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Pourquoi j’aime « The Chosen »

La série ne parle pas seulement de la transformation des disciples, mais aussi de notre propre transformation spirituelle.

Christianity Today October 15, 2022
Angel Studios

La version française de cet article a fait l’objet d’une mise à jour.

Alors que la troisième saison est annoncée pour le mois de novembre prochain, The Chosen, série à la narration touchante et captivante sur la vie du Christ et de ses disciples, revendique plus de 430 millions de vues dans 197 pays. Même les spectateurs initialement sceptiques quant à la possibilité que quelque chose de bon puisse sortir du Nazareth du divertissement chrétien se sont retrouvés accrochés par les scénarios inventifs et la qualité de production de The Chosen.

En matière de qualité des divertissements à thème religieux, le réalisateur Dallas Jenkins a placé la barre haute. La série a battu des records de financement participatif, récoltant 10 millions de dollars pour la première saison et attirant 12 millions de dollars venant de 125 000 personnes pour la deuxième saison, qui s’était terminée le 11 juillet 2021.

Mais la force de The Chosen ne tient pas seulement à la qualité des techniques de tournage ou au caractère attachant du personnage de Jésus incarné par l’acteur Jonathan Roumie. Elle provient de sa description convaincante de la transformation des désirs de chaque disciple. Des individus qui ont de maigres aspirations au début de la série évoluent et en viennent à désirer de grandes choses. En regardant les disciples changer, nous sommes entraînés dans le mystère de leur transformation en Christ.

L'historien et philosophe français René Girard vécut une profonde conversion chrétienne lorsqu'il se rendit compte que les plus grands romans de l'histoire, comme Les Frères Karamazov de Dostoïevski ou Don Quichotte de Cervantès , sont nés d’une expérience de conversion qui a transpercé la vanité et l’orgueil de leurs auteurs. Cette expérience leur a permis de créer des personnages profondément complexes et plus vrais que nature.

À partir de son étude approfondie de l’histoire, du comportement humain et de la grande littérature, Girard a observé que nous apprenons à désirer par imitation, à travers un processus qu’il appelle mimèsis (reprenant le mot grec signifiant « imitation »). Nous en venons à vouloir les choses qui nous sont présentées comme désirables et précieuses. Girard ne faisait pas principalement référence à nos besoins fondamentaux – nourriture, abri, sécurité – mais au type de désirs métaphysiques que nous développons d’être un certain type de personne.

Pour Girard, il s’agit d’une bonne chose en soi — une forme d’ouverture radicale et de réceptivité aux autres — mais elle comporte des dangers évidents. Nous sommes tous plus sensibles à la manipulation de nos désirs que nous ne le pensons. Nous risquons de gaspiller notre vie à courir après de « maigres » désirs mimétiques qui ne nous satisfont pas en fin de compte, par opposition à des désirs plus « consistants » implantés en nous par Dieu et nous apportant bonheur et épanouissement.

La conversion chrétienne implique la réorganisation des désirs d’une personne par une rencontre continuelle avec le Christ. Le modèle d’amour divin que le Christ révèle imprègne peu à peu la vie entière de l’individu. Les anciens désirs font place à de nouveaux. Cette réorganisation des désirs — à la suite d’un modèle divin — est impossible si les seuls modèles de désirabilité d’une personne sont ceux du monde. Si nous sommes obnubilés par des modèles mondains, nous sommes condamnés à rester coincés dans une sorte de roue de hamster, sans jamais pouvoir nous libérer de la tyrannie de notre époque. Un seul modèle dans l’histoire de l’humanité a eu le pouvoir de désirer différemment : le Christ, dont le plus grand désir est de faire la volonté de son Père, nous montre la voie à suivre.

Lorsque Jésus dit « suis-moi » dans les Évangiles, il ne parle pas seulement d’un suivi physique, mais aussi d’un suivi des désirs. En d’autres termes : « Ne vous contentez pas d’aller où je vais ou d’adopter mes habitudes de parole ou ma manière de m’habiller, mais désirez ce que je désire ». Ce qu’il veut, c’est le salut de chaque personne. Lorsqu’il interagit avec Marie-Madeleine et Pierre, ou avec n’importe lequel des autres disciples qu’il appelle, Jésus désire clairement qu’ils soient pleinement vivants, libres d’aimer de tout leur cœur.

Imiter les désirs du Christ, c’est réorganiser les nôtres — les calquer sur les siens, qui répondent à une hiérarchie. Lorsque les pharisiens demandent à Jésus quel est le plus grand commandement, il répond clairement : « “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée.” C’est le premier et le plus grand commandement. Et le deuxième lui est semblable : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même.” » En d’autres termes : apprenez à désirer ces deux choses avant tout, et le reste de vos désirs retrouveront leur place.

Lorsque Paul écrit : « Imitez-moi comme j’imite le Christ » (1 Co 11.1), il renvoie également à l’imitation du désir. Lorsqu’il écrit : « Ne vous conformez pas au modèle de ce monde, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence » (Rm 12.2), il parle de la même chose : ce monde n’offre pas de modèles qui soient dignes de façonner votre vie. Si vous voulez être sauvé de ce monde de péché et de mort, il vous faut un modèle d’un autre monde, et vous devez le trouver dans le Christ, qui est capable de vous transformer intérieurement par la grâce.

Nous devenons semblables à ce que nous imitons. Et c’est pourquoi le Christ ne se contente pas de nous sauver — il nous transforme aussi.

Dans son récit imaginaire des « coulisses » de la vie des premiers disciples, The Chosen met en scène la profonde tension existante entre des désirs mondains et des désirs venus d’ailleurs. Le monde romain antique façonnait les désirs des disciples d’une certaine manière, tout comme le monde moderne façonne les nôtres. À mesure que Jésus devient leur nouveau et principal modèle de désir, leurs désirs sans épaisseur commencent à s’effacer au profit du sens transcendant dont il leur offre l’exemple.

À la troisième minute du premier épisode de la saison 1, Marie-Madeleine apparaît à une époque où elle est incapable d’imaginer une existence pour elle-même en dehors de la réalité d’une possession démoniaque et de brèves périodes de lucidité. Que désire-t-elle ? Tout ce qui pourra un instant soulager son intense souffrance : l’alcool, ou même la mort. Une fois que Jésus l’a appelée par son nom, Marie en vient progressivement à vouloir d’autres choses : vivre correctement le sabbat, être généreuse et servir les autres, connaître les Écritures. Elle dit d’elle-même : « J’étais d’une certaine façon et maintenant je suis complètement différente. Et ce qui s’est passé entre les deux, c’est lui. » Jésus est devenu son nouveau modèle, et elle a commencé à vouloir pour elle-même ce qu’il veut. On voit les désirs de Pierre changer d’une manière similaire. Que veut-il lorsqu’il apparaît pour la première fois ? Les choses que sa culture lui a proposées : le renversement de l’oppression romaine, l’allègement de son fardeau fiscal, être un pêcheur prospère. Il est fermé à tout autre chose. Lorsque son frère André tente de l’intéresser à Jésus, Pierre est d’abord dédaigneux, mais c’est sa rencontre avec Jésus au bord du lac de Galilée qui change tout. Un nouveau modèle s’offre à lui, et les pièges de son ancienne vie — ses maigres désirs — commencent à avoir moins d’emprise sur lui.

Dans l’épisode 5 de la première saison, Pierre dit à sa femme, Eden, combien il est enthousiaste à l’idée d’aller là où le Christ va et d’apprendre de lui. Comme un enfant, il s’exclame : « Il a dit que je ne serais plus pêcheur, mais que j’attraperais des hommes ! Je ne sais même pas ce que cela signifie, mais… je veux arrêter de pêcher et laisser la mer derrière moi. »

Ce ne sont que deux moments. La série (jusqu’ici) fait un excellent travail en illustrant les changements progressifs qui se produisent lorsque les disciples commencent à désirer différemment après avoir choisi de suivre le Christ.

Elle n’en est cependant pas encore arrivée à la sinistre fin dont nous savons la venue inéluctable : la Passion. La Passion est le suprême moment d’espoir pour un chrétien. C’est le moment où la mort est vaincue et où s’ouvrent les portes d’une nouvelle façon de vivre et d’aimer. S’emparer de cette nouvelle possibilité n’est cependant possible pour les disciples — comme pour nous — qu’après une période de préparation divine au cours de laquelle nos désirs sont suffisamment transformés pour être en mesure de voir l’amour de Dieu déversé sur la croix.

Oui, Pierre trahira le Christ ; il essaiera même de l’amener à imiter ses propres désirs, ce qui lui vaudra la réprimande la plus vigoureuse de Jésus dans les Évangiles : « Arrière, Satan ! ». Mais la transformation aura été suffisante pour amener Pierre et le reste des disciples, à l’exception de Judas, à la repentance. Leurs désirs pour le reste de leur vie se porteront finalement vers le service d’une vérité supérieure — au point que presque tous iront volontairement à la mort dans l’imitation du Christ, lorsque leur transformation aura touché à son aboutissement.

Luke Burgis est entrepreneur en résidence au Ciocca Center for Principled Entrepreneurship et auteur de Wanting: The Power of Mimetic Desire in Everyday Life.

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La dépression m’a plongée dans les ténèbres. Dieu y est venu à ma rencontre.

Je ne pouvais plus lire les Écritures, mais la Parole de Dieu me nourrissait toujours.

Christianity Today October 14, 2022
Illustration by Sarah Gordon

Je m’étais réveillée le matin, comme d’habitude, pour préparer le petit-déjeuner pour notre familia. Après le petit-déjeuner, mon copasteur et mari, Rudy, a proposé d’emmener nos filles à l’école. Je les ai serrés dans mes bras et embrassés avant de me diriger vers la salle de bain pour finir de me maquiller. Mais alors que je mettais mon mascara, un soudain raz-de-marée de sentiments inonda mon corps — un mélange de peur et de nausée — et me fit presque tomber à la renverse.

J’ai appelé la secrétaire de notre Église pour lui dire que je ne me sentais pas bien et que je viendrais vers midi. Mais ensuite, comme si je vivais une expérience hors de mon corps, je me suis vue appuyer sur le bouton « rappeler ». J’ai marmonné : « Je ne viens pas. Je ne reviendrai pas. Je vais prendre un congé sabbatique ou autre, peut-être un arrêt médical ». Puis j’ai raccroché le téléphone, je me suis glissée dans mon lit et j’ai commencé à faire ce que ma grand-mère aurait sûrement appelé une dépression nerveuse.

J’ai dormi 18 à 20 heures par jour pendant des semaines et ne me réveillais que par nécessité ; même avec tout ce sommeil, je me sentais toujours épuisé. Au bout d’une semaine environ, mon mari m’a dit : « Chérie, je crois que tu dois voir un médecin ». J’ai donc pris rendez-vous avec un psychiatre. À la fin de notre première visite, elle m’a donné une ordonnance et un diagnostic : « épisode dépressif majeur ». Puis elle a prononcé ces redoutables paroles : « Dans six semaines, vous devriez commencer à remarquer des améliorations ». Six semaines ? Mon Dieu, est-ce que je peux vivre comme ça pendant encore six semaines ?

Alors que tout s’écroulait dans ma vie, j’ai dû apprendre pour la première fois à être — avec moi-même et avec Dieu. Les outils et les pratiques spirituelles sur lesquels j’avais toujours compté, comme le culte collectif, le jeûne et la prière, m’étaient totalement inaccessibles dans cet état. J’ai toujours aimé étudier la Bible et j’avais l’habitude de le faire pendant des heures, mais je ne pouvais tout simplement plus me concentrer. Je ne pouvais plus comprendre les mots et j’étais trop épuisé pour essayer. Le fait d’être pasteure n’a pas facilité les choses.

Des personnes bien intentionnées ont souvent répété à ma famille des choses comme « Dites-lui de lire la Parole ». J’aspirais au réconfort, à la sagesse et à l’orientation que les Écritures m’avaient toujours offerts, mais dans cette obscurité profonde, je n’étais pas capable de les lire — les mots ne signifiaient rien pour moi.

Puis, après six semaines de thérapie, Dieu m’a parlé : je te donnerai les trésors sortis des ténèbres. Cette parole de Dieu m’a offert un immense espoir. Je ne me suis pas sentie différente physiquement — aucun frisson ou sentiment d’amour ne m’a traversée. Mais cette parole a trouvé écho au plus profond de mon être et est devenue pour moi une bouée de sauvetage. J’avais l’impression que Dieu était présent avec moi. J’ai commencé à ressentir un certain réconfort après des semaines de désorientation. Lorsque je me sentais découragé par l’extraordinaire sentiment d’être à la dérive, c’est cette parole qui m’a donné un ancrage à travers l’obscurité et le désespoir. La parole de Dieu prononcée ce jour-là était maintenant cachée dans mon cœur.

