La multiplication des hésitants

À côté de ceux qui ne revendiquent aucune affiliation religieuse et de ceux qui se sont éloigné, de nombreux chrétiens voudraient retourner dans une Église locale, mais se sentent bloqués.

Christianity Today April 26, 2022
Illustration by Rick Szuecs / Source images: Jonathan Perez / Pexels / Raw Pixel / Priscilladu Preez / Stefan Spassov / Unsplash

Pour la première fois depuis près de 40 ans, je n’appartiens pas à une communauté locale.

Chaque dimanche, je me réveille avec l’envie de me retrouver avec d’autres autour du chant, des Écritures et des sacrements. La plupart de ces matins, ma femme et moi nous rendons dans une maison de retraite pour célébrer l’Eucharistie avec quelques fidèles un peu oubliés.

Cette année, ma femme et moi tentons d’implanter une Église à Chicago, mais je me demande souvent où est notre place.

Récemment, je partageais les difficultés de cette situation avec un ami. Il s’est fait l’écho de mon sentiment : « Je navigue aussi sans Église — ce n’est pas idéal, mais c’est comme ça. » Notre échange m’a paru anodin, juste deux amis se consolant mutuellement de leur passage par le purgatoire ecclésial. Plus tard dans la semaine, j’ai entendu mes voisins, de jeunes parents, répéter des pensées similaires

À nouveau, ce sentiment a été repris par un ami qui travaille dans une grande organisation chrétienne à but non lucratif. Au fil de SMS et d’appels téléphoniques, mon ancien colocataire et mon responsable confessionnel ont eux aussi évoqué une situation similaire. Mais ce qui a vraiment attiré mon attention, c’est lorsque j’ai entendu mes étudiants et mes collègues du Northern Seminary se décrire et décrire leurs fidèles à peu près de la même manière.

Tous expriment un fort engagement envers Jésus et un désir de faire partie de l’Église, mais ne sont pas actifs dans une communauté locale. Ce segment croissant de croyants est ce que j’appellerais les « hésitants ».

Désabusés, non-affiliés et hésitants

Le COVID-19 a été décrit comme un rayon X mondial, révélant ce qui était caché dans nos systèmes et nos relations. Pour être plus précis, le COVID-19 apparaît comme un rayon X à grande vitesse, révélant et amplifiant ces vérités cachées à un rythme accru.

Des proches sont devenus des étrangers et les liens relationnels se sont distendus. Les inégalités économiques sont devenues flagrantes. Aux Etats-Unis durant cette période, la nation a également été saisie par le meurtre de George Floyd et forcée de prendre conscience du racisme structurel qui reste trop souvent ignoré dans notre pays.

Ce même dévoilement accéléré a touché l’Église, révélant un déclin majeur de l’implication au sein des communautés.

Au cours des dernières années, des recherches approfondies ont fait état de la multiplication de ceux qui ne se reconnaissent pas dans une affiliation religieuse, notamment parmi les membres des générations Y et Z. Ces mêmes études montrent également le progrès du nombre de ceux qui quittent les religions établies, plus particulièrement le christianisme. Pour diverses raisons, ils en ont fini avec l’Église.

Les premières recherches sur la pandémie ont suggéré que jusqu’à un tiers des pratiquants avaient cessé d’aller à l’Église. Des données plus récentes montrent qu’une majorité d’Églises sont aujourd’hui en dessous de leur fréquentation prépandémique. Une étude publiée en début d’année révèle que la fréquentation des Églises est en baisse de 6 %, passée de 34 % en 2019 à 28 % en 2021.

Les gens finissent par s’éloigner de l’Église pour de nombreuses raisons, comme le démontrent les sans-affiliation et ceux qui se sont éloignés, mais ceux que j’appelle les hésitants représentent un groupe distinct qui mérite d’être traité à part. Je soutiens que beaucoup de ceux qui se sont éloignés de l’église, en personne ou en ligne, peuvent être décrits comme tels.

Ces hésitants sont une catégorie tout à fait différente, et ceux avec qui j’ai parlé partagent plusieurs caractéristiques communes. Ils aiment l’Église locale et en ont été des membres actifs dans le passé. Ils prennent Jésus au sérieux et veulent appartenir à une communauté. Ils ne sont pas amers ou cyniques — en fait, les hésitants sont plutôt mal à l’aise à l’idée de ne pas être engagés dans une Église.

Il en résulte un décalage entre leur désir et leur situation, mais ils sont incertains et hésitants sur la manière de se réengager dans l’Église. Bien que leurs histoires individuelles soient innombrables et variées, je voudrais présenter quatre types potentiels d’hésitants et leurs luttes : désorientés, démotivés, découragés ou en manque d’incarnation.

Désorientés : Au cours des deux dernières années, ces personnes sont devenues parents ou ont dû retourner vivre chez leurs propres parents. Certains ont perdu leur emploi et sont à la recherche d’un travail, tandis que d’autres ont changé d’emploi et sont encore en train de s’adapter à une nouvelle orientation professionnelle. Les rythmes effrénés de la pandémie ont bouleversé la stabilité de leur vie, que l’Église contribuait à leur offrir auparavant. Ainsi, au milieu de changements de vie importants, ces personnes ne sont plus actives dans l’Église.

Démotivés : Ces personnes sont démotivées par l’ensemble des problèmes dont elles sont témoins dans l’Église. Peut-être ont-elles réexaminé leur foi après la chute publique de pasteurs estimés ou en étant confrontées à un racisme ou un sexisme permanent, mais elles ne veulent en aucun cas rompre les liens. Ce sont les échecs de l’Église qui poussent de nombreux hésitants à ne pas faire partie d’une communauté.

Découragés : Le poids de la souffrance et du deuil collectif de ces deux dernières années a découragé de nombreuses personnes. Elles luttent pour leur santé mentale et leur motivation. Un grand nombre de membres de leur famille, de voisins, d’amis et de membres de leur Église sont morts. La perte de relations, que ce soit par la mort, le divorce ou la distance, a laissé un fond de malaise qui a éloigné certains hésitants de l’Église locale.

En manque d’incarnation : Un autre sentiment que j’ai souvent entendu de la part de personnes hésitantes est que le culte en ligne ne fonctionne pas pour eux. Les premières recherches sur le COVID-19 ont suggéré que les Églises centrées sur le dimanche avaient du mal à retenir une grande partie de leurs paroissiens. Ces hésitants s’éloignaient de plus en plus de leur Église à mesure que les services devenaient numériques — et lorsque certaines communautés ont recommencé à se réunir en personne, elles ne sont pas revenues.

De nombreux hésitants ont été physiquement et relationnellement bousculés, coupés de leurs lieux et de certains proches. Ils errent, à la recherche d’une autre Église où se sentir chez eux. J’ai discuté avec une vingtaine d’amis et de connaissances que l’on pourrait classer dans la catégorie des hésitants pour savoir à quoi pourrait ressembler leur retour dans l’Église.

Il s’avère que pour beaucoup, ce ne sera probablement pas par le biais d’un culte le dimanche matin. En cela, certains hésitants sont semblables à ceux qui ont ouvertement quitté l’Église et aux sans-affiliation, qui ne sont pas intéressés à prendre part à un service religieux au jour traditionnel du culte.

Pour les Églises qui ont centré leurs ministères sur les cultes du dimanche matin, cela pose un problème. Si le dimanche matin n’est plus, pour certaines personnes, la porte d’entrée vers la communauté et les soins pastoraux qu’il était autrefois, deux questions importantes se posent : Que devraient faire les Églises centrées sur le dimanche ? Que devraient faire ces hésitants ?

Réimaginer la maison de Dieu

Comme l’a déclaré le poète Robert Frost, souvent cité en anglais, « La maison est l’endroit où, quand vous devez vous y rendre, on doit vous accueillir ». Parler de « maison » est chargé de sens, rempli d’odeurs, de sons et de souvenirs sombres ou lumineux.

La notion de foyer est également un fil conducteur du récit biblique. Comme l’écrit le théologien Douglas Meeks dans son livre God the Economist, Dieu « cherche sans cesse à créer un foyer, une maison, dans laquelle les créatures de Dieu peuvent vivre en abondance ».

Si mon intuition est correcte et que le dimanche matin n’est plus le principal point d’entrée pour certains croyants, alors nous devrions approfondir notre réflexion sur l’Église-maison. Plus précisément, nous devrions reconsidérer les lieux physiques où nous nous réunissons.

J’aimerais suggérer que la redécouverte du thème biblique du foyer peut nous aider à interpréter l’architecture sociale actuelle de l’Église, à diagnostiquer ses défis et ses limites, et à fournir aux responsables de l’Église comme aux hésitants un chemin pour l’avenir.

Dans l’histoire biblique, la maison de Dieu est le lieu où il habite avec son peuple — un peu comme l’antenne terrestre de la présence de Dieu.

Au commencement, la maison de Dieu était une parcelle de terre dans le jardin d’Eden, où Dieu se promenait avec Adam et Eve dans la félicité de ce foyer d’avant la rupture. Par la suite, Dieu a demandé à Israël de lui construire une maison mobile pendant l’Exode, appelée le Tabernacle, qui servait de « sanctuaire » portable et d’habitation pour le Seigneur (Ex 25.8).

Après le règne de David, son fils Salomon construisit une maison en dur que l’on appela le temple — le lieu où Dieu devait habiter avec son peuple élu. Yahvé promit que dans le temple, « j’habiterai au milieu des Israélites et je n’abandonnerai pas mon peuple Israël ». (1 Rois 6.13).

Mais les générations suivantes dérivèrent dans le péché et, malgré les avertissements prophétiques, le temple fut détruit et Israël fut exilé. Bien que le temple ait été reconstruit pendant le ministère d’Esdras et de Néhémie, il ne retrouva jamais sa gloire d’antan. Au contraire, pendant les quatre siècles suivants, Israël fut toujours occupé par des puissances étrangères, indiquant l’éloignement de la présence de Dieu.

Puis, au premier siècle, le Messie apparut, et soudain Dieu « fit sa demeure parmi nous » (Jean 1,14). En une seule personne, Jésus, la plénitude de Dieu vint habiter ! Jésus devint le nouveau temple de Dieu, le point focal de sa présence, le lieu précis où le ciel et la terre se rencontrent.

Puis, après la crucifixion, la résurrection et l’ascension de Jésus, le Saint-Esprit descendit sur les disciples le jour de la Pentecôte. Et à partir de ce moment-là, ce sera le peuple de Dieu, l’Église, avec lequel Dieu fera sa demeure.

Tout cela est une bonne nouvelle pour les hésitants.

Retrouver sa maison

Bien que ma femme et moi ne fassions plus partie d’une Église formelle depuis quelques mois, nous nous réunissons toujours avec des amis chaque lundi soir pour manger, prier et méditer sur les Écritures. Nous avons un petit groupe d’amis avec lesquels nous jeûnons tous les mercredis. Un petit groupe de mentors s’est joint à nous une fois par mois pour un appel sur Zoom afin de prier pour notre avenir.

Rien de tout cela n’est formellement lié à une Église organisée, mais ce ne sont que quelques exemples de la manière dont les hésitants pourraient naviguer dans cette période de flottement, en trouvant des moyens originaux de suivre l’exhortation d’Hébreux 10.25 : « N’abandonnons pas notre assemblée, comme certains en ont l’habitude, mais encourageons-nous mutuellement. »

Rappelez-vous que notre éloignement ne sera pas forcément permanent. Comme je l’ai noté précédemment, la plupart des hésitants déplorent la perte de leur communauté chrétienne, et beaucoup attendent avec impatience de retrouver une communauté. Il pourrait être tentant de rester à distance et de critiquer l’Église, comme le font tant d’autres. Rappelons-nous cependant que celle-ci — avec toute sa beauté et ses imperfections — inclut les hésitants !

Ainsi, lorsque vous serez prêt à vous enraciner à nouveau dans une Église locale, pensez d’abord aux personnes de votre entourage qui sont déjà actives dans leur Église. Approchez-les dans leurs maisons et ailleurs — ou mieux encore, invitez-les autour de votre table. Ces personnes peuvent être les portes d’entrée de l’Église et peuvent prier à vos côtés alors que vous cherchez à vous réintégrer.

Si vous faites le tour des Églises, donnez la priorité à celles qui sont proches de chez vous et dont la vision va au-delà des rassemblements dominicaux. Qu’il s’agisse de la laverie locale ou de la banque alimentaire, du trottoir ou d’une réunion de l’association des parents d’élèves, les communautés de voisinage et les lieux publics peuvent devenir des endroits non conventionnels où les hésitants, les sans-affiliation et ceux qui sont partis peuvent rencontrer le peuple de Dieu.

Enfin, en cette période de déracinement, nous pouvons cultiver les vertus de courage et de longanimité qui ont marqué les croyants depuis des générations.

En fait, cette période d’incertitude pour les hésitants pourrait correspondre à la saison de prière et de jeûne du Carême avant Pâques. Il y a beaucoup à déplorer dans le fait de ne pas se sentir chez soi. Dans nos temps de jeûne, nous ressentons physiquement les affres de l’éloignement de la communauté, et pouvons joindre notre voix à celle de tous ceux qui appellent à l’aide à travers le monde.

Lorsque de telles pratiques chrétiennes sont organisées en communauté, elles deviennent un moyen collectif de discerner et de s’engager dans ce que Dieu fait dans le monde. Ces rituels de foi nous ouvrent à la présence de Jésus dans l’intimité de notre foyer.

L’une des nombreuses raisons pour lesquelles ma femme et moi voulons implanter une Église, c’est parce que l’Église est l’endroit idéal pour favoriser de telles vertus et habitudes ! L’Église se réunit pour annoncer que même au milieu de nos sentiments de désorientation, de démotivation, de découragement ou de manque d’incarnation, Dieu ne nous a pas abandonnés.

En cette saison marquée par tant de morts et de distance, nous confessons notre besoin d’une irruption de l’Esprit. Mon espoir pour les hésitants est que notre amour et notre émerveillement pour le Dieu trinitaire ne stagnent pas — et que dans les années à venir, nous puissions encore affirmer : « Grande est ta fidélité ».

Et pour les pasteurs qui veulent atteindre les hésitants dans leur région, il est utile de penser au-delà de l’architecture sociale actuelle de l’Église (le culte du dimanche dans un bâtiment). De nombreux pasteurs le font déjà, mais pour ceux qui ne le font pas, essayez d’imaginer des moyens uniques pour que « l’Église » se déroule dans les foyers de votre communauté pendant la semaine — où les gens deviennent les principaux points d’entrée du ministère de votre communauté.

Je ne suggère pas aux pasteurs de vendre leurs bâtiments ou d’annuler le culte dominical. Les bâtiments sont des ressources incroyables et les rassemblements dominicaux facilitent les célébrations à grande échelle de personnes marquées par l’espoir de la résurrection. Mais lorsque les rassemblements dominicaux constituent le seul point d’entrée dans l’Église, nous passerons très certainement à côté d’un grand nombre d’hésitants, de non-affiliés et de personnes qui nous ont quitté.

Pour répondre pleinement aux réalités mises en évidence et amplifiées par la pandémie, l’Église et ses pasteurs doivent chercher à retrouver un fonctionnement centré sur les personnes plutôt que sur les lieux.

Les pasteurs et les responsables pourraient par exemple noter sur une carte les maisons des membres de leur Église et les considérer comme des extensions de leur sanctuaire, en encourageant ces personnes à inviter leurs voisins à dîner. Beaucoup d’hésitants, de non-affiliés ou de ceux qui se sont éloignés ne se joindront peut-être pas à votre rencontre le dimanche matin, mais ils pourraient apprécier un barbecue le samedi après-midi dans la cour de l’un de vos paroissiens.

Comment cela pourrait-il revigorer la mission de votre Église ou réorienter vos ressources ?

Bien sûr, je sais que tout cela ressemble à une nouvelle tâche pesante pour mes collègues pasteurs, qui vient s’ajouter aux prescriptions sanitaires, aux déficits budgétaires, aux funérailles et au chaos de la vie ecclésiale dans cette période où nous ne savons pas encore si nous sortons de la crise du coronavirus.

Mais écoutez ces paroles de Jésus : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et courbés sous un fardeau, et je vous donnerai du repos. » (Mt 11.28). Jésus veut que nous nous reposions auprès de lui, et nos maisons ici-bas sont l’un des lieux sacrés où nous le faisons — en donnant au sabbat et à l’hospitalité leur juste place respective.

Je reconnais également que pour certains, les maisons individuelles ne sont pas une option, pour des raisons de sécurité, de taille ou de normes culturelles. Quoi qu’il en soit, ma proposition demeure : l’architecture sociale de l’Église peut et doit s’étendre au-delà des bâtiments et dans les espaces sociaux où le peuple de Dieu habite.

Nous tous, le peuple de Dieu, sommes constitués dans la personne de Jésus. Comme Jésus a étendu la présence de Dieu au-delà du temple et jusque dans les maisons de Simon et André, de Marthe et Marie, de Zachée et de Jaïrus, il frappe encore à nos portes aujourd’hui. Que le Roi de gloire entre et fasse sienne notre demeure.

