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Les théologiens occidentaux ont besoin des théologiens non occidentaux, et inversement.

Les particularités des divers groupes de population peuvent faciliter le travail de compréhension et de proclamation de l’Évangile.

Christianity Today August 15, 2023
Illustration by Christianity Today / Source Images: Unsplash

La croissance mondiale du christianisme a entraîné un bourgeonnement de perspectives théologiques diverses. Pourtant, de nombreux théologiens occidentaux sont peu familiers des théologiens travaillant dans des contextes non occidentaux. Stephen T. Pardue, professeur à l’Asia Graduate School of Theology, [aux Philippines,] aborde ce problème dans un nouvel ouvrage intitulé Why Evangelical Theology Needs the Global Church (« Pourquoi la théologie évangélique a besoin de l’Église mondiale »). J. Nelson Jennings, rédacteur en chef de la revue Global Missiology, s’est entretenu avec lui sur les bienfaits de la collaboration avec les théologiens du monde majoritaire.

Why Evangelical Theology Needs the Global Church

Why Evangelical Theology Needs the Global Church

208 pages

$18.76

Vous avez grandi aux États-Unis, mais vous avez passé de nombreuses années à vivre et à enseigner aux Philippines. Comment cette expérience a-t-elle influencé votre réflexion sur la théologie et l’Église mondiale ?

Comme la plupart des personnes culturellement hybrides, je ne pourrais pas retracer toutes les subtilités de la façon dont j’ai été façonné. L’une des joies que j’ai éprouvées en écrivant ce livre a été de réfléchir à ces réalités complexes, qui sont souvent ignorées ou simplifiées à l’extrême dans les ouvrages théologiques. Dans mon propre livre, j’essaie d’aller au-delà de ces simplifications, par exemple lorsque l’on parle de théologies « du Sud » ou « occidentales » comme si tous les théologiens appartenant à ces catégories pensaient de la même manière. J’espère que les lecteurs se sentiront invités à réfléchir à la manière dont la diversité culturelle du peuple de Dieu nous aide à mieux entendre la Bonne Nouvelle.

Pourquoi, pour reprendre le titre de votre livre, la théologie évangélique a-t-elle besoin de l’Église mondiale ?

Nous avons besoin de l’apport de l’ensemble de l’Église pour prospérer. Cela signifie qu’il ne faut pas se contenter de célébrer la diversité croissante de l’Église pour de vagues raisons de politesse ou de politiquement correct, mais qu’il faut développer un cadre cohérent quant à la manière dont la culture peut façonner notre théologie sans porter atteinte à ce qui fait son centre : le Dieu trinitaire révélé dans les Écritures.

L’une de mes grandes thématiques est que les parties plus « jeunes » de l’Église du monde majoritaire constituent une ressource théologique sous-estimée. Dans le même temps, l’objectif ne doit pas être simplement d’inverser le déséquilibre en ignorant les contributions des Églises nord-américaines ou européennes.

Nous pouvons approfondir notre intelligence théologique en nous intéressant au travail passionnant qui se fait dans les Églises du monde majoritaire, tout en reconnaissant que nous avons besoin de tout le corps du Christ — à l’Est, à l’Ouest, au Nord et au Sud. Et il est important d’accorder une attention particulière non seulement à l’ensemble des Églises d’aujourd’hui, mais aussi à l’expérience des chrétiens des générations précédentes.

Vous affirmez que la théologie s’inscrit toujours dans un contexte culturel donné. Comment concilier cette idée avec l’affirmation évangélique de la nature éternelle et immuable de Dieu ?

Les évangéliques ont raison d’affirmer que faire de la théologie implique d’entendre la voix de Dieu — quelque chose d’extérieur à nous qui nous parle. Le problème est que nous avons utilisé cette conviction pour minimiser l’influence de la culture et de la langue sur la réflexion théologique. Nous avons tendance à mettre la culture entre parenthèses et à la réserver pour la fin du processus théologique : nous considérons avoir distillé diverses « vérités intemporelles », et il nous faut maintenant les exprimer de manière à ce qu’elles puissent être comprises dans la culture.

Mais ce n’est pas la stratégie adoptée par Dieu pour communiquer avec nous, lui qui a intégré divers moyens de communication, langues et coutumes de la culture du Proche-Orient ancien et du monde gréco-romain. Nous avons le mandat divin de faire en sorte que l’Évangile soit chez lui dans toutes les cultures, ce qui implique non seulement de bien le traduire, mais aussi de reconnaître comment la culture peut nous aider (et potentiellement nous nuire) dans ce processus.

Dans les discussions actuelles sur la relation entre la théologie évangélique et la culture, on entend des échos de discussions antérieures sur la théologie évangélique et la tradition de l’Église. En quoi ces questions suivent-elles des trajectoires similaires ?

Il y a quelques décennies, la plupart des évangéliques ne considéraient pas la tradition de l’Église comme une ressource théologique. Certains manuels faisaient à peine référence à ce que les chrétiens des générations précédentes avaient cru. Mais plus récemment, les théologiens évangéliques en sont venus à considérer la tradition comme une ressource cruciale pour aborder les questions théologiques auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui.

Je pense que nous sommes au début d’un phénomène similaire dans le domaine de la culture. Pendant des décennies, certains évangéliques ont nié que la culture ait un rôle formateur à jouer dans le processus théologique. Mais de plus en plus, les théologiens sont conscients de l’importance de la culture. C’est inéluctable. Comme pour la tradition, nous devrions nous efforcer de l’utiliser à bon escient.

Le livre affirme que Dieu a « même été prêt à risquer la confusion et le syncrétisme », ayant « fait le premier le pas d’accepter les risques d’un engagement culturel en profondeur. » Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

Pour être bien clair, je ne pense pas qu’il s’agisse de risques du point de vue de la souveraineté de Dieu. Mais le travail d’inculturation de la foi chrétienne comporte des risques.

Tout missionnaire ou traducteur de la Bible a été confronté à cette dynamique. Lorsque vous vous posez des questions telles que « Comment décrire Dieu ? », vous pouvez être tenté d’introduire un mot entièrement nouveau pour la culture — peut-être en important quelque chose de l’hébreu, du grec ou de votre langue maternelle. Mais lorsque les premiers chrétiens ont apporté l’Évangile dans de nouveaux lieux, ils n’ont pas importé les choses de l’extérieur. Au lieu de cela, ils sont partis de l’intérieur, malgré le risque que les gens confondent la conception chrétienne de Dieu avec des idées qui existaient déjà dans leur culture. Ils l’ont fait parce qu’ils ont vu Dieu le faire le premier dans les Écritures.

Bien sûr, nous voulons prendre ces risques avec sagesse. Nous faisons tous nos efforts pour pointer vers le Dieu trinitaire de l’Écriture et non vers un autre concept ou divinité. Mais nous sommes obligés de nous lancer dans ce processus inconfortable parce que Dieu l’a fait avant nous.

Pourquoi, selon vous, la doctrine de l’Église a-t-elle été relativement négligée dans les discussions sur la théologie et le christianisme mondial ?

Lorsque nous pensons à la théologie contextuelle, la doctrine qui nous vient généralement à l’esprit est celle de l’Incarnation. Et c’est naturel : c’est l’exemple le plus clair où Dieu, qui est en dehors de la culture et du temps, entre dans la réalité humaine en un lieu spécifique. En Jésus, Dieu parle d’une manière remarquablement particulière : dans une certaine langue, et même avec un certain accent.

Pourtant, je ne pense pas que l’Incarnation soit un bon modèle pour comprendre ce que font les théologiens lorsqu’ils annoncent la Bonne Nouvelle dans une nouvelle culture. L’Incarnation est un événement unique où un Dieu extérieur à la culture est venu l’habiter. Mais en tant que théologiens, notre point de départ n’est jamais extérieur à la culture.

L’Église est essentielle ici, parce qu’elle est le moyen que Dieu a conçu pour rassembler cette folle diversité de l’humanité en un seul foyer. Dans le livre des Actes des Apôtres en particulier, nous voyons que ce processus de mélange de différentes cultures est en fait l’espace divinement ordonné dans lequel la théologie est censée émerger. Si tel est le cas, la diversité culturelle de l’Église doit être prise en compte dans la tâche de la théologie.

J’ai été très influencé par le travail de Simon Chan, un théologien asiatique. Chan s’inquiète des efforts de contextualisation de la théologie qui ne tiennent pas compte de l’Église. Dans le contexte asiatique, où les chrétiens constituent pour la plupart une infime minorité, la tentation de chercher à l’extérieur de l’Église où Dieu pourrait agir est compréhensible. Mais Chan affirme que cette approche est une forme d’impasse, car elle ne tient pas compte de la manière dont les chrétiens de ces régions permettent déjà que la foi entre en contact avec leur culture locale. Si nous regardons de ce côté, nous pouvons apprendre à voir l’Église comme un terrain fertile pour construire une théologie contextuelle.

Qu’espérez-vous le plus que les lecteurs retiendront de votre livre ?

J’espère qu’ils apprécieront non seulement les arguments théoriques, mais aussi les détails spécifiques liés au terrain. J’espère qu’ils se concentreront sur les études de cas, qui transmettent ce message fondamental : Voici le résultat, voici ce qui se passe lorsque nous permettons à la culture d’avoir une influence formatrice sur la théologie tout en préservant le rôle central de l’Écriture. Venez vous réjouir de ce que Dieu fait, et laissez votre Église en être nourrie, où que vous soyez.

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Books

Que se passe-t-il lorsque chrétiens et musulmans traduisent les Écritures ensemble ?

Au Tchad, des évangéliques se réjouissent de partenariats inattendus — et de nouveaux convertis — à la suite de projets de traduction dans des langues minoritaires.

Christianity Today August 15, 2023
Marco Di Lauro / Getty Images

Le ministère de traduction de la Bible unfoldingWord travaille avec des Églises de différents pays et cultures, mais un projet récent au Tchad a intégré une nouvelle dynamique à leur travail : la majorité des traducteurs étaient musulmans.

« Nous ne pouvons pas nous attribuer le mérite d’avoir pensé à cela ou d’avoir élaboré cette stratégie », rapporte Eric Steggerda, responsable des opérations sur le terrain pour unfoldingWord, qui collabore dans ce pays d’Afrique centrale avec le Projet Croissance des Églises au Tchad (PCET).

« Dieu a conduit les choses de manière à ouvrir une porte dont aucun de nous ne s’attendait à ce qu’elle soit aussi profitable », dit Steggerda. « Ce que nous avons appris, c’est qu’il s’agit en fait d’un moyen très efficace d’établir un pont avec les musulmans. Les histoires bibliques peuvent être comprises. »

Les musulmans représentent un peu plus de la moitié de la population du Tchad. L’arabe et le français sont les deux langues officielles, bien que la plupart des gens parlent une variante de l’arabe appelée arabe tchadien.

Le PCET a identifié 10 langues minoritaires dans lesquelles il voulait offrir des traductions et a organisé des ateliers d’information afin de recruter des participants pour les projets en question.

Un évangélique tchadien impliqué dans le PCET — qui a demandé à ce que son nom ne soit pas divulgué par crainte de violences en réponse au travail effectué dans les communautés musulmanes — nous a expliqué que de nombreuses personnes ont participé à l’atelier de traduction parce qu’elles étaient intéressées par le salaire.

Mais les chrétiens ont remarqué que les musulmans ont rapidement adhéré aux projets pour des raisons autres que l’incitation financière. Le PCET et unfoldingWord avaient clairement indiqué que les documents à traduire seraient chrétiens, mais les participants musulmans considéraient que certaines histoires, comme celles d’Abraham, se rattachaient également à leur religion.

Selon Eric Steggerda, les communautés tchadiennes qui ne disposent pas de documents chrétiens dans les langues minoritaires ont également peu de chances d’avoir le Coran dans ces langues.

Lorsque l’on travaille avec des groupes linguistiques comptant peu de croyants ou composés de nouveaux croyants, unfoldingWord recommande de commencer par un ensemble d’environ 50 histoires qui emmènent les traducteurs dans un parcours à travers la Bible pour construire une compréhension d’ensemble de la Parole de Dieu avant de traduire des passages de l’Écriture eux-mêmes.

Le Coran raconte différemment un grand nombre de ces histoires, comme le récit de la Création, ou ne les inclut pas du tout, comme la parabole du bon Samaritain. Lorsque les traducteurs musulmans ont travaillé sur cette parabole du Nouveau Testament, Steggerda a observé qu’ils étaient particulièrement enthousiastes en discutant des questions que celle-ci suscitait.

Une autre raison pour laquelle les musulmans étaient intéressés par la traduction de documents chrétiens était le fait que le projet accordait de l’importance à leur langue.

« Beaucoup de ces langues luttent pour leur place dans le monde, pour ainsi dire. Il n’y a pas grand-chose dans leur langue maternelle, alors ils se réjouissent quand ils trouvent des choses qui le sont, parce que cela leur montre vraiment l’importance de leur langue », dit Steggerda. « Évidemment, ce qu’on lit dans sa langue maternelle résonne davantage avec le cœur que les autres langues. Ils sont donc très réceptifs à l’idée que les récits bibliques, par exemple, soient traduits dans leur langue maternelle. »

Une traduction complète de la Bible en arabe tchadien, la langue parlée par la majorité des habitants du pays, a été achevée en 2019, et des copies ont été livrées à trois endroits au Tchad par la Mission Aviation Fellowship en 2021. Il existe plus de 100 dialectes et langues locales et, dans les zones rurales, les gens sont moins susceptibles de parler ou de lire en français, l’une des langues officielles.