Alors j’ai pris Dieu au mot. Rien n’a changé de manière substantielle ; je suis restée léthargique et épuisée physiquement et mentalement pendant des mois, mais j’avais maintenant une mission. J’étais assez lucide pour savoir que s’il y avait un trésor à trouver, alors je devais vivre pour le déterrer, pour le faire mien.

Comme je commençais lentement à retrouver de l’énergie, j’ai décidé de visiter d’autres Églises et de participer à de petites retraites où je pouvais simplement être présente sans avoir de responsabilité particulière à assumer. Je n’avais aucune attente, je savais simplement que je voulais être là où les Écritures étaient lues et méditées. Ces moments sont devenus une partie de mon processus de rétablissement. Ils ont donné à mon cœur un endroit tranquille pour se reposer.

J’ai fait des petits pas et je suis devenue progressivement plus forte. Au bout d’un an, j’étais à nouveau capable de lire. J’ai commencé doucement en reprenant ma méditation quotidienne. Mon long éloignement de la Parole a rendu le retour à celle-ci plus doux que jamais. Désormais, en plus des médicaments et de la thérapie, je pouvais compter sur la présence de la Parole de Dieu, véritable guide et amie.

En revenant progressivement aux Écritures, j’ai découvert que la bouée de sauvetage que Dieu m’avait donnée — je te donnerai les trésors sortis des ténèbres — faisait écho à un passage de la Parole de Dieu : Ésaïe 45.3. Cette source vivifiante au cœur de ma sombre épreuve a transformé ma pensée tandis que je m’asseyais à son écoute et à celle d’autres passages de l’Écriture, laissant résonner dans mon cœur les messages qui me nourrissaient progressivement, comme les corbeaux qui nourrissent Élie (1 R 17.6).

Pendant cette période, j’ai commencé à revisiter une pratique spirituelle dont j’avais entendu parler auparavant, mais que je n’avais jamais pleinement expérimentée : la lectio divina, une pratique ancienne de lecture et de contemplation des Écritures. Cette pratique a vraiment quelque chose d’une quête au trésor.

J’ai redécouvert la vérité selon laquelle le fait de nous attacher ne serait-ce qu’à de petites portions de l’Écriture peut nous aider à voir ce que Dieu voit, cultiver en nous le courage, la patience, la sagesse et l’amour pour répondre aux difficultés, aux tragédies et même aux joies de la vie de manière à promouvoir le royaume de Dieu. Pendant cette saison, la Parole infusait en moi. Au fil du temps, elle changeait la structure de mon être, mes façons de croire, de penser, de ressentir et de faire, et finalement la façon dont j’allais me présenter dans le monde en tant que croyante après la dévastation.

Mais permettez-moi de le souligner : il a fallu du temps. Les longues périodes de silence et de solitude que j’ai vécues, bien que douloureuses, ont permis à Dieu de me parler et à moi de l’entendre.

Je suis reconnaissante de ce que cette période de ma vie appartienne maintenant au passé, mais ce que je peux vous dire avec certitude, c’est que la Parole de Dieu — maintenant que je peux à nouveau lire — reste une source constante de joie, d’espérance, de sagesse, de réconfort et de pur amour pour moi. Depuis ma guérison, l’approche de la Parole dont je reste la plus friande reste la lectio divina. Cette pratique m’aide à cultiver une oreille pour entendre le cœur de Dieu, un peu comme le jour où Dieu m’a parlé si clairement. Cette façon de lire les Écritures me lit à la lumière de l’amour de Dieu.

Les ténèbres de la dépression ont été la porte d’entrée de nombreux trésors dans ma vie. L’un des plus durables est mon amour renouvelé et constant pour la Parole de Dieu.

Juanita Campbell Rasmus est l’autrice de Learning to Be: Finding Your Center After the Bottom Falls Out. Directrice spirituelle et membre de l’équipe du ministère Renovaré, elle est copasteure de l’Église méthodiste unie de St-John dans le centre-ville de Houston avec son mari, Rudy.

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Décès de Frère André, qui introduisait clandestinement des bibles dans les pays communistes

Le fondateur de Portes Ouvertes ne se considérait pas comme un « cascadeur évangélique », mais comme un chrétien fidèle suivant la direction de l’Esprit.

Frère André (Anne Van der Bijl), surnommé « le contrebandier de Dieu ».

Frère André (Anne Van der Bijl), surnommé « le contrebandier de Dieu ».

Christianity Today September 28, 2022
Avec l’aimable autorisation de Portes Ouvertes/adaptations par Mallory Rentsch

Anne Van der Bijl, un évangéliste néerlandais connu des chrétiens du monde entier sous le nom de Frère André, l’homme qui faisait entrer clandestinement des bibles dans les pays communistes, est décédé à l’âge de 94 ans.

Van der Bijl était devenu célèbre sous le surnom de « contrebandier de Dieu » après la publication, en 1967, du récit à la première personne de ses aventures missionnaires, consistant à passer les frontières avec des bibles cachées dans sa VW Coccinelle bleue. Le Contrebandier fut écrit avec les journalistes évangéliques John et Elizabeth Sherrill et publié sous son nom de code, « Frère André ». Il s’est vendu à plus de 10 millions d’exemplaires et a été traduit en 35 langues.

Le livre a inspiré de nombreux autres missionnaires contrebandiers, a financé le ministère fondé par Van der Bijl, Portes Ouvertes, et a attiré l’attention des évangéliques sur la situation critique des croyants dans les pays où la foi et la pratique chrétiennes sont illégales. Frère André s’insurgeait de ce que les gens passent à côté de l’essentiel en le présentant comme héroïque et extraordinaire.

« Je ne suis pas un cascadeur évangélique », avait-il déclaré. « Je suis juste un gars ordinaire. Ce que j’ai fait, n’importe qui peut le faire. »

Personne ne sait combien de bibles Frère André a fait entrer en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie, en Allemagne de l’Est, en Bulgarie et dans d’autres pays du bloc soviétique au cours de la décennie qui a précédé le succès du Contrebandier qui l’a contraint à assumer le rôle de figure de proue et de collecteur de fonds pour Portes Ouvertes. Les estimations se chiffrent en millions. Une blague néerlandaise populaire à la fin des années 1960 disait : « Que trouveront les Russes s’ils arrivent les premiers sur la lune ? Frère André avec un chargement de bibles ».

Frère André.Open Doors International
Frère André.

Frère André, pour sa part, n’avait pas fait de suivi et ne pensait pas que le nombre exact soit important.

« Je ne me soucie pas des statistiques, » déclarait-il dans une interview de 2005. « Nous ne comptons pas. […] Mais Dieu est le parfait comptable. Il sait. »

Anne Van der Bijl était né aux Pays-Bas en 1928, fils d’un pauvre forgeron et d’une mère invalide. Il avait 12 ans lorsque l’armée allemande a envahi le pays neutre pendant la Seconde Guerre mondiale, et il a passé l’occupation, comme il l’a raconté à John et Elizabeth Sherrill, à se cacher dans des fossés pour éviter d’être enrôlé par les soldats nazis. Lorsque la famine a frappé les Pays-Bas en 1944, Anne, comme tant de Néerlandais, mangea des bulbes de tulipe pour survivre.

Après la guerre, il s’engagea dans l’armée néerlandaise et fut envoyé en Indonésie au sein de la force coloniale chargée d’étouffer les velléités d’indépendance de l’Indonésie. Il était excité par l’aventure, jusqu’à ce que les tirs commencent et qu’il ne tue lui-même des personnes. Selon ses propres dires, il participa au massacre d’un village indonésien, tuant sans discernement tous ceux qui y vivaient.

Il resta hanté par l’image d’une jeune mère et d’un garçon qu’elle allaitait, tués par la même balle. Il commença alors à porter un étrange chapeau de paille dans la jungle, espérant se faire tuer, et adopta la devise « Sois intelligent, perds l’esprit ».

Touché à la cheville, il se mit à lire une bible que sa mère lui avait donnée pendant sa convalescence. Après son retour aux Pays-Bas, il commença à se rendre compulsivement à l’Église et, au début de l’année 1950, il confia sa vie à Dieu.

« Il n’y avait pas beaucoup de foi dans ma prière, » rapportait Frère André. « J’ai simplement dit : “Seigneur, si tu me montres le chemin, je te suivrai. Amen” ».

Le jeune homme s’engagea dans le ministère et partit en Écosse pour étudier à l’école missionnaire de la Worldwide Evangelization Crusade en 1953. En 2013 il témoignait à Christianity Today d’une leçon cruciale reçue d’un officier de l’Armée du Salut qui enseignait l’évangélisation de rue. L’homme, âgé, déclarait que la plupart des évangélistes en herbe abandonnent trop tôt, car le Saint-Esprit n’a préparé le cœur que d’une personne sur mille.

« Instantanément, mon cœur s’est révolté. Je me suis dit : “Quel gâchis !” », se souvenait Frère André. « Pourquoi aller dépenser son énergie pour 999 personnes qui ne répondraient pas ? Dieu le sait et le diable le sait, et il rit, car après les 1000 premières personnes je finirai par abandonner en désespoir de cause. »

Il décida de demander à Dieu de le guider vers la personne qui était prête à recevoir l’Évangile. Au lieu de passer son temps à calculer et à élaborer des stratégies, il suivrait la direction de l’Esprit.

Peu de temps après, il sentit que Dieu lui parlait à travers Apocalypse 3.2 : « Réveille-toi ! Affermis ce qui reste et qui est sur le point de mourir. » Frère André comprit qu’il était censé aller soutenir l’Église dans les pays sous contrôle communiste. En 1955, il participa à un voyage contrôlé par le gouvernement en Pologne, mais faussa compagnie à son groupe pour rendre visite à des groupes de croyants clandestins. Lors d’un second voyage en Tchécoslovaquie, il constata que les Églises des pays communistes avaient besoin de bibles.

« J’ai promis à Dieu qu’aussi souvent que je pourrais mettre la main sur une bible, je l’apporterais à ses enfants derrière ce mur construit par les hommes », se souviendra-t-il plus tard, « dans chaque […] pays où Dieu ouvrirait la porte assez longtemps pour que je puisse m’y glisser. »

Frère André en Yougoslavie.Open Doors International
Frère André en Yougoslavie.

En 1957, il fit son premier voyage de contrebande à travers la frontière d’un pays communiste, entrant en Yougoslavie avec des tracts, des bibles et des portions de bibles cachés dans sa Volkswagen bleue. Alors qu’il regardait les gardes fouiller les voitures devant lui, il pria ce qu’il appellera plus tard « la prière du contrebandier de Dieu » :

« Seigneur, dans mes bagages, j’ai des Écritures que je veux apporter à tes enfants de l’autre côté de la frontière. Quand tu étais sur Terre, tu as rendu la vue à des yeux aveugles. Maintenant, je te prie, aveugle ces yeux. Ne laisse pas les douaniers voir les choses que tu ne veux pas qu’ils voient. »

Après ses premiers succès en Yougoslavie, il multiplia les voyages et finit même par introduire clandestinement des bibles en Union soviétique. Il recruta d’autres chrétiens pour l’aider, et ils élaborèrent des stratégies pour éviter l’attention des gardes-frontières et de la police secrète. Parfois, les trafiquants voyageaient par deux, déguisés en couple en lune de miel. Parfois, ils utilisaient des postes-frontières isolés. Ils expérimentaient différentes façons de cacher les Écritures dans leurs petites voitures discrètes. Ils suivaient toujours la direction de l’Esprit, et personne ne fut jamais arrêté.

Cette contrebande de bibles a été critiquée par un certain nombre d’organisations chrétiennes, notamment l’Alliance baptiste mondiale, le Comité des baptistes du Sud pour la mission au loin et la Société biblique américaine. Ils la considéraient comme dangereuse — surtout pour les chrétiens vivant dans les pays communistes — et inefficace. Selon certaines critiques, les histoires sensationnelles étaient bonnes pour collecter des fonds, mais guère plus.

Des historiens de la guerre froide ont débattu de l’impact de la contrebande de la Bible sur les régimes communistes. Francis D. Raška écrit qu’il a été « probablement significatif », mais que « les preuves des exploits en question sont fragiles, et au risque de l’exagération et de la glorification personnelle ». Selon Raška, il existe au moins quelques preuves que le KGB surveillait de près les activités de Van der Bijl et pourrait avoir eu des informateurs au sein de son réseau.

Frère André.Open Doors International
Frère André.