Mike Moore est le directeur du Theology and Mission Program au Northern Seminary de Lisle, dans l’Illinois, un responsable de mission locale avec Resonate Global Mission, et implanteur d’Église à Chicago. Il coanime le Theology on Mission podcast et a été ordonné au sein de la Christian Reformed Church .

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Books

Pacifisme : comment l’héritage mennonite de l’Ukraine influence les réactions évangéliques à l’invasion russe

Les anabaptistes ont façonné le réveil des peuples slaves. Le Sermon sur la Montagne a stimulé la persévérance face aux Soviétiques. Mais comment être non violent face à la guerre ?

Un instructeur militaire entraîne des civils tenant des répliques en bois de fusils Kalashnikov, lors d’une session de formation dans la capitale ukrainienne, le 30 janvier 2022.

Un instructeur militaire entraîne des civils tenant des répliques en bois de fusils Kalashnikov, lors d’une session de formation dans la capitale ukrainienne, le 30 janvier 2022.

Christianity Today April 20, 2022
Sergei Supinsky/Contributor/Getty

Les baptistes ukrainiens étaient autrefois de fervents pacifistes.

Aujourd’hui pris dans une douloureuse lutte pour la survie face aux forces d’invasion russes, beaucoup montent au front. Des voix éminentes demandent à l’OTAN de mettre en place une zone d’exclusion aérienne. Les pasteurs prient pour les soldats ; les Églises leur offrent du pain.

Que s’est-il passé ?

Il ne s’agit pas d’une simple question d’autodéfense. La non-violence promue par la plupart des évangéliques de la région n’est en réalité pas clairement au cœur de leurs convictions. Forgée dans la fournaise de l’Union soviétique, ce qui était à l’époque la deuxième plus grande communauté baptiste du monde s’est développée selon des voies très différentes de celles de leurs confrères aux États-Unis.

Pour s’en rendre compte, il suffit d’interroger Roman Rakhuba, qui a été élevé dans ce contexte baptiste.

« Je ne me serais jamais qualifié de mennonite », déclare le responsable de l’Association of Mennonite Brethren Churches of Ukraine (AMBCU – « Association des Églises de frères mennonites d’Ukraine »). « C’est plus tard que j’ai découvert que je suivais leurs principes depuis le début ».

La foi évangélique ukrainienne a été largement influencée par la tradition anabaptiste. Roman Rakhuba a grandi à Zaporijjia, à 560 km au sud-est de Kiev, près du vieux chêne associé à la colonie mennonite de Chortitza, fondée en 1789.

Son grand-père a été conduit à la foi par un de ces prédicateurs mennonites.

En tant qu’enfant de baptistes, Roman Rakhuba a été élevé sans jouets guerriers et avec pour consigne de ne jamais rendre le mal pour le mal. Considérant comme impossible de participer à la guerre, ses proches refusèrent de combattre dans l’armée soviétique. Il se souvient des mennonites accueillis chez son grand-père, découvrant le décret de 1763 de Catherine la Grande invitant les colons allemands à venir développer l’arrière-pays russe.

Ils furent rejoints par des luthériens et des catholiques, des dissidents et des rebelles, à qui l’on offrit des terres, l’autonomie et, chose vitale pour les pacifistes, l’exemption du service militaire. Au cours du siècle suivant, les communautés mennonites prospérèrent en Ukraine, développant des infrastructures pour l’agriculture et l’industrie. Mais leur prospérité croissante remit en question leurs habitudes sociales et spirituelles, et l’ivresse et les danses devinrent courantes.

Puis vint le piétisme.

Au milieu du 19e siècle, des missionnaires allemands tels que le luthérien Eduard Wuest furent accueillis par les mennonites. L’accent que ces missionnaires mettaient sur une vie chrétienne régénérée par la conversion personnelle, la prière et l’étude de la Bible plaisait aux colons mécontents de l’Église traditionnelle. La communauté se divisa et, en 1860, une dénomination parallèle, les Frères mennonites, vit le jour. Elle envoya des missionnaires jusqu’en Sibérie et en Inde.

Ces croyants encore germanophones vivaient largement séparés de leurs voisins slaves, jusqu’à ce que deux événements interviennent pour déclencher un réveil évangélique. En 1858, l’empereur Alexandre II autorisa la traduction et l’impression de la Bible en russe. Trois ans plus tard, il abolit le servage.

« Pour la première fois, les paysans n’étaient plus liés à la terre », explique Mary Raber, professeur d’histoire de l’Église au séminaire théologique d’Odessa. « Où trouver un meilleur emploi que dans la ferme d’une colonie prospère ? »

Les Slaves, qui pouvaient désormais lire le Nouveau Testament, commencèrent à se joindre à leurs études bibliques.

Les mennonites n’étaient pas le seul mouvement de renouveau dans l’empire russe. Des baptistes allemands implantèrent des Églises dans les montagnes du Caucase. Un missionnaire anglais gagna des convertis parmi l’élite de Saint-Pétersbourg. Aucun de ces groupes n’adopta le pacifisme comme règle, et certains mennonites organisèrent même des unités d’autodéfense pour repousser les bandits dans le chaos de la Première Guerre mondiale.

Mais aucun d’entre eux n’était préparé à la montée des bolchéviques, les révolutionnaires communistes qui prirent le pouvoir en 1923.

Sans compter les convertis, il y avait en 1911 plus de 100 000 mennonites germanophones en Ukraine. Mais leur population avait déjà été ébranlée dans les années 1870, lorsque l’exemption militaire fut révoquée et remplacée tardivement par un service de substitution. Un tiers d’entre eux partirent pour les plaines du centre de l’Amérique du Nord.

Après la Première Guerre mondiale, la guerre civile et la famine dévastèrent la communauté et le Comité central mennonite, créé en 1920 pour aider les frères d’Ukraine, apporta son aide. Cependant, bien que 25 000 repas quotidiens aient sauvé de nombreuses vies — on les estime à 9 000 — un nouvel exode conduisit 20 000 personnes à rejoindre de précédents émigrés au Canada.

Une décennie plus tard, la collectivisation de l’agriculture soviétique fut à l’origine de l’Holodomor, une famine artificielle qui tua des millions d’Ukrainiens. Et comme d’autres chrétiens, les mennonites furent arrêtés, exécutés ou exilés en Sibérie. La Seconde Guerre mondiale entraîna la déportation de milliers de personnes en Asie centrale. Les effectifs continuèrent à diminuer, et la plupart de ceux qui restaient partirent vers l’ouest avec l’armée allemande qui battait en retraite.

Lorsque Joseph Staline concéda aux alliés occidentaux la création de l’Union des chrétiens évangéliques-baptistes en 1944 (à laquelle s’ajoutèrent plus tard les pentecôtistes), la plupart des mennonites s’y intégrèrent.

La persécution des chrétiens dans l’Union soviétique est une histoire bien connue. Officiellement tolérés en vitrine internationale, ils étaient marginalisés dans la société et leurs Églises étaient infiltrées par des agents du KGB. Évangélisant discrètement malgré les risques, leur pratique biblique mettait l’accent sur la soumission aux autorités — même autocratiques — dans les affaires politiques.

Mais comme leurs prédécesseurs mennonites, ils refusèrent le service militaire.

« Il ne s’agissait pas exactement de pacifisme, mais de non-participation », affirme Michael Cherenkov, aujourd’hui pasteur de l’Église baptiste Revival à Vancouver, dans l’État de Washington aux États-Unis. « C’était peut-être sage, mais ce n’était pas théologique — c’était le chemin éprouvé de la survie ».

Michael Cherenkov a grandi dans les Églises clandestines de l’Ukraine soviétique. Dans les années 1960, son père d’origine russe a été emprisonné pour son pacifisme. Sa famille a grandi en priant non seulement pour un renouveau spirituel, mais aussi pour l’effondrement de l’URSS. Il s’agissait d’une « théologie de la libération », dit-il, et d’une certaine manière, elle représentait un germe du soutien actuel de la résistance armée à la Russie. (Dans un hôpital proche des lignes de front orientales de la guerre, sa mère ne demandait récemment la prière que pour l’armée ukrainienne.)

Les prières politiques de la famille furent exaucées en 1991 avec l’indépendance de l’Ukraine, et les croyants se retrouvèrent soudain dans une réalité totalement nouvelle. Le christianisme est devenu une partie intégrante de la nouvelle république, dit Michael Cherenkov, et les croyants ont eu la liberté de façonner la vie publique et de partager l’Évangile.

Mais face à la corruption, à la foi nominale et aux mentalités soviétiques persistantes, ils avaient besoin de nouvelles compétences apologétiques.

« Nous nous sommes sentis responsables de la transformation de la société », déclare-t-il. « Avec le temps, nous avons appris à défendre [ce qui compte] ».

Un deuxième apport au processus a été le développement, après l’indépendance, de séminaires évangéliques, largement financés et dotés en personnel par l’Occident. Sergey Rakhuba, un oncle non mennonite de Roman et directeur de la mission panévangélique Eurasia, raconte qu’ils ont été surpris de constater le pacifisme généralisé chez les croyants ukrainiens. Les enseignants ne s’y sont pas attardés, dit-il, mais de nouveaux débats ont proliféré sur tous les sujets de controverse théologique. Aux côtés d’échanges sur le calvinisme et l’arminianisme ou la seigneurie du Christ, des discussions ont émergé sur la légitimité du service militaire.

Mais les doutes sur la non-violence étaient déjà présents.

Valentin Siniy, président de l’institut chrétien interconfessionnel Tavriski, minimise le rôle des séminaires dans l’éloignement du pacifisme. Il pense également que le célèbre romancier Léon Tolstoï a été plus influent que les anabaptistes dans la promotion de celui-ci.

Mais sa propre histoire illustre le changement au sein du mouvement évangélique.

Il a vécu une enfance similaire à celle des enfants Rakhuba et Cherenkov. Le grand-père baptiste de Valentin Siniy perdit son emploi sous la persécution soviétique ; ses parents furent privés de leur maison. Valentin reçut des enseignements sur l’humilité et la non-résistance au mal, mais son jeune esprit peinait à comprendre.

Dieu est du côté des puissants, conclut-il avec résignation.

L’apparente impuissance du pacifisme se manifesta à lui à l’âge de 14 ans, lorsqu’en rentrant de l’Église, il vit un homme ivre tenter de violer une jeune femme. Il se sentit paralysé, mais l’agitation alerta les voisins d’en face et l’agresseur prit la fuite.

Cinq ans plus tard, il prit part à la défense d’une autre victime potentielle. Aujourd’hui théologien au milieu d’une guerre dévastatrice, il a découvert la force des anathèmes bibliques : « Maudissez Méroz, dit l’ange de l’Éternel, maudissez, maudissez ses habitants, car ils ne sont pas venus au secours de l’Éternel, au secours de l’Éternel, parmi les hommes vaillants. » (Juges 5.23).

Selon Valentin Siniy, les Américains ont joué un rôle essentiel en donnant une base solide aux efforts ukrainiens naissants en matière de formation théologique évangélique. Mais la crise financière de 2007-2008 a fait disparaître une grande partie du soutien financier, et le personnel local a assumé des postes de direction. Dans les années qui ont suivi, des professeurs étrangers, beaucoup moins nombreux, ont été accueillis en tant que partenaires.

La pensée mennonite subsiste chez les Ukrainiens plus âgés, dit Valentin Siniy, tout comme le conditionnement soviétique persistant qui les éloigne de la participation politique. Mais alors que les jeunes étudiants remettaient en question ces notions théologiques, les tensions avec la Russie ont ébranlé une certaine déférence envers le « grand frère » dans les relations évangéliques. Des séminaires des deux pays ont élaboré des programmes conjoints pour maintenir la paix entre eux, stimulés par des responsables mennonites et anabaptistes de l’ancienne génération.

Ces développements étaient accompagnés d’un nouvel engagement dans le domaine social.

« Notre rôle en tant que chrétiens n’est pas seulement d’accomplir la mission de Dieu par le salut des âmes », déclare Valentin Siniy, « mais aussi de nous efforcer de ramener activement ce monde au plan divin, dans la mesure où nous le pouvons. »

Selon lui, cela inclut la participation à la défense armée de la nation.

Mais appliquant différemment une conviction similaire, les mennonites cherchèrent aussi à servir la société, car le soutien étranger contribuait au renouvellement de leur héritage théologique en Ukraine.

Mettant l’accent sur la consolidation de la paix et le développement, le Comité central mennonite ouvrit un bureau en Russie en 1992, puis, en coopération avec l’Union baptiste d’Ukraine, s’installa sur le site historique de Zaporijjia quelques années plus tard. Pendant ce temps, Multiply, l’agence missionnaire des Frères mennonites, consacrait des efforts à retourner sur les terres d’où leurs prédécesseurs avaient fui la famine.

John Wiens, pasteur au Canada pendant 35 ans, est arrivé en Ukraine en 2008. S’appuyant sur le travail des mennonites depuis le début des années 1990, il a implanté de nouvelles Églises et des centres sociaux pour fédérer cette famille dénominationnelle. Servant particulièrement les marges de la société, son ministère holistique a attiré de nouveaux convertis et d’autres évangéliques, tandis que le souvenir de la tradition anabaptiste légitimait le mouvement auprès des habitants.

« On nous a appris à répondre aux personnes en souffrance », explique Roman Rakhuba, élu modérateur de conférence de l’AMBCU en 2014. « L’Église doit être utile dans la société ».

Presque tous les membres de leur vingtaine d’Églises sont âgés de moins de 40 ans, ou les ont rejoints en provenance d’autres dénominations évangéliques. Mais l’année 2014 a marqué un tournant pour les Frères mennonites — comme en fait pour toute l’Ukraine.

John Wiens succomba à un cancer en janvier de cette année charnière. En février, la « Révolution de la dignité », pro-européenne, destituait un président prorusse. En retour, la Russie occupait la Crimée. En mars, la Russie annexait la péninsule tandis que des séparatistes soutenus par Moscou prenaient le contrôle de la région orientale du Donbass.

L’Ukraine était en feu, en proie à une guerre hybride mais bien réelle.

Le Comité central mennonite qui, au début des années 2000, avait réorienté ses activités de consolidation de la paix vers les Balkans, s’est empressé de les renouveler en Ukraine.

L’agence humanitaire a organisé des conférences pour des experts croates, bosniaques et serbes afin qu’ils partagent leurs idées sur la paix, la justice et la réconciliation. Elle s’est associée au projet Quaker Alternatives to Violence pour susciter des réflexions de groupe et des transformations personnelles. Enfin, l’organisation a soutenu un réseau d’Églises séparées par la ligne de démarcation dans le Donbass, dont les dirigeants ont exprimé leur pacifisme et leur engagement à maintenir l’unité.

L’AMBCU ne savait pas quoi faire.

« Lorsque nous évangélisons, la conviction de la non-violence n’est pas notre priorité », explique Johann Matthies, chef d’équipe régional de Multiply pour l’Europe et l’Asie centrale. « Nous invitons les gens à suivre Jésus, pas Menno Simons, et l’idée d’un discipulat qui coûte vient plus tard. »

Mais bien qu’ils aient conservé le qualificatif d’anabaptistes, certains estimaient que les mennonites étaient maintenant pratiquement impossibles à distinguer des baptistes en matière de défense armée. John Wiens était mort, deux membres de l’AMBCU avaient été appelés sous les drapeaux, et Johann Matthies avait pris la relève.

Pour leur conférence annuelle de direction à Dnipro, près de Zaporijjia, il fut suggéré de revenir au Sermon sur la Montagne plutôt que de recruter un orateur éloquent. Les participants lisaient à haute voix les paroles de Jésus, chacun partageant ce que le Saint-Esprit lui inspirait.

« Pour la première fois, ce n’était pas une question académique », souligne Johann Matthies. « L’ennemi était à la porte ».

Lors d’une conférence similaire à Kiev, les baptistes étaient prêts à se battre. Une trentaine de pasteurs étaient réunis dans la capitale pour discuter des événements. Un ancien s’est levé et a déclaré : « Nous sommes pacifistes », estimant que l’Ukraine ne pouvait pas tenir tête à une superpuissance aussi maléfique.

Cette déclaration ne fut pas bien accueillie.

« Là où l’ancienne génération était encore traumatisée, les jeunes leaders voulaient répondre de manière proactive à cette agression », explique Michael Cherenkov, qui s’était alors exprimé en faveur d’une résistance armée. « En quelques mois, le sentiment a entièrement changé ».

Sans un contexte d’oppression, dit Sergey Rakhuba, il n’y avait pas grand-chose pour renforcer un message de non-violence porté par la chaire au sein de l’église. Il fait remonter cette évolution à la révolution orange de 2004, lorsque les Ukrainiens ont manifesté par milliers pour protester contre une élection frauduleuse. Et bien que cette action ait divisé les évangéliques — soumettons-nous aux autorités, disaient beaucoup — l’appel à agir en tant que citoyens fidèles a résonné parmi les jeunes.

