L’apathie était considérée comme une vertu. Elle est devenue le vice caché de notre culture.

Comment l’acédie est devenue l’ennemi de nos âmes.

Christianity Today January 30, 2023
Illustration par Chidy Wayne

Le concept d’apathie a une longue histoire dans le monde occidental. Notre culture contemporaine n’est pas la seule à avoir vu dans certaines de ses formes quelque chose que l’on pourrait considérer comme « cool ». Les grands philosophes du passé débattaient déjà de sa signification et de sa valeur.

Overcoming Apathy: Gospel Hope for Those Who Struggle to Care

Overcoming Apathy: Gospel Hope for Those Who Struggle to Care

Crossway

192 pages

$12.49

En réalité, pour certains philosophes grecs, l’apathie était l’une des meilleures choses auxquelles on pouvait aspirer. Le terme grec apatheia signifie « absence de pathē » (passions), et dans la pensée de certains philosophes, le terme de passions désignait souvent des émotions vives telles que l’amour, la peur, le chagrin, la colère, l’envie, le désir, la douleur ou le plaisir qui surviennent en réponse au monde extérieur.

Selon les stoïciens, par exemple, les sages — ceux qui désirent une vie florissante — sont ceux qui sont totalement libres à l’égard des passions. En d’autres termes, les sages ne sont pas à la merci des hauts et des bas de la vie dans ce monde. Ils sont autosuffisants ; les événements extérieurs de la vie « ne font qu’effleurer la surface » de leur esprit, comme le formule Martha Nussbaum dans The Therapy of Desire. Le but de la vie est alors ce que nous pourrions appeler « l’équanimité », ou la tranquillité de l’âme. Même les grands philosophes non stoïciens, comme Aristote, reconnaissaient la valeur de la limitation des passions. On estimait que les « apathiques » jouissaient d’une vie désirable.

Les premiers penseurs chrétiens étaient bien conscients de cette ancienne tradition philosophique valorisant l’apathie. Il est intéressant de noter que, comme leurs prédécesseurs philosophes, ils cherchèrent à appliquer le concept d’apatheia non seulement aux êtres humains, mais aussi à Dieu.

Ceux qui ont un jour suivi un cours d’introduction à la théologie ont peut-être rencontré le terme d’impassibilité dans les débats sur les attributs de Dieu. Impassibilité est une traduction latine du terme grec apatheia, et il s’agissait d’un concept très discuté parmi les pères de l’Église.

Selon le théologien Pavel Gavrilyuk, parler de Dieu comme étant impassible, c’est dire « qu’il n’a pas les mêmes émotions que les dieux des païens ; que son souci des êtres humains est exempt d’intérêt personnel et de toute association avec le mal. » L’impassibilité signifie que Dieu n’est pas submergé par les émotions, et que ses émotions ne peuvent être affectées par quelque chose d’extérieur à lui-même.

S’il peut être approprié d’attribuer des « émotions » à Dieu, l’impassibilité (ou l’apathie divine) exclut celles qui ne lui conviennent pas. Par exemple, lorsque nous parlons de Dieu en tant qu’amour, nous parlons bel et bien d’un Dieu passionné. Mais il s’agit d’une passion impassible, d’un amour qui n’est pas dicté par le monde extérieur. En d’autres termes, Dieu n’est pas soumis à des passions vives comme nous le sommes. Apatheia est une autre façon de parler de l’immuabilité et de la constance de l’affection de Dieu pour tout ce qu’il est et tout ce qu’il a fait.

Selon certains penseurs de l’Église ancienne, l’apathie humaine est un état vertueux et une image de la vertu de Dieu lui-même. Une personne marquée par l’apatheia a maîtrisé ses passions par la discipline et a atteint un véritable amour de Dieu. Selon Évagre le Pontique, un moine du quatrième siècle, « l’amour est le fruit de l’impassibilité ». L’apatheia était quelque chose à rechercher, l’aboutissement d’une vie réfléchie, chaste et bien ordonnée.

Pourtant, le type d’apathie auquel nous sommes confrontés aujourd’hui ne consiste pas à essayer consciemment de s’endurcir contre les hauts et les bas de la vie ou à tenter de cultiver un détachement du monde qui produise un amour pour Dieu. Le concept du christianisme primitif qui, je crois, se rapproche le plus de ce que nous appelons apathie dans mon contexte n’est pas apatheia, mais un autre terme moins reluisant : la paresse (ou acédie).

Le mot de paresseux nous évoque peut-être à une créature arboricole qui se déplace lentement ou quelqu’un qui passerait toute la journée en pyjama à manger des pots de glace sur le canapé. Cependant, les chrétiens ont décrit avec bien plus de richesse ce qu’est la paresse.

Le terme acédie dérive d’un mot grec qui signifie littéralement « indifférence, léthargie, épuisement ou apathie ». L’un des penseurs les plus anciens et les plus influents sur l’acédie est également Évagre le Pontique. Il est connu pour avoir dressé une liste de huit tentations mortelles, qui a ensuite évolué vers ce que nous connaissons sous le nom de sept péchés capitaux. Bien que ce personnage soit inconnu de beaucoup d’entre nous, ses réflexions sont très éclairantes sur les dimensions spirituelles de l’apathie :

L’acédie est une compagne insaisissable qui égare nos pas, la haine de l’assiduité, une lutte contre le calme, un temps orageux pour la psalmodie, une paresse dans la prière, un relâchement de l’ascèse, une somnolence intempestive, un sommeil agité, une oppression de la solitude, une haine de sa cellule, un ennemi des œuvres ascétiques, un adversaire de la persévérance, un musellement de la méditation, une ignorance des Écritures, un associé du chagrin.

L’acédie est un compagnon de tous les instants. Elle cible les pratiques spirituelles censées nous apporter la vie, comme la prière, le calme, la lecture des Écritures, le travail acharné et la persévérance dans le bien. Dans ses instructions pratiques aux moines sur les différents vices, Évagre consacre plus d’espace à la description de l’acédie qu’à tout autre vice.

De même, un autre moine et penseur important, Jean Cassien, décrit l’acédie comme une agitation qui nous pousse à poursuivre tout sauf nos devoirs les plus importants. L’acédie nous distrait. Elle nous rend paresseux et léthargiques face à nos responsabilités spirituelles et pratiques. C’est une paresse sélective qui rend tout le reste attrayant.

Une autrice récente, Nicole M. Roccas, résume bien ce qu’est l’acédie dans Time and Despondency, en soulignant qu’elle peut prendre différentes formes chez différentes personnes. Elle peut par exemple se manifester par (1) l’agitation, l’incapacité à terminer un livre, à prier pendant un certain temps ou à terminer une tâche ; (2) une productivité accompagnée de ressentiment ou d’ennui par rapport aux choses que l’on fait ; ou (3) une tendance à dormir, manger, s’inquiéter et se distraire.

Le fil conducteur de ces différentes manifestations est le manque de sens ou l’absence de but. Les choses sont soit laissées en suspens, soit faites pour de mauvaises raisons, soit faites sans aucun but. Comme l’observe Rebecca Konyndyk DeYoung dans Glittering Vices, le cœur est engourdi à l’égard des « exigences de l’amour », les choses auxquelles Dieu nous a appelés.

Dans Creed or Chaos? Dorothy Sayers dépeint l’acédie comme « le péché qui ne croit en rien, ne se soucie de rien, ne cherche à rien savoir, ne se mêle de rien, ne jouit de rien, n’aime rien, ne déteste rien, ne trouve de but en rien, ne vit pour rien et ne reste en vie que parce qu’il n’y a rien pour quoi il voudrait mourir ». Une indifférence privée de but, sans objectif.

L’acédie, telle que les chrétiens l’ont pensée à travers les âges, est réellement une notion utile pour comprendre ce que nous désignons parfois aujourd’hui comme apathie. Dans le diagnostic de l’âme qu’elle permet, elle indique que ce qui se passe en nous n’est pas seulement psychologique ou émotionnel, mais aussi spirituel. L’acédie semble en effet surtout se caractériser par sa résistance à ce qui est spirituel. N’est-ce pas ce que nous trouvons si troublant dans nos apathies ?

D’importantes recherches psychiatriques ont été menées sur l’apathie, notamment chez les personnes atteintes de maladies graves comme les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson.

Toutefois, ces recherches pourraient avoir des applications plus larges pour tous ceux qui tentent de donner un sens à l’apathie. L’une des définitions les plus couramment citées décrit l’apathie comme un manque de motivation qui « n’est pas attribuable à une diminution du niveau de conscience, à un déficit intellectuel ou à une détresse émotionnelle ».

Lorsque le manque de motivation s’accompagne d’une absence d’effort, d’un manque d’intérêt pour l’apprentissage ou d’une absence d’émotion, alors le patient peut être diagnostiqué cliniquement comme souffrant d’une véritable maladie. Certains patients décrivent simplement l’apathie comme « la disparition de l’envie de se lever et de se mettre en route » ou « l’étincelle qui manque ». Ces formules expriment très bien un sentiment que beaucoup d’entre nous connaissent aussi.

Cependant, l’intérêt de ces précisions cliniques réside dans le fait que, à mesure que nous parvenons à mieux définir la maladie, nous apprenons à mieux la traiter. Par exemple, l’apathie recoupe d’autres affections, comme la dépression.

Par ailleurs, les études sur l’apathie ont permis de préciser les différents facteurs qui y contribuent, comme les facteurs environnementaux ou biologiques. Ainsi, les immigrants ou les membres de minorités ethniques s’adaptent parfois aux différences de culture ou de langue en devenant apathiques. Le changement de culture, ou le sentiment d’être isolé au sein d’une culture, interfère avec la poursuite de leurs valeurs ou objectifs, et l’apathie n’est qu’une façon de faire face ou de s’adapter à leur environnement.

Des études montrent également que le type d’apathie qui nous préoccupe est en grande partie une réaction acquise au monde. Ce n’est pas nécessairement quelque chose que l’on aurait de naissance, ni par conséquent quelque chose que l’on serait destiné à endurer pour le reste de sa vie. Des personnes relativement saines, mais apathiques ont perdu tout intérêt pour certaines choses, mais seulement pour certaines. Le psychologue Robert S. Marin définit les formes typiques d’apathie comme une « apathie sélective ».

Notre apathie est l’exact opposé de l’apathie que nos ancêtres louaient.

Qu’est-ce alors que l’apathie ? Quel est précisément cet ennemi qui se dresse contre nous ? Nous sommes à des kilomètres (et des centaines d’années) de la vertu antique de l’apatheia. Notre apathie est l’exact opposé de l’apathie que nos ancêtres louaient. La nôtre est sans amour, la leur était définie par l’amour. La nôtre dénonce l’autodiscipline, la leur l’exigeait.

L’apathie en question n’est ni une dépression profonde, ni un désespoir, ni un découragement. Il ne s’agit pas du mouvement mystérieux du chrétien fidèle qui tâtonne dans l’obscurité vers Dieu. Il s’agit plutôt d’une posture intermédiaire qui oscille entre confusion et désengagement.

L’apathie, comme la littérature psychologique nous l’a fait comprendre, est au fond un déficit de motivation, d’effort, d’intérêt, d’initiative et de désir envers des choses que nous trouvions autrefois importantes. Il s’agit d’un trouble psychologique, peut-être pas de la même ampleur que la dépression clinique, mais tout de même handicapant à sa manière. L’acédie ne fait que décrire le désintérêt que nous éprouvons à l’égard des choses de l’Esprit ; elle donne un nom à la dimension spirituelle de l’apathie.

L’apathie est une maladie psychologique et spirituelle qui se traduit par une baisse prolongée de la motivation, des efforts et des ressentis, ainsi que par une résistance à ce qui pourrait favoriser notre épanouissement et celui des autres.

Dans ce qu’elle a de pécheur, elle s’exprime par l’agitation, le manque de but, la paresse et le manque de joie à l’égard des choses de Dieu. Il ne s’agit pas d’un comportement d’adulte très mature qui serait devenu trop « cool » pour se préoccuper des choses. C’est un problème.

L’Écriture parle du péché comme d’une maladie qui se propage à tous les hommes à partir de sa source en Adam (Rm 5.12) et subsiste en nous, produisant toutes sortes de maux (7.8, 20). Elle déclare également que nous sommes esclaves du péché et que nous devons être libérés de cette captivité (Jn 8.34-36 ; Rm 6.6). Enfin, le péché est décrit comme contraire à la loi (1 Jn 3.4), entraînant la condamnation (Rm 5.18 ; 6.23), et nécessitant une expiation (3.23-25 ; 1 Jn 2.2).

Dans Not the Way It's Supposed to Be, Cornelius Plantinga décrit le péché comme le « saccage » du shalom. Le shalom, d’un point de vue biblique, désigne « épanouissement, plénitude et plaisir universels » — la façon dont les choses devaient être. Nous violons le shalom lorsque nous nous opposons à l’ordre bon que Dieu a établi. Nous le renversons lorsque nous vivons d’une manière qui nuit à notre bien-être et à la joie des autres. Et parce que le shalom concerne en définitive notre relation avec notre créateur, son saccage est dirigé contre Dieu.

Comme l’écrit Plantinga,

Le péché n’est pas seulement la violation de la loi, mais aussi la rupture de l’alliance avec son sauveur. Le péché est la dégradation d’une relation, le deuil de son parent et bienfaiteur divin, la trahison du partenaire auquel on est uni par un lien sacré.

Cette dégradation se produit à travers nos actions et nos attitudes. L’apathie est une maladie de l’âme ; il s’agit d’une déformation du cœur qui doit être guérie. L’apathie, telle que beaucoup d’entre nous la vivent, est une forme de servitude. Nous ne parvenons pas à nous en extraire et nous cédons régulièrement à ses avances.