Après le succès du Contrebandier, Frère André a laissé la contrebande à d’autres chrétiens moins célèbres. Il s’est consacré à la collecte de fonds pour Portes Ouvertes et aux opportunités de ministère dans les pays musulmans. Lorsque les États-Unis ont envahi l’Afghanistan en 2001 et l’Irak en 2003, il a critiqué ouvertement le soutien des évangéliques américains à la guerre contre le terrorisme. Les chrétiens, disait-il, ne peuvent placer leur confiance dans une intervention militaire que s’ils ont abandonné la foi en la mission.

Lorsqu’il s’adressait à des publics américains au début des années 2000, Frère André demandait régulièrement aux chrétiens s’ils avaient prié pour Oussama ben Laden, chef d’Al-Qaida. Lorsque les forces américaines tuèrent celui-ci en 2011, il exprima sa tristesse.

« Je crois que tout le monde peut être touché. L’ennemi, ce ne sont jamais les gens, mais le diable », avait déclaré Frère André. « Ben Laden était sur ma liste de prière. Je voulais le rencontrer. Je voulais lui dire qui est le vrai patron de ce monde. »

Au moment de sa mort, le ministère fondé par Frère André soutient des chrétiens dans plus de 60 pays. Portes Ouvertes distribue chaque année 300 000 bibles et 1,5 million de livres chrétiens, de matériel de formation et de manuels de formation de disciples. L’organisation fournit également des services d’assistance, de l’aide humanitaire, du soutien au développement communautaire et des conseils en matière de traumatisme, tout en défendant les chrétiens persécutés dans le monde entier.

Lorsqu’on lui demanda s’il avait des regrets concernant l’œuvre de sa vie, Van der Bijl répondit : « Si je pouvais revivre ma vie, je serais beaucoup plus radical ».

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Que découvre-t-on quand on interroge des milliers de femmes évangéliques sur le sexe ?

Les recherches de Sheila Gregoire invitent de nombreux chrétiens à réviser des hypothèses nuisibles et attirent l’attention sur le plaisir des femmes dans le mariage.

Christianity Today September 27, 2022
Source Images: Envato Elements / LWA / Getty

Le livre de Sheila Gregoire paru l’an dernier, The Great Sex Rescue : The Lies You've Been Taught and How to Recover What God Intended (« Le grand sauvetage de la sexualité : les mensonges que l’on vous a enseignés et comment retrouver ce que Dieu a voulu »), contraste fortement avec ce que de nombreux chrétiens ont appris de l’Église sur le sexe et le mariage.

S’appuyant sur ses propres recherches, notamment sur une enquête menée auprès de 22 000 chrétiennes, l’autrice canadienne y affirme que le plaisir sexuel est aussi l’apanage des femmes et documente les dommages causés aux femmes, aux hommes et à leurs relations lorsque l’on propage une vision déformée de la sexualité dans le mariage.

La critique qu’elle fait des ressources chrétiennes existantes a mis certains sur la défensive, mais pour beaucoup il s’agit d’un rafraîchissant changement d’approche. Des milieux les plus conservateurs aux plus progressistes, des femmes ont trouvé réconfort et guérison dans ses enseignements. Certains pasteurs, professeurs et conseillers commencent également à modifier leur approche à la suite de ses découvertes.

« Je pense que le travail de Sheila apporte un équilibre bien nécessaire aux cercles d’Églises conservatrices », déclare Craig Flack, un pasteur de Findlay, dans l’Ohio, qui a commencé à utiliser The Great Sex Rescue dans ses accompagnements pré et post-conjugaux. « De nombreux ouvrages ignorent largement le plaisir féminin, et on se demande ensuite pourquoi certaines femmes n’apprécient pas l’intimité sexuelle. »

Sheila Gregoire s’attaque à l’idée que les hommes ont « besoin » de sexe et que leurs femmes sont là pour le leur fournir — une prémisse qu’elle repère dans des livres comme L’amour et le respect (Emerson Eggerichs), L’acte conjugal (Beverly et Tim LaHaye) et Le combat de tous les hommes (Stephen Arterburn).

Son enquête a montré que l’on enseignait fréquemment aux femmes chrétiennes que les garçons repousseraient inévitablement leurs limites et qu’elles étaient chargées de les empêcher d’aller trop loin. Dans le mariage, elles ont tendance à considérer que leur rôle est de ne jamais priver leur mari de sexe et que cela évite notamment que leur mari ne consomme de la pornographie. Les femmes chrétiennes croyant à ces enseignements interrogées dans le cadre de l’enquête étaient moins susceptibles d’apprécier le sexe, de parler ouvertement de leurs désirs sexuels avec leur mari ou d’avoir un partenaire qui donne la priorité à leur plaisir sexuel.

Bien que Craig Flack ne soit pas d’accord avec « tous les points du livre », il rapporte qu’il a modifié sa façon d’accompagner les couples afin d’y intégrer le plaisir de la femme, une réelle intimité et « la façon dont cela apporte une joie partagée dans la sexualité ».

The Great Sex Rescue doit en grande partie son succès aux recommandations de bouche à oreille, aux témoignages personnels et aux discussions menés par Gregoire elle-même sur Twitter. L’autrice se dit encouragée par les progrès réalisés auprès de pasteurs individuels comme Craig Flack et de thérapeutes chrétiens, qui ont tiré les leçons de ses recherches et intègrent son approche dans leur travail avec les couples.

Elle a vu des chrétiens de diverses dénominations s’unir contre ce qu’elle considère comme une vision erronée et centrée sur l’homme de la sexualité, prêchée ou tacitement acceptée par les évangéliques depuis des années.

Alors que d’autres auteurs chrétiens ont déjà critiqué les enseignements de la culture de la pureté d’une manière générale, Sheila Gregoire nomme ouvertement les enseignants qui, selon elle, sont responsables de la perpétuation d’idées néfastes sur la sexualité conjugale. « La seule façon de stopper le mal est de le faire publiquement », déclarait-elle dans une interview accordée à CT. « Et si ces auteurs avaient vraiment à cœur de servir le troupeau, ils s’en féliciteraient »

Ses collègues auteurs, cependant, affirment que ses citations et présentations de leurs enseignements sont sorties de leur contexte. Le ministère Focus on the Family (qui a publié la version anglaise de L’amour et le respect d’Emerson Eggerichs) a publié une déclaration affirmant que l’autrice « a gravement mal lu et mal jugé » le livre. Shaunti Feldhahn, que Sheila Gregoire mentionne plusieurs fois dans son livre, a elle aussi publié une déclaration disant que les accusations contre elle étaient « inexactes » et constituaient « des attaques calculées ».

Sheila Gregoire rapportait à CT que même ses propres premiers travaux sont concernés par ses critiques actuelles : elle a retiré d’anciens articles de son blog à la suite de ce qu’elle a appris au cours de ses recherches et s’est engagée à rectifier le tir avec ses nouvelles publications.

Kevin Schulz, un pasteur des assemblées mennonites (USMB), a acheté le « Honeymoon Course » (« Cours pour la lune de miel ») de l’autrice pour plusieurs couples. Le travail de Sheila Gregoire, estime-t-il, est « un contrepoint bien nécessaire à l’enseignement unilatéral et partial de l’Église » dans le passé.

Elle est attachée à une éthique sexuelle chrétienne, mais identifie les domaines où, selon elle, les Écritures ont été déformées d’une manière qui a nui aux mariages, fait souffrir les femmes et perpétué les abus.

Par exemple, Matthieu 5.28 dit : « Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur ». Lorsqu’on enseigne aux jeunes hommes que regarder une femme, c’est la convoiter, les femmes deviennent immédiatement des objets sexuels. « Est-ce que regarder signifie nécessairement convoiter ? » demande Sheila Gregoire dans son livre. Si la réponse est « non », dit-elle, cela change beaucoup de choses.

Dans le cadre de ses recherches et en réponse au livre, des femmes ont rapporté de nombreuses expériences sexuelles négatives allant de l’insatisfaction et de la douleur aux abus et aux traumatismes. Courtney Wright raconte que la lecture de The Great Sex Rescue lui a ouvert les yeux sur les abus commis dans son ancien mariage de neuf ans, où elle a été contrainte à des rapports sexuels, étranglée et traitée « comme une servante ».

« J’ai redécouvert ma force et mon courage pour m’exprimer ».

Rebecca Gregoire Lindenbach, l’une des trois coautrices de l’ouvrage, avec l’épidémiologiste Joanna Sawatsky, relate des histoires effroyables de femmes comme Courtney Wright, qui ont subi des abus pour ensuite les justifier dans leur propre tête ou entendre leur pasteur leur répondre : « En fait, techniquement, ce n’est pas vraiment interdit dans la Bible ».

« Nous avons parlé à bon nombre de personnes qui se trouvaient dans des situations horribles où leurs maris étaient accros à la pornographie, au point de les forcer à agir en fonction de ce qu’ils regardaient », rapportait-elle dans une interview. « Et elles avaient en tête les paroles de Shaunti [Feldhahn], [Emerson] Eggerichs et [Stephen] Arterburn, se disant : “Mais si je peux répondre à ses besoins, alors peut-être qu’il sera capable d’arrêter”. »

Certains responsables chrétiens pensent cependant que ces préoccupations méritent d’être prises en compte et mises en avant. Sean McDowell est un conférencier théologiquement conservateur et auteur d’un nouveau livre sur la sexualité destiné aux adolescents, Chasing Love. Il a pris la défense du travail de Gregoire, l’invitant même à prendre la parole dans l’un de ses cours à l’université Biola.

« Je pense que [ses critiques] devraient certainement s’intéresser à ses idées parce que je pense qu’elle soulève des questions justes et que ce sont des questions importantes. »

Sean McDowell rapporte qu’il a été attiré par le travail de Sheila Gregoire parce qu’il l’a poussé à réfléchir à la sexualité conjugale d’une manière nouvelle, et il respecte la manière dont l’autrice renvoie toujours ses lecteurs à l’Écriture.

« Une grande partie de l’enseignement que nous avons reçu sur la sexualité est centré sur les hommes », estime-t-il. « Je pense que nous avons adopté cela sans discernement au sein de l’Église. »

Parallèlement au travail de Sheila Gregoire, Sean McDowell constate un mouvement positif dans le monde évangélique en matière d’enseignement sur la sexualité. Son nouveau livre fait partie du renouvellement par Lifeway du mouvement True Love Waits (« L’amour véritable attend »).

Le correctif apporté par Sheila Gregoire rejoint une vague d’auteurs qui adhèrent à une éthique sexuelle chrétienne traditionnelle, mais proposent une critique ou une alternative à la culture de la pureté qui domine le monde évangélique anglo-saxon, notamment Rachel Welcher, autrice de Talking Back to Purity Culture (« Répondre à la culture de la pureté »), ainsi que Christopher Yuan, Sam Allberry et Nancy Pearcey.

Des thérapeutes et conseillers chrétiens travaillent également à combattre les relations sexuelles dommageables ou abusives dans le mariage. Julie Hilton, assistante sociale agréée en Géorgie, recommande souvent The Great Sex Rescue à ses clients.

« Ils ont dit se sentir reconnus, compris et même en colère », rapporte-t-elle. « Je crois que son travail aide les femmes à guérir et encourage les mariages sains. »

Halie Howells, thérapeute dans l’Illinois, qualifie l’approche de Sheila Gregoire de « monumentale » et trouve là l’une des seules ressources de ce type. « Elle offre un nouveau langage, de nouvelles attentes et un nouveau lien aux couples mariés, tout en intégrant la foi. »

Ce sujet du désir féminin est presque toujours absent ou minimisé dans les livres chrétiens sur la sexualité, affirme Sheila Gregoire, alors que le désir sexuel des hommes est au centre des préoccupations. « Quand votre température monte, votre femme peut être une solution à la manière de la méthadone [pour le drogué] », écrit Stephen Arterburn dans une phrase de l’original anglais de Le combat de tous les hommes que Sheila Gregoire a épinglée. Elle s’inquiète du fait que ce genre de propos réduit les femmes à l’état d’objet et ignore leurs propres désirs et leur plaisir dans la relation.

L’enquête de l’autrice a révélé que les femmes chrétiennes font état de vaginisme, un spasme musculaire involontaire, deux fois plus souvent que l’ensemble de la population. Une femme sur cinq a déclaré être atteinte d’un état qui rend la pénétration douloureuse. Leurs conclusions suggèrent que cela pourrait être dû au fait que les femmes chrétiennes qui considèrent la sexualité comme une obligation perdent leur sentiment d’autonomie en matière de sexe et sont plus enclines à se forcer à avoir des rapports sexuels, même s’ils sont douloureux.