La question qui se pose lorsqu’on implique des non-chrétiens dans des projets de traduction, en particulier ceux qui n’ont pas de diplôme ou d’expertise dans le domaine de la traduction, est de savoir si les traductions seront linguistiquement et théologiquement solides.

UnfoldingWord se concentre sur des traductions réalisées en lien avec les Églises et estime que les non-chrétiens peuvent contribuer à l’élaboration de traductions de qualité, tout en apprenant eux-mêmes à connaître les Écritures. Dans le cadre du processus de formation, les traducteurs commencent par des histoires bibliques plus simples pour apprendre les bases, puis passent à des passages clés avant de travailler sur des livres entiers de la Bible, avec une formation et des conseils supplémentaires en cours de route.

Les traductions sont effectuées en équipe, de sorte que la traduction de chaque individu est vérifiée par un autre membre du groupe, puis par l’ensemble du groupe. Même avec ces processus en place, les formateurs ont remarqué que les traducteurs avaient parfois des difficultés avec des histoires qui contredisent clairement la doctrine islamique. Au Tchad, le PCET a ainsi fait appel à des pasteurs pour vérifier les traductions de chaque groupe et éviter les erreurs théologiques.

Les traductions sont également diffusées progressivement dans chaque communauté afin de recueillir les réactions dans des contextes spécifiques et comme un moyen de partager l’Évangile.

Le projet de traduction au Tchad a débuté en 2018, mais a été ralenti par les récents troubles civils, notamment l’assassinat du président tchadien en 2021. Le PCET continue de traduire et de partager le nouveau matériel produit et les responsables affirment qu’ils ont vu Dieu atteindre les gens grâce au projet. Deux des traducteurs musulmans se sont convertis au cours du processus de traduction. Des personnes appartenant à des communautés non atteintes se sont également tournées vers le Christ, y compris des responsables musulmans.

Dans une région, l’équipe locale a rencontré plusieurs imams fondamentalistes qui se sont d’abord montrés sceptiques à l’égard du projet. Après avoir vu les histoires dans leur langue, les imams ont laissé l’équipe les présenter à l’ensemble de la communauté. Ils ont exhorté l’équipe à revenir et à continuer à leur présenter tous les documents traduits qu’elle pourrait.

Dans un autre village, raconte Steggerda, le chef était très malade lorsque l’équipe s’est rendue sur place. Ils ont prié pour sa guérison au nom de Jésus, et il a été miraculeusement guéri. L’homme a consacré sa vie à Christ et a exhorté tout son village à être réceptif aux documents traduits et à tenir compte de ce que l’équipe avait à dire.

Le PCET continue à soutenir les convertis dans ces villages une fois les projets de traduction terminés.

« Un réseau missionnaire de 50 personnes a été mis en place par l’intermédiaire de cette organisation [le PCET] et a été réparti entre les différents groupes linguistiques », explique Eric Steggerda. « Lorsqu’une personne se convertit dans l’un de ces villages grâce au processus d’évaluation des traductions, elle est confiée au missionnaire associé et à l’Église qui la parraine pour qu’elle devienne un véritable disciple. »

Dans une communauté musulmane, où les efforts missionnaires précédents étaient restés infructueux, les responsables du PCET ont voulu réessayer avec les éléments traduits dans leur langue locale, a expliqué le responsable tchadien cité plus haut à CT.

« Nous avons simplement suivi la voix du Saint-Esprit et nous sommes allés dans la communauté, avec les anciens et les responsables. Nous avons projeté les vidéos et l’audio [des traductions], et le résultat que nous avons obtenu a été très bon. » « Immédiatement après notre départ, le missionnaire qui était en poste là-bas a pu implanter des Églises, et il a baptisé plus de 10 personnes en décembre. »

« Les gens sont enthousiastes à l’idée d’entendre l’Évangile du Christ pour la première fois dans leur propre langue. »

L’une des raisons pour lesquelles ces projets de traduction ont été des outils d’évangélisation si efficaces est qu’ils permettent à des personnes non atteintes de voir que l’Évangile n’est pas réservé aux Occidentaux.

« Les gens ont beaucoup de préjugés à l’égard du christianisme. Pour eux, le christianisme est un produit occidental », explique le responsable tchadien. « Lorsqu’ils peuvent écouter la parole de Dieu dans leur propre langue, cela change la donne. »

Au Tchad, la phase suivante de traduction aborde des ensembles de passages de l’Écriture qui aident à développer les connaissances théologiques. Bien que la composition des équipes de traduction soit laissée à la discrétion des partenaires locaux, unfoldingWord recommande d’utiliser des croyants à partir de cette deuxième phase.

L’approche d’unfoldingWord contraste avec le modèle traditionnel de traduction de la Bible, où des traducteurs hautement qualifiés sont déployés pour apprendre une langue et créer ensuite une nouvelle traduction. Le président de l’organisation, David Reeves, estime que les deux approches sont nécessaires pour continuer jusqu’à atteindre tous les peuples de la terre.

« Dieu a béni et doit continuer à bénir [le modèle traditionnel], parce que nous ne pouvons pas terminer la tâche sans qu’ils ne terminent ce qu’ils ont commencé », dit-il. « Ce que fait le modèle émergent, c’est de se rendre dans les endroits les plus difficiles d’accès de la planète et de mobiliser une main-d’œuvre beaucoup plus nombreuse pour accomplir ce travail [de traduction]. »

Le responsable du PCET et son équipe en sont les premiers témoins, puisqu’ils voient de plus en plus de personnes non atteintes entendre l’Évangile dans leur langue pour la première fois.

« Le mandat missionnaire est l’affaire du Seigneur Jésus en partenariat avec le Saint-Esprit. Nous semons et le Saint-Esprit arrose. Nous prions pour voir les premiers fruits de notre travail. »

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History

Les avancées archéologiques soutiennent la réalité d’un roi biblique

Pour certains, la Maison de David semblait autrefois tout droit sortie d’un conte populaire. Aujourd’hui, les pierres témoignent de son importance historique.

Christianity Today August 15, 2023
Illustration by Tim Peacock

La Bible décrit David comme un homme selon le cœur de Dieu, un roi qui a régné pendant 40 ans. D’après les Écritures, il a établi fermement la « cité de David » et un royaume israélite, transmis à son fils Salomon (1 S 13.14 ; 1 R 2.10-12).

Pour les archéologues, cependant, les choses ne sont pas aussi claires. D’après certains experts qui ont examiné les preuves issues des fouilles effectuées dans l’Israël contemporain, la Bible a considérablement exagéré l’importance historique de David. Certains sont allés jusqu’à suggérer que l’histoire de David était un mythe, une fiction héroïque ou un conte folklorique nationaliste.

« Nous avons en David manifestement un personnage construit essentiellement à partir de romans, de légendes et d’élaborations littéraires », écrivait l’universitaire britannique Philip R. Davies. Le Danois Niels Peter Lemche affirmait de son côté qu’il était « plutôt probable » que « les récits à son sujet soient aussi historiques que les légendes du roi Arthur ».

Mais après des décennies de débats, de nouvelles découvertes confirment la stature historique de David. Cet élargissement des indices — allant d’inscriptions sur des monuments à des vestiges de constructions anciennes — confirme le récit biblique.

« Nous avons aujourd’hui une image complètement différente de celle que nous avions il y a 50 ans », déclare Michael Hasel, professeur d’études du Proche-Orient et d’archéologie à l’Université adventiste du Sud aux États-Unis, en soulignant l’accumulation croissante de preuves archéologiques.

La première avancée a eu lieu en 1993 avec la découverte de la stèle de Tel Dan, près de la frontière syrienne. Une inscription sur une dalle de pierre, rédigée par un roi araméen célébrant une victoire militaire, nomme le royaume vaincu « Maison de David ». La stèle date d’environ 140 ans après la mort de David, et ferait de David le premier personnage biblique attesté dans les données archéologiques. On aurait donc bien à faire à un personnage historique établi.

La difficulté d’établir des preuves extrascripturaires de l’existence de David et de son importance réside en partie dans le fait que celles-ci se situent sur une ligne de faille historique.

« David se trouve juste à la limite entre la période où peu de sources externes permettent d’affirmer l’existence de personnes et d’événements de la Bible et la période pour laquelle nous avons des sources », nous dit Kyle Keimer, professeur adjoint au Collège universitaire de Jérusalem et coéditeur du manuel The Ancient Israelite World (« Le monde israélite ancien »). La stèle de Tel Dan, cependant, place fermement David du côté des personnages bénéficiant de sources.

Quelques années après cette découverte, éclate cependant, en Israël, un débat académique acharné sur la question de savoir si David avait réellement régné sur un empire. La Maison de David, constituait-elle une véritable force politique et militaire ? Israël Finkelstein, un archéologue israélien très réputé, répondait par la négative à cette question. Dans un article qui a fait date, il affirme que David n’était pas un monarque important, mais plutôt une sorte de chef de clan. Le royaume connu sous le nom de Maison de David ne serait apparu que plus tard et n’aurait été en réalité qu’un État vassal du royaume d’Omri, dans le nord d’Israël.

« Les personnes pour qui la Bible représente la parole de Dieu sont complètement choquées par ce que je déclare », déclarait Finkelstein au New Yorker. « Le royaume de David y est décrit comme un royaume glorieux, un immense empire. Il y est question d’auteurs à la cour, d’une immense armée, de vastes conquêtes militaires, et puis quelqu’un comme moi arrive et dit : “Attendez une minute. Ce n’était rien d’autre que des bouseux !” »

Mais il n’y a pas que l’attachement à la Bible pour susciter les objections des chercheurs envers les théories de la « chronologie basse » de Finkelstein. Son interprétation des preuves et ses affirmations fondées sur l’absence de preuves ont également soulevé de nombreuses questions. Finkelstein semble également formuler des hypothèses trop générales sur ce à quoi aurait dû ressembler un empire du 10e siècle avant notre ère.

Un monument connu sous le nom de stèle de Tel Dan vante la défaite de « la Maison de David ».WikiMedia Commons
Un monument connu sous le nom de stèle de Tel Dan vante la défaite de « la Maison de David ».

Selon Keimer, l’absence d’architecture monumentale datant du règne de David ne prouve rien. Cet argument ne tient pas la route si l’on examine ce que la Bible dit réellement du royaume de David, au lieu de se baser sur une vision moderne du pouvoir politique.

« Le monde antique a son propre milieu culturel », déclare Keimer. « Laisser le texte parler de lui-même nous met mieux en phase avec les détails politiques et sociaux qui nous sont rapportés. »

À l’époque, les monuments n’étaient qu’un moyen parmi d’autres d’exprimer le pouvoir. Les rois utilisaient également l’autorité relationnelle et charismatique, montrant leur force en se faisant obéir. Le patronage — le type de pouvoir exercé aujourd’hui, par exemple, par un chef de la mafia — ne laisse pas les mêmes traces. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de puissance ou de forme d’empire.

Les récits bibliques concernant le roi David ne mettent pas en avant ses projets de construction. Ils mettent en revanche l’accent sur ses relations, ce qui explique pourquoi son fils Absalom réussit pratiquement son coup d’État en sapant l’autorité relationnelle de son père. Absalom n’a pas érigé de stèle, il a « volé le cœur du peuple » (2 S 15.6).

Keimer suggère que le royaume de David se serait étendu de Dan à Beersheba (24.2), mais que son influence se serait fait sentir beaucoup plus loin, même jusqu’en Égypte ou sur l’Euphrate. Il y aurait cependant moins de preuves archéologiques de ce type de pouvoir.

Erez Ben-Yosef, professeur à l’université de Tel-Aviv, affirmait récemment que l’archéologie biblique est entachée de préjugés architecturaux. Selon lui, beaucoup plus de gens qu’on ne le pense vivaient encore sous tente il y a 3 000 ans.

« Il s’agit d’une société qui ne construisait pas de grandes villes », déclare Dan Pioske, professeur de théologie à l’université américaine de Saint-Thomas. « Nous devons prêter attention à notre manière d’imaginer les capitales ou les royaumes d’alors. »

Les archéologues ont également trouvé d’autres preuves de l’importance de Jérusalem à cette époque, même si en matière d’architecture monumentale, elle ne pouvait pas rivaliser avec certains royaumes voisins. Pioske cite les Lettres d’Amarna, correspondance de diverses villes cananéennes à un pharaon égyptien, qui décrivent Jérusalem comme une ville d’une certaine importance.

« Si l’on additionne toutes ces petites pièces — ce qu’il faut faire parce que Jérusalem est une ville habitée et qu’il n’est pas facile d’y faire des fouilles archéologiques — on a là un site assez impressionnant », a-t-il déclaré. « Et l’Antiquité présente beaucoup d’exemples de petites localités avec une grande influence ».

En outre, les archéologues ont trouvé une trace d’architecture monumentale près du Mont du Temple. L’archéologue Eilat Mazar y a découvert les murs de fondation d’un grand bâtiment public, qui correspond parfaitement au récit d’un projet de construction mentionné dans 2 Samuel 5.17. Ces fondations ont pu être datées, de manière concluante, du 10e siècle avant Jésus-Christ. Eilat Mazar, décédée en 2021, avait déclaré à notre magazine qu’elle ne partait pas d’un point de vue religieux, mais qu’elle lisait la Bible comme un document historique, ce qui faisait d’elle une archéologue avisée.

« C’est Jérusalem, que nous connaissons le mieux grâce à la Bible », expliquait-elle, « car celle-ci en offre des descriptions historiquement authentiques ».

En dehors de Jérusalem, les archéologues ont trouvé d’autres preuves du pouvoir et de l’influence des premiers rois israélites. Michael Hasel, de l’Université adventiste du Sud, a fouillé un site appelé Khirbet Qeiyafa avec les archéologues israéliens Yosef Garfinkel et Saar Ganor. Qeiyafa surplombe la vallée d’Elah, où David aurait affronté Goliath.

Les archéologues y ont découvert, lors de leurs fouilles, des fortifications massives, avec des murs constitués de centaines de milliers de tonnes de pierre.

« Il ne s’agissait pas d’un enclos construit pendant la nuit, par un berger, pour protéger ses moutons », dit Hasel. « Et cela relance le débat ».

Rien ne prouve que la structure de ces fortifications ait été cananéenne ou philistine, et le plus logique est qu’elles aient été érigées, dans les collines de Judée, par le pouvoir politique israélite grandissant.

Hasel fait remarquer qu’auparavant, les arguments concernant l’empire de David étaient généralement fondés sur les fouilles effectuées dans le nord d’Israël. Maintenant que de plus en plus de sites sont fouillés dans les contreforts situés entre les hauts plateaux de Judée et la côte, les archéologues découvrent des artefacts qui, selon Finkelstein, n’auraient pas dû exister.

Hasel estime que les résultats obtenus à Qeiyafa et sur deux autres sites où son équipe a travaillé ont solidement rétabli la « chronologie haute » traditionnelle et ont permis d’établir un dossier archéologique conséquent sur l’importance de David.

Et c’est une bonne chose que David soit de retour sur le devant de la scène.

Selon Hasel, « si vous n’avez pas David, vous n’avez pas grand-chose ». David est mentionné environ 1 000 fois dans la Bible. Il est considéré comme l’auteur de 73 psaumes. Son histoire est liée à celle de Jérusalem, qui est devenue la capitale d’Israël et où se trouvait le temple. Et c’est de la lignée de David que le Messie est issu.

« Sans David, tout cela est remis en question », déclare l’archéologue. « Il s’agit d’une figure très importante non seulement pour Israël, mais aussi pour l’histoire du christianisme et du judaïsme qui se réfèrent à lui. »

Et les archéologues n’en ont pas fini avec David non plus. Ils pourraient bien trouver d’autres preuves extrabibliques de son règne.

En 2017, les fouilles de ce qui semble être une citadelle à Tel Abel Beth Maacah, dans le nord d’Israël, ont mis au jour une tête en céramique émaillée. Il s’agit d’une forme de faïence, de cinq centimètres de haut qui, selon certains, pourrait représenter le roi David. D’autres chercheurs pensent qu’il s’agit du roi Achab ou du roi Hazael d’Aram-Damas, mais il est impossible de trancher.

La tête en céramique d’un roi, abandonnée un siècle après le règne de David.Associated Press
La tête en céramique d’un roi, abandonnée un siècle après le règne de David.

« Tout ce que nous pouvons dire avec certitude à propos de la tête en faïence, c’est qu’elle a été trouvée dans un environnement datant de la fin du 9e siècle et qu’elle représentait un membre de l’élite — un commandant militaire, un gouverneur, un roi, ou autre », dit Robert Mullins, professeur d’études bibliques et religieuses à l’université californienne Azusa Pacific et codirigeant des fouilles. « Je n’exclurais jamais la possibilité que ce soit David, car Abel était aussi une grande ville à l’époque […] Peut-être que l’origine de cette faïence remonte au 10e siècle, mais que quelqu’un l’a trouvée brisée sur le sol et l’a gardée en souvenir. »

En 2022, une équipe de chercheurs a utilisé les nouvelles technologies pour déchiffrer une stèle érigée dans l’actuelle Jordanie par un roi moabite, plus de 800 ans avant la naissance du Christ. La pierre était endommagée, mais les chercheurs ont pu en reconstituer les inscriptions grâce à un rendu en 3D. Elle ne comporte que 34 lignes, mais à la ligne 31, ils ont pu lire les mots « Maison de David ».

Il semblerait qu’à nouveau, les pierres témoignent de l’importance politique de David et de l’exactitude du récit biblique.

Gordon Govier écrit sur l’archéologie biblique pour Christianity Today, anime l’émission de radio archéologique The Book & The Spade et est le rédacteur en chef d’Artifax.

Traduit par Anne Haumont

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Une histoire biblique pour l’Australie : Jézabel, Achab et le vignoble ensanglanté

L’histoire biblique de la vigne de Naboth laisse voir aux chrétiens non autochtones comme moi le regard que Dieu pose sur l’injustice à l’origine de la ville de Melbourne.

Christianity Today August 15, 2023
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: WikiMedia Commons

Un nombre croissant d’Australiens se rend compte actuellement que notre nation est fondée sur un mensonge juridique : celui selon lequel, lors de sa découverte par les Européens, le continent était terra nullius, « terre de personne ». La vérité est qu’à cette époque-là, les Aborigènes vivaient depuis au moins 65 000 ans sur ces terres, aujourd’hui appelées Australie. Mais comme la loi britannique stipulait qu’il n’y avait personne, la plupart des colons n’ont pas pris la peine de conclure des traités avec eux.

John Batman, né en Australie d’un père bagnard et d’une mère libre qui avait payé la traversée pour préserver l’unité de la famille, fait exception à la règle. Après avoir rencontré des difficultés pour obtenir une concession dans d’autres régions, Batman trouva une terre près de Merri Creek, également connue comme berceau de la nation Wurundjeri. Il la balisa et signa un traité avec ces Aborigènes, échangeant des mouchoirs, de la farine et d’autres fournitures contre la plus grande partie de ce qui deviendrait un jour Melbourne.

Même si leurs signatures étaient authentiques, les Wurundjeri ne pouvaient envisager par là qu’une occupation temporaire de leur territoire. Ils appartenaient à cette terre. Pas le contraire. Pour eux, elle n’était pas une possession qui pouvait être vendue, comme le prévoyait le droit anglais.

En fin de compte, cela ne changea rien, car, en 1835, par une lettre au nom du roi, le gouverneur invalida le traité, arguant que les terres appartenaient déjà à la couronne. Et en l’espace de quelques années, la plupart des habitants autochtones de cette région furent tués ou déplacés de force loin de leur terre ancestrale.

Bien que ce thème soit récurrent dans toute l’histoire de l’Australie, il s’agit ici de l’histoire de la terre sur laquelle je vis et travaille. J’en ai entendu parler pour la première fois alors que je me préparais à prêcher sur 1 Rois 21 dans une Église près de Merri Creek, où le traité a été signé. Personne n’aime se comparer aux méchants de la Bible, surtout pas à Achab et Jézabel, deux des souverains les plus cruels des Écritures. Mais en lisant leur histoire et le jugement de Dieu à leur égard, on ne peut que faire le parallèle entre leur arrogance violente et leur cruauté désinvolte et celles des colons européens qui ont volé Melbourne.

Au 9e siècle avant J.-C., Achab règne sur les tribus dissidentes du nord d’Israël. La Bible le décrit comme l’un de leurs pires rois : « Achab, fils d’Omri, fit ce qui déplaisait au Seigneur, plus que tous ses prédécesseurs. » (1R 16.30) Ce n’est pas peu dire. Avec sa femme Jézabel, il rompt régulièrement l’alliance d’Israël avec Dieu et l’enfonce dans l’idolâtrie profonde, en construisant un temple de Baal et en persécutant violemment les prophètes de l’Éternel. Sur le mont Carmel, le prophète Élie lui lance, ainsi qu’aux 450 prophètes de Baal, un défi célèbre pour voir quel dieu répondrait par le feu au sacrifice ! (1 Rois 18)

L’alliance de Dieu a cependant une dimension aussi bien horizontale que verticale. Si sa colère se déploie contre les offenses envers le ciel, elle le fait tout autant envers l’injustice commise sur terre. Ainsi, dans 1 Rois 21, le jugement sévère de Dieu sur Achab est rapporté à un incident concernant un champ ayant appartenu à un certain Naboth.

Naboth possède une vigne qui appartient à sa famille depuis des générations. Malheureusement pour lui, cette vigne avoisine le palais du roi Achab qui trouve que ce serait l’endroit idéal pour un potager. Il demande à Naboth s’il peut acheter son champ.

Naboth refuse. « Que le Seigneur me garde de te donner le patrimoine de mes pères ! » (v 3) De même que les anciens de Wurundjeri n’auraient jamais accepté de vendre leur terre à John Batman, les Israélites pieux comme Naboth se considéraient comme les gardiens de la terre de leurs ancêtres, plutôt que comme ses propriétaires. Celle-ci ne pouvait donc jamais être vendue de manière permanente (Lv 25.23).

Furieux du refus de Naboth, Achab rentre chez lui pour bouder. Il refuse de dîner et se couche en s’apitoyant sur son sort, jusqu’à ce qu’un puissant et cruel chef politique s’approche de lui.

Jézabel reprend Achab pour ses gémissements. « Est-ce bien toi qui exerces la royauté sur Israël ? Lève-toi, mange, que ton cœur soit content ! Moi, je te donnerai la vigne de Naboth le Jizréélite ! » (1 R 21.7) Elle écrit des lettres au nom du roi pour accuser Naboth à tort et le faire exécuter pour blasphème, ce qui libère le champ pour Achab.

Froide, décidée et mortellement efficace, Jézabel n’a guère de pitié pour ceux qui se trouvent sur son chemin. Achab fait fi des scrupules que pourrait lui inspirer la manière d’agir de sa femme et s’empare du champ de l’homme assassiné.

Souvent, il semble que les noms et les histoires de personnes qui, comme Naboth, ont été la cible de ceux qui agissaient en toute impunité, ont été oubliés pour toujours. Pourtant, Dieu se souvient. Par l’intermédiaire du prophète Élie, Dieu délivre un message qui fait froid dans le dos : « Au lieu même où les chiens ont léché le sang de Naboth, les chiens lécheront aussi ton propre sang. » (v 19)

La prophétie se réalise trois ans plus tard, lorsque Achab se bat contre la nation voisine d’Aram à Ramoth de Galaad et meurt d’une flèche perdue au cours de la bataille (1 Rois 22). Alors que les serviteurs lavent le sang d’Achab sur son char, une meute de chiens arrive et lape la flaque sanglante, comme prophétisé, dans le champ de Naboth.

C’est le début de la fin pour la dynastie d’Achab. Deux fils lui succèdent. Le premier (Achazia) meurt, puis, lors d’une reprise de la bataille qui a tué son père, le second (Joram) est blessé et retourne à Jizréel pour se rétablir. L’ancien général d’Achab, Jéhu, est envoyé en mission par Dieu pour l’achever et s’emparer du trône. Il transperce le cœur de Joram d’une flèche et jette son corps dans le champ de Naboth, réalisant ainsi la prophétie d’Élie dans 1 Rois 21.

Jéhu était l’un des soldats qui, quelques années plus tôt, avaient entendu les paroles de jugement d’Élie : « N’as-tu pas assassiné et pris possession ? » (1 R 21.19) Alors qu’il met fin à la dynastie d’Achab, il déclare que la justice est enfin rendue pour ce qu’Achab et Jézabel ont fait subir à Naboth (2 R 9.25-26).

« Prends-le et jette-le dans la parcelle de terre qui appartient à Naboth le Jizréélite ; car, souviens-toi, lorsque moi et toi nous étions avec les équipages des chars d’Achab, son père, le Seigneur prononça contre lui cette sentence : “Aussi vrai que j’ai vu hier le sang de Naboth et le sang de ses fils — déclaration du Seigneur — je te paierai de retour dans cette parcelle même ! — déclaration du Seigneur.” », dit Jéhu à l’officier de son char. « Maintenant prends-le et jette-le dans la parcelle, selon la parole du Seigneur. »

N’avez-vous pas assassiné des hommes, des femmes et des enfants et saisi leurs biens ?

Ceux qui vivent, travaillent et pratiquent leur culte sur des terres volées seraient bien avisés d’agir avec prudence. Dieu n’a pas oublié ce qui s’est passé ici en Australie. Il a humilié des royaumes plus grands que le nôtre pour moins que cela.

Les Australiens autochtones n’ont pas non plus oublié comment ils ont perdu cette terre. Pour Stan Grant, éminent journaliste aborigène, cette injustice met sa foi à l’épreuve :

Où était Dieu lorsque notre pays a été envahi ? Où était Dieu lorsque nous avons été tués lors des guerres de la frontière ? […] J’ai été élevé par des gens qui mettaient leur espoir en Dieu. Un espoir difficile. L’espoir désespéré d’un peuple abandonné. Un peuple qui attend la justice de Dieu.

Ces injustices ont eu lieu bien avant ma naissance. Pourtant, nous, Australiens non autochtones, héritons ensemble de la culpabilité aussi sûrement que nous héritons de la terre elle-même. Comme Achab, nous avons profité du produit des crimes commis en notre nom. Achab lui-même n’a pas organisé le meurtre, mais l’ordre a été donné en son nom et il s’en est injustement enrichi. Dieu tient non seulement Jézabel, mais aussi les héritiers d’Achab responsables des péchés de son clan tout entier (1 Rois 21.21-24).

Alors que la culture occidentale individualiste peine à reconnaître les péchés collectifs, la théologie biblique du péché révèle que Dieu tient régulièrement des groupes de personnes responsables de leurs péchés communautaires, même des générations plus tard. Ces péchés n’appellent pas à nier la culpabilité individuelle, mais à se repentir au nom de la communauté (voir Josué 7 ; Esdras 9 ; Daniel 9 ; 1 Corinthiens 5).

Même Achab reconnaît la nécessité d’une repentance publique lorsqu’il est confronté à l’atrocité que Jézabel a commise en son nom. Après qu’Élie ait prononcé le jugement de Dieu, Achab réagit en reconnaissant ses péchés par des actions publiques : « Il déchira ses vêtements, mit un sac sur son corps et jeûna ; il couchait avec ce sac et marchait lentement. » (1 R 21.27) Grâce à cette repentance, Dieu retarde le jugement et permet à sa famille de subsister pour une génération supplémentaire.

Les Australiens non autochtones, comme moi, commencent à se repentir des péchés commis en notre nom en reconnaissant que les lieux où nous vivons et travaillons ont une histoire qui précède la colonisation européenne. Dans le courant de l’année, les Australiens voteront pour savoir s’il convient de reconnaître officiellement les Australiens autochtones dans notre constitution et de faciliter une voix autochtone consultative au Parlement.

Que cette proposition législative aboutisse ou non, de nombreux Australiens continueront à encourager localement la reconnaissance des habitants autochtones. Dans la classe de mon fils, par exemple, une réunion a récemment été introduite par ces paroles utilisées aussi au cours de nombreux autres événements officiels :

Nous reconnaissons le peuple Wurundjeri comme gardien traditionnel de la terre sur laquelle nous nous réunissons aujourd’hui et nous rendons hommage aux anciens d’hier et d’aujourd’hui.

Il y a vingt ans, peu de gens, en dehors des cercles d’activistes, pratiquaient ces « acknowledgements of country » (« reconnaissances du pays »). Mais grâce à l’encouragement croissant à la réconciliation entre les Australiens autochtones et non autochtones, il est courant d’entendre ce genre de déclaration en prélude à un match sportif ou à l’atterrissage d’un avion, par exemple. On entend aussi de plus en plus souvent des formules officielles de « bienvenue au pays » prononcées par un autochtone ayant des liens ancestraux avec le lieu concerné.

Pour les Australiens non autochtones, comme moi, reconnaître que la terre appartenait à un peuple spécifique, comme le peuple Wurundjeri, c’est faire preuve non seulement de considération pour leur humanité et leur culture, mais aussi de respect pour leur lutte permanente pour survivre en tant que culture unique et irremplaçable dans le sillage de la colonisation européenne.

De nombreux chrétiens évangéliques non autochtones ont adopté cette pratique avec enthousiasme, y voyant un moyen de montrer leur amour envers leurs voisins autochtones. Certains intègrent même ces notions dans les cultes dominicaux.

Une minorité de chrétiens craint cependant que certaines déclarations de reconnaissance ne soient une participation involontaire à la « spiritualité païenne » et que par-là, ils n’invoquent des esprits ancestraux. Ceux qui le pensent sincèrement doivent bien sûr agir selon leur conscience.

D’autres sceptiques considèrent ces remerciements comme de simples rites séculiers qui risquent de ne devenir que répétitions machinales. Cette attitude sous-estime le véritable « danger » de la récitation liturgique : avec le temps, elle a le potentiel profond de nous rendre meilleurs.

Cela dit, pour moi, en tant que spécialiste de l’Ancien Testament, ces reconnaissances reflètent bien le caractère de Dieu que nous découvrons dans l’histoire d’Achab et, en fait, dans toute l’Écriture. Dieu ne recherche pas seulement une adoration véritable, mais aussi une justice véritable. Dieu tient les groupes responsables de leurs péchés collectifs. Dieu s’oppose aux oppresseurs orgueilleux, mais fait grâce à ceux qui se repentent humblement.

Les Australiens non autochtones ne peuvent pas réparer ce qui a été fait en leur nom. Nous ne pouvons pas faire revivre les générations brisées par la maladie ou la violence ni retrouver les langues et les cultures perdues. Nous pourrions proposer de partir, mais la plupart d’entre nous n’ont nulle part où aller.

Il est humiliant de reconnaître des choses que nous n’avons pas le pouvoir de corriger. Mais la Bible nous apprend sans cesse que la repentance est la première étape de l’obéissance. Pour moi et mes compatriotes australiens non autochtones, suivre Dieu commence par demander pardon pour un mensonge : celui d’avoir revendiqué ce continent comme « terre de personne ».

Andrew Judd enseigne l’Ancien Testament et l’herméneutique au Ridley College, sur la terre de Wurundjeri, aujourd’hui Melbourne, en Australie.

Traduit par Anne Haumont

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« Nous ne sommes pas au paradis » : un analyste nigérien évoque la situation des chrétiens après le coup d’État.

Entre conflits incessants, djihadistes et sanctions occidentales, la minorité chrétienne de la région du Sahel prie pour la paix.

Mohamed Toumba (deuxième depuis la gauche), l’une des figures de proue du « Conseil national pour la protection de la patrie », salue les partisans du coup d’État dans un stade de Niamey, la capitale du Niger.

Mohamed Toumba (deuxième depuis la gauche), l’une des figures de proue du « Conseil national pour la protection de la patrie », salue les partisans du coup d’État dans un stade de Niamey, la capitale du Niger.

Christianity Today August 15, 2023
Anadolu Agency / Contributor / Getty

Le coup d’État militaire au Niger a bientôt trois semaines. Quatre jours après le putsch du 26 juillet, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), composée de 15 membres, menaçait d’intervenir militairement si la démocratie n’était pas rétablie dans les sept jours.

Cette échéance est passée et diverses autorités de la région réfléchissent encore à leurs options tout en imposant des sanctions contre la junte militaire qui a pris le pouvoir. Inquiétées par ce septième coup d’État dans la région du Sahel depuis 2020, les dernières nations démocratiques d’Afrique de l’Ouest estiment qu’elles doivent tracer une ligne dans le sable.

Le Mali et le Burkina Faso voisins, dirigés eux par des militaires après de récents coups d’État, ont averti que toute intervention étrangère au Niger serait considérée comme un acte de guerre à leur encontre.

Le Niger avait subi sa dernière tentative de coup d’État en 2021, juste avant que le président élu — aujourd’hui déchu — ne prête serment. L’ancienne colonie française était le dernier bastion de la coopération militaire occidentale contre les militants djihadistes au Sahel, dans un contexte d’expansion de l’influence de la Russie dans la région par l’intermédiaire des mercenaires de Wagner.

Le Niger est également le septième producteur mondial d’uranium.

Nous avons interviewé Illia Djadi, analyste principal de Portes Ouvertes pour la liberté de religion et de croyance en Afrique subsaharienne. Bien que résidant à Londres, il est citoyen du Niger, pays classé en 28e position parmi les cinquante nations de l’Index mondial de persécution des chrétiens de Portes Ouvertes.

Il nous parle du contexte régional, décrit les difficultés et améliorations de la situation des chrétiens, et se prononce vigoureusement contre une intervention militaire :

Quelle est la gravité de la situation actuelle au Niger ?

Je suis très triste. En tant que Nigérien, je trouve la situation difficile à observer.

Mais en tant qu’analyste, je peux dire avec certitude que ce qui s’est passé il y a deux semaines a plongé le Niger dans une nouvelle ère d’incertitude. Le pays est confronté à une insurrection terroriste islamiste en provenance du Nigeria, du Mali et du Burkina Faso. Le Niger est également l’une des nations les plus pauvres du monde, où le chômage facilite la radicalisation des jeunes.

Nous ne sommes pas au paradis.

Mais par rapport à nos voisins, notre situation était bien meilleure. Pour la première fois dans notre histoire, un président avait accompli deux mandats avant de céder le pouvoir lors d’élections démocratiques. Le président Mohamed Bazoum a fait beaucoup pour stabiliser le pays et améliorer la sécurité. Je ne me souviens pas de la dernière fois que nous avons subi un attentat terroriste.

Malgré sa pauvreté, le Niger accueille 300 000 réfugiés d’autres pays, parce qu’il est sûr. Tout cela montre que le coup d’État n’était pas justifié, et cela constitue un revers politique majeur. Des militants profiteront de l’instabilité qui en résultera.

Pourquoi le coup d’État a-t-il eu lieu ?

Par ambition personnelle. La junte prétend que le coup d’État était motivé par des raisons de sécurité et de détérioration de l’économie. Mais certains affirment que le président était sur le point de nommer un nouveau chef de la sécurité. Le chef de la sécurité, qui occupait son poste depuis 12 ans, devait partir, mais il a refusé et a déposé le président afin de conserver son pouvoir.

Faites-vous le lien entre ce coup d’État et d’autres dans la région du Sahel ?

Seulement sur deux points : une fragilité politique générale dans la région et une mentalité de copier-coller. Comme des coups d’État ont eu lieu au Mali et au Burkina Faso, des gens ont pensé que cela pourrait également se produire ici. La jeunesse ouest-africaine nourrit un sentiment anti-français en raison du passé colonial, et certains ont brandi des drapeaux russes lors de manifestations.

Je ne sais pas si la Russie est derrière le coup d’État.

Mais la région est confrontée à l’influence extérieure exercée par la France, les États-Unis, les pays du Moyen-Orient et, plus récemment, la Russie. Le Niger est un allié clé de l’Occident dans la région. Et en tant que pays francophone, nous avons de nombreux liens. Une nouvelle ruée vers l’Afrique est en cours, avec ses ressources naturelles en vue.

Dans cette compétition, la France est souvent pointée du doigt. Il y a parfois de bonnes raisons pour cela, mais la France n’est pas responsable de tout. Et il n’est certainement pas judicieux de dire : « Remplaçons la France par la Russie. » C’est ce qui s’est passé au Mali et au Burkina Faso, et ces nations vont dans la mauvaise direction.

De quelle manière ?

À cause de l’instabilité politique. Depuis le coup d’État de 2012, le Mali ne s’est jamais relevé, les coups d’État se succèdent. Chaque nouveau dirigeant promet des solutions, mais le pays perd la bataille contre le terrorisme.

Le soulèvement de 2014 au Burkina Faso a également conduit à un coup d’État militaire qui a tenté de régler les problèmes qui en découlaient, mais sans succès. De nouveau, les coups d’État se sont succédé et, aujourd’hui, la nation a perdu le contrôle de plus de la moitié de son territoire au profit de groupes armés.

Pensez-vous qu’une intervention militaire de la CEDEAO soit nécessaire pour endiguer la progression des régimes militaires et l’instabilité qui en résulte ?

Non, cela aggraverait la situation.

Une intervention militaire créerait un chaos qui servirait de refuge aux terroristes. Nous ne voulons pas d’une autre Libye, frontalière du Niger, qui a fini par exporter l’instabilité dans toute la région du Sahel.

Qu’elle soit amenée par l’Occident ou l’Afrique, la guerre serait une erreur.

Les chrétiens ont-ils exprimé une opinion sur le coup d’État ?

Non, en tant que communauté religieuse, ils n’ont pas à le faire. Mais ils ont été inclus par la junte lors de la convocation des acteurs nationaux. Il s’agissait simplement de transmettre des explications, et les militaires ont demandé à l’Église de prier pour la nation.

Les Églises évangéliques et catholiques ont lancé un appel à la prière pour une issue pacifique à la crise.

Les chrétiens nigériens n’ont pas d’opinion politique, mais ils s’opposent à l’imposition de sanctions économiques contre leur pays. Celles-ci affecteront tout le monde, tout comme la guerre. Mais pour la plupart, les chrétiens sont inquiets, craignant que si le chaos progresse, ils soient parmi les premiers à en payer le prix.

Pourquoi ?

En 2015, au moment des manifestations contre Charlie Hebdo en France, lorsque le magazine a publié des caricatures de Mahomet, des manifestations ont également eu lieu au Niger. Les musulmans ont brûlé des drapeaux français et un centre culturel français, mais ils ont ensuite attaqué des Églises, des maisons et des écoles chrétiennes.

De nombreuses personnes associent les chrétiens aux Occidentaux et, une fois de plus, nous voyons des drapeaux français en flammes. Il s’agit donc d’un signal d’alarme.

Comment les chrétiens s’intègrent-ils dans le tissu social du Niger ?

Il s’agit d’une infime minorité : 1 % de la population, face aux 99 autres. Bien que le Niger soit un pays laïc où la liberté de religion est protégée par la constitution, les chrétiens sont souvent confrontés à des difficultés. Nous avons des dossiers de Nigériens qui se sont vu refuser des bourses d’études universitaires en raison de leur nom de baptême, par exemple.

Le catholicisme est apparu au 19e siècle avec la colonisation française, mais le protestantisme a été implanté en grande partie par des missionnaires américains. La plus grande dénomination — l’actuelle Église évangélique du Niger — est issue du travail de la SIM, venue du Nigeria.

Les baptistes sont également présents, principalement dans l’Ouest. Dans les années 1980, des groupes pentecôtistes de différentes parties du monde — France, États-Unis, Nigeria, Burkina et Côte d’Ivoire — sont venus au Niger et ont installé, entre autres, la dénomination des Assemblées de Dieu.