Mais c’est le Donbass qui a fait la différence.

« En 2014, les gens se sont dit : “Si nous ne défendons pas notre pays, qui le fera ?” », relate Sergey Rakhuba. « C’est à ce moment-là que le pacifisme a commencé à s’effriter ».

Huit ans plus tard, le président russe Vladimir Poutine reconnaît l’indépendance des deux « républiques » séparatistes du sud-est. Trois jours après, il déclenche une guerre.

Oleg Magdych, un pasteur non confessionnel de 44 ans, dirige la prière du matin pour une équipe de défense territoriale composée de 80 civils, dont 10 seulement ont participé à des combats actifs. Alors que les soldats russes approchaient de Kiev, les volontaires ukrainiens ont passé leurs journées à construire des barricades de sable et de blocs de ciment et à fixer des explosifs sur les ponts de la ville. Ils se préparent maintenant à se redéployer vers le sud.

Oleg Mironenko, l’un des deux conscrits issus des Frères mennonites en 2014, a finalement choisi une autre voie. Il s’était d’abord engagé dans la défense du Donbass. L’autre conscrit avait demandé un service alternatif. L’Église les a soutenus tous les deux.

Dieu lui a épargné le combat direct, puisqu’il a été affecté comme chauffeur d’une unité d’artillerie. Bien que traumatisé par la guerre, il a pu constater que les soldats se tournaient vers Jésus et avaient besoin d’un soutien spirituel.

Il s’est réengagé, mais en tant qu’aumônier. Un autre frère mennonite l’a rejoint depuis, et la dénomination compte de nombreux anciens combattants parmi ses membres.

« La plupart des gens dans nos Églises ne prendraient pas une arme, mais nous ne condamnerons pas un soldat », affirme Maxym Oliferovski, un pasteur de l’AMBCU et directeur du New Hope Center à Zaporijjia. « J’ai lu des choses sur le pacifisme, mais ce n’est probablement pas ma conviction ».

Depuis le premier jour de la guerre, comme les baptistes et beaucoup d’autres, Maxym Oliferovski a été actif pour loger les personnes déplacées, fournir des secours et faciliter les évacuations. Cependant, établi près des lignes de front du conflit dans le Donbass, son centre a également une expérience en matière de santé mentale — et de convictions mennonites.

« Notre société va bientôt être pleine de personnes en colère et traumatisées », déclare-t-il. « En tant que sel et lumière dans la communauté, nous devons les aider à pardonner à leurs ennemis ».

Ce n’est pas une tâche facile ; mais s’il y a quelque chose à faire, les évangéliques seront bien placés. Les Églises du pays ont été saluées pour être restées sur place et avoir aidé les personnes vulnérables, y compris les soldats. Et Sergey Rakhuba affirme que les protestants ont probablement plus d’aumôniers dans l’armée ukrainienne que tous les orthodoxes réunis.

D’une certaine manière, il s’agit d’un vestige de l’héritage anabaptiste. Depuis l’indépendance, et malgré une diminution depuis 2014, des sources estiment que plus de 4 évangéliques ukrainiens sur 5 sollicitent un service alternatif ou d’autres exemptions au moment de la formation militaire obligatoire. De cette manière, ils contribuent à leur nation sans avoir recours aux armes, même si cela leur coûte une année supplémentaire.

Le pourcentage de ceux qui s’opposent totalement à la résistance nationale est minuscule. Mais comme tous les hommes adultes âgés de 18 à 60 ans ne peuvent légalement être évacués à l’étranger, les sources estiment que la grande majorité des évangéliques contribuent par le biais de l’aide humanitaire plutôt que du combat armé.

Pourtant, certaines sources disent qu’ils y seraient prêts, si nécessaire.

Au début de la guerre, le métropolite Epiphanius a donné toute liberté aux orthodoxes.

« Défendre et tuer l’ennemi n’est pas un péché », a déclaré le dirigeant de l’Église orthodoxe d’Ukraine. « Celui qui est venu chez nous avec une épée mourra aussi par cette épée ».

Les protestants n’ont pas d’autorité centrale pour faire ce genre de déclarations, mais les sources évangéliques n’ont pas contesté cette prise de position. Cependant, les mennonites de la communauté internationale — qui ont exprimé leur indignation face à la guerre — s’en tiennent à leurs convictions anabaptistes.

« Lorsque Pierre sort son épée, Jésus lui ordonne de la ranger », écrit le président de la Conférence mennonite mondiale dans une lettre ouverte au patriarche orthodoxe russe Kirill.

Pour lui, « les chrétiens des deux côtés de ce conflit sont à leur tour éprouvés ». « Allons-nous prêter allégeance au Royaume de Dieu ou nous incliner devant les idoles de la nation, de l’empire et de la guerre ? »

Le Comité central mennonite a été plus spécifique dans son propos et plus large dans son interpellation

« Nous sommes tous complices de systèmes de violence et d’oppression », écrivent les directeurs exécutifs pour les États-Unis et le Canada. Il existe « des approches non violentes pour prévenir la guerre et travailler à la paix même pendant la guerre. »

Johann Matthies acquiesce, mais souligne que si les disciples de Jésus ne doivent pas utiliser d’armes, cela ne s’applique pas aux gouvernements. L’Église doit prêcher la non-violence avant la guerre, et la réconciliation en tout temps. Mais une fois la guerre commencée, dit-il, il serait naïf d’appeler au désarmement face à un génocide. Les conflits armés représentent un échec de l’Église mondiale. Ils appellent tous les croyants à se repentir pour leur part dans l’échec à les prévenir.

Sa dénomination, quant à elle, est encore en train d’apprendre la voie anabaptiste, tout en ayant de nombreux membres en contact avec d’autres Églises.

« Les membres actuels de la branche ukrainienne des Frères mennonites ne sont peut-être pas les garants de notre trésor historique », dit-il. « Mais dans la mesure où ils servent courageusement et se dressent contre le mal, nous apprenons avec eux ».

Andrew Geddert, représentant du Comité central mennonite Ukraine de 2017 à 2020, est également fier.

« Ils sont peut-être théologiquement moins matures dans certains domaines, mais davantage dans d’autres, parce qu’ils y travaillent dans le feu de l’épreuve », affirme Andrew Geddert, qui a commencé un travail de reconstruction de la paix en 2015. « C’est très différent de le faire dans des institutions académiques ».

Et les mennonites, comme les baptistes, soutiennent fermement la cause nationale.

Les centres médicaux gérés par l’État ont demandé leur aide pour fournir de la nourriture aux patients. Les fonds sont utilisés pour acheter des chaussures, des gants et des équipements de protection pour les soldats. Et dans les temps à venir, les besoins en matière de réhabilitation psychologique seront énormes.

Leur nombre est peut-être faible. Les évangéliques se sont peut-être éloignés de l’esprit anabaptiste de leurs débuts. Mais en ravivant leur héritage anabaptiste, les mennonites pensent qu’ils contribuent aussi au renouveau de l’Ukraine.

« Nous devrions faire ce que nous faisions au début », dit Roman Rakhuba. « Installer des fermes, guérir les âmes, et fortifier spirituellement le monde. »

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La colère de Dieu est-elle le cœur de la Croix ?

La colère de Dieu contre le péché est bien réelle, mais il n’a pas « détourné sa face » du Fils crucifié.

Christianity Today April 19, 2022
Pearl / Lightstock

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Ces mots sont ceux de Jésus suspendu à la croix (Mt 27.46 ; Mc 15.34). Ils sont poignants et émouvants, et on pourrait difficilement surestimer leur importance. Mais que signifient-ils vraiment ? Comment les comprendre ?

Il existe à ce sujet un courant de pensée qui est récemment devenu très populaire dans certains milieux. Selon C. J. Mahaney, ce cri sortant des lèvres de Jésus est le « cri des damnés ». Il s’inspire de R. C. Sproul qui s’exclame lui que lorsque Jésus est crucifié, c’est « comme si une voix venant du ciel avait dit : “Sois maudit, Jésus” ». Jésus devient « l’incarnation théorique du mal », voire « l’incarnation même de tout ce qu’est le péché. » Ainsi, Dieu abandonne Jésus, lui tourne le dos, le « voue aux abîmes de l’enfer » et le « damne ».

Pour beaucoup de tenants de ce genre de discours, la Trinité est en quelque sorte « brisée », car la communion entre le Père et le Fils est rompue dans l’obscurité de ce vendredi après-midi. C’est ce que l’on présente comme une bonne nouvelle et le cœur de l’Évangile, car Jésus absorbe la colère de Dieu en prenant l’exact châtiment que nous méritions. Dieu passe de la colère à la miséricorde et ne peut plus punir justement ceux pour qui le Christ est mort.

Ce type de prédication est très percutant. Mais est-il juste ? Nous devrions assurément proclamer tout ce que la Bible dit sur l’œuvre du Christ (dans la mesure où nous en sommes capables), et nous engager à affirmer tout ce que cet enseignement implique (ce que les théologiens anciens appelaient les conséquences « bonnes et nécessaires »). Mais nous devrions aussi être très prudents et ne pas aller au-delà de ce qui est explicitement ou implicitement affirmé — surtout là où la tradition chrétienne nous met en garde. Et nous devrions nous efforcer d’éviter tout ce qui va à l’encontre de l’enseignement biblique et de l’orthodoxie théologique. Que faire donc de ces enseignements à propos du Christ en croix ?

Le cri des damnés ?

Nous devons être fidèles à la proclamation de tout ce que l’Écriture enseigne, mais nous devons être prudents et ne pas aller au-delà. Et ici, il nous faut être clairs : l’Écriture ne dit nulle part que le cri de déréliction de Jésus est « le cri des damnés ». Sproul affirme que « c’est comme si » il y avait une voix du ciel qui disait : « Sois maudit, Jésus ». Dans les faits, cette voix n’existe pas. L’Écriture ne dit nulle part que Jésus-Christ est « l’incarnation théorique du mal » ou « l’incarnation même de tout ce qu’est le péché ». Au contraire, il est l’incarnation de la bonté — il est la sainteté incarnée tout en étant pleinement humain.

Il n’y a aucune preuve biblique que la communion Père-Fils aurait été d’une manière ou d’une autre rompue ce jour-là. Nulle part il n’est écrit que le Père était en colère contre le Fils. Nulle part il n’est écrit que Dieu l’aurait « voué aux abîmes de l’enfer ». Nulle part il n’est écrit que Jésus a absorbé la colère de Dieu en prenant l’exact châtiment que nous méritions. Aucun passage biblique n’affirme qu’une colère « infiniment intense » de Dieu aurait été déversée sur Jésus. De telles formules ont peut-être beaucoup d’impact rhétorique, mais elles vont bien au-delà de ce qu’enseigne l’Écriture.

Bien sûr, aller au-delà n’est pas toujours aller à l’encontre, mais la tradition nous avertit parfois que tel pourrait être le cas. J’ai soutenu ailleurs que d’importants enseignements patristiques, médiévaux et réformés rejettent ces affirmations, mais considérez simplement ces quelques déclarations (de théologiens bien connus pour leur défense de la doctrine de la « substitution pénale »). Jean Calvin dit que « nous n’admettons pas que Dieu lui ait jamais été hostile, ou en colère (iratum) contre lui. Car comment pourrait-il être en colère contre son Fils bien-aimé, “en qui son âme prend plaisir” ? »

De même, Charles Hodge conteste que l’œuvre expiatoire du Christ ait consisté en un transfert précis de peine et affirme que le Christ « n’a pas souffert, ni en nature ni en degré, ce que les pécheurs auraient souffert. » Il paraît difficile de le contredire, car si le péché mérite une séparation éternelle d’avec Dieu et une punition consciente éternelle (comme le considèrent la théologie réformée traditionnelle et une grande partie de la théologie évangélique), il est clair que ce n’est pas ce que Jésus a subi.

Un seul Dieu trinitaire

De même que nous devons veiller à ne pas aller au-delà de ce que dit l’Écriture, nous ne devons pas non plus proclamer quoi que ce soit qui aille à l’encontre de l’enseignement biblique (ou de ses implications « bonnes et nécessaires »). J’ai soutenu ailleurs que, s’il est clair que le Père a abandonné le Fils à la mort sur la croix, il n’y a aucune bonne raison de penser que cela ait provoqué une rupture — ou même une « tension » — au sein de la vie trinitaire.

Non seulement aucun texte biblique ne dit que le Père aurait « détourné sa face » du Fils, mais le passage qui aborde le plus manifestement cette question dit précisément que Dieu ne l’a pas fait. En effet, si l’on considère que le psaume 22 est important pour notre compréhension de ce cri de déréliction (comme le font clairement Marc et Matthieu), nous y trouvons ces mots : « il ne repousse pas le malheureux dans sa misère et il ne lui cache pas son visage, mais il l’écoute quand il crie à lui » (Ps 22.25). Et le refrain constant de la prédication apostolique de l’Évangile est celui-ci : vous l’avez tué, mais Dieu l’a ressuscité des morts.

Finalement, les idées de « Trinité brisée » et de « Dieu contre Dieu » se heurtent aux doctrines de l’impassibilité et de la simplicité divines ainsi qu’à la doctrine de la Trinité elle-même. Selon l’orthodoxie chrétienne, il n’est pas même envisageable que la Trinité soit brisée. Si nous connaissons un tant soit peu celle-ci, nous savons que Dieu est un Dieu unique en trois personnes, et que la vie de Dieu est nécessairement une vie de saint amour dans la communion éternelle du Père, du Fils et de l’Esprit. Dire que la Trinité aurait été brisée — même « temporairement » — revient à laisser entendre que Dieu n’existe pas.

Le juste pour l’injuste

Nous ne devons pas aller au-delà ou contre l’Écriture, mais nous devons faire de notre mieux pour affirmer tout ce que l’Écriture dit. Que pouvons-nous donc dire de ce cri de Christ en croix ?

Pour commencer, il nous faut confesser que l’Écriture affirme clairement — avec douleur et affliction — que nous sommes des pécheurs. Nous sommes tous pécheurs (Rm 3.23), et impuissants à nous en sortir, à nous réparer ou à nous sauver d’une manière ou d’une autre. Nous sommes confrontés au problème de ce que nous avons fait et des dégâts que nous avons causés ; notre péché, notre culpabilité et notre honte sont indéniables et irréfutables. Mais ce n’est pas tout, car nous faisons aussi face au problème de qui nous sommes, de ce que nous sommes devenus et de ce que nous continuerons à faire si nous ne sommes pas radicalement transformés. Pour utiliser le langage de la théologie ancienne, nous sommes à la fois coupables et souillés.

Le péché a pour conséquence la mort (Rm 6.23). Et à cause de notre péché, la colère de Dieu se manifeste (Rm 1.18). Nos jours « disparaissent » sous la colère de Dieu (Ps 90.9). Cette colère tombe sur ceux qui désobéissent (Ep 5.6 ; Col 3.5-6). Ainsi, l’Écriture nous décrit comme « destinés à la colère » (Ep 2.3).

Deuxièmement, nous devons comprendre l’œuvre du Christ en notre nom dans le cadre narratif des Écritures : « Le Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures » (1 Co 15.3). Son œuvre répond à notre condition — à la fois notre culpabilité et notre souillure. Jésus-Christ renverse la désobéissance et l’infidélité d’Adam et d’Israël. En nous inspirant d’une ancienne intuition théologique, nous pouvons affirmer que, en devenant humain, le divin Fils de Dieu « récapitule » l’humanité, lui offre une nouvelle tête. L’incarnation elle-même est rédemptrice, et c’est toute sa vie, sa mort et sa résurrection (ainsi que son ascension et sa session — Jésus étant assis à la droite du Père dans les cieux) qui nous apportent le salut.

En devenant pleinement humain en Jésus-Christ, le Fils se joint à notre détresse et prend sur lui la « malédiction » causée par le péché de l’humanité. Ainsi, le Christ incarné s’unit à ceux qui sont sous la colère de Dieu et souffre la mort. L’œuvre du Christ en notre faveur est donc fondée sur sa personne incarnée ; elle comprend son enseignement et son exemple (1 P 2.21) et culmine dans sa glorieuse victoire sur le péché et la mort (p. ex. 1 Co 15.54-57 ; Hé 2.14).

Dire que le Christ est « mort conformément aux Écritures », c’est considérer son œuvre dans le cadre du vaste récit biblique qui commence avec Adam et se poursuit avec Israël. Plus spécifiquement, cela implique de considérer cette œuvre à la lumière du témoignage de l’Ancien Testament concernant à la fois la colère de Dieu et les sacrifices offerts pour le péché. Le Nouveau Testament établit ces liens et présente Jésus comme celui qui est à la fois prêtre et sacrifice, représentant et substitut.

Jésus est venu pour racheter les êtres humains (p. ex. Mc 10.45). Sa souffrance n’est pas seulement physique (Mt 26.38), car son union intime avec les hommes le rend profondément conscient de leur péché et de ses conséquences. Sa mort a été « celle du juste pour les injustes » (1 P 3.18). Il est venu « à la ressemblance d’une chair pécheresse » pour être un « sacrifice pour le péché » et pour « condamner le péché dans la chair » (Rm 8.3). Il nous a rachetés de la malédiction de la loi en « devenant malédiction pour nous » dans sa mort (Ga 3.13). Nous sommes « sauvés de la colère de Dieu » par le Christ (Rm 5.9 ; 1 Th 1.10). Celui qui était sans péché (p. ex. Hé 4.15) et qui « n’avait pas de péché » est devenu « une offrande pour le péché » (et non un pécheur) en notre nom (2 Co 5.21). Jésus-Christ, le Fils de Dieu sans péché, « a lui-même porté nos péchés dans son corps à la Croix afin que, libérés du péché, nous vivions pour la justice » (1 P 2.24 ; cp. És 53.5-6).

Notez cette affirmation : « afin que, libérés du péché, nous vivions pour la justice ». Les dynamiques d’union et de participation ne devraient pas nous échapper ici — le Christ a vécu avec et pour nous et est mort pour nos péchés afin que nous puissions mourir à nos péchés et vivre avec et pour lui. Et nous ne devrions pas non plus passer à côté de l’intention de son œuvre : elle a été accomplie afin que que nous soyons transformés, que nous soyons vraiment justes.

Le Christ a été sacrifié pour nous afin que nous puissions vivre en tant que peuple sanctifié (p. ex. Ep 5.2-21). Son sacrifice visait à « abolir le péché » (Hé 9.26). Il devait nous purifier du péché, des « actes qui conduisent à la mort » (Hé 9.14 ; 10.10). Le Christ a été un « sacrifice pour le péché » précisément pour que nous « ne vivions pas selon la chair, mais selon l’Esprit » (Rm 8.4) — afin que « nous devenions justice de Dieu » (2 Co 5.21). Grâce à l’œuvre du Christ, nous pouvons être « libérés de nos péchés » par celui qui nous aime (Ap 1.5).

Nous devrions avoir à cœur de proclamer tout ce que l’Écriture dit sur ce que le Christ a fait pour nous. Nous ne devons donc pas hésiter à parler clairement du péché et de ses conséquences terrifiantes et dramatiques. Nous devons rester fidèles dans le rappel que « la colère demeure » sur tous ceux qui rejettent le Fils (Jn 3.36). Cependant, nous ne pouvons pas nous permettre de diminuer notre compréhension des intentions, des buts et de l’étendue de l’œuvre du Christ.

Réduire l’œuvre du Christ au seul fait d’assumer la punition de nos péchés pourrait nous faire passer à côté de l’essentiel. Oui, le Christ est venu pour nous sortir de l’enfer, mais il est aussi venu pour sortir l’enfer de nous et nous sanctifier dans notre marche en communion avec le Dieu trinitaire. Nous devons proclamer fidèlement que si l’œuvre sacrificielle du Christ nous sauve de la colère de Dieu, elle le fait précisément en nous transformant et en nous changeant radicalement.

Dire ou laisser entendre que la Trinité a subi une fracture, c’est dire ou laisser entendre que Dieu n’existe pas. C’est exactement ce que nous devrions éviter de dire, le Vendredi saint comme tous les autres jours. Au contraire, le saint amour au cœur de la vie trinitaire est le fondement et la source du salut : « voici comment Dieu prouve son amour envers nous : alors que nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous » (Rm 5.8). « Dieu est amour. Voici comment l’amour de Dieu s’est manifesté envers nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde […] comme victime expiatoire pour nos péchés. » (1 Jean 4, 8-10) C’est cela que nous voulons proclamer avec joie.

Thomas H. McCall est professeur de théologie au Asbury Theological Seminary. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier s’intitule Analytic Christology and the Theological Interpretation of the New Testament (Oxford University Press, 2021).

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Books

Nos théories de l’expiation parlent aussi de nos environnements politiques

Chacune d’entre elles s’est développée dans un contexte historique particulier. Que faut-il en retenir pour aujourd’hui ?

Christianity Today April 19, 2022
Source Images: Getty / arsenisspyros | Wikimedia Commons

Tous les chrétiens s’accordent à dire que le récit de Pâques est aussi celui de notre salut. L’Évangile par lequel nous sommes sauvés, dit Paul, c’est que « Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures ; il a été enseveli et il est ressuscité le troisième jour, conformément aux Écritures » (1 Co 15.2-4). C’est « pour nous, humains, et pour notre salut », dit le Credo de Nicée, que Jésus a pris chair, est mort et est ressuscité en tant que « Seigneur et Messie » (Ac 2.36).

Mais comment notre salut a-t-il exactement eu lieu ? Les théories sur l’expiation offerte par Christ tentent de décrire les rouages internes de Pâques. Et les trois modèles les plus populaires dans l’histoire de l’Église — le modèle du Christus Victor, la théorie de la satisfaction et celle de la substitution pénale — sont aussi remarquablement politiques. Ils ont été façonnés par les contextes institutionnels dans lesquels ils ont vu le jour.

J’ai pris goût à l’étude des théories de l’expiation, parce qu’elle a clarifié et enrichi ma compréhension du caractère de Dieu et parce que la connaissance des environnements politiques dans lesquels elles ont été élaborées m’a éclairé sur les évolutions actuelles de notre société.

J’ai entendu parler du Christus Victor pour la première fois dans le roman de C. S. Lewis, Le lion, la sorcière et l’armoire magique, mais cette théorie était prédominante parmi les premiers théologiens chrétiens comme Origène, Athanase et Grégoire de Nysse. Ceux-ci décrivent Jésus comme nous rachetant de puissances oppressives — le péché, la mort, le diable — auxquelles nous nous étions liés par notre propre trahison. Le Christ a « désarmé » ces puissances et a triomphé d’elles sur la croix (Col 2.13-15). Dieu s’est incarné, écrit Irénée, « afin de tuer le péché, de détruire la mort et de vivifier l’homme ».

Cela faisait sens dans l’Antiquité gréco-romaine, où les conquêtes étaient familières et où un rédempteur pouvait racheter la liberté d’une personne réduite en esclavage ou retenue comme prisonnière de guerre. Mais au 11e siècle, alors que les Normands introduisaient le système féodal en Angleterre, Anselme, évêque de Canterbury, proposa un autre récit de l’expiation.

S’inspirant explicitement des règles d’honneur et de hiérarchie de son époque, la théorie de la satisfaction d’Anselme intervertit les rôles : Dieu le Père, et non Satan, exige que la dette de l’humanité soit payée avant que la réconciliation ne puisse avoir lieu. Ici, le péché de l’humanité viole l’honneur divin et nécessite une satisfaction que nous ne pouvons pas offrir, de sorte que Dieu se fait humain pour satisfaire notre obligation en notre nom.

Cette modification du rôle du Père a perduré lorsque la substitution pénale est apparue 500 ans plus tard en même temps que le système juridique moderne. Des personnages comme Jean Calvin, qui a étudié le droit avant de devenir un réformateur, ont remplacé l’image d’un serf essayant de satisfaire son seigneur par celle d’un tribunal où Dieu, en tant que juste juge, condamne les pécheurs qui violent sa loi. Mais « Jésus-Christ est intervenu, […] a pris sur lui le châtiment » de telle sorte que « Dieu a été satisfait », écrit Calvin dans son Institution, en s’appuyant sur des passages comme Ésaïe 53.3.5-6 et Romains 3.25. Sans cela, Dieu nous est « hostile ; sa main est armée pour nous précipiter dans l’abîme ».

Je comprends pourquoi la substitution pénale est devenue « une marque distinctive » du mouvement évangélique, selon l’expression de James I. Packer. Certaines des raisons de cette adoption sont théologiques — il y a de nombreux arguments convaincants en faveur de cette théorie — mais d’autres sont culturelles. Je peux facilement expliquer la substitution pénale parce que nous savons comment fonctionne un tribunal. La substitution pénale est immédiatement intelligible dans le monde de la Réforme, de la Renaissance, des Lumières et de la Révolution industrielle.

Nous vivons encore dans ce monde à bien des égards, mais à bien d’autres, ce n’est plus le cas. La résurgence de l’intérêt pour le modèle du Christus Victor, qui est le plus convaincant à mes yeux, me paraît être un indicateur peu souligné de ce changement. L’idée d’un Dieu qui écrase le mal que nous sommes impuissants à vaincre et nous libère de nos luttes pourrait être particulièrement parlante dans une culture notamment préoccupée par la corruption institutionnelle.

La résonance culturelle nouvelle ou renouvelée d’une théorie de l’expiation ne prouve pas sa véracité, bien sûr. Les théories peuvent susciter l’adhésion pour des raisons perverses. Certains partisans de celle du Christus Victor, par exemple, sont trop pressés de se passer de la notion de péché personnel.

Mais la réponse de la culture à une théorie peut nous renseigner sur les désirs et les besoins de notre époque. Elle offre un aperçu de nos préoccupations sociales et nous permet de ne pas oublier les différents récits qui expliquent l’œuvre de Christ sur la croix.

Bonnie Kristian est chroniqueuse pour Christianity Today et rédactrice adjointe pour The Week. Elle est l'autrice de A Flexible Faith : Rethinking What It Means to Follow Jesus Today (2018) et Untrustworthy : The Knowledge Crisis Breaking Our Brains, Polluting Our Politics, and Corrupting Christian Community (2022).

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Résurrection ou vérités alternatives ?

Le déni de certains au matin de Pâques nous aurait-il rendu plus vulnérables aux « fake news » ?

Christianity Today April 13, 2022
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: WikiMedia Commons / Morrison1977 / Getty

Au milieu des scènes de résurrection, l’Évangile de Matthieu nous donne d’assister à la naissance d’une des plus anciennes théories complotistes.

Le matin de Pâques, tandis que les femmes sont en chemin pour annoncer la résurrection de Jésus aux disciples, Matthieu 28.11-15 met en lumière un autre mouvement : quelques gardes du tombeau se rendent auprès des prêtres auxquels ils devaient répondre de leur mission. Les prêtres tiennent alors conseil avec les responsables du peuple, et décident ensemble de dissimuler ce qui s’est passé. Ils n’enquêtent pas. Ils savent d’emblée que ce qu’ils pourraient découvrir ne leur plaira pas.

Ils inventent donc ce que l’on appellerait aujourd’hui une théorie du complot, avec les « faits alternatifs » qui la soutiennent : les disciples seraient venus voler le cadavre de Jésus. Ceux qui s’étaient enfuis apeurés à l’arrestation de leur maître seraient venus de nuit en présence d’une garde de plusieurs hommes armés. Ils auraient détaché les sceaux apposés sur la tombe, roulé la lourde pierre et sorti le corps de Jésus, tout cela sans réveiller personne qui puisse donner l’alerte.

Cette version des faits est absurde. Non seulement en elle-même, mais parce que les disciples allaient plus tard risquer leur vie pour proclamer que Jésus était ressuscité. S’ils avaient su que la résurrection était un mensonge, où auraient-ils trouvé le courage de faire face aux autorités qui les menaçaient ? Pourquoi prêcher un Évangile consciemment falsifié ? L’audace des apôtres, leur courage, leur zèle, leur persévérance, toute l’expansion du christianisme est inexplicable sans la résurrection.

Mais tout cela, les responsables du peuple ne le savent pas encore. Ils tentent donc leur chance et passent un arrangement avec les soldats. Le mensonge proposé n’est pas sans danger pour eux — ils n’étaient pas censés dormir —, mais il y a de l’argent à la clé, et les responsables juifs leur assurent leur protection…

Les responsables du peuple refusent la vérité, et entraînent les autres dans leur déni. Ils préfèrent rester dans leur manière de penser, de fonctionner, que de se laisser interpeler et de connaître le chemin, la vérité, et la vie.

Ainsi, cette version de l’histoire, dit le texte, s’est répandue jusqu’à aujourd’hui parmi les Juifs. C’est l’aujourd’hui de Matthieu, au premier siècle de notre ère, parmi les Juifs. C’est aussi notre aujourd’hui contemporain, où des théories pour échapper à la réalité de la résurrection de Jésus sont encore propagées.

Mais ce n’est vraisemblablement pas grâce à leur crédibilité que ces explications persistent. En fait, l’explication des gardes est si peu vraisemblable que Matthieu se permet même de la mentionner dans son Évangile, sachant très bien que quiconque le voulait pouvait aller vérifier ce récit.

Cependant, lorsque vous voulez noyer une vérité, il n’est pas nécessaire que vos mensonges ou demi-vérités soient crédibles ou bien fondés. Il suffit que votre autre version plaise, qu’elle convienne à ce que vos auditeurs veulent entendre, ou leur évite une réalité qui les dérange.

Une effrayante lumière

On pourrait être étonné de la réaction de ces responsables juifs. Celui qui avait annoncé être le Messie venait de revenir à la vie. Un miracle extraordinaire ! Une vérité stupéfiante ! Mais ils ne font que s’endurcir.

Il y a une certaine ironie dans le texte : après avoir averti Pilate que les disciples pourraient venir voler le corps, les chefs des prêtres et les pharisiens avaient veillé à sceller la pierre et à poster une garde devant le tombeau (Mt 27.62-66). Ce sont ainsi leurs propres précautions qui les mettent face à l’évidence qu’ils ne veulent pas voir. Sans les gardes placés là, le doute aurait davantage été permis. Mais les voilà face à des faits très clairs dont ils refusent de tirer les conclusions.

Ce que cette attitude révèle des cœurs humains est terrifiant, mais peut-être pas si étonnant. En 1997, le magazine Prism rapportait cette parole du théologien allemand Wolfhart Pannenberg :

« L’évidence de la résurrection de Jésus est si forte que personne ne la remettrait en question sans ces deux choses : premièrement, il s’agit d’un événement très inhabituel. Deuxièmement, si vous croyez que cela est arrivé, vous devez changer votre manière de vivre ».

Tout cela est profondément dérangeant. Imaginez l’inconfort de ces responsables qui passaient pour religieux devant tout le monde, mais avaient rejeté celui qui se révélait à présent être le Messie. Ils nient l’évidence, parce qu’ils savent que ce qu’ils pourraient découvrir bousculera irrémédiablement leur position, leur pouvoir. Ils savent que la vérité marquera la fin de leur vie selon leurs propres règles. Ce serait leur mort.

Ils doivent donc emprunter une autre voie. Les responsables du peuple refusent la vérité, et entraînent les autres dans leur déni. Ils préfèrent rester dans leur manière de penser, de fonctionner, que de se laisser interpeler et de connaître le chemin, la vérité, et la vie.

Nous, humains, pouvons préférer l’obscurité qui ne nous bouscule pas à la lumière qui pourrait nous faire vivre. C’est aussi ce que nous dit l’apôtre Jean :

« La lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leur manière d’agir était mauvaise. En effet, toute personne qui fait le mal déteste la lumière, et elle ne vient pas à la lumière pour éviter que ses actes soient dévoilés. Mais celui qui agit conformément à la vérité vient à la lumière afin qu’il soit évident que ce qu’il a fait, il l’a fait en Dieu. » (Jn 3.19-21)

L’attitude de ces responsables religieux est condamnable, mais elle nous invite aussi à prendre garde à nous-mêmes. Nous pouvons tous être influencés par la peur de perdre des relations, un statut, des moyens de subsistance, une communauté, notre dignité, ou le contrôle. Lorsque ces choses nous paraissent menacées, la tentation est grande d’adopter un récit différent, plus réconfortant, qui nous permette de maintenir le statu quo. L’enjeu n’est alors plus tant la recherche des faits que la protection d’un certain narratif permettant de maintenir sa position.

Pour ne pas voir la fragilité ou le caractère trompeur de ce à quoi nous nous sommes accrochés, nous tentons parfois à tout prix de maintenir ensemble les pièces d’un puzzle qui se disloque. Personne n’a envie de voir son monde s’effondrer.

Des chrétiens vulnérables à la désinformation ?

Le récit de Matthieu nous dit aussi quelque chose d’une possible raison pour laquelle les chrétiens pourraient être enclins à adopter certains récits parallèles : depuis le matin de Pâques, certaines forces à l’œuvre dans le monde tentent de masquer la vérité la plus fondamentale de l’Évangile. Depuis le début, le monde développe une version alternative de l’histoire humaine dans laquelle Christ n’est pas ressuscité.

Notre identité chrétienne nous a donc en quelque sorte habitués à l’idée que tous n’acceptent pas la vérité, ni ne sont prêts à agir en conséquence. Nous nous sommes habitués à un décalage entre ce que nous acceptons comme vérité et ce que le monde dans son ensemble accepte comme vérité.

Pour les chrétiens, le pas à franchir pour commencer à embrasser des explications alternatives sur différents sujets pourrait donc être plus petit que pour d'autres. La tentation pourrait être accentuée par le fait que, depuis quelques décennies, nous vivons une période de déclin de la chrétienté en Occident, une période au cours de laquelle la culture chrétienne est de plus en plus repoussée à la marge. De nombreux chrétiens se trouvent en désaccord avec les discours dominants sur le genre, la création ou le pluralisme dans l'enseignement public ou les médias, ayant souvent le sentiment que ces institutions nous égarent. Dans ces circonstances, il pourrait être tentant d'être moins prudent quant à de supposés faits soutenant l'idée que toutes les élites occidentales seraient corrompues ou mettant en avant la grandeur de quelque leader présenté comme protecteur des « valeurs chrétiennes ».

Il peut être flatteur de croire que nous savons quelque chose que les autres ne savent pas. Cependant, la connaissance que nous avons reçue de Jésus-Christ est une grâce de Dieu. Elle ne provient pas d'une quelconque supériorité morale ou intellectuelle que nous aurions sur nos semblables, et elle ne nous autorise pas à croire que nous serions mieux renseignés en toutes matières.

De surcroît, nous ne devons pas supposer que notre connaissance des Écritures nous met automatiquement à l'abri de l'erreur. Comme le montre l'attitude de nombreux chefs religieux à l'époque de Jésus, la connaissance des Écritures ne garantit pas l'acceptation de la vérité.

Il nous a été dit que seul un petit nombre acceptera la vérité en Dieu. Mais si cette affirmation peut nous encourager dans notre cheminement de foi face à l'opposition, elle peut aussi être appliquée hors contexte à toute une série de croyances minoritaires n'ayant pas grand-chose à voir avec nos convictions concernant le Christ.

Faire le premier pas

Comment alors cheminer avec des frères et sœurs chrétiens qui pourraient à nos yeux avoir à revoir leur position ? Nous sommes tous persuadés que certains vivent dans l’illusion, et certains pensent la même chose de nous. Une chose que nous avons cependant en commun, c’est de vivre dans un monde où la vérité, au sens de discours conforme aux faits, n’est pas toujours simple d’accès. Et de toute part, à divers degrés, on nous a parfois trompés. Aujourd’hui, c’est la propagande du gouvernement russe qui impressionne par son cynisme. Mais à travers l’histoire, même des gouvernements, institutions ou responsables parmi les plus respectés ont menti pour couvrir certains de leurs agissements.

Le monde est complexe. Dans le texte de Matthieu, la situation des responsables du peuple n’est pas celle des soldats. Les uns connaissent pleinement la vérité et ont une responsabilité à son égard. Les autres, certes prêts à mentir pour de l’argent, ne sont pas des religieux versés dans les Écritures et n’ont probablement pas la même connaissance des enjeux. Et que dire des divers habitants de Jérusalem qui, au gré de ce qu’ils auront entendu ici ou là, se seront forgé telle ou telle opinion ?

Si nous voulons continuer à nous comprendre les uns les autres, nous avons aussi besoin d’un chemin pour revenir de nos erreurs lorsque la vérité nous apparaît : confesser notre égarement, changer de voie, recevoir la grâce.

Il ne nous appartient pas de faire changer l’autre. Cependant, nous pouvons offrir le modèle d’un monde où la résurrection de Christ nous assure une sécurité suffisante pour que nous n’ayons plus besoin de protéger à tout prix nos fragiles systèmes, et puissions rester prêts à intégrer l’autre. Un monde où la lumière de la résurrection nous permet de ne pas considérer seulement ce qui renforce nos points de vue ou notre statut, mais aussi ce qui les nuance, voire les conteste.

Entre les mains de Dieu, l’espoir demeure de voir changer certains de ceux qui égarent le monde.

Dans ce domaine, les premiers disciples de Jésus qui accueillirent la nouvelle de la résurrection n’étaient pas au bout de la route. En tant que juifs, eux aussi allaient voir leur vision du monde et leur statut bousculé avec l’intégration des non-juifs dans le peuple de Dieu. Pierre aura besoin de trois répétitions pour entendre le message (Ac 10.9-16). Le chemin n’est pas toujours facile, mais, à leur suite, nous continuons à apprendre dans bien des domaines comment, en Jésus, nous ne sommes plus prisonniers de la crainte de la mort (Hé 2.15).

Il peut paraître difficile d’espérer que certaines personnes prises au piège des mensonges qu’elles ont-elles-mêmes échafaudés ou promus reviennent à la lumière. L’aveuglement des prêtres niant la résurrection est saisissant. Comment revenir d’un tel endurcissement ? Si Matthieu a eu vent de cette concertation entre les responsables du peuple, on imagine plus aisément que cela ait été par la défaillance d’un des gardes du tombeau.

Quelques années après cet épisode de l’Évangile de Matthieu, un juif des plus religieux, fier de son héritage, enseigné dans le plus farouche rejet des chrétiens, persécuteur de l’Église, verra sa vie transformée par une rencontre avec le Christ ressuscité. En abandonnant son statut religieux, ses privilèges, son ancienne vision du monde, il fera face à bien des « morts » en Christ, mais l’apôtre Paul témoignera jusqu’au bout de la puissance de la résurrection.

Entre les mains de Dieu, l’espoir demeure de voir changer certains de ceux qui égarent le monde. Quant à nous, il nous est possible de donner un autre exemple à nos contemporains, et de manifester la vie de résurrection qui subsiste par-delà les morts qu’ils craignent.

Cet article est d’abord paru sous le titre « Certains se réjouissent de la résurrection. D’autres inventent une théorie du complot. »

Léo Lehmann coordonne le travail en français pour Christianity Today. Il est également directeur des publications du Réseau de Missiologie Evangélique pour l’Europe Francophone (REMEEF). Il vit à Bruxelles, en Belgique. Cet article est inspiré d’une prédication donnée le 4 avril 2021 qui a également fait l’objet d’une adaptation pour Le Lien Fraternel.

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History

Ce que des spécialistes non croyants admettent des apparitions de Jésus après sa mort

Les données historiques sont claires : ceux qui ont prétendu voir le ressuscité ont bel et bien vu quelque chose.

Christianity Today April 13, 2022
Illustration de Mallory Rentsch/ Images sources : ZU_09/ Getty Images/ Annie Spratt/ Unsplash

Le 26 juin 2000, la chaîne ABC diffusait un documentaire intitulé The Search for Jesus (« À la recherche de Jésus »). Le présentateur principal de la chaîne, Peter Jennings, interviewait des spécialistes libéraux et conservateurs du christianisme primitif sur ce que nous pouvons historiquement connaître de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus. La série se terminait par une affirmation frappante de Paula Fredriksen, spécialiste du Nouveau Testament, qui n’est pas chrétienne elle-même.

The Bedrock of Christianity: The Unalterable Facts of Jesus' Death and Resurrection

Commentant les apparitions de Jésus après la Résurrection, la chercheuse déclare :

Je sais que, selon leurs propres termes, ce qu’ils ont vu, c’est Jésus ressuscité. C’est ce qu’ils disent, et toutes les preuves historiques que nous avons ensuite attestent de leur conviction que c’est ce qu’ils ont vu. Je ne dis pas qu’ils ont vraiment vu Jésus ressuscité. Je n’étais pas là. Je ne sais pas ce qu’ils ont vu. Mais je sais, en tant qu’historienne, qu’ils ont dû voir quelque chose.

Elle admet, en d’autres termes, que les meilleures preuves historiques disponibles confirment que des disciples de Jésus comme Marie-Madeleine, son frère Jacques, Pierre et ses autres disciples, et même un adversaire (Paul) étaient absolument convaincus que le crucifié Jésus leur était apparu vivant, ressuscité des morts.

Paula Fredriksen n’est pas la seule à penser que ces disciples ont dû voir quelque chose. Pratiquement tous les spécialistes de la Bible à travers le monde occidental, quelle que soit leur appartenance religieuse, s’accordent à dire que les premiers disciples de Jésus croyaient qu’il leur était apparu vivant. Ainsi est née la plus grande religion du monde. À la suite de ces apparitions, des pêcheurs juifs ont commencé à proclamer aux foules de Jérusalem que « Dieu a ressuscité ce Jésus, et nous en sommes tous témoins » (Actes 2.32). Deux mille ans plus tard, le message de la mort et de la résurrection de Jésus est proclamé par des milliards de chrétiens dans presque toutes les nations et presque toutes les langues de la planète.

Qu’ont vu tous ces témoins ?

Une confession fondatrice

Selon la source la plus ancienne dont nous disposons sur la mort et la résurrection de Jésus, une perle que l’on trouve dans 1 Corinthiens 15, Jésus est apparu à de multiples individus et groupes, et à au moins un opposant. Selon la quasi-totalité des spécialistes, cette tradition crédible remonte à moins de cinq ans après la mort de Jésus. Grâce à cette source, nous pouvons remonter jusqu’aux premières années du mouvement chrétien à Jérusalem, jusqu’à la confession fondatrice des premiers disciples de Jésus.

Voici ce que dit Paul dans 1 Corinthiens 15.3-8 :

Je vous ai transmis avant tout le message que j’avais moi aussi reçu : Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures ; il a été enseveli et il est ressuscité le troisième jour, conformément aux Écritures. Ensuite il est apparu à Céphas, puis aux douze. Après cela, il est apparu à plus de 500 frères et sœurs à la fois, dont la plupart sont encore vivants et dont quelques-uns sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. Après eux tous, il m’est apparu à moi aussi, comme à un enfant né hors terme.

Ce catalogue d’apparitions du Ressuscité est sans équivalent dans le Nouveau Testament, et même dans toute la littérature antique. Cette liste nous apprend que Jésus est apparu à trois individus : Céphas (Pierre), son principal disciple, Jacques, son frère, et Paul, son ancien ennemi. Nous lisons également qu’il est apparu à trois groupes : les Douze (les disciples, moins Judas), plus de 500 des premiers disciples et tous les apôtres.

Que Jésus soit apparu à plus de 500 hommes et femmes au même moment est une affirmation vraiment remarquable. Paul met ouvertement sa crédibilité en jeu lorsqu’il affirme que la plupart d’entre eux sont encore en vie. Après tout, que fait-il d’autre que d’inviter les membres de l’Église de Corinthe à se rendre à Jérusalem et à parler à ces témoins, afin d’enquêter eux-mêmes sur ce qu’ils ont expérimenté en voyant Jésus ressuscité ? On constate donc que de solides témoignages oculaires d’apparitions de Jésus ressuscité étaient tout à fait accessibles dans les décennies qui ont suivi sa résurrection. Comme l’observait G. K. Chesterton dans L’Homme qu’on appelle le Christ, « C’est le genre de vérité qui est difficile à expliquer, parce qu’il s’agit d’un fait ; mais c’est un fait à propos duquel nous pouvons faire appel à des témoins. »

Marie-Madeleine figure également sur la liste des principaux témoins oculaires, car elle aussi pouvait aisément être interrogée sur son expérience de Jésus ressuscité. Comme l’écrit Bart D. Ehrman, spécialiste agnostique du Nouveau Testament, dans How Jesus Became God, il est « significatif que Marie-Madeleine jouisse d’une telle proéminence dans tous les récits évangéliques de la résurrection, alors qu’elle est pratiquement absente partout ailleurs dans les Évangiles. Elle n’est mentionnée que dans un seul passage de tout le Nouveau Testament en relation avec Jésus pendant son ministère public (Luc 8.1-3), et pourtant elle est toujours la première à annoncer que Jésus est ressuscité. Pourquoi en est-il ainsi ? Une explication plausible est qu’elle aussi a eu une vision de Jésus après sa mort. » Marie-Madeleine a eu le grand honneur d’être non seulement la première à voir Jésus ressuscité, mais aussi la première personne de l’histoire à proclamer : « J’ai vu le Seigneur ! » (Jean 20:18).

Quoi que ces témoins aient vu, cela a transformé leur vie au point d’être prêts à souffrir et à mourir pour cela. Dans 2 Corinthiens 11.23-33, Paul relate ses souffrances quasi quotidiennes en raison de sa conviction que Jésus lui est apparu. Il a été battu, emprisonné, lapidé, affamé, perdu en mer, et se trouvait jour après jour exposé à toutes sortes de dangers lors de ses voyages dans l’Empire romain.

Nous possédons également des preuves historiques solides que certains témoins oculaires clés ont été martyrisés pour leur foi. Pierre, par exemple, a été crucifié. Jacques a été lapidé. Paul a été décapité. Quoi qu’ils aient vu, cette vision valait la peine qu’ils donnent leur vie. Ils ont scellé leurs témoignages de leur sang.

La baguette magique de l’« hystérie collective »

Afin d’expliquer ces apparitions, certains chercheurs ont émis l’hypothèse que les témoins oculaires avaient simplement été victimes d’hallucinations.

Dans son excellent livre Resurrecting Jesus, Dale Allison, spécialiste du Nouveau Testament, passe en revue les études scientifiques et la littérature disponibles sur les hallucinations. Dans les cas documentés, conclut-il, quatre choses ne se produisent pas (ou rarement). Premièrement, les hallucinations sont rarement vécues par plusieurs individus et groupes sur une période de temps prolongée. Deuxièmement, les hallucinations touchent rarement les grands groupes, en particulier les groupes de plus de huit personnes. Troisièmement, des hallucinations n’ont jamais conduit à affirmer qu’un mort était ressuscité. Et quatrièmement, les hallucinations ne touchent pas un adversaire de la personne concernée. (Nous pourrions également ajouter le fait que les hallucinations ne sont généralement pas connues pour lancer des religions ou mouvements mondiaux).

Pourtant, dans le cas des apparitions de Jésus après sa résurrection, chacune de ces situations rares ou apparemment impossibles s’est produite.

Allison résume énergiquement ses conclusions : « Tels semblent être les faits, et ils soulèvent la question de savoir comment nous devons les expliquer. Les tenants de la foi affirment que ces apparitions de Jésus doivent, compte tenu des rapports qui en sont faits, avoir été objectives. Une personne peut avoir des hallucinations, mais douze en même temps ? Et des dizaines sur une longue période de temps ? Ces questions sont légitimes, et ce n’est pas en brandissant la baguette magique de l’“hystérie collective” qu’on les fera disparaître. »

Un agnosticisme prudent

La seule autre réponse proposée par les chercheurs compétents qui s’attaquent à ce solide dossier historique consiste en diverses variantes de « je ne sais pas ». Tout comme Paula Fredriksen, le célèbre spécialiste du Nouveau Testament E. P. Sanders adopte lui aussi cette approche d’agnosticisme prudent lorsqu’il écrit, dans The Historical Figure of Jesus : « Que les disciples de Jésus (et plus tard Paul) aient eu des expériences de la Résurrection est, à mon avis, un fait. Quelle était la réalité qui a donné lieu à ces expériences, je ne le sais pas. »

Jordan Peterson, populaire professeur de psychologie à l’Université de Toronto, se situe également dans cette catégorie. Il ne peut ni affirmer ni rejeter l’historicité de la résurrection de Jésus. Lorsqu’on lui a demandé directement si Jésus était littéralement ressuscité des morts, il a répondu : « Je devrais y réfléchir pendant encore trois ans avant de me risquer à donner une réponse autre que celle que j’ai déjà donnée ».

La position de l’agnosticisme prudent me paraît respectable. Même les premiers apôtres n’ont pas cru à la résurrection lorsque les femmes leur en ont parlé pour la première fois (Luc 24.8-11). Pourtant, si quelqu’un comme Peterson, avec un esprit et un cœur ouverts, suit les preuves là où elles mènent, je suis convaincu qu’il aboutira aux pieds de Jésus ressuscité, proclamant avec Thomas, « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jean 20.28).

Convaincre Horatio

La nature extraordinaire de la résurrection de Jésus me rappelle ma scène préférée dans le Hamlet de Shakespeare. La pièce s’ouvre sur le « prodige bien étrange » des apparitions du père mort d’Hamlet à Bernardo et Marcellus, puis à Horatio, l’ami d’Hamlet. Horatio est le sceptique du groupe. Dans un échange entre eux, Hamlet questionne son incrédulité face au surnaturel :

Horatio : Nuit et jour ! Voilà un prodige bien étrange !

Hamlet : Donnez-lui donc la bienvenue due à un étranger.
Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio,
Qu’il n’en est rêvé dans votre philosophie

À travers Hamlet, c’est Shakespeare qui nous invite à nous attendre à l’inattendu. Accueillez l’étrange et l’extraordinaire. C’est en effet un étrange prodige que le fantôme du père d’Hamlet apparaisse à des gens, mais ne le rejetez pas pour cette seule raison. Votre philosophie doit être assez large pour le surnaturel. Il se passe plus de choses dans notre monde merveilleux (et au-delà) que vous ne pouvez l’imaginer. Si votre philosophie n’est pas assez large et ouverte pour inclure le miraculeux et l’extraordinaire, alors vous avez besoin d’une nouvelle philosophie.