Lorsque j’ai lancé un appel aux femmes s’identifiant comme « théologiquement conservatrices » qui ont été au bénéfice du travail de Sheila Gregoire, ma boîte de réception a immédiatement été inondée de centaines de messages de femmes désireuses de partager leur histoire. Complémentariens comme égalitariens ont applaudi le message principal de l’autrice, à savoir que les couples chrétiens ont été mal informés sur le but et les plaisirs de l’intimité sexuelle, tant pour le mari que pour la femme.

« Je pense que le travail de Sheila valide ce que tant de femmes ressentent et ont ressenti pendant tant d’années sans pouvoir l’exprimer », écrit une lectrice, Talia Bastien Reha. Elle apprécie la façon dont ce travail « pointe vers le cœur de Jésus ».

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Peut-on pratiquer la liturgie « à la carte » ?

Détacher les traditions historiques de leur contexte théologique est à la mode, mais pas sans risque.

Christianity Today September 27, 2022
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: WikiMedia Commons / Peter Dazeley / Getty

Si vous aviez dit à un pasteur évangélique en 2005 que le Livre de la prière commune pourrait bientôt être plus à la mode que les cafés d’Église, il aurait presque certainement ri.

Il n’y a pas si longtemps, d’innombrables Églises évangéliques abandonnaient l’usage des livres de prières et troquaient leurs recueils de cantiques pour des projecteurs haute résolution. L’utilisation du calendrier historique de l’Église pour organiser les cultes est devenue rare, car la plupart des Églises ont commencé à développer des séries de sermons thématiques ou à prêcher à travers la Bible un livre à la fois.

La prière liturgique et la confession par appel et réponse ont été abandonnées, et même les noms des Églises ont changé d’une manière qui a éloigné les communautés de leurs racines confessionnelles — ainsi, de nombreuses « Églises baptistes » sont par exemple devenues des « Communautés chrétiennes ».

En bref, les rythmes, les lectures, les modèles et les prières des liturgies historiques sont passés de mode.

Ces dernières années, cependant, une nouvelle tendance a commencé à se dessiner. Quiconque passe du temps parmi les chrétiens de la vingtaine ou de la trentaine a probablement remarqué une augmentation importante de l’utilisation du mot « liturgie », qui est devenu courant tant dans les cultes collectifs que dans les pratiques spirituelles privées.

Même certaines Églises non confessionnelles qui, il y a une dizaine d’années, cherchaient à prendre leurs distances par rapport aux traditions formelles ont commencé à terminer systématiquement les services par une doxologie ou à adopter des formules d’appel et de réponse simples et anciennes telles que « Parole du Seigneur. Nous rendons grâces à Dieu ».

De nombreux jeunes chrétiens découvrent une vitalité et une constance spirituelles là où ils s’y attendaient le moins, et il y a beaucoup à célébrer dans cette récupération des belles prières et pratiques de nos ancêtres dans la foi.

Cette tendance n’est toutefois pas sans inconvénient. Alors que la liturgie revient abstraitement « à la mode », les jeunes chrétiens montrent une tendance inquiétante à changer d’Église, de dénomination ou même de tradition en fonction de la pratique liturgique, sans trop tenir compte de la doctrine.

Dans de nombreux cas, les jeunes évangéliques issus d’un contexte plus « Basse Église » affluent vers des congrégations dont l’esthétique du culte semble plus ancienne ou ordonnée — notamment les églises anglicanes « Haute Église », catholiques et orthodoxes — sans se rendre compte de leurs différences confessionnelles ou, dans certains cas, en les ignorant tout simplement.

Selon une étude réalisée par le Groupe Barna en 2018, si certains chrétiens de la génération Y estiment que le culte liturgique est dépassé, « ils sont également plus susceptibles d’être curieux à ce sujet [… et] les plus susceptibles de passer d’une Église non liturgique à une Église liturgique. »

Dans la poursuite bien intentionnée d’une vie cultuelle plus riche et d’un sens de l’héritage spirituel, ces « convertis esthétiques », pourrions-nous les appeler, courent le risque de séparer le contenu historique et doctrinal du culte d’une Église de ses expressions extérieures et artistiques.

Bien sûr, un membre d’une Église n’a pas besoin d’être d’accord avec chaque point de doctrine mineur de la confession de foi de cette Église — et dans de nombreux cas, l’intérêt pour la liturgie n’est que la première étape d’une réflexion sur l’enseignement et les pratiques d’une Église ou d’une tradition.

L’éminent spécialiste du Nouveau Testament Michael Bird raconte son propre parcours vers l’anglicanisme dans ce genre de termes. Il rapporte que c’est une profonde appréciation du Livre de la prière commune qui l’a fait passer du presbytérianisme à l’Église anglicane.

Il n’y a rien de mal à laisser la nourriture spirituelle de la liturgie historique vous conduire à une recherche sérieuse de Dieu, si cela reste associé à une recherche diligente de la vérité biblique. Cette recherche peut encore vous conduire à une nouvelle tradition, ou simplement vous inciter à approfondir le culte historique de votre propre tradition.

Un baptiste, par exemple, peut utiliser et apprécier le Livre de la prière commune sans se convertir à l’anglicanisme, surtout si les points les plus fins de l’enseignement anglican sont en contradiction avec certaines de ses autres convictions. Mais peut-être que son intérêt pour cette tradition historique pourrait l’amener à creuser l’histoire baptiste elle-même et à trouver des exemples dans ce courant.

Par exemple, le livre Gathering Together de Rodney Kennedy et Derek Hatch affirme que les baptistes peuvent et devraient explorer à la fois l’héritage de leur propre tradition et les contributions des autres pour répondre à ce qu’ils appellent « le relatif manque de ressources pour les baptistes aux États-Unis concernant la pratique du culte ».

Autre exemple : une pentecôtiste de longue date pourrait être attirée par le sens de la tradition et de la continuité de l’Église orthodoxe orientale. Elle pourrait explorer ses enseignements — dans toute leur profondeur cultuelle et doctrinale — et choisir finalement de devenir orthodoxe sur cette base.

Winfield Bevins argumente dans son livre Ever Ancient, Ever New : The Allure of Liturgy for a New Generation que de telles migrations sincères et réfléchies constituent un contre-récit plein d’espoir par rapport à la tendance habituelle des jeunes à abandonner tout simplement l’Église.

Mais ce qu’il faudrait éviter, je crois, c’est de migrer d’une tradition à une autre en raison seulement de ses formes extérieures, sans tenir compte du cœur de sa doctrine. L’esthétique du culte, par exemple, est une chose bonne et vitale, mais elle ne doit pas être exaltée au-dessus de la substance de ce culte, ni l’obscurcir.

Si la tendance favorable à la liturgie sépare les pratiques cultuelles de la théologie qui les sous-tend, il y a un risque très réel que nous dépréciions la liturgie et que nous affaiblissions son utilité spirituelle. La méfiance historique des protestants à l’égard de la liturgie, malgré tous ses effets secondaires négatifs, a des racines bien intentionnées dans sa réponse à la religiosité ritualiste et spirituellement morte qui prévalait au Moyen Âge.

Même l’Église catholique moderne reconnaît ce danger. En 2019, le pape François prévenait un groupe de cardinaux contre les dangers de la liturgie « bricolée », décrivant la liturgie comme « un trésor vivant qui ne peut être réduit à des goûts, des recettes et des courants […] non pas “le domaine du bricoleur”, mais l’épiphanie de la communion ecclésiale ».

Lorsque la pratique liturgique personnelle n’est pas associée à une vie de disciple holistique et à un engagement cohérent dans une communauté authentique d’autres disciples du Christ sérieux, elle peut rapidement devenir une forme d’automédication ordinaire.

La liturgie à la carte peut offrir un sentiment de cohérence dans un monde chaotique — et peut-être être légèrement bénéfique du point de vue de la santé mentale — mais en tant que moyen de véritablement « pratiquer la présence de Dieu », elle perd rapidement son utilité et devient tristement diluée.

Permettez-moi d’apporter quelques brèves précisions avant de proposer quelques solutions potentielles.

Premièrement, mon propos ne doit pas être interprété comme une sorte de position défensive à l’encontre des Églises ayant des formes de culte plus liturgiques. Le cœur du problème n’est pas la « conversion » d’une confession à l’autre, mais le danger de séparer la doctrine des rituels de dévotion. Les responsables des deux côtés du fossé liturgique — en d’autres termes, les Églises qui perdent des membres et celles qui en gagnent — devraient tous être prudents face à cette tendance.

Deuxièmement, mettre en garde contre la séparation de la liturgie de sa substance ne signifie nullement que les expressions de la congrégation, liturgiques ou autres, ne sont qu’une mise en forme esthétique de la théologie propositionnelle. Au contraire, c’est précisément parce que les pratiques authentiques de prière et de culte sont si centrales à la foi chrétienne que nous devons préserver l’unité et l’intégrité de la liturgie et de la théologie.

En fait, lorsqu’elle est correctement comprise et pratiquée, la liturgie est une sorte de théologie, dans la mesure où elle est un exercice de véritable culte et de communion avec Dieu. Cette unité doit être défendue contre l’érosion accidentelle qui se produit lorsque des adorateurs amateurs bien intentionnés négligent de réfléchir au sens et à la signification de certaines prières ou pratiques.

Avec cette préoccupation à l’esprit, que devrions-nous faire ?

Je crois que nous devrions chercher à unir une liturgie riche et rythmée avec la profondeur de la vérité biblique et de la réflexion théologique qui l’a inspirée. Le Livre de la prière commune est puissant et beau précisément parce qu’il est si soigneusement fondé sur les mots de l’Écriture et les convictions théologiques de réformateurs anglais comme Thomas Cranmer.

Le renouveau actuel du culte liturgique — qui est à bien des égards une redécouverte des pratiques spirituelles du culte à travers l’histoire de l’Église — devrait s’accompagner d’une redécouverte de la riche histoire doctrinale et théologique des dénominations et traditions respectives dont ces pratiques sont issues.

Dans son livre Theological Retrieval for Evangelicals, le théologien historique et pasteur baptiste Gavin Ortlund affirme que « nous pouvons et devons renforcer la vitalité du protestantisme évangélique en réfléchissant à notre identité historique avec plus d’attention et de conscience de soi et en faisant de la théologie dans un dialogue plus conscient avec les credo classiques, les confessions et les textes théologiques de l’Église »

À cette fin, j’exhorte les Églises et les chrétiens à fouiller dans leur patrimoine ! Que vous soyez presbytérien ou pentecôtiste, orthodoxe ou méthodiste, votre Église est enracinée dans une tradition de croyants fidèles qui vous ont précédé et ont jeté les bases de votre communauté de disciples. Plutôt que de couper la branche sur laquelle vous êtes assis en vous éloignant des étiquettes confessionnelles, faites ce que vous pouvez pour découvrir votre histoire.

Comme Paul demanda aux Corinthiens de l’imiter comme il imitait le Christ, vous pouvez trouver des exemples d’imitation fidèle du Christ dans l’histoire de votre église et de votre tradition.

Recherchez les credo, les confessions et les catéchismes qui ont façonné la théologie de votre Église. Identifiez les prières, les hymnes et les autres formes de culte issues de votre tradition. Ils ne sont peut-être pas tous à votre goût, mais ils peuvent au moins vous orienter avec précision vers votre place dans la fresque des dispositions de la grâce qu’est l’histoire de l’Église du Christ.

Pour ceux qui occupent des postes de direction dans nos Églises, je propose une autre suggestion : enseignez l’histoire de votre Église à vos membres ! Il y a de fortes chances que beaucoup de vos membres ne sachent presque rien de l’histoire de votre église individuelle et de l’héritage plus large de votre dénomination. Il se peut que les jeunes croyants ne se sentent pas concernés par l’histoire, non pas parce que leur Église n’a pas une riche histoire, mais simplement parce que personne ne l’a jamais partagée avec eux !

Alors que la prochaine génération de chrétiens redécouvre les prières et les louanges de nos prédécesseurs, réintroduisons-nous, ainsi que nos Églises, dans notre histoire ecclésiastique — dans toute sa diversité et sa complexité.

Si le Seigneur le veut, un amour renouvelé pour nos propres héritages liturgiques pourrait porter bien plus de fruits que la multiplication des cafés d’Église — et elle risque bien moins de laisser des taches sur le tapis du sanctuaire.

Benjamin Vincent est pasteur auprès des jeunes et des jeunes adultes à Journey of Faith Bellflower à Bellflower, en Californie, et professeur d’histoire et de théologie à la Pacifica Christian High School à Newport Beach.

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Encore Bolsonaro ? Les évangéliques hésitent.

À l’approche des élections d’octobre, plus d’un tiers d’entre eux envisagent d’apporter leur soutien à la gauche.

Une femme évangélique en prière dans une mégaéglise au Brésil.

Une femme évangélique en prière dans une mégaéglise au Brésil.

