre les autres et ne pas se pardonner.

Il est important de noter que Jésus ne montre ni indignation ni surprise face à ces situations. Il ne s’attend pas non plus à ce qu’elles ne se produisent pas. Au contraire, Jésus sait que c’est l’expérience humaine normale et, par conséquent, l’expérience chrétienne normale dans la communauté.

Une communauté florissante n’est pas une communauté exempte de conflits, mais une communauté où les chrétiens valorisent et pratiquent la manière très différente d’être au monde apprise de Jésus. Et c'est le but principal et l'objectif de la formation de disciples dans Matthieu 18.15-20.

La santé de l’Église n’implique pas l’absence de conflits. La santé de l’Église peut se voir quand les chrétiens traitent collectivement les conflits comme une affaire communautaire sérieuse dans le but d’arriver à la réconciliation. C’est la voie de Christ.

Ainsi, les pasteurs peuvent apprendre à considérer le conflit comme une réalité inévitable. Comme nous le savons tous bien, tôt ou tard, des situations ayant besoin de la sagesse de Matthieu 18-20 se produiront. La fonction de ces textes est de normaliser de telles expériences au sein d’une communauté ecclésiale et de donner des instructions pratiques pour vivre ensemble dans la voie de l’amour. Ce principe directeur s’applique au cas d’adultère, au pasteur narcissique et aux parents qui se querellent.

En tant que pasteurs, nous sommes appelés à jouer longtemps le jeu d’enseigner au peuple de Christ ce qu’il met en valeur dans Matthieu 18-20. Lorsque des conflits et des fautes morales de toutes sortes se produisent — ​​et ils se produiront —, nul besoin d’être surpris. Au lieu de cela, ces situations se présentent comme une occasion d’enseigner la voie du Christ.

Un pasteur pourra s’inspirer des étapes que Jésus a données à l’Église pour rechercher la réconciliation dans les relations. Ce faisant, il aide sa communauté à grandir comme une communauté alternative et belle. En agissant ainsi, nous manifestons sa manière d’être dans le monde, servant de lumière brillant dans les ténèbres.

Jonathan T. Pennington est professeur de Nouveau Testament au Southern Seminary et pasteur pour la formation spirituelle à la Sojourn East Church de Louisville, dans l’État américain du Kentucky. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Jesus the Great Philosopher.

Traduit par Philippe Kaminski

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Russell Moore, nouveau rédacteur en chef de Christianity Today

Joy Allmond, responsable de longue date de l’édition, rejoint également le conseil pour mettre en œuvre la vision du ministère.

Christianity Today August 11, 2022
Eric Brown

Ce qui fait la grandeur de quelqu’un dans ce monde, ce n’est pas la possession d’un talent extraordinaire, mais une mise en œuvre résolue et persévérante de ce talent, menée avec courage et tempérament, en vue d’un objectif valable. Ce qui fait la grandeur de quelqu’un dans le royaume de Dieu, selon Jésus, c’est un esprit d’humilité et de service (Mt 20.26).

C’est pour ces raisons que je suis profondément heureux d’annoncer que Russell Moore reprendra le rôle de rédacteur en chef de Christianity Today à partir du 1er septembre.

Que Russell Moore soit une personnalité dotée de talents extraordinaires est incontestable. Il a été nommé doyen de l’école de théologie du Southern Baptist Theological Seminary, l’un des séminaires de formation des baptistes du Sud, alors qu’il n’avait que 32 ans. Par le biais de ses livres, de ses articles et podcasts, de ses interventions publiques et de sa direction de la Commission pour l’éthique et la liberté religieuse, il a sans doute été la voix chrétienne évangélique la plus importante dans le public aux États-Unis au cours de la dernière décennie. Quiconque a lu ses écrits ou entendu ses discours pourra témoigner des prodigieux dons qui lui ont été confiés.

Mais le talent seul n’est pas la raison de notre enthousiasme. Russell Moore a fait preuve, à maintes reprises, de son courage d’exprimer ses convictions et de son intégrité pour vivre selon celles-ci. Cela a parfois signifié défendre des vérités bibliques et théologiques essentielles sur la place publique. Parfois, cela l’a conduit à mettre l’Église face à des vérités qui nous interpellent et nous confondent.

Russell Moore a travaillé sans relâche pour aider les hommes et les femmes de conviction évangélique à s’attaquer au péché dans nos propres rangs, qu’il s’agisse d’idolâtrie et de préjugés ou d’abus et de négligence. Il s’est attaqué à certaines des problématiques les plus importantes et les plus urgentes de notre époque, même lorsque cela signifiait subir les foudres des critiques provenant tant de l’extérieur que de son propre camp.

Ce qui m’enthousiasme le plus, cependant, c’est la façon dont il n’a jamais perdu de vue l’appel fondamental des chrétiens à servir les plus petits et à partir à la recherche de ceux qui se perdent. Qu’il s’agisse de conseiller des pasteurs en crise, d’accueillir chez lui des victimes d’abus ou de partager l’Évangile avec des étudiants, notre nouveau rédacteur en chef n’est pas un académicien dans sa tour d’ivoire ou un poseur de bombes sur Twitter, mais quelqu’un qui est profondément engagé dans la vie de l’Église et dans le partage de l’amour de Dieu avec les autres. Pasteur baptiste ordonné ayant occupé de multiples responsabilités pastorales (et en occupant encore une aujourd’hui), Russell Moore a servi l’Église et le royaume sans relâche tout au long de sa carrière.

Au sein de Christianity Today, nous aspirons à mettre en avant les histoires et les idées du royaume de Dieu. La question fondamentale qui anime notre travail est la suivante : à quoi ressemble un disciple fidèle de Jésus-Christ à notre époque ? Nous espérons offrir à une nouvelle génération ce qu’a trouvé Russell Moore lui-même lorsqu’il a découvert Christianity Today à l’âge de 15 ans : une vision à la fois large et convaincante de la vie chrétienne qui ouvre un chemin au sein d’un monde déchu et en direction du royaume de Dieu.

C’est pour cela que cette nomination à ce poste est si importante. En tant que président et directeur général, j’ai occupé brièvement le poste de rédacteur en chef à l’intérim, mais nous avons besoin de quelqu’un pour l’habiter pleinement, et Russell Moore incarne cette façon de suivre Jésus profondément enracinée, magnifiquement orthodoxe, réfléchie et empreinte de compassion, et engagée à servir le royaume, même au risque d’en payer le prix.