Nous devrions être ouverts aux récits miraculeux du monde antique et des temps modernes. Nos philosophies devraient faire place à l’inattendu, à l’étrange et à l’extraordinaire. Cependant, la question la plus importante à poser face à toute affirmation de miracle est la suivante : « Quelles sont les preuves ? ».

Nous avons vu que, même du point de vue des chercheurs les plus sceptiques, le poids des documents historiques atteste que de nombreux individus et groupes ont cru voir Jésus ressuscité. Toutes les preuves que nous avons suggèrent que ces témoins oculaires étaient dignes de confiance et honnêtes. Pourquoi ne pas les croire ?

Et si cela ne convainc pas nos Horatios modernes, allons plus loin, en convoquant les Douze et les plus de 500 personnes qui ont vu le Messie ressuscité.

Il serait même possible de sortir du cadre du premier siècle et d’explorer comment la foi en la résurrection a jeté les bases de toute la civilisation occidentale, inspirant certains des plus grands chefs-d’œuvre artistiques, littéraires, musicaux, cinématographiques, philosophiques, moraux et éthiques que le monde ait jamais connus. Tout cela repose-t-il sur un mensonge ?

Et si ce n’est pas encore suffisant, que nos Horatios considèrent les milliards de personnes qui, aujourd’hui dans le monde, témoignent de la façon dont le Christ vivant a transformé leur vie. Parmi elles se trouvent des géants de la pensée qui se sont convertis au christianisme à partir de toutes les religions existantes (ou de l’athéisme et de l’agnosticisme). En Christ, ils ont trouvé tous les trésors de la sagesse et de la connaissance.

Le jour de Pâques, ces milliards de personnes proclament le même message que les apôtres proclamèrent le jour de la Pentecôte : « Dieu a ramené ce Jésus à la vie, et nous en sommes tous témoins. »

Aujourd’hui plus que jamais, dans ce monde sombre et rongé par bien des maux, votre famille, vos amis et vos voisins cherchent l’espoir. Le Christ vivant est notre seule espérance à tous. Avant que Pâques ne se perde dans la frénésie de la vie quotidienne, posez la question à votre voisin : Qu’ont vu (ou qui ont vu) tous ces témoins ?

Ils ont vu l’espérance incarnée, la nouvelle création, la vie dans sa plénitude, Dieu dans la chair.

Il s’agit en effet d’un bien étrange prodige ! Encouragez vos amis non croyants à ne pas s’arrêter à « je ne sais pas ». Puissent-ils accueillir Jésus ressuscité.

Justin Bass est professeur de Nouveau Testament au Jordan Evangelical Theological Seminary à Amman, en Jordanie. Il est l’auteur de The Bedrock of Christianity : The Unalterable Facts of Jesus’ Death and Resurrection (Lexham Press) et The Battle for the Keys: Revelation 1:18 and Christ's Descent into the Underworld (Wipf and Stock).

Traduit par Léo Lehmann

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Books

Face aux atrocités, un responsable évangélique à Boutcha cherche la main de Dieu

Alors que sa maison a été pillée par les soldats russes en repli, le président d’un séminaire ukrainien, Ivan Rusyn, décrit l’impact spirituel des chrétiens qui servent la population dans ce contexte de mort et de dévastation.

Des gens circulent au milieu de débris et de véhicules militaires russes détruits dans une rue de Boutcha, en Ukraine, le 6 avril 2022.

Des gens circulent au milieu de débris et de véhicules militaires russes détruits dans une rue de Boutcha, en Ukraine, le 6 avril 2022.

Christianity Today April 7, 2022
Chris McGrath / Staff/Getty

(La version française de cet article a fait l’objet d’une mise à jour.)

Les atrocités sont choquantes. Tandis que l’on évoque plus de de 20 000 victimes à Marioupol, les autorités ukrainiennes parlent de plus de 720 personnes retrouvées mortes dans la banlieue de Kiev après le retrait de l’armée russe. Au moins deux d’entre elles ont été retrouvées les mains liées ; plusieurs ont reçu une balle dans la tête.

De nombreux corps ont été brûlés.

Un résident a affirmé que les occupants étaient polis et partageaient leurs rations de nourriture. Mais d’autres parlent d’appartements saccagés ; l’un d’entre eux a été attaché à un poteau et battu. Les soldats ont aussi tiré sur un cycliste, qui était descendu de son vélo et tournait un coin à pied.

Cela aurait pu être Ivan Rusyn.

Président du Ukrainian Evangelical Theological Seminary (UETS), il coordonnait de l’aide depuis une maison où il avait trouvé refuge à Kiev. Mais en se rendant à vélo à Boutcha, sous contrôle russe, pour livrer des médicaments à un voisin, il a été témoin direct des atrocités.

La Russie a qualifié les images de mensongères ; les images satellites contredisent cette affirmation. Christianity Today a interviewé Rusyn pour entendre son témoignage de première main. Il parle des répercussions spirituelles de ce qui s’est passé, de la nécessité de devenir une Église plus authentique et de l’aide apportée par les évangéliques aux banlieues reconquises, où il a vécu ces huit dernières années :

Où vivez-vous à Boutcha ?

Si vous regardez Boutcha sur Google Maps, je vis dans l’un des cinq blocs d’appartements situés en face du Toscana Grill. C’est un restaurant plutôt cher, mais il m’est arrivé d’y manger. Je cours dans le parc municipal presque tous les jours, et avec des amis le samedi. Le séminaire de Kiev est à 10 km, et il me fallait 25 minutes pour y aller en voiture, avec la circulation.

J’ai remarqué que Google dit maintenant que le trajet prendrait une heure et demie.

Le pont a été détruit le deuxième jour de la guerre. Les hélicoptères et les soldats russes ont d’abord atterri à l’aéroport d’Hostomel, à cinq kilomètres de notre maison. Il y a eu de violents combats, et je me suis réfugié dans ma cave pendant les cinq jours suivants. Puis je suis parti au séminaire, en suivant l’itinéraire de Google Maps pour contourner Kiev par le nord-est. Après deux jours, nous avons évacué, et j’ai trouvé le chemin d’un logement plus sûr dans le centre de la ville.

À présent, lorsque nous apportons de la nourriture et des provisions à Boutcha, Irpin et Hostomel, nous voyons de nombreux chars russes détruits. Le pont est toujours largement endommagé, mais on peut le traverser prudemment avec des minibus. C’est dangereux, mais si vous allez lentement, le voyage prend maintenant environ une heure.

Quand êtes-vous rentré ?

Le 3 avril. Nous avons été escortés par la police parce que nous avions constitué une longue file de bus remplis de provisions, et en vue d’évacuer certains habitants. C’était le même jour où le Président Volodymyr Zelensky est venu à Boutcha.

Mais j’y suis allé une fois avant ça, en vélo.

Mes voisins s’étaient réfugiés dans leur sous-sol, il n’y avait aucun moyen de les contacter, et un plan d’évacuation était en cours de préparation. Ils avaient aussi besoin de médicaments. Irpin était alors sous contrôle ukrainien, je me suis donc d’abord rendu aux postes de contrôle militaires, mais ils ne m’ont pas permis d’aller à Boutcha, occupée par les Russes.

Je suis donc passé par le cours d’eau voisin, peu profond, et j’ai utilisé mon vélo et un petit arbre pour traverser. J’ai vu des cadavres — des civils et des soldats. J’ai vu des gens portant des enfants sur leurs épaules, les mains levées. J’ai vu des personnes âgées qui essayaient de trouver un moyen de fuir.

Et quand je voyais des soldats russes, je devais me cacher. À un moment donné, je me suis cru coincé dans un immeuble bombardé, craignant de devoir y passer la nuit. Je me suis déplacé autant que possible dans les petites rues, en évitant les routes principales.

Quand je suis arrivé, mes voisins ont eu du mal à partir, ils avaient tellement peur.

Le président de l’UETS, Ivan Rusyn (au centre), à Hostomel, en Ukraine.Image fournie par Ivan Rusyn
Le président de l’UETS, Ivan Rusyn (au centre), à Hostomel, en Ukraine.

Comment était-ce quand vous êtes revenu après le départ des occupants ?

La première fois que j’y suis retourné, mon appartement n’avait pas d’électricité, mais pour le reste tout allait bien. La deuxième fois, les portes avaient été forcées. On m’a cambriolé, et un manteau de soldat russe est resté sur place. Mais ils ne se sont pas contentés de voler des objets, ils ont brisé la télévision, l’écran de mon ordinateur et d’autres appareils.

Ma voisine, Nina Petrova, m’a dit que des soldats russes sont venus dans son appartement et lui ont mis un pistolet sur la tempe, la forçant à leur montrer tous ses objets de valeur. Chaque appartement a été cambriolé. Dans certains, ils ont même transpercé les photos de famille avec un couteau.

J’ai eu une réaction psychologique intéressante, que d’autres ont également mentionnée. Parce qu’un ennemi — un tueur — est entré dans mon appartement, j’ai eu l’impression qu’il ne m’appartenait plus. Peu importe les choses que j’ai perdues, j’ai la paix dans mon cœur. Mais le plus dur est d’accepter que des soldats russes se soient promenés dans ma maison.

Qu’est-ce que ça fait de voir un cadavre dans la rue ?

La dernière chose à laquelle vous pensez est de prendre des photos. Et vous ne vous arrêtez pas pour examiner qui c’est. Mais j’ai découvert que dans une situation aussi stressante, je pouvais me mobiliser pour agir. Quand je reviens à notre base, quand je vois les photos et que je lis les rapports — je ne sais pas si je peux le dire — mais beaucoup d’entre nous pleurent chaque soir.

Mais quand je retourne à Boutcha pour aider, ça va.

Il y a deux jours, nous avons visité Hostomel, et tout était détruit. Puis les gens ont commencé à se montrer, un par un, sales. Une dame est venue me voir, et j’ai remarqué ses mains. Elle nous a expliqué qu’ils cuisinaient sur du bois de chauffage. Son mari avait été tué, et elle l’avait enterré juste à l’entrée de son appartement.

Et puis elle a serré mon collègue dans ses bras.

J’ai entendu au moins 15 témoignages de personnes qui m’ont dit avoir enterré elles-mêmes leurs proches. Hier, nous avons évacué deux dames ; l’une a enterré son mari dans la cour. Une autre, très âgée, vivait dans un appartement sans fenêtres, très froid, sans eau, sans électricité, sans rien. Une femme lui apportait de la nourriture tous les jours et nous a demandé si nous pouvions l’aider.

Il y a des milliers de personnes comme ça. Les plus jeunes sont plus débrouillards, capables de se mettre à l’abri. Mais les personnes âgées n’ont nulle part où aller. Elles m’ont dit qu’elles avaient vécu un véritable enfer.

Des croix près d’une fosse commune aux abords d’une église, le 4 avril 2022 à Boutcha, en Ukraine.Anastasia Vlasova/Stringer/Getty
Des croix près d’une fosse commune aux abords d’une église, le 4 avril 2022 à Boutcha, en Ukraine.

Y a-t-il des victimes parmi les chrétiens évangéliques ?

Un de nos diplômés a été arrêté, et nous ne savons toujours pas où il se trouve. Mais son gendre, emmené au même moment, a été retrouvé dans une fosse commune à Motyzhyn. Les funérailles ont eu lieu hier, avec un enterrement en bonne et due forme.

Le doyen d’un autre séminaire a également été retrouvé mort. Il a été abattu et son corps gisait sur la route depuis au moins quelques jours, aux côtés de celui d’un ami.

Ce sont des gens que nous connaissions personnellement.

Aux premiers jours de la guerre, vous disiez que les mots « Dieu, brise les os de mon ennemi » pouvaient être tout aussi spirituels que la bénédiction d’Aaron. À présent, vous avez vu des atrocités de vos propres yeux. Quel a été votre cheminement spirituel depuis lors ?

À ce moment-là, je pouvais déjà dire ces choses très clairement. Mais au cours des 43 derniers jours, c’est devenu plus profond. Nos émotions ne sont plus aussi vives. Nous parlons plus lentement et plus calmement. Les professionnels diraient peut-être que nous sommes psychologiquement meurtris. Nous essayons de dire que nous allons bien (en souriant), mais la colère et la douleur sont toujours présentes, pénétrant jusqu’au plus profond de notre être.

Je ne sais pas comment l’exprimer, même en ukrainien. C’est comme si c’était gelé. C’est destructeur. C’est constamment penser et se rappeler la souffrance que vous avez vue. Elle reste avec vous, et je crains qu’elle ne disparaisse pas de sitôt.

Je soutiens toujours cette déclaration. Je continue à murmurer mon appel à ce que Dieu intervienne.

Comment cela a-t-il affecté vos relations avec les évangéliques russes ?

Cette guerre n’a pas été provoquée par l’Ukraine. Je ne prie pas pour les Russes. Enfin, rarement. Ces dernières années, nous avions nos habitudes avec eux. Nous avons essayé de nous adapter. Vous ne comprenez pas l’ukrainien ? D’accord, on parlera russe, pas de problème. Vous n’aimez pas les rapports en provenance du Donbass ? Ca va, laissons ça de côté.

Mais pourquoi devrions-nous nous taire ?

Aujourd’hui, nous entendons à nouveau les mêmes voix. La situation n’est pas claire. Les photos que vous nous montrez sont blessantes. Mais pourquoi devrions-nous nous taire ? Nous avons l’impression qu’ils voudraient nous apprendre comment pardonner, mais qu’ils ne veulent pas entendre notre voix. Seules quelques personnes m’ont contacté.

Je comprends que les chrétiens russes n’aillent pas sur la Place Rouge pour protester, et personne ne le leur demande. Mais ils pourraient nous envoyer un message, même s’il est crypté : Nous ne pouvons rien faire ici en Russie, mais nous sommes avec vous. Nous sommes contre cette guerre.

Quel est l’impact sur l’enseignement dispensé au sein du séminaire ?

Nous continuerons du mieux que nous pourrons. Parfois, j’ai envie de réfléchir théologiquement à tout cela, et d’autres fois, je n’en ai pas du tout envie. Mais je crois que nous deviendrons plus forts.

Non, pas plus forts, plus authentiques.

Bien sûr, nous avons beaucoup de choses à partager. Mais notre authenticité s’exprimera dans notre capacité à écouter, en démontrant notre compassion, même sans paroles. Mon col clérical est utile pour cela : les gens voient que je suis pasteur, et nous avons aussi des croix rouges sur nos bus.

Le séminaire sera moins actif en matière de discours pendant un certain temps, mais nous servirons la société par notre présence. J’ai été plus souvent pris dans les bras par des inconnus ces 43 derniers jours que par tous mes proches ces cinq dernières années.

Nous sommes en train de développer un ministère d’accompagnement dans notre département de psychologie. Les traumatismes sont partout, et de nombreux chrétiens veulent aider. Ils ont les meilleures des motivations, mais tenter d’aider sans expérience ceux qui ont été blessés ne fera qu’empirer les choses.

Mais mon christianisme, ma théologie de la mission, sont en train d’être remodelés. Chaque semaine, nous servons la communion, nous expérimentons la présence de Dieu et la solidarité avec des étrangers et des soldats, en plein air. Il y a des centaines et des milliers d’Églises qui servent activement, et le christianisme évangélique va faire de plus en plus partie de la société.

Vous dites qu’il vous arrive de vous détourner de la théologie. Avez-vous lutté avec Dieu ?

Je suis chrétien depuis longtemps et impliqué dans la formation théologique depuis de nombreuses années. Il y a eu des moments où j’avais des questions pour Dieu, et c’est évidemment le cas actuellement.

Avant la guerre, ma femme et moi lisions quelque chose à propos de l’Holocauste, le livre d’Elie Wiesel. Nous avons visité des musées à Kiev et le site du massacre de Babi Yar. Ces choses peuvent paraître un peu scolaires, mais elles ne le sont pas. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais parfois, dans le silence de Dieu, j’entends sa voix. C’est une affirmation très contradictoire. Dans son absence, je sens sa présence.

Je peux vous dire honnêtement que, pour moi, la question de savoir si Dieu existe ou non ne se pose pas. J’ai vécu à un moment donné une crise épistémologique, alors que je commençais mon parcours en théologie. Mais au milieu de cette guerre, je n’ai jamais douté de l’existence de Dieu.

Ou du fait qu’il vous aime ?

Je pense que oui. Je n’y ai pas réfléchi en ces termes. Peut-être que je n’ai pas eu le temps.

J’explique à nos étudiants que les agissements de Dieu sont souvent plus clairs lorsqu’on regarde en arrière. Je crois que l’Ukraine sera une grande nation, et une bénédiction pour beaucoup d’autres. Notre unité, notre solidarité et notre générosité — avec des étrangers que nous ne connaissions pas — sont étonnantes. J’espère que nous serons en mesure de voir sa logique plus tard, mais pour l’instant le prix que nous payons est très élevé.