Christianity Today September 27, 2022
Image : Source : Associated Press / Adaptations par Christianity Today

Dieu seul sait comment les évangéliques voteront lors des prochaines élections au Brésil. Mais les sondages prédisent un degré de clivage remarquable : un article du mois d’août parle de 49 % des évangéliques indiquant une préférence pour le président Jair Bolsonaro, tandis que 32 % disent avoir l’intention de soutenir le principal challenger de gauche, l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva.

Lors des dernières élections, environ 70 % des électeurs ont voté pour Bolsonaro, l’ancien capitaine conservateur de l’armée qui s’est engagé à « placer le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous ».

Caroline Vidigal de Albuquerque, une évangélique qui travaille comme secrétaire de direction à Rio de Janeiro, était l’une d’entre eux. Elle a aimé la façon dont Bolsonaro défendait « la pensée chrétienne, contraire au marxisme ». Elle estimait que les voix de gauche avaient dominé pendant trop longtemps, et n’est pas restée insensible au fait que le politicien catholique a partagé la scène avec des leaders évangéliques et pentecôtistes pendant la campagne.

Alors qu’elle s’apprête à se rendre à nouveau aux urnes, Caroline Vidigal de Albuquerque examinera le bilan du président et le comparera à celui de Lula, qui a été au pouvoir de 2003 à 2010. « Nous pouvons comparer les actions avec les discours de la période électorale », explique-t-elle. « Dans ce cas, comme pour le reste, la réalité doit toujours s’imposer. »

Bon nombre des frères et sœurs évangéliques de Caroline Vidigal de Albuquerque — qui représentent environ 30 % de la population brésilienne — pourraient également avoir des priorités différentes cette fois-ci. Jorge Henrique Barro, pasteur presbytérien et professeur de théologie à la Faculdade Teológica Sul Americana (« Faculté théologique sud-américaine »), pense que les préoccupations économiques pourraient l’emporter cette année sur les préoccupations idéologiques. Les évangéliques sont souvent parmi les plus pauvres au Brésil et ont été durement touchés par l’inflation et le chômage.

Entre le COVID-19 et l’impact de l’invasion russe en Ukraine, l’inflation a dépassé 11 % en avril, le taux le plus élevé depuis deux décennies. Le chômage est d’environ 9 pour cent en septembre, même après que l’économie se soit légèrement remise de la pandémie.

« La population exclue, pauvre, noire, à faible revenu et peu éduquée, est exposée à des risques en matière de logement et de santé », rapporte le pasteur. « Les attentes les plus importantes de ces électeurs ont trait à leurs besoins fondamentaux. »

La question cruciale pour eux dans les urnes, selon lui, sera probablement « Qui est le plus capable d’aider le Brésil à sortir de la situation dramatique dans laquelle il se trouve ? »

À gauche : le président brésilien Jair Bolsonaro | À droite : L’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva.Image : Source : Getty/Stringer
À gauche : le président brésilien Jair Bolsonaro | À droite : L’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva.

Les voix évangéliques ne sont cependant pas unanimes. Au congrès national, 196 députés et sept sénateurs appartiennent au Frente Parlamentar Evangélica (« Front parlementaire évangélique »). Ils sont répartis dans 19 partis politiques différents. Le groupe le plus important, 42 d’entre eux, fait partie du Parti libéral de droite de Bolsonaro, mais ce n’est pas une majorité.

Si la plupart des évangéliques soutiennent les éléments clés du programme du Parti libéral — la défense de la famille traditionnelle, la liberté de religion et les enfants à naître — ils divergent sur certains points. Le gouvernement de Bolsonaro a cherché à assouplir les réglementations environnementales, par exemple, alors que 85 pour cent des évangéliques du pays disent que s’attaquer à la nature est un « péché contre Dieu ». Certains pasteurs évangéliques continuent de soutenir Bolsonaro, mais expriment cette fois-ci plus clairement des réserves.

« Je ne porte pas un T-shirt avec son visage imprimé dessus », déclarait Jaime Soares, un pasteur des Assemblées de Dieu à Rio de Janeiro, au Los Angeles Times. Mais, ajoutait-il, « c’est lui qui défend nos valeurs ».

Lors des dernières élections présidentielles, les sondages ont montré que seuls 19 % des évangéliques ont pris leurs instructions politiques de leurs responsables religieux. Mais Bolsonaro a clairement tenté de se rapprocher visiblement des leaders chrétiens. Il est apparu aux côtés de télévangélistes et de responsables pentecôtistes bien connus, dont Silas Malafaia, Marcos Feliciano et Edir Macedo, l’évêque de la plus grande dénomination prêchant l’Évangile de la prospérité dans le pays. Le président a également participé à la « Marche pour Jésus », conférant à l’événement un grand prestige.

Plus important, en 2021, Bolsonaro a tenu une promesse de campagne et a nommé un évangélique à la Cour suprême. Il a décrit cet ancien ministre de la justice, titulaire d’un doctorat en état de droit et d’un master en stratégies anticorruption de l’université de Salamanque, en Espagne, comme quelqu’un de « terriblement évangélique ».

Les leaders pentecôtistes — en particulier ceux qui prêchent la prospérité — semblent s’être rapprochés du président au cours des quatre dernières années. Certains dirigeants de l’Église presbytérienne du Brésil, également très proches de Bolsanaro, ont utilisé leur chaire pour inciter les gens à voter pour lui et ont envisagé de prendre des mesures disciplinaires contre les chrétiens qui soutiennent des candidats progressistes ou de gauche.

D’autres chrétiens du pays ont toutefois vivement critiqué l’alliance de certains dirigeants ecclésiaux avec Bolsonaro. Il est bon pour les évangéliques de s’impliquer dans la politique, disent-ils, mais il y a un danger dans l’allégeance au pouvoir.

« Cette communauté aspire au pouvoir politique », déclare Peniel Pacheco, un pasteur des Assemblées de Dieu et professeur de théologie qui a déjà siégé au Congrès. « Elle cherche à s’enrichir des bénéfices de l’État pour garantir des avantages économiques et fiscaux à ses fiefs confessionnels. »

Récemment, certains évangéliques ont été pris dans des scandales de corruption. En mars, les journaux ont obtenu un enregistrement audio de Milton Ribeiro, un pasteur presbytérien et chef du département de l’éducation, avouant apparemment un trafic d’influence. Le bureau du procureur général a ouvert une enquête.

« L’Église était trop loin du pouvoir, et maintenant elle en est trop proche », estime William Douglas, un juge fédéral de Rio de Janeiro. « Nous devons avoir une vie politique, mais nous ne pouvons pas laisser l’Église être prise en otage. »

Certains chrétiens espèrent que les quatre dernières années inciteront les évangéliques à réfléchir à leur témoignage et à leur vocation. Ils encouragent à une réévaluation en vue des prochaines élections.

« J’espère et je m’attends à ce que l’Église évangélique se mette au travail, afin d’être en mesure d’agir plus efficacement dans la sphère publique, plus efficacement dans la diffusion des valeurs de […] citoyenneté », déclare Ed René Kivitz, pasteur d’une mégaéglise baptiste à São Paulo. « La plus grande contribution de l’Église évangélique à la démocratie brésilienne est la préservation de l’environnement et de l’esprit démocratique de ses communautés. »

Reste à voir si Lula pourra en tirer parti et attirer les électeurs évangéliques. Beaucoup pensent simplement qu’il ne respectera pas leurs valeurs.

En avril, avant le début de la campagne, Lula défendait la dépénalisation de l’avortement au Brésil. Il considérait que l’avortement faisait partie des soins de santé. Après de vives critiques, le candidat a finalement expliqué qu’il était personnellement opposé à l’avortement.

Pour l’essentiel, il évite les problématiques culturelles et se concentre sur l’économie.

« Je ne pense pas qu’il soit impossible pour le [Parti des travailleurs] d’ouvrir des voies de négociation avec les évangéliques », estime l’anthropologue Juliano Spyer, auteur de Povo de Deus : Quem São os Evangélicos e Porque eles Importam ? (« Peuple de Dieu : Qui sont les évangéliques et pourquoi ils comptent. »), un livre sur les évangéliques et le Brésil contemporain.

Mais cette approche pourrait ne pas être exploitée avant le deuxième tour du scrutin, qui ramènera le nombre de candidats de 12 à deux.

« Cinq mois, c’est une période trop courte pour cette approche plus efficace », pense Juliano Spyer. « Le fossé est très profond. » Le premier vote aura lieu le 2 octobre.

Même si les électeurs évangéliques ne ressentent pas de lien naturel avec Lula et le Parti des travailleurs, plus d’un tiers d’entre eux envisagent de soutenir l’ancien président. Au cours de ses deux mandats, il a introduit avec succès des réformes sociales qui ont permis à 20 millions de personnes de sortir de la grande pauvreté tout en réduisant la dette nationale. La classe moyenne a grossi de près de 50 % sous sa présidence.

L’ancien président a pourtant été pris dans une vaste enquête sur un scandale de corruption et a été condamné en 2018 pour avoir accepté des pots-de-vin d’une société d’ingénierie qui voulait remporter un contrat lucratif avec la compagnie pétrolière publique Petrobras. Il a été condamné à 12 ans de prison, mais la condamnation a été annulée par la Cour suprême pour des raisons techniques, impliquant des erreurs de juridiction et de procédure. La réalité des accusations et leur importance en 2022 divisent la nation, et les évangéliques.

Rodrigo Cavalcanti Rabelo, un évangélique qui a voté pour le Parti des travailleurs en 2018, dit être lassé de voir les chrétiens embrasser la « polarisation agressive ».

Il espère qu’au cours de cette élection, les évangéliques se rappelleront comment se parler entre eux en tant que frères, sœurs et citoyens.

« La faculté de dialoguer est essentielle pour surmonter la grave situation économique et sociale que nous connaissons. »

Marcos Simas est titulaire d’un doctorat en études religieuses. Carlos Fernandes est reporter au Brésil.

Pour poursuivre la réflexion sur ce sujet, découvrez le dossier spécial sur les élections au Brésil préparé par notre équipe lusophone, disponible en portugais et en anglais.

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Petite introduction morale aux « Anneaux de pouvoir » d’Amazon

Le royaume de Númenor décrit par Tolkien a encore des choses à nous apprendre.

Christianity Today September 16, 2022
Copyright Amazon Studios/Photo par Ben Rothstein/Prime Video

Un démagogue charismatique séduit un puissant empire, prenant le pouvoir en promettant de restaurer la gloire passée. Un peuple trahit ses principes fondateurs, délaissant la foi de ses pères pour poursuivre des rêves d’immortalité. Leur capitale vacille jusqu’au bord de la guerre civile. Les fidèles restants sont traqués comme des traîtres par une foule déterminée à les anéantir.

Il ne s’agit pas d’un résumé des prophètes de l’Ancien Testament ou du journal d’hier, mais de quelques-unes des histoires contenues dans le Silmarillion de J. R. R. Tolkien, la bible des traditions de la Terre du Milieu. Longtemps négligées, ces histoires ont enfin trouvé leur place sous les feux de la rampe.

Amazon vient de lancer sa série Le Seigneur des Anneaux : Les Anneaux du Pouvoir.

Réputée série télévisée la plus chère jamais produite, ce projet d’un milliard de dollars est une adaptation d’une toute petite partie de l’œuvre de Tolkien. Dans la chronologie fictive de l’auteur, l’histoire de la Terre du Milieu se déroule sur trois âges. La plupart du Silmarillion concerne le Premier Âge. La trilogie de livres et de films la plus célèbre et la plus appréciée, Le Seigneur des Anneaux, couvre la fin du Troisième Âge. La nouvelle série télévisée d’Amazon se situe entre les deux.

Tolkien n’a presque rien écrit sur cette période. Pourtant, le peu qu’il a élaboré fourmille de résonances politiques. Dans les 23 courtes pages d’« Akallabêth », un chapitre du Silmarillion, Tolkien raconte la gloire du royaume de Númenor, mais aussi son orgueil démesuré et sa folie.

Dans la moitié du chapitre suivant, « Les anneaux de pouvoir », Tolkien évoque ces fameux anneaux et décrit ce qui ressemble fondamentalement à la troisième guerre mondiale — un conflit cataclysmique si destructeur que le monde ne s’en est jamais remis, bien que les bons aient remporté la victoire.

C’est un récit extraordinaire (et extraordinairement pertinent), fait de passion, d’ambition, de manipulation et de tromperie politiques, d’intrigues géopolitiques, de guerre religieuse, de théodicée et d’apocalypse. C’est l’histoire de personnes qui parviennent à s’imposer par l’honneur, la tromperie ou la conquête, et une mise en garde contre les destructions que des hommes et des femmes ambitieux peuvent engendrer lorsqu’ils disposent d’un pouvoir considérable.