En définitive, l’apathie, en tant que refus d’aimer celui qui est le plus aimable, est un crime moral et spirituel. C’est un péché au sens le plus fondamental du terme. Ses origines sont peut-être mystérieuses, mais son orientation ne l’est pas. Il s’agit d’une froideur à l’égard de Dieu et d’une indifférence à l’égard des choses qui apportent le shalom — deux choses qui doivent être pardonnées, combattues et guéries.

Nous devrions pleurer notre apathie, mais nous ne la pleurerons pas comme ceux qui n’ont pas d’espérance. Même dans notre apathie, Dieu est avec nous et pour nous.

Uche Anizor est professeur associé de théologie à la Talbot School of Theology. Texte extrait de Overcoming Apathy : Gospel Hope for Those Who Struggle to Care par Uche Anizor ©2022. Utilisé avec la permission de Crossway, un ministère éditorial de Good News Publishers.

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Les enseignants ne devraient pas être inquiets à propos de l’IA

Les applications d’intelligence artificielle comme ChatGPT nous ramènent à la nature holistique de l’éducation.

Christianity Today January 30, 2023
Illustration de Mallory Rentsch/Images sources : Getty

La technologie et les machines ont depuis longtemps dépassé l’être humain en matière de force, de vitesse et d’efficacité. Mais ChatGPT, récemment mis en ligne par OpenAI, est un agent conversationnel (chatbot) basé sur l’intelligence artificielle qui, au-delà des précédentes avancées technologiques, semble se rapprocher de l’intelligence humaine d’une manière qui n’a d’égal que dans la science-fiction.

D’une manière générale, ChatGPT peut effectuer une grande partie du travail effectué dans les établissements d’enseignement modernes. Cela a donné lieu à une série d’articles aux titres alarmistes comme « La peur de chatGPT, » « Tout le monde va-t-il devenir un tricheur ? » Ou encore « L’essai universitaire est mort ». Un article récent s’ouvre sur cette prévision inquiétante : « Les professeurs, les programmeurs et les journalistes pourraient tous se retrouver au chômage dans quelques années. »

Face à sa capacité déconcertante à remettre en question les éléments fondamentaux de l’éducation, tels que les devoirs et les rédactions, beaucoup s’empressent de souligner les limites de ChatGPT afin de prouver que le cerveau humain est toujours supérieur à une IA de plus en plus intelligente. Pourtant, si les modèles de dialogue comme ChatGPT présentent encore des lacunes et des bizarreries, ils deviendront sans aucun doute plus « intelligents » et adaptatifs avec le temps.

La capacité de ChatGPT à organiser les informations et les connaissances est un défi pour notre approche de la formation, de l’école élémentaire à l’enseignement supérieur. Plus précisément, la menace de l’IA est proportionnelle à la manière dont nous définissons la formation.

Comme l’écrit Amit Katwala pour le site Wired, l’éducation moderne est souvent structurée pour enseigner aux gens une seule compétence : collecter et transmettre des informations. Et en ce sens, il y a de quoi se faire du souci. Dans la mesure où l’éducation est réduite à l’absorption et à la régurgitation d’informations, des IA comme ChatGPT et d’autres modèles de dialogue adaptatifs continueront à bousculer les humains et à reconfigurer radicalement les fondamentaux des établissements d’enseignement.

Mais est-ce la bonne façon de caractériser l’éducation ? Est-ce bien là le rôle d’un enseignant ?

Tout comme les craintes concernant l’automatisation et le travail humain révèlent une vision appauvrie de ce qu’est l’humain, les craintes concernant l’intelligence artificielle et l’enseignement révèlent une vision appauvrie de l’éducation. Si l’éducation relève simplement de la transmission d’informations, alors l’IA avancée pourrait très bien sonner le glas de l’enseignement et des systèmes d’instruction traditionnels.

Si, toutefois, les institutions éducatives existent pour offrir un véritable développement de leurs étudiants — leur intellect, leur caractère, leur moralité, leur sagesse, leur jugement, leur prudence, leur esprit de service, leur capacité et leur compréhension unifiée du monde dans lequel ils vivent et de la façon dont ils agissent en son sein (et je pense ici en particulier aux institutions chrétiennes) — les institutions éducatives auront toujours de l’importance pour la société, même dans une société de plus en plus occupée par l’IA.

Dans L’Éthique à Nicomaque, Aristote affirme que le but de l’éducation était d’enseigner à l’étudiant des affections, des désirs et des impulsions bien ordonnés ; recevoir le plaisir et la douleur d’objets appropriés était ce qui constituait une « éducation appropriée ».

G. K. Chesterton renvoie lui à une éducation qui nous donnerait des « normes abstraites et éternelles » pour juger des conditions éphémères. La philosophe française Simone Weil disait que l’éducation vise à former l’attention : voir au-delà du sujet et ordonner nos esprits et nos cœurs à des choses plus élevées.

Ainsi compris, l’enseignement et l’éducation ne doivent pas être dissociés de leur véritable sens, qui comporte une dimension morale distincte.

« Si nous sommes disposés à juger indépendamment des grandes questions », écrit Wendell Berry dans son essai The Loss of the University, « alors un bon faussaire a tout autant droit à notre respect qu’un bon artiste ». Ou, comme l’éthicienne Martha Nussbaum l’écrit : « Un bon médecin est aussi un bon empoisonneur. »

En d’autres termes, la différence entre un médecin qui sauve des vies et un empoisonneur qui tue, ou entre un artiste compétent et un maître faussaire, ne réside pas dans la possession d’un savoir ou d’une compétence, mais dans sa juste application.

Pour reprendre l’expression de Berry, aborder les « grandes questions » de la vie devrait faire partie de tout programme éducatif complet. L’entreprise d’apprentissage ne consiste pas seulement à optimiser les compétences en vue d’un objectif final ou d’une valeur, mais aussi à hiérarchiser les valeurs.

Oui, les écoles doivent enseigner des compétences techniques, favoriser le potentiel social et économique des élèves et les préparer à constituer une main-d’œuvre dynamique. Mais dans son sens le plus noble, l’éducation n’existe pas uniquement pour la préparation à l’emploi. Il s’agit de fournir aux étudiants un centre unificateur pour les différentes disciplines académiques — transmettre le but que servent les connaissances, les compétences et le savoir-faire.

Voilà une éducation digne de ce nom.

L’ancien président de Google, Eric Schmidt, déclarait qu’en donnant à Google un plus grand accès à vos informations personnelles, le célèbre moteur de recherche pouvait « vous rendre plus intelligent ». Mais Google ou toute autre technologie d’IA adaptative peuvent-ils vous rendre meilleur ? Plus empathique ? Désintéressé ? Vertueux ?

La connaissance ne suffit pas à former la sagesse, le jugement, la prudence et l’excellence morale. On peut être, pour utiliser une expression utilisée autrefois par Molière, un « sot savant ». Ou comme Walker Percy le rappelait, vous pouvez n’avoir que de bonnes notes et « rater la vie ordinaire ».

Pour cette raison, le professeur Rick Reis de l’université de Stanford considère que les enseignants devraient viser la création d’un « inconfort productif » : susciter la crainte chez les élèves parce qu’ils « ne peuvent pas exprimer clairement […] les valeurs qui guident leur vie, ou parce que leurs valeurs et leurs croyances ne résistent pas à un examen approfondi ».

Sur ce dernier point, une éducation holistique et unifiante en dit long sur les enseignants qui la dispensent. Comme la plupart des gens peuvent en témoigner, les enseignants qui ont un impact ne sont pas simplement des communicateurs intelligents et diplômés capables de transmettre efficacement un concept ou d’enseigner une compétence — ils sont bien plus que cela. Les bons enseignants se soucient de leurs élèves et s’intéressent à eux, mettent en valeur leur potentiel, élargissent leurs horizons imaginatifs et les inspirent.

Bien que certains aient tenté d’utiliser l’IA dans des contextes éducatifs pour créer une communauté empathique, l’IA ne peut pas faire preuve d’empathie comme le ferait un enseignant.

Si les enseignants offrent des modèles relationnels et de compassion pour les élèves — en les attirant dans une histoire plus large, en poussant à un « inconfort productif » obligeant à des jugements évaluatifs et à l’exercice d’une force morale (ce que Robert et Edward Skidelsky appellent « l’éducation des sentiments »), l’IA peut changer la façon dont sont faites les évaluations, mais il est peu probable qu’elle change ce qu’est l’entreprise de l’enseignement.

Il y a quelques années, alors que je faisais mes études supérieures dans un établissement écossais, j’ai eu le privilège d’avoir comme professeur le célèbre bibliste Richard Bauckham. Nous devions rédiger cinq articles pour le semestre, tous notés sur une échelle de 20 points. Les devoirs ne recevraient que rarement, voire jamais, une note supérieure à 18, dans l’idée qu’il n’existe pas d’article « parfait ».

Mon premier devoir reçut la note de 17,5, soit la note la plus élevée que j’avais reçue dans le programme. À ce moment-là, j’étais convaincu d’avoir « cassé le code » du système d’évaluation britannique et des éléments de rédaction nécessaires pour obtenir une note élevée. À ma grande surprise, cependant, la note de mon devoir suivant était plus basse. La suivante, plus basse encore. Pour tout le reste du semestre, la tendance à la baisse de mes notes se poursuivit.

Lors d’une session d’échanges de fin de semestre avec le professeur, j’ai pris la parole. « J’ai conservé la même qualité d’écriture, le même volume de sources et le même type d’argumentation », ai-je expliqué. « Je répondais aux critères énoncés. J’ai fait ce qui était demandé. Pourquoi mes notes étaient-elles plus basses à chaque devoir ? »

Je n’oublierai jamais la réponse de Bauckham. Après avoir patiemment supporté mon plaidoyer, il m’a calmement déclaré : « Si vous n’avez pas reçu une note favorable sur un devoir, c’est parce que vous ne m’avez pas ébloui. »

À l’époque, j’étais ennuyé. Comment étais-je censé « éblouir » un érudit de renommée mondiale ? Était-ce vraiment sur cela que j’étais noté ?

Aujourd’hui, en tant qu’enseignant, je vois cet échange de manière bien différente. Bauckham ne voulait pas simplement que les étudiants suivent un modèle et reproduisent des informations. Il n’était pas seulement à la recherche de performances. Démontrer sa compréhension et ses compétences était important, mais pas suffisant. Il voulait entendre une voix d’auteur et une originalité qui fasse progresser les connaissances par une argumentation raisonnée.

L’intelligence artificielle comme ChatGPT et ses futures variantes avancées continueront de susciter à la fois l’émerveillement et la crainte. Mais bien qu’impressionnantes, elles ne peuvent pas éblouir à la manière décrite par Bauckham. Ceci exprime les possibilités qui restent à l’enseignement moderne.

Il y a donc pour moi des raisons d’être encouragé.

Premièrement, la technologie peut être utilisée à des fins bénéfiques. L’intelligence artificielle peut réduire les coûts de l’enseignement. Elle peut élargir l’accès à l’éducation à un plus grand nombre d’apprenants. L’IA peut aider les étudiants à réfléchir à des sujets de recherche ou à envisager d’autres perspectives. Elle peut même être utilisée comme outil pour partager l’Évangile. Mais comme prévient Wendell Berry, les problèmes proviennent de notre « volonté de permettre aux machines […] de prescrire les termes et conditions » de nos vies.

En d’autres termes, l’IA est un bon serviteur, mais un mauvais maître.

Quelque chose d’autre encore m’encourage : l’avenir de l’enseignement. Le développement des capacités de l’IA obligera les institutions à définir, décrire et pratiquer l’enseignement d’une manière qui reflète une vision plus holistique de l’apprentissage formel.

Si les enseignants sont considérés comme des gardiens de l’information, ils sont déjà obsolètes. Si l’éducation se résume à la mémorisation par cœur, à la régurgitation d’informations, au calcul de données et à la démonstration de compétences, elle devra bientôt être radicalement redéfinie.

L’IA ne fera que croître dans sa capacité à assembler les informations avec précision. Mais une éducation holistique offre un enseignement et un apprentissage dispensés par un éducateur empathique qui cherche à situer les connaissances et les compétences dans un contexte plus large et unifié et à évaluer leur juste application.

Le poète John Keats mettait en garde contre une éducation réductionniste qui « agraferait les ailes d’un ange » ou « détisserait un arc-en-ciel ». Pour cette raison, C. S. Lewis affirme que la tâche d’un éducateur n’est « pas de défricher des jungles, mais d’irriguer des déserts ».

Ce type de formation n’est pas seulement suffisamment robuste pour résister au dynamisme de la technologie, mais il constituera aussi un outil de plus en plus important pour cultiver les esprits, les cœurs et les mains des citoyens de demain (y compris pour ce qui est de notre citoyenneté dans la Cité de Dieu).

Les établissements d’enseignement qui adoptent cette vision seront capables de nous éblouir d’une manière qui ne peut être reproduite artificiellement.

Kevin Brown est le 18e président de l’université d’Asbury.

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

« Maudis donc Dieu et meurs ! » Pourrions-nous aussi comprendre la femme de Job ?

Ses paroles lui ont valu bien des condamnations, mais elles nous encouragent à prêter plus d’attention aux proches de ceux qui souffrent, comme à ces derniers.

Christianity Today January 26, 2023
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: WikiMedia Commons / Getty / Unsplash

Après une première en 2021 (retrouvez ici l'article gagnant), a eu lieu en 2022 la seconde édition de notre concours d'écriture destiné aux chrétiens francophones du monde entier.

