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L’Arménie s’efforce d’aider 100 000 réfugiés de l’Artsakh chassés par la guerre.

Comment les Arméniens de toutes obédiences tentent de secourir leurs compatriotes du Haut-Karabakh victimes, selon eux, d’une épuration ethnique. Et qu’en pensent les chrétiens d’Azerbaïdjan.

Deux femmes déplacées du Haut-Karabakh discutent dans un abri temporaire en Arménie.

Deux femmes déplacées du Haut-Karabakh discutent dans un abri temporaire en Arménie.

Christianity Today October 17, 2023
Diego Herrera Carcedo/Stringer/Getty

Karolin est l’une des 30 000 enfants arméniens qui se retrouvent sans foyer – à nouveau.

Fuyant l’enclave montagneuse du Haut-Karabakh face aux assauts de l’Azerbaïdjan le mois dernier, la jeune fille de 12 ans a fait une rencontre inattendue. Après avoir traversé le corridor de Latchine vers l’ouest, jusqu’à Goris en Arménie, elle s’est soudain retrouvée face à une travailleuse humanitaire qu’elle connaissait bien.

Arpe Asaturyan, fondatrice de Frontline Therapists (FLT), était elle aussi stupéfaite. Parmi les 100 000 réfugiés de ce que les Arméniens considèrent comme leur terre ancestrale, l’Artsakh, elle retrouvait une enfant déjà déplacée trois ans plus tôt. Un lien particulier s’était formé avec Karolin, alors âgée de 9 ans, qui l’avait serrée bien fort dans ses bras avant de rentrer chez elle.

Située sur le territoire internationalement reconnu de l’Azerbaïdjan, l’enclave arménienne du Haut-Karabakh a connu en 2020 une guerre sanglante de 44 jours. Plus de 6 000 soldats sont morts avant qu’un cessez-le-feu soutenu par la Russie ne laisse aux autorités locales arméniennes le contrôle d’une partie seulement des terres qu’elles gouvernaient auparavant.

Karolin et sa famille y sont retournés malgré tout, dans l’espoir de préserver leur présence plurigénérationnelle sur ces terres. Après avoir souffert de malnutrition pendant un blocus de neuf mois imposé par l’Azerbaïdjan, ils ont finalement emprunté la route de Latchine, la seule reliant l’enclave à l’Arménie, à bord d’un convoi de voitures et d’autobus roulant au ralenti pendant trois jours.

Au cours de la semaine et demie qu’a duré l’exode, les habitants de l’Artsakh ont traversé la frontière au rythme de 15 000 par jour.

Mais les retrouvailles douces-amères avec Karolin sont loin d’être le pire des épreuves endurées par Arpe Asaturyan. Dans le chaos de la relocalisation et le brouillard de la guerre, plusieurs mères ont dit à leurs enfants qu’ils retrouveraient leur papa en Arménie.

En tant que professionnelle, Arpe Asaturyan a été chargée de leur annoncer la mort de leurs pères.

« C’est déchirant, et vous savez que ce sera le pire jour du reste de leur vie. » « Avec tout ce qui s’est passé, il est difficile de trouver la foi. »

Lorsque la guerre de 2020 a éclaté, cette Californienne a laissé derrière elle un cabinet florissant dans le domaine du conseil en traumatologie pour rejoindre son peuple d’origine et s’occuper des soldats de retour au pays et de celles que le conflit a laissées veuves. Soutenue financièrement par la diaspora arménienne, elle supervise une petite équipe de thérapeutes rémunérés et bénévoles qui offrent gratuitement des services de santé mentale.

Mais dans les semaines qui ont suivi le conflit du mois dernier, son bureau s’est transformé en centre humanitaire. Vingt camions d’aide ont déjà été envoyés à Goris et à un camp d’été de refuge au centre de l’Arménie, où elle a rencontré Karolin pour la première fois.

« Ils savent que leur vie là-bas était précaire — ils ont même plastifié leurs documents », raconte la thérapeute. « C’est encore la phase de choc, mais le chagrin est mis de côté, car les mères endeuillées doivent maintenant se battre pour trouver un emploi. »

Le gouvernement arménien s’était initialement préparé à accueillir 40 000 personnes déplacées de l’Artsakh ; c’est le nombre de personnes qui se sont présentées en une seule journée, le 27 septembre. Le total des réfugiés représente 3,4 % de la population arménienne et s’ajoute aux quelque 35 000 réfugiés déjà présents. Et cela sans compter les 65 000 Russes au moins qui ont fui en Arménie en raison de la guerre en Ukraine, faisant grimper les prix de l’immobilier de 20 %. Les loyers se sont envolés.

Le gouvernement arménien verse une indemnité de réinstallation de 260 dollars par personne et promet une aide mensuelle de 100 dollars pour couvrir le loyer et les charges. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a demandé une aide internationale de 97 millions de dollars, et les États-Unis ont ouvert la voie en promettant plus de 11,5 millions de dollars.

« Des cacahuètes », commente Marina Mkhitaryan, directrice exécutive de l’Union générale arménienne de bienfaisance (UGAB), une organisation vieille de 180 ans qui entretient des liens institutionnels avec l’Église apostolique arménienne. « Le niveau de soutien ne fait qu’ajouter l’insulte à la blessure. »

En partenariat avec World Central Kitchen, l’UGAB a contribué à fournir 80 000 paquets de nourriture chaude à ceux qui en ont le plus besoin. Bientôt, l’organisation passera à des paquets de nourriture sèche afin que les familles puissent cuisiner leurs propres repas pendant quatre jours. Mais l’accent est mis sur l’intégration, en donnant aux personnes déplacées des outils pour vivre par leurs propres moyens.

Un centre logistique apporte son aide pour des questions telles que les documents officiels, l’ouverture de comptes bancaires et la compréhension du système fiscal. L’UGAB s’est associée à une agence locale pour l’emploi afin d’aider les personnes déplacées à trouver un travail et de leur offrir une formation à l’entrepreneuriat et aux compétences nécessaires pour occuper des postes simples dans le secteur des technologies de l’information, très développé en Arménie.

Cependant, soucieuse des termes employés, Marina Mkhitaryan veut plus que la stabilité pour les anciens résidents de l’Artsakh.

« Il s’agit de personnes déplacées qui finiront par retourner dans leur patrie historique », dit-elle. « Le terme réfugié implique une situation de non-retour, ce qui n’est pas ce que nous voulons. »

Le pasteur Vazgen Zohrabyan estime qu’un retour ne sera possible qu’en tant que citoyens azerbaïdjanais.

« Mais il n’y a pas d’espoir qu’ils y retournent maintenant », dit-il. « Ma première préoccupation est de savoir où ils vont vivre. »

L’église évangélique de la ville d’Abovyan, qui compte 400 familles, a ouvert ses portes, fourni des douches chaudes et posé des matelas sur le sol pour autant de personnes que possible. Au total, ils ont aidé 300 personnes à trouver un abri temporaire sur le site et ailleurs, et ont continué à fournir de la nourriture à 150 familles.

Nombreux sont ceux qui ont fui pour sauver leur vie, laissant derrière eux des photos de famille, des chaussures et leurs papiers.

Pendant la guerre de 2020 et dans ses suites, l’association Samaritan’s Purse et d’autres l’ont aidé à venir en aide à 12 000 familles. L’organisation caritative basée aux États-Unis est de retour en Arménie, mais le financement actuel du soutien offert par la communauté d’Abovyan est à présent assuré par un pasteur pentecôtiste argentin d’origine arménienne.

Mais Vazgen Zohrabyan arrive au bout de ses ressources et presque au bout de sa foi.

« Nous avons prié pour la victoire et nous avons pensé que Dieu nous la donnerait », rapporte-t-il. « Cela a été une leçon très douloureuse : Jésus n’est pas mort pour une terre, mais pour les âmes de ces précieuses personnes. »

Dimanche dernier, 40 réfugiés de l’Artsakh ont proclamé leur foi en Christ. La première campagne de secours organisée par Zohrabyan en 2020 avait conduit à la foi 70 nouveaux croyants, qui étaient retournés dans l’enclave pour y implanter une église sœur. Il leur rendait visite une fois par mois jusqu’à ce que le blocus rompe le lien physique.

Selon lui, de nombreux Arméniens rejettent la responsabilité sur la Russie.

Sans excuser l’Azerbaïdjan, l’analyse courante estime que le voisin du nord joue un côté contre l’autre pour asseoir son pouvoir dans la région. Inquiet de la démocratisation de l’Arménie, le Kremlin fomenterait des troubles par l’intermédiaire des partis d’opposition, qui affirment que la nation chrétienne historique ne peut survivre que si elle est liée à Moscou.

De nombreux Arméniens sont frustrés que la Russie se soit tenue à l’écart alors que l’Azerbaïdjan rompait le cessez-le-feu. Cinq Casques bleus russes ont même été tués au cours de l’opération, sans qu’aucune protestation ne soit émise.

Le Premier ministre Nikol Pachinian a récemment invité les forces américaines à participer à des exercices militaires conjoints et a joint l’Arménie à la Cour pénale internationale (CPI), où le président russe Vladimir Poutine est accusé de crimes de guerre. Ayant vu ses collègues évangéliques réduits au silence en Russie, Zohrabyan craint qu’un projet d’union politique avec Moscou ne nuise de la même manière aux croyants de son pays. Mais il ne fait pas non plus confiance à l’Occident en tant qu’allié de remplacement pour l’Arménie.

Tout est déterminé par des intérêts, estime-t-il, et non par des valeurs communes.

« Nous sommes soumis à une pression énorme. » « Priez pour nous — nous voulons voir la lumière au bout de ce tunnel. »

Il est possible qu’il y en ait, à l’intérieur même du pays.

« Nous disons que nous voulons récupérer nos terres en Turquie, mais nous n’avons pas encore rempli l’Arménie », dit Aren Deyirmenjian, directeur pour l’Arménie de l’Association missionnaire arménienne d’Amérique (AMAA), évoquant l’exode qui a suivi la Première Guerre mondiale et le génocide arménien. « Nous avons là une occasion en or. »

L’AMAA a participé aux premiers efforts de secours, en ouvrant d’abord sa petite église de Goris aux réfugiés, puis en fournissant un hébergement à court terme à 500 personnes dans un camp d’été et dans dix autres centres à travers l’Arménie. Un millier d’autres personnes ont bénéficié d’une aide alimentaire, vestimentaire et médicale.

Mais Deyirmenjian a commencé à planifier à moyen terme. La capitale Erevan étant déjà surpeuplée, les réfugiés devraient être réinstallés dans l’arrière-pays rural, estime-t-il. L’AMAA prévoit un projet de remplacement des actifs — par exemple, fournir cinq vaches à un agriculteur de l’Artsakh qui a laissé cinq vaches derrière lui.

L’Arménie compte de nombreux villages sous-peuplés ou dépeuplés prêts à les accueillir. Il s’agit de « zones stratégiques », dit-il, car l’Azerbaïdjan a émis des revendications de la région méridionale de Syunik, qui a grand besoin d’être développée.

« Nous sommes pressés de toutes parts », dit Deyirmenjian en évoquant 2 Corinthiens 4, « mais non écrasés […] Voilà pourquoi nous ne perdons pas courage. »

Le cessez-le-feu de 2020 prévoyait l’ouverture d’un corridor parallèle à la frontière de l’Arménie avec l’Iran, reliant l’Azerbaïdjan à son enclave non contiguë du Nakhitchevan, qui partage quelques kilomètres de frontière avec la Turquie. La proposition initiale prévoyait que des soldats de la paix russes garderaient le corridor. Quelle que soit la manière dont ce passage serait négocié, l’Arménie craint cependant une menace pour sa souveraineté territoriale.

L’Azerbaïdjan a menacé de recourir à la force et a déployé des troupes à la frontière sud. C’est pour cette raison, selon Deyirmenjian, que de nombreux réfugiés de l’Artsakh hésitent, à juste titre, à se réinstaller dans cette région, de peur d’être à nouveau déplacés. Erevan paraît bien préférable, mais beaucoup parlent d’un asile possible au Canada, en Russie ou à Chypre.

L’AMAA a eu des réunions avec le ministère arménien des Affaires sociales et constate une convergence avec la stratégie du gouvernement. Si les habitants de l’Artsakh peuvent devenir autosuffisants dans la région de Syunik, l’Arménie en tant que nation tirerait parti de ces 100 000 habitants supplémentaires.

Même si leur présence en Arménie est une injustice historique.

« D’abord les affamer, puis les effrayer pour qu’ils s’enfuient », résume Aren Deyirmenjian. « La stratégie de l’Azerbaïdjan a été parfaitement exécutée, mais, quels que soient les moyens utilisés, il s’agit d’un nettoyage ethnique. »

Les statuts de la CPI stipulent que le déplacement « forcé » ne se limite pas à la force physique, mais inclut la menace ou d’autres abus de pouvoir. Melanie O’Brien, présidente de l’International Association of Genocide Scholars, a estimé que le blocus du Haut-Karabakh avait créé un tel « environnement coercitif ».

L’Azerbaïdjan a cependant toujours déclaré que les Arméniens de l’enclave seraient accueillis comme des citoyens à part entière. Des soldats ont été photographiés en train d’offrir du chocolat aux enfants, tandis que les nouvelles autorités ont ouvert un abri pour les habitants vulnérables restés sur place.

Une équipe des Nations unies en visite dans le Haut-Karabakh a déclaré n’avoir entendu aucun rapport de violence contre les civils et n’avoir vu aucune preuve de dommages causés aux hôpitaux, aux écoles ou aux infrastructures agricoles. Bien que des rumeurs d’atrocités aient circulé dans les villages, les témoignages recueillis par les journalistes auraient révélé que la plupart des réfugiés n’ont pas rencontré un seul soldat.

Human Rights Watch a interrogé plus de deux douzaines de réfugiés et de fonctionnaires, mais n’a pas signalé d’abus et a déclaré que les gens avaient fui « dans la peur et la panique ». Une femme a déclaré que les autorités locales lui avaient demandé de partir dans les 15 minutes. Une autre femme a demandé l’administrateur de son village si elle pourrait revenir plus tard et on lui a répondu que si elle finissait massacrée, ce ne serait pas de leur responsabilité.

« Personne ne les a poussés à quitter le territoire », estime un pasteur azerbaïdjanais, qui a demandé l’anonymat pour s’exprimer sur des questions politiques. « J’espère qu’ils reviendront. »

L’organisation américaine Freedom House qualifie Azerbaïdjan de pays « non libre », classé au treizième rang dans son index des états les moins ouverts au monde.

Le pasteur se remémore l’époque où les Arméniens et les Azerbaïdjanais vivaient côte à côte en paix. Les gens normaux ne se haïssent pas, dit-il, mais ceux qui ont perdu leur maison ou des membres de leur famille dans le conflit sont devenus amers. Il rappelle que lorsque les Arméniens ont pris le contrôle du Haut-Karabakh en 1994, 500 000 réfugiés azerbaïdjanais ont fui l’enclave et 186 000 autres ont quitté l’Arménie.

Environ 30 000 personnes ont été tuées des deux côtés et 350 000 Arméniens ont quitté l’Azerbaïdjan.

« Je pense que des incidents [contre les Arméniens] ont pu se produire », estime un autre dirigeant chrétien azerbaïdjanais, qui a demandé l’anonymat en raison du caractère sensible de la situation. « Mais par rapport à l’histoire du conflit, cette prise de contrôle a été très pacifique. »

Selon lui, il est peu probable que les soldats azerbaïdjanais voient d’un bon œil les Arméniens, dont il est également compréhensible qu’ils se méfient des promesses officielles de traitement équitable. Mais ayant vu son pays musulman évoluer vers un régime laïque qui accorde la liberté aux musulmans convertis à la foi chrétienne, il pense que les Arméniens seraient les bienvenus et protégés.

S’ils reviennent, la région sera prospère d’ici cinq ans, estime-t-il. Le Haut-Karabakh étant revenu sous la souveraineté de l’Azerbaïdjan, il a exprimé l’espoir que les deux nations puissent désormais conclure un traité de paix.

Nikol Pachinian a indiqué qu’il était prêt à participer à des négociations, dont il estime la probabilité de réussite à 70 %. Selon notre source azerbaïdjanaise, des avantages économiques découleraient des échanges commerciaux, et des oléoducs pourraient relier les deux pays à la Turquie et à l’Europe.

« Ils n’étaient pas obligés de partir. Mais je peux imaginer un avenir où les Arméniens et les Azerbaïdjanais voyageront librement entre les deux pays. »

Un troisième responsable chrétien azerbaïdjanais s’est montré laconique dans son évaluation de cet exode.

« J’entends les nouvelles officielles des deux côtés. Je n’en sais pas plus. »

Eric Hacopian, analyste politique arménien de la Fondation Civilitas, rejette les comptes-rendus officiels qui absolvent l’Azerbaïdjan de toute épuration ethnique.

« La visite des Nations unies a fait l’objet de pas mal de plaisanteries », rapporte-t-il. « Personne ne prend leur rapport au sérieux. »

Notant que le rapport émane du bureau azerbaïdjanais de l’organe, qui a investigué après que les atrocités ont été commises et dissimulées, Hacopian déclare qu’il a vu des vidéos d’abus postées par les soldats eux-mêmes. Et si seule une poignée d’Arméniens est restée sur le territoire pour témoigner, la plus grande omission de l’ONU a été de ne pas se rendre dans les villages de campagne que les habitants ont fuis.

La vérité éclatera, dit-il.

C’est le prochain grand projet d’Arpe Asaturyan. En collaboration avec une équipe de spécialistes internationaux, elle envisage une recherche académique comparant le traumatisme de 2020 au traumatisme vécu par les réfugiés aujourd’hui. En vue d’être revue par des pairs et publiée de manière professionnelle dans une revue réputée, elle évaluera les récits de témoins oculaires pour établir des faits.

Nombreux sont ceux qui lui ont raconté de seconde main des histoires de viol, de décapitation et de mort par le feu. Des SMS anonymes leur affirmaient qu’il leur restait 24 heures avant la fermeture définitive du corridor de Latchine, puis étaient suivis d’autres messages les encourageant à s’intégrer en Azerbaïdjan. Mais une grand-mère qui, avec son mari, s’était d’abord assise sous le porche de leur maison, fusil à la main, pour défendre leur terre, a raconté les raisons de leur départ.

Ils ont battu une femme enceinte, dit-elle, et elle est ensuite décédée d’une hémorragie interne.

Les responsables du Haut-Karabakh ont indiqué que dix civils, dont cinq enfants, ont péri lors de l’offensive azerbaïdjanaise qui a tué au moins 200 soldats. Au moins 400 autres personnes ont été blessées.

Pour celles-ci et les 100 000 autres déplacés, les opérations de secours se poursuivent.

L’UGAB réaménage une partie de son centre à Erevan pour accueillir 170 autres déplacés de l’Artsakh. L’AMAA continuera à payer les salaires de ses 79 employés d’Artsakh pendant une année entière. L’église d’Abovyan prépare les nouveaux croyants au baptême et à la vie de disciple. Parallèlement aux accompagnements réguliers, Frontline Therapists fournit une aide d’urgence à plus de 500 familles.

Mais pourquoi sont-ils là, et non dans leur patrie historique ? Même les moines ont quitté leurs monastères. Ce serait la première fois en 1 700 ans que l’on n’entendra pas de prières chrétiennes arméniennes dans l’Artsakh.

« Il existe un instinct naturel qui pousse à protéger sa vie et sa famille », dit Arpe Asaturyan. « Mais la façon dont ils sont partis… quelque chose s’est passé. »

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L’histoire méconnue de l’évolution des évangéliques à propos d’Israël

Les réponses des responsables évangéliques à la nouvelle guerre entre Israël et le Hamas se construisent depuis 50 ans.

Manifestation de solidarité avec Israël pendant la guerre du Kippour en 1973.

Manifestation de solidarité avec Israël pendant la guerre du Kippour en 1973.

Christianity Today October 17, 2023
William Lovelace/Stringer/Getty

Les effroyables attaques perpétrées contre Israël le 7 octobre ont eu lieu presque 50 ans jour pour jour après le début de la guerre du Kippour. Les hostilités avaient alors commencé après l’invasion surprise d’Israël par l’Égypte, la Syrie et la Jordanie le 6 octobre 1973. Cette fois, la violence a démarré par un assaut brutal du groupe terroriste Hamas.

La comparaison entre les deux a des limites. Néanmoins, il est révélateur d’observer la façon dont les évangéliques (et en particulier les évangéliques américains) ont réagi à ces crises à 50 ans d’intervalle et de voir ce qui a changé et ce qui reste identique. Les évangéliques s’intéressent de plus près au Proche-Orient aujourd’hui qu’à l’époque, et leurs approches de la question se sont diversifiées.

Quelques jours seulement après le début du conflit, on entendait déjà des réactions de personnalités évangéliques de premier plan face aux actes de violence et aux prises d’otages sans précédent du Hamas. Le rédacteur en chef de CT, Russell Moore, appelait les chrétiens à « se tenir aux côtés d’Israël attaqué », tandis que la déclaration de l’Association nationale des évangéliques américains (NAE) condamnait la violence des deux côtés.

Samuel Rodriguez, président de la National Hispanic Christian Leadership Conference [un important mouvement hispanophone chrétien aux États-Unis] déclarait sur Twitter/X : « Le Hamas est le nouvel ISIS et il faut l’arrêter ! » Shane Claiborne, pacifiste et militant évangélique, a lui critiqué Israël et le Hamas pour avoir « fait des choses qui ne conduisent pas à la paix ». Greg Laurie, pasteur de la Harvest Christian Fellowship en Californie, estimait lui que l’attaque du Hamas avait une dimension prophétique.

Ces réactions ne sont pas surprenantes. Aujourd’hui, nous tenons pour acquis que des dizaines, voire des centaines, d’associations évangéliques, d’organisations paraecclésiastiques, d’églises et de responsables chrétiens se prononceront sur cette situation tragique, et que ces déclarations varieront dans leurs approches.

Mais cela n’a pas toujours été le cas, et notamment pas avant la guerre du Kippour. Au cours des 50 dernières années, un véritable écosystème de ministères et de groupes de pression s’est développé autour des relations israélo-palestiniennes, dont certains sont explicitement sionistes chrétiens ou propalestiniens.

Bien sûr, des agences missionnaires dédiées au Proche-Orient existent depuis plus de deux siècles. L’action évangélique et le soutien aux efforts humanitaires dans la région ont été présents tout au long des nombreuses guerres de l’ère moderne. Mais la préoccupation centrale pour le conflit israélo-palestinien est un développement historique du mouvement évangélique plus récent que beaucoup ne le pensent.

Ce phénomène relève d’une convergence de tendances et de facteurs propres aux évangéliques et son étude met en lumière la manière dont les réactions évangéliques ont été façonnées par le contexte politique et géopolitique plus large.

En 1973, un cercle relativement restreint de responsables exerçait l’essentiel de l’influence dans les médias et auprès des institutions lorsqu’il s’agissait de parler du Proche-Orient au nom des « évangéliques ». La visibilité médiatique des évangéliques se résumait à un petit réseau sioniste chrétien naissant, forgé dans les premières années de l’existence de l’État d’Israël. Ce réseau a pris de l’importance après la guerre des Six Jours de juin 1967, qui a vu Israël vaincre de manière décisive ses voisins arabes.

Nombre de ces intervenants connaissaient personnellement Billy Graham ou gravitaient dans les cercles environnants. Le fondateur de CT fut un véritable pivot dans les relations entre Juifs et évangéliques dans l’après-guerre. Il joua un rôle crucial en coulisses en octobre 1973 (pendant la guerre du Kippour) en encourageant le président Nixon à donner le feu vert au plus grand pont aérien de l’histoire des États-Unis pour aider Israël.

En dehors de Graham, les réactions évangéliques de 1973 représentaient un éventail d’opinions beaucoup plus restreint qu’aujourd’hui. Les évangéliques américains ont rapidement et systématiquement pris la défense d’Israël. Arnold T. Olson, alors président de la NAE et président de longue date des Églises évangéliques libres d’Amérique, décrivit l’attaque contre Israël comme « une nouvelle preuve des profondeurs dans lesquelles l’esprit humain peut sombrer ».

G. Douglas Young, le fondateur canadien de l’American Institute of Holy Land Studies (aujourd’hui Jerusalem University College), une école d’études supérieures à Jérusalem, comparait les défis auxquels Israël était confronté en temps de guerre à ceux des Juifs d’Allemagne dans les années 1930, affirmant que le relatif silence des chrétiens au cours de la deuxième semaine de la guerre rappelait le silence des Églises pendant l’Holocauste.

Malgré l’initiative de Graham auprès de Nixon, le Christianity Today de l’époque eut probablement l’analyse la moins partisane, dénonçant l’invasion, mais reconnaissant qu’une « réticence à abandonner toute partie substantielle de ses acquisitions des Six jours » faisait qu’Israël avait « laissé derrière lui les germes d’un autre conflit ».

Au cours de la décennie suivante, tout un écosystème d’organisations sionistes chrétiennes allait émerger et éclipser, du moins en nombre, les autorités évangéliques de 1973. L’élan initié par des personnalités comme Olson et Young, relativement proches de Graham, allait bientôt être transformé par une nouvelle série d’organisations fondamentalistes et pentecôtistes.

Il s’agissait de conservateurs plus motivés sur le plan idéologique (et eschatologique) et disposant de bien plus de ressources et de membres que la dénomination d’Olson et l’école supérieure de Young. Outre cela, leur accord allait au-delà des positions théologiques — et des recommandations de la politique américaine à l’égard d’Israël — pour s’étendre au soutien de politiciens israéliens émergents de droite tels que Menachem Begin.

Jerry Falwell Sr, Pat Robertson et le jeune John Hagee s’engagèrent dans un activisme pro-Israël dès la fin des années 1970. En 2006, Hagee fondait Christians United for Israel, une organisation de lobbying, dont Falwell est alors membre du conseil d’administration.

À cette époque, les chrétiens sionistes américains, pour la plupart évangéliques, étaient prêts à être représentés en tant que bloc électoral par une organisation faîtière concentrée sur ce seul sujet. Aujourd’hui, l’organisation de Hagee revendique plus de 10 millions de membres.

Si l’avènement d’un sionisme chrétien organisé constitue une évolution déterminante dans la manière dont les évangéliques envisagent aujourd’hui le conflit israélo-palestinien, ce n’est pas toute l’histoire. Un mouvement parallèle, quoique plus modeste, voit également le jour après la guerre de 1973, donnant une voix à la critique du sionisme chrétien et à la solidarité avec les chrétiens palestiniens au sein de la gauche évangélique naissante.

Des revues comme The Post-American (aujourd’hui Sojourners) commencent alors à critiquer les approches théologiques et politiques des évangéliques pro-Israël. Dans les années 1980, des figures internationales comme John Stott encouragent — par l’intermédiaire du Mouvement de Lausanne et d’autres — les organisations évangéliques à lutter contre le sionisme chrétien et à nouer des relations avec les chrétiens palestiniens.

L’organisation Evangelicals for Middle East Understanding (« Évangéliques pour la compréhension au Moyen-Orient ») fut créée en 1986. Sabeel, un centre de théologie dont le siège se trouve en Cisjordanie, fut fondé en 1989 par le théologien anglican palestinien Naim Ateek, spécialiste de la théologie de la libération. Ces dernières années ont également vu le jour le Bethlehem Bible College, la conférence Christ at the Checkpoint qui y est associée et un réseau croissant d’organisations propalestiniennes.

L’équilibre entre les défenseurs d’Israël et les défenseurs des Palestiniens reste loin d’être atteint. Les sionistes chrétiens n’ont jamais été aussi organisés et unifiés qu’au cours de la dernière décennie et demie. Ils ont incontestablement contribué à ce que l’ancien président Donald Trump accomplisse un de leurs objectifs de longue date en déplaçant l’ambassade des États-Unis en Israël à Jérusalem en 2018.

Après les attentats terroristes perpétrés ce mois-ci par le Hamas, l’International Fellowship of Christians and Jews, une organisation juive soutenue principalement par des chrétiens évangéliques, s’est immédiatement engagée à verser une aide de 5 millions de dollars. L’organisation Christians United for Israel de John Hagee a également promis d’« affronter et de vaincre tout élu à Washington qui tenterait de saper la capacité d’Israël à se défendre » dans la guerre contre le Hamas.

Pourtant, il semble que les jeunes évangéliques sont plus ouverts aux arguments politiques palestiniens (ce qui ne veut pas dire qu’ils soutiennent le Hamas) ou se désintéressent complètement de la question. Des organisations pro-Israël comme Passages — inspirée par les populaires voyages de l’organisation Birthright Israël pour les étudiants juifs américains — tentent d’enrayer ce changement, mais les résultats des sondages continuent de montrer un fossé générationnel. En 50 ans, le paysage s’est considérablement modifié.

Une partie de cette situation est moins liée à la situation au Proche-Orient qu’aux changements politiques intervenus aux États-Unis. Le réalignement partisan en matière de politique étrangère est un élément majeur de cette histoire, tout comme la croissance des groupes de pression nationaux tels que l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC). Le soutien à Israël, même s’il reste largement bipartisan pour la plupart des Américains, revêt de plus en plus l’aspect d’un des nombreux champs de bataille de la guerre culturelle opposant les conservateurs aux progressistes et les jeunes à leurs aînés.

Le développement d’Internet et des réseaux sociaux fait que les évangéliques sont plus que jamais au courant de la vie quotidienne des Israéliens et des Palestiniens. Cependant, ce que nous savons nous parvient par le filtre des organisations et des médias que nous suivons. Un fidèle téléspectateur du Christian Broadcasting Network (nettement pro-Israël avec une émission dédiée à ce sujet) aura une compréhension des événements actuels étonnamment différente de celle d’un autre chrétien qui reçoit des informations de Sabeel ou de B'Tselem, une organisation pacifiste basée à Jérusalem.

Le tourisme évangélique en Israël s’est maintenu à un niveau élevé, permettant à des milliers de visiteurs de vivre une expérience de première main (même si pas nécessairement représentative) de la vie en Israël et dans les territoires contestés. En outre, la croissance du leadership pentecôtiste dans les cercles évangéliques conservateurs — de Hagee à l’activiste juif messianique Michael David (Mike) Evans en passant par l’auteur populaire Joel Rosenberg — a ouvert la voie à un sionisme chrétien qui s’est développé au-delà de l’Amérique pour devenir un mouvement mondial.

Mais la situation au Proche-Orient a aussi beaucoup évolué. Je pense notamment à la longue influence politique du Premier ministre israélien Benyamin (Bibi) Netanyahou (un favori du sionisme chrétien), l’élargissement des colonies juives dans les territoires palestiniens contestés, l’influence régionale croissante de l’Iran et le comportement violent et despotique du Hamas et de l’État islamique, entre autres acteurs problématiques de la région.

Les premiers jours du nouveau conflit en Israël ont clairement montré à quel point la perception de la situation parmi les évangéliques a changé depuis 1973 et comment celle-ci a fini par capter bien plus de notre attention. La guerre en cours entre Israël et le Hamas pourrait bien conduire à de nouvelles évolutions.

Daniel G. Hummel travaille à Upper House, un centre d’études chrétiennes sur le campus de l’université du Wisconsin à Madison. Il est l’auteur de Covenant Brothers: Evangelicals, Jews, and U.S.-Israeli Relations.

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Comment faire dépérir la plante vénéneuse qu’est le Hamas ?

Point de vue d’un chrétien palestinien sur la tragédie survenue en Israël et la manière de s’attaquer aux racines du problème.

Des partisans du mouvement islamiste Hamas.

Des partisans du mouvement islamiste Hamas.

Christianity Today October 17, 2023
NurPhoto / Contributor / Getty

Cet article est publié sous pseudonyme pour la sécurité de l’auteur.

L’attaque dont Israël a été victime est à l’échelle du 11 septembre. Menée par le Mouvement de résistance islamique, communément appelé Hamas, elle a anéanti aussi bien les Juifs que les Palestiniens. Aucun mot ne peut décrire la tristesse et l’horreur face à ces actes. Mais nous ne devons pas permettre à ce terrible événement d’obscurcir notre vision ou de nous pousser à la vengeance contre les civils.

Il est insultant de me demander si, en tant que chrétien palestinien et citoyen israélien, je condamne cette violence. Je la condamne évidemment. Je voudrais aussi partager avec mes frères chrétiens mon point de vue sur la manière dont nous pourrons stopper le terrorisme à la racine, en pensant non seulement à la réponse militaire immédiate d’Israël, mais aussi aux questions à plus long terme sur la justice, la sécurité et la dignité donnée par Dieu aux Israéliens et aux Palestiniens.

L’attaque brutale menée contre des civils israéliens a eu lieu 16 ans jour pour jour après qu’un employé de la Société biblique palestinienne à Gaza, Rami Ayyad, a été enlevé et assassiné parce que des islamistes radicaux pensaient qu’il faisait un travail missionnaire. Malgré des demandes de l’opinion publique que les dirigeants du Hamas à Gaza trouvent les assassins, personne n’a été tenu pour responsable de sa mort.

Le meurtre de Rami n’a toujours pas été officiellement élucidé à ce jour, et il a conduit certains chrétiens palestiniens à quitter Gaza. Il semblerait que l’enlèvement et l’assassinat étaient le fait d’une faction radicale que les dirigeants du Hamas ne voulaient pas confronter ou tenir pour responsable.

Une décennie et demie plus tard, nous nous trouvons face à un nouveau cycle de violence, cette fois encore bien plus féroce et complexe. L’assaut du Hamas est d’une atrocité et d’une ampleur sans précédent, et la réponse d’Israël doit tenir compte de plus d’une centaine d’otages israéliens à Gaza et d’un deuxième front dans le nord d’Israël, où les forces israéliennes combattent déjà le Hezbollah libanais (soutenu par l’Iran et lié au Hamas).

Lorsque j’ai commencé à rédiger cet article, les combats se déroulaient principalement dans le sud du pays, autour de Gaza. Le soir venu, j’ai fait une pause pour me rendre à une réunion de prière spéciale parmi des églises évangéliques situées au nord. Soudain, une sirène a retenti, signalant l’infiltration d’un drone du Hezbollah. J’ai passé quelques coups de fil et nous avons immédiatement basculé vers une réunion virtuelle. Une cinquantaine de chrétiens y ont participé, implorant Dieu d’arrêter l’effusion de sang. Nous avons appris plus tard que la sirène était une fausse alerte.

Après la révélation de l’ampleur de la catastrophe initiale, j’ai envoyé des messages d’encouragement et de condoléances à un certain nombre d’amis juifs, messianiques ou non. Une réponse a attiré mon attention. Un ami juif messianique m’a écrit qu’il soupçonnait que la réponse israélienne serait extrêmement rigoureuse, car l’attaque du Hamas a ravivé chez les juifs le souvenir de l’Holocauste.

Ce traumatisme historique et l’horreur nouvelle du carnage perpétré par le Hamas rendent très vraisemblable qu’Israël donne suite à la promesse du Premier ministre Benyamin Netanyahou de « réduire en ruines tous les endroits où le Hamas se cache et opère », ce qui, en raison de la petite taille de Gaza, signifie que l’ensemble du territoire sera ravagé et qu’un très grand nombre de civils innocents seront tués.

Je comprends le besoin de représailles d’Israël et les voix qui appellent à écraser le régime du Hamas. Je prie cependant pour que ne soient pas blessés des innocents, et je crains que cette réponse ne s’attaque pas aux racines du problème à Gaza — et qu’elle puisse même s’avérer contre-productive en prolongeant le cycle de la violence et de la haine. Il est très délicat de parvenir à s’exprimer avec sagesse au milieu de telles effusions de sang. Néanmoins, j’aimerais essayer.

En me tournant vers l’avenir, vers une époque où la violence actuelle aura pris fin, je me demande comment nous pourrions rendre inconcevable que des êtres humains se comportent de manière aussi brutale que l’a fait le Hamas avec son agenda religieux fanatique.

Certains chrétiens pensent que cette violence est inhérente à l’islam. Je ne le pense pas. Pourquoi les musulmans de Malaisie ou de Tunisie, par exemple, n’agissent-ils pas de la sorte ? Non, il se passe ici quelque chose de différent. La plante vénéneuse du Hamas a pu prendre racine chez nous grâce aux conditions favorisées par la mauvaise approche du gouvernement israélien à l’égard des Palestiniens.

Historiquement, certains dirigeants israéliens ont même été prêts à renforcer le Hamas pour contrer le Fatah, laïc et plus modéré. D’anciens responsables israéliens ont par le passé déclaré au New York Times et au Wall Street Journal avoir reçu l’ordre d’aider le Hamas à « faire contrepoids » au Fatah. [Dans la suite des attaques, le quotidien israélien] Haaretz a rappelé qu’en 2019, Netanyahou déclarait aux membres de son parti que « soutenir le Hamas » contribuerait à empêcher la création d’un État palestinien en « isolant les Palestiniens de Gaza des Palestiniens de Cisjordanie ».

De nombreux Palestiniens veulent un État, car la situation de Gaza était déjà désastreuse avant le début de la guerre. Gaza est densément peuplée et très pauvre. La moitié de la population vit dans la pauvreté et beaucoup sont au chômage.

Gaza est actuellement « complètement assiégée », mais elle fait l’objet d’un blocus depuis 16 ans. Les Nations unies rapportent que 95 % des habitants de Gaza n’ont même pas d’eau potable et que la plupart d’entre eux ne disposent pas non plus d’un accès fiable à l’électricité. Telle est la situation des plus de 2 millions d’habitants de Gaza. Ils n’ont pas de statut étatique et n’ont aucune perspective de changement. Les Palestiniens de Gaza vivent sans la dignité fondamentale à laquelle tous les êtres humains ont droit en tant qu’enfants de Dieu.

La situation des Palestiniens de Cisjordanie, dirigée par le président Mahmoud Abbas issu du Fatah, n’est guère meilleure que celle de Gaza. Là, le gouvernement israélien restreint de plus en plus les déplacements des Palestiniens et étend les colonies israéliennes dans les territoires contestés. Certains colons sont également des extrémistes violents : plus de 700 attaques de colons contre des civils palestiniens ont été signalées au cours de cette seule année.

Le sentiment des Palestiniens que rien ne changera n’a fait que s’accroître tandis que Netanyahou se rapprochait de la conclusion d’un accord facilité par les États-Unis pour normaliser les relations diplomatiques d’Israël avec l’Arabie saoudite, la perle tant convoitée des accords d’Abraham. L’accord visait à « isoler et supprimer la question palestinienne ». Netanyahou avait auparavant écrit que le « chemin de la paix » au Moyen-Orient « contournerait » les Palestiniens, qui n’auraient pas la possibilité d’opposer leur « veto » à l’accord. Netanyahou espérait ainsi mettre fin au conflit israélo-palestinien sans concéder ne serait-ce que le minimum demandé par les Palestiniens.

C’est sur ce terreau que les mouvements idéologiques islamistes haineux ont pu prospérer. Dans cet environnement de haine, de racisme et de violence, le Hamas a abusé les jeunes avec de fausses promesses. Sans espoir à l’horizon, les adhérents du Hamas en Palestine ont sombré dans l’obscurité et permis à l’organisation de faire des Israéliens eux aussi des victimes de cette situation.

Mais les choses ne doivent pas nécessairement continuer ainsi. En tant que chrétiens, nous croyons au pouvoir de la rédemption. Si l’on offre un réel espoir d’avenir à ce pays, ces mouvements de haine s’étioleront. Pour une paix durable, nous devons respecter l’image de Dieu présente tant dans les Israéliens que les Palestiniens.

Est-ce trop demander que de ne pas voir cette situation comme un jeu à somme nulle [où l’on ne gagne que si l’autre perd] ? Les Israéliens et les Palestiniens ne devraient-ils pas pouvoir tous vivre dans la dignité voulue par Dieu ? Notre objectif devrait être non seulement la sécurité, mais aussi l’épanouissement de tous, et non aux dépens les uns des autres.

Tamir Khouri est le pseudonyme d’un Palestinien chrétien et citoyen israélien de la région de Galilée en Israël.

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Books

Guerre en Israël : les chrétiens locaux entre colères et rappel à l’Évangile

Face aux milliers de morts provoquées par les attaques terroristes, évangéliques palestiniens et juifs messianiques partagent leur étonnement, leur tristesse et leurs prières pour la paix et la justice.

À gauche : Des victimes parmi les forces israéliennes luttant contre les militants islamistes du Hamas. À droite : Les suites des frappes aériennes israéliennes sur Gaza.

À gauche : Des victimes parmi les forces israéliennes luttant contre les militants islamistes du Hamas. À droite : Les suites des frappes aériennes israéliennes sur Gaza.

Christianity Today October 12, 2023
picture alliance / Ahmad Hasaballah / Stringer / Getty / Adaptations par CT

À l’heure où nous concluons cet article, au moins 1 200 Israéliens et 1 100 Palestiniens ont été tués. Outre le nombre impressionnant de victimes de ces premiers jours de guerre entre Israël et le Hamas, c’est aussi la brutalité du Hamas qui a choqué le monde.

Plus de 200 jeunes ont été tués lors d’un festival, des fermes et des villages entiers ont été frappés par la terreur armée, et environ 150 otages restent menacés de mort si les bombardements israéliens sur la bande côtière ne cessent pas.

Un arrêt des opérations israéliennes étant peu probable, le nombre de victimes augmentera très certainement.

Israël a appelé 360 000 réservistes et s’apprête à lancer une offensive terrestre dans la bande de Gaza. Dans les suites d’une stratégie militaire consistant à répondre au terrorisme par l’écrasement, les conflits passés dans cette bande de terre de 40 kilomètres aujourd’hui assiégée ont déjà produit de très nombreuses victimes. Les affrontements de 2014 avaient fait 73 victimes israéliennes et 2 100 victimes palestiniennes.

De leur côté, de nombreux Israéliens vivent dans la peur. Depuis le retrait unilatéral d’Israël de Gaza en septembre 2005, la Jewish Virtual Library a recensé 334 décès dus au terrorisme et au moins 20 648 tirs de roquettes et d’obus de mortier sur le territoire israélien.

Au milieu de ces chiffres dramatiques, les chrétiens locaux se rejoignent sur certains terrains, au-delà des clivages ethniques. Christianity Today a interrogé trois juifs messianiques, trois évangéliques palestiniens et deux chrétiens de Gaza qui se trouvent actuellement hors de leur bande côtière natale.

Étonnement partagé

« Le niveau de haine et de méchanceté affiché dans ces actes est vraiment choquant », dit Eli Birnbaum, directeur d’une branche de l’organisation Juifs pour Jésus à Tel-Aviv et à Jérusalem. « Il s’agit d’une situation sans précédent depuis des décennies, qui a profondément ébranlé la population. »

Les attaques dans son quartier ont été si intenses, dit-il, que les gens restent à l’intérieur. En communication constante avec sa famille, ses amis et 50 membres du personnel à temps plein, il estime que les siens font de leur mieux pour rester en contact et s’encourager.

Le samedi de l’attentat, la communauté chrétienne à laquelle il appartient s’est réunie pour prier. Incertains sur les orientations à prendre, ils ont distribué des recommandations de prière pour un retour en bonne santé des otages. Certains membres ont simplement allumé des bougies.

Juifs pour Jésus a collecté des biens de première nécessité pour les familles déplacées et les soldats à la frontière.

Au moins un Juif messianique est mort pour sa nation. David Ratner a été qualifié de héros de guerre par son commandant, sauvant la vie de cinq autres soldats tandis que leur poste était pris d’assaut par 400 combattants du Hamas. Atteint à la nuque par une balle, il aurait encore poursuivi le combat pendant huit heures.

Eli Birnbaum a recommandé à ses enfants de s’opposer fermement au développement de la haine. Il exhorte les Israéliens à rechercher la justice sans la vengeance. Il demande à chacun de rester sincèrement préoccupé par le sort des Juifs et des Palestiniens, tout en priant pour Gaza et sa libération du Hamas.

« Que pouvons-nous faire pour représenter le Seigneur alors que notre pays est en crise ? » réfléchit-il. « Merci de prier pour nous, afin que nous choisissions judicieusement comment faire briller sa lumière dans cet endroit bien sombre en ce moment. »

Grace Al-Zoughbi, enseignante palestinienne en théologie, est également à la recherche de cette lumière.

« L’Église essaie de s’accrocher à toutes les lueurs d’espoir qu’elle peut trouver », décrit-elle. « La situation est profondément troublante et les atrocités commises sont effroyables. »

Elle a également été secouée par les tirs de roquettes venus du nord qui ont atterri près de sa maison à Bethléem. Les familles se sont précipitées à l’épicerie pour faire des provisions, craignant une escalade. Au sein d’une population déjà en difficulté et entravée dans ses possibilités, elle explique que la perte du tourisme qui est à craindre risque d’aggraver l’état lamentable de l’économie. L’Église cherche à aider autant que possible.

Sa réaction immédiate a été de prier avec ferveur pour la fin du conflit.

« Seigneur, prends tout le mal, brise-le comme du verre et réduis-le à néant », supplie Grace Al-Zoughbi. « Nous gardons l’espoir qu’un jour prochain, tes voies prévaudront. »

Elle encourage les croyants des deux camps à être des artisans de paix. Elle exhorte les chrétiens du monde entier à éviter les « représentations mensongères » de la situation. Quant à elle-même, elle se concentre sur le Psaume 122 : « Priez pour la paix à Jérusalem. Que tous ceux qui t’aiment soient en sécurité. »

Éloignement partagé

Hanna Massad, ancien pasteur de l’église baptiste de Gaza, se tourne lui vers un verset laconique du psautier : « Fais-nous grâce, éternel, fais-nous grâce, car nous n’en pouvons plus d’être méprisés » (Ps 123.3).

Après 30 ans de service en tant que premier pasteur né localement, Hanna Massad s’en est allé après les violences de 2007 durant lesquelles il avait enduré des attaques contre son église et l’enlèvement et le meurtre d’un animateur de jeunesse dans la librairie chrétienne affiliée. Il a fait l’expérience directe du militantisme et comprend la peur des Israéliens.

Aujourd’hui citoyen américain, en plus des accompagnements post-traumatiques hebdomadaires qu’il prodigue sur Zoom et de l’interaction quasi quotidienne avec les membres de l’église, il se rend trois fois par an à Gaza pour distribuer de l’aide et prodiguer des encouragements.

Sa dernière visite s’était achevée il y a deux semaines, avec un traitement légèrement meilleur que d’habitude de la part des autorités israéliennes, rapporte-t-il. Dans un souci de réciprocité avec les États-Unis pour l’entrée sans visa, les administrations frontalières ont simplifié les procédures pour les citoyens américains ayant aussi la nationalité palestinienne. En passant par Jéricho, l’attente au contrôle de sécurité n’a duré qu’une heure cette fois-ci.