Si vous vous intéressez à cette série, voici ce que vous devriez savoir sur l’histoire dont elle s’inspire et, si vous le permettez, les leçons à en tirer.

Le royaume de Númenor

Dans le texte original de Tolkien, les Númenoréens étaient « sages et glorieux », de grande taille et de grande longévité, de célèbres marins. Ils ont appris à parler l’elfique, la langue du savoir, et ont « produit des lettres, des parchemins et des livres » dans lesquels ils ont écrit « de nombreuses œuvres de sagesse et d’émerveillement à l’apogée de leur royaume »

Númenor est le royaume originel dont le Gondor — bien connu des lecteurs et spectateurs du Seigneur des Anneaux — est la copie. C’est la métropole dont le Gondor est le royaume en exil.

Les hommes et les femmes à l’origine de Númenor étaient réputés pour leur fidélité aux dieux. En récompense, ils bénéficièrent d’un foyer — un royaume insulaire au large de la Terre du Milieu — ainsi que d’un âge d’or de prospérité et de sagesse.

Dans leur grandeur, les Númenoréens visitent la Terre du Milieu. Voyant la pauvreté et l’ignorance du « monde oublié », ils offrirent à ces humains de moindre grandeur le cadeau de la tutelle bienveillante de Númenor — une intervention humanitaire destinée à améliorer leur condition et à les aider à « l’organisation de leur vie ».

Númenor est donc une vision idéalisée d’une grande puissance utilisant sa grandeur pour faire la justice.

Mais la grandeur du royaume devient la source de sa tentation. Après des milliers d’années de bonheur et de gloire, certains Númenoréens commencent à désirer la seule chose qu’ils n’ont pas : « Le désir de la vie éternelle, d’échapper à la mort et à la fin des plaisirs, s’affermit en eux ; et plus leur puissance et leur gloire augmentaient, plus leur inquiétude augmentait ».

Ils furent en proie au péché classique de l’hubris.

Le peuple se divise alors. La majorité des Númenoréens et leurs dirigeants s’éloignent des dieux, mais un petit reste demeure fidèle. Le plus grand de leurs rois est alors décrit comme « rempli du désir d’un pouvoir sans limites et de la domination exclusive de sa volonté ».

Ici, le récit de Tolkien suit le modèle de 1 et 2 Rois, où le peuple tombe parce que ses dirigeants tombent.

Númenor commence à dilapider ses richesses et son pouvoir : « ceux qui vivaient se tournaient avec plus d’ardeur vers le plaisir et les réjouissances ». Dans leur orgueil et leur hédonisme, l’empire devient rapace, écrit Tolkien, « et ils désiraient à présent la richesse et la domination » — puisque la vie éternelle leur était refusée — et « apparaissaient dès lors plutôt comme des seigneurs, maîtres et collecteurs de tribut que comme des appuis et des enseignants ».

Il n’est pas difficile de voir l’intention de Tolkien dans cette mise en scène politique. Le Royaume-Uni, comme Númenor, était un royaume insulaire se voyant comme un empire bienveillant. Mais lorsque Tolkien rédige le Silmarillion au 20e siècle, l’empire s’affaiblit de jour en jour et la société occidentale semble de plus en plus matérialiste et séculière.

C’était une époque de pessimisme pour les élites occidentales comme Tolkien, qui voyait émerger un monde de plus en plus hostile à l’héritage culturel avec lequel il avait grandi. Une nostalgie de la gloire passée imprègne son travail.

L’histoire de Sauron

S’il n’y avait que cela, l’« Akallabêth » n’aurait rien de très remarquable, inadapté pour une adaptation télévisée à un milliard de dollars et indigne des autres œuvres de Tolkien. Mais l’imagination catholique de Tolkien lui donnait plus de perspicacité psychologique et d’ambition spirituelle.

Cette histoire n’est pas un appel néo-réactionnaire au renouveau de la civilisation occidentale ou de l’impérialisme britannique. Il s’agit de quelque chose de beaucoup plus pessimiste que cela. Tolkien a bien dans son récit un personnage qui appelle au renouveau de la grandeur de la nation. Cependant — peut-être avec le souvenir encore frais de la Seconde Guerre mondiale — il place cet appel dans la bouche de son méchant.

Dans l’histoire du déclin culturel et spirituel de Númenor intervient un fourbe démagogue : nul autre que Sauron lui-même. S’il apparaît dans le Seigneur des Anneaux sous la forme d’un œil flamboyant au sommet de sa tour, dans ce conte plus ancien, c’est un personnage qui marche et parle, « rusé d’esprit et de parole », avec « toujours sur la langue des flatteries douces comme le miel ».

En d’autres termes, Sauron est un influenceur professionnel. Avec l’aide des anneaux de pouvoir, il se fraie un chemin dans les conseils entourant le roi en promettant « des richesses innombrables […] de sorte que leur pouvoir augmentera sans fin ».

Sauron joue habilement sur la peur de la mort des Númenoréens, leur promettant des sommets de pouvoir toujours plus élevés en prenant aux dieux ce qui leur revient de droit. Le roi númenoréen se détourne « totalement de l’allégeance de ses pères » et traite les fidèles númenoréens comme des rebelles, les offrant en sacrifices humains dans le temple nouvellement construit par Sauron. L’empire númenoréen, déjà rapace, se fait brutal et violent.

Dans cette partie de l’histoire, Tolkien semble établir un lien naturel entre le pouvoir, la démagogie et la violence. Un grand pouvoir attire naturellement l’escroc, qui gagne en influence en flattant la foule et en faisant appel à ses bas instincts. Et au bout du compte, le pouvoir allié à la démagogie conduit toujours à un bain de sang — dans son pays et à l’étranger.

Les leçons de Númenor

Le final d’« Akallabêth » est choquant et apocalyptique — raconté plus comme une parabole ou un mythe que comme une simple fiction. Sauron persuade le roi de Númenor de faire la guerre aux dieux, d’envahir leur demeure et de leur arracher la vie éternelle par la force des armes.

Le roi, devenu fou de vieillesse et d’orgueil, mène son armada à travers la mer. En réponse, les dieux fendent la mer en deux et noient l’armada, Númenor elle-même et la moitié de la Terre du Milieu. C’est l’apocalypse racontée par les damnés. (Je mets Amazon au défi de porter ça à l’écran.)

La combinaison d’allusions païennes et bibliques — Atlantide et Pharaon, l’Empire romain et les royaumes d’Israël et de Juda — est typique de Tolkien. En puisant dans des sources diverses du canon occidental, il donne à son texte un poids historique et une importance quasi religieuse. Il peint également sur une toile si vaste que l’histoire paraît cruciale et d’une tragédie saisissante.

Dans ce sombre paysage, Tolkien offre une lueur d’espoir. Dans « Les anneaux de pouvoir » (le dernier chapitre du Silmarillion), les fidèles restés fuient Númenor avant sa destruction, fondent le Gondor et mènent la dernière alliance des elfes et des hommes dans une ultime guerre désespérée contre Sauron. (Pour référence, il s’agit de la grande bataille du prologue de la version cinématographique du Seigneur des Anneaux et il est probable qu’on la retrouvera comme scène finale des Anneaux de Pouvoir, dans cinq saisons)

Les gentils gagnent, mais il est trop tard pour que la victoire soit digne de ce nom. Sauron est renversé, mais presque tous les héros sont tués, le monde est dévasté et l’anneau de Sauron survit.

Les efforts étaient-ils vains ? Nous connaissons la fin du conte — après bien des péripéties, Sauron et son anneau seront finalement vaincus, même si les fidèles de Númenor ne le verront jamais.

Voici donc la dernière leçon de Tolkien, et celle qu’il faut garder à l’esprit lorsque nous regardons Les Anneaux du Pouvoir dans le contexte de l’Église contemporaine :

Dans toute époque d’hédonisme, de démagogie, de rapacité et de violence (y compris la nôtre), ceux qui font partie du reste fidèle risquent de ne jamais voir leur victoire finale ou les fruits de leur sacrifice. Mais ils luttent quand même, car ils savent qu’au bout du compte, la providence leur donnera raison. À cette lumière, ce qu’il nous faut savoir est si nous serons parmi le reste ou parmi les damnés.

« C’est un conte juste, bien qu’il soit triste, comme le sont tous les contes de la Terre du Milieu », dit Aragorn aux hobbits dans La Communauté de l’Anneau.

En tant que vétéran de la Première Guerre mondiale, Tolkien a si bien compris la déchéance du monde, l’orgueil des hommes et des femmes et les tentations du pouvoir qu’il savait qu’il ne fallait pas donner une fin heureuse à ses récits.

Le génie de Peter Jackson a été de rester fidèle à Tolkien et de terminer sa trilogie du Seigneur des Anneaux plus comme une tragédie que comme un récit fantastique. Quand la plupart des divertissements commerciaux répondent à la demande de résolutions complètes, il faut de l’audace pour raconter une histoire mature sur un monde brisé et jugé, où tous les héros sont imparfaits et où chaque victoire terrestre reste conditionnelle.

Cette histoire est une source d’inspiration parce qu’elle est réaliste, même si elle est peuplée d’elfes et de sorciers. Plus Les Anneaux de pouvoir d’Amazon sera fidèles à ces vérités, plus importante sera sa contribution, non seulement à notre divertissement, mais aussi à notre édification.

Paul D. Miller est professeur à l’université de Georgetown et chargé de recherche à l’Ethics & Religious Liberty Commission.

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Books

Elizabeth II, une reine qui plaçait sa confiance en Dieu

Au cours de ses sept décennies de règne, elle parla régulièrement de l’importance de sa foi personnelle.

Christianity Today September 9, 2022
Joe Giddens - par WPA Pool/Getty Images / édition par Mallory Rentsch

La reine Elizabeth II, le monarque ayant régné le plus longtemps dans l’histoire britannique, est décédée à l’âge de 96 ans.

Tout au long de ce règne sans précédent, la reine Elizabeth II a fréquemment parlé de sa foi chrétienne personnelle. Dès son premier discours de Noël en 1952, une tradition lancée par son grand-père, le roi George V, la Reine sollicitait la prière pour son prochain couronnement.

« Je veux vous demander à tous, quelle que soit votre religion, de prier pour moi ce jour-là », « de prier pour que Dieu me donne la sagesse et la force d’accomplir les promesses solennelles que je vais faire, et que je puisse fidèlement servir Lui et vous, tous les jours de ma vie. »

En tant que l’un des dirigeants les plus reconnus et appréciés au monde pendant plus de sept décennies depuis ce Noël, la Reine a illustré comment peut être vécue une foi chrétienne personnelle, privée, inclusive et compatissante tout en servant dans un rôle public international soumis à un examen intense de presque toutes parts.

La reine Elizabeth II avait hérité de responsabilités religieuses en tant que Défenseur de la foi et Gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre, titres dévolus au monarque britannique régnant depuis que Henri VIII renonça à la papauté en 1534. Lors de son couronnement en 1953, Sa Majesté prêta serment de « maintenir et préserver inviolablement l’établissement de l’Église d’Angleterre, ainsi que la doctrine, le culte, la discipline et le gouvernement de celle-ci, tels qu’ils sont établis par la loi en Angleterre ».

Elle était notamment chargée de nommer les archevêques, les évêques et les doyens de l’Église d’Angleterre sur les conseils du Premier ministre. En 1970, elle devint la première souveraine à ouvrir le Synode général de l’Église et à s’y adresser en personne, une pratique qu’elle maintint tous les cinq ans après les élections diocésaines.

Trois semaines après son couronnement, la Reine suivit le précédent historique et jura de préserver l’Église d’Écosse, honorant ainsi son devoir de « préserver l’implantation de la véritable religion protestante telle qu’établie par les lois faites en Écosse. » L’Église d’Écosse est presbytérienne et ne reconnaît que Jésus-Christ comme « roi et chef de l’Église », ce qui explique l’absence de titre officiel et de participation de Sa Majesté en tant que membre régulier.

Plus que de la tradition

Mais la foi de la reine était plus que le produit d’une respectueuse politesse envers la tradition historique. Tout au long de son règne, elle a exprimé l’importance de sa foi et l’a recommandée à ses sujets.

« Pour moi, les enseignements du Christ et ma propre responsabilité personnelle devant Dieu fournissent le cadre dans lequel j’essaie de mener ma vie », expliquait-elle en 2000. « Comme beaucoup d’entre vous, dans les moments difficiles, j’ai puisé un grand réconfort dans les paroles et l’exemple du Christ. »

En 2002, la Reine endura une année douloureuse de deuils personnels avec les décès de sa sœur, la Princesse Margaret, et de la Reine Mère. Cette année-là, dans son discours annuel de Noël, elle témoigna de la manière dont sa foi l’avait soutenue.

« Je sais à quel point je compte sur ma propre foi pour me guider dans les bons et les mauvais moments. » « Chaque jour est un nouveau départ. Je sais que la seule façon de vivre ma vie est d’essayer de faire ce qui est juste, de regarder à long terme, de donner le meilleur de moi-même dans tout ce que la journée apporte, et de mettre ma confiance en Dieu. »

La Reine a constamment étendu son rayonnement en reconnaissant et en célébrant la diversité et la tolérance religieuses au Royaume-Uni, dans le Commonwealth et dans le monde entier. Ses messages de Noël et du Jour du Commonwealth ont souvent abordé les thèmes de l’harmonie interconfessionnelle et de la tolérance respectueuse. À l’invitation de la Reine et de son mari, le Duc d’Édimbourg, des dirigeants de diverses croyances et confessions ont régulièrement assisté à des cérémonies royales, notamment des mariages et des services d’action de grâce.

Lors de la célébration de son jubilé de diamant en 2012, la Reine assista à une réception multiconfessionnelle au Palais de Lambeth, organisée par l’archevêque de Canterbury, à laquelle participèrent les dirigeants de huit religions du Royaume-Uni, dont le bouddhisme, le judaïsme, l’islam et l’hindouisme. Lors de cet événement, la Reine déclara : « La foi joue un rôle clé dans l’identité de millions de personnes, fournissant non seulement un système de croyances, mais aussi un sentiment d’appartenance. Elle peut servir d’aiguillon à l’action sociale. En effet, les groupes religieux ont une fière réputation en matière d’aide aux personnes les plus démunies, notamment les malades, les personnes âgées, les personnes seules et les personnes défavorisées. Ils nous rappellent les responsabilités que nous avons au-delà de nous-mêmes. »

Les efforts de la Reine furent salués en 2007 par le Three-Faiths Forum, une organisation qui se consacre à l’établissement d’une compréhension et de relations durables entre les personnes de toutes croyances et confessions. Cette organisation remit à Sa Majesté la Médaille d’or interconfessionnelle Sternberg, décernée aux personnes qui ont contribué à promouvoir la paix et la tolérance entre les personnes de croyances différentes.

L’héritière présomptive

Née le 21 avril 1926, Elizabeth Alexandra Mary Windsor était l’aînée du duc et de la duchesse d’York et la première petite-fille du monarque régnant, le roi George V, qui, dit-on, appréciait grandement cette enfant réfléchie et équilibrée que la famille appelait Lilibet. Le père d’Elizabeth accéda au trône en 1936 en tant que George VI lorsque son frère, le roi Edward VIII, abdiqua pour épouser la divorcée Wallis Simpson.

En tant qu’héritière présomptive, Elizabeth reçut une éducation spécifique et servit dans le service territorial auxiliaire pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1947, elle épouse Philip Mountbatten, de lignée royale grecque et danoise. Leur union dura 73 ans jusqu’à sa mort en 2021 et donna naissance à quatre enfants : Charles, prince de Galles et héritier présomptif ; Anne, princesse royale ; Andrew, duc d’York ; et Edward, comte de Wessex. En plus de ses enfants, la Reine laisse derrière elle huit petits-enfants et 12 arrière-petits-enfants.

Dès le début de son règne, la Reine a toujours cité des références de l’Écriture, notamment dans ses retransmissions annuelles de Noël.

« Vers quelle plus grande inspiration et vers quel meilleur conseil pouvons-nous nous tourner », demandait-elle, « que vers la vérité impérissable que l’on trouve dans cette chambre aux trésors qu’est la Bible ? »

Dans son discours de 2016, Sa Majesté expliquait : « Des milliards de personnes suivent aujourd’hui l’enseignement du Christ et trouvent en lui la lumière qui guide leur vie. Je suis l’une d’entre elles parce que l’exemple du Christ m’aide à voir l’importance de faire les petites choses avec beaucoup d’amour, quelle que soit la personne qui les fait et quelle que soit sa propre croyance ».

Ses relations avec Billy Graham

Dans Tel que je suis, son autobiographie, son ami et confident Billy Graham témoignait de l’amour de la Reine pour la Bible, ainsi que de la force et de la profondeur de sa foi chrétienne.

« Personne en Grande-Bretagne ne fut plus cordial à notre égard que Sa Majesté la reine Elizabeth II », écrit Graham. « Presque toutes les rencontres que j’ai eues avec elle se sont déroulées dans un cadre chaleureux et informel, comme un déjeuner ou un dîner, soit seul à seul, soit avec quelques membres de la famille ou d’autres amis proches. »

Ils rendaient rarement leurs rencontres publiques et n’exploitaient pas leur relation dans leurs autres engagements, mais les deux entretenaient une amitié qui perdura pendant plus de 60 ans, jusqu’au décès de Graham en 2018. Il écrivit : « Je l’ai toujours trouvée très intéressée par la Bible et son message. »

L’amour de la Reine pour la Bible et son message évangélique l’a conduite à participer à la publication d’un livre spécial pour célébrer son 90e anniversaire. Intitulé The Servant Queen and the King She Serves (« La Reine servante et le Roi qu’elle sert »), cet aperçu de la foi chrétienne de Sa Majesté, coécrit par Catherine Butcher et Mark Greene, a été publié par la Société biblique du Royaume-Uni, dont la Reine était la marraine, ainsi que par HOPE et le London Institute for Contemporary Christianity.

Sa Majesté en écrivit personnellement l’avant-propos, remerciant les lecteurs pour leurs prières et leurs bons vœux. « J’ai été — et je reste — très reconnaissante envers […] Dieu pour son amour indéfectible. J’ai véritablement vu Sa fidélité. »

Le livre fut distribué à des milliers d’Églises au Royaume-Uni et dans de nombreux pays du Commonwealth avant l’anniversaire de la Reine en 2016. Il s’est avéré si populaire que la Société biblique a dû imprimer 150 000 exemplaires supplémentaires pour répondre à la demande.

Accomplir ses vœux

À la fois princesse et pape, gardienne et arrière-grand-mère, diplomate et disciple, Sa Majesté la reine a offert à sa nation et au Commonwealth, au cours de périodes tumultueuses de changements historiques et d’avancées technologiques, le calme et la stabilité.

« En fin de compte, la monarchie attire le regard au-delà d’elle-même, vers la majesté de Dieu » écrit Ian Bradley, professeur à l’école de théologie de l’Université de St Andrews. « Elle encourage les qualités humaines données par Dieu que sont la révérence, la loyauté et la dévotion. Elle tire sa véritable consécration et son autorité d’en haut plutôt que d’en bas. »

La reine Elizabeth II était un monarque de ce genre. Traversant les 20e et 21e siècles, la modernité et la postmodernité, Sa Majesté a fait de sa foi personnelle en Dieu et de sa croyance en Christ son ancre au milieu des nombreuses tempêtes, tant publiques que privées, qu’elle a endurées. Jusqu’à la fin, elle a rempli les vœux sacrés de son couronnement envers Dieu, en vivant fidèlement et en servant ceux qui lui avaient été confiés.

Dudley Delffs est l’auteur de The Faith of Queen Elizabeth.

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Books

Une organisation missionnaire achète un yacht de luxe

Et autres nouvelles des chrétiens à travers le monde.

Christianity Today August 31, 2022
Yacht image courtesy of GBA Ships

La première compagnie de croisière moderne centrée sur l’Asie a fermé ses portes suite aux difficultés financières engendrées par le COVID-19 et a vendu le dernier de ses bateaux de luxe à une organisation missionnaire allemande. Les autres navires de Genting Hong Kong’s Star Cruises ont été vendus pour la casse, mais le Taipan, amarré en Malaisie, a été acquis par GBA Ships (anciennement Gute Bücher für Alle), qui travaille en partenariat avec Opération Mobilisation. GBA Ships visite 15 à 18 villes portuaires par an, fournissant de l’aide humanitaire et un accès à des livres chrétiens. La restauration du yacht de 31 ans et de 85,5 mètres devrait prendre de 12 à 18 mois. Il sera rebaptisé Doulos Hope.

Chine : Un chrétien rescapé de l’internement

Un chrétien de 43 ans détenu dans les camps d’internement du Xinjiang aux côtés d’une vingtaine de Ouïghours musulmans s’est échappé du pays et est parvenu aux États-Unis avec sa femme et son fils. Ovalbek Turdakun, un Kirghize de souche qui travaillait comme traducteur kirghiz-mandarin, est devenu la cible du programme d’assimilation brutal du gouvernement chinois après avoir épousé une native du Kirghizistan. Il a été détenu pendant 10 mois puis soudainement libéré. La famille s’est enfuie aux États-Unis avec l’aide d'un chercheur de la Victims of Communism Memorial Foundation, d’un expert canadien en surveillance, d’un analyste du groupe McKinsey, d’une famille de chrétiens américains et du fondateur de China Aid, Bob Fu. Des avocats spécialisés dans les droits de l’homme vont soumettre son récit de première main de la répression pratiquée par le gouvernement chinois à la Cour pénale internationale.

Australie : De nombreux baptêmes lors d’un lever de croix

Un nombre record de 130 aborigènes ont été baptisés par des anciens de leurs familles et des chefs de tribus lors d’une cérémonie de lever de croix sur la Terre d’Arnhem Ouest, dans le quart nord-est du Territoire du Nord de l’Australie. Les levers de croix sont devenus importants pour les chrétiens des Premières nations, car ils sont l’occasion de renouveler une alliance entre la terre et Dieu et de préparer les individus au baptême. La pratique remonte au mouvement de retour vers les homelands dans les années 1970, lorsque de nombreuses familles aborigènes sont retournées sur leurs terres ancestrales.

Ghana : Les Églises plantent des arbres

L'’organisation chrétienne d’aide humanitaire Compassion International et 17 Églises se sont unies pour planter 4 000 arbres afin de lutter contre les effets du changement climatique. Le groupe espère planter 15 000 autres acacias, moringas, avocatiers et autres espèces d'arbres dans 20 endroits du pays. Abraham Satunia, un responsable des Assemblées de Dieu, explique que la combustion de matières fossiles a perturbé l’ordre environnemental, devenant une menace pour la vie humaine. Selon la Banque mondiale, la température annuelle moyenne au Ghana a augmenté d’un degré Celsius depuis 1960, et il y a maintenant environ 48 jours plus chauds et 12 jours plus froids chaque année. La poursuite du changement climatique devrait voir augmenter la température annuelle moyenne d’un à trois degrés d’ici 2060, entraînant une diminution de 20 % des précipitations et provoquant des sécheresses cycliques.

Nigeria : Contestations autour du décès d’une chanteuse de Gospel

La chanteuse gospel Osinachi Nwachukwu est décédée subitement à l’âge de 42 ans, et sa famille ne reconnaît pas la cause du décès. Son mari et manager, Peter Nwachukwu, affirme qu’elle souffrait secrètement d’un cancer de la gorge. Ses quatre enfants, cependant, ont indiqué à la police qu’elle était victime de violences domestiques. Peter Nwachukwu est maintenant en prison, faisant face à 23 accusations de violence domestique et d’homicide. L’interprétation du titre « Ekwueme » par Osinachi Nwachukwu, qui était une des chanteuses de gospel les plus connues du Nigeria, compte 77 millions de vues sur YouTube.

Norvège : Querelle de voisinage autour d’une croix illuminée

Un homme de 72 ans affirme que la croix illuminée d’une église évangélique luthérienne constitue un risque pour la santé, car elle pourrait « rouvrir d’anciennes blessures » pour les personnes ayant fréquenté les écoles tenues par cette dénomination entre 1955 et 1990. La Société ecclésiale évangélique luthérienne, une petite dénomination comptant environ 3 300 membres, a présenté ses excuses pour les châtiments corporels pratiqués dans ses écoles, mais affirme que cela n’a rien à voir avec cette croix placée sur l’église de Skien, construite en 2021.

Italie : Andy Warhol attire les Romains à l’église

Une Église évangélique italienne a attiré des centaines de visiteurs en exposant une œuvre mineure de l’artiste pop décédé Andy Warhol. L’Église, la Chiesa Evangelica Breccia di Roma, a ouvert ses locaux à une exposition d’art intitulée Grafica Internazionale e Multipli d’Autore comme une manière d’aimer ses voisins et de leur permettre de faire connaissance avec cette communauté évangélique active au cœur de Rome. La sérigraphie de fleurs de Warhol – signée au dos avec un tampon indiquant « Inscrivez votre propre signature », suivi d’une ligne vierge – s’est vendue aux enchères pour environ 10 000 euros.