Fait important, nous accueillons également dans notre équipe Joy Allmond, vétérane de longue date de la communication et de l’édition, qui occupera le poste de chef d’équipe rédactionnelle. L’une des principales charges de Russell Moore sera de continuer à faire avancer notre programme de théologie publique. Joy Allmond travaillera à ses côtés pour voir ce projet s’épanouir. Forte d’une longue expérience au sein de la Billy Graham Evangelistic Association, du magazine Decision et de Lifeway, elle offrira l’apport de dons remarquables en matière de rédaction, de direction et de relations interpersonnelles pour le bon fonctionnement de notre travail d’édition ainsi que pour les événements et programmes à venir.

Nous vivons une époque de grands périls et de grandes promesses pour l’Église. Nous sommes déterminés, à Christianity Today, à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour servir l’Église dans une période de turbulences et de divisions, et pour aimer le monde que Dieu a façonné. Nous avons été honorés d’accueillir Russell Moore dans notre équipe il y a un peu plus d’un an. Nous attendons maintenant avec impatience ce que lui, Joy Allmond et notre extraordinaire équipe éditoriale pourront accomplir dans les années à venir.

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Church Life

Le banquet le plus nourrissant qui soit

Comment l’amour du luxe à la française m’a conduite à savourer les Écritures

Photographie de couverture par Klara Kulikova

Christianity Today August 8, 2022

Cumin. Cannelle. Cardamome. Curry. Coriandre. Toutes sortes de couleurs et de senteurs enveloppaient chaque ami qui passait la porte d’entrée de notre maison américaine, offrant bien plus qu’un repas à partager. Nous avions invité chacun d’entre eux pour faire l’expérience d’un voyage culinaire inhabituel, leur demandant d’apporter leur plat « maison » préféré dont nous allions tous nous délecter. Ce repas festif inattendu arriva dans toutes sortes de contenants, des plats en fonte aux faitouts en poterie, des casseroles en verre aux paniers tressés. Aucun couvercle ne pouvait cependant retenir les arômes qui se répandaient tout autour de nous, avant-goûts d’une fête à venir pour nos cinq sens.

La table fut dressée, et les trésors, dévoilés : taboulé libanais, chapati indien, mezze grecs, paella espagnole, curry thaïlandais, kimchi coréen, venaison brésilienne, confit de canard bien français, cheesecake américain et tiramisu italien. J’avais même pris le temps de confectionner des croissants maison.

Le moment vint enfin de prendre place autour de ma nappe à carreaux rouges et blancs, et de mes assiettes blanches en porcelaine fine qui allaient servir d’écrin aux découvertes à venir. Les fleurs du jardin cueillies par mon mari ajoutaient un je-ne-sais-quoi de festif, précurseur de l’ambiance des quelques heures à venir. Chacun leur tour, nos invités présentèrent leur contribution culinaire, accompagnée d’anecdotes personnelles et de souvenirs choisis avec amour. Ils nous invitaient ainsi à entrer dans une expérience intime de leur culture à travers nos cinq sens. La générosité gustative de chaque bouchée n’avait pour égaux que l’extravagance de la présentation et des textures, le rire facile qui ponctuait la conversation, et les parfums exotiques de ce menu hors normes. Pour une journée, notre demeure fut un havre de cultures culinaires.

Je pris le temps d’observer mes invités et leurs interactions avec les mets qui leur étaient présentés. Certains faisaient le choix du conventionnel, gardant sous la main le saladier plein de chips au sel et au poivre. D’autres, plus téméraires, vécurent des moments inédits pour leur palais.

Les regardant, je ne pouvais m’empêcher de m’interroger : Quelles saveurs ai-je encore à découvrir au long de mon périple spirituel ? Est-ce que j’aborde la Bible en m’attendant à l’irruption de nouveautés délicieusement épicées, ou est-ce que je me satisfais des chips au sel et au poivre que je retrouve chaque jour ? Contemplant la diversité des personnes qui m’entouraient, je me posai aussi la question : l’Église universelle, cette beauté multiculturelle qui transcende l’espace et le temps, pourrait-elle enrichir ma relation avec mon Seigneur ? Ou ai-je plutôt tendance à choisir ce qui m’est déjà culturellement familier ?

En tant que Française, je m’imagine parfois génétiquement conditionnée pour apprécier la bonne chère — une idée reçue encouragée ici dans la culture américaine qui tend à imaginer que chaque Français est un grand chef de cuisine. Ex-athée m’étant tournée vers le Seigneur alors que j’étais jeune adulte, ma passion pour Jésus et ma gratitude envers lui sont les saveurs spirituelles qui parfument chaque moment de ma vie. Et, parce que j’ai vécu les deux dernières décennies sur trois continents, dans quatre pays et cinq villes à travers six professions, j’ai appris à déchiffrer langages et traditions afin de goûter aux beautés culturelles qui m’entourent.

Aujourd’hui même, en tant que Française habitant aux États-Unis, je prolonge mon expérience multiculturelle avec ma famille. Cette journée de festin international devint une source d’inspiration pour approcher les Écritures à travers la même grille de lecture des langues, saveurs, cultures et épices. J’ai appris à vivre à l’intersection entre cultures et Écritures. Dieu m’a lancé le défi, il y a presque trente ans, lorsque j’étais encore athée, d’oser « goûter et constater que le Seigneur est bon ». Depuis, j’ai découvert que Dieu s’apparente au chocolat bien noir : addictif et bon pour la santé.

Quand les Écritures se sont ouvertes à moi dans leur lumineuse beauté, j’ai découvert que notre merveilleux Seigneur sait prendre appui sur notre culture pour se révéler à nous : dans mon cas, il prit un verset déguisé en invitation quasi culinaire (« goûtez et constatez que le Seigneur est bon », Psaume 34.8) pour m’inviter à un voyage que mon cœur pouvait comprendre.

En Français nous avons un très beau mot, le mot « délice. » Nous faisons de Dieu nos délices, tout comme mes invités firent de chaque plat leur délice. Nos amis anglophones distinguent deux mots différents, « delight » et « deliciousness ». Ainsi, un anglophone ne fera pas aussi immédiatement le lien entre un délice spirituel et un délice culinaire. Mais ce lien est plein de poésie. Quand nous cherchons à faire de la gloire de Dieu nos délices, nous cherchons tout autant à savourer sa bonté. C’est la raison pour laquelle j’aime décrire ma plus grande ambition et la raison de mon existence par ces mots : « la gloire de Dieu, notre délice ».

Nous autres, Français, sommes réputés pour un certain hédonisme, et je serai la première à reconnaître que, sans Jésus Christ, nous nous sommes engagés dans toutes sortes d’impasses spirituelles et charnelles. Mais permettez-moi, en toute humilité, de faire œuvre de rédemption pour ce petit pré carré de notre belle culture française : notre définition de l’idée de luxe. Ici, aux États-Unis, je découvre que le luxe peut assez bien se définir par l’abondance et la qualité des possessions matérielles. En France, je m’aventurerais humblement à suggérer que le luxe peut aussi être défini différemment. La plus belle définition que je connaisse du luxe est « un banquet pour les cinq sens ». Quand vos sens sont tous ensemble tournés vers quelque chose de beau ou de bon en un instant donné, cet instant est intrinsèquement luxueux. Retournez en pensée à ce moment tout simple où vous prenez la première bouchée d’un croissant au beurre, croustillant, à peine sorti du four. Vos sens de l’odorat, de la vue, du toucher, du goût et même de l’ouïe sont invités à la fête. C’est cela, le luxe dans le quotidien.

De même, le véritable luxe spirituel, c’est d’être si pleinement immergé dans notre relation avec Dieu que nos « cinq sens » spirituels sont à la fête. Nous faisons de Dieu notre délice avec tout notre cœur, toute notre pensée, toute notre âme, tout notre esprit, et toute notre force. Nous soupirons après lui, plus que la biche qui tourne sa tête vers le cours d’eau, ou que l’enfant qui cherche l’étreinte de sa mère.

Dieu dit à Jérémie et Ézéchiel que sa parole est semblable au miel. Et si sa Parole était aussi comme un bon croissant ? En France, le croissant fait partie de ce qui peut transformer le quotidien en luxe gustatif. Ce petit croissant est présent chaque matin, à côté de ma tasse de café bien noir, sans sucre ni crème, alors que j’ouvre ma Bible pour rencontrer Dieu avant même que le soleil ne se lève.

Ce moment de luxe est le point de départ d’une journée construite avec détermination et intentionnalité, à distance de toute forme de répétition insipide et sans goût, disponible à des changements créatifs. Dans ma méditation, je fais appel à différentes disciplines spirituelles, chacune comme une épice au profil précis, qui, prises ensemble, préviendront la fadeur. Nous bénéficions d’un vaste étalage d’épices spirituelles pour enrichir notre foi : mémorisation des Écritures, prière, étude biblique, journal personnel, service auprès d’autrui, jeûne, louange et adoration, chant et lecture d’auteurs édifiants, d’hier et d’aujourd’hui.

Tout comme les nombreux plats de notre banquet partagé, ces petits pots d’épices s’ouvrent à nous pour offrir différentes senteurs et saveurs, qui inspirent et invitent mon âme et mon cœur à entrer dans une dimension de luxe spirituel, incluant mes cinq sens spirituels. Ils m’apprennent à aimer le Seigneur mon Dieu de tout mon cœur, de toute ma pensée, de toute mon âme, de toute ma force et de tout mon esprit.

Un dernier élément de cette expérience du luxe spirituel me convie chaque jour dans l’émerveillement et l’adoration au cœur de la Salle du Trône : en Christ, notre succès est garanti. En d’autres termes, quand je choisis de faire de la gloire de Dieu mon délice, j’aligne mon cœur avec la volonté de Dieu pour moi, me préparant à mener une vie pleinement satisfaisante, épanouissante et délicieusement réussie. Tout comme mes invités ce jour-là allaient forcément réussir leurs recettes parce qu’elles étaient enracinées dans leur histoire, leur culture et leur identité, de la même manière, faire de Dieu mon délice est à la fois l’origine et la direction de mon identité, enracinée en lui. C’est la saveur de la vie véritable, et le luxe spirituel ultime.

Je ne saurais décrire l’inimitable qualité d’un croissant à peine sorti du four sans vous en tendre un pour que vous le goûtiez. Sans en faire l’expérience personnelle, nous ne pouvons pas davantage décrire ce qu’est l’admiration émerveillée que nous sommes appelés à éprouver envers Dieu. En tant qu’enfant de Dieu, je suis créée pour faire de sa gloire mon délice au quotidien. Voilà le luxe spirituel ultime, et la définition du vrai succès. Ce luxe et ce succès se présenteront différemment pour chacun de nous, parce que Dieu est bien trop créatif pour faire deux fois la même chose. Tout comme ma fille aime à me le rappeler, un original vaut bien plus qu’une copie.

Vu sous cet angle, mon banquet multiculturel nous offre une belle métaphore gustative de ce véritable luxe spirituel et éternel. Chaque contribution était un original unique, mais toutes ensemble chantaient une réalité qui les dépassait toutes, transcendant chaque épice et saveur individuelle. Pendant un court moment enraciné dans le temps et l’espace, nous nous sommes trouvés unis dans cette diversité de saveurs, de parfums, de textures, de couleurs et de rires. Nous avons expérimenté la communion dont jouirons bientôt pour l’éternité toutes les langues, toutes les tribus, toutes les nations. Faire de la gloire de Dieu notre délice est le besoin le plus profond du cœur humain, et le banquet le plus nourrissant qui soit.

Votre place est prête. Prenez une chaise. Vous êtes attendu.

Deuxième édition du concours international d’écriture de Christianity Today

Nous repartons à la découverte de la sagesse, des perspectives et des réflexions théologiques d’auteurs écrivant en chinois, espagnol, indonésien, portugais, et français !

Christianity Today August 3, 2022
Image: Illustration by Rick Szuecs / Source Images: Ron Lach / Pexels / Flickr / CCO

À Christianity Today, nous croyons que la Parole de Dieu contient des vérités et des enseignements spécifiquement pertinents pour les défis auxquels nous sommes confrontés à notre époque. Par ailleurs, chaque culture aborde la Bible de son propre point de vue et apporte depuis celui-ci des perspectives uniques. Nous avons beaucoup à apprendre en étudiant les manières dont ceux qui viennent d'horizons différents du nôtre analysent et appliquent les Écritures.

C'est dans cet esprit que nous annonçons notre deuxième concours annuel international d'écriture. Nous proposons aux auteurs écrivant en chinois, espagnol, français, indonésien ou portugais de nous envoyer leurs réflexions dans leur propre langue. Leurs textes seront jugés par trois à cinq responsables chrétiens et théologiens vivants dans des régions où cette langue est parlée. Le texte gagnant de chaque langue sera ensuite traduit en anglais et publié sur le site web de Christianity Today dans les deux langues.