Mais dans l’ensemble, les chrétiens partagent la même pauvreté que les autres.

Quel est votre parcours de foi ?

J’ai été élevé dans une Église évangélique. Mes parents ont fréquenté une école chrétienne et se sont finalement convertis. Ma famille élargie comprend des musulmans et des membres de religions traditionnelles, et nous vivons en paix ensemble.

Au collège, cependant, j’ai pris conscience que j’étais différente. Des camarades de classe m’ont interrogé : « Tu es Nigérien, Haoussa, comment peux-tu être chrétien ? » J’ai commencé à me demander si ma foi n’était pas un problème.

Mais au lycée, j’ai développé des convictions fortes, non seulement pour défendre ma foi, mais aussi pour interpeller les autres. Mes amis m’appelaient « le pape », en référence à Jean-Paul II, parce que je n’avais pas peur d’affronter la foule. Il faut être fort pour être chrétien au Niger, et lorsque je réfléchis à ma position actuelle en tant que porte-parole, c’est probablement ainsi que tout a commencé.

Quelle est la prochaine étape pour les chrétiens nigériens ?

Nous ne savons pas — le contexte est très précaire. Mais tout comme j’ai dit que notre nation se porte mieux que nos voisins, la situation des chrétiens s’est également améliorée. Après 2015, le gouvernement a réagi aux émeutes en renforçant les relations interreligieuses, et l’Église s’est jointe à une campagne nationale réussie visant à promouvoir la cohésion sociale. Aujourd’hui, les chrétiens sont présents dans la société, employés dans la fonction publique. Nous avons la liberté de prêcher, et même d’organiser de grandes réunions publiques.

La dernière fois que j’ai vécu au Niger, j’étais responsable national de notre association de jeunes et nous organisions des camps d’été dans des Églises et nos écoles protestantes. Mais aujourd’hui, les camps se déroulent dans un contexte public, en présence de hauts fonctionnaires, et sont retransmis par les services publics de télévision et de radio.

Le coup d’État militaire est un revers. Mais jusqu’à présent, rien n’indique une rhétorique dirigée contre les chrétiens. Nous craignons l’instabilité et prions pour la paix. Si Dieu le veut, cette période d’incertitude prendra fin.

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Certaines baptistes du Sud s’inquiètent d’un « resserrement » du complémentarisme

De récents débats dans la dénomination américaine ont été source de découragement et d’incertitude pour les femmes exerçant des responsabilités.

Christianity Today July 24, 2023
Sonya Singh / Baptist Press

Pendant les dix heures du trajet de retour après la réunion annuelle de la Convention baptiste du Sud (SBC) qui a eu lieu à La Nouvelle-Orléans, Leah Finn était habitée par bien des questions.

Elle pensait en savoir assez pour comprendre les changements que 12 000 baptistes du Sud ont approuvés lors de leur dernier rassemblement à la mi-juin. Elle suivait les propositions depuis des mois, elle connaissait les règles de la procédure représentative et son mari, Nathan Finn, siège au comité exécutif de la SBC en tant qu’administrateur.

Avec le rejet de l’appel de l’Église Saddleback [face à son expulsion], il était clair que la convention s’opposait fermement à ce que des femmes soient pasteures principales ou en charge de prédication et qu’elle était prête à rompre la communion fraternelle sur cette question. Mais qu’en est-il des femmes exerçant d’autres responsabilités ?

La SBC a modifié ses documents fondateurs pour réaffirmer sa position : elle a amendé sa constitution pour indiquer explicitement que les Églises membres doivent limiter « tout type » d’emploi du terme « pasteur » à des hommes qualifiés et a reformulé sa confession de foi pour indiquer que les « pasteurs/évêques/anciens » sont de sexe masculin.

De nombreux responsables baptistes du Sud qui ont défendu la nouvelle formulation y ont vu un moyen de clarifier leurs convictions complémentaristes communes. Mais certaines femmes se sont aussi discrètement inquiétées du fait que ces changements, et le débat qui les entoure, pourraient remettre en question ou limiter encore leur place dans la dénomination.

Leah Finn pense à ses amies engagées dans des Églises de la SBC, qui enseignent dans des séminaires ou suivent des études dans des écoles de la dénomination, et se demande comment ces décisions les affecteront dans les années à venir.

Elle et son mari ont fini par écrire un article pour Baptist Press, l’organe officiel de la SBC, déplorant que la réunion annuelle ait laissé les femmes en position de responsabilité « incertaines de leur avenir dans la vie baptiste du Sud ». Certains s’interrogent sur ce que pourrait être la prochaine étape, tandis que d’autres sont déçus que le débat actuel se focalise tant sur ce que les femmes ne peuvent pas faire.

« La chose la plus importante pour moi, à la suite de ce débat, est que j’ai l’impression que nous n’avons pas eu de conversation sur la façon dont les femmes peuvent être utiles dans l’Église », déplore Courtney Reissig, une représentante de l’Immanuel Baptist Church à Little Rock, en Arkansas, où elle est directrice du contenu de la formation des disciples. « [Le débat] a été principalement axé sur les restrictions, que je crois bibliques, mais la question se pose alors de savoir où les femmes peuvent servir. »

« Les pasteurs qui imposent des limites devraient également permettre aux femmes de servir dans leurs Églises dans les limites du Baptist Faith and Message » [la confession de foi de la SBC].

Les femmes baptistes du Sud elles-mêmes hésitent parfois à faire part de leurs préoccupations, craignant que le fait de remettre publiquement en question les récentes mesures ne les fasse taxer de libérales ou d’égalitariennes. Une douzaine de femmes avec lesquelles nous avons pu nous entretenir lors de l’assemblée annuelle ont exprimé des réserves quant aux changements apportés à la constitution et à la confession de foi, mais n’ont pas souhaité s’exprimer publiquement.

Après la publication de l’article de Baptist Press, « plusieurs femmes m’ont contactée et m’ont dit : “Merci d’avoir dit cela. Vous avez exprimé ce que nous ressentions” », rapporte Leah Finn. « Beaucoup ont peur de dire : “Nous sommes complémentaristes, mais cet amendement nous met mal à l’aise.” Il resserre les choses. D’une certaine manière nous avions l’impression que le Baptist Faith and Message était [déjà] étroit, et que notre constitution était étroite, et cela se resserre encore. »

C’est la première année que la SBC exclut une poignée de ses 47 000 Églises coopérantes pour avoir placé des femmes à des postes de pasteure principale et de prédicatrice.

Nombreux sont ceux qui considèrent les Églises exclues comme une petite minorité au sein d’une dénomination solidement conservatrice et complémentariste, tandis que d’autres estiment que les femmes pasteures sont plus nombreuses. Le pasteur de Virginie Mike Law, à l’origine de la proposition d’amendement, en a cité une poignée dans sa région, tandis que Kevin McClure, à Louisville, a recensé un échantillon d’Églises de la SBC dont les sites web donnent le titre de « pasteure » à des femmes, notamment dans les ministères de l’enfance, de la jeunesse et de la louange.

En vertu de la nouvelle formulation constitutionnelle selon laquelle « seuls des hommes » peuvent recevoir un quelconque titre de « pasteur » dans les Églises de la SBC, les femmes complémentaristes faisant partie du personnel ont de quoi se demander si leur titre ou le rôle qui leur est attribué pourrait amener leur Église à être signalée au comité de vérification des pouvoirs, l’organe de la SBC qui examine si les Églises remplissent les conditions pour la coopération. (Ce n’est que depuis 2019, lorsque la SBC a décidé de faire de la mauvaise gestion des abus un motif d’expulsion, que le comité a été chargé d’évaluer les Églises en infraction avec ses règles.)

Mark Dever, pasteur de l’Église baptiste de Capitol Hill, s’est exprimé en faveur de l’amendement lors d’un événement organisé par le ministère 9 Marks pendant la réunion à La Nouvelle-Orléans. Il ne pense pas que les femmes membres du personnel des Églises doivent craindre d’être « ciblées » pour leur rôle, mais il estime que ce sont aux Églises de prendre la responsabilité de veiller à ce que la formulation de leurs titres soit claire et conforme aux Écritures.

« Une Église peut avoir une femme qui sert d’une manière qui ne pose aucun problème biblique, mais créer un problème parce qu’elle lui attribue un titre comme ancien, pasteur ou évêque, même si la fonction qu’elle remplit ne pose pas de difficulté », estime Dever.

Les détracteurs de l’amendement visant à limiter tous les rôles « pastoraux » aux hommes — qui doit être adopté lors d’un second vote en 2024 pour être promulgué — soutiennent que les Églises indépendantes et autonomes qui composent la convention ont la liberté de nommer leurs propres responsables. Et de décider des titres à leur donner.

Amy Hébert, épouse d’un pasteur baptiste du Sud au Texas et diplômée du Criswell College, affilié à la SBC, estime que l’amendement « va trop loin ».

« Cela obligera les Églises à choisir de rester ou non au sein de la SBC », considère-t-elle. « Chaque Église pourra choisir si elle veut que les femmes soient appelées “pasteure” ou “ministre”, etc., de sorte que les femmes ne perdront peut-être pas leur poste, mais cela pourrait entraîner des pertes au sein de la SBC. »

Elle rapporte que ses amies dans la SBC craignent que des mesures plus restrictives ne suivent. Les baptistes du Sud s’interrogent encore sur la manière dont la dénomination traitera les Églises qui utilisent des titres pastoraux pour les femmes, et sur la question de savoir si les femmes exerçant un ministère seront surveillées au-delà des titres qu’elles utilisent.

« J’ai entendu des gens dire dans cette discussion : “Il ne suffit pas que la pasteure des enfants ne soit pas appelée pasteure s’il s’agit d’un membre du personnel qui fait des choses semblables à ce que fait un pasteur.” Cela peut paraître très bien jusqu’à ce que l’on doive nommer le groupe qui va déterminer ce que sont ces choses », a déclaré l’ancien président de la SBC et pasteur de l’Église Summit, J. D. Greear, lors d’un repas organisé par l’association Baptist21 au cours de la réunion annuelle.

« Dans notre Église, il n’y a pas de femmes pasteures. Nous avons une directrice pour les enfants qui est une femme et qui supervise des bénévoles masculins. Je connais des frères fidèles qui diraient que c’est en fait une violation de 1 Timothée 2. »

Quelques Églises de la SBC où des femmes occupent des postes de copasteure et de pasteure associée se sont volontairement retirées de la convention dans les semaines qui ont suivi la réunion annuelle, notamment Elevation Church, la mégaéglise dirigée par Steven Furtick en Caroline du Nord, et la First Baptist Church de Gainesville en Géorgie. Les deux communautés avaient été critiquées en ligne pour avoir inclus des femmes pasteures dans leur personnel.

Certains défenseurs de l’amendement ont réagi à leur départ en estimant que les « clarifications » de la SBC avaient l’effet escompté.

Ses partisans estiment que les récents développements concernant les femmes dans les fonctions pastorales constituent une protection nécessaire contre les dérives théologiques au sein de la SBC. La seule femme à avoir pris le micro à La Nouvelle-Orléans sur la question des femmes pasteures, Sarah Clatworthy, s’est exprimée en faveur de l’amendement.

« Nous ne devons laisser aucune chance que nos filles et petites-filles dans les générations à venir soient dans la confusion quant à la position de la SBC », a déclaré la représentante de l’Église baptiste Lifepoint à San Angelo, au Texas. « Elles doivent savoir que c’est l’Écriture qui fait autorité et non la culture. »

Mais un autre point de vue prédominant parmi les femmes de la SBC n’a pas été exprimé : celui des directrices de ministères auprès de l’enfance, des conductrices de louange, des responsables d’études bibliques, des enseignantes de l’école du dimanche, des accompagnantes et des missionnaires qui souhaiteraient pouvoir se concentrer sur leur travail dans le ministère sans avoir à défendre leur place.

« Je veux juste servir. Je veux juste pouvoir parler de Jésus. Et je veux que cela soit soutenu », nous a déclaré Kristen Phelps, administratrice du New Orleans Baptist Theological Seminary et représentante de la New City Church à New York. « Au fond, ce n’est pas le mot [pasteur] qui compte. Il s’agit des femmes et de leur rôle dans le mandat missionnaire […] et l’inclusion des femmes dans le ministère nous donne une image plus complète de Dieu. »

Grâce à l’autonomie des Églises locales, plusieurs femmes qui ont déclaré avoir le soutien de leurs propres pasteurs nous ont dit qu’elles pensaient pouvoir continuer à faire leur travail sans être mêlées aux tensions au niveau de la dénomination.

« Alors que les baptistes du Sud continuent de réaffirmer leur engagement envers le complémentarisme biblique, nous devons également être clairs sur le fait que Dieu appelle et équipe des femmes pour le ministère vocationnel », écrivent les Finns dans Baptist Press. « Nous devons soutenir leur vocation divine avec joie et sans équivoque, sans pour autant montrer de malaise ou nous excuser pour le principe tout aussi biblique du sacerdoce de tous les croyants. Les ministères de nos sœurs font avancer le royaume. »

Le nombre de femmes inscrites dans les séminaires de la SBC est en hausse et les programmes destinés aux femmes exerçant un ministère se développent. Les femmes sont mieux représentées que jamais dans les comités de la SBC. Les jeunes femmes missionnaires continuent à être plus nombreuses que les hommes sur le champ de mission.

Mais la plupart des Églises baptistes du Sud pourraient faire davantage pour impliquer et former les femmes responsables. Une résolution adoptée cette année invite les pasteurs à équiper les femmes dans leurs Églises, reconnaissant les « innombrables femmes qui servent parmi nous en tant que missionnaires, écrivaines, apologètes, enseignantes, mentors et dirigeantes » et que leurs contributions sont « absolument vitales et trop souvent méconnues ».

Selon Becky Loyd, directrice de Lifeway Women, une division de la maison d’édition de la SBC, moins de 10 % des Églises évangéliques disposent d’un membre du personnel à temps plein chargé de diriger le ministère parmi les femmes.

« J’espère que nous commencerons à parler de choses telles que l’égalité des salaires et des titres pour les femmes qui exercent les mêmes types de fonctions que les hommes au sein des Églises. Je crois également que les Églises auraient des possibilités de financer davantage de postes à temps plein pour se concentrer sur le ministère auprès des femmes », nous a-t-elle écrit.

« Lorsque 90 % des femmes qui dirigent un ministère dans une Église ne font pas partie du personnel à plein temps, comment progressent-elles et développent-elles leur travail ? Comment intègrent-elles leur action et leur enseignement en faveur des femmes dans la mission et la vision de l’Église ? C’est le plus grand problème que je vois en ce qui concerne les femmes dans l’Église. »

Jacki King est l’une de ces femmes engagées dans le service, membre du personnel de la Second Baptist Church à Conway, en Arkansas, où son mari est pasteur principal. Elle soulève également des questions concernant la parité salariale et l’implication des femmes.

https://www.instagram.com/p/CtpbMDVv3YL/

« Une suggestion pour les pasteurs à l’aube d’une nouvelle semaine après #sbc23 : trouvez des sœurs dans votre équipe, dans votre Église, au sein de la SBC et entrez en conversation en apportant plus de questions que de réponses », a-t-elle tweeté. « Il ne suffit pas de les réunir autour d’une table, il faut les impliquer. »

Courtney Reissig, de l’Église Immanuel Baptist, déclare qu’elle ne craint pas pour l’avenir de son poste dans l’Église où son pasteur fait de la place aux femmes pour qu’elles puissent servir. Mais elle estime que l’accent actuel sur la place des femmes — dans une dénomination encore aux prises avec sa réponse aux abus sexuels commis par des pasteurs — n’est pas judicieux.

« Nous laissons de côté une partie importante des passages bibliques qui indiquent qui peut et devrait exercer la fonction de pasteur. La Bible limite la fonction de pasteur à des hommes qualifiés, et je pense donc que l’on ne rend pas service aux femmes engagées lorsque des hommes non qualifiés sont nommés à cette fonction. » « Si nous voulons être cohérents avec la Bible, nous devrions être aussi attachés aux qualifications bibliques pour la fonction que nous le sommes à limiter l’accès des femmes à cette fonction. »

Les femmes représentaient 30 % des 19 000 personnes présentes à l’assemblée annuelle. Les épouses des pasteurs, les femmes membres du personnel des Églises et membres des Églises sont toutes les bienvenues en tant que représentantes si elles sont envoyées par leur communauté. La majorité des participants à La Nouvelle-Orléans ont déclaré qu’ils prévoyaient de revenir pour le rassemblement de 2024 à Indianapolis, selon une enquête menée auprès des personnes inscrites.

Et ils continuent de poser des questions — en coulisses et publiquement — sur les nouvelles mesures ou les motions qui pourraient être diffusées.

« Ma prière est que la conversation sur les femmes dans le ministère passe de l’établissement de restrictions à l’équipement et à la responsabilisation. Pasteurs et hommes responsables de ministères, nous avons besoin de vous pour transformer la conversation », dit Becky Loyd de Lifeway.

« Pour les femmes qui craignent des effets d’entraînement, je pense qu’elles doivent évaluer leur situation actuelle et discerner si elles sont à un endroit où elles ont la possibilité de développer leurs dons et leur vocation. Si ce n’est pas le cas, elles devraient trouver un autre endroit. »

« Je comprends les craintes et j’y ai moi-même été confrontée, mais notre Dieu est un Dieu d’abondance et non de dénuement. S’il a confié des dons à une femme, il lui fournira un endroit où elle pourra les exercer. »

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Le pouvoir formateur de la honte

La honte selon Dieu ouvre nos cœurs à l’œuvre transformatrice de l’Esprit.

Christianity Today July 24, 2023
Illustration by Rick Szuecs / Source images: Kushal Medhi / Unsplash

La version française de cet article a fait l’objet d’une mise à jour.

Brené Brown, lors de la populaire émission Super Soul Sunday d’Oprah Winfrey, déclarait il y a quelques années : « Je pense que la honte est mortelle, je pense que la honte est destructrice. Et je pense que nous nageons en plein dedans. » Son TED talk « Listening to Shame » a été visionné plus de 18 millions de fois. Elle y explique que la honte est comme une sorte de petit monstre qui se moque de nous et nous fait passer en boucle ces deux refrains dans la tête : « Jamais assez bien » ou « Pour qui te prends-tu ? »

Cette métaphore présente la honte comme un piège à répétition : les expériences récurrentes de honte détruisent notre estime de soi, et une faible estime de soi nous prédispose à éprouver de la honte. Ce cercle vicieux finit par échapper à tout contrôle, entraînant des comportements addictifs et destructeurs. Pour Brown, la honte est une émotion pernicieuse qui ne sert à rien de constructif ; nous devons donc renoncer à l’utiliser et développer une résistance à toutes les formes de honte.

Le désir d’éliminer la honte de notre expérience quotidienne peut paraître sensé, mais cela paralyse notre capacité à agir en personnes douées de moralité. Les émotions morales sont étroitement liées les unes aux autres ; elles n’existent pas de manière fragmentaire. C’est pourquoi, comme l’écrit Krista Thomason, « nous ne pouvons pas nous débarrasser d’une émotion [telle que la honte] sans “défigurer” le reste. »

En outre, l’élimination de la honte favorise surtout une forme de sans-gêne. Comme l’écrivait Daniel Henninger en 2017 dans le Wall Street Journal peu après les accusations contre Harvey Weinstein, Charlie Rose et Al Franken, « leurs actes révèlent un effondrement de la retenue. Cet effondrement à son tour suggère une évaporation plus large de la conscience, du sentiment que faire quelque chose est mal…. Aussi, lorsqu’on se demande comment ces hommes peuvent se comporter de manière aussi grossière et monstrueuse, une réponse est qu’ils… n’ont… aucune… honte. »

Henninger met en garde contre l’illusion de penser que ces hommes seraient des exceptions ou des anomalies. Ils sont plutôt le produit d’une « culture qui a éliminé la honte et les barrières comportementales ». L’Écriture affirme également la nécessité de la honte et s’élève contre l’absence de toute gêne. Les prophètes fustigent Israël pour son engourdissement spirituel et son incapacité à rougir de sa conduite détestable (Jr 3.3 ; 6.15 ; So 3.5). De même, Paul reproche aux Corinthiens leur apathie morale et leur incapacité à s’affliger de leur péché (1 Co 5.2 ; 15.34).

Certes, la honte peut être toxique, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Nous devons faire la distinction entre une honte mondaine et une honte selon Dieu. La honte selon Dieu marque nos consciences de valeurs calibrées sur ce qui plaît à Dieu plutôt que ce qui plaît au monde. La honte selon Dieu se rapporte fondamentalement au bien et au mal du point de vue de Dieu ; elle est liée à la beauté et à la sainteté de Dieu. La honte ainsi conçue guide nos choix futurs, nous empêchant de faire quoi que ce soit qui puisse déshonorer Dieu, l’Église, les autres et nous-mêmes.

Elle nous rappelle notre responsabilité d’accueillir les croyants comme des frères et des sœurs, indépendamment de leur situation socio-économique, de leur origine ou de leur ethnie, car les murs qui nous séparent ont été détruits par le sang de Jésus-Christ (Ep 2.14 ; Ph 16). Elle nous incite à respecter la dignité de toutes les personnes, car nous sommes tous créés à l’image de Dieu (Ge 1.26-27).

La honte selon Dieu jauge également nos pensées, nos actions et inactions passées selon un esprit qui ne se conforme pas au monde, mais se laisse transformer par l’Évangile (Rm 12.1-2). Elle réprime notre égocentrisme et notre indifférence à l’égard des persécutions et des souffrances endurées par d’autres, car lorsque l’une d’entre elles souffre, toutes les parties du corps du Christ souffrent (1 Co 12.26). La honte selon Dieu réprouve notre hésitation à nous joindre aux lamentations de ceux qui souffrent de l’injustice raciale, nous appelant à « pleurer avec ceux qui pleurent » (Rm 12.15). Elle repousse notre facilité à humilier les autres en ligne lorsque nos tweets cinglants sont mis au service de l’étalage de notre « vertu » au lieu de viser le bien véritable des autres.

Les réprimandes de la honte selon Dieu sont troublantes et douloureuses ; néanmoins, cette honte produit le fruit de la justice pour ceux qui se soumettent à sa discipline (He 12.11). Les réprimandes de la honte selon Dieu sapent l’estime de soi mal placée au profit de la maturité chrétienne.

La honte selon le monde détruit, mais la honte selon Dieu restaure. La honte selon Dieu montre que nous avons attristé le Saint-Esprit, mais elle nous assure aussi de sa grâce.

La honte selon le monde détruit, mais la honte selon Dieu restaure. La honte selon Dieu montre que nous avons attristé le Saint-Esprit, mais elle nous assure aussi de sa grâce (He 4.16). La honte selon Dieu découle d’une véritable connaissance de l’exigence et de la miséricorde du Seigneur. En réponse aux « Jamais assez bien » de ce monde, la honte selon Dieu reconnaît que nous ne sommes jamais assez bons en nous-mêmes, mais plus que suffisants à cause du Christ (2 Co 5.21).

En réponse aux « Pour qui te prends-tu ? », la honte selon Dieu nous condamne en tant que pécheurs, mais est suivie du rappel que nous sommes enfants et héritiers de Dieu en raison de notre union avec le Christ (Rm 8.17). La honte selon Dieu n’est pas en contradiction avec l’honneur que Dieu désire pour ses enfants. Comme le vit le fils prodigue lorsqu’il reprend ses esprits (Lc 15.17), la honte selon Dieu réprimande, pousse à la contrition, au repentir et à l’humilité, puis oblige à revenir dans l’étreinte bienveillante de notre Père. Notre pardon y est certain, nous y sommes transformés, nos relations y sont rétablies, notre honneur y est retrouvé. La honte selon Dieu est une chose dont nous avons besoin pour marcher à la hauteur de notre vocation d’enfants de Dieu.

Te-Li Lau est professeur associé à la Trinity Evangelical Divinity School et auteur de Defending Shame: Its Formative Power in Paul’s Letters.

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Culture

Que sert-il à un chrétien de protéger une institution s’il y perd son âme ?

Notre ambition devrait s’effacer devant notre conscience.

Christianity Today July 21, 2023
Illustration by Ūla Šveikauskaitė

Le pasteur Eugene Peterson, aujourd’hui décédé, écrivait dans une lettre à son fils, lui aussi pasteur, que le principal problème pour le responsable chrétien est d’assumer la responsabilité non seulement des objectifs, mais aussi des « voies et moyens » par lesquels nous guidons les gens dans la poursuite de ces objectifs. « Les trois tentations du Diable à l’encontre de Jésus avaient toutes trait aux moyens et aux méthodes », écrit-il. « Tous les buts proposés par le Diable étaient excellents. La “vision” promue par le Diable était insurpassable. Mais les moyens étaient incompatibles avec les objectifs. »

Losing Our Religion: An Altar Call for Evangelical America

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Comme le dit Peterson, le discipulat auquel Jésus nous appelle est un discipulat « à la fois personnel et collectif, dans lequel l’intérieur et l’extérieur sont vécus en continuité. Une vie dans laquelle nous sommes aussi attentifs au comment qu’au quoi. »

En effet, selon Peterson, « si nous voulons vivre la vie de Jésus, nous devons simplement le faire à la manière de Jésus — qui est, après tout, le Chemin, la Vérité et la Vie. » Il n’y a pas d’échappatoire au chemin de la Croix.

Ce qui semble populaire à l’heure actuelle n’est pas tant un Évangile de la prospérité qu’un Évangile de la dépravation. Dans cet Évangile de la dépravation, les appels à la vertu ou aux normes morales ne sont pas rejetés par une prétention à l’innocence, mais par un souci de « réalisme ».

Cet Évangile de la dépravation tente de nous égarer. Peu importe que vous y entriez de plain-pied en jouissant de sa cruauté et de sa vulgarité, ou qu’il vous conduise simplement à un cynisme qui désespère de rien trouver de mieux.

C’est sur ce chemin qu’est tapi le nihilisme. Nous nous retrouvons tous dans des situations, et peut-être y êtes-vous actuellement, où nous avons la responsabilité de demander des comptes à une institution. Peut-être est-ce simplement en tant qu’électeur. Nous pourrions nous contenter de hausser les épaules et donner notre assentiment à toute personne que notre parti nous demande de soutenir. Cela nous changera au fil du temps. Peut-être est-ce aussi en tant que membre d’une Église, d’une dénomination ou d’un ministère chrétien.