République dominicaine : Un évêque pentecôtiste souhaite que l’Église examine la loi sur la protection de la vie privée

Le président des Églises pentecôtistes de la République dominicaine a demandé au législateur que des experts de sa congrégation examinent une proposition de loi sur le droit à la vie privée, à l’honneur, à la bonne réputation et à l’image. L’évêque Reynaldo Franco Aquino estime que le projet de loi n’a pas fait l’objet d’un examen public approprié, « ce qui explique le déclenchement d’une controverse qui paraît sans fin ». La proposition de loi, à laquelle s’opposent les défenseurs de la liberté de la presse, faciliterait les poursuites pour diffamation. Il n’est pas clair si elle s’appliquerait également aux utilisateurs et aux plateformes de médias sociaux.

États-Unis : Peu de femmes à la tête des Églises baptistes égalitariennes

Seuls environ 7 % des Églises de la Cooperative Baptist Fellowship, qui s’est séparée des Baptistes du Sud en 2002 autour de la question des femmes dans le ministère, sont dirigées par des femmes ordonnées. Une étude présentée lors de l’assemblée générale de 2022 a montré que le nombre total de femmes occupant des postes de pasteur principal ou de copasteur dans les 1 400 assemblées de la dénomination a en fait diminué depuis 2015. Les femmes ayant participé à l’étude ont déclaré qu’elles étaient confrontées à des obstacles, notamment des attentes plus élevées, des salaires plus bas, du harcèlement sexuel, des questions d’entretien inappropriées et l’attribution à des hommes du mérite de leur travail. « Après ma première prédication », raconte l’une d’entre elles, « un paroissien a demandé à mon mari si c’était lui qui l’avait écrite ».

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Books

Kallistos Ware : théologien de la voie orthodoxe pour les autres chrétiens

L’évêque anglais et universitaire d’Oxford a approfondi le respect, l’unité et le dialogue entre l’antique confession et les évangéliques.

Kallistos Ware

Kallistos Ware

Christianity Today August 31, 2022
Courtesy of Bradley Nassif

Les chrétiens orthodoxes commémorent l’archevêque métropolitain Kallistos Ware, qui s’est endormi dans le Seigneur à l’aube du mercredi 24 août dernier en Angleterre à l’âge de 88 ans. En tant qu’évangéliques, nous avons également là une perte à déplorer et une raison de prier — comme le font les orthodoxes lors des funérailles — « Que sa mémoire soit éternelle ».

Né Timothy Ware en 1934 et élevé dans une famille anglicane, Kallistos Ware s’était converti à l’âge de 24 ans et était devenu l’un des théologiens orthodoxes orientaux les plus influents du monde anglophone au 20e et au début du 21e siècle.

Les livres les plus célèbres de l’évêque Kallistos, qui a également été édité en français, sont The Orthodox Church, un manuel d’introduction de référence depuis près de 60 ans, The Orthodox Way et sa contribution à la traduction en anglais de la Philocalie, un texte classique de spiritualité orthodoxe. Il fut Spalding Lecturer en études orthodoxes orientales à l’Université d’Oxford pendant 35 ans, jusqu’à sa retraite en 2001, et nombre de ses doctorants sont parvenus à des postes influents.

Après Oxford, il continua à publier, mais consacra les dernières années de sa vie à un renforcement de la vie interne de l’Église orthodoxe et à la construction de ponts avec les chrétiens non orthodoxes, notamment les catholiques, les anglicans et les évangéliques. Les personnalités comme lui sont rares.

Le travail de l’évêque Kallistos a changé le paysage entre l’orthodoxie et l’évangélisme. On comprendra mieux sa contribution en la situant dans une période où les évangéliques ont commencé à s’intéresser à la foi ancienne.

Dans le contexte anglophone, cet intérêt se développa indirectement dans les années 1970 avec Robert Webber, professeur de théologie au Wheaton College. Ses écrits rendirent l’Église primitive attrayante pour les évangéliques en soulignant le rôle positif de la tradition de l’Église et des formes liturgiques de culte. Il décrivit également un mouvement important d’évangéliques vers l’anglicanisme dans son livre Evangelicals on the Canterbury Trail : Why Evangelicals are Attracted to the Liturgical Church (« Les évangéliques sur le chemin de Canterbury : Pourquoi les évangéliques sont attirés par l’Église liturgique »). De là, il n’y avait qu’un petit pas à faire pour que certains évangéliques passent de l’anglicanisme à l’orthodoxie.

Vers cette époque, Billy Graham organisait des campagnes d’évangélisation dans des pays orthodoxes communistes tels que la Russie et la Roumanie. Les patriarches orthodoxes accueillirent favorablement Graham parce que sa politique d’« évangélisation coopérative » permettait que les personnes qui s’avançaient dans ses réunions soient confiées à leur propre clergé pour la formation de disciples. Puis, en 1988, un ancien dirigeant de Campus Crusade for Christ, Peter Gillquist, fit entrer sa dénomination de 1800 membres dans l’Église orthodoxe d’Antioche. Au cours des 15 années suivantes, des Églises évangéliques et charismatiques entières rejoignirent des paroisses orthodoxes locales à travers tous les États-Unis.

Le théologien méthodiste Thomas Oden commença à écrire sérieusement sur le christianisme historique au cours des mille premières années de la foi. Sa série monumentale, Ancient Christian Commentary on Scripture (ACCS), a suscité chez les évangéliques une passion théologique pour les premiers pères de l’Église qui n’a cessé de croître au fil des ans. En 2005 fut inauguré le Wheaton Center for Early Christian Studies, financé par un donateur orthodoxe. Et en 2013, la Lausanne-Orthodox Initiative (LOI) initiait la plateforme internationale la plus ambitieuse jamais développée entre dirigeants orthodoxes et évangéliques. Sa première convention, intitulée « On the Mission of God » (« Sur la mission de Dieu »), rassembla en Albanie plus de 60 leaders orthodoxes et évangéliques du monde entier. Depuis, la LOI organise régulièrement des conférences internationales et reste le carrefour du dialogue entre orthodoxes et évangéliques.

C’est dans le contexte de cet intérêt florissant pour le christianisme primitif que l’évêque Kallistos a eu un impact sur les relations orthodoxes-évangéliques, plus que n’importe qui d’autre ne l’aurait pu. Le poids de son influence ne tenait pas seulement à sa renommée de professeur et d’érudit à l’Université d’Oxford ni à sa position officielle d’évêque dans l’Église orthodoxe. Ces éléments ont sans aucun doute joué un rôle important. Cependant, c’est leur présence chez un érudit dont la vie spirituelle était intégrée de façon si étonnante à la théologie qui a réellement eu un effet transformateur sur les orthodoxes et les évangéliques.

Les paroles d’un court hommage comme celui-ci ne peuvent communiquer ce que l’on ne peut vivre qu’en personne. L’évêque Kallistos avait quelque chose de semblable au grand moine saint Antoine d’Égypte (251-356 apr. J.-C.). On raconte une histoire célèbre sur trois frères qui venaient chaque année voir Antoine pour discuter de l’état de leur âme. L’un d’eux, cependant, ne lui demandait jamais rien. Antoine prit finalement la parole : « Tu viens me voir chaque année ici dans le désert, mais tu ne me demandes rien. Pourquoi cela ? » Le frère répondit : « Il me suffit de te voir, Abba (père) ». Les mots n’étaient pas nécessaires. La seule force de la présence d’Antoine suffisait à provoquer une transformation spirituelle chez le frère.

Il en fut de même pour ceux d’entre nous qui ont passé du temps avec l’évêque Kallistos. Sa vie sainte donnait à ses paroles un pouvoir transformateur qui pouvait changer le cœur de ceux avec qui il parlait, qu’ils soient orthodoxes ou évangéliques. Sa seule présence remodelait les relations.

Son premier soutien écrit au dialogue orthodoxe-évangélique date de 1991, lorsqu’il appuya le travail de la toute nouvelle Society for the Study of Eastern Orthodoxy and Evangelicalism (« Société pour l’étude de l’orthodoxie orientale et du mouvement évangélique »). Il s’agissait d’une organisation novatrice de théologiens orthodoxes et évangéliques qui se réunissaient chaque année au Billy Graham Center avec le soutien de James Stamoolis, doyen de la Wheaton College Graduate School. L’évêque Kallistos élargit son implication dans le monde évangélique en 1997, lorsqu’il donna une présentation au Centre européen de recherche pentecôtiste/charismatique à Prague sur « L’expérience personnelle du Saint-Esprit chez les Pères grecs ».

J’ai eu la chance d’accueillir l’évêque Kallistos chez nous à deux reprises avant son décès. En 2011, je m’étais organisé pour que le métropolite donne une conférence au Wheaton College et à l’Université North Park intitulée « Dialogue entre orthodoxes et évangéliques : Qu’avons-nous à apprendre les uns des autres ? ». Dans cette conférence, il soulignait la nécessité de s’aimer les uns les autres ; mais pour cela, nous devons d’abord nous comprendre. Il croyait en un dialogue fondé sur la vérité, et non sur les faux-fuyants ou les compromis. Pour être humains, nous avons besoin les uns des autres, car les humains sont dialogiques par nature, tout comme la Trinité est dialogique.

Pour l’évêque Kallistos, les orthodoxes et les évangéliques semblent à première vue très différents, mais ont en fait beaucoup plus en commun que la plupart des gens ne le pensent. Nos différences ne sont pas aussi grandes que nous pourrions le supposer. Il considérait que les orthodoxes et les évangéliques partagent une foi commune dans les saintes Écritures comme pleinement véridiques, en la Trinité, en Jésus-Christ comme pleinement humain et pleinement divin, et en la naissance virginale, les miracles, la mort sacrificielle du Christ sur la croix, sa résurrection corporelle et sa seconde venue. L’évêque estimait que nous partageons également une foi commune dans l’institution divine du mariage et une approche commune des problèmes de l’homosexualité, de la bioéthique et de l’euthanasie.

Lors de ce voyage de 2011, Kallistos offrit également l’une des meilleures interviews sur l’orthodoxie et l’évangélisme avec le rédacteur en chef d’alors du magazine Christianity Today. Intitulé « The Fullness and the Center » (« La plénitude et le centre ») l’article tournait autour de l’Évangile, de l’évangélisation, de la justice sociale et de la tradition..

Il y déclarait :

« Nous, les orthodoxes, sommes certainement encore trop repliés sur nous-mêmes ; nous avons besoin de nous rendre compte que nous avons un message que beaucoup de gens écouteront avec plaisir. […] Pour moi, le témoignage missionnaire le plus important que nous ayons est la Divine Liturgie, le culte eucharistique de l’Église orthodoxe. C’est la source vivifiante d’où procède tout le reste. C’est pourquoi, à ceux qui manifestent un intérêt pour l’orthodoxie, je dis : “Venez et voyez. Participez à la liturgie”. La première chose, c’est de faire l’expérience de l’orthodoxie — ou, d’ailleurs, du christianisme — en tant que communauté de culte. Nous partons de la prière, pas d’une idéologie abstraite, pas de règles morales, mais d’un lien vivant avec le Christ exprimé à travers la prière. »

La somme de l’œuvre de l’évêque Kallistos a changé la donne pour les chrétiens orthodoxes et évangéliques. Il a construit un pont pour un témoignage chrétien uni, aussi loin que possible de chaque côté ; son engagement orthodoxe auprès de la communauté évangélique a légitimé un dialogue qui était auparavant absent ; et il a encouragé la communauté orthodoxe à considérer les évangéliques comme de véritables frères et sœurs en Christ. Même si notre unité est imparfaite, nous avons besoin les uns des autres et nous nous appartenons mutuellement en tant que membres du corps du Christ. Son respect pour l’héritage intellectuel du mouvement évangélique a donné au mouvement une crédibilité qui n’était pas toujours évidente aux yeux des orthodoxes.

Il a également fait découvrir aux évangéliques une orthodoxie généreuse, éprouvée par le temps et enracinée dans des siècles de tradition apostolique. Lorsque CT lui demanda ce qui empêchait l’Église orthodoxe de dérailler, l’évêque Kallistos répondit : « L’Écriture sainte telle qu’elle a été comprise dans l’Église et par l’Église à travers les siècles. […] Mais la tradition est vivante. L’âge des pères ne s’est pas arrêté au cinquième ou au septième siècle. Nous pourrions avoir encore aujourd’hui, au 21e siècle, des saints pères égaux aux anciens pères ».

Pour moi, Kallistos Ware était un exemple vivant de Père de l’Église pour le 21e siècle. Que sa mémoire soit éternelle.

Bradley Nassif est l’auteur de The Evangelical Theology of the Orthodox Church (St. Vladimir’s Seminary Press, 2021).

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