Cette année, nous demandons aux auteurs de choisir un verset, un chapitre ou un récit de la Genèse, du livre de Job, de 1 ou 2 Corinthiens ou de Colossiens et de le mettre en relation avec un problème auquel eux-mêmes ou leur société sont confrontés dans leur contexte spécifique. Nous sommes particulièrement à la recherche de textes combinant un grand respect pour les Écritures et une application originale et rafraîchissante de leur contenu. L'article devrait encourager vos propres concitoyens, tout en gardant à l’esprit qu’il devrait pouvoir être lu n’importe où dans le monde.

Nous sommes intéressés par la lecture de réflexions originales transmettant la perspective de l'Évangile sur une question particulière, dans une tonalité généreuse et pondérée, qui donneront aux lecteurs l'envie d'ouvrir leur Bible et d'en lire davantage. Les éventuels articles rédigés à la première personne devraient appliquer votre expérience personnelle à une notion plus large de la foi et de la vérité biblique.

Si vous n’en êtes pas familiers, nous vous recommandons de lire quelques articles publiés par CT pour vous faire une meilleure idée de la tonalité, du style et du type des articles que nous publions. Nous ne recherchons pas des articles universitaires et CT n'emploie pas les notes de bas de page, mais nous pouvons utiliser les liens hypertextes lorsque cela est pertinent.

Critères d'évaluation

  • Clarté de la présentation des idées.
  • Originalité de la réflexion
  • Structure argumentative
  • Profondeur théologique
  • Recherches apparentes sur le sujet
  • Maîtrise de la nuance
  • Pertinence pour la communauté linguistique concernée

Prix

Nous aurons un gagnant dans chaque langue : chinois, espagnol, français, indonésien et portugais.

Chaque gagnant remportera 250$ et un abonnement numérique de trois ans à Christianity Today, en plus de la publication de son article sur notre site.

Même si votre texte ne remporte pas le concours, il pourrait être publié ultérieurement. En soumettant votre texte, vous acceptez que les rédacteurs de Christianity Today envisagent sa publication future.

Informations pour la participation

Pour le français, votre participation est à communiquer par courriel à l'adresse ChristianityTodayFR@christianitytoday.com d'ici au 30 septembre 2022.

Définissez l'objet du courriel comme suit : Concours d'écriture Christianity Today — [Prénom et nom]

Nommez votre document de la manière suivante : Nom Prénom – Titre du texte

Envoyez votre texte sous forme de lien ou de pièce jointe, au format dactylographié, avec interligne simple. Si vous envoyez plusieurs textes, préparez chaque texte séparément.

Indiquez votre nom complet et quelques mots à propos de vous dans le courriel (50 mots maximum).

Indiquez le nombre total de mots de votre texte.

Détails

Toutes les contributions doivent compter entre 1200 et 1500 mots.

Vous pouvez soumettre plus d'un texte. Nous pourrions publier plus d’une soumission par personne, mais un seul texte par personne sera retenu parmi les finalistes soumis à notre jury.

Nous ne pourrons pas accepter les contributions tardives pour le concours, mais nous les prendrons tout de même en considération pour une éventuelle publication.

Tout le contenu doit être original.

Vérifiez l'orthographe et la grammaire. Indiquez les liens vers toute source extérieure.

Votre essai sera édité par les rédacteurs de Christianity Today avant d'être publié et les titres pourront être modifiés.

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Qui paie le prix des grossesses non désirées ?

Les premiers opposants à l’avortement aux États-Unis soutenaient les mesures d’assistance aux mères. Pourquoi certains se sont-ils éloignés de cette approche ?

Christianity Today July 29, 2022
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: Paul Taylor / Getty / Enrique Guzman Egas

Les grossesses accidentelles ont un réel coût humain. Elles changent profondément la vie des femmes qui se retrouvent enceintes d’un enfant qu’elles n’avaient pas prévu et qu’elles ne se sentent peut-être pas équipées pour prendre en charge.

Les législations favorables à l’avortement proposent une manière de gérer ces coûts. Ceux qui s’y opposent en voient d’autres. À la suite du renversement de l’arrêt Roe vs Wade par la Cour suprême américaine dans l’affaire Dobbs vs Jackson Women’s Health Organization, mon fil Twitter a été envahi de partisans des deux camps exprimant soit leur indignation, soit leur jubilation face à ce transfert des coûts.

Les opposants à l’avortement se réjouissent du fait que, en tout cas dans de nombreux États conservateurs, l’enfant à naître n’aura plus à payer le prix d’une grossesse non désirée. Les défenseurs du libre choix de la femme sont scandalisés par le fait que, dans ces mêmes États, les femmes devront désormais supporter ce coût dans une mesure plus importante encore qu’auparavant. Roe vs Wade était pour eux une décision historique en matière de droits des femmes. Son annulation les indigne profondément.

Mais il se pourrait que ni Roe ni Dobbs ne représentent une manière pleinement chrétienne de répartir les coûts humains associés aux grossesses en situation difficile. C’est toute la réflexion de chrétiens soucieux de préserver la vie humaine qui ne se satisfont ni des résultats de Roe ni de ceux, probables, de Dobbs.

L’histoire du mouvement pro-vie apporte un éclairage sur ces défis qui demeurent. Elle offre également quelques repères pour l’avenir.

Roe vs Wade transfère les coûts aux enfants à naître

Roe vs Wade, qui fut largement soutenue par les protestants et juifs libéraux et les Américains non religieux, reposait sur le principe qu’il était injuste et inconstitutionnel pour l’État d’imposer à la femme les coûts d’une grossesse non désirée en la forçant à rester enceinte contre sa volonté.

Cependant, il demeure inévitablement un coût associé à chaque grossesse accidentelle. Qui doit assumer celui-ci ? Dans le cas des grossesses qui se terminent par un avortement, c’est le fœtus qui paie le prix fort. Roe comprenait une longue explication de la raison pour laquelle ce transfert de coût ne constituait pas une violation des droits du fœtus puisque, comme le déclarait la décision de la Cour suprême, le fœtus non viable n’était pas un citoyen doté de droits constitutionnels. La femme enceinte, en revanche, avait des droits constitutionnels, et ces droits comprenaient celui de mettre fin à sa grossesse.

Pour les féministes pro-choix, ce transfert des coûts de la femme au fœtus semblait parfaitement juste. Si les femmes étaient des êtres humains à part entière, pourquoi leurs droits devraient-ils être ignorés en faveur des droits d’un fœtus, dont le caractère personnel (surtout au cours du premier trimestre de la grossesse) était pour le moins discutable ? À leurs yeux, agir ainsi constituait une grave violation des droits les plus fondamentaux des femmes.

Plus les défenseurs des droits reproductifs défendaient le droit des femmes à l’égalité et à l’autonomie corporelle, plus ils tendaient à minimiser la vie du fœtus. Si le fœtus devait supporter la majeure partie du coût de la grossesse non désirée en se voyant refuser une chance de vivre, les discussions sur la réalité de ce coût devenaient profondément inconfortables. Ils étaient très à l’aise pour parler des droits des femmes. Cependant, lorsqu’on les interrogeait directement sur la vie du fœtus, les défenseurs américains du droit à l’avortement dans les années 1970 avaient tendance à dire que le fœtus n’était pas une personne et que, de toute façon, sauver un enfant potentiel d’une naissance dans une situation où il n’était pas désiré était en réalité un acte de miséricorde.

En d’autres termes, ils minimisaient le coût humain que les politiques d’avortement permissives imposaient au fœtus.

La vision initiale du mouvement pro-vie sur l’aide sociale aux femmes

Le mouvement pro-vie fut fondé sur le principe que le fœtus était une personne humaine à part entière. Si tel était le cas, il était profondément immoral et injuste d’obliger le fœtus à payer de sa vie le prix d’une grossesse non désirée.

Pour de nombreux militants pro-vie, les efforts du mouvement en faveur du droit à l’avortement pour nier l’identité humaine et les droits constitutionnels du fœtus étaient analogues aux efforts des esclavagistes pour nier l’identité humaine et les droits constitutionnels des Noirs au 19e siècle. En défendant les droits du fœtus et la valeur de la vie fœtale, le mouvement pro-vie faisait appel à certains des mêmes principes libéraux en matière de droits humains que le mouvement pro-choix. Mais les pro-vie furent aussi confrontés à une tension inconfortable avec un principe qui, dans les années 1970, devenait de plus en plus important pour de nombreux progressistes : l’égalité entre hommes et femmes.

Les pro-vie qui se considéraient comme féministes estimaient que l’égalité entre les sexes n’était pas en jeu dans le débat sur l’avortement. De nombreux pro-vie du début des années 1970 pensaient que le poids des grossesses non désirées pouvait être atténué par un accès élargi aux soins de santé prénataux et maternels, ainsi que par des services de garde d’enfants financés par le gouvernement et de meilleures politiques d’adoption.

Les militants pro-vie de l’époque soutenaient uniformément que les femmes ne devraient jamais être punies pour l’avortement, car ils considéraient les femmes qui mettaient fin à leur grossesse non comme des agresseurs, mais comme des victimes de l’industrie de l’avortement et de la révolution sexuelle.

L’avortement était émotionnellement et physiquement coûteux pour les femmes, pensaient-ils — bien plus coûteux, en fait, qu’une grossesse (même non désirée). Par là, ils contestaient directement les affirmations du mouvement pour les droits reproductifs. Mais à leurs yeux, le militantisme anti-avortement protégeait à la fois les droits des enfants et des femmes. Selon les mots de Jack Willke et de sa femme, Barbara — parmi les militants pro-vie les plus influents de la fin du 20e siècle — c’était une façon « d’aimer les deux ».

L’alliance du mouvement pro-vie avec le conservatisme politique

La vision pro-vie consistant à transférer les coûts des grossesses accidentelles à la société plutôt qu’aux seules femmes individuelles fut par la suite entravée par les alliances politiques que les mouvements pro-vie conclurent avec le Parti républicain.

Bon nombre des premiers militants pro-vie étaient démocrates, mais lorsque le parti démocrate s’engagea de plus en plus à protéger le droit à l’avortement à la fin des années 70 et dans les années 80, ils se tournèrent vers les républicains. Or, le parti républicain, tout en s’ouvrant de plus en plus à l’idée de restreindre l’avortement, s’opposait à l’expansion du filet de sécurité sociale qui aurait aidé les femmes à faibles revenus à s’occuper de leurs enfants.

Certains pro-vie du milieu des années 1970, tels que Sargent et Eunice Shriver, soutenaient que la meilleure façon de réduire le nombre d’avortements au lendemain de l’arrêt Roe vs Wade était d’offrir aux femmes économiquement défavorisées une aide pour mener leur grossesse à terme, afin qu’elles soient moins enclines à recourir aux services d’avortement. Mais le mouvement pro-vie dominant, mené par des organisations telles que le National Right to Life Committee, rejeta cette approche et concentra tous ses efforts sur l’obtention de restrictions légales de l’avortement, même si cela nécessitait une alliance avec un parti qui rejetait le type de soutien aux femmes envisagé par les Shrivers.

Les catholiques politiquement libéraux qui dirigeaient le mouvement pro-vie à ses débuts n’avaient pas prévu que leur mouvement finirait aussi étroitement lié à une vision politique individualiste. Tout leur projet reposait sur le principe de la responsabilité sociale envers les moins fortunés. Mais la politique individualiste du conservatisme américain moderne — à laquelle une majorité d’évangéliques blancs ont adhéré, et qui bénéficie d’un très fort soutien dans le Sud — s’oppose à cette vision sociale généreuse.

Le conservatisme américain moderne a également rejeté la préoccupation du mouvement féministe pour l’égalité des sexes et l’équité sociale. Par conséquent, bien des opposants à l’avortement qui s’apprêtent à mettre en œuvre de nouvelles restrictions sur l’avortement dans les prochaines semaines ou les prochains mois ne sont pas particulièrement perturbés par l’idée que les femmes enceintes devront supporter les coûts des grossesses non désirées.

Certains de ceux qui se présentent comme « abolitionnistes de l’avortement » demandent même que les femmes qui se font avorter illégalement soient directement punies comme des meurtrières — une idée à laquelle le mouvement pro-vie s’oppose depuis un demi-siècle. Dobbs laisse le champ libre à cet état d’esprit politique. Mais malgré toutes les prédictions désastreuses des partisans du droit à l’avortement, cette décision de la Cour suprême ne fait qu’entériner des tendances déjà présentes.

Ce que disent les chiffres

Au cours des quatre dernières décennies — et surtout des dix dernières années — les avortements aux États-Unis sont devenus de plus en plus difficiles d’accès dans les États conservateurs et de plus en plus accessibles (et financés par l’État) dans les États progressistes.

Avant Dobbs, par exemple, une femme gagnant 17 000 dollars par an et enceinte de 11 semaines à Los Angeles ou à New York pouvait obtenir un avortement financé par des fonds publics dans sa propre ville, sans période d’attente obligatoire.

En revanche, si la même femme vivait à San Antonio, elle aurait dû faire 650 km pour se rendre à Shreveport, en Louisiane, attendre 24 heures après une échographie à la clinique, passer par une séance de consultation sur l’avortement, payer 500 $ en espèces pour l’avortement (puisqu’il n’y a pas de subventions médicales de base pour la plupart des avortements au Texas ou en Louisiane), puis faire à nouveau 650 km pour rentrer à San Antonio.

À présent, à la suite de Dobbs, elle devra parcourir près de 500 km supplémentaires pour se rendre à Albuquerque au lieu de Shreveport, puisque les cliniques d’avortement de Louisiane viennent de fermer. Il s’agit bien sûr d’un problème supplémentaire, mais probablement pas d’un changement suffisant pour dissuader la plupart des femmes prêtes à se rendre à Shreveport de parcourir les kilomètres supplémentaires jusqu’à Albuquerque.

Ainsi, l’effet global de cette nouvelle politique sur le taux d’avortement sera probablement très faible. Tant avant qu’après Dobbs, les États conservateurs ont obligé les femmes confrontées à des grossesses difficiles à supporter elles-mêmes le coût des interruptions de grossesse. Dobbs vient juste de rendre la chose encore plus flagrante.

Les militants pro-vie politiquement progressistes du début des années 1970 ne se seraient pas opposés à ce que l’avortement soit rendu plus difficile à pratiquer. Ils auraient même voulu aller beaucoup plus loin en incluant dans la loi une affirmation claire de la grande valeur de la vie du fœtus. Mais si l’on en croit leurs déclarations sur l’élargissement des filets de sécurité sociale, ils auraient probablement été consternés de découvrir que les États qui s’apprêtent maintenant à interdire l’avortement sont aussi, dans plusieurs cas, les États qui offrent le moins de prestations de soins de santé aux femmes enceintes à faible revenu.

Le Texas et le Mississippi — comme l’Alabama et plusieurs autres États conservateurs — ont refusé l’extension fédérale de l’assurance Medicaid qui permettrait de fournir une couverture médicale aux femmes dont les revenus ne s’élèvent pas au-delà de 138 % du seuil de pauvreté fédéral. Ainsi, lorsqu’une Texane ne gagnant que 10 dollars de l’heure donne naissance à un enfant, elle devra probablement assumer elle-même le coût financier et émotionnel de cette décision ; l’État ne l’aidera pas à transférer ce coût ailleurs.

L’idée que les femmes en proie à des grossesses difficiles ne reçoivent aucune aide sociale pour les aider dans le choix de la vie pour leurs enfants aurait été profondément décevante pour de nombreux militants pro-vie d’il y a un demi-siècle.

Comment envisager les choses en tant que chrétien pro-vie ?

Pour ceux qui, comme moi, croient que la vie humaine a une grande valeur dès le moment de la conception, la tentative de Roe vs Wade de transférer le coût des grossesses non désirées sur le fœtus était clairement injuste. Mais le cadre juridique actuel, qui obligera les femmes les plus vulnérables et marginalisées sur le plan économique à assumer à elles seules ces coûts, s’accorde mal avec les centaines d’exhortations bibliques à rechercher la justice pour les plus pauvres.

50 % des femmes qui demandent un avortement aujourd’hui aux États-Unis vivent sous le seuil de pauvreté, et 25 % d’autres ont des revenus à peine supérieurs à ce seuil. 60 % sont déjà mères d’au moins un enfant. Elles luttent souvent pour faire face à des situations instables qui les empêchent d’accueillir un autre enfant dans leur foyer si elles ne sont pas aidées.

Dans le climat politique que nous connaissons aujourd’hui, aucun État n’envisage sérieusement de mettre en place un cadre qui permettrait une véritable justice dans ces cas. Au lieu de cela, nous nous retrouverons d’un côté avec des politiques d’État tentant de conserver le cadre de Roe vs Wade en continuant d’offrir des avortements légaux et en faisant miroiter aux femmes la promesse de transférer le coût de leur grossesse accidentelle sur le fœtus. De l’autre côté, certains États interdiront aux femmes de le faire, mais en même temps ils n’offriront guère d’aide pour supporter les coûts que ces femmes devront supporter en donnant naissance à un enfant.

Quel que soit l’endroit où nous vivons, ceux d’entre nous qui accordent de l’importance aux femmes et aux enfants devront donc aider à supporter ces coûts. Il est plus important que jamais de faire ce que nous pouvons, par le biais de la politique publique et de la charité privée, pour créer une culture de la vie qui renforce aussi les possibilités offertes aux femmes.

Roe v. Wade ne l’a pas fait. Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization ne le fait pas vraiment non plus. Mais à la suite de cette décision, peut-être ceux d’entre nous qui se soucient de la vie humaine pourront ressusciter l’approche des premiers militants pro-vie et promouvoir l’idée que les coûts des grossesses non désirées ne devraient pas être reportés sur les enfants, mais que les femmes enceintes ne devraient pas non plus être forcées de les assumer seules.

Daniel K. Williams est professeur d’histoire à l’université de West Georgia et l’auteur de Defenders of the Unborn : The Pro-Life Movement before Roe v. Wade. Une version plus développée de cet article (en anglais) a été originellement publiée par The Anxious Bench sur Patheos. Reproduit avec autorisation.

Speaking Out est une rubrique d’opinion des invités de Christianity Today et (contrairement à un éditorial) ne représente pas nécessairement le point de vue de la publication.

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La laïcité n’a rien de mauvais en soi

Bien comprise, elle offre le meilleur espoir de préserver la paix et la liberté dans des sociétés pluralistes.

Christianity Today July 12, 2022
Illustration by Rick Szuecs / Source images: Envato Elements / Jacky Watt / Samuel Schroth / Diogo Fagundes / Unsplash / Cottonbro / Pexels

De nombreux chrétiens ont une mauvaise image de l’idée de laïcité. Peut-elle être débarrassée de sa fréquente association avec un esprit antireligieux ? Michael F. Bird, théologien enseignant au Ridley College de Melbourne, en Australie, tente ce numéro d’équilibriste dans Religious Freedom in a Secular Age : A Christian Case for Liberty, Equality, and Secular Government (« La liberté religieuse à l’époque séculière : plaidoyer chrétien pour la liberté, l’égalité et le gouvernement séculier »). Natasha Moore, du Center for Public Christianity, en Australie également, s’est entretenue avec lui sur la place de la foi dans les sociétés pluralistes.

Pourquoi la liberté religieuse est-elle un idéal contesté ?

En Occident, nous avons longtemps supposé que le christianisme était le cadre par défaut et que les chrétiens étaient en quelque sorte les aumôniers de la chrétienté. À présent, alors que nous entrons dans une ère plus post-chrétienne, voire même dans une période de déchristianisation radicale, de nouvelles lignes de fracture apparaissent. Cela affecte la façon dont nous envisageons les droits concurrents entre les différents groupes. Cela va engendrer de nombreux défis pour la gestion des diversités dans nos démocraties multiculturelles.

Que souhaiteriez-vous que les chrétiens — et les laïques — sachent sur la laïcité ?

J’aimerais que les chrétiens sachent que la laïcité n’est pas une mauvaise chose. En réalité, il s’agit d’une bonne chose. La laïcité est ce qui empêche un pays de devenir une théocratie, où le gouvernement politise la religion et où celle-ci est assimilée à la culture. La laïcité est ce qui vous protège des tentatives du gouvernement de définir, réglementer ou interférer avec votre religion.

Du côté des partisans de la laïcité, j’aimerais qu’ils sachent que ce terme est compris de manières très variées. Il y a différents types de laïcité, par exemple en France, en Thaïlande, au Japon ou en Australie. Et cette idée ne signifie pas la marginalisation délibérée des croyants ou des communautés de foi. La laïcité consiste à créer un espace pour tous, quelle que soit leur croyance ou leur absence de croyance.

En contraste avec cette forme bienveillante de laïcité, vous décrivez la montée d’une variante plus militante. Quelles sont les options pour la contrer ?

Certains représentants des médias et du monde politique considèrent les croyants comme une menace pour leur programme progressiste. Dans leur esprit, la liberté de religion doit être restreinte à chaque fois que cela est possible. Nous devrions rester attentifs au fait que c’est ce que semble vouloir une fraction assez vocale de certaines de nos sociétés.

Pourtant, nous avons toutes les raisons de soutenir les dispositions légales et constitutionnelles qui protègent les communautés religieuses de tous types. Tout le monde a un intérêt direct dans la liberté de religion, et pas seulement une minorité de personnes religieusement actives. La liberté de religion fait partie d’un ensemble de droits interdépendants. Vous ne pouvez pas restreindre la liberté de religion sans restreindre également la liberté d’association et la liberté d’expression. La liberté de religion est souvent l’un des meilleurs critères pour déterminer si une juridiction donnée est vraiment libre et pluraliste.

Certains des affrontements les plus violents en matière de liberté religieuse concernent les droits des minorités sexuelles. Vous êtes cependant optimiste quant aux perspectives d’une résolution viable. Pourquoi ?

Je crois qu’il est possible d’imaginer un compromis dans lequel les personnes LGBT ne sont pas exposées à des préjudices ou à des discriminations, et où des aménagements raisonnables sont prévus pour permettre aux communautés religieuses de vivre leur propre conception de la famille, du mariage et de la sexualité. Il en existe des exemples dans des endroits comme l’État américain de l’Utah où des groupes religieux et LGBT ont essayé de créer une atmosphère de respect mutuel. Aucun des deux camps n’obtient tout ce qu’il veut, mais ils obtiennent ce dont ils ont besoin pour vivre en paix ensemble. C’est ce qu’il faudra, à long terme, pour permettre à nos sociétés pluralistes de perdurer.

Vous proposez un ensemble d’attitudes et de réponses que vous appelez la stratégie thessalonicienne. De quoi s’agit-il ?

L’idée vient de quelque chose que la foule en colère dit à propos de l’apôtre Paul et de son équipe lorsqu’ils arrivent à Thessalonique : « Ces hommes qui ont mis le monde sens dessus dessous sont venus ici aussi » (Ac 17.6). Si nous avons affaire à un gouvernement progressiste qui veut être plus coercitif envers la religion, alors nous devrons mettre le monde sens dessus dessous. Nous devrons trouver des moyens de résistance, mais d’une manière résolument chrétienne. Ce ne sera pas la voie du nationalisme chrétien, ni celle de la religion civile, mais plutôt la recherche de nouvelles façons de vivre en paix avec les autres et d’aimer nos voisins, même si le paramètre par défaut du gouvernement et des médias est l’hostilité.

Quelles sont certaines de ces « nouvelles façons » d’aimer notre prochain dans un climat hostile ?

L’une d’entre elles, je pense, est de s’investir davantage dans le bien-être des communautés religieuses autour de nous. Nous avons besoin d’associations qui rassemblent les gens et stimulent un intérêt commun pour la promotion de la liberté religieuse. La cause de la liberté religieuse pourrait représenter une opportunité œcuménique et interconfessionnelle majeure. Si je ne veux pas que le gouvernement exerce une contrainte sur les églises chrétiennes, la même chose doit s’appliquer aux synagogues, aux temples sikhs et aux mosquées musulmanes. Ce qui concerne un groupe affecte évidemment les autres aussi.

Vous dédiez votre livre à Tim Wilson, un homme politique australien. Pourquoi cela ?

Tim Wilson est un membre du Parlement australien et un ancien commissaire aux droits de l’homme. Il y a plusieurs années, il a organisé une table ronde sur la liberté de religion et les droits des personnes LGBT. L’idée était de parvenir à un arrangement où les personnes LGBT ne seraient pas soumises à des préjudices, à du harcèlement ou à une discrimination injuste, mais où nous permettrions également aux musulmans d’être musulmans, aux juifs d’être juifs et aux chrétiens d’être chrétiens.

Tim est un homme homosexuel marié à un autre homme. Mais il a été une voix de raison, de bon sens et d’équité dans ces discussions. Il nous a montré comment avoir des conversations saines et non contradictoires dans un contexte souvent rempli d’accusations et de suppositions haineuses.

Il fait remarquer que l’Australie n’est pas un pays laïque — c’est une démocratie multiculturelle avec un gouvernement laïque. C’est une bonne façon de dire les choses. Avoir un gouvernement laïque (par opposition à être un pays laïque) peut signifier sacrifier certaines coutumes pour protéger cette laïcité. Ainsi, peut-être ne devrions-nous par exemple pas faire réciter le Notre Père au début des sessions parlementaires, car il y a là plus une marque de privilège religieux que de liberté religieuse.

Vous citez l’auteur Os Guinness selon qui nous entrons dans « une grande époque de l’apologétique ». Quel rapport y a-t-il entre apologétique et liberté religieuse ?

Si nous voulons défendre la liberté religieuse, nous devons défendre le concept de religion lui-même : pourquoi la religion mérite-t-elle d’être protégée ? Que fait-elle pour la société ?

Certains de nos politiciens aiment la religion parce qu’elle représente un groupe démographique qui peut être utilisé à des fins politiques. D’autres la traitent comme quelque chose qu’il faut malheureusement tolérer. Face à ces extrêmes, nous devons apprendre à défendre la religion comme quelque chose qui contribue véritablement à l’épanouissement humain.

Quel genre de futur aimeriez-vous voir dans les décennies à venir en matière de liberté religieuse ?

Au-delà d’un accord sur les droits des LGBT et la liberté de religion, nous avons besoin de développer une laïcité généreuse, c’est-à-dire un contexte où le gouvernement et les communautés religieuses peuvent travailler ensemble dans des domaines tels que l’éducation, l’aumônerie de la police, des hôpitaux et des forces armées — des domaines d’intérêt commun où la coopération fait sens.

Cela dit, il faut éviter une forme de « religionisation » de la politique, où les communautés religieuses sont instrumentalisées à des fins politiques, et où certains exploitent les différences religieuses pour semer la division. Le succès serait pour moi de parvenir à cet équilibre.

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Pourquoi la couleur de peau de Jésus est importante

Non, Jésus n’était pas blanc. Et cela change des choses…

Christianity Today July 11, 2022

À l’issue d’une de mes conférences, une étudiante chrétienne s’est approchée de moi. Elle voulait me demander si les Noirs étaient mal à l’aise avec le fait que Jésus soit blanc. J’ai répondu que Jésus n’était pas blanc. « Le Jésus historique ressemblait probablement plus à la femme noire que je suis qu’à la femme blanche que vous êtes ».

Il n’y avait pour moi rien de surprenant dans la supposition de cette étudiante ni dans l’assurance avec laquelle elle l’affirmait. Dans le contexte chrétien en Amérique du Nord, je rencontre si souvent cette idée que j’en suis venue à croire qu’il s’agit là de l’hypothèse par défaut sur l’apparence de Jésus. Le Jésus blanc est partout. Fresques, statues, crèches, cartes de Noël : très souvent, c’est un Jésus blanc qui y apparaît. En 2013, c’est un Jésus blanc que mettait en scène l’impressionnante minisérie de la chaîne History Channel intitulée The Bible pour plus de 100 millions de téléspectateurs. Dans la plupart des représentations occidentales, Jésus est blanc.

Si le Christ Seigneur transcende les couleurs de peau et les divisions raciales, le Jésus blanc a de réelles conséquences. Selon toute vraisemblance, si vous fermez les yeux et imaginez Jésus, vous imaginerez un homme blanc. Sans le vouloir ni l’avoir vraiment conscientisé, beaucoup d’entre nous sont devenus disciples d’un Jésus blanc. Non seulement ce Jésus blanc est inexact, mais il pourrait également inhiber notre capacité à honorer l’image de Dieu chez les personnes d’autres couleurs.

Jésus de Nazareth avait probablement un teint plus foncé que nous ne l’imaginons, un peu comme la peau mate courante chez les Moyen-Orientaux aujourd’hui. Le bibliste de Princeton James Charlesworth va jusqu’à dire que Jésus était « probablement brun foncé et bronzé ». Les premières représentations d’un Jésus adulte le montraient avec un « type oriental » et un teint brun. Mais au 6e siècle, certains artistes byzantins ont commencé à imaginer Jésus avec une peau blanche, une barbe et des cheveux séparés au milieu. Cette image est devenue la norme.

Pendant la période coloniale, l’Europe occidentale a le plus souvent exporté son image d’un Christ blanc, et le Jésus blanc a façonné la façon dont des chrétiens du monde entier comprenaient le ministère et la mission de Jésus. Certains chrétiens du 19e siècle, désireux de justifier les cruautés de l’esclavage, s’efforcèrent de présenter Jésus comme blanc. En niant sa proximité avec la minorité opprimée à la peau sombre, les propriétaires d’esclaves étaient mieux en mesure de justifier la hiérarchie maître-esclave et d’oublier la vocation de Jésus en vue de la libération des opprimés (Lc 4.18).

En tant que Juif, Jésus faisait pourtant partie d’une minorité ethnique dans l’Empire romain. Les Juifs furent marginalisés par les Romains, les Grecs et d’autres groupes non juifs dans de nombreuses villes antiques. Enfant, Jésus fut la cible d’un infanticide à l’initiative du pouvoir, dut fuir en Égypte comme réfugié, puis vécut sous l’exploitation par les percepteurs d’impôts romains. Tout au long de sa vie, il connut la douleur d’être membre d’un groupe ethnique dont la culture, la religion et les expériences sont marginalisées par les autorités en place.

Le fait que Jésus appartenait à une minorité ethnique nous oblige à réévaluer son identité et ceux avec qui il s’est associé dans l’accomplissement de sa mission. Lorsque les gens qui se trouvaient à la marge se rassemblaient, Jésus était parmi eux, non seulement parce qu’il les servait, mais parce qu’il était l’un d’entre eux. En tant que membre d’un groupe opprimé, Jésus ne faisait pas que se soucier des personnes victimes de la violence du système romain, il en était lui-même victime. Jésus ne se souciait pas simplement des réfugiés, Jésus était un réfugié. Jésus ne se souciait pas simplement des pauvres, il était pauvre. Pour Jésus, son ministère signifiait connaître de l’intérieur la douleur des plus marginalisés de la société.

Pour suivre Jésus dans sa mission aujourd’hui, nous avons besoin de choisir un amour qui se fasse véritablement solidaire. De nombreux chrétiens bien intentionnés traversent les fossés sociaux pour servir leur prochain, mais les Blancs peuvent s’occuper des personnes de couleur sans vraiment les considérer comme des égaux, et des personnes aux revenus élevés peuvent servir les personnes à faible revenu tout en connaissant peu les réalités de leur quotidien. L’identité ethnique et la situation sociale de Jésus nous poussent à aller au-delà du service des personnes marginalisées, pour nous tenir à leurs côtés comme Jésus se tient à leurs côtés.

Cela implique de considérer les perspectives et les coutumes culturelles non occidentales comme valables et précieuses, d’écouter ceux que notre contexte marginalise et de démontrer par nos paroles et nos actions que l’Évangile est à la source d’une libération spirituelle et sociale.

Mais avant tout, ceux qui s’imaginent encore un Christ blanc devraient se demander s’ils sont prêts et disposés à adorer un Jésus à la peau sombre.

Christena Cleveland est professeure agrégée de pratique de la réconciliation à la Divinity School de l’Université Duke.

Traduit par Teodora Haiducu

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