Un grand merci à tous les participants qui ont nourri ce concours de leurs précieuses idées ! Nous avons soigneusement examiné les textes reçus et les avons fait évaluer anonymement par une équipe de trois nouveaux juges :

• Lesly Jules, États-Unis/Haïti : Apologète, auteur de « Objections Rejetées : Une Approche Apologétique Classique » et spécialiste en management.

• Marjorie Legendre, France : Pasteur en région parisienne et professeur d'éthique à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine (FLTE).

• Fara Daniel Tolno, Guinée : Pasteur et professeur d’apologétique et de missiologie à l’Institut de théologie évangélique de Conakry (ITEC)

Nous remercions chaleureusement chacun d'eux pour leur précieuse contribution !

Aujourd'hui, nous sommes ravis de présenter l'article vainqueur à nos lecteurs, et nous adressons toutes nos félicitations à la gagnante, Mélodie Kauffmann, qui nous écrit de France !

Vous pouvez retrouver toutes les informations sur la possibilité d'écrire pour nous sur notre page dédiée.

Morgan Lee, CT Global managing editor, États-Unis (Hawaï)
Léo Lehmann, directeur éditorial pour le français, Belgique

Après avoir vu son mari perdre sa fortune, sa famille et sa santé, Madame Job est à bout. « Tu restes ferme dans ton intégrité », dit-elle à son mari. « Maudis donc Dieu et meurs ! »

Madame Job… Elle en a choqué plus d’un ! Certains commentateurs et prédicateurs ne sont pas tendres avec elle : une femme faible, amère, aigrie, qui pousse son mari à blasphémer, voire carrément un « instrument de Satan », comme le dit Calvin dans l’un de ses sermons sur le livre de Job.

Pourtant, du fait de ma profession d’infirmière, son cri m’évoque une autre souffrance bien réelle, même si elle aussi peine parfois à être entendue : la profonde souffrance des proches du malade.

« Tu demeures ferme dans ton intégrité ! Maudis donc Dieu et meurs ! » (Job 2.9) Replaçons un peu les paroles de Madame Job dans leur contexte.

Ces quelques mots sont la seule intervention de la femme de Job qui nous soit rapportée. C’est la seule fois qu’elle apparaît dans ce livre, plutôt long par ailleurs. On ne sait pas grand-chose sur elle. Même son prénom nous est inconnu.

On sait pourtant que c’est la femme du « héros ». Un homme décrit comme « intègre et droit », qui « craignait Dieu et s’écartait du mal » (1.1). Très (très) riche, une dizaine d’enfants, il était « le plus grand de tous les fils de l’Orient » (1.3).

Au moment où commence l’histoire, le narrateur nous le présente clairement comme un homme à la fois respectable et respecté.

On peut donc en déduire que Madame Job est une femme de la haute société, probablement aussi influente que son riche mari. Mère de famille nombreuse, gérante de la maisonnée, elle est habituée à un certain style de vie. On ne connait pas son degré de foi, mais rien ne laisse à penser qu’elle ne respecte pas le Dieu de son mari, et ne suit pas ses pratiques religieuses.

Et soudain, en quelques versets, son mari va perdre coup sur coup ses troupeaux et ses richesses (et avec ça son statut social et son pouvoir), ses enfants, ses serviteurs, et enfin sa santé :

« Alors Satan infligea à Job une douloureuse maladie de peau qui s’étendit de la plante des pieds jusqu’au crâne. Job prit un morceau de poterie pour se gratter, et resta assis au milieu de la cendre. » (Job 2.7-8)

Pour lui, l’expression « pauvre comme Job » ne se limite pas à sa situation financière. Sa souffrance est totale : physique, morale et spirituelle.

Et son épouse est à ses côtés. Au même titre que son mari, elle a sa part de perte à gérer, et un long processus de deuil à parcourir. Elle aussi a perdu ses enfants ! Rien d’étonnant donc à ce qu’elle puisse être révoltée et en colère contre Dieu, comme d’ailleurs Job le sera aussi quelques chapitres plus loin.

Le « détail » qui la différencie de Job, c’est la maladie. Job souffre dans sa chair. Pas elle. Mais cet élément change beaucoup de choses. Il lui épargne bien sûr certaines souffrances physiques, mais il la place aussi dans une situation similaire à celle de ceux qu’en France nous appelons « aidants » : un membre de la famille (souvent le conjoint ou l’un des enfants) qui devient à la fois infirmier(e), assistant(e) social(e), auxiliaire de vie, accompagnateur, etc.

La chose est en réalité universelle, et on retrouve bien dans la Bible cette culture du soutien familial. Dans le Nouveau Testament par exemple, ce sera chez sa fille et son beau-fils que la belle-mère de Pierre trouvera les soins dont elle a besoin (Lc 4.38-39). Face à de lourdes pathologies, ce genre de situation peut se transformer en un job à temps plein, sans temps mort, 24 h/24 h.

Comme si le tsunami qui vient de heurter sa vie et son couple ne suffisait pas, la femme de Job doit gérer le fait de voir son mari souffrir le martyr, probablement sans rien pouvoir faire pour le soulager. Cette impuissance qui tord les boyaux face à un proche atteint d’une pathologie longue, douloureuse, invalidante, est terrible elle aussi. Elle donne la rage. Contre le monde entier.

« Tu demeures ferme dans ton intégrité ! Maudis donc Dieu et meurs ! » Quel désespoir, quelle colère derrière ces deux phrases !

Je suis révoltée par le cynisme de certains qui, comme l’original anglais du commentaire biblique de Matthew Henry, ne seraient pas loin de penser que si Satan a tout ôté à Job sauf sa femme, c’est pour lui laisser un tourment supplémentaire. On pourrait de nos jours également soupçonner un intérêt financier de la part de quelqu’un évoquant trop ouvertement la mort d’un proche : la chose est évidemment impossible dans le cas de Madame Job. Son mari a tout perdu. Elle n’a aucun intérêt économique à ce qu’il meure. Elle n’aurait plus aucune perspective.

Dans ses mots terribles, peut-être est-elle simplement une femme impuissante, qui ne supporte pas de voir son mari souffrir autant. Et ça, c’est de l’amour. Maladroit, mal placé, sans recul… Peut-être. Mais de l’amour. Ou au moins de la compassion. Elle le pousserait à mettre fin à ses jours rapidement plutôt que d’agoniser pendant longtemps. Histoire d’en finir.

Par sa réaction, même difficile à entendre, Madame Job nous pousse à nous pencher sur la question des proches du malade, qui souffrent aussi, mais autrement. Son « mets fin à tes souffrances » exprimerait-il, même maladroitement, quelque chose des émotions complexes qui peuvent parfois les traverser ? Sans préjuger d’un quelconque passage à l’action, pourrions-nous l’entendre ? Il est précieux que les proches du malade puissent aussi être entendus par ceux qui les entourent. Que leurs propos soient ou non aussi radicaux que ceux de Madame Job, eux aussi ont besoin d’être accompagnés.

Ce « mets fin à tes souffrances » m’évoque aussi la question contemporaine de l’euthanasie. Il ne s’agit pas ici de justifier le geste, ni d’en tirer une éventuelle législation (l’euthanasie est interdite en France), mais plutôt d’entendre et comprendre l’émotion qui se cache derrière.

Madame Job est profondément humaine et, à ce titre, ses émotions devraient être entendables.

Job réagit vivement à ce que dit sa femme, comme nous peut-être, mais Dieu, lui, ne fera aucun commentaire à son propos. Dans tout cela, « Job ne pécha pas dans ses paroles », nous dit le texte (v. 10). Dieu ne condamne pas non plus les propos de sa femme, alors qu’il réprimandera sévèrement les amis de Job pour leurs discours (Job 42.7-9).

Je crois possible de discerner dans ce silence et ce non-jugement de Dieu qu’il entend et respecte la douleur de l’aidante principale. Il accueille ses émotions, son humanité et ses limites. Il offre par là peut-être simplement un espace pour la réflexion et ouvre à un autre éclairage sur cette question sensible de la souffrance et de la fin de vie.

Nombreuses sont les questions d’éthique qui suscitent en nous de vives réactions, voire d’immédiates condamnations. Quel que soit le sujet, avant de monter au créneau en brandissant farouchement des interdits et des jugements, ne faudrait-il pas prendre un peu de recul, et essayer de comprendre les émotions qui habitent ceux que nous jugeons si facilement ?

L’exemple de Dieu dans ce passage a de quoi nous inspirer. Il vaut souvent mieux se taire dans un premier temps plutôt que d’envenimer conversations et relations ; prendre le temps de discerner ce qui se cache derrière certaines positions.

Dans mon travail, je me rends bien compte que lorsque les gens évoquent pour eux-mêmes la possibilité de l’euthanasie, ce n’est que rarement parce qu’ils ont envie de mourir, pas plus que leurs proches n’ont envie de les voir partir.

Ils ont souvent plutôt peur : peur de souffrir, de vieillir, etc. Ou ils souffrent déjà et ont envie que cela s’arrête. La mort apparaît comme la seule solution. Si cette réalité peut être verbalisée, la conversation peut s’orienter autrement, et s’enrichir. On quitte la binarité d’un débat qui ne connaîtrait que « c’est bien » et « c’est mal » pour entrer véritablement dans le vécu de ceux avec qui nous voulons cheminer. Le patient, les proches et le personnel médical ont alors la possibilité d’envisager ensemble d’autres options dans la diversité des formes d’accompagnement de la souffrance et de la fin de vie.

De nombreux textes bibliques, que cela soit dans les Psaumes ou les écrits des prophètes, nous laissent voir que Dieu est prêt à entendre bien des choses, alors même qu’elles titillent nos oreilles et nous dérangent. La souffrance s’exprime parfois violemment, ou dans des termes qui nous heurtent. Qu’il s’agisse des malades ou de ceux qui les entourent, quelle oreille offrons-nous à ceux qui souffrent ? Écouter vraiment, pour essayer de comprendre, ne nous engage pas à cautionner les choix qui pourraient être posés.

Cette brève intervention de Madame Job, la révolte qu’elle exprime, a quelque chose de très humain qu’il nous serait dommageable de rejeter d’emblée. Quoi que l’on en fasse au bout du compte, nous avons besoin de l’entendre, pour mieux comprendre nos propres histoires, et celles de ceux qui nous entourent. Ce livre de Job nous parle de crise, de perte, de deuil, de maladie, des réactions qui s’ensuivent, mais aussi de l’accompagnement par les proches, l’épouse ou les amis dans les moments les plus difficiles.

Et Dieu ? Malgré son long silence, il est là dans sa grâce, prêt à entendre notre tristesse, notre colère, notre impuissance et notre souffrance.

Mélodie Kauffmann est infirmière en soins intensifs de cardiologie à Strasbourg. Elle suit en parallèle des cours à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine (FLTE)

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Books

Attaque terroriste contre une Église congolaise et appel au soutien des chrétiens

Dans un Congo en proie à de nombreux troubles, un groupe rattaché à l’État islamique frappe des chrétiens pentecôtistes dans la ville de Kasindi.

Conséquences d’une attaque terroriste des ADF contre une Église pentecôtiste à Kasindi, dans la province du Nord-Kivu de la République démocratique du Congo (RDC), le 16 janvier 2023.

Conséquences d’une attaque terroriste des ADF contre une Église pentecôtiste à Kasindi, dans la province du Nord-Kivu de la République démocratique du Congo (RDC), le 16 janvier 2023.

Christianity Today January 23, 2023
Zanem Nety Zaidi/Xinhua/Getty Images

Des chrétiens congolais lancent un appel à l’aide.

Dans une nouvelle attaque contre des civils en République démocratique du Congo (RDC), un attentat terroriste a tué 14 personnes et en a blessé 63 autres lors d’un culte de baptêmes dans une Église pentecôtiste à Kasindi. Située dans la province montagneuse du Nord-Kivu, à la frontière avec l’Ouganda, la région du nord-est est déjà officiellement en « état de siège », statut similaire à l’état d’urgence, depuis 2021.

« L’est du Congo est devenu un théâtre de l’extrémisme violent », rapporte Eale Bosela, directeur régional de l’Association pour l’éducation théologique chrétienne en Afrique. « Les gens sont massacrés comme des animaux. »

L’attentat à la bombe a été imputé aux Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe affilié à la province d’Afrique centrale de l’État islamique, qui en a revendiqué la responsabilité. Formé à son origine en 1995 de rebelles djihadistes et d’insurgés, il s’agit de l’un des plus de 120 groupes armés du Nord-Kivu.

De nombreux Congolais étaient confus et troublés.

« Comment une telle situation peut-elle se produire », demande Kiza Kivua, un agriculteur de 50 ans qui a perdu son frère dans l’attaque, « alors que Kasindi est remplie de soldats ? »

Avec un nombre de combattants estimé à 500 ou plus, les ADF étaient autrefois principalement motivées par leur opposition à Yoweri Museveni, président de l’Ouganda depuis 1986. Poussé au-delà de la frontière, le groupe armé compte désormais une majorité de membres congolais et de nombreuses recrues étrangères.

Un ressortissant kenyan a été arrêté par la RDC dans l’enquête sur cet attentat.

« Comme tant d’autres groupes, les ADF ont trouvé refuge dans la région », explique Scott Morgan, président du groupe de travail Afrique de l’International Religious Freedom Roundtable. « Mais à présent, ils ont adopté pour principe de s’attaquer aux chrétiens. »

Ils ne sont pas les seuls.

D’autres groupes armés comme le M23 et la CODECO ont attaqué des Églises, rapporte Scott Morgan, également analyste pour Militant Wire. Mais les ADF ont été parmi les plus belliqueux. La Conférence épiscopale nationale du Congo a comptabilisé 6 000 civils tués, 7 500 kidnappings et 3 millions de déplacés depuis 2013. Un rapport des Nations Unies dénombrait 370 civils tués depuis avril dernier.