« Nous ne sommes pas traités selon une dignité commune, » dit Massad, « mais en fonction du document que nous portons. »

Pour la plupart des Palestiniens, poursuit-il, cela se solde par l’humiliation. Sous blocus depuis 2007, 50 % de la population de Gaza est au chômage, 65 % vit en dessous du seuil de pauvreté et seuls 17 000 des 2,3 millions d’habitants sont autorisés à chercher du travail en Israël. Leur nombre varie en fonction de l’évolution de la politique et leur traitement aux points de contrôle est beaucoup plus éprouvant que celui vécu avec un passeport américain. Les autres sont bloqués.

« C’est une vaste prison », dit Hanna Massad. « Et généralement, à chaque visite, la situation est un peu plus grave qu’avant. »

Avec la guerre, Israël a déclaré qu’il couperait l’approvisionnement en eau et en électricité de Gaza. La frustration s’accumule ; alors que son père avait espéré un jour la création d’un État palestinien, Massad qui a maintenant 60 ans se demande si cela arrivera un jour. Mais les chrétiens locaux ne soutiennent la violence d’aucun des deux camps.

« Ce n’est pas le respect de notre dignité que nous recherchons », dit Massad. « Notre exemple est Jésus. Et chaque fois que quelqu’un le rencontre vraiment, Dieu remplit ce cœur d’amour pour toute l’humanité. »

Même lorsque sa maison est détruite.

L’appartement familial de Khalil Sayegh, un autre habitant de Gaza, a été touché par une roquette israélienne. Les siens trouvent maintenant refuge dans l’une des trois églises de la bande de Gaza, déplacés comme 250 000 autres personnes abritées dans des écoles ou d’autres installations. L’Organisation mondiale de la Santé a appelé à la mise en place d’un corridor humanitaire.

« Ils s’en sont sortis de justesse », rapporte-t-il, « pensant que la maison était l’option la plus sûre. »

Actuellement aux États-Unis, Khalil Sayegh est partie prenante de l’initiative Agora qui vise à travailler conjointement avec d’autres Palestiniens et Israéliens pour promouvoir une culture de démocratie constitutionnelle. Il s’est dit heureux de voir les Américains condamner les attaques du Hamas. En même temps, il se dit déçu que les souffrances de son peuple aient été si aisément ignorées.

Le texte biblique qui réconforte Sayegh est le Psaume 73, dans lequel le psalmiste se ravise après avoir été sur le point de céder à l’envie que lui inspirent les méchants prospères : « Tu réduis au silence tous ceux qui te sont infidèles. Pour moi, mon bonheur, c’est de m’approcher de Dieu. Je place mon refuge en toi, Seigneur » (v. 27-28).

Dans la paix que lui donnent ces paroles, son message est clair.

« Ne cédez pas à la haine, au tribalisme ou à la vengeance. » « Travaillez dur pour mettre fin non seulement à cette série de violences sanglantes, mais aussi à l’injustice structurelle de l’occupation, afin que nous puissions vivre en paix. »

Colère partagée

Jaime Cowen, avocat juif messianique, s’indigne des changements structurels qui menacent Israël depuis maintenant plusieurs mois. Depuis son retour au poste de Premier ministre avec une coalition d’extrême droite comprenant d’anciens terroristes juifs, dit-il, Benyamin Netanyahou a divisé le pays en essayant de bouleverser le système judiciaire israélien.

Tout en essayant de se présenter comme un artisan de la paix avec le monde arabe, Netanyahou a encore attisé la colère de la communauté palestinienne marginalisée dans son pays en autorisant de nouvelles implantations illégales.

« Il allait forcément se passer quelque chose, et c’est ce qui est arrivé cette fois-ci », a déclaré Jaime Cowen dans un communiqué vidéo. « C’est une période très dangereuse pour le pays. »

Il prie pour la défaite rapide du Hamas, dont une des motivations pourrait avoir été de contrecarrer les efforts de rapprochement de Netanyahou avec l’Arabie Saoudite. Mais la véritable menace se situe au nord, estime-t-il, avec les milliers de missiles de précision du Hezbollah prêts à atteindre les villes israéliennes les plus éloignées. Une fois la guerre terminée, Cowen espère que le gouvernement démissionne et qu’une commission soit chargée de déterminer les causes des échecs « colossaux » de l’administration en matière de renseignement et de préparation militaire.

« D’ici là, la tristesse et la colère sont profondes », témoigne-t-il, « face à la terrible perte de vies humaines dans des familles juives innocentes. »

Des évangéliques palestiniens se sont portés volontaires pour apporter leur aide. La Convention des églises évangéliques en Israël a annoncé que tout croyant messianique déplacé est le bienvenu dans les familles de ses membres.

Le président de la convention, Botrus Mansour, prêchait en ces termes dans son église de Nazareth : « Que pouvons-nous faire en tant que citoyens arabes palestiniens chrétiens d’Israël dans un moment comme celui-ci ? La réponse est Jésus. »

Depuis sa localité en relative sécurité au nord — il lui suffit de maintenir son abri en état —, il préparait un message sur la gouvernance des églises avant que la guerre ne le fasse changer d’orientation. Une grande partie du culte a été consacrée à la prière, et il a encouragé les fidèles avec une citation de François d’Assise : « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix. » Malgré les sentiments douloureux qui les habitent, les chrétiens doivent être des artisans de paix.

Même s’ils fulminent, et dans de multiples directions.

« Les gens sont en colère contre l’attaque brutale du Hamas », dit Botrus Mansour. « Mais ils ont aussi le sentiment que la violence continuera tant qu’il n’y aura pas de solution équitable au conflit. »

Comme Cowen, il prie pour que Dieu remplace les dirigeants actuels. Il nous fait également part d’un texte qui le réconforte en Lamentations 3.22-23 : « les bontés de l’Éternel ne sont pas épuisées, ses compassions ne prennent pas fin ; elles se renouvellent chaque matin. Que ta fidélité est grande ! »

L’Évangile en partage

« Rien dans cette situation n’est juste ou bon », dit Lisa Loden, membre juive messianique de l’Institut pour la paix et la justice de Bethléem. « Mais il y a un fort désir de voir le Seigneur utiliser ces événements pour attirer les gens à lui. »

Vivant dans la ville côtière de Netanya, au nord de Tel-Aviv, Lisa Loden codirige une communauté de croyants qui a déjà organisé de nombreux rassemblements de prière depuis le début de la guerre. Ils implorent la miséricorde de Dieu pour les civils d’Israël et de Gaza. Ils prient pour leurs dirigeants, les otages et ceux qui ont perdu des proches.

Ils prient pour une fin rapide du conflit, pour la justice et pour que les chrétiens des deux côtés ne se distancient pas les uns des autres. Elle lance également un appel aux croyants du monde entier :

« Ne vous pressez pas de prendre parti. » « Mais entrez dans un véritable dialogue pour chercher une issue à ce conflit insoluble. »

Depuis Ramallah, le pasteur Munir Kakish, président du Conseil des églises évangéliques locales de Terre sainte, a tenu des propos similaires.

« Priez pour les deux parties. » « Nous ne pouvons pas voir ses desseins, mais [Dieu] est souverain. »

Son église était pleine, et il a donné à sa congrégation sous le choc un message sur la prière, accompagné de cantiques mettant l’accent sur la paix de Dieu. Certaines familles ont émigré de Gaza et s’inquiètent pour leurs proches restés sur place.

En attendant, de peur qu’une incursion israélienne dans la bande de Gaza ne déclenche un soulèvement en Cisjordanie et un bouclage de la ville, Munir Kakish s’est assuré de faire des provisions et a travaillé avec un épicier local pour préparer des colis de nourriture.

Il pourrait y avoir de nombreuses victimes à venir.

Mais son dernier mot concerne la géographie. La lutte pour le territoire passe à côté de l’essentiel.

« Si l’un des deux camps s’emparait des terres de la Méditerranée jusqu’au Pacifique, mais n’a pas Jésus, cela ne serait rien. » « Ils auront toujours besoin de Jésus. »

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Des chrétiens cherchent à étendre les visites en Terre sainte aux « pierres vivantes ».

Les croyants arabes veulent que les visiteurs chrétiens rencontrent leurs frères et sœurs en Israël.

Christianity Today October 10, 2023
Illustration de Tara Anand

Jack Sara observe régulièrement passer devant sa maison des bus de chrétiens américains faisant le tour de son pays. Il les voit s’arrêter, descendre quelques minutes pour prendre des photos, puis remonter dans leur bus et repartir.

Il se demande pourquoi ils ne viennent jamais lui parler.

« La terre du Christ n’est pas qu’un musée », rappelle le pasteur évangélique et président du Bethlehem Bible College en Israël. « Il y a toujours une Église qu’ils pourraient rencontrer, avec laquelle ils pourraient prier et échanger et recevoir de l’encouragement. »

Chaque année, 400 000 Américains visitent des sites religieux en Israël. Ils vont marcher là où Jésus a marché et découvrir le pays de la Bible : le Jourdain, la mer de Galilée, le site traditionnel de la Nativité, des arrêts au mont Carmel, au tombeau du roi David et au mont des Oliviers d’où le Christ serait monté au ciel. Pourtant, peu de ces pèlerins religieux sont en contact avec les chrétiens habitants en Terre sainte.

Environ 180 000 chrétiens vivent en Israël, soit un peu moins de 2 % de la population. Trois sur quatre sont arabes. On trouve des catholiques byzantins, romains et maronites, des orthodoxes orientaux, des orthodoxes coptes, des chrétiens arméniens et un petit nombre de protestants comme Jack Sara.

Le pasteur est un Palestinien qui a grandi dans un foyer de tradition chrétienne dans la vieille ville de Jérusalem. Au début des années 1990, il fait une profession de foi personnelle et consacre sa vie au Christ au sein de la Jerusalem Alliance Church. Aujourd’hui, en tant que président de l’école qu’il a fréquentée pour approfondir sa foi chrétienne, il espère mettre en contact davantage de chrétiens du monde entier avec les églises évangéliques bien vivantes d’Israël.

Le collège biblique propose des cours en ligne pour permettre la découverte de Jérusalem, de Bethléem ou encore de la Galilée. L’école forme également des chrétiens locaux au métier de guide touristique et collabore avec un ministère américain pour faciliter différents types de voyages en Terre sainte.

D’autres souhaitent également élargir l’expérience des touristes en Israël. La Christian HolyLand Foundation est un ministère à but non lucratif affilié à l’Église chrétienne indépendante qui soutient les responsables d’églises en Israël et aide à financer des projets d’églises et de communautés. Ils organisent également des voyages.

La fondation veut inviter les croyants à envisager différemment l’idée de « marcher là où Jésus a marché », explique son directeur exécutif Matt Nance. Comme le lui a fait remarquer un jour un chrétien palestinien, Jésus a promis d’être avec ceux qui se rassemblent en son nom. Il ne s’est pas préoccupé des pierres mortes sous ses pieds. Mais il se souciait beaucoup de ceux que l’un de ses disciples désignera plus tard comme « pierres vivantes » (1 P 2.5).

Les gens « passent complètement à côté de là où Jésus marche aujourd’hui », faisait observer à Nance ce chrétien palestinien. « Il ne marche pas avec des pierres mortes. Il marche parmi les gens, et il vit avec nous nos épreuves, nos douleurs et nos possibilités de participer à la mission du royaume. »

Matt Nance, qui est aujourd’hui établi à Knoxville, dans le Tennessee, sait personnellement à quel point un voyage en Terre sainte peut être bénéfique. Lorsqu’il était étudiant à l’université, il a séjourné pendant un an en Allemagne et, pendant une pause, il s’est rendu en Israël et en Jordanie. Le sac au dos, se déplaçant souvent en auto-stop, il y a fait de nombreuses visites touristiques, mangé bien des falafels au bord de la route et assimilé autant de choses que possible sur la vie et la culture.

« Je suis tombé amoureux de cette partie du monde », nous témoigne Nance, « et j’ai décidé que je voulais aller y vivre si je le pouvais. »

En 2012, il s’installe en Jordanie avec sa femme, Susan, et ils y vivent pendant huit ans. Ils s’immergent dans une communauté chrétienne locale et Nance travaille sous la direction d’une église sur place.

Ce séjour en Jordanie lui a permis de voir d’un autre œil les circuits touristiques en Terre sainte, dont les détours emmènent régulièrement les chrétiens en Jordanie et en Égypte. Nance, comme Sara, a vu tous ces bus de croyants qui ne s’arrêtaient jamais pour entrer en contact avec une communauté locale. Il en ressent une certaine tristesse pour eux.

« Ils n’ont tout simplement pas fait l’expérience de ce qu’est la vie dans cette région aujourd’hui. » « Si vous n’êtes que dans votre bus, dans les restaurants et les hôtels pour touristes, vous passez à côté d’une culture magnifique et vous n’apprenez pas non plus à connaître les défis et les épreuves de ceux qui vivent dans cette partie du monde. »

Les voyages en Terre sainte organisés par des entreprises à but lucratif sont bien sûr limités par la nécessité de faire des bénéfices. Ils s’adressent à des consommateurs, répondent à la demande et ne prescrivent pas aux touristes ce qu’ils devraient faire lors de leur voyage en Israël. Matt Nance s’est cependant demandé si une organisation à but non lucratif qui mettrait l’accent sur la valeur spirituelle de la relation avec les chrétiens locaux pourrait attirer les croyants vers un autre type d’expérience.

De retour aux États-Unis, il a commencé à travailler avec la Christian HolyLand Foundation pour organiser des voyages qui accordent une grande importance à ces liens entre chrétiens.

Après une interruption due à la pandémie, la Christian HolyLand Foundation organise des voyages pour les églises afin de leur permettre de célébrer un culte avec d’autres croyants en Israël. Ils partagent un repas et participent parfois même à la récolte des olives.

Ken Nelson, présentateur de télévision à la retraite à Indianapolis, qui s’était rendu en Israël avec la Christian HolyLand Foundation avant le COVID-19, raconte que la participation à une récolte d’olives a été un moment particulièrement mémorable du voyage. Il frappait les branches des arbres avec un bâton pour faire tomber les olives mûres, comme on le lui avait expliqué.

« Il ne s’agissait pas seulement de marcher dans les pas du Christ. Nous avons rencontré des chrétiens arabes. Des personnes bien réelles qui consacrent leur vie, ici même en Terre sainte, à Jésus-Christ. Nous avons assisté à un culte local avec les pasteurs locaux. Nous avons frappé des mains avec eux. Nous avons chanté avec eux. […] Et vous savez qui était dans la pièce avec nous ? L’Esprit du Christ. »

Chaque voyage comprend entre 10 et 15 personnes, généralement toutes issues d’une même communauté. Les groupes visitent certains des sites religieux les plus célèbres comme ils le feraient avec d’autres voyages organisés. Ils sont cependant conduits par des guides chrétiens — dont certains ont été formés au Bethlehem Bible College — et interagissent avec des historiens, des théologiens, des archéologues et des chrétiens locaux.

Dave Mullins, pasteur de la Colonial Heights Christian Church à Kingsport (Tennessee), a participé à un voyage et en est revenu très heureux de ces contacts personnels.

« Voir leur cœur pour le royaume a eu un impact considérable. Toutes les personnes avec lesquelles j’ai eu des contacts ont été extrêmement chaleureuses et aimantes. »

Cette expérience a également approfondi son regard sur le conflit israélo-palestinien. Il ne pense pas avoir de réponse aux crises actuelles, mais ce voyage l’a amené à réfléchir. « Attends une minute », s’est-il dit, « ce sont mes frères et sœurs en Christ qui subissent des épreuves terribles dans un pays où ils sont nés. »

Le pasteur a particulièrement aimé entendre parler de la manière dont les chrétiens contribuent à encourager la réconciliation entre les Arabes et les Juifs. Il espère emmener un groupe de son église en Terre sainte l’année prochaine.

Jack Sara se réjouit du nombre de chrétiens étrangers qui prient pour la paix à Jérusalem, sa ville. Mais lorsqu’il voit ces bus aller et venir, il s’inquiète de ce que certains ne prient pas pour tous les habitants.