La Fédération de Russie détruit notre nation. Peu importent les bâtiments. Mais ils considèrent nos valeurs comme une menace. Je demande à la communauté internationale de continuer à soutenir l’Ukraine, non seulement par une aide humanitaire, mais aussi par toute l’aide politique et militaire possible.

Nous luttons contre un géant.

Je veux affirmer que je vois la main de Dieu à l’œuvre. Ici, en sécurité dans cette maison, je peux l’affirmer. Mais quand je retournerai à Boutcha demain, pourrai-je le dire à la vieille femme que je rencontrerai ? Puis-je lui dire que Dieu est à l’œuvre dans sa vie ? Théologiquement, je crois que c’est le cas. Mais devant une telle souffrance, je manque de force pour le proclamer.

Traduit par Léo Lehmann

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La joie de Pâques n’est pas sans mélancolie

La célébration de la résurrection du Christ contraste avec la joie de Noël.

Christianity Today April 6, 2022
Maxim Dužij / Unsplash

La version française de cet article a fait l’objet d’une mise à jour

Il y a des années où la joie de Pâques est plus difficile à trouver. En 2019, entre la laideur croissante de la politique dans mon pays et les tensions vécues au sein de l’Église, j’avais du mal à lever les yeux du corps brisé de mon Seigneur pour me réjouir dans le Christ ressuscité et monté au ciel.

Lorsque je fis part de mes luttes à un bon ami, il me suggéra de revoir une collection de sermons que le prêtre John Henry Newman prêcha au 19e siècle à Oxford en réponse aux défis de son époque. En me tournant vers Newman, je découvris une idée surprenante : selon lui, ma joie mitigée n’est pas simplement acceptable ou tolérable. Elle constitue une réponse profondément chrétienne à Pâques.

Dans un sermon intitulé « Keeping Fast and Festival » (« Observer le jeûne et la fête »), Newman établit d’abord une comparaison entre Noël et Pâques. À Noël, dit-il, nous nous réjouissons avec « la joie naturelle et sans mélange des enfants ». La joie de Pâques, cependant, n’est pas la même. Cette joie est vécue comme dans un second temps. Elle naît de la tribulation, comme l’écrit Paul en Romains 5, émerge de la moisson (Es 9.3), et vient après (et en conséquence) du carême et du Vendredi saint.

En d’autres termes, si le carême nous apprend ne serait-ce qu’un peu comment le Christ supporte la souffrance du monde, alors notre enthousiasme pascal devrait être différent de notre réaction à l’arrivée de Dieu sous la forme d’un bébé à Noël. Il devrait être plus mûr, plus vieilli, plus éprouvé. La joie de Pâques n’est pas la joie des enfants, dit Newman, mais plutôt celle de convalescents qui ont reçu la promesse de la guérison, qui commencent à se rétablir, mais doivent encore reprendre des forces après une saison de Carême où nous avons affronté notre faiblesse et pleuré nos péchés.

La représentation que Newman donne des chrétiens comme des convalescents me fait penser à l’histoire de guérison que l’on trouve à la fin du roman de C. S. Lewis Le Neveu du magicien. Au point culminant du livre, Diggory, le jeune héros, regarde Aslan planter une pomme magique dans le sol narnien nouvellement créé. Un arbre en sort immédiatement. À Narnia, les pommes ont un immense pouvoir de guérison et de fortification. Aslan donne alors à Diggory un fruit de l’arbre et le renvoie dans notre monde pour soigner sa mère malade.

Lorsque Diggory donne à sa mère la pomme magique, il ne constate pas de guérison immédiate. Dans notre monde, bien que remplie non plus de la vigueur de la création, mais de celle de la rédemption, sa guérison est lente et progressive. Diggory remarque d’abord que son visage est un peu différent. Puis une semaine plus tard, elle est capable de s’asseoir. Enfin, au bout d’un mois, elle est suffisamment bien pour s’installer dans le jardin avec son fils. Au milieu de ce processus, Diggory a du mal à croire que sa guérison est réelle. Mais « lorsqu’il se souvint du visage d’Aslan, il reprit espoir ».

Nous aussi devrions souvent (mais pas toujours) nous attendre à ce que notre guérison ressemble davantage à celle de la mère de Diggory : marquée par une joie mesurée qui n’exclut pas la lutte. Comme l’écrit George Herbert, même si nous grandissons dans la foi et nous reposons en Dieu, nous nous sentons souvent « maigres et légers, sans rempart ni ami […] balayés par toutes les tempêtes et tous les vents ».

Comme beaucoup de personnes exposées à divers courants du mouvement évangélique, il m’est facile d’accorder une grande importance à l’expérience subjective, aux émotions et à leur expression extérieure. Ainsi, il m’arrive de craindre que mon manque de joie à Pâques — ou à tout autre moment de l’année, d’ailleurs — soit dû à ma faiblesse et à mon péché. Bien que cela puisse être vrai à certains moments, Newman remet en question la croyance selon laquelle ce serait toujours le cas, rejetant le mensonge selon lequel « puisque le devoir du chrétien est de se réjouir sans cesse, il se réjouirait mieux s’il ne souffrait jamais et n’était jamais en peine de justice ».

M’inquiéter de mon manque d’émotions « appropriées » n’est pas une solution, et serait en fait plutôt source de problèmes. Lorsque je refuse de me laisser aller à la déception face à mes brisures et à celles du monde, je ne reconnais non seulement plus « la langueur et l’oppression provenant de mon ancien moi » qui persiste de ce côté-ci du ciel, mais je néglige aussi la réalité de la nouvelle vie qui m’a été donnée. La solution n’est pas de susciter davantage d’émotions ou d’effacer les peines de ce monde, mais plutôt de se tourner dans la prière, non pas vers l’intérieur, mais vers le haut.

« Nous devons supplier Celui qui est le Prince de la Vie, la Vie elle-même », dit Newman, « de nous transporter dans son nouveau monde, car nous ne pouvons pas nous y rendre de nous-mêmes, et de nous faire nous asseoir là où, comme Moïse, nous pourrons voir le pays et méditer sur sa beauté ! »

La joie de Pâques ne nous oblige donc pas à laisser derrière nous l’heure présente ou à faire semblant de ne pas être affectés par les événements de ce monde. Au contraire, elle survient lorsque, comme Diggory, nous revenons vers les détresses qui nous entourent (y compris nos propres fragilités) avec le réconfort de la présence du Christ et des moyens de grâce qu’il nous offre tout au long du temps pascal.

Dans ce retour, la joie se présente sous une forme différente, plus sombre, mais elle apparaît aussi plus profonde, meilleure et plus miraculeuse que tout ce que nous pouvions espérer.

Elisabeth Rain Kincaid est professeur adjointe de théologie morale du Aquinas Institute of Theology. Ses recherches portent sur les questions de formation morale, le développement de la vertu et l’intersection du droit, des affaires et de la théologie.

Traduit par Léo Lehmann

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La fin de la domination blanche dans les missions mondiales

Les luttes pour l’égalité raciale des missionnaires occidentaux et leurs contradictions internes.

Christianity Today April 4, 2022
Illustration by Jared Boggess / Source Images: NSA Digital Archive / Volody Myrzakharov / Getty

Après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, les attitudes à l’égard des différences raciales ont commencé à changer dans le monde, des dirigeants laïcs et religieux réclamant la fin de la domination blanche et l’égalité des droits. Si les historiens américains font généralement peu référence aux événements internationaux dans leur présentation du mouvement des droits civiques dans leur pays, les dirigeants religieux et laïcs de l’époque considéraient celui-ci comme faisant partie d’une campagne plus large contre le racisme mondial.

World Christianity and the Unfinished Task: A Very Short Introduction

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Les attitudes de supériorité ethnique étaient alors omniprésentes dans le monde occidental, et la domination coloniale blanche était considérée comme l’expression normale d’une vision raciste du monde. En 1942, de nombreux dirigeants protestants commencèrent à réclamer l’égalité « des autres races dans notre propre pays et dans les autres ». En 1947, deux ans après la fin de la guerre, le théologien luthérien Otto Frederick Nolde produisit une série d’essais plaidant pour l’égalité raciale dans le monde, appelant l’Église à montrer la voie :

L’Évangile chrétien s’adresse à tous les hommes, sans distinction de race, de langue ou de couleur […] Il n’existe aucune base chrétienne sur laquelle on pourrait appuyer la supériorité intrinsèque imaginaire d’une race en particulier. Les droits de tous les peuples, sur tous les territoires, doivent être reconnus et protégés. La coopération internationale est nécessaire pour créer les conditions dans lesquelles ces libertés peuvent devenir une réalité.

L’appel à l’égalité raciale faisait partie d’un mouvement mondial qui réclamait la liberté pour « tous les peuples de la terre ». En 1948, la communauté internationale adopta la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), un tournant dans la lutte mondiale contre le racisme. Des missionnaires protestants américains s’impliquèrent de près dans la rédaction de ce texte et devinrent de fervents partisans de la liberté religieuse ainsi que des droits de l’homme dans le monde. Les attitudes changeaient dans le monde occidental et les missionnaires contribuèrent à ouvrir la voie. Le militant américain pour les droits civiques W.E.B. Du Bois était alors une voix prophétique appelant à la fin du racisme mondial et de l’oppression blanche. Bien qu’il soit athée, Du Bois travailla avec des missionnaires occidentaux dans le processus d’adoption de la DUDH en 1948 ; il croyait fermement que ceux-ci avaient un rôle important à jouer pour mettre fin au racisme mondial.

Cependant, le racisme resta un péché acceptable après la Seconde Guerre mondiale, et ce même parmi les chrétiens évangéliques. Le « problème de la barrière raciale » constitua un problème dans certaines sociétés missionnaires chrétiennes pendant toute la première moitié du 20e siècle.

Au cours de mes études doctorales, j’ai examiné l’organisation qui est devenue la plus grande agence missionnaire protestante du siècle sur le continent africain. Durant les années 1950, l’organisation était divisée sur la question de l’intégration raciale. Les dirigeants résistaient à la suggestion de certains de ses missionnaires d’accepter les « évangéliques de couleur » comme membres à part entière de la communauté missionnaire. Les responsables du siège social se demandaient (principalement lors de réunions à huis clos) comment ils allaient traiter la question de l’égalité de rémunération, ainsi que les problèmes qui se poseraient lorsque les enfants des missionnaires noirs américains voudraient aller à l’école avec les enfants de leurs collègues blancs. Les autorités missionnaires évoquaient la possibilité de créer des stations missionnaires séparées « entièrement composées de nègres » en Afrique.

Ainsi, tandis que certains missionnaires s’efforçaient de changer les attitudes racistes à l’étranger, d’autres permettaient ces mêmes attitudes dans leurs propres rangs. J’ai réalisé autre chose en travaillant dans ces vieilles archives : les changements d’attitude à propos des droits humains et de la domination blanche créèrent des crises dans certaines sociétés missionnaires et pour plusieurs missionnaires sur le terrain.

À titre d’exemple, la mission que j’ai étudiée en particulier a été forcée de se repositionner en raison de la montée du nationalisme kenyan et du sentiment anti-blanc dans les années 1950, durant la rébellion Mau Mau (vers 1952-1956). Les changements qui balayaient le continent africain créaient une pression politique pour « africaniser » toutes les sphères de la société (y compris l’Église). Dans la décennie qui a suivi l’indépendance du Kenya vis-à-vis de la Grande-Bretagne (le processus a commencé vers 1958 et l’indépendance a été proclamée en 1963), la mission, exclusivement blanche, a d’abord résisté aux pressions des dirigeants d’Églises africains pour une transmission pacifique de ses biens et de son pouvoir. Malgré qu’on leur assurait le contraire, les missionnaires craignaient d’être contraints de mettre fin à leur travail et de quitter le pays.

Durant les années 1970, la mission céda finalement son autorité, après que les dirigeants africains de l’Église aient menacé de prendre le pouvoir par la force ; la passation de pouvoir n’a cependant été complète qu’en 1980, grâce aux revendications résolues de l’évêque de l’Église africaine, lassé de ce qu’il appelait « la mentalité de poste missionnaire ». (Par cette expression, il faisait référence à l’incapacité des missionnaires à « s’intégrer » pleinement à l’Église africaine.) Le contrôle étranger par les Blancs — que ce soit dans la nation, l’Église ou les sociétés missionnaires — n’était plus d’actualité. Même les organisations missionnaires réticentes aux nouveaux paradigmes subséquents à la décolonisation furent forcées de s’adapter.

Il est important que les chrétiens occidentaux engagés dans des missions mondiales comprennent que la suprématie blanche sous toutes ses formes a été rejetée par le monde non occidental. À la fin du 20e siècle, les missionnaires servant dans le monde non occidental avaient développé une conscience accrue de ce climat mondial. Durant la seconde moitié de ce 20e siècle, les colonies se sont rebellées contre leurs maîtres occidentaux, soutenues par la lutte pour les droits humains et la fin du racisme dans le monde. Au fur et à mesure que les anciennes colonies devenaient indépendantes, les missionnaires occidentaux catholiques et protestants de diverses dénominations ont été contraints de renoncer à leur autorité sur les Églises.

Les transitions « de mission à Église » (parfois désignées par le terme « dévolution ») dans diverses dénominations étaient tendues et disparates. Les voix progressistes au sein des cercles missionnaires réclamaient une décentralisation aussi rapide que possible. Max Warren (1904-1977), qui fut vicaire de l’Église Holy Trinity à Cambridge de 1936 à 1942 et secrétaire général de la Société missionnaire de l’Église Anglicane de 1942 à 1963, joua un rôle clé pour convaincre la communauté missionnaire mondiale de s’adapter aux changements qui balayaient le monde à l’époque de la décolonisation.

Dans la plupart des cas, les missionnaires et les sociétés missionnaires ont répondu avec empressement, préparant aussi rapidement que possible les dirigeants locaux à occuper des postes d’autorité, souvent par crainte d’être forcés à quitter le pays par de nouveaux régimes gouvernementaux potentiellement hostiles aux travailleurs occidentaux (comme ce fut le cas en Chine en 1949 et au Congo belge en 1960).

Dans les pays nouvellement indépendants où les sociétés missionnaires étaient autorisées à continuer leurs activités, les missionnaires se sentaient parfois contraints de céder le contrôle de l’Église, craignant d’être perçus comme antigouvernementaux ou même racistes. En Afrique du Sud, les conditions étaient plus complexes encore, à cause des liens étroits entre l’Église et l’État dans les domaines privé et public, et en présence de tensions raciales se perpétuant après la fin de l’apartheid (1994) et jusqu’à présent. En Chine et en Inde, la plupart des missionnaires occidentaux avaient été poussés à rentrer chez eux bien avant 1950 en raison du sentiment anti-occidental, et les sociétés missionnaires n’avaient eu d’autre choix que de remettre la direction de l’Église à des responsables locaux. En Amérique latine, où les nations avaient obtenu la liberté politique depuis plus d’une centaine d’années, on observa un mouvement de frustration croissante au milieu du 20e siècle, en réaction à l’élitisme que manifestait la hiérarchie ecclésiale.

Entre les années 1950 et 1990, des dirigeants catholiques et protestants exprimèrent leur solidarité avec les pauvres et les opprimés à travers leur adhésion à la théologie de la libération. Cette forme de théologie, fortement inspirée du récit de l’Exode, soutenait que Dieu s’est donné la mission de libérer son peuple non seulement spirituellement, mais aussi politiquement. La rhétorique de la théologie de la libération était souvent anti-occidentale, et les théologiens de la libération dirigeaient fréquemment leurs critiques contre les missionnaires occidentaux, considérés comme des néocolonialistes. Des années 1940 à la fin du siècle, les sociétés missionnaires occidentales furent contraintes de s’adapter à l’évolution rapide du monde qui les entourait. Le « règne des blancs », sous toutes ses formes, fut rejeté en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

Pendant mon congé sabbatique au Kenya en 2006, j’ai eu l’occasion de développer mes connaissances sur le développement du christianisme dans le monde non occidental ; j’ai aussi beaucoup appris sur les attitudes des chrétiens non occidentaux envers les missionnaires occidentaux. Un projet de recherche que j’ai mené durant cette période a montré le ressentiment des Africains envers l’héritage de contrôle et de racisme laissé par les Occidentaux (ce qui ne m’a pas surpris), mais aussi, qu’ils estimaient que les sociétés missionnaires avaient elles aussi affiché des attitudes de supériorité culturelle et raciale. De nombreux Africains considéraient la réticence des missionnaires occidentaux à fournir une préparation ministérielle adéquate aux dirigeants locaux comme une expression de leur condescendance.

Cette année-là, alors que j’enseignais au département d’histoire de l’Église à l’École de théologie évangélique de Nairobi, un pasteur d’Ukambani (près de Machakos) m’a visité un soir à mon chalet pour me livrer un exemplaire du chef-d’œuvre littéraire de Joe de Graft, Muntu. Cette pièce de théâtre, maintenant considérée comme un classique de la littérature africaine, avait été présentée en 1975 lors du rassemblement du Conseil œcuménique des Églises à Nairobi.