La violence freine le témoignage chrétien. Une dénomination congolaise qui comptait autrefois 54 Églises dans la région en est aujourd’hui réduite à onze. Un autre comptait 25 Églises, et n’en a plus que huit.

Le département d’État américain a qualifié les ADF d’organisation terroriste étrangère en 2021. Mais Scott Morgan appelle à ce qu’elles soient à nouveau désignées comme « entité particulièrement préoccupante », une étiquette appliquée aux États-Unis en vertu de l’International Religious Freedom Act aux groupes qui se livrent à des persécutions religieuses.

L’Église du Christ au Congo (ECC) a lancé un appel à Dieu.

« Seigneur, jusqu’à quand nous oublieras-tu ? » commence son communiqué, citant le psaume 13. Ce groupe de coordination est celui dont fait partie la Communauté des Églises Pentecôtistes d’Afrique Centrale (CEPAC), et réunit plus de 60 dénominations protestantes. L’ECC a dénoncé un acte « lâche et méprisable », demandant au gouvernement de « redoubler » ses efforts dans la zone déjà déclarée en état de siège.

Le Congo est connu comme une zone de conflit minier depuis au moins 2003.

Un rapport cartographique des Nations unies a répertorié les riches ressources naturelles du pays, qui produit 10 % du cuivre et 17 % des diamants du monde. Mais l’industrie électronique dépend encore plus du Congo. Les ordinateurs et les téléphones portables dépendent du cobalt, dont 34 % de la production mondiale est extraite dans la région. Et un pourcentage stupéfiant de 60 à 80 % des réserves de coltan se trouve au Nord et au Sud-Kivu.

Le rapport énumère également 125 entreprises et individus impliqués dans ces conflits.

« Que le Seigneur nous aide à réfléchir en profondeur sur la conspiration qui pèse contre notre nation », conclut le communiqué de l’ECC.

De nombreux chrétiens locaux jugent la situation de manière analogue, voire plus sévère.

« C’en est trop », déclare Fohle Lygunda, responsable de la théologie et de l’engagement du réseau Tearfund pour l’Afrique. « La communauté internationale doit rompre son silence coupable et cesser de soutenir un plan diabolique de balkanisation de la RDC. »

Fohle Lygunda appelle les chrétiens à agir aujourd’hui comme les missionnaires protestants qui amenèrent les Anglais et les Américains à s’élever contre le roi colonisateur Léopold II de Belgique au début du 20e siècle.

Certaines organisations chrétiennes attirent l’attention sur la tragédie en cours.

Voice of the Martyrs a récemment qualifié la RDC de nation « hostile » dans son guide de prière 2023, publié début janvier. En décembre, l’association Aide à l’Église en détresse a souligné le meurtre de prêtres et de religieuses congolais dans son rapport sur l’année 2022. Et la semaine dernière, Portes Ouvertes a classé le pays au 37e rang de son Index mondial 2023 des 50 pays où les chrétiens sont le plus persécutés.

Le pape François, qui se rendra en RDC à partir du 31 janvier, a présenté ses condoléances.

« Christ, Seigneur de la vie », a-t-il prié, « que les personnes concernées trouvent consolation et confiance en Dieu ».

En préparation de sa visite, François a rencontré en décembre Denis Mukwege, le prix Nobel de la paix congolais, gynécologue célèbre pour son travail médical auprès des victimes de viols et son combat contre les violences sexuelles.

En tant que pentecôtiste, son hôpital du Sud-Kivu est affilié à la CEPAC.

« [Cette attaque] ne peut en aucun cas être traitée comme un simple fait divers », a déclaré Mukwege, « et doit entraîner une réaction forte de l’État afin que chacun puisse exercer sa foi en toute sérénité ».

La population du Congo, qui compte 105 millions d’habitants, est composée d’environ 48 % de protestants, 47 % de catholiques et 5 % de musulmans. Ainsi, des sources nous ont déclaré qu’elles espéraient que le corps du Christ serait sensible à cet appel à l’aide.

« Commencez à faire pression sur la communauté internationale pour éradiquer les groupes armés dans l’est du Congo », dit Eale Bosela. « Les terroristes des ADF abattent les gens comme ils abattent les chèvres. »

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Books

Les 50 pays où il est le plus difficile de suivre Jésus en 2023

Les derniers rapports montrent le Nigeria et l’Afrique subsaharienne à l’épicentre de la violence djihadiste, et la Chine en tête des efforts visant à redéfinir les droits religieux.

Christianity Today January 17, 2023
Image: Illustration by Mallory Rentsch / Source Image: Benne Ochs / Getty Images

Plus de 5 600 chrétiens ont été tués pour leur foi l’année dernière. Plus de 2 100 églises ont été attaquées ou fermées.

Plus de 124 000 chrétiens ont été déplacés de force de leurs foyers en raison de leur foi, et près de 15 000 sont devenus réfugiés.

L’Afrique subsaharienne — l’épicentre du christianisme mondial — est désormais aussi l’épicentre de la violence contre les chrétiens, l’extrémisme islamiste s’étant répandu bien au-delà du Nigeria.

La Corée du Nord, elle, est de retour à la première place de l’Index Mondial de Persécution 2023, le dernier classement annuel de Portes Ouvertes des 50 pays où il est le plus dangereux et difficile d’être chrétien.

Le nombre de martyrs et d’attaques d’églises est inférieur à celui du rapport de l’année dernière. Portes Ouvertes souligne cependant le fait qu’il s’agit d’un « nombre minimum absolu » et s’empresse de noter que la diminution des données disponibles ne suggère pas de réelles améliorations en matière de liberté religieuse.

Par exemple, la diminution en Chine est « due en grande partie » au fait que les autorités chinoises ont fermé près de 7 000 Églises au cours des deux années précédentes. Et la « progression » de l’Afghanistan, qui est passé de la première place l’année dernière à la neuvième cette année, « ne donne pas de quoi se réjouir », car elle s’explique par le fait que la plupart des chrétiens afghans « se sont cachés ou ont fui à l’étranger » après la prise du pouvoir par les talibans.

Dans l’ensemble, et comme l’année dernière, 360 millions de chrétiens vivent dans des pays où les niveaux de persécution ou de discrimination sont élevés. Cela représente un chrétien sur sept dans le monde, un sur cinq en Afrique, deux sur cinq en Asie et un sur quinze en Amérique latine.

Et pour la troisième fois seulement en trois décennies de suivi, les 50 pays ont tous obtenu des résultats suffisamment préoccupants pour être classés comme présentant un niveau « très élevé » de persécution dans le classement de Portes Ouvertes établi sur la base de 84 questions. Il en va de même pour cinq autres nations classées juste au-delà de la limite.

L’extrémisme islamique continue de causer le plus de persécutions (31 pays), notamment en Afrique subsaharienne où Portes Ouvertes craint que le Nigeria ne déclenche bientôt « une vaste catastrophe humanitaire » pour tout le continent. Les chercheurs notent également que la Chine a renforcé les restrictions et la surveillance numériques et « forge un réseau de nations cherchant à redéfinir les droits humains — loin des normes universelles et des libertés religieuses ». Un troisième pays d’Amérique latine, le Nicaragua, fait son entrée dans la liste alors que les gouvernements autoritaires considèrent de plus en plus les chrétiens comme des voix d’opposition.

L’objectif des classements annuels de Portes Ouvertes — qui ont montré comment la Corée du Nord commence à trouver des compétiteurs tandis que la persécution devient de plus en plus forte — est de guider les prières et de susciter une indignation qui conduise à l’action tout en montrant aux croyants persécutés qu’ils ne sont pas oubliés.

La version 2023 couvre la période du 1er octobre 2021 au 30 septembre 2022 et a été compilée à partir des rapports de plus de 4 000 collaborateurs de Portes Ouvertes dans plus de 60 pays.

Le rapport publié aujourd’hui marque également les 30 ans de la liste, créée pour la première fois en 1993 après la chute du rideau de fer. Quelles leçons Portes Ouvertes en a appris ?

Premièrement, il est clair que la persécution continue de s’aggraver. Le nombre de pays atteignant le seuil pour être suivis dans le cadre de l’Index est passé de 40 en 1993 à 76 aujourd’hui, et le score moyen des pays a augmenté de 25 %.

Pourtant, la plus grande menace pour l’Église n’est pas externe, mais interne, conclut Frans Veerman, directeur général de la recherche pour Portes Ouvertes. Et 1 Corinthiens 12 rappelle qu’aucun croyant ne devrait souffrir seul.

« La plus grande menace pour le christianisme », estime-t-il, « est que la persécution entraîne l’isolement, et lorsqu’elle est continue, elle peut entraîner la perte de l’espoir ».

Si la violence et la pression entraînent des traumatismes et des dégâts considérables, Veerman note que « de façon remarquable, de nombreux répondants à nos questionnaires continuent de dire que la plus grande menace ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur de l’Église : “La prochaine génération sera-t-elle préparée au type de persécution dont nous sommes témoins ? Sont-ils forts dans leur foi et dans la connaissance du Christ et de l’Évangile ?” »

« Cela montre que le niveau de résilience de l’Église est aussi déterminant pour son avenir dans un pays que le niveau de persécution », analyse-t-il. « Ainsi, la plus grande menace pour l’Église dans les pays où la persécution est présente est la diminution de la résilience en raison du caractère incessant de la persécution et du sentiment d’être abandonné par le reste du corps du Christ. »

Après trois décennies de recherche, Portes Ouvertes a appris que cette indispensable résilience se trouve dans « l’ancrage dans la Parole de Dieu et dans la prière », continue Veerman. Et aussi dans le courage, car l’Église persécutée est le plus souvent « active dans la diffusion de l’Évangile », « vigoureuse et en croissance contre toute attente ».

En somme, l’Église persécutée a rappelé à Portes Ouvertes la vérité de 1 Corinthiens 12.26 : « Si une partie du corps souffre, toutes les autres souffrent avec elle ; si une partie du corps est glorifiée, toutes les autres se réjouissent avec elle ».

https://datawrapper.dwcdn.net/noIPb

Où les chrétiens sont-ils le plus persécutés aujourd’hui ?

L’Afghanistan n’est pas le seul à connaître un changement substantiel dans le classement de cette année. Cuba est passé de la 37e à la 27e place, en raison de l’intensification des manœuvres répressives à l’encontre des responsables et militants chrétiens opposés aux principes communistes. Avant les manifestations généralisées de 2021, le pays n’apparaissait même pas dans le classement. Le Burkina Faso est passé de la 32e à la 23e place en raison de l’augmentation de l’activité djihadiste, exacerbée par une instabilité analogue dans les pays voisins du Sahel. Le Mozambique est passé de la 41e à la 32e place, à cause du militantisme islamique dans sa région nord. Et la Colombie est passée de la 30e à la 22e place, du fait de la violence ciblée exercée par des bandes criminelles contre les chrétiens.

Les Comores ont rejoint la liste à la 42e place, gagnant 11 rangs en raison de la paranoïa accrue du gouvernement (seuls les étrangers y bénéficient de la liberté de religion). Et le Nicaragua intègre la liste pour la première fois, gagnant 11 rangs pour atteindre la 50e place en raison d’une répression dictatoriale croissante, en particulier contre l’Église catholique romaine.

Pays où il est le plus difficile de suivre Jésus :


1. Corée du Nord
2. Somalie
3. Yémen
4. Érythrée
5. Libye
6. Nigeria
7. Pakistan
8. Iran
9. Afghanistan
10. Soudan
11. Inde

Dans l’ensemble, à l’exception de l’Afghanistan qui perd huit places, les dix premières nations n’ont fait qu’échanger leurs positions de l’année dernière (voir encadré). Le Soudan a rejoint le groupe à la dixième place, devançant l’Inde qui, à la onzième place, se situe toujours à un niveau de persécution « extrême » selon Portes Ouvertes.

Étonnamment retiré en 2021 de la liste annuelle des pays particulièrement préoccupants du département d’État américain après y avoir été ajouté en 2020, le Nigeria fait de nouveau l’objet d’une attention particulière dans le rapport de Portes Ouvertes, qui note :

La violence à l’encontre des chrétiens […] est des plus extrêmes au Nigeria, où des militants peuls, de Boko Haram, de la province de l’État islamique en Afrique de l’Ouest de l’État islamique (ISWAP) et d’autres groupes mènent des raids contre les communautés chrétiennes, tuant, mutilant, violant et kidnappant pour obtenir une rançon ou des esclaves sexuels.

Cette année, cette violence s’est également étendue au sud du pays, à majorité chrétienne. […] Le gouvernement nigérian continue de nier qu’il s’agit d’une persécution religieuse, de sorte que les violations des droits des chrétiens se poursuivent en toute impunité.

Comme l’année dernière, la nation la plus peuplée d’Afrique s’est classée au premier rang dans les sous-catégories de l’Index concernant les chrétiens tués, enlevés, agressés ou harcelés sexuellement, mariés de force ou victimes d’abus physiques ou mentaux, ainsi qu’au premier rang pour les maisons et les entreprises attaquées pour des raisons religieuses. Le Nigeria s’est à nouveau classé deuxième dans les sous-catégories des attaques d’églises et des déplacements internes.

Les violations de la liberté religieuse au Nigeria sont emblématiques d’une présence islamiste en pleine expansion en Afrique subsaharienne. Le Mali est passé de la 24e à la 17e place. Le Burkina Faso est passé de la 32e à la 23e place, et le Niger de la 33e à la 28e place. Plus au sud, la République centrafricaine (RCA) est passée de la 31e à la 24e place, le Mozambique de la 41e à la 32e et la RDC de la 40e à la 37e.

Les pays à majorité chrétienne se classent relativement bas dans le top 50, et comprennent la Colombie (22), la République centrafricaine (24), Cuba (27), l’Éthiopie (39), la République démocratique du Congo ou RDC (37), le Mozambique (32), le Mexique (38), le Cameroun (45) et le Nicaragua (50). Le Kenya et la Tanzanie sont tout près de figurer dans l’Index 2023

Concernant l’Amérique latine, Portes Ouvertes note :

L’oppression directe du gouvernement contre les chrétiens considérés comme des voix de l’opposition est courante au Nicaragua (50), au Venezuela (64) et à Cuba (27), où des dirigeants chrétiens ont été emprisonnés sans procès pour leur participation aux manifestations de l’année dernière. Dans de nombreux pays d’Amérique latine, le crime organisé contribue de manière importante à la persécution, notamment dans les zones rurales face à des chrétiens qui dénoncent les activités des cartels.

Parmi les 50 premières nations :

  • 11 ont des niveaux de persécution « extrêmes » et 39 des niveaux « très élevés ». Cinq autres pays ne figurant pas parmi les 50 premiers atteignent des niveaux « très élevés » : le Kenya, le Koweït, la Tanzanie, les Émirats arabes unis et le Népal. À leur suite, Portes Ouvertes recense 21 autres pays où le niveau de persécution est considéré comme « élevé ». Les seules nations dont le niveau a augmenté sont le Nicaragua et le Soudan, tandis que l’Arabie saoudite et le Sri Lanka sont les seules nations dont le niveau a baissé.
  • Dix-neuf des 50 premiers pays sont en Afrique, 27 en Asie et quatre en Amérique latine.
  • 34 ont l’islam comme religion principale, quatre le bouddhisme, un l’hindouisme, un l’athéisme, un l’agnosticisme — et dix le christianisme. (Le Nigeria est composé à parts égales de musulmans et de chrétiens.)

Pour les raisons mentionnées plus haut, la liste 2023 comprend deux nouveaux pays : les Comores et le Nicaragua. Deux autres pays ont donc quitté le top 50 : le Koweït et le Népal.

Pays où les chrétiens sont confrontés à la plus grande violence :


1. Nigeria
2. Pakistan
3. Cameroun
4. Inde
5. Burkina Faso
6. République Centrafricaine
7. Mozambique
8. République Démocratique du Congo (RDC)
9. Tanzanie
10. Myanmar
11. Colombie
12. Niger

Période de référence de Portes Ouvertes : 1er octobre 2021 – 30 septembre 2022

Parmi les autres augmentations notables, citons le Mali, qui passe de la 24e à la 17e place, en raison des menaces que représentent les combattants djihadistes et mercenaires dans le contexte d’un gouvernement faible qui établit un lien entre certains chrétiens et les intérêts occidentaux. De même, le Niger, autre pays du Sahel, est passé de la 33e à la 28e place, en raison des attaques continues des militants islamistes. En Amérique du Nord, le Mexique est passé de la 43e à la 38e place, en raison de la violence criminelle à l’encontre des chrétiens perçus comme une menace pour les activités illégales, ainsi que des pressions sociales auxquelles sont confrontés les croyants indigènes qui refusent de suivre les coutumes ancestrales.

Tous les mouvements importants n’ont pas été négatifs. Portes Ouvertes note la « promotion d’une plus grande tolérance » dans un certain nombre de pays du Moyen-Orient, dont Bahreïn et les Émirats arabes unis. Le Qatar a perdu 16 places, passant du 18e au 34e rang, dans la mesure où aucune église n’a été fermée l’année dernière. (Cependant, de nombreuses communautés de maison précédemment fermées le sont restées.) L’Égypte a perdu quinze places, passant du 20e au 35e rang, en raison de la diminution du nombre d’attaques signalées contre des propriétés chrétiennes. Oman a chuté pour des raisons similaires, passant de la 36e à la 47e place, et la Jordanie est passée de la 39e à la 49e place en raison de l’absence de signalements de chrétiens chassés de leurs maisons.

https://datawrapper.dwcdn.net/sJxNJ

De quelles manières les chrétiens sont-ils persécutés dans ces pays ?

Portes Ouvertes suit la persécution dans six catégories, notamment la pression sociale et gouvernementale sur les individus, les familles et les communautés, et s’intéresse aussi particulièrement aux femmes. De nombreuses catégories ont connu des baisses cette année, mais certaines ont atteint des sommets.

Lorsque la violence est isolée en tant que catégorie, les dix premiers persécuteurs changent radicalement — seuls le Nigeria, le Pakistan et l’Inde demeurent (voir encadré). En fait, quinze nations sont plus meurtrières pour les chrétiens que la Corée du Nord. L’Ouganda a connu la plus forte augmentation de la violence, soit 3,1 points de plus que le Honduras, mais ces deux pays ne figurent pas parmi les 50 premiers. Après la baisse de 10 points enregistrée par l’Afghanistan, le Qatar a connu la plus forte diminution de la violence, suivi du Sri Lanka et de l’Égypte. Parmi l’ensemble des nations suivies, 12 n’ont vu aucun changement dans leur degré de violence, 27 l’ont vu diminuer et 37 l’ont vu augmenter.

https://datawrapper.dwcdn.net/g2VV2

Le nombre de martyrs a diminué de plus de 275 par rapport à l’année précédente, puisque Portes Ouvertes a recensé 5 621 chrétiens tués pour leur foi au cours de la période considérée. Représentant une baisse de 5 %, ce bilan reste le deuxième plus élevé depuis le record de 2016, qui était de 7 106 décès. Le Nigeria représentait 89 % du total.

Pays où le plus grand nombre de chrétiens ont été martyrisés :


1. Nigeria : 5,014
2. Nom non divulgué : 100*
3. Mozambique : 100*
4. République démocratique du Congo : 100*
5. République centrafricaine : 61
6. Myanmar : 42
7. Colombie : 21
8. Inde : 17
9. Mexique : 14
10. Honduras : 14

*Estimation
Période de référence de Portes Ouvertes : 1er octobre 2021 – 30 septembre 2022

Portes Ouvertes est connu pour favoriser une estimation plus prudente que d’autres organisations, qui évaluent souvent le nombre de martyrs à 100 000 par an.

Lorsque les chiffres ne peuvent être vérifiés, les estimations sont données en chiffres ronds de 10, 100, 1 000 ou 10 000, supposés être plus élevés en réalité. Et les données nationales peuvent ne pas être fournies pour des raisons de sécurité, ce qui entraîne l’emploi de la désignation « NN » pour l’Afghanistan, les Maldives, la Corée du Nord, la Somalie et le Yémen.

Dans cette rubrique, une nation non nommée, le Mozambique et la RDC suivent tous le Nigeria avec un décompte symbolique de 100 martyrs. Viennent ensuite la République centrafricaine avec 61 meurtres enregistrés, le Myanmar avec 42, la Colombie avec 21, et l’Inde avec 17.

Une deuxième catégorie recense les attaques contre les églises et autres bâtiments chrétiens tels que les hôpitaux, les écoles et les cimetières, qu’ils soient détruits, fermés ou confisqués. Le chiffre de 2 110 constitue une baisse de 59 % par rapport à l’année dernière, et ne représente qu’un cinquième du chiffre record de 9 488 du rapport 2020.

La Chine (16), qui a rejoint le top 20 en 2021 pour la première fois en dix ans, a pris la tête du classement avec la moitié des attaques d’églises signalées — bien que le chiffre de 1 000 qui lui a été attribué ne soit que symbolique. Le Nigeria, le Myanmar, le Mozambique, la RDC, le Rwanda et l’Angola se sont vu attribuer une centaine d’attaques à titre symbolique. Vient ensuite l’Inde qui a enregistré 67 incidents spécifiques, suivie du Mexique avec 42, de la Colombie avec 37 et du Nicaragua avec 31.

Pays où les églises ont été le plus attaquées ou fermées :


1. Chine : 1 000*
2. Nigeria : 100*
3. Myanmar: 100*
4. Mozambique : 100*
5. République démocratique du Congo : 100*
6. Rwanda : 100*
7. Angola : 100*
8. Inde : 67
9. Mexique : 42
10. Colombie : 37

*Estimation
Période de référence de Portes Ouvertes : 1er octobre 2021 – 30 septembre 2022

La catégorie des chrétiens détenus sans procès, arrêtés, condamnés et emprisonnés est passée à 4 542 cas, ce qui représente une baisse d’un quart par rapport au chiffre record de 6 175 enregistré dans le rapport de l’année dernière, mais reste le deuxième chiffre le plus élevé depuis que cette catégorie fait l’objet d’un suivi.

Portes Ouvertes divise ce chiffre en deux sous-catégories, avec 3 154 croyants détenus, soit une diminution de 34 %. L’Inde était en tête avec 1 711 cas et représentait 54 % du total. Elle était suivie de l’Érythrée, avec 244 cas, et de la Russie, avec 200 cas ; puis d’une nation non nommée, du Myanmar, de la Chine et du Rwanda, avec 100 cas symboliques chacun ; viennent ensuite Cuba avec 80 cas, le Salvador avec 63 cas, et le Nigeria avec 54 cas.

Le chiffre de 1 388 croyants emprisonnés est toutefois resté stable par rapport aux 1 410 cas déclarés au cours de la période précédente. Une nation non nommée, l’Érythrée, la Chine et l’Inde représentaient près de 90 % du total.

Le nombre de chrétiens enlevés a atteint un nouveau record, avec un total de 5 259, soit une augmentation de 37 % par rapport à la période précédente. Le Nigeria est à l’origine de 90 % du total, soit 4 726 enlèvements, suivi du Mozambique et de la RDC avec une centaine symbolique d’incidents chacun, puis de l’Irak avec 63, de la République centrafricaine avec 35 et du Cameroun avec 25.

La catégorie la plus nombreuse, et de loin, est celle des déplacés, avec 124 310 chrétiens contraints de quitter leur foyer ou de se cacher pour des raisons liées à leur foi, soit 43 % de moins que les 218 709 de l’année dernière. En outre, 14 997 chrétiens ont été contraints de quitter leur pays, contre 25 038 l’année dernière. Le Myanmar comptait quatre déplacements internes sur cinq (suivi du Nigeria et du Burkina Faso) et deux réfugiés sur trois (suivi de l’Iran).

Portes Ouvertes explique que plusieurs catégories sont particulièrement difficiles à décompter avec précision, la plus notable étant les 29 411 cas d’abus physiques et mentaux, y compris les coups et les menaces de mort. Le décompte de l’année dernière était de 24 678 incidents. Sur les 72 nations évaluées, 45 se sont vu attribuer un chiffre symbolique. Le Nigeria et l’Inde sont en tête (deux tiers du total), suivis par un pays non divulgué, le Myanmar, le Mozambique, l’Indonésie, la RDC et le Rwanda.

On estime que 4 547 maisons et propriétés chrétiennes ont été attaquées en 2022, ainsi que 2 210 magasins et entreprises. Dans cette dernière catégorie, 27 des 42 pays se sont vus attribuer des chiffres symboliques, le chiffre de 1 000 du Nigeria dépassant celui des neuf nations suivantes réunies (compte tenu de leurs totaux de 100 chacune). Le Nigeria, le Myanmar et la République centrafricaine ont enregistré les chiffres les plus élevés dans la première catégorie (un millier symbolique chacun), seuls l’Indonésie et l’Inde ayant pu enregistrer des cas réels (211 contre 180). L’Érythrée, la Syrie, l’Irak, le Burkina Faso, le Niger, le Mozambique, la RDC et le Cameroun complètent le top 10 et au-delà, avec chacun un total symbolique de 100 attaques.

Les catégories spécifiques aux femmes sont également difficiles à établir avec précision pour les chercheurs de Portes Ouvertes. Les cas de viols et de harcèlement sexuel ont diminué, passant de 3 147 à 2 126, avec en tête le Nigeria qui a enregistré près de la moitié du total, 34 des 47 pays ayant obtenu un score symbolique. Les mariages forcés avec des non-chrétiens ont diminué, passant de 1 588 à 717. Le Nigeria est le pays qui a obtenu le score le plus élevé dans cette catégorie où 22 pays sur 34 ayant reçu un chiffre symbolique.

https://datawrapper.dwcdn.net/srxV2
https://datawrapper.dwcdn.net/9KgaF

Pourquoi les chrétiens sont-ils persécutés dans ces pays ?

La principale motivation varie d’un pays à l’autre, et une meilleure compréhension des différences peut aider les chrétiens d’autres pays à prier et à soutenir plus efficacement leurs frères et sœurs en Christ malmenés.

Portes Ouvertes classe les principales sources de persécution contre les chrétiens en huit groupes :

Oppression islamique (31 pays) : Il s’agit de la principale source de persécution à laquelle les chrétiens sont confrontés dans plus de la moitié des pays figurant sur l’Index, dont huit des dix premiers au total. La plupart de ces 31 pays sont officiellement des nations musulmanes ou à majorité musulmane ; toutefois, cinq d’entre elles sont en fait à majorité chrétienne : le Nigeria, la République centrafricaine (24), la RDC (37), le Mozambique (32) et le Cameroun (45). En outre, il s’agit du principal moteur dans 15 pays où la persécution est suffisante pour être suivie par Portes Ouvertes, mais qui se classent en dessous du seuil de l’Index, notamment le Kenya et la Tanzanie à majorité chrétienne.

Paranoïa dictatoriale (9 pays) : C’est la principale source de persécution à laquelle les chrétiens sont confrontés dans neuf pays, principalement dans des nations à majorité musulmane — la Syrie (12), l’Ouzbékistan (21), le Turkménistan (26), le Bangladesh (30), le Tadjikistan (44) et le Kazakhstan (48) — mais aussi l’Érythrée (4), Cuba (27) et le Nicaragua (50). Il en va de même dans six autres nations hors Index suivies : Angola, Azerbaïdjan, Biélorussie, Burundi, Rwanda et Venezuela.