« On les voit sympathiser avec un certain groupe de personnes plutôt qu’un autre, prendre position du côté israélien ou juif et s’opposer aux Palestiniens », témoigne-t-il.

S’il peut les mettre en contact avec le vécu des chrétiens à Jérusalem et dans le reste d’Israël, ils rencontreront des Palestiniens qui ne sont pas des ennemis de la paix, mais qui aiment Jésus et prêchent la bonne nouvelle du Prince de la paix depuis de nombreuses années.

« Quand on parle de chrétiens palestiniens, on parle de chrétiens qui sont ici depuis 2 000 ans », dit Sara. « Le christianisme n’a jamais quitté ce pays »

Adam MacInnis est journaliste au Canada.

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Heureux les riches, car ils peuvent limiter le temps d’écran de leurs enfants.

Trop de technologie est néfaste pour les enfants. Mais oublierions-nous les familles qui ont moins de moyens pour s’en passer ?

Christianity Today October 10, 2023
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: Unsplash / Getty

Mon mari et moi sommes intransigeants en ce qui concerne les enfants et la technologie. C’est vrai, nos jumeaux aînés n’ont que quatre ans. Vous pourriez vous dire que nous ne sommes pas sur le terrain depuis assez longtemps pour crier victoire, et ce serait tout à fait juste. Toutefois, même si l’exigence du smartphone à l’adolescence est la grande bataille technologique de l’éducation moderne, passer le cap de la petite enfance sans écran n’est pas non plus une mince affaire.

En effet, je ne peux pas dire qu’il a été facile de réduire strictement le temps d’écran de nos enfants. À de très nombreuses reprises, j’ai ressenti l’attrait des divertissements numériques sur eux. Lorsque l’on a deux nourrissons qui crient, la perspective de passer quelques minutes sans pleurs au moyen d’une vidéo sur YouTube peut terriblement ressembler à la Terre promise, scintillant de l’autre côté du Jourdain.

Mais il m’a été relativement facile d’éviter l’écran, car notre famille est chanceuse à bien des égards. Mon mari et moi travaillons tous deux à domicile, avons des horaires semi-flexibles et pouvons nous permettre de faire garder nos enfants à temps plein. Je peux résister au recours à l’écran pour m’offrir un moment de bienheureuse paix parce que j’ai beaucoup de moments de ce genre, comme maintenant, où je peux écrire seule, dans mon bureau, dans une maison calme.

Telle n’est pas la norme pour tous les parents de jeunes enfants, en particulier ceux qui ont plus de contraintes pratiques que moi : monoparentalité, longs trajets, faibles revenus, handicap ou maladie persistante dans la famille, garde d’enfants peu fiable, inadéquate ou inabordable, moins d’aide de la part de la famille et des amis proches, ou moins de soutien tangible de la part d’institutions locales telles que l’église et l’école.

Cette réalité m’amène à m’inquiéter de la façon dont nous communiquons le consensus émergent selon lequel l’utilisation excessive de la technologie est néfaste pour les enfants, et en particulier si nous le faisons dans le cadre de l’église.

D’une part, il est bon que nos sociétés en général — et les chrétiens en particulier — se rendent compte à quel point l’utilisation excessive des smartphones, des médias sociaux et d’autres écrans peut nuire à notre santé mentale, émotionnelle et spirituelle.

Je suis reconnaissante pour le travail de personnes comme le psychologue social Jonathan Haidt, sa collègue Jean Twenge et des auteurs chrétiens, dont Alan Noble et Andy Crouch, qui ont contribué à tempérer notre optimisme naïf à propos de réseaux comme Facebook et, plus généralement, nos habitudes en matière numérique.

Je suis heureuse que nous comprenions de plus en plus que nos habitudes en matière de technologie et de médias nous transforment. Elles rivalisent même avec l’Écriture et les pasteurs en qui nous avons confiance quant à la manière dont nous gérons notre vie. Je suis ravie qu’il soit de plus en plus courant de recommander, comme je l’ai déjà fait en détail, de limiter l’utilisation de certaines technologies par nous et nos enfants et d’adopter de bonnes pratiques numériques afin de laisser place au développement des vertus intellectuelles.

Mais je sais aussi que je fais partie de ceux « à qui l’on a beaucoup donné » (Lc 12.48). On peut donc légitimement attendre plus de moi. Mais qu’en est-il des familles moins bien loties qui ne peuvent pas passer le cap de la petite enfance sans écran ?

J’ai grandi dans une telle famille. Ma mère était célibataire. Quand j’étais petite, elle me plaçait parfois devant la télévision pour pouvoir faire de l’exercice. Évidemment, j’adorais me plonger dans les épisodes des Looney Toons ou me laisser conduire par la douce voix de M. Rogers. Je ne fais pas la même chose avec mes enfants quand je vais courir, mais c’est parce que je n’en ai pas besoin : mon mari peut tenir la maison. Ma mère n’a jamais eu cette possibilité, car mon père n’était pas là.

J’ai reçu un exemple plus contemporain de ce genre de situation avec l’un de mes amis, Austin, qui travaille au Texas comme pasteur auprès de la jeunesse.

Pendant plusieurs années, m’a raconté Austin, son église a recommandé un livre très populaire d’Andy Crouch, The Tech-Wise Family: Everyday Steps for Putting Technology in Its Proper Place (« Une famille avisée face à la technologie. Des gestes quotidiens pour placer la technologie à la juste place »), aux familles des adolescents qui participaient au groupe de jeunes.

Mais pour une partie de ces familles, qu’il décrit comme « principalement issues de la classe ouvrière », « avec une poignée de parents célibataires », les suggestions de Crouch n’étaient tout simplement pas viables comme elles l’étaient pour les « familles assez éduquées, essentiellement composées de cols blancs et bénéficiant de conditions de vie stables » de la communauté

« Bon nombre des solutions proposées dans The Tech-Wise Family reposent sur l’hypothèse d’une famille nucléaire stable ayant un certain niveau d’éducation, des moyens à disposition et un accès à des attractions publiques gratuites ou peu coûteuses », analysait Austin lors de notre conversation par courrier électronique. Mais en dehors de « quelques parcs publics, il n’y a pas grand-chose à faire de bon marché ou gratuit » dans sa ville et « beaucoup des familles avec lesquelles nous travaillions faisaient face à un certain degré d’instabilité avec peu de revenus disponibles et/ou un faible niveau d’éducation. »

En fin de compte, la « poignée de familles qui ont suivi notre recommandation de lire le livre l’ont rapidement abandonné parce qu’elles ont réalisé qu’il n’avait pas été écrit pour elles et pour leur vie. » Même s’ils avaient essayé, ils n’auraient pas pu suivre les conseils de Crouch.

La première fois qu’Austin m’a raconté cette histoire, j’ai été mortifiée de réaliser à quel point j’avais ignoré ce facteur des différentes classes sociales lorsque je lisais et recommandais moi-même The Tech-Wise Family. (Pire encore, j’étais restée inconsciente à ce sujet même après avoir lu et apprécié de nombreux articles soulignant que la limitation du temps passé devant un écran était devenue un « marqueur social » pour les parents de la classe moyenne et supérieure comme moi.)

Par exemple, Crouch consacre un chapitre à l’aménagement de la maison pour favoriser les bonnes habitudes. Il y a là d’excellents conseils — à condition d’avoir l’espace nécessaire. Il suggère de « déplacer la télévision dans un endroit moins central » que le salon. C’est une très bonne idée, et je l’ai fait. C’est possible pour moi parce que nous vivons à Pittsburgh, où l’effondrement démographique post-industriel fait que les vieilles maisons délabrées sont tout à fait abordables, et nous avons donc installé la télévision dans une chambre d’amis.

Mais combien de personnes disposent d’une chambre d’amis ? Combien disposent d’un quelconque « emplacement moins central » qui pourrait abriter une télévision ?

Austin, lui, était plus conscient de ces réalités. Il avait travaillé en tant que technicien de lutte contre les nuisibles, principalement dans les quartiers défavorisés. À l’époque où il a quitté cet emploi, il a lu un livre sur le marché de l’attention, qui intégrait une brève parenthèse sur le fait que l’auteur, selon la paraphrase d’Austin, « ne voulait pas que ses solutions privent d’un iPad une mère célibataire vivant dans un appartement miteux, alors que cet iPad est peut-être la seule chose de valeur qu’elle possède pour le travail, l’école et les loisirs. »

« Ayant régulièrement pénétré dans les appartements de mères célibataires et d’autres familles dont le bien le plus précieux était leur télévision, leur console de jeux, leur smartphone, leur iPad ou leur PC », raconte Austin, « ce commentaire m’est tombé dessus comme une tonne de briques. »

Ce n’est pas que les effets délétères du temps d’écran n’ont pas d’importance dans ces circonstances — ou que les familles du groupe de jeunes qui ont abandonné l’approche d’Andy Crouch n’avaient pas besoin d’être accompagnées concernant l’utilisation de la technologie, analyse Austin. C’est que le discipulat doit tenir compte de leurs circonstances, dont certaines pourraient ne pas changer.

Depuis notre conversation, j’ai essayé de garder à l’esprit les familles du groupe de jeunes d’Austin lorsque j’écris sur les bonnes pratiques numériques, même si je ne suis pas sûre d’avoir bien réussi. Comme l’observe Austin, « ces recommandations sont accueillies différemment s’il s’agit de conseils asymétriques », c’est-à-dire si elles émanent d’une personne ayant les moyens privilégiés de mener ces batailles s’adressant à quelqu’un qui ne dispose pas des mêmes ressources. Et une certaine asymétrie (ou, du moins, un certain manque d’adaptation) pourrait bien être inévitable lorsque les propos émanent d’une journaliste comme moi, qui écris à des personnes dont je ne vois pas le visage et ne connais pas la vie.

Mais il n’en va pas de même pour l’église locale. Les pasteurs et personnes engagées dans le ministère, comme Austin, peuvent offrir des recommandations fondées sur les besoins et les contraintes spécifiques de personnes qu’ils connaissent et qu’ils aiment. Plutôt que de tenter d’orienter « les adolescents utilisateurs de smartphones » en général, ils peuvent aider cet adolescent qui a ces habitudes et cette vie de famille. Ils peuvent veiller à ce que soit observé l’avertissement de Jésus, dans Matthieu 18.6, concernant le risque de faire trébucher « l’un de ces petits ».

Bonnie Kristian est directrice éditoriale pour les idées et les livres chez Christianity Today.

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Des « Pères de l’Église » robotiques pourraient créer de nouveaux canons.

Quelles balises fixer pour le développement de « BibleGPTs » fondés sur l’IA générative ?

Christianity Today October 10, 2023
Illustration by Midjourney / Edits by Christianity Today

Le rythme avec lequel l’intelligence artificielle est adoptée aujourd’hui est sans précédent.

Fin janvier dernier, quelques semaines après son lancement, ChatGPT enregistrait 100 millions de visiteurs sur son site. La plate-forme avait déjà atteint un million d’utilisateurs dans les cinq jours suivant sa sortie fin novembre. À titre de comparaison, Instagram avait à l’époque mis deux mois et demi pour atteindre un million d’utilisateurs, et Facebook dix mois.

Les systèmes d’IA générative comme ChatGPT (l’acronyme anglais GPT signifiant « transformeur génératif préentraîné »), qui peuvent produire des réponses d’apparence humaine aux demandes des utilisateurs, façonneront sans aucun doute la manière dont, comme le dit le Livre de la prière commune, nous pouvons « écouter, […] lire, […] méditer, […] apprendre et nous […] nourrir » des Écritures. En effet, plusieurs exemples de ce que je surnomme « BibleGPTs » — des modules conversationnels d’interaction avec la Bible basés sur l’IA — ont déjà vu le jour, notamment IlluminateBible.com, SiliconScripture.org, Bible.ai et les accompagnements à la lecture biblique générés par l’intelligence artificielle de OpenBible.info.

En tant qu’expert en théologie numérique, je crois que ces types de « BibleGPTs » continueront à progresser, à proliférer et, à terme, à devenir des systèmes propriétaires. Sur cette route, l’Église et ses responsables seront amenés à prendre des décisions cruciales quant au canon chrétien. Tout cela influencera la façon dont nous interpréterons la Bible et aura une incidence sur l’avenir de notre foi et de notre pratique.

L’interaction avec la Bible dirigée par l’IA générera de nouveaux problèmes.

Premièrement, les BibleGPT pourraient matérialiser ce que j’appelle les « canons concentriques ». Leurs bases de données nous obligeront à définir précisément quels écrits entrent dans nos traditions chrétiennes.

L’Écriture est notre canon primaire. Lorsque les rouleaux manuscrits de l’Écriture furent reconnus comme des livres distincts, les premiers pères de l’Église eurent à confirmer quels écrits étaient canoniques et lesquels ne l’étaient pas.

De même, avec les bases de données de l’IA contemporaine, il faudra décider quels écrits et orientations confessionnelles feront partie des données utilisées par nos BiblesGPTs pour leur apprentissage. En un certain sens, ces sélections opéreront à la manière de canons secondaires, un peu comme les anneaux concentriques d’un tronc d’arbre.

Imaginez une base de données réformée, une base de données orthodoxe et une base de données anabaptiste ou catholique. Pour chacune d’elles, il faudra bien que quelqu’un décide quels écrits doctrinaux seront retenus (« canonisés ») et lesquels ne le seront pas. Qui décidera, et de quelle manière ? S’agira-t-il des leaders confessionnels au sein de chacune de ces traditions ? Ou des leaders dans le domaine technologique ? Ou peut-être des éditeurs de livres qui contrôlent la propriété intellectuelle ?

Les réponses à ces questions sont importantes. Il y aura forcément controverse autour de ces décisions.

Et même si la logique qui préside à l’entrée des données dans ces bases de référence peut être transparente aux yeux des créateurs, les utilisateurs n’auront probablement que peu ou pas de visibilité ou de moyens de comprendre comment et pourquoi tels ou tels écrits ont été considérés comme canoniques. Dans le passé, des écrits comme les Apocryphes et l’Évangile de Thomas ont soulevé de telles questions, mais ces nouvelles bases de données vont multiplier ces préoccupations de façon exponentielle.

Deuxièmement, les BibleGPTs pourraient créer divers métissages canoniques, car il devient plus facile pour les utilisateurs de mélanger diverses traditions et confessions chrétiennes.

Que penserait Jean Calvin de la gouvernance des mégaéglises ? Comment mère Teresa réagirait-elle à la prédication de l’évangile de la prospérité ? Que dirait Martin Luther de Martin Luther King Jr ? Des questions comme celles-ci, bien que potentiellement intéressantes, n’ont pas toujours de réponses claires dans la tradition de l’Église. Et pourtant, les systèmes basés sur l’IA ouvrent grand la porte à l’examen de telles questions hypothétiques, et aux spéculations à leur sujet.

Le résultat pourrait être que les chrétiens se mettront à polémiquer sur une théologie spéculative plutôt que de chercher à comprendre en profondeur les divers courants et traditions historiques qu’un BibleGPT prétend représenter.

Nos traditions ont construit des crédos et des confessions incroyables, de véritables bijoux d’architecture sacrée renfermant des nuances pleines de sens et une fructueuse diversité. Pourtant, les BibleGPTs risquent de raser ces édifices et de les remplacer par une compréhension aplanie de la foi que n’importe qui peut parcourir rapidement.

C’est pour cela qu’il est important que les concepteurs d’IA intègrent dans ces systèmes une solide compréhension des traditions propres à chacune des Églises chrétiennes, afin qu’ils ne sèment pas la « confusion canonique » chez l’utilisateur.

Troisièmement, les BibleGPTs permettent aux utilisateurs de poser plus facilement des questions liées à la culture auxquelles la Bible n’a pas de réponse directe.

Que dit le livre du Lévitique à propos de l’intelligence artificielle ? La Bible est-elle de gauche ou de droite ? Ou, plus sérieusement, que dit la Bible au sujet des troubles du comportement alimentaire ou de la maltraitance des enfants ?