Dans la pièce, les « Gens de l’eau » débarquent alors que les fils et les filles d’Afrique sont en train de se battre entre eux sur la gouvernance de leurs affaires. Le premier « homme de l’eau » est un missionnaire chrétien venu en Afrique pour faire des convertis ; le second un commerçant qui installe une boutique d’achat et de vente ; le troisième est un colon blanc à la recherche de terres ; le quatrième est un administrateur colonial qui planifie la construction d’un chemin de fer pour l’exportation de l’or.

Les Gens de l’eau brandissent des mousquets, et même le missionnaire se montre un excellent tireur. Le pasteur africain qui m’a remis la pièce m’a expliqué que le travail de de Graft m’aiderait à comprendre la pensée de nombreux Africains, en particulier ceux qui avaient fait des études universitaires. Les chrétiens africains, comme je l’appris, se souviennent que le missionnaire occidental est arrivé avec le colon, le commerçant et l’administrateur colonial, et souvent sur les mêmes navires. Certains chrétiens ont une compréhension plus nuancée, m’a-t-il dit, et comprennent que le missionnaire avait des objectifs différents. Cependant, il voulait que je saisisse que la génération émergente de responsables africains ne supporterait rien qui ressemble à de la supériorité occidentale. Il tenait à me faire comprendre que la fin de la domination blanche dans les nations non occidentales a également marqué la fin de toute trace de domination blanche dans l’Église africaine.

Les chrétiens d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine veulent (et méritent de) travailler avec l’Église occidentale en tant qu’égaux pour la cause de l’Évangile et des missions mondiales. Hors de l’Occident, les dirigeants d’Églises sont parfaitement conscients de l’histoire d’assujettissement qu’eux-mêmes et leurs ancêtres ont subie. Ils refusent d’être ignorés, contournés, méprisés ou patronnés par l’Église occidentale, surgissant dans leur pays pour travailler indépendamment, comme s’il n’existait pas d’Église africaine, asiatique ou latino-américaine. Ils veulent que l’Église occidentale serve avec eux dans un témoignage commun. Ils veulent également que les dirigeants d’Églises occidentaux les reconnaissent, les respectent et les écoutent. Ils veulent que les chrétiens occidentaux comprennent d’abord leurs besoins, avant de venir servir à leurs côtés.

Il est facile de prendre l’hospitalité offerte aux visiteurs occidentaux pour une soumission volontaire. Cependant, il est urgent que nous comprenions que les attitudes envers les Nord-Américains et les Européens ont changé au cours du 20e siècle et que même les hôtes hospitaliers sont conscients de notre longue histoire de prétendue supériorité culturelle et raciale.

L’évêque Oscar Muriu est un leader chrétien influent sur le continent africain qui est également devenu un ami personnel. J’ai bénéficié de sa chaleureuse hospitalité à de nombreuses reprises et je l’ai aussi reçu plusieurs fois chez-moi. Nous avons eu plusieurs discussions franches autour de bons repas. Lors d’un récent échange, alors que je sollicitais ses conseils sur une question liée aux missions, je l’ai (à nouveau) vu hocher la tête à propos de « tous ces Blancs occidentaux […] rêvant [de mission] dans le 2/3 monde ».

Nos frères et sœurs non occidentaux souhaitent nous voir engagés dans la mission, mais ils ne veulent pas être ignorés, surtout lorsque nous planifions des initiatives missionnaires dans leur propre arrière-cour ! Comme l’a dit l’activiste et photojournaliste kenyan Boniface Mwangi dans un éditorial publié dans le New York Times en 2015 : « Si vous voulez venir m’aider, demandez-moi d’abord ce que je veux […] alors nous pourrons travailler ensemble ». Ce n’est pas « le fardeau de l’homme blanc » de sauver le monde ; c’est la responsabilité de l’Église tout entière de porter l’Évangile tout entier au monde tout entier.

Adapté de World Christianity and the Unfinished Task, par F. Lionel Young III. Utilisé avec l’autorisation de Wipf and Stock Publishers, www.wipfandstock.com.

Traduit par Émilie Leblanc Tremblay

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Books

Les applications chrétiennes passent de « Priez plus » à « Calmez-vous »

De nouvelles ressources en lien avec la pleine conscience cherchent à aider les croyants à trouver du repos en Dieu.

Christianity Today April 1, 2022
Tony Anderson / Getty Images

Rachael Reynolds est une épouse et mère de trois enfants très occupée qui, comme de nombreux parents, a soudainement dû gérer l’école à la maison pour ses enfants et faire face à toute l’anxiété liée à une pandémie.

À 34 ans, elle est également infirmière diplômée et travaille trois ou quatre nuits par semaine dans le service de maternité et d’accouchement d’un hôpital de l’État américain du Texas. S’est donc ajouté le stress de devoir particulièrement veiller à protéger ses patients et elle-même contre la propagation du coronavirus.

Lorsqu’elle a quelques instants à elle pendant que ses enfants font la sieste, ou lorsqu’elle essaie de s’endormir tandis que tout le monde commence une nouvelle journée, elle se retrouve à pianoter sur l’une des applications de méditation de son téléphone, comme Abide, qui se présente comme l’application de méditation chrétienne n° 1 pour « moins stresser et mieux dormir ».

« Je trouve que m’enraciner dans la Parole de Dieu, dans la vérité et les promesses qu’il m’offre là, est le plus efficace pour m’ancrer mentalement et spirituellement ».

Les applications de méditation et de pleine conscience ont connu un développement extraordinaire au cours de la dernière décennie, ce qui s’inscrit dans la tendance de l’année que l’App Store d’Apple relevait en 2018 : les applications de bien-être, en particulier celles axées sur la santé mentale.

En 2017, l’App Store désignait Calm, qui se présente comme l’application numéro 1 pour le sommeil, la méditation et la relaxation, comme application de l’année. En anglais, des applications chrétiennes de méditation comme Abide, Pray, One Minute Pause, Soultime, Soulspace et, pour les catholiques, Hallow, ont également fait leur apparition ces dernières années, ajoutant la prière et les Écritures au paysage numérique des voix douces et des sons de la nature. En français, c’est l’application Meditatio, lancée en 2021, qui se présente comme la « 1ère application de méditation chrétienne francophone ».

Plusieurs de ces applications chrétiennes ont enregistré des pics de recherche de méditations sur des sujets tels que l’anxiété durant la pandémie.

« C’est en quelque sorte une véritable explosion », déclare Bobby Gruenewald, pasteur et responsable de l’innovation à Life.Church, l’une des plus grandes méga-Églises des États-Unis.

« Nous savons parfaitement que les gens se tournent vers les Écritures lorsqu’ils sont dans des situations difficiles de toutes sortes […] Je pense qu’ils voient la Bible comme un lieu de stabilité, de vérité et de fondement qui les aide en quelque sorte à se recentrer. »

En 2020, la version anglaise de l’application biblique YouVersion, de Life.Church, a intégré une fonctionnalité intitulée YouVersion Rest adaptée notamment aux haut-parleurs intelligents, après avoir remarqué que les utilisateurs écoutaient les Écritures tard dans la nuit, rapporte Bobby Gruenewald. Cette fonction de l’application récite des passages réconfortants des Psaumes avec des voix masculines ou féminines sur un fond sonore tel que celui de vagues ou de gouttes de pluie.

Fin 2019, l’auteur et thérapeute John Eldredge lançait une application de méditation et de pleine conscience, One Minute Pause, pour accompagner son dernier livre Get Your Life Back: Everyday Practices for a World Gone Mad (« Retrouvez votre vie : pratiques quotidiennes pour un monde devenu fou »).

En tant que thérapeute, il dit avoir été troublé par la montée de l’anxiété et de la dépression qu’il a constatée avant même que la pandémie ne frappe.

Selon lui les gens sont en « surcharge d’empathie » face aux nouvelles de catastrophes à travers le monde. Les chrétiens, y compris Eldredge lui-même, ne font souvent pas l’expérience d’enracinement profond exprimé par les Psaumes.

« Je me suis laissé prendre au rythme de la vie, aux folies du jour, à trop de médias, trop de technologie, trop de connexions — et je rentrais le soir à la maison et me retrouvais complètement grillé. ». « En réalité, je suis une personne assez monastique. »

Eldredge raconte qu’il a commencé à pratiquer une pause d’une minute dans sa voiture à la fin de chaque journée de travail, prenant un moment pour se calmer, se centrer et remettre à Dieu tout ce qu’il ressentait.

Il a commencé à envisager de créer une application de méditation et de pleine conscience il y a des années. Les applications non-chrétiennes comme Calm étaient tout sauf cela, avec trop d’options, alors que, estime-t-il, « ce dont les gens ont besoin, c’est d’une expérience très simple d’ancrage en Christ », comme celle qu’il vivait dans sa voiture.

One Minute Pause propose une méditation d’une minute, ou « pause », deux fois par jour, lue par Eldredge sur un fond d’image de la nature et de musique apaisante.

Après avoir effectué un certain nombre de courtes pauses, les utilisateurs peuvent passer à des options plus longues de trois, cinq ou 10 minutes.

Eldredge n’aime pas l’expression « pleine conscience ».

Il préfère parler de l’attention que l’on porte à Dieu — ce que, selon lui, les chrétiens contemplatifs comme les antiques pères du désert ou Julienne de Norwich (bien connue par les anglophones pour sa formule All shall be well, « tout ira bien ») ont pratiqué pendant des siècles.

« C’est une ancienne pratique chrétienne, mais nous avons besoin d’aide pour y revenir, car notre attention a été morcelée », explique-t-il.

Abide existe depuis environ cinq ans, depuis que deux anciens employés chrétiens de Google ont décidé de quitter le géant de la technologie et d’utiliser plutôt leurs compétences « pour le royaume », selon Russ Jones, son producteur exécutif de contenu.

L’application a commencé plutôt comme Instagram, raconte Jones, invitant les utilisateurs à créer et à partager leurs propres prières. Mais elle a vraiment décollé une fois qu’elle a commencé à fournir elle-même ces prières. Aujourd’hui, 100 000 personnes en moyenne téléchargent Abide pour la première fois chaque mois depuis les magasins Apple et Android, rapporte-t-il.

Abide propose aux utilisateurs une méditation quotidienne et une bibliothèque de prières sur différents sujets, les plus populaires étant le souci et l’anxiété. Les utilisateurs peuvent choisir la durée de chaque méditation ainsi que les images et les sons qui l’accompagnent.

Pendant la pandémie, l’application a également ajouté un certain nombre de prières de guérison, y compris une prière de guérison du coronavirus de 12 minutes demandant à Dieu « que ceux qui ont le virus soient guéris, que sa propagation ralentisse et qu’il soit bientôt éradiqué. »

Mais une application ne remplace pas une Église, rappelle Russ Jones.

« Les gens doivent faire partie d’un organisme local », même s’ils ont pris l’habitude de se réunir à distance pour leur sécurité pendant la pandémie.

« Nous sommes cet endroit où les gens peuvent aller dans la nuit noire de l’âme à deux heures du matin quand le pasteur n’est pas disponible à l’Église, nous sommes ouverts. Nous sommes cet endroit où les gens peuvent se rendre tout en courant dans leur vie occupée, et être quand même dans les Écritures. »

Une autre application, Pray, a été lancée en 2017 avec l’ambition de devenir « la destination numérique pour la foi », selon son créateur Steve Gatena.

Depuis l’ajout de contenu par abonnement à l’application en 2019, comme des histoires pour le coucher basées sur les Écritures et des méditations bibliques, elle est devenue le service d’abonnement religieux à la croissance la plus rapide au monde, déclare-t-il.

Durant la pandémie, Pray a proposé ces méditations gratuitement, ainsi que du contenu pour les enfants qui ont fait l’école à la maison et d’autres services pour les Églises qui se sont retrouvées soudainement à se réunir en ligne. Et d’après son créateur, le nombre de minutes que les utilisateurs passent à écouter l’application et le nombre de nouveaux abonnés augmentent.

« Avec les niveaux de stress qui augmentent de jour en jour, nous pensons que tout le monde mérite d’avoir accès à des programmes qui aident à réduire l’anxiété ».

C’est l’un des avantages de la méditation, dit-il. Cela peut aider les utilisateurs à penser plus clairement, à mieux gérer les situations stressantes et, dans le cas de la méditation chrétienne, à réfléchir à la parole de Dieu.

Les méditations de Pray commencent toujours par les Écritures, dit Steve Gatena. Ensuite, elles emploient le cadre de prière fondé sur l’acrostiche ACTS, populaire en anglais : Adoration, Confession, Thanksgiving, Supplication (« Adoration, confession, remerciements, demande »).

Il est cependant conscient que le mot « méditation » peut faire sourciller les chrétiens.

Certains chrétiens évangéliques s’inquiètent du fait que des pratiques comme la méditation et la pleine conscience ne sont pas d’origine chrétienne, mais plutôt rattachées au nouvel âge ou au bouddhisme.

Certains bouddhistes critiquent également cet engouement pour les applications, note Sarah Shaw, conférencière à Oxford et spécialiste de l’histoire du bouddhisme, qui retrace l’histoire de la pleine conscience dans son livre Mindfulness: Where It Comes From and What It Means (« La pleine conscience : d’où vient-elle et que signifie-t-elle ? »).

Selon elle, la « nouvelle vague » de pleine conscience et de méditation provient du bouddhisme.

Jon Kabat-Zinn, qui a introduit l’idée de la pleine conscience en tant que thérapie, avait une expérience antérieure dans le bouddhisme, explique-t-elle. Et Andy Puddicombe, co-fondateur de Headspace et moine bouddhiste ordonné, a lancé cette application dans le but de faire profiter le grand public de la formation qu’il avait reçue.

Sarah Shaw considère cependant que la pleine conscience n’appartient à personne. De nombreuses religions intègrent divers aspects de la méditation et de la pleine conscience, même si cela ne se ressemble pas d’une tradition à l’autre ou si elles n’utilisent pas les mêmes mots pour les désigner.

Dans le christianisme, elle évoque Saint Augustin qui parlait du « recueillement dans la vie quotidienne et de la conscience de Dieu à chaque instant ».

Et il existe aussi un précédent biblique : elle cite le Psaume 8. Lorsque celui-ci, au verset 5, demande « Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui ? », de nombreuses versions anglaises emploient l’adjectif mindful, dont dérive le terme mindfulness, traduit en français par « pleine conscience ».

En fait, l’idée a été introduite pour la première fois en anglais dans la Bible de Wycliffe au 14e siècle, déclare-t-elle.

À ses yeux, c’est une chose qui peut approfondir la pratique religieuse de n’importe qui. « Si vous êtes attentif à votre corps et à votre respiration, vous ne pouvez pas être inquiet en même temps. […] En devenant plus attentif à vous-même, vous devenez alors inévitablement plus attentif aux autres et conscient d’eux ».

« Je pense qu’il serait intéressant que les gens apprennent à trouver la paix et le bonheur en leur propre compagnie. Mon espoir est que cela pourrait réellement provoquer un renouveau spirituel. »

Rachael Reynolds a entendu les arguments d’autres chrétiens évangéliques selon lesquels la méditation est trop séculière ou empruntée aux religions orientales — certainement pas quelque chose qu’un chrétien devrait faire.

« Je trouve interpelant qu’il y ait encore des réticences de la part de ceux qui connaissent les Écritures, car cela apparaît tout au long des Psaumes. David dit : “Je médite ta parole jour et nuit” », rappelle-t-elle.

Par rapport aux générations précédentes, les milléniaux comme elle lui semblent « plus ouverts et désireux de voir comment la santé mentale et la santé émotionnelle sont réellement liées à notre être de manière holistique ».

« Je me réjouis vraiment que les gens entendent à présent que le Dieu qui nous a créés physiquement a également créé nos côtés spirituels, émotionnels et mentaux, et ceux-ci méritent d’être bien nourris et bien traités, tout comme nous le ferions avec une bonne alimentation et de l’exercice physique. »

L’infirmière a téléchargé l’application Abide en 2019 après avoir expérimenté la méditation et la lecture dirigée des Écritures lors d’une retraite à laquelle elle a participé avec son mari. Elle l’utilise plusieurs fois par semaine, et le passage du coronavirus a accentué sa pratique.

Elle aime particulièrement les méditations de l’application tirées des Écritures.

Pour elle, elles font le lien entre la santé physique, mentale et spirituelle. Comme d’autres applications de méditation, elles diminuent le stress qu’elle ressent, ralentissent ses pensées et l’aident à mieux dormir. Elles lui permettent également de rester centrée et ancrée dans les Écritures et dans ce qu’elle croit être la vérité sur Dieu.

« Pour moi, c’était important pour me garder ancrée dans la vérité de la parole de Dieu, et un moyen facile de le faire. Et j’ai trouvé que c’était vraiment, vraiment bénéfique. »

Traduit Par Valérie Dörrzapf

Mis à jour et édité en français par Léo Lehmann

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