Oppression communiste et postcommuniste (4 pays) : Il y a là la principale source de persécution à laquelle les chrétiens sont confrontés dans quatre pays, tous situés en Asie : La Corée du Nord (1), la Chine (16), le Vietnam (25) et le Laos (31).

Nationalisme religieux (3 pays) : C’est la principale source de persécution à laquelle les chrétiens sont confrontés dans trois pays, tous situés en Asie. Les chrétiens sont principalement visés par les nationalistes hindous en Inde (11) et par les nationalistes bouddhistes au Myanmar (14) et au Bhoutan (40). Même chose dans trois autres nations hors Index suivies : Israël, le Népal et le Sri Lanka.

Crime organisé et corruption (2 pays) : La principale source de persécution à laquelle les chrétiens sont confrontés en Colombie (22) et au Mexique (38). Il en va de même dans trois autres nations suivies : Salvador, Honduras et Soudan du Sud.

Exclusivisme confessionnel chrétien (1 pays) : Il s’agit de la principale source de persécution à laquelle les chrétiens sont confrontés en Éthiopie (39).

Intolérance séculière (0 pays) et oppression clanique (0 pays) : Portes Ouvertes analyse ces sources de persécution, mais aucune n’est la source principale dans l’un des 50 pays de l’Index 2023.

https://datawrapper.dwcdn.net/K7rBV

Comment l’Index de Portes Ouvertes se situe-t-il par rapport aux autres rapports sur la persécution religieuse ?

Portes Ouvertes estime qu’il est raisonnable de qualifier le christianisme de religion la plus sévèrement persécutée au monde. Dans le même temps, l’association note qu’il n’existe pas de suivi comparable pour la population musulmane à travers le monde.

D’autres évaluations de la liberté de religion dans le monde corroborent bon nombre des conclusions de Portes Ouvertes. Par exemple, la dernière analyse du Pew Research Center sur les oppositions gouvernementales et sociétales à l’égard de la religion a révélé que les chrétiens ont subi du harcèlement dans 155 pays en 2020, soit plus que tout autre groupe religieux. Les musulmans ont subi du harcèlement dans 145 pays, suivis par les juifs dans 94 pays.

La répartition correspond aux données de Portes Ouvertes. La Chine, l’Érythrée et l’Iran se sont classés dans le top 10 des pays où Pew observe un harcèlement gouvernemental, tandis que l’Inde, le Nigeria et le Pakistan se classent dans le top 10 des pays où règne une hostilité de la société à l’égard des chrétiens. L’Afghanistan et l’Égypte sont listés dans les deux catégories.

La plupart des pays figurant sur la liste de Portes Ouvertes figurent également sur la liste annuelle du département d’État américain, qui nomme et dénonce les gouvernements qui ont « commis ou toléré des violations systématiques, continues et flagrantes de la liberté de religion ».

Sa liste des pays particulièrement préoccupants (PPP) comprend le Myanmar (n° 14 dans l’Index 2023), la Chine (16), Cuba (27), l’Érythrée (4), l’Iran (8), la Corée du Nord (1), le Nicaragua (50), le Pakistan (7), la Russie (qui a quitté l’Index l’an dernier), l’Arabie saoudite (13), le Tadjikistan (44) et le Turkménistan (26). Sa liste de surveillance spéciale de deuxième niveau intègre l’Algérie (19), la République centrafricaine (24), les Comores (42) et le Vietnam (25).

Le département d’État américain dresse également la liste des entités particulièrement préoccupantes, ou acteurs non gouvernementaux à l’origine de persécutions, qui sont tous actifs dans les pays figurant sur la liste de Portes Ouvertes. Il s’agit notamment de Boko Haram et d’ISWAP au Nigeria (n° 6 dans l’Index), des talibans en Afghanistan (9), des shebabs en Somalie (2), de Hayat Tahrir al-Sham en Syrie (12), des houthis au Yémen (3), du Groupe Wagner pour ses activités en République centrafricaine (24) et, au Sahel, de l’État islamique dans le Grand Sahara et du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans.

Parallèlement, la Commission américaine pour la liberté religieuse internationale (USCIRF), dans son rapport 2022, a recommandé les mêmes nations pour la liste des pays particulièrement préoccupants, avec l’ajout du Nigeria (6), de l’Inde (11), de la Syrie (12) et du Vietnam (25). Pour la liste de surveillance du Département d’État, l’USCIRF a recommandé les mêmes nations à l’exception des Comores, avec l’ajout de l’Azerbaïdjan (non classé, mais suivi par Portes Ouvertes), l’Égypte (35), l’Indonésie (33), l’Irak (18), le Kazakhstan (48), la Malaisie (43), la Turquie (41) et l’Ouzbékistan (21).

Toutes les nations du monde sont suivies par les chercheurs et le personnel de terrain de Portes Ouvertes, mais une attention approfondie est accordée à 100 nations et une attention toute particulière est accordée aux 76 qui enregistrent des niveaux « élevés » de persécution (scores de plus de 40 sur l’échelle de 100 points de Portes Ouvertes).

Pour poursuivre sur le sujet, vous retrouverez sur notre site nos reportages sur les Index de 2022 (en français), 2021 (en français), 2020, 2019, 2018, 2017, 2016, 2015, 2014, 2013 et 2012, ainsi qu’un coup de projecteur en 2010 sur les endroits où il est le plus difficile de croire. Nous avions également demandé en 2017 à des experts si les États-Unis auraient leur place sur les listes de persécution, et compilé les articles sur l’Église persécutée les plus lus en 2019, 2018, 2017, 2016 et 2015.

Toutes les informations de Portes ouvertes sur l’Index Mondial de Persécution 2023 peuvent être retrouvées en français sur les sites de Portes Ouvertes France ou Suisse.

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Books

Une forêt enfouie : comment un missionnaire australien redonne vie au Sahel africain

Le « faiseur de forêts » dont ont parlé de nombreux médias autour de la COP27 poursuit un projet où « tout ce qui est nécessaire, Dieu l’a déjà fourni ».

Régénération naturelle gérée par les agriculteurs au Niger

Régénération naturelle gérée par les agriculteurs au Niger

Christianity Today January 16, 2023
Silas Koch / World Vision

Après 18 mois éreintants de lutte contre la désertification au Niger, Tony Rinaudo était au bord du désespoir. En tant que responsable d’un petit projet de reforestation pour la SIM en 1983, il savait que peu des 6 000 arbres que l’agence missionnaire avait plantés chaque année depuis 1977 avaient survécu au climat aride du Sahel.

Les habitants l’avaient surnommé le « fermier blanc fou » et se montraient peu enclins à gaspiller de précieuses terres agricoles pour d’autres tentatives apparemment hasardeuses. Mais, persévérant, il chargea un autre lot de jeunes arbres dans sa camionnette, s’efforçant de réaliser sa prière d’enfant.

Des années plus tôt, dans la vallée de l’Ovens, dans le sud-est de l’Australie, Rinaudo déplorait la destruction au bulldozer de la brousse vallonnée et la mort des poissons empoisonnés par les insecticides pulvérisés sur les cultures de tabac — alors qu’ailleurs des enfants se couchaient le ventre vide.

« Seigneur », s’est-il écrié, « utilise-moi d’une manière ou d’une autre, quelque part, pour faire la différence. »

Peu après, il tomba sur I Planted Trees de Richard St. Barbe Baker. Une ligne marqua Rinaudo et fonda l’œuvre de sa vie.

« Quand les forêts s’en vont, les eaux s’en vont, les poissons et le gibier s’en vont, les troupeaux s’en vont, la fertilité s’en va », lut-il dans le livre du botaniste anglais du 19e siècle. (Cette citation a été attribuée ailleurs au journaliste scientifique écossais Robert Chambers.) « Puis les fantômes séculaires apparaissent furtivement, l’un après l’autre : inondation, sécheresse, incendie, famine, peste. »

En 1981, Tony Rinaudo s’installa à Maradi, à environ 650 km à l’est de Niamey, la capitale du Niger. Le centre économique de la nation ouest-africaine, à la frontière sud avec le Nigeria, accueillait un projet agricole de SIM, un hôpital et une école biblique locale. Présente depuis 1924, la mission — avec les catholiques — a établi la plus grande concentration de chrétiens du Niger, bien qu’ils représentent moins de 1 % de la population totale.

Les colons français et, plus tard, les projets de développement internationaux contribuèrent à la dégradation de l’environnement en pratiquant l’agriculture à grande échelle, en défrichant les arbres pour maximiser le rendement. Les fermiers locaux les abattaient, par pauvreté et par faim, pour vendre le bois, tandis que les femmes faisaient des kilomètres pour trouver du bois d’allumage pour leurs feux de cuisson.

Alors que Rinaudo s’arrêtait pour dégonfler ses pneus afin de traverser le paysage sablonneux pour une livraison, il soupira et invoqua encore Dieu.

« Pardonne-nous d’avoir détruit le don de la création ». « Montre-nous ce qu’il faut faire, ouvre nos yeux. »

En relevant la tête, il aperçut un buisson.

Dans n’importe quelle autre randonnée dans le désert, nous raconte Tony Rinaudo, il serait passé à côté d’arbustes à l’aspect similaire sans y prêter attention. Ceux-ci seraient bientôt consommés par des chèvres errantes. Mais cette fois, en l’examinant de près, il reconnut la petite pousse comme un Philostigma reticulata, un arbre qui peut atteindre plus de 10 mètres de haut. Aujourd’hui, la communauté scientifique reconnaît sa capacité à redistribuer l’humidité du sol en profondeur aux racines des cultures en surface — ce qui fait souvent la différence entre la survie et la disparition des terres asséchées.

Soudain, la ligne de front bougea.

« Tout ce qui est nécessaire, Dieu l’a déjà fourni », s’écria Tony. « De nombreux déserts sont des paysages altérés avec une forêt souterraine qui a juste besoin d’une chance de repousser. »

Les arbres plantés n’ont pas un système racinaire assez développé pour survivre à des températures au sol qui peuvent atteindre 70 degrés au soleil et à des vents de plus de 50 km/h. Mais en taillant doucement la trentaine de pousses qui émergent d’une souche, l’eau est concentrée dans les quelques plus fortes qui se développent ensuite rapidement.

Pionnier de la « régénération naturelle assistée », Rinaudo a ensuite dû convaincre la communauté. Il fallut une famine pour y parvenir.

En 1983, le Niger fut dévasté par la sécheresse, et la SIM lança un projet de « nourriture contre travail » avec des agriculteurs qui accepteraient d’essayer la régénération naturelle sur une partie de leurs terres. Tony Rinaudo raconte que les 12 villages initiaux passèrent à 100, mais qu’après le paiement et la récolte, 75 % des bénéficiaires coupèrent les nouvelles pousses, revenant ainsi à leur pratique traditionnelle.

« Nous en avons fini avec Tony et ses “stupides arbres” ».

Mais les 2 000 agriculteurs qui continuèrent furent suffisants pour former une masse critique de praticiens, qui en influencèrent d’autres. Au cours des 20 années suivantes, le projet de la SIM a permis de régénérer 200 millions d’arbres et de décupler la densité pour atteindre 40 arbres par hectare. Les rendements des cultures se sont améliorés de 30 %, car l’ombre a fait baisser la température de l’air de 10 degrés et celle du sol de 36 degrés.

Les animaux et les oiseaux sont revenus dans les champs, et le fumier et l’urine se sont joints aux feuilles mortes pour nourrir le sol. À l’inverse, chaque augmentation de 1 degré de la température au-dessus de 35 degrés entraîne une perte de 10 % du rendement des cultures.

En 1999, le Niger a décerné à Tony Rinaudo son Ordre du mérite agricole pour avoir lancé la technique qui allait toucher 50 % des terres agricoles nationales. Et aujourd’hui, la régénération naturelle assistée est pratiquée dans 29 pays du monde entier, ayant restauré des forêts sur 17 millions d’hectares.

Deux milliards de plus pourraient être régénérés, soit la taille de l’Amérique du Sud. D’ici 2045, 135 millions de personnes risquent d’être déplacées par la désertification.

« La nature est l’échafaudage dont dépend toute vie sur terre », explique Rinaudo. « Nous jouons au Jenga… en sortant les blocs de construction, un par un. Si nous continuons, la tour va s’effondrer. »

Tony Rinaudo, auteur de The Forest Underground.Silas Koch/World Vision
Tony Rinaudo, auteur de The Forest Underground.

En novembre dernier, les dirigeants mondiaux étaient réunis en Égypte pour consolider les fondations. La ville de Sharm el-Sheikh, sur la mer Rouge, a accueilli la 27e session de la Conférence des parties (COP27) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

Tony Rinaudo était là, offrant les conseils qu’il pouvait

Il travaille aujourd’hui pour World Vision en tant que principal conseiller en matière d’action climatique et a offert une présentation lors d’un événement parallèle avec l’agence de développement allemande GIZ et le DFAT (ministère australien des Affaires étrangères et du Commerce). Il cherche à démontrer que la régénération naturelle assistée est une technique bien plus efficace que de dépenser des millions en reboisement.

Une étude portant sur les programmes forestiers de 1975 à 1982 a fait état d’une somme de 8 000 dollars dépensée par hectare pour des arbres jugés en fin de compte « peu performants ». Une autre étude a ramené les dépenses à 400 dollars par hectare. Un projet typique de régénération assistée ne coûte que 40-50 dollars, et parfois même seulement 4 dollars par hectare.