Des questions comme celles-ci, liées à la culture, sont très éloignées du contexte biblique d’origine. De telles questions peuvent ne pas être pertinentes ou simplement sortir du cadre de la Bible. Nous pourrions extrapoler de possibles réponses à partir des Écritures — c’est le travail des théologiens — mais il est important que les utilisateurs sachent faire la différence entre les intentions originales des auteurs et les applications potentielles de leurs écrits.

Les questions liées à la culture sont d’abord un problème lié aux utilisateurs. Néanmoins, les concepteurs d’IA soucieux du royaume devront tenir compte de cette tendance lors de la création d’un BibleGPT. Autrement, la facilité à poser ce genre de questions hypothétiques pourrait aisément détourner les utilisateurs d’un travail biblique plus fructueux et diminuer leur capacité à juger de quelles questions sont pertinentes et profitables.

En réponse à certaines questions, les BibleGPTs pourraient en outre « halluciner » des hérésies.

Lorsqu’on pose à un BibleGPT des questions auxquelles la Bible ne répond pas directement, il est en mesure de produire des réponses qui inspirent confiance. Savoir si celles-ci sont en accord ou non avec des croyances bibliques orthodoxes est une autre question. En fait, un BibleGPT pourrait inventer une réponse totalement dépourvue de fondement factuel ou « halluciner » une déclaration hérétique. Et à partir de ces hallucinations, les utilisateurs pourraient se retrouver avec une théologie trompeuse ou déformée.

Tester des questions spéculatives peut générer des réponses intéressantes et offrir des arguments théologiques respectables, mais l’utilisateur ne peut savoir si la logique utilisée par le module pour aboutir à ses résultats est sûre. Ce n’est que lorsque les systèmes sont évalués sur des centaines ou des milliers de cas, et pas seulement sur quelques-uns, que leurs biais commencent à faire surface.

En fin de compte, les mauvaises questions mèneront à de mauvaises réponses. Et même si bon nombre de ces problèmes surviennent déjà dans les recherches sur internet, les modules conversationnels d’IA les amplifieront et rendront d’autant plus accessibles les réponses inexactes.

On espère que les utilisateurs de BibleGPTs feront preuve de discernement, mais je suppose que les pasteurs savent à quel point certains chrétiens sont susceptibles de poser de telles questions. Et si les BibleGPTs touchent ne serait-ce qu’une fraction des centaines de millions d’utilisateurs de YouVersion, ces cas extrêmes semblent inévitables.

Quatrièmement, les traditions les plus florissantes l’emporteront. Étant donné que les GPT s’appuient sur des statistiques, la théologie à la plus forte probabilité statistique sera surreprésentée.

En effet, quels que soient les écrits ou les traditions confessionnelles présents dans les bases de données d’entraînement, les traditions les plus prolifiques obtiendront statistiquement le plus de visibilité. Cela signifie que les traditions les plus répandues domineront la discussion. Les prolifiques presbytériens évinceront les discrets quakers. Le concours de popularité qui a déjà lieu en ligne sera scellé dans nos bases de données.

Lorsque certains mettent en garde contre les « biais de l’IA », c’est notamment de cela qu’ils parlent. C’est pourquoi les responsables de diverses traditions chrétiennes devront réfléchir sérieusement aux auteurs et aux écrits qui seront introduits ou écartés dans toute base de données d’un BibleGPT. C’est une question de représentativité.

Mais il y a aussi un avantage potentiel à cela. Les BibleGPTs pourraient nous maintenir plus fermement enracinés dans la large orthodoxie historique en nous fournissant les meilleures réponses aux questions bibliques : celles les plus fréquemment citées et les mieux défendues au fil des siècles, plutôt que de proposer des réponses provenant de théologies marginales.

Et enfin, cinquièmement, les utilisateurs de l’IA courent le risque de se décharger de la lecture de la Bible. Les réponses à la demande pourraient remplacer tout effort pour se plonger dans le face-à-face avec le texte biblique.

Il y a quelque chose d’important au fait de lire la Bible elle-même et pour nous-mêmes. Quelque chose dans la façon dont elle nous entraîne dans son histoire et nous invite à nous poser des questions sur qui nous sommes vraiment. Les BibleGPTs pourraient accentuer le « réflexe Google » quand nous y recherchons instinctivement une réponse avant même d’avoir pris le temps de réfléchir à la question. Cette manière de faire nous laisse imaginer que la possibilité d’accéder aux Écritures et la connaissance des Écritures sont une seule et même chose.

Le contenu biblique prédigéré et généré par les BibleGPTs n’est pas une autoroute de la formation spirituelle. Nous devons nous rappeler que le but ultime de la lecture de la Bible est la rencontre avec Dieu, laquelle nous transforme et nous équipe pour prendre part à ce que Dieu fait dans l’Église et dans le monde.

Les chrétiens peuvent participer à la résolution de ces problèmes.

Les BibleGPT peuvent très bien avoir leur place dans le royaume de Dieu, mais partout où ils s’opposent aux objectifs de l’Écriture elle-même, nous devons repenser leur conception et leur utilisation. Comment les façonner pour notre plus grand bien ?

Tout d’abord, il nous faut inverser le sens du questionnement. Les GPT serviront mieux les lecteurs de la Bible en générant plus de questions que de réponses. Nous devons laisser les BibleGPTs nous interroger.

En tant que chrétiens, nous croyons que c’est Dieu qui parle le premier. Pas Internet, ni nous. Le bibliste Scot McKnight écrit : « Nous pouvons dialoguer avec Dieu et la Bible et poser des questions, mais tout cela vient après avoir écouté. » Dieu nous nourrit de sa Parole. Eugene Peterson, s’inspirant du prophète Ézéchiel et de l’apôtre Jean, intitulait ainsi l’un de ses ouvrages : « Mange ce livre ». La Bible est une nourriture qui nous stimule et nous équipe pour les bonnes œuvres préparées d’avance pour nous (Ep 2.10).

Une façon d’inverser le sens de l’interrogation avec un GPT est de lui demander quelles questions tel ou tel passage biblique m’appelle à me poser. Le GPT peut judicieusement saisir certains des principaux enjeux que contient le texte biblique. Les questions qu’il en tire suscitent ma curiosité et m’invitent à approfondir le passage, à le lire de plus près, à réfléchir à ce qu’il dit et à la manière d’y répondre personnellement.

Deuxièmement, l’IA doit être envisagée comme complément et non comme substitut des Écritures.

Inverser le sens de l’interrogation est une pratique dont les utilisateurs de BibleGPTs pourront tirer un grand profit. Mais ils doivent choisir de les utiliser ainsi, car ce n’est pas ce que font les GPT par défaut. Inverser le sens de l’interrogation maintient les lecteurs en éveil vis-à-vis de la nécessité de s’investir dans le texte biblique plutôt que de lui trouver des substituts.

Cette habitude maintient également les GPT dans leur rôle de simple outil qui ne doivent pas remplacer l’Écriture. Les chrétiens qui désirent vraiment rencontrer Dieu et être transformés par lui doivent prêter attention à ce qui leur sert de médiateur avec l’Écriture.

Troisièmement, les BibleGPTs devraient inciter les utilisateurs à pratiquer une approche plus holistique du texte biblique.

Vous souvenez-vous de ces vieux magnétoscopes qui clignotaient toujours sur 12:00 ? Rares sont ceux qui prenaient la peine de réinitialiser l’horloge après une coupure de courant. Les paramètres par défaut de toute technologie influenceront profondément nos choix et nos habitudes, car nous allons souvent au plus simple. C’est pour cela que la première question de chaque application est « Autorisez-vous les notifications ? ». Les créateurs d’applications savent qu’une fois ces paramètres enregistrés, les utilisateurs se départiront moins du chemin prescrit par la machine.

Mais les valeurs par défaut peuvent également susciter des habitudes positives. Un système GPT qui générerait par défaut des questions au lieu de réponses pourrait inciter les utilisateurs à approfondir la lecture de la Bible.

Quelles autres valeurs par défaut pourraient aider les utilisateurs à dépasser les questions liées à la culture et à suivre un régime de lecture de la Bible plus approprié ? Pourquoi ne pas incorporer comme valeurs par défaut le canevas de théologie systématique ou le guide herméneutique d’un penseur chrétien reconnu ? Quoi qu’il en soit, les valeurs par défaut idéales devraient guider les utilisateurs vers une expérience plus holistique des Écritures et de l’Église.

Quatrièmement, ce que j’appelle des « canons conscientisés » pourraient contribuer à élargir l’horizon des lecteurs.

Les BibleGPTs pourraient élargir l’utilisateur à la diversité du christianisme si on parvenait à collecter et introduire les écrits des diverses traditions chrétiennes de manière réfléchie.

Si les « canons concentriques » figent les traditions chrétiennes dans des bases de données immuables, comment les GPT pourraient-ils alerter leurs utilisateurs sur les traditions qu’il représente ? Comment pourraient-ils faire prendre conscience de l’existence de différents points de vue ou mettre en valeur les traditions ou les sources d’où découlent leurs idées ? Cela pourrait se faire au moyen d’un rappel : « Étant le BibleGPT Quaker que je suis… ».

Il est vital de représenter équitablement toutes les traditions confessionnelles. Décider quels prédicateurs, quels auteurs, quels points de vue seront retenus ou laissés de côté mérite examen approfondi et attention minutieuse. Tout BibleGPT devrait recueillir les contributions du plus large éventail de voix de l’histoire chrétienne pour développer des questions théologiques. Ces voix devraient aller bien au-delà de notre seule confession.

Il n’est pas simplement question de bonne politique confessionnelle, mais de la manière dont nous, chrétiens, aimons nos prochains et nos ennemis comme Jésus nous l’a enseigné.

Cinquièmement, les BibleGPTs devraient se calquer sur les objectifs poursuivis dans la lecture de la Bible.

Le succès d’un BibleGPT ne se trouvera pas dans les intentions des concepteurs. Il dépendra des habitudes des utilisateurs. Pour cette raison, les concepteurs chrétiens d’IA doivent anticiper les types d’interaction entre les utilisateurs et leur BibleGPT. Diverses incitations et paramètres par défaut seront importants. Si tout système doit offrir de la liberté aux utilisateurs, il peut également les encourager à une expérience plus holistique de la lecture de la Bible.

Les systèmes et les valeurs par défaut préprogrammées dans les BibleGPTs doivent être entraînés pour répondre aux objectifs inhérents à la lecture chrétienne des Écritures. Des BibleGPTs mal élaborés omettront de précieux éclairages et informations contextuelles dans leurs réponses, mais les plus aboutis approfondiront la signification et la compréhension des Écritures de leurs utilisateurs.

Les bases de données servant à l’apprentissage des GPT ont déjà absorbé de nombreux contenus à caractère chrétien, mais aussi bien des contenus toxiques. Dans sa récente thèse de doctorat, « Righteous AI », Gretchen Huizinga écrit que « la sagesse basée sur la foule ne reflète pas la sagesse divine. Elle accorde un poids égal aux sages et aux insensés et ignore l’absolu et le transcendant. »

Pour les chrétiens, le discernement sera vital.

Les chrétiens innovants ont de réelles possibilités de créer des BibleGPTs capables de rendre notre régime biblique plus sain et plus holistique. Mais cela nécessite des efforts réels dans la conception autant que dans la doctrine, dans la stratégie autant que dans la théologie.

En 1943, Winston Churchill disait : « Nous façonnons nos bâtiments, puis nos bâtiments nous façonnent. » De même, les systèmes d’IA que nous façonnons nous façonneront à leur tour pour les années à venir. Le paysage de notre relation avec la Bible est déjà en train de changer, l’horizon n’est plus le même qu’il y a un an à peine.

Si nous ne réfléchissons pas de manière proactive aux BibleGPTs, nous en récolterons les conséquences. Mais si nous sommes lucides et consciencieux dans leur conception, alors les possibilités seront incroyables. Les BibleGPTs les mieux conçus contribueront à ce que la Bible elle-même fait : encourager et stimuler les chrétiens dans une relation avec Dieu qui les transforme et les équipe pour la mission.

Voilà pourquoi les chrétiens doivent aborder les BibleGPTs avec un soin tout particulier et une vision globale : l’avenir de la lecture de la Bible en dépend.

Adam Graber est consultant en théologie numérique et co-anime le podcast Device & Virtue.

Traduit par Philippe Kaminski

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Books

Parcours de vie : Loren Cunningham, catalyseur de millions de missionnaires à court terme.

Le fondateur de JEM voyait des « vagues » de jeunes porter l’Évangile dans tous les pays.

Christianity Today October 10, 2023
Courtesy of Youth With a Mission / edits by Rick Szuecs

Loren Cunningham, le visionnaire charismatique à l’origine de Jeunesse en Mission (JEM), qui a mobilisé des millions de jeunes pour des voyages missionnaires de courte durée, est décédé ce vendredi 6 octobre. Il avait 88 ans.

Alors qu’il n’avait encore que 20 ans, Cunningham vit dans la prière l’image d’une carte en mouvement. Des vagues s’abattaient sur les rivages de tous les continents, se retiraient, puis s’abattaient à nouveau. L’image lui apparut comme « un film dans son esprit », dira-t-il plus tard. En y regardant de plus près, ces vagues étaient constituées de jeunes, « des jeunes de mon âge et même plus jeunes », accomplissant la grande mission d’aller « dans le monde entier proclamer la bonne nouvelle à toute la création » (Mc 16.15).

Cette vision est devenue l’idée maîtresse de JEM. L’organisation la décrit comme une « alliance fondatrice initiée par Dieu, définissant une destinée, pour donner naissance à un nouveau mouvement missionnaire ».

Cunningham, racontera qu’il lui fallut quelques années pour comprendre ce qu’il avait vu. Mais cela lui a finalement permis de « déréguler » les missions, en envoyant plus de personnes, plus rapidement, dans plus d’endroits afin de « proclamer la vérité de Dieu et de manifester son amour ».

JEM (en anglais YWAM pour Youth With a Mission) opère actuellement dans plus de 2 000 endroits dans près de 200 pays. L’organisation a cessé de compter le nombre de jeunes qu’elle avait envoyé en mission de courte durée en 2010, alors que le nombre total s’élevait à environ 4,5 millions.

« Ce que j’aime dans l’esprit JEM, c’est le fait d’être prêt à charger l’enfer avec un pistolet à eau », nous racontait Steve Douglass quelques années avant sa mort, alors qu’il était président de Campus Crusade for Christ International (aujourd’hui Cru).

Kris Vallotton, l’un des principaux responsables de la célèbre église charismatique Bethel à Redding, en Californie, a déclaré vendredi que JEM était « probablement la plus grande organisation missionnaire de l’histoire du monde ». Il voit en Cunningham « l’un des plus grands héros de la foi de l’histoire moderne ».

L’évangéliste Franklin Graham le rejoint dans cette évaluation. « Quelle vie incroyable a vécu cet homme », écrivait le président de Samaritan’s Purse sur les réseaux sociaux. « Loren a permis à Dieu de l’utiliser et il a été une force pour l’Évangile pendant des décennies. »

Loren Cunningham était né le 30 juin 1935 à Taft, en Californie, mais ses premiers souvenirs remontent à une tente quelque part en Arizona. Lui, ses parents et sa sœur aînée fabriquaient à la main des briques d’adobe pour construire une petite église pentecôtiste.

Entendre la voix de Dieu

Tom et Jewell Cunningham étaient tous deux ministres ordonnés des Assemblées de Dieu et évangélistes pentecôtistes de deuxième génération. Jewell avait appris à prêcher lorsqu’elle était enfant et qu’elle voyageait d’un auvent de fortune à l’autre dans l’Oklahoma, le Texas et l’Arkansas. Après leur mariage, le couple vivait dans sa voiture et prêchait dans les rues de Tyler, au Texas.

Le couple apprit à ses trois enfants à sacrifier leur confort personnel au nom de l’Évangile et à écouter Dieu personnellement. Dans les dernières années de sa vie, Loren Cunningham se souviendra avoir alors appris que la direction de l’Esprit pouvait être une question de vie ou de mort. Un jour, son père prêchait dans la rue dans une ville du sud de la Californie lorsque sa mère a soudain déclaré : « Nous devons partir maintenant. Dieu a dit que nous devions partir maintenant ! »

Alors que la famille s’éloigne, un tremblement de terre secoue la ville et un tas de briques tombe sur le trottoir où ils se trouvaient.

« Si Dieu a quelque chose d’important à vous dire », disait Jewell Cunningham, « il vous parlera directement. »

Le jeune Loren entendit Dieu pour la première fois à l’âge de six ans et se remémorera plus tard qu’il s’agissait d’une expérience régulière, parfois quotidienne, à l’âge de neuf ans. À l’âge de 13 ans, il reçoit un appel au ministère alors qu’il priait sous une tonnelle faite de broussailles en Arkansas avec plusieurs cousins. Ils prièrent pendant plusieurs heures un lundi soir, et Cunningham eut l’impression d’être touché par Dieu.

« Dieu a simplement fait irruption et m’a fait comprendre clairement son appel pour moi », racontera-t-il. « Je n’avais aucun doute sur le fait que j’étais appelé à prêcher. »

Pour fêter l’événement, sa mère l’emmène en ville et lui achète de nouvelles chaussures, citant Romains 10.15 : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles. » Ce jeudi-là, Cunningham prononce son premier sermon dans l’église de son oncle.

Il vit sa première expérience missionnaire à l’âge de 18 ans, en se rendant au Mexique à Pâques avec un groupe de jeunes hommes pour faire du porte-à-porte et prêcher dans la rue dans ce pays majoritairement catholique. Cunningham termine le voyage à l’hôpital avec la dysenterie, mais il y voit un succès puisque 20 personnes s’étaient agenouillées dans la rue pour professer que Jésus-Christ est le Seigneur.

L’année suivante, Cunningham fréquente le Central Bible College, une école des Assemblées de Dieu à Springfield, dans le Missouri. Avec trois autres étudiants, il forme un quatuor de gospel appelé The Liberators et parcourt le pays en chantant et en prêchant. Lors d’un voyage aux Caraïbes en 1956, quelques jours avant son 21e anniversaire, il reçoit sa vision de ces vagues de jeunes déferlant sur le monde.

« Dieu s’adresse à vous dans votre langue », dira-t-il en plaisantant avec le télévangéliste Pat Robertson en 2022, « et je surfais quand j’étais adolescent en Californie et j’ai vu ces vagues ».

Cunningham pense d’abord que la vision signifie peut-être qu’il doit s’impliquer dans l’enseignement ou la formation des enseignants. Il termine l’école biblique en 1957 avec des diplômes en Bible et en éducation chrétienne et se rend à l’Université de Californie du Sud pour obtenir une maîtrise en éducation.

L’échec des écoles bibliques

Cependant, alors qu’il travaille sur un mémoire à propos des écoles bibliques, Cunningham fait face à la désillusion. Il examine 72 institutions dans le monde et constate que peu d’entre elles, voire aucune, ont un impact significatif sur l’évangélisation mondiale. La majorité des diplômés ne se dirigent même pas vers le ministère, et encore moins vers le type de travail missionnaire qui pourrait porter l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre.

À la même époque, Cunningham commence à s’occuper des jeunes dans les Assemblées de Dieu en Californie du Sud, où son père était devenu surintendant adjoint et s’occupait plus particulièrement de l’implantation d’églises et de la mission. Mais Cunningham voit aussi là se briser ses illusions.

« Les jeunes étaient tous si brillants et enthousiastes », racontera-t-il au magazine Charisma en 1985. « Mais je dois admettre que la plupart des activités que je prévoyais pour eux rencontraient peu de succès. Elles manquaient le cœur des jeunes parce qu’elles ne proposaient pas de défi à relever. C’est ce à quoi nous aspirons tous, surtout à l’adolescence et au début de la vingtaine. Un grand défi. »

Cunningham se rend compte qu’il est doué pour stimuler les jeunes et les convaincre de faire des choses audacieuses pour l’Évangile, mais qu’il n’avait rien de concret à leur proposer. Les Assemblées de Dieu disaient que s’ils voulaient être missionnaires, ils devaient aller à l’école et suivre une formation d’environ sept ans.

« D’ici là », déplore Cunningham, « la plupart auront oublié leur zèle ardent. »

Il commence à expérimenter des missions à court terme en emmenant une centaine de jeunes pentecôtistes à Hawaï pendant les vacances de printemps en 1960. Il y rencontre des difficultés — beaucoup de jeunes envisagent le voyage comme de simples vacances de printemps — mais Cunningham est convaincu qu’il s’agit du nouveau modèle pour l’évangélisation mondiale. Des jeunes embrasés de zèle partiraient pour de courts voyages, en payant eux-mêmes leur voyage ou en collectant des fonds, et parleraient de Jésus à tous les habitants du monde.

Cet été-là, Cunningham part pour repérer des sites où de jeunes missionnaires pourraient se rendre. Il voyage au Japon, à Hong Kong, en Thaïlande, au Cambodge, en Inde, au Pakistan, en Égypte, au Liban, en Jordanie, en Israël, en Turquie, en Grèce, en Scandinavie et en Grande-Bretagne. Il commence à faire de grands projets pour 1961.

Les responsables des Assemblées de Dieu estiment cependant que ses projets sont trop ambitieux. La dénomination lui propose de le salarier pour lancer un programme de missions pour les jeunes, mais elle souhaite commencer plus modestement.

Cunningham se remémorera plus tard une conversation de cette époque. On lui a dit : « Tu peux poursuivre ta vision, Loren, mais tu dois prendre en charge un nombre plus gérable de jeunes, disons 10 ou 20 par an. »

Il proteste en disant que sa vision est « beaucoup, beaucoup plus grande que 20 personnes par an et beaucoup plus grande que n’importe quelle dénomination. » Se souvenant de ce que ses parents lui avaient appris sur la nécessité d’écouter personnellement la voix de Dieu, Cunningham décide de quitter les Assemblées de Dieu et de voler de ses propres ailes. JEM est officiellement constitué en société dans l’État de Californie en février 1961.

Cependant, au cours des premières années, JEM ne parvient pas à envoyer 20 jeunes par an en mission à court terme, ni même 10.

Darlene Cunningham met en œuvre la vision

Lorsque Loren Cunningham rencontre une jeune femme nommée Darlene Scratch en 1962, l’organisation missionnaire en difficulté envoie environ cinq personnes par an. Mais Darlene, qui rêvait elle-même d’un ministère interculturel après que son oncle eut été emprisonné pour son travail missionnaire en Chine communiste, voit des possibilités de mettre en œuvre concrètement la vision de JEM. Loren l’épouse l’année suivante et la décrira toujours comme cofondatrice :

« Il n’y aurait jamais rien eu de durable sans Darlene. »

En 1964, elle organise un « été de service » aux Bahamas et en République dominicaine. Près de 150 jeunes chrétiens américains s’inscrivent. Lorsqu’ils rentrent aux États-Unis à temps pour la rentrée scolaire de l’automne, ils font état de milliers de conversions et de guérisons miraculeuses.

JEM organise ensuite des voyages au Mexique, à Porto Rico et dans les îles Vierges. Puis, en 1966, l’organisation envoie 90 personnes réparties en 17 équipes aux Caraïbes et 25 autres dans cinq grands camions postaux traversant le Mexique, le Guatemala, le Nicaragua et le Honduras. Tous les missionnaires étaient jeunes, collectaient leurs propres fonds et ne se laissaient pas décourager par les exigences de la formation.

Bien entendu, ces premières années sont marquées par de nombreux défis et de nombreuses erreurs fondamentales. Plus d’un véhicule s’enlise dans la boue sur une route impraticable. Un des premiers dépliants contient une erreur sur le nom de Christ, et invite les jeunes à consacrer leur été à représenter « Chist ». Les missionnaires de JEM apprennent à faire confiance à Dieu, à prier et à se débrouiller.

Et les comptes-rendus de leurs défis attirent davantage de jeunes.

« Vous allez dormir à même le sol, manger une nourriture différente, souffrir d’un climat chaud et poisseux et être entourés de moustiques », leur explique Cunningham. « Vous en ressortirez vidés émotionnellement et attaqués spirituellement. Mais cela fait partie de notre croissance dans le Seigneur. »

Un laboratoire pour l’évangélisation

En 1968, JEM compte 30 employés à temps plein et 1 200 missionnaires à court terme. L’organisation décide qu’une petite formation serait utile et installe une école dans un hôtel en Suisse. Parmi les premiers enseignants, on trouve les parents de Cunningham, l’apologiste évangélique Francis Schaeffer, l’ingénieur mécanicien et théologien laïc Harry Conn et l’évangéliste écossais Duncan Campbell.

« Il ne s’agit pas d’une école biblique », explique alors Cunningham, « mais d’un laboratoire d’évangélisation. »

JEM lance d’autres écoles, jusqu’à mettre en place l’Université des Nations en plus de 600 endroits. Un responsable décrit ces formations comme la « machine à vagues » produisant les vagues de jeunes que Cunningham avait vues dans sa vision. Les écoles proposent une formation à l’évangélisation, mais aussi des diplômes dans les domaines du sport et de la remise en forme, des sciences et de la technologie, de l’éducation, de la communication et de l’art.

Cunningham rapporte avoir eu une révélation de sept salles de classe, chacune correspondant aux sept sphères de la société sur lesquelles les chrétiens devaient avoir un impact pour provoquer un changement.

Il part raconter cette révélation à son ami Bill Bright, fondateur de Cru, en 1975. Mais avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, Bright lui annonce qu’il a eu une révélation dont il a tiré une liste pratiquement identique de sept sphères d’action. Quelques semaines plus tard, Cunningham entend Schaeffer présenter un exposé très similaire concernant la domination du Christ sur ces sept domaines différents : la famille, la religion, l’éducation, les médias, l’art, l’économie et le gouvernement.

L’idée sera plus tard popularisée par le pasteur de Bethel, Bill Johnson, et d’autres, avec l’idée des « sept montagnes ». Celle-ci deviendra la base théologique sur laquelle de nombreux charismatiques américains s’appuient pour soutenir Donald Trump.

Cependant, Cunningham, lui, ne s’implique pas dans la politique. Il considère les sept sphères comme un cadre pour l’évangélisation et l’élaboration de stratégies pour l’accomplissement du « mandat missionnaire ».

Aux 50 ans de Cunningham en 1985, JEM envoie chaque année plus de 15 000 jeunes en voyage de courte durée. Le ministère opère dans 1 100 lieux répartis dans 170 pays. Pourtant, le leader visionnaire est convaincu, comme il l’avait écrit dans son premier livre, que ces jeunes ne représentent « qu’une fraction d’une fraction de ce qui était nécessaire » et que « les ouvriers étaient encore peu nombreux, très peu nombreux. »

Il continue à se concentrer sur la croissance, l’expansion et l’innovation.

Accusations d’abus spirituel

JEM a été critiqué pour la manière dont l’organisation traitait ces « vagues » de jeunes. Dans les années 1980, Gregory Robertson, un membre chevronné du personnel, déclare que le ministère était abusif et manipulateur. Les personnes qui n’étaient pas d’accord avec leurs responsables s’entendaient dire qu’elles se rebellaient contre Dieu ou qu’elles étaient même possédées par des démons.

Plus récemment, d’anciens membres de JEM ont publié sur les réseaux sociaux des vidéos dans lesquelles ils affirment avoir été victimes d’abus spirituels.

« Ces choses se produisent dans toutes les bases », raconte une femme. « Leur capacité à “entendre la voix de Dieu” l’emporte toujours sur votre propre connexion avec le Saint-Esprit. »

JEM n’a pas répondu officiellement aux accusations, mais un responsable britannique a déclaré que certains jeunes responsables avaient probablement agi de manière inappropriée.

« Ce genre de choses se produisent lorsque l’on s’engage à mobiliser les jeunes dans le monde entier », déclarait alors ce responsable. « Ils vont commettre certaines des erreurs que j’ai commises lorsque j’avais 18, 19 et 20 ans. »

Il observe également que les abus se produisent dans de nombreux contextes et estime que le bilan de JEM était meilleur que celui de la plupart des autres organisations.

Le modèle décentralisé de JEM laisse toute supervision aux responsables locaux. Les plaintes ne touchaient pas directement Cunningham, car il ne gérait pas la formation ou les opérations sur le terrain, mais se concentrait sur la stratégie d’ensemble. Son travail, tel qu’il le concevait, consistait à ouvrir les vannes pour les missionnaires potentiels.

En 1999, Cunningham voyage en Libye et devient le premier missionnaire à s’être rendu dans tous les pays du monde, ainsi que dans 150 îles et territoires.

Lorsque le COVID-19 puis le cancer ont limité ses déplacements au cours des dernières années de sa vie, Cunningham a commencé à utiliser Zoom pour s’adresser à des personnes sur tous les continents. Il abordait souvent la nécessité de traduire la Bible dans un plus grand nombre de langues et exhortait les gens à « vivre pleinement pour Jésus ».

« Ça a été une vie formidable », témoignait-il. « Je dirais à tout le monde […] d’avoir un but. Suivez un appel. Assurez-vous que vous le faites pour Dieu et pour ses objectifs. Il est amour et vous devez montrer son amour. »

Cunningham laisse derrière lui sa femme Darlene et leurs enfants Karen et David. Un service commémoratif est prévu à Hawaï le 4 novembre.

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Honorons les mères dans la foi — avec un salaire.

Malgré leur rôle crucial dans la vie des communautés, 83 % des femmes responsables de ministères aux États-Unis ne sont pas rémunérées.

Christianity Today October 6, 2023
Illustration d’Abigail Erickson/Images sources : Getty, Wikimedia Commons

Je voudrais vous parler d’un responsable d’Église que je connais. Dans son église locale, il dirige un ministère assurant la formation spirituelle de plus de la moitié des adultes — imaginez qu’il dirige un ministère auprès des Coréens dans une église majoritairement d’origine coréenne, ou un ministère auprès des personnes malentendantes dans une église comptant une majorité de personnes malentendantes.

Il planifie et conduit le bon déroulement de tout un agenda d’événements et de rencontres de formation de disciples sur mesure, et dirige des équipes de bénévoles pour assurer le bon fonctionnement de ce ministère. Ceux qu’il sert l’aiment et apprécient sa manière d’assumer ces responsabilités. Les gens se sentent vus et compris par lui, et il a leur confiance.

Alors que le personnel salarié à temps plein dans l’église conduit des ministères plus restreints et spécialisés dotés de budgets conséquents, ce responsable exerce ses activités bénévolement depuis des années et avec un budget réduit au minimum.

Son église prend en charge les frais d’inscription en faculté de théologie pour les responsables salariés, mais ce bénévole sert sans aucune formation formelle, pratique ou théologique.

Le groupe qu’il sert et auquel il appartient ne reçoit qu’un appui minimal de la part de la communauté, tout comme lui.

Sauf qu’il ne s’agit pas d’un homme, mais d’une femme.

Ce que j’ai décrit ici est la relation typique entre une responsable de ministère auprès des femmes et son église locale. Les femmes sont toujours les plus nombreuses dans les communautés évangéliques, mais même si celles qui servent cette majorité démographique exercent une grande influence sur la communauté, elles ne bénéficient que d’un investissement minimal de la part des responsables de l’ensemble du troupeau.