Ne confondons pas la présence d’un don avec celle d’un juste caractère, que ce soit chez nous ou chez un autre. Il ne faut pas s’attendre à ce que nos responsables soient sans péché. Ils pécheront, mais il y a une différence entre un être humain pécheur et repentant et un archétype de corruption. Face au second cas, comment sommes-nous appelés à agir ? Faut-il rester et chercher à changer les choses ? Ou faut-il partir et trouver un nouvel endroit où vivre et servir ? Je ne sais pas. Cela dépend en grande partie de facteurs qui nous échappent souvent. Il me semble alors intéressant de s’interroger sur ses propres vulnérabilités.

Êtes-vous le genre de personne qui, par défaut, a tendance à s’en aller ? Si c’est le cas, examinez bien toutes les raisons de rester et de travailler au changement avant de partir. Êtes-vous le genre de personne qui a tendance à s’adapter à une situation, par obligation, par loyauté ou par nostalgie ? Si c’est le cas, envisagez sérieusement de partir.

Il est important que nos institutions rendent des comptes. Elles nous forment à ce que nous considérons comme « normal ». Lorsque des comportements repoussants commencent à vous paraître normaux, vous n’êtes pas le seul à être en danger.

La conscience n’est pas qu’une petite voix qui nous souffle : « Fais ce qui est juste. » La conscience est un mode de connaissance, au même titre que la raison, l’imagination et l’intuition. Elle est profondément ancrée dans le psychisme humain.

La conscience nous rend sensibles au fait que nous vivons dans un cosmos moralement structuré et que nos vies s’inscrivent dans une histoire qui nous conduit vers un jour où nous devrons rendre des comptes (Rm 2.15-16), faire face au jugement de celui qui, pour nous, a fait face à son propre jugement (Jn 19.13).

La conscience de cette réalité nous équipe d’une vision à long terme de l’univers et de notre propre vie. Dans une perspective à court terme (disons une centaine d’années), quelqu’un pourrait aisément choisir de se laisser conduire par l’ambition. Comme l’observent le psalmiste et Job, on pourrait conclure que les brutes prospèrent et que, par conséquent, la voie de la prospérité passe par la brutalité. La conscience, lorsqu’elle fonctionne bien, élargit notre horizon vers le jour où nous devrons rendre des comptes et où notre vie commencera vraiment.

Cela débute par le fait d’être plutôt que de faire. C’est précisément ce que des mouvements évangéliques de toutes sortes soulignent. « En effet, c’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est pas par les œuvres, afin que personne ne puisse se vanter. » (Ep 2.8-9) Ces mots sont immédiatement suivis par ceci : « En réalité, c’est lui qui nous a faits ; nous avons été créés en Jésus-Christ pour des œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance afin que nous les pratiquions. » (v. 10)

La conduite est importante, mais la conduite est enracinée dans la vie, et non l’inverse. Si vous êtes en Christ, vos péchés sont pardonnés. Vous êtes crucifiés avec le Christ et ressuscités avec lui. Il n’y a rien à gagner. C’est pour cela que, dans ses meilleurs moments, le christianisme évangélique a mis l’accent sur la moralité — ou, dans un langage plus biblique, sur la sanctification — en tant que résultat de ce que nous sommes déjà en Christ, et non en tant que moyen de gagner la faveur de Dieu.

Cette moralité s’oppose donc au moralisme ou au légalisme. Comme l’a dit Martin Luther, « Nous ne devenons pas justes en accomplissant des actes justes, mais, ayant été rendus justes, nous accomplissons des actes justes. »

Ce qui est moral doit être défini en dehors de la personne et de la situation. La Croix est un jugement définitif contre un péché objectivement défini. Il en va de même pour l’enfer. Le péché n’est pas seulement lié à ce que vous faites (bien que cela en fasse certainement partie), mais aussi au type de personne que vous devenez. Nous avons des fragilités différentes, c’est pour cela que nous devons porter les fardeaux les uns des autres. Prêtez attention à ces points faibles dans votre propre vie. Quelle est l’ambition qui vous anime ? Quelles sont les personnes dont vous recherchez l’approbation ?

Une conscience dysfonctionnelle se laisse guider par les priorités de l’ambition, de la sécurité et de l’appartenance au groupe. C’est ainsi que Ponce Pilate a fini par crucifier Jésus. Cela ne s’est pas produit parce qu’il complotait lui-même pour faire tuer ce Messie, mais parce qu’il voulait « satisfaire la foule » (Mc 15.15). Pilate, écrit Matthieu, « voyant qu’il ne gagnait rien mais que le tumulte augmentait », s’en lava les mains (Mt 27.24). C’est ainsi que les choses se passent. Pour Pilate, l’enjeu était de savoir ce qu’il gagnait ou perdait — à ce moment-là ou dans l’ensemble de sa vie. Il définissait sa mission en termes d’ambition et de sécurité plutôt qu’en termes de conscience. C’est ainsi que sa conscience s’est adaptée à son ambition, et non l’inverse.

La même chose peut vous arriver, que vous travailliez au rayon fruits et légumes d’une épicerie, dans un cabinet comptable, dans une guilde de scénaristes ou en tant que missionnaire. Il sera toujours tentant de faire taire notre conscience parce que l’on craint ce qu’elle pourrait nous demander. Ce chemin nous conduira au désastre.

Le problème n’est pas que vous vous retrouverez à agir d’une manière que vous n’avez jamais voulue, mais plutôt que vous ne remarquerez pas du tout la manière dont vous agissez. Vous ne verrez même pas que vous courez après l’approbation de n’importe quelle foule à laquelle vous voulez appartenir, de n’importe quel objectif que vous voulez atteindre. Ce n’est qu’une fois qu’il est trop tard que l’on s’aperçoit que l’on ne se reconnaît plus.

Cet appétit de voir nos ambitions se concrétiser et de préserver notre appartenance à notre groupe ne conduira pas à une absence de conscience, mais à une conscience mal orientée, une conscience qui éprouve de la honte pour ce qui n’est pas honteux et qui ne ressent rien pour ce qui l’est. La formation du caractère se fait également de l’intérieur. Jésus a dit : « L’homme bon tire de bonnes choses du bon trésor de son cœur, et celui qui est mauvais tire de mauvaises choses du mauvais [trésor de son cœur]. En effet, sa bouche exprime ce dont son cœur est plein. » (Lc 6.45)

Une saine conscience ne conduit pas, comme on l’imagine, à la tranquillité intérieure, du moins pas tout de suite. Une conscience saine est une conscience vivante — et donc frémissante d’incitations à la repentance et au changement de voie et d’appels à la miséricorde. Mais, à long terme, une conscience saine mène à la paix, car elle chasse la peur.

Si votre ambition régit votre vie, vous serez esclave de tout ce qui pourrait vous priver de cette ambition. Si votre appartenance à votre groupe régit votre vie, vous serez terrifié par tout ce qui pourrait vous menacer d’éloignement. Mais si votre mission est alignée sur votre conscience et que votre conscience est alignée sur l’Évangile, vous serez libéré de ces peurs paralysantes et pourrez vivre autre chose qu’une vie orientée par votre seule préservation.

C’est pour cela que Jésus dit à ses disciples : « N’ayez donc pas peur d’eux, car il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour ; et ce qui vous est dit à l’oreille, proclamez-le sur les toits. » (Mt 10.26-27)

Si nous savons que le jour du jugement viendra, nul besoin de convoquer notre propre jugement aujourd’hui. Et si quelqu’un vous demande quelque chose au prix de votre intégrité, sachez que ce prix est trop élevé.

Russell Moore est le rédacteur en chef de CT. Extrait de Losing Our Religion : An Altar Call for Evangelical America, par Russell Moore. Copyright © 2023, en accord avec Sentinel, une marque de Penguin Random House LLC.

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Les chrétiens homosexuels comme moi sont un atout, pas une menace.

Les croyants attirés par les personnes du même sexe expérimentent chaque jour le coût de la vie de disciple. Notre témoignage devrait être entendu.

Christianity Today July 21, 2023
Illustration by Rick Szuecs / Source Images: Jgroup / Getty / Cottopnbro / Pexel

Après une récente conférence, un ami homosexuel m’a contacté dans un message plein de désarroi : « Je croyais que le joug de Jésus était censé être léger. » Certains responsables répondant à l’événement, m’a-t-il dit, « donnent l’impression que la fidélité à Jésus signifie que Jésus doit changer quelque chose qu’il n’a pas encore changé » ou que « Dieu veut vraiment que je mente aux gens et que je dise simplement que je ne suis plus gay. » Il me disait avoir envie de pleurer.

L’histoire de mon ami n’est qu’un exemple des relations parfois tendues entre les Églises évangéliques et la communauté LGBT. Lui, moi et d’autres membres de la communauté Revoice faisons partie d’une minorité croissante de chrétiens qui souhaitent être honnêtes tant à propos de ce qu’ils vivent en matière d’attirances que de leur engagement ferme à vivre dans l’obéissance à l’éthique sexuelle présentée dans la Bible, qu’ils considèrent comme dessein de Dieu pour tous les êtres humains, quelles que soient leurs attirances ou leurs orientations.

Le débat sur l’identité des personnes homosexuelles n’est pas nouveau, mais il est devenu beaucoup plus féroce ces derniers temps. Dans la foulée de la parution de la déclaration de Nashville en 2017, un nombre croissant de dénominations ont élaboré leurs propres déclarations concernant le mariage et la sexualité.

L’Église presbytérienne d’Amérique et l’Église anglicane d’Amérique du Nord ont toutes deux publié des rapports de commission ou des prises de position concernant l’utilisation d’un langage d’identification lié au genre ou à l’orientation sexuelle par les membres de l’Église. Entre-temps, l’Église méthodiste unie [fait maintenant face à la division autour du soutien aux unions homosexuelles par certaines communautés.]

Tout cela me touche de très près. Des amis tant à ma gauche qu’à ma droite sur le plan théologique ont tenté de dialoguer avec moi et de me comprendre en tant que chrétienne attirée par les personnes du même sexe. La place publique a été moins généreuse. Au cours des années qui se sont écoulées depuis que j’ai raconté mon histoire, cette place publique est devenue de plus en plus polarisée et absolue dans sa condamnation des Side B Christians comme moi et d’autres.

Les commentateurs conservateurs affirment que toute reconnaissance d’une attirance pour les personnes du même sexe est un péché, tandis que les auteurs progressistes nous accusent de réprimer notre sexualité et de contribuer au suicide des adolescents LGBT. La plupart des déclarations confessionnelles mentionnées ci-dessus concluent que l’utilisation de termes tels que « chrétien gay » va de « peu judicieuse » à « pécheresse » et affirment que l’utilisation de ces qualificatifs confère à notre sexualité une importance excessive pour notre vie.

Pourtant, les chrétiens du camp B [ainsi nommés par opposition au camp A qui soutient les unions homosexuelles] ne constituent pas une menace, mais un atout pour les Églises orthodoxes.

Tout d’abord, les personnes appartenant à des minorités sexuelles qui restent dans les communautés conservatrices ne cherchent pas à ce que celles-ci soutiennent les unions homosexuelles. Bien au contraire. Malgré l’isolement, voire le rejet pur et simple, nous restons dans des Églises conservatrices en raison de notre engagement envers la fidélité aux Écritures. Nous sommes convaincus que Jésus vaut mieux que l’épanouissement sexuel, et beaucoup d’entre nous se sont engagés à rester célibataires toute leur vie parce qu’ils croient en l’éthique sexuelle traditionnelle.

Comme l’écrit Greg Johnson dans Still Time to Care: What We Can Learn from the Church’s Failed Attempt to Cure Homosexuality, « Certes, ma foi m’a coûté plus qu’une dîme, mais le peuple de Dieu ne m’a pas abandonné. Mon histoire, c’est que Jésus a ravi mon cœur. Tout lui revient. » Tel est le témoignage de chrétiens homosexuels qui restent dans des Églises ayant une vision biblique de l’éthique sexuelle. Nous avons mesuré le coût de suivre Jésus avec notre esprit, notre cœur et notre corps et nous avons trouvé qu’il en valait la peine.

Deuxièmement, nous restons dans l’Église pour des raisons de principe, et non pour quelques abstraites avancées dans des querelles linguistiques elles aussi essentiellement abstraites. Encore une fois, il est difficile d’être un chrétien homosexuel dans une Église théologiquement conservatrice. Tant dans le corps du Christ que dans la culture en général, le célibat est un engagement difficile à tenir, surtout à long terme. Il s’accompagne du deuil de certains rêves et attentes, en particulier pour ceux d’entre nous qui ont été élevés dans des Églises évangéliques.

Au plus fort du mouvement de la purity culture, j’étais une lycéenne terrifiée par mes attirances et me demandais quand Dieu allait me guérir miraculeusement pour me donner ensuite un mari et des enfants. L’attirance pour le même sexe était condamnée comme quelque chose qui me séparait de Dieu, même si j’aimais Jésus.

Au lieu de trouver du soutien en vue de l’éventualité d’une vie de chrétienne célibataire, j’ai constamment été confrontée à des personnes bien intentionnées mais déterminées à me trouver un mari. Pourtant, je suis restée, malgré la solitude, l’incompréhension et l’homophobie ordinaire de certains propos. J’ai tenu bon parce que j’étais profondément convaincue que ma vie de chrétienne homosexuelle célibataire était tout autant une image vivante de l’Évangile que n’importe lequel des mariages que je rencontrais à l’Église. Aujourd’hui encore, je ressens ces mêmes tensions dans l’Église. Ce qui a changé, en revanche, ce sont mes attentes quant à la manière dont Dieu répond à mon besoin humain de soutien et d’intimité relationnelle. Au lieu d’aspirer au mariage, je me réjouis de mon amitié avec des personnes profondément liées à moi et je cultive intentionnellement ces relations en vue de toute une vie d’amour et de soutien.

Finalement, notre présence est un témoignage pour ceux qui se trouvent à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église. Une amie m’a dit un jour qu’elle ne pouvait imaginer quelqu’un de mieux équipé pour parler aux adolescents chrétiens de l’éthique sexuelle traditionnelle qu’un chrétien homosexuel engagé dans le célibat ou dans un mariage à orientation mixte.

Elle soutenait que, dans un monde motivé par les mantras « suis ton cœur » et « vis ta vérité », peu seraient aussi à même de manifester la réalité d’un style de vie contre-culturel que des personnes qui pourraient facilement trouver l’amour et l’acceptation à la fois dans les Églises progressistes et dans la culture séculière, mais choisissent de rester fidèles au dessein de Dieu.

À titre d’exemple, un de mes amis m’a récemment fait part d’une remarque d’un adolescent de son Église. L’étudiant le remerciait ainsi d’avoir parlé au groupe de jeunes de sa sexualité et de son engagement au célibat : « Tu es la première personne que j’ai rencontrée dans l’Église qui renonce vraiment à quelque chose pour Jésus. »

Ce genre de déclarations expliquent pourquoi nous, chrétiens homosexuels célibataires, parlons si souvent et si ouvertement de notre sexualité. Nous voulons que les futurs disciples de Jésus sachent que s’épanouir en tant que chrétien homosexuel est non seulement possible, mais aussi source de vie. Nous voulons montrer ce que peut signifier faire partie d’une famille choisie et vivre des liens d’appartenance qui ne soient pas intrinsèquement liés aux relations sexuelles. Pourquoi ? Parce que la Bible nous dit que ce type d’intimité et de lien est ce que nous vivrons tous dans l’éternité (Mt 22.30 ; Mc 12.25).

Si nous voulons que la prochaine génération croie que le sexe et le mariage ne sont pas les horizons ultimes de la communauté chrétienne, l’Église ferait bien de s’assurer que nous ne rejetons pas ceux dont l’existence même démontre ce fait.

Bekah Mason est mère de deux enfants, directrice exécutive de Revoice et membre fondatrice du Pelican Project.

Speaking Out est une rubrique d’opinion invitée de Christianity Today et (contrairement à un éditorial) ne représente pas nécessairement l’avis de la publication.

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Les chrétiens peuvent-ils pratiquer le yoga ? L’avis de quelques croyants indiens.

Entre recherche de bien-être et enjeux spirituels, quel regard porter sur cette pratique issue de la tradition hindoue ?

Narendra Modi, le Premier ministre indien, et des centaines de personnes pratiquant une séance de yoga aux Nations unies à l’occasion de la Journée internationale du yoga, le 21 juin dernier.

Narendra Modi, le Premier ministre indien, et des centaines de personnes pratiquant une séance de yoga aux Nations unies à l’occasion de la Journée internationale du yoga, le 21 juin dernier.

Christianity Today July 17, 2023
Christina Horsten/picture alliance/Getty Images

La célébration, le 21 juin dernier, de la Journée internationale du yoga instaurée par les Nations unies depuis 2015 et conduite cette année par le Premier ministre indien Narendra Modi lors de sa visite à New York, a souligné la popularité mondiale de cette pratique.

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une religion, cette ancienne tradition orientale est mentionnée dans les écritures sacrées de l’hindouisme, telles que la Bhagavad Gita. Mot sanskrit signifiant « union » ou « joug », le yoga vise à unir le corps, l’esprit, l’âme et la conscience universelle, permettant ainsi à ses pratiquants d’expérimenter la liberté, la paix et l’accomplissement de soi.

La pratique du yoga implique diverses techniques physiques, mentales et spirituelles, notamment des exercices de respiration, des postures, de la relaxation, des chants et de la méditation. Il existe différents styles de yoga, chacun ayant son propre objectif et sa propre approche pour atteindre un « état unitif ».

Les racines du yoga remontent aux textes du Rig-Véda et des Upanishads. L’un des textes les plus connus est le Yoga Sutras, écrit par Patanjali vers 200 avant J.-C. Dans ce texte fondateur, l’ancien érudit décrit le yoga comme la cessation des fluctuations de l’esprit.

Comme l’indique un site web qui y est consacré, cette pratique ancestrale revêt une importance spirituelle, cherchant à contrôler l’esprit, à atteindre un état de conscience détaché du monde extérieur et à se libérer du cycle de la naissance et de la mort.

Depuis son entrée en fonction en 2014, le gouvernement indien de Modi a activement promu le yoga comme pratique culturelle et spirituelle. Il en a même fait un outil d’influence diplomatique pour la politique étrangère de l’Inde.

Cependant, une vaste étude menée par le Pew Research Center auprès d’environ 30 000 adultes indiens a révélé que 6 personnes sur 10 déclarent ne jamais pratiquer le yoga, dont 6 hindous sur 10. Seules 35 % des personnes interrogées ont déclaré avoir déjà pratiqué le yoga, 22 % le pratiquant une fois par mois ou moins et 7 % seulement le pratiquant quotidiennement.

Selon l’enquête de Pew, en Inde, les hindous ne sont pas « le groupe religieux le plus susceptible de pratiquer le yoga ». La pratique des jaïns (62 %), des sikhs (50 %) et des bouddhistes (38 %) est plus importante que celle des hindous (36 %). Du côté des Indiens musulmans, seuls 29 % pratiquent le yoga. Les Indiens chrétiens, eux, le pratiquent à 24 %.

Pew constate que seuls 3 % des chrétiens pratiquent le yoga tous les jours, ce qui est la proportion la plus faible des six groupes religieux comparés. Les sikhs (14 %) sont les plus susceptibles de pratiquer le yoga quotidiennement, suivis par les bouddhistes (12 %), les jaïns (11 %), les hindous (7 %) et les musulmans (6 %).

Les tendances politiques jouent un rôle également, puisque 38 % des Indiens ayant une opinion favorable du BJP, le parti de Modi, déclarent pratiquer le yoga, contre 31 % des personnes ne le soutenant pas.

Alors que les racines spirituelles du yoga sont hindoues, une enquête Pew menée en Europe occidentale auprès d’adultes a permis d’évaluer dans quelle mesure le yoga y est considéré comme un simple exercice physique ou également comme une pratique spirituelle. Les résultats ont montré que de nombreux Européens de l’Ouest — une moyenne régionale de 26 %, dont 4 Suédois, Portugais et Finlandais sur 10 — reconnaissaient la signification spirituelle du yoga au-delà de ses vertus physiques.

Nous avons demandé à une experte hindoue en yoga, qui pratique depuis huit ans et enseigne depuis cinq ans, si pour elle, le yoga est un simple exercice physique ou s’il a également une portée spirituelle.

Ensuite, cinq responsables chrétiens indiens ont été invités à répondre à la question : Le yoga est-il trop hindou pour que les chrétiens le pratiquent ? Leurs réponses vont du oui au non.

Pinky Choubey, professeure de yoga hindou, Noida, Uttar Pradesh :

Le yoga a assurément une signification spirituelle. Lorsque vous en approfondissez l’exercice et que vous pratiquez la méditation, vos sens évoluent vers la spiritualité. Le yoga est clairement lié à l’hindouisme. Quiconque suit la Bhagavad Gita est automatiquement lié au yoga.

Le yoga est bien plus qu’un simple exercice physique, c’est un exercice spirituel. Selon [l’ancien maître spirituel hindou] Swami Sivananda, « la pratique du yoga mène à la communion avec le Seigneur. Quel que soit le point de départ, le but atteint est le même ». Le yoga se présente sous la forme de quatre grandes voies : Karma, Bhakti, Raja et Jnana. Le Karma yoga implique l’aspect actif de l’esprit ; le Bhakti yoga, l’aspect émotionnel ; le Raja yoga, l’aspect mystique ; et le Jnana yoga, l’aspect intellectuel.

Il est trop superficiel de qualifier le yoga de simple exercice. L’hindouisme et le yoga sont intimement liés. Les gens en prennent de plus en plus conscience ces derniers temps.

Jaykar Kristi, ancien sadhu (ascète) hindou qui a pratiqué le yoga pendant 10 ans avant de devenir chrétien, et aujourd’hui pasteur à Indore, Madhya Pradesh :

Les chrétiens ne devraient pas pratiquer le yoga. Yoga signifie union — mais union avec qui ou quoi ?

Pratiquer le yoga nous amène à nous dépouiller de toute pensée — c’est là tout l’objectif. Le yoga enseigne comment moduler sa respiration. Il est basé sur le contrôle et la manipulation de la respiration et vise ainsi à atteindre l’absence de pensée.

Mais en tant que chrétiens, nous prions consciemment, ainsi que dans l’Esprit, et nous prions en utilisant notre esprit. Comme le dit la Bible dans Marc 12 : « Nous sommes appelés à adorer le Seigneur de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute notre force et de tout notre esprit. »

Une séance de yoga commence généralement par la salutation au soleil (Surya Namaskar), qui consiste à vénérer le soleil. Les chrétiens adorent le Créateur, et non la création. Nous nous inclinons devant le seul Dieu vivant.

Sunita Howell, directrice de l’école internationale Caleb, Gurgaon, Harayana :

Pour moi, il est évident que le yoga est une pratique hindoue. Il découle d’une prise de conscience du Purusha, la puissance suprême qui n’est pas altérée par l’affliction et ses causes. Le yoga se pratique en chantant « Om », [un son considéré comme sacré et ancien dans l’hindouisme et les autres religions orientales].

La conscience de soi m’amène à confesser que je suis pécheresse et que j’ai besoin d’une aide extérieure. Cette aide, c’est Jésus seul qui nous la donne.

Leela Manasseh, responsable au sein de Global Spiritual Care Networks et de Singles Asia, Bangalore, Karnataka :

Le yoga est en soi une forme de culte. Je connais plusieurs chrétiens qui le pratiquent en récitant des psaumes. Personnellement, je ne suis pas favorable au yoga, car il existe d’autres exercices pour améliorer notre santé et renforcer notre immunité.

Si certains chrétiens aiment faire du yoga, je ne les juge pas, mais personnellement je m’abstiens de cette pratique.

Dorcas Isaac, directrice d’école à la retraite, Mysore, Karnataka :

Je suis actuellement trois cours de yoga par semaine. J’ai découvert que cette pratique a une base scientifique et que le « Om » n’est qu’un son. Shanti signifie « paix », [… et] les exercices de yoga nous rendent souples, actifs et énergiques. Dans les écoles, le yoga est à présent enseigné dans le cours d’éducation physique et non dans celui de religion hindoue.

Plusieurs chrétiens viennent chez moi une fois par semaine pour participer au cours de yoga. Nous trouvons tous les exercices très utiles. Même si l’origine du yoga est hindoue et que nous pratiquons les asanas (poses de yoga), je pense que cela ne pose pas de problème. Nous récitons des versets bibliques au lieu des shlokas (strophes) et des mantras sanskrits.

Nous ne pensons pas qu’il y ait quoi que ce soit d’hindou là-dedans. Nous sommes satisfaits des résultats du yoga. Nous le pratiquons maintenant depuis 3-4 mois. C’est pour nous un exercice physique qui a des appuis scientifiques.

Mohit Singh, prédicateur laïc, Église méthodiste, Noida, Uttar Pradesh :

Je ne pense pas que le yoga soit trop hindou pour être pratiqué par des chrétiens. Mais ils doivent être au clair sur les raisons qui les poussent à cette pratique.

Dans mon cas, il s’agissait uniquement de suivre un programme d’exercices assistés pour m’aider à perdre du poids et à me remettre en forme. Il existait d’autres options comme la zumba et les cours de danse Pilates, mais je trouvais ces pratiques trop excessives pour moi. L’approche des cours de yoga était plus progressive.

Au début, j’ai été surpris d’entendre l’instructeur de yoga et les élèves chanter Om et le mantra Gayatri avant et après le cours [Gayatri est le nom de la déesse du mètre védique dans lequel les vers sont composés, et un mantra est une parole sacrée].

En tant qu’élève, j’aurais dû me conformer à ce rituel. Mais je ne l’ai pas fait. Je me suis plutôt souvenu de mon Dieu et je l’ai prié en invoquant son nom et en lui demandant de me guider dans cette nouvelle aventure pour rendre mon corps plus sain.

Je crois que si vos intentions sont bonnes, Dieu ne se sentira pas offensé et vous fournira un moyen de faire face à ces situations délicates. Personne ne m’a forcé à réciter les mantras et j’ai continué à faire les exercices décrits par l’instructeur en priant mon Dieu.

Je me souviens avoir hésité pour effectuer les différentes asanas qui sont des « poses honorant les dieux [hindous] ». J’ai finalement continué à les pratiquer, mais uniquement pour faire de l’exercice et non pour satisfaire une quelconque divinité [hindoue]. En résumé, pour moi, tant que nos intentions sont claires et que nous ne chantons pas les mantras, tout devrait bien se passer, car Dieu regarde à notre cœur.

Traduit par Anne Haumont

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