Après la mise en œuvre, le revenu des exploitations associées au Niger a augmenté de 68 dollars par hectare. Des études menées au Ghana et au Sénégal ont respectivement montré des augmentations de 78 % et 84 %.

La valeur d’une âme humaine est bien plus grande, mais Rinaudo rejette toute dichotomie.

« Des gens sont venus au Seigneur, mais j’aimerais réorienter la question. » « Je considère que réparer et prendre soin de la création de Dieu est une œuvre de Dieu à part entière, un acte d’amour. »

La SIM cherche à servir tout le monde, quelle que soit la réponse. Les personnes engagées ont témoigné avec à-propos, et quelques petites Églises ont émergé. Un des amis de Tony, Sule, un musulman fervent, est devenu un employé clé et a souvent engagé le personnel dans des conversations sur la religion, auxquelles son superviseur nigérien a tranquillement répondu. Cependant, respecté dans sa foi, il n’a jamais été pressé d’assister aux temps de méditation ou aux réunions de prière. C’est un simple acte d’hospitalité envers son père — l’héberger alors qu’il devait subir une opération — qui lui a fait la plus forte impression. Sule a prié pour connaître la vérité, et Dieu lui a donné une vision de Jésus.

Comme il était déjà un leader respecté dans la communauté, le changement de vie de Sule a attiré l’attention de beaucoup, y compris celle de Jadi, l’ivrogne du village : Sule était-il sincère, ou s’agissait-il simplement de garder son travail ?

Sule a témoigné de son expérience et a dit à Jadi de chercher Dieu lui-même. Jadi a prié, et a reçu une autre vision : lui-même dans une fosse, entouré de serpents. Il s’est repenti, a cru, et est aujourd’hui un homme transformé.

« Lorsque vous êtes missionnaire avec la SIM, les gens s’attendent à ce que vous soyez un évangéliste », explique Illia Djadi, analyste principal de Portes Ouvertes pour la liberté de religion ou de croyance en Afrique, qui fréquentait la même Église que Tony Rinaudo à Maradi. « Tony n’a pas apporté de bibles ni fondé d’Église, mais il a réellement laissé un héritage. »

Illia Djadi salue l’accent mis sur « l’Évangile tout entier » qui a conduit Tony Rinaudo à vivre dans la ville avec les gens, contrairement à de nombreux missionnaires qui restent dans l’enceinte de la SIM. Il parlait couramment le haoussa et avait inventé un proverbe qu’il répétait constamment : « Celui qui prend soin des arbres n’aura jamais faim. »

Illia Djadi compare Rinaudo à Jean-Baptiste, avec son amour, sa compassion et sa préévangélisation nécessaire pour amener les musulmans à Jésus. Mais l’impact a été plus profond encore.

Dans les années 1990, le fondamentalisme islamique a fait son apparition au Niger. La prédication contre les chrétiens a commencé à démanteler la tolérance religieuse traditionnelle et a radicalisé de nombreux habitants de la plus jeune nation du monde.

Et en 2015, l’affaire des caricatures de Mahomet — qui a suscité l’attaque terroriste de Charlie Hebdo à Paris — a entraîné des centaines d’attaques contre des églises, des écoles, des foyers et même un orphelinat. Mais à Maradi, des voisins musulmans ont entouré les propriétés de la SIM, défendant les « bonnes personnes » qui s’y trouvaient.

« Pour lutter contre l’intolérance, nous avons besoin de relations locales de confiance, pour promouvoir l’idée que les chrétiens travaillent pour le bien des autres », dit Illia Djadi. « Nous n’avons pas besoin de plus d’évangélistes, mais de plus de Tonys. »

Le livre de Tony Rinaudo, The Forest Underground : Hope for a Planet in Crisis, a remporté le prix 2022 du livre chrétien australien de l’année. Son verset clé est le Psaume 104.30 — « Quand tu envoies ton Esprit… tu renouvelles la face du sol »

« Dieu ne travaille pas seulement à restaurer les personnes brisées », dit Rinaudo. « Il travaille aussi à restaurer une terre brisée. »

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Le président du Nicaragua ferme des organisations chrétiennes à but non lucratif

Et autres nouvelles des chrétiens du monde entier.

Christianity Today January 16, 2023
Oswaldo Rivas / Contributor / Getty

Le président Daniel Ortega a suspendu 2 600 organisations à but non lucratif au Nicaragua en 2022, dont un orphelinat, une association de théologiens et de nombreuses autres organisations chrétiennes. La répression des critiques a commencé en 2018, lorsque la police a tué plus de 300 étudiants protestataires dans le conflit le plus meurtrier que le pays ait connu depuis la guerre des Contras. En 2021, Ortega a été réélu de manière triomphale après avoir emprisonné des opposants et dissous des partis d’opposition. Le gouvernement a interdit l’accès du pays à la presse étrangère, qualifié l’Église catholique de « fomenteuse de coup d’État », arrêté de nombreux prêtres, fermé les stations de radio religieuses, puis s’est attaqué aux organisations à but non lucratif. La belle-fille du président, qui l’a accusé d’abus sexuels en 1998, estime qu’Ortega mène « une guerre contre la vérité ».

Haïti : Des kidnappeurs de missionnaires mis à prix

Le gouvernement américain a déclaré vouloir imposer une réponse à trois Haïtiens dirigeant le gang qui a enlevé 17 missionnaires anabaptistes en 2021. Le secrétaire d’État Antony Blinken a annoncé que le gouvernement donnera un million de dollars pour toute information menant à l’arrestation de Joseph Wilson, qui se fait aussi appeler Lanmò Sanjou ; Jermaine Stephenson, également connu sous le nom de Gaspiyay ; et Vitel'Homme Innocent. Le gang des 400 Mawozo a enlevé 17 missionnaires américains et canadiens alors qu’ils visitaient un orphelinat haïtien. Cinq d’entre eux avaient d’abord été libérés, probablement après le paiement d’une rançon, et les douze autres ont pu échapper à leurs ravisseurs après deux mois de captivité. Les experts estiment que le gang a une influence politique croissante.

Brésil : Soupçons d’escroquerie pyramidale aux cryptomonnaies

Le fils éminent d’un pasteur pentecôtiste a été arrêté par la police fédérale et accusé de fraude financière impliquant des cryptomonnaies. Patrick Abrahão, 24 ans, faisait la promotion de ses plans d’investissement auprès de ses abonnés Instagram et de ceux de son père, promettant à un moment donné des rendements annuels de 300 %. Il a ensuite cessé de payer les investisseurs tandis qu’Ivonélio Abrahão da Silva, fondateur du Mouvement international pour la restauration des nations, cherchait à les rassurer en leur disant que tout allait bien. Le père et le fils étaient tous deux d’éminents partisans de Jair Bolsonaro.

États-Unis : Exposition d’un document évangélique de référence

Un exemplaire rare d’un document du Second grand réveil prônant un « simple christianisme évangélique » est désormais exposé à l’Abilene Christian University, au Texas. La Declaration and Address de Thomas Campbell, publiée en 1809, est considérée comme un point de repère dans l’histoire chrétienne américaine. Le texte rejetait les credo et les dénominations et encourageait l’unité de l’Église par « la libéralité généreuse des amis sincères du christianisme authentique » et un engagement renouvelé envers les éléments essentiels de la foi. L’auteur et son fils, Alexander, ont par la suite joint leurs efforts à ceux d’un revivaliste de Cane Ridge, Barton W. Stone, pour former le mouvement Stone-Campbell, qui a donné naissance aux Églises du Christ, à l’Église chrétienne indépendante et au mouvement des Disciples du Christ. Il ne subsiste que six exemplaires de Declaration and Address.

Danemark : Les chrétiens-démocrates envisagent leur retrait

Un parti pro-vie vieux de 51 ans n’a pas réussi à obtenir de siège au Parlement danois lors des élections de l’automne, n’atteignant que 0,5 % des voix. Les chrétiens-démocrates n’ont remporté aucune élection nationale depuis 2005, et la direction du parti envisage de se retirer complètement de la politique nationale. Au Danemark, l’avortement est autorisé au-delà du premier trimestre de grossesse pour une grande diversité de raisons.

Nigeria : Premier festival national de cantiques

L’artiste reggae et gospel Buchi Atuonwu a accueilli le tout premier festival national de cantiques du Nigeria. Des équipes de louange et des chorales de l’Église évangélique « Winning All », de la communauté pentecôtiste du Nigeria, de l’Église catholique et des Églises de sainteté « white garment » se sont réunies à l’université de Lagos pour disputer un premier prix de 2 millions de nairas nigérians (environ 4 500 dollars américains). Atuonwu a également réuni une chorale œcuménique de 2 022 personnes pour témoigner de l’unité de l’Église. Pour lui, les grands hymnes qui soutiennent la foi doivent être célébrés.

Irak : Un chrétien tué à Bagdad

Un travailleur humanitaire chrétien américain a été tué par balle dans sa voiture près de son domicile à Bagdad. Stephen Troell, enseignant au Global English Institute, a été arrêté par une voiture puis tué par des assaillants d’une autre voiture, selon la police locale. Sa femme et son enfant étaient avec lui, mais n’ont pas été blessés. Personne n’a revendiqué l’attaque. Les attaques contre les étrangers sont rares en Irak depuis la défaite de l’État islamique en 2017. Le gouvernement irakien actuel, qui s’est engagé à remanier le système politique mis en place après l’invasion américaine, a récemment reçu un vote de confiance du parlement.

Russie : Distribution de bibles en chinois à Moscou

L’association Bibles for China a distribué 50 000 bibles en chinois aux Églises de Moscou. À l’origine, le groupe prévoyait de les distribuer du côté russe de la frontière entre la Russie et la Chine, dans l’espoir que des travailleurs migrants, des hommes d’affaires et des acheteurs chinois s’en emparent et que les Écritures fassent leur chemin jusqu’aux foyers chinois. La personne chargée de la distribution prévue a cependant fui la Russie lorsque le gouvernement a commencé en octobre à procéder à la conscription en vue de la guerre avec l’Ukraine.

Hong Kong : Un pasteur condamné pour des propos sur le système judiciaire

Un pasteur a été reconnu coupable de sédition et condamné à un an de prison. Garry Pang Moon-yuen a été arrêté après avoir assisté au procès d’une militante qui avait organisé une veillée pour commémorer le massacre de la place Tian’anmen et l’avoir applaudie dans la salle d’audience. Les autorités disent avoir découvert des vidéos sur YouTube montrant le pasteur en train d’inciter à la rébellion contre le gouvernement. Pang, qui par le passé dirigeait l’Église chrétienne chinoise d’Oxford en Angleterre, avait décrit et commenté les procédures judiciaires. Il affirme que la police et les tribunaux utilisent l’ancienne loi britannique et la récente loi sur la sécurité nationale pour écraser la dissidence démocratique et instaurer un contrôle autoritaire accru.

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

L’apôtre Pierre et les chrétiens qui ont pris d’assaut la capitale du Brésil

Cet apôtre passionné savait ce qu’est le zèle religieux. Son évolution dans la manière de le canaliser a changé le monde.

Des manifestants, partisans de l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, s’agenouillent pour prier alors qu’ils prennent d’assaut le palais Planalto à Brasilia, au Brésil.

Des manifestants, partisans de l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, s’agenouillent pour prier alors qu’ils prennent d’assaut le palais Planalto à Brasilia, au Brésil.

Christianity Today January 16, 2023
Adaptations par Christianity Today/Image source : Eraldo Peres/AP Images

En tant que Brésilien, je me souviendrai du 8 janvier 2023 comme de l’un des pires jours pour la démocratie de mon pays. En tant qu’évangélique, je m’en souviendrai aussi comme l’un des jours les plus sombres pour l’Église de mon pays.

Ce dimanche, des dizaines de citoyens en colère sont arrivés à Brasilia et ont pris d’assaut le Congrès national, la Cour suprême et le palais du Planalto, arrachant des meubles, endommageant des tableaux, brisant des fenêtres et frappant des journalistes. Ces extrémistes étaient des partisans de l’ancien président Jair Bolsonaro qui croient à tort que l’élection de 2022 a été truquée.

Les images vidéo de l’attaque de dimanche montrent la violence des vandales. Mais elles révèlent également que certains manifestants portaient des bibles, priaient avant d’entrer au Congrès et chantaient des cantiques alors qu’ils étaient détenus par la police fédérale — ce qui laisse comprendre que beaucoup étaient des évangéliques, une composante importante de la base électorale de l’ancien président.

« Le Brésil appartient au Seigneur Jésus. Le Congrès est notre église. Le Congrès est l’église du peuple de Dieu. Si vous êtes un chrétien, venez au Congrès. Le Congrès est à nous, le peuple de Dieu, jusqu’à l’intervention militaire. » Extrait d’une vidéo filmée au Congrès national, mise en ligne par Clayton Nunes.

Malheureusement, les germes de l’extrémisme qui a atteint son apogée dimanche ont en partie été semés et cultivés par des Églises évangéliques. Certaines d’entre elles ont soutenu Bolsonaro et fait campagne pour lui lors des dernières élections, amplifiant la polarisation, les discours de haine et la radicalisation. Dans leur appui extravagant à Bolsonaro, certains leaders évangéliques ont fait d’un politicien grossier, violent et cupide un « homme de Dieu ».

Au-delà de la manière dont de nombreux membres d’Églises évangéliques ont cultivé une proximité inadéquate avec Bolsonaro tout au long de sa présidence et de sa campagne de réélection, de nombreux responsables chrétiens ont peiné à manifester la réalité du fruit de l’Esprit dans leur engagement politique. Tout en appelant publiquement l’Église à défendre les valeurs familiales, trop de pasteurs ont été eux-mêmes en proie à la haine, à la rancœur, à la violence, à un esprit de division et à l’orgueil envers leurs adversaires politiques — des œuvres de la chair qui, selon Paul, empêchent d’entrer dans le royaume de Dieu (Ga 5.19-21).

Ces dernières années, diverses Églises ont entretenu un rapport pour le moins léger avec la vérité et ont trop souvent partagé de manière irresponsable des théories du complot. En 2022, certains chrétiens ont affirmé que des groupes de gauche se battaient pour la légalisation de la pédophilie. Depuis que Lula a revendiqué la victoire au second tour d’octobre, des chrétiens ont rejoint nombre de leurs compatriotes pour suggérer que les résultats du second tour de l’élection découlaient d’une fraude électorale.

Au lendemain de l’assaut contre le gouvernement, un sondage réalisé le 10 janvier par l’Instituto Atlas révélait que 67,9 % des évangéliques brésiliens pensent que Lula n’a pas réellement gagné les élections, 64,4 % estiment que l’assaut était justifié et 73,8 % pensent que Bolsonaro n’en est pas responsable.

Après les élections, des bolsonaristes ont installé des campements devant des casernes dans tout le pays, demandant à l’armée d’intervenir et de chasser Lula du pouvoir. Il y a quelques jours, alors que la police de Belo Horizonte démantelait un camp, un homme invoquait Dieu en mauvais hébreu : « Yauh, Yauh, s’il te plaît, ne le permets pas, Yauh. »

La prière était fervente et désespérée. Elle semblait également sincère et révélait une théologie qui avait encouragé le désespoir, le fanatisme et une attitude révolutionnaire — peut-être soutenue depuis la chaire. Nous avions là tous les ingrédients pour démolir une démocratie et ternir le témoignage chrétien. Autant de signes avant-coureurs de la tragédie à venir.

Je crains que nous ayons vu ce dimanche les fruits des pires tendances de l’Église, y compris le ressentiment envers le président et une partie de nos concitoyens brésiliens, une aversion pour la vérité, et une volonté d’embrasser la violence plutôt que la protestation non violente lorsque les choses ne vont pas dans le sens souhaité.

Ce n’est pas en faisant basculer les résultats en faveur d’un autre parti que l’on évitera ces choses lors de prochaines élections délicates. Au contraire, pour les chrétiens de toutes tendances politiques, il serait plutôt temps de nous reconnaître dans la vie et l’exemple de l’apôtre Pierre, puis de suivre les conseils qu’il nous donne pour vivre notre foi dans des circonstances difficiles ou des contextes où nous ne sommes pas nécessairement d’accord entre nous.

Pierre, passion et transformation du cœur

La Bible rapporte l’histoire d’êtres humains qui font des erreurs, qui pèchent et qui sont pourtant appelés par Dieu à la repentance et la conversion. L’apôtre Pierre est l’une de ces personnes. Il apparaît dans les Évangiles comme quelqu’un qui aime profondément Jésus, mais qui est enclin aux prétentions égoïstes, aux déclarations irréfléchies, voire aux décisions violentes. Pierre passe fréquemment et passionnément à côté du sujet. Il se dispute avec Jacques pour savoir qui s’assiéra un jour à la droite de Jésus. Il dit à Jésus qu’il ne le reniera jamais, et il coupe l’oreille d’un homme lorsque Jésus est arrêté. Même après que le Seigneur lui ait pardonné son reniement et que Pierre ait répandu l’Évangile après la première Pentecôte, il peine à surmonter sa xénophobie à l’idée de partager sa foi avec les païens.

Bien que peu enclin à faire taire ses émotions, quelques années après ses débordements malencontreux, Pierre écrit ainsi à des chrétiens qui cherchent à vivre leur foi avec audace :

Dans vos cœurs, révérez le Christ comme Seigneur. Soyez toujours prêt à répondre à tous ceux qui vous demandent de donner la raison de l’espérance qui est la vôtre. Mais faites-le avec douceur et respect, en toute bonne conscience, afin que ceux qui parlent malicieusement de votre bonne conduite dans le Christ aient honte de leur calomnie. (1 P 3.15-16)

La première exhortation de Pierre, « Dans vos cœurs, révérez le Christ comme Seigneur », met immédiatement de l’ordre dans nos priorités et nous appelle à vérifier si nous ne céderions pas à l’idolâtrie. Notez que Pierre écrit à des personnes qui croient en Jésus. Pourtant, il demande encore à ces chrétiens de s’assurer que le Seigneur est bien au centre. Cela implique non seulement de croire en Jésus, mais aussi de suivre sa parole et son exemple dans nos actions. Pour ce qui est des événements que nous avons vécus, Jésus ne cautionne nulle part le nationalisme ou la sédition — deux tendances politiques courantes dans le cadre du messianisme de son époque. Au contraire, le Seigneur n’a pas seulement fait l’éloge des Samaritains, il a aussi intégré les zélotes et les collecteurs d’impôts parmi ses disciples : opposants à l’occupant et collaborateurs.

S’adressant aux chrétiens vivant dans un monde hostile, l’apôtre Pierre — le même Pierre qui, auparavant, tenant d’une foi à la fois agressive et lâche, avait coupé l’oreille de Malchus et renié Jésus trois fois — explique comment répondre à qui nous demande la raison de notre espérance. Pierre utilise deux substantifs : la douceur (πραΰτητος), évoquant humilité et gentillesse, et le respect (φόβου), évoquant aussi révérence et crainte. Dans les rapports entre personnes, la douceur traduit une attitude d’humilité ou de soumission. De même, le respect renvoie à un sentiment de profonde considération pour autrui.

L’idée d’avoir une bonne conscience revient ailleurs dans 1 Pierre ; « conscience » réapparaît en 1 Pierre 2.19 et à nouveau en 3.21. Dans les deux cas, le contexte est celui de l’attitude de soumission et de respect que les chrétiens doivent adopter, même lorsqu’ils sont maltraités ou persécutés.

Lorsque nous nous sentons lésés, il est nous arrive souvent de nous penser légitimes à contourner les règles, déformer la vérité et agir en considérant que « la fin justifie les moyens ». Mais en prenant le temps d’y réfléchir, nous verrons rapidement que c’est précisément ce genre d’actions qui discrédite les chrétiens aux yeux du reste du monde. En réalité, Pierre veut que notre caractère soit si irréprochable que — il vaut la peine de répéter ces mots — « ceux qui parlent malicieusement de votre bonne conduite en Christ aient honte de leur calomnie ».

Quel rapport y a-t-il donc entre Pierre et les chrétiens qui ont saccagé la capitale brésilienne dimanche ou portent une responsabilité dans cette attaque en raison de leur influence ? Leurs vies manifestent que le zèle religieux peut prendre des proportions excessives et devenir une idolâtrie, dérobant la place qui n’appartient qu’au Seigneur. Comme Pierre nous l’enseigne, vivre selon les enseignements de Jésus signifie le considérer comme Seigneur suprême de notre vie. Même les chrétiens d’entre nous qui pourraient (naïvement) croire qu’ils ne prendraient jamais part à quelque chose comme l’attaque de dimanche dernier devraient reconnaître que nous échouons tous régulièrement dans ce domaine.

Les évangéliques doivent vivre la même métanoïa, ou conversion spirituelle, que l’apôtre Pierre. Cette transformation s’est peut-être produite lorsqu’il a commencé à suivre deux instructions de son Maître : au lieu de couper les oreilles, « range ton épée » (Jean 18.11), et au lieu de renier Jésus par peur ou par lâcheté, « prends soin de mes brebis » (Jean 21.16).

Gutierres Fernandes Siqueira est journaliste et théologien. Il est l’auteur de cinq livres, dont Quem tem medo dos evangélicos ? (« Qui a peur des évangéliques ? » — Mundo Cristão.) Il vit à São Paulo et est membre d’une Assemblée de Dieu (Ministério do Belém) dans cette ville.

Reportage additionnel par Marisa Lopes et Mariana Albuquerque

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Lumière du monde, espoir des nations

Méditation pour le jour de l’Épiphanie.

Méditation de l’Avent 2022.

Méditation de l’Avent 2022.

Christianity Today January 6, 2023
Stephen Crotts

Lisez Matthieu 2.1-12 et Ésaïe 49.6 , 60.3

En revoyant l’étoile, les mages furent remplis de joie. Ils entrèrent dans la maison, virent l’enfant […] et, tombant à genoux, ils lui rendirent hommage. MATTHIEU 2.10-11

Tout au long de l’histoire, les humains ont levé les yeux vers le ciel nocturne à la recherche de signes venant d’en haut. Cette orientation a conduit de nombreuses personnes à vénérer les étoiles et les corps célestes. En Genèse 1, le soleil et la lune ne sont pas désignés de la manière habituelle ; ils sont décrits comme le grand et le petit luminaires (v. 16), probablement pour éviter les noms couramment invoqués dans le culte des idoles dans le Proche-Orient ancien.

Pourtant, Dieu allait bientôt utiliser cette même recherche humaine de signes dans les étoiles pour révéler son alliance : il ordonna à Abraham de lever les yeux et d’observer les innombrables étoiles, préfigurant la bénédiction de sa descendance pour les nations. Des centaines d’années plus tard, pourtant, alors que les enfants d’Abraham étaient exilés à Babylone, les ténèbres des nations paraissaient avoir dévoré la lumière. L’espoir semblait perdu.

Mais Matthieu 2 nous fait assister à un renversement salutaire inattendu ! Des mages — issus d’une élite connue pour sa pratique de l’astrologie (et son idolâtrie) et venant probablement de la région où le peuple de Dieu avait été exilé — sont conduits à la foi en la promesse d’Abraham par leur étude du ciel. Les récits transmis par Daniel et les exilés de Babylone étaient-ils en train de s’accomplir ? S’aventurant probablement sur le même trajet de plus de 1400 kilomètres de l’ancienne Babylone à Jérusalem que les exilés de retour au pays avaient fait tant d’années auparavant, les mages cherchaient une réponse à une seule question : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? ».

Pour être informé de nos nouvelles traductions en français, abonnez-vous à notre newsletter et suivez-nous par Facebook ou Twitter.

Leur quête révèle une profonde aspiration spirituelle : « Nous avons vu se lever son étoile, et nous sommes venus lui rendre hommage ». Leur voyage était un accomplissement de la vision prophétique d’Ésaïe et un avant-goût de ce qui devait arriver : « je t’établirai pour être la lumière des autres peuples afin que mon salut parvienne aux extrémités de la terre. » (49.6). La « petite lumière » de l’étoile, orienta les Mages vers la « grande lumière » de la petite ville de Bethléem, suffisamment brillante pour éclairer toutes les nations. La lumière est entrée dans le monde, et les ténèbres ne l’ont pas étouffée.

La lumière de l’Épiphanie — l’apparition de Dieu dans la venue de Jésus — continue d’offrir un espoir à toutes les nations qui tâtonnent dans l’obscurité à la recherche de la vérité divine. Et comme nous le montrent les mages, c’est une nouvelle trop belle pour être gardée pour nous ! Ces mages venus d’Orient continuent de nous enseigner que nous aussi, nous sommes appelés à voyager et partager la nouvelle que Jésus est la Lumière du monde et l’espoir des nations. Comme nous le dit l’Écriture : « vous êtes un peuple élu, une communauté de rois-prêtres, une nation sainte, un peuple que Dieu a pris pour sien, pour que vous célébriez bien haut les œuvres merveilleuses de celui qui vous a appelés à passer des ténèbres à son admirable lumière » (1 P 2.9).

Rasool Berry est pasteur enseignant de l’Église The Bridge à Brooklyn, New York. Il est également l’hôte du podcast Where Ya From?.?

Réfléchissez à Matthieu 2.1-12 et à Ésaïe 49.6 ; 60.3.


Que révèle la visite des Mages sur l’identité et la mission de Jésus ? Comment l’Esprit vous incite-t-il à répondre à ce Jésus en tant que Lumière du monde ?

Jour de Noël

Méditation de l’Avent pour le 25 Décembre.

Méditation de l’Avent 2022.

Méditation de l’Avent 2022.

Christianity Today December 25, 2022
Stephen Crotts

Semaine 4: Emmanuel


En parcourant les événements entourant la Nativité, nous contemplons l’Incarnation. Jésus — le Dieu fort, le Prince de la paix, la Lumière du monde — s’est fait chair et a habité parmi nous. Comme l’annonçait la prophétie d’Ésaïe, il est « Dieu avec nous ». Jésus est Emmanuel.

ÉSAÏE 9.5– 6

Car un enfant est né pour nous, un fils nous est donné. Et il exercera l’autorité royale ; il sera appelé Merveilleux Conseiller, Dieu fort, Père à jamais et Prince de la paix. Il étendra sa souveraineté et il instaurera la paix qui durera toujours au trône de David et à tout son royaume. Sa royauté sera solidement fondée sur le droit et sur la justice, dès à présent et pour l’éternité.

Lisez Ésaïe 7.14 et 9.1-7


Célébrez dans la joie la naissance de Jésus.

Apple PodcastsDown ArrowDown ArrowDown Arrowarrow_left_altLeft ArrowLeft ArrowRight ArrowRight ArrowRight Arrowarrow_up_altUp ArrowUp ArrowAvailable at Amazoncaret-downCloseCloseEmailEmailExpandExpandExternalExternalFacebookfacebook-squareGiftGiftGooglegoogleGoogle KeephamburgerInstagraminstagram-squareLinkLinklinkedin-squareListenListenListenChristianity TodayCT Creative Studio Logologo_orgMegaphoneMenuMenupausePinterestPlayPlayPocketPodcastRSSRSSSaveSaveSaveSearchSearchsearchSpotifyStitcherTelegramTable of ContentsTable of Contentstwitter-squareWhatsAppXYouTubeYouTube