Une enquête de Lifeway Research paraissant ce mois-ci sur les femmes responsables de ministères révèle que 83 % d’entre elles ne sont pas rémunérées et que 86 % n’ont pas reçu de formation théologique formelle. Dans les églises de plus de 500 personnes, seules 29 % des responsables de ministère auprès des femmes occupent un poste rémunéré à temps plein et 24 % un poste rémunéré à temps partiel. Près de la moitié (46 %) ne reçoivent aucune rémunération.

Ces résultats correspondent à ma propre expérience et à ce que j’entends de la part des responsables de ministères auprès des femmes que je rencontre dans des églises de tout les États-Unis.

L’enquête de Lifeway ne compare pas le salaire des femmes à celui des autres membres du personnel exerçant des responsabilités similaires, mais je peux vous raconter que des femmes occupant ces fonctions ont parfois appris que leurs homologues masculins étaient payés jusqu’à deux fois plus qu’elles. Et si les responsables masculins peuvent recevoir un soutien pour une formation théologique dans le cadre de leur développement professionnel, les femmes ont rarement les mêmes possibilités.

Une responsable expérimentée, mais non rémunérée, d’un ministère auprès des femmes dans une grande église me racontait récemment : « bien qu’on ne m’ait jamais demandé d’envisager [des études], les responsables hommes semblaient très heureux que je prenne [des cours] et ont accepté de payer mes livres lorsque je l’ai demandé. »

Indépendamment de leur volonté, ces femmes se retrouvent souvent à servir dans un vide de leadership, sans véritable accompagnement et face à un personnel salarié peu intéressé ou impliqué dans la vision et l’accomplissement de leur ministère. Elles servent souvent sans reconnaissance, sans compensation et sans ressources. Elles le font dans la joie et en ne s’attendant que peu ou pas à recevoir ce type d’avantages terrestres.

Mais les églises mettent de l’argent dans ce à quoi elles accordent de l’importance. Le manque d’investissement semble indiquer que le ministère auprès des femmes serait plutôt vu comme « sympathique, mais pas absolument nécessaire ». Je crois pourtant qu’un tel ministère est essentiel et indispensable.

Voici pourquoi : le travail du ministère auprès des femmes est le travail dont parle Tite 2, celui de femmes plus âgées qui forment des femmes plus jeunes dans la foi. Le travailleur mérite son salaire. Les responsables servant auprès des femmes sont souvent les premières à qui sont confiés les témoignages de victimes d’abus, les premières sur le terrain pour la promotion d’études bibliques théologiquement saines, les premières à s’assurer que l’on apporte des repas aux personnes en deuil. Elles sont de réelles mères pour la famille de Dieu.

Comme nos mères biologiques, nos mères ecclésiales ont tendance à servir au-delà de ce qui leur est demandé, sans penser à être traitées de manière équitable ou à recevoir une compensation. Nous honorons intuitivement les pères au sein de nos communautés, les hommes qui nous dirigent. Mais le cinquième commandement nous commande d’honorer les pères et les mères. Nous pouvons et devons également honorer le travail des mères de nos églises.

Quelle que soit la taille de l’église, ces femmes méritent respect et soutien, à la mesure des moyens à disposition. Qu’on ne dise pas que nos églises perpétuent une culture de négligence à l’égard de ces femmes. La famille de Dieu est appelée à honorer le travail de ses mères en investissant en elles pour ce service vital dont bénéficient plus de la moitié des personnes qui franchissent les portes de nos communautés.

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Books

Parcours de vie : Uwe Holmer, le pasteur qui hébergea un dictateur

À l’effondrement du gouvernement communiste est-allemand, ce pasteur protestant accueillit Erich Honecker pendant dix semaines au nom du pardon.

Christianity Today October 6, 2023
Wikipmedia Commons / edits by Rick Szuecs

Pour Uwe Holmer, la question n’était pas sans conséquence. Mais elle était claire.

Croyait-il ce que Jésus avait dit ?

L’ex-président est-allemand Erich Honecker appelait à l’aide. Cet ennemi de longue date de l’Église, vigoureux opposant au christianisme, s’était efforcé pendant des années de contrôler et réprimer les croyants dans la République démocratique allemande. Holmer et sa famille en avaient personnellement souffert de plus d’une manière.

Mais le dirigeant communiste se retrouvait à présent loin du pouvoir, chassé de sa maison, sorti d’un hôpital et jeté à la rue. Il demanda alors à l’Église luthérienne de l’accueillir.

Le pasteur dut décider ce en quoi il croyait.

Il connaissait la réponse à donner.

« Jésus dit d’aimer ses ennemis », explique-t-il à ses voisins de l’époque. « Lorsque nous prions “pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés”, nous devons prendre ces commandements au sérieux. »

C’est en janvier 1990 que le pasteur évangélique reçoit le dictateur déchu. Il prendra soin de lui et de sa femme Margot pendant deux mois et demi. Des deux côtés du pays en voie de réunification après 40 ans de division, ce choix choquera plus d’un Allemand. Avec la fin subite de la guerre froide, le peuple allemand ne savait pas ce que l’avenir lui réservait, ni comment il devait traiter ceux qui se trouvaient de l’autre côté, maintenant que les barrières politiques et militaires avaient disparu.

Le pasteur, jusqu’alors inconnu, proposait une réponse audacieuse : le pardon et l’hospitalité. La haine, déclara Holmer, « n’est pas un bon point de départ pour un renouveau de notre peuple ».

Holmer, connu en Allemagne comme « le pasteur qui a accueilli Honecker », est décédé le 25 septembre. Il avait 94 ans.

« Uwe Holmer a été jusqu’au bout un homme qui a vécu dans une profonde piété », a déclaré Tilman Jeremias, évêque luthérien du nord de l’Allemagne. « Cette attitude lui permit de vivre l’amour du prochain même envers un socialiste athée comme Erich Honecker. »

Holmer était né en 1929 à Wismar, à environ 250 kilomètres au nord de Berlin, sur la mer Baltique.

Enfant, il rejoint les jeunesses hitlériennes, attiré par la camaraderie, l’enthousiasme et l’optimisme pour l’avenir, et la possibilité d’apprendre de nouvelles choses, comme le fonctionnement des moteurs de voiture. Il est toutefois davantage influencé par le mouvement transconfessionnel des chrétiens évangéliques associés à l’Alliance évangélique allemande.

Lors d’une réunion de prière de l’Alliance à Wismar, il observe des piétistes de son Église luthérienne se joindre à des méthodistes, des baptistes et d’autres chrétiens d’églises libres, tous unis dans leur foi en Christ. Plus tard, alors qu’il rencontre des problèmes de santé dans son adolescence, il est envoyé dans une clinique pulmonaire pendant 10 mois. Là, il se lie d’amitié avec un garçon plus âgé qui passe son temps à s’occuper de ceux qui souffrent et à leur parler de Jésus. Holmer décide que c’est ainsi qu’il veut devenir.

Après avoir obtenu son diplôme de fin d’études secondaires en 1948, il décide d’étudier la théologie pour devenir pasteur luthérien à l’université d’Iéna. L’école avait été en grande partie détruite pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais l’Union soviétique qui avait pris le contrôle de ce secteur du pays reconstruisit et réforma l’école pour en faire un modèle d’enseignement communiste. Malgré un engagement idéologique en faveur de l’athéisme, les autorités soviétiques décidèrent d’autoriser les cours de théologie, en installant des professeurs luthériens connus pour leur opposition au nazisme.

Holmer décide de poursuivre ses études à Iéna même lorsque ses parents, inquiets de la montée de l’autoritarisme, choisissent de quitter leur domicile pour s’installer en Allemagne de l’Ouest en 1950. Holmer estime que les habitants de l’Est auront besoin de pasteurs. Il obtient son diplôme et est ordonné en 1955.

Cependant, lorsqu’il est affecté dans une communauté rurale du Nord, Holmer rencontre des difficultés dans son ministère. Les gens ne comprennent pas ses sermons. Il s’agite en chaire, ne parle pas clairement. En crise, il lit les ouvrages de Martin Luther et est convaincu qu’il ne doit prêcher qu’une chose : « Vos péchés sont pardonnés. »

Cela transforme radicalement son ministère.

« J’ai simplement proclamé la grâce de Dieu et la façon dont nous pouvons la saisir par la foi », racontera-t-il plus tard. « Et voilà ! Cette offre de l’Évangile a pris vie dans le cœur de nombreuses personnes, leur a donné l’assurance du pardon et les a rendues libres et joyeuses. Car “là où il y a pardon des péchés, il y a aussi vie et salut. »

Bien qu’il ne soit pas particulièrement politisé, le jeune pasteur s’engage en faveur de la démocratie. Il se heurte au régime communiste à la fin des années 1960, lorsqu’il critique la collectivisation forcée de l’agriculture. Le ministère de la sécurité de l’État, connu sous le nom de Stasi, le place sous surveillance, estimant qu’il pouvait être un fauteur de troubles. L’une des personnes responsables de sa surveillance était Honecker, alors secrétaire à la sécurité du comité central du parti communiste allemand.

Honecker joue un rôle clé dans la construction du mur de Berlin à peu près à la même époque et assumera officiellement la responsabilité de la politique du Schiessbefehl consistant à tirer sur les personnes qui tentaient de fuir vers l’Ouest. Plus de 300 personnes trouvèrent la mort dans ces tentatives.

Lorsque Honecker se hisse à la tête du parti communiste et prend le contrôle de l’État en 1971, il s’efforce de libéraliser l’Allemagne de l’Est. Il orchestre l’économie pour fournir à la jeunesse de nouveaux produits et accorde plus de liberté aux auteurs et aux artistes.

Honecker conclut également un accord avec l’Église protestante. Il lui offre une place dans la vie est-allemande et l’espace public, y compris une émission hebdomadaire sur la radio d’État, en échange d’un engagement à ne pas le critiquer ou critiquer le gouvernement. Les responsables luthériens d’Allemagne de l’Est acceptent de fonctionner comme une « Église au sein du socialisme », mais le dictateur communiste ne respectera pas toujours sa part du marché.

La Stasi continue d’espionner Holmer et presque tous ses dix enfants se verront refuser l’accès à l’enseignement supérieur. Ils avaient de bonnes notes et étaient qualifiés pour intégrer l’école secondaire supérieure qui les préparerait à l’université. Mais lorsqu’ils déposèrent leurs demandes, elles furent rejetées sans explication. Le département de l’éducation était justement dirigé par Margot Honecker, parfois surnommée « la sorcière violette » en raison de sa coiffure.

Cependant, malgré la colère ressentie face à ce traitement, la famille prend l’habitude de s’en remettre à Dieu et de pardonner aux autorités qui leur rendent la vie difficile. Ils y voient ce que Jésus veut pour eux.

À un moment donné, Holmer se retrouve même à prier pour Erich Honecker. Il pense au pouvoir du dirigeant communiste, aux louanges, aux flatteries et aux applaudissements dont il fait l’objet partout où il se rend, et au mal que cela peut faire à son âme.

Il a besoin d’aide, se dit alors Holmer. Je lui parlerais volontiers de l’Évangile si j’en avais l’occasion.

Puis, à la surprise générale, le régime est-allemand commence à vaciller. Le parti communiste tente alors de rétablir la stabilité en forçant Honecker à partir. Un mois plus tard, la foule se lance à l’assaut du mur de Berlin. Le parlement décide de mettre fin au contrôle du parti unique, écartant ainsi les communistes du pouvoir, et un procureur ouvre un procès contre le dirigeant déchu. Honecker est accusé de trahison, de détournement de fonds et d’abus de pouvoir. Il est assigné à résidence. Mais le pouvoir législatif commence à saisir les biens du parti et Honecker se retrouve sans domicile fixe.

Après un court séjour à l’hôpital, Honecker est contraint de s’en aller. N’ayant nulle part où aller et craignant d’être tué par quelque attroupement, il se tourne vers l’Église luthérienne pour obtenir de l’aide. À l’époque, Holmer supervise un institut à Lobetal, dans la banlieue de Berlin, où l’on s’occupe de personnes handicapées. Il consulte sa femme, Sigrid, et les enfants qui vivent encore avec eux, puis propose son aide. Ils libèrent deux pièces à l’étage et accueillent les Honecker.

« C’était un couple sans défense, plutôt désespéré », se souviendra-t-il plus tard. « Nous y avons longuement réfléchi, mais nous avons estimé qu’il ne fallait pas commencer cette nouvelle étape dans la haine et le mépris, mais avec la réconciliation. »

La maison des Holmer est rapidement submergée par l’engouement médiatique. Photographes et journalistes s’efforcent d’obtenir images et citations du pasteur et de son étrange invité. Des manifestants se présentent également pour protester contre le pasteur et demander que Honecker soit puni.

Pas de grâce pour Honecker ! clame alors une pancarte.

Holmer tente de les faire changer d’avis.

Il rappelle à ses voisins qu’il y se trouve en ville une statue de Jésus qui cite Matthieu 11.28 : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » Il leur rappelle le Notre Père, qu’ils priaient à l’église tous les dimanches, demandant à Dieu de leur pardonner comme ils pardonnaient aux autres.

« Écoute, mon gars », lui criera un homme, « Ce n’est pas la question. »

Holmer et sa famille protègent et prennent soin du dictateur déchu pendant 10 semaines. Le pasteur constatera que Honecker n’est pas très intéressé à lui parler de ses erreurs ou d’entendre la manière dont il pourrait obtenir le pardon de Dieu par la foi en Christ.

« M. Honecker », lui dit-il un jour, « le socialisme a commis une erreur. Le socialisme suppose que les gens sont bons, mais ils ne le sont pas. Tout le monde est égoïste. Jésus a dit que nous étions des pécheurs. C’est pour cela que Jésus voulait changer les cœurs. Et lorsque les cœurs seront changés pour le bien — pour la foi, l’espoir et l’amour, mais aussi pour l’honnêteté et la responsabilité — alors nous aurons les conditions pour le bien. »

En avril, Honecker quitte le pays et se rend dans un hôpital soviétique pour y être soigné d’une tumeur maligne au foie. Rattrapé dans une tentative de fuite, il se battra avec succès pour que son affaire soit rejetée par la Cour suprême du nouveau gouvernement allemand et passera ses derniers jours au Chili. Il ne manifesta jamais d’intérêt pour le message de Holmer, mais lui et sa femme remercièrent le pasteur et sa famille pour leur gentillesse et continuèrent à leur envoyer une carte de Noël chaque année.

Uwe Holmer retourna dans l’ombre et passa le reste de sa vie à s’occuper tranquillement de ceux qui étaient dans le besoin. Il s’installa dans la petite ville de Serrahn, où il prit soin de personnes souffrant de toxicomanie et d’alcoolisme. Il prêchait dans les églises locales lorsque les pasteurs étaient en vacances et se rendait régulièrement au Kazakhstan et au Kirghizistan pour enseigner les chrétiens locaux.

Holmer devint membre du conseil d’administration de l’Alliance évangélique allemande et exhorta les chrétiens de toutes les confessions à s’unir autour du Christ et du message central de l’Évangile : vos péchés sont pardonnés.

« Le monde déborde de péchés, de haine et de conflits, de guerres et d’impiété. » « Il a désespérément besoin de la grâce et du pardon offerts par la croix et la résurrection de Jésus. »

En 2022, l’histoire d’Uwe Holmer et de sa famille a fait l’objet d’un film réalisé par Jan Josef Liefers, bien connu du public allemand pour son rôle dans la série policière Tatort. Le film, Honecker und der Pastor a également été diffusé en français sous le titre Le refuge du dernier président.

« Parfois, la réalité est plus excitante que n’importe quelle fiction », commente le réalisateur. « Si je vous disais qu’un dictateur déchu a dû demander de l’aide aux plus méprisés de son peuple opprimé, vous penseriez qu’il s’agit d’un beau conte de fées. Mais cela s’est réellement produit. »

La première épouse d’Uwe Holmer, Sigrid, était décédée en 1995. Il laisse derrière lui ses dix enfants, ainsi que sa seconde épouse, Christine, et ses cinq enfants.

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