J’ai promis à Dieu de revenir en Haïti. La promesse est difficile à tenir.

Je suis revenu après le tremblement de terre et suis déterminé à rester, même si la situation de mon pays est plus préoccupante que jamais.

Des migrants, pour la plupart originaires d’Haïti, traversent à gué l’une des nombreuses rivières qu’ils franchissent au cours de leur périple d’Amérique centrale vers les États-Unis.

Des migrants, pour la plupart originaires d’Haïti, traversent à gué l’une des nombreuses rivières qu’ils franchissent au cours de leur périple d’Amérique centrale vers les États-Unis.

Christianity Today November 10, 2023
John Moore / Getty Images

Lorsque ma femme et moi avons décidé de nous installer en Haïti en 2010, après un tremblement de terre dévastateur de magnitude 7,0, nous savions que nous arrivions sur un champ de bataille.

Nous étions de jeunes mariés pleins d’énergie et convaincus que nous pouvions changer le monde. Nous avons fait nos valises et quitté Jackson, dans le Mississippi, pour Cap-Haïtien, sans même savoir dans quelle maison nous pourrions emménager. Certains de nos amis nous ont traités de fous : « Tout le monde essaie de s’échapper de ce lieu de désespoir, sauf vous. »

Revenir dans mon pays d’origine après la catastrophe qui avait dévasté le pays était comme nager à contre-courant. Mais j’essayais seulement d’obéir à l’appel de Dieu.

J’étais le seul enfant parmi mes neuf frères et sœurs à avoir terminé l’école secondaire. Après avoir obtenu mon diplôme en 1995, j’ai passé cinq ans à supplier Dieu de m’envoyer à l’université. Mais j’avais toujours voulu étudier à l’étranger et en anglais, un rêve très ambitieux qui me faisait passer pour ridicule aux yeux de beaucoup de mes amis et de ma famille.

Un jour de janvier 2001, alors que je pleurais à genoux devant le Seigneur, il m’a finalement répondu, mais avec une direction claire et sans équivoque. Dans mon esprit, j’entendais nettement la voix du Seigneur qui me disait : « Où que je t’envoie dans le monde, j’ai besoin que tu reviennes me servir en Haïti. » J’ai accepté le contrat. Je n’avais pas d’autre choix !

Par la suite, le Seigneur m’a envoyé dans de nombreux pays riches et magnifiques à travers le monde. J’ai commencé mes études en Jamaïque, où j’ai rencontré ma femme. J’ai ensuite déménagé au Canada pour obtenir mon premier diplôme, puis aux États-Unis et au Royaume-Uni pour ma maîtrise et mon doctorat.

Depuis notre retour en Haïti, les épidémies, les catastrophes naturelles et les bouleversements politiques font partie du quotidien. Notre foi, notre espérance et notre résilience ont été sérieusement mises à l’épreuve. Quelques mois après mon retour, en décembre 2011, j’étais sur le point de faire mes valises et de migrer définitivement vers l’Amérique du Nord.

Nous pouvions à peine trouver de quoi nous nourrir. Nous avions du mal à payer notre loyer. Notre voiture avait été volée par un convoyeur. Une pandémie de choléra sévissait. Nous n’avions pas d’électricité. Nous nous sommes sentis abandonnés par Dieu et avons commencé à remettre en question notre décision de retourner en Haïti.

Mais nous avons trouvé la force et l’encouragement dans des textes bibliques comme Jacques 1.2-4 : « Mes frères et sœurs, considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous pouvez être exposés, sachant que la mise à l’épreuve de votre foi produit la persévérance. Mais il faut que la persévérance accomplisse parfaitement sa tâche afin que vous soyez parfaitement qualifiés, sans défaut, et qu’il ne vous manque rien. »

C’est la raison pour laquelle nous sommes encore ici pour mener le bon combat. Mais le champ de bataille n’a jamais été aussi dur qu’aujourd’hui.

Depuis l’assassinat de notre président en 2021, le pays s’est enfoncé dans un gouffre obscur où il est malmené et enveloppé de troubles de toutes sortes. Nous avons été physiquement épuisés. Nous avons été mentalement épuisés. Nous avons été économiquement épuisés. En tant qu’Église, nous avons été spirituellement assaillis. La bataille n’a jamais été aussi féroce.

Tandis que les défis se sont intensifiés, il a été de plus en plus difficile de partager la charge. L’année dernière, l’administration américaine a facilité la vie et le travail des Haïtiens aux États-Unis. En l’espace de six mois, 70 % des membres du conseil de mon église ont émigré aux États-Unis. Fin septembre 2023, plus de 85 000 Haïtiens étaient arrivés aux États-Unis.

Ce programme a été une bénédiction pour les personnes et les familles qui ont eu la possibilité d’entreprendre une vie meilleure là-bas. Mais c’est une malédiction pour mon pays, dépouillant rapidement Haïti de ses éléments les plus brillants et les plus intègres. Ce programme renforce la mentalité de recherche d’échappatoires qui asservit tant d’Haïtiens et étouffe notre désir de lutter pour un changement durable dans notre pays. Il représente un veau d’or qui incite les croyants les plus fidèles à faire confiance à l’homme, plutôt qu’à Dieu, pour subvenir à leurs besoins.

Alors que je luttais face à la perte de ma communauté, bien des questions m’empêchaient de dormir. Comment réconforter l’église après la mort inattendue de notre batteur et chauffeur de bus, un jeune homme de 28 ans ? Comment répondre aux appels de tant de personnes en manque de nourriture, de fournitures scolaires pour leurs enfants, de médicaments, d’un abri ou de libération spirituelle ?

En tant que responsable de ma communauté, que dois-je dire lorsque ceux qui devraient être en prison emprisonnent des gens à Port-au-Prince ? Comment formuler une réponse théologique aux gangs qui interrompent à volonté les services religieux dans la capitale ? Que dois-je dire aux gens lorsque des membres de gangs entrent dans leurs villages et prennent leurs terres, leurs maisons et leurs biens ?

Maintenant qu’un différend au sujet d’un canal a entraîné la fermeture de la frontière entre Haïti et la République dominicaine, comment puis-je encourager ceux dont les moyens de subsistance ont toujours été liés au commerce binational entre les deux pays ?

En tant que président de l’Emmaus University, comment annoncer à mes étudiants que nous ne pourrons bientôt plus les nourrir en raison de la flambée des prix des denrées alimentaires ? Comment préparer la prochaine génération de responsables haïtiens qui se forment ici à interrompre leur formation pendant cette période de désespoir parce que nous ne pouvons tout simplement pas continuer à assumer les charges financières ?

Comment faire face à la réalité qu’Haïti a désespérément besoin de responsables chrétiens intègres alors que je me débats avec les défis de la collecte de fonds pour une bibliothèque, des salles de classe et des bourses d’études ?

C’est la réalité quotidienne du champ de bataille, et je suis submergé. Que devrais-je faire ? Dois-je m’enfuir pour sauver ma vie et tout laisser derrière moi ?

Si mon corps peut être physiquement en sécurité ailleurs, je sais que quitter Haïti ferait languir mon âme. Je préfère mourir à genoux sur le champ de bataille, le cœur en paix, plutôt que de profiter du confort de cette vie avec un esprit brisé.

La bataille fait rage. Puissé-je accomplir ma vocation, jusqu’à ce que mon Seigneur Jésus dise qu’il est temps pour moi de recevoir ma couronne. Nous vaincrons en nous appuyant sur les paroles que l’apôtre Paul adressait il y a bien longtemps à l’église de Corinthe : « Nous sommes pressés de toutes parts, mais non écrasés ; inquiets, mais non désespérés ; persécutés, mais non abandonnés ; abattus, mais non anéantis. » (2 Co 4.8-9)

La réalité présente pourrait bientôt changer. Mais à l’heure actuelle, la pression est extrêmement forte. À notre famille ecclésiale dans le monde entier, priez pour nous et tenez-vous à nos côtés, nous qui restons en Haïti pour accomplir notre course.

Guenson Charlot est président de l’Emmaus University à Acul-du-Nord, en Haïti. Vous pourrez en apprendre plus dans le livre de sa femme Claudia, Haiti : The Black Sheep?. Guenson peut-être contacté par courrier électronique à l’adresse suivante guenson.charlot@emmaus.edu.ht

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Une bible abolitionniste exposée au public

Et autres nouvelles des chrétiens à travers le monde.

Sur l’une des premières pages de sa Bible, William Turpin a conservé une liste manuscrite des noms des esclaves qu’il a libérés entre 1807 et 1826.

Sur l’une des premières pages de sa Bible, William Turpin a conservé une liste manuscrite des noms des esclaves qu’il a libérés entre 1807 et 1826.

Christianity Today November 7, 2023
Musée d’État de Caroline du Sud

Une bible contenant un rare témoignage de l’opposition des chrétiens à l’esclavage est exposée pour la première fois au musée d’État de Caroline du Sud, à Columbia. La Bible a appartenu à William Turpin, qui, avec son associé Thomas Wadsworth, prenait part au commerce d’êtres humains à la fin du 18e siècle. Les deux hommes ont alors acquis la conviction que l’esclavage était immoral et ont libérés leurs esclaves. Turpin a consigné dans sa Bible les noms de 31 d’entre eux.

États-Unis : légère scission sur la question des femmes dans le ministère

Au moins huit communautés ont quitté la Christian and Missionary Alliance (CMA) aux États-Unis autour de la question de la place des femmes dans le ministère. En juin, après plusieurs années de discussions, la dénomination a décidé que les femmes pourraient être ordonnées et porter le titre de « pasteur » à la discrétion des églises locales, tandis que la fonction d’ancien, dont sont les pasteurs principaux, resterait réservée aux hommes. Selon la CMA, la nouvelle position reconnaît que des personnes également attachées à l’autorité des Écritures interprètent différemment les passages clés concernant les femmes dans les responsabilités ecclésiastiques. Cependant, certains des sortants affirment qu’il s’agit d’un « pas important vers l’égalitarisme ». Les églises sortantes n’ont pas indiqué si elles allaient former une nouvelle dénomination.

Canada : la Cour n’entendra pas la plainte des églises en lien avec le COVID-19.

La Cour suprême du Canada a refusé d’entendre l’argumentaire d’un groupe d’églises de Colombie-Britannique selon lequel les restrictions imposées par le COVID-19 violaient leurs droits constitutionnels. Une juridiction inférieure a jugé que les restrictions imposées en cas de pandémie étaient peut-être contraires aux droits garantis par la Charte, mais qu’elles étaient néanmoins admissibles, car le gouvernement devait trouver un équilibre entre ces garanties et le mandat légal du département provincial de la santé. La juridiction inférieure a également noté que les restrictions étaient limitées dans le temps, qu’elles étaient spécifiques à l’environnement concerné et qu’elles suivaient les meilleurs avis scientifiques disponibles. Des recours similaires ont été rejetés dans d’autres provinces.

Haïti : des membres de l’église meurent en attaquant des gangs.

Sept évangéliques sont morts lors d’une confrontation avec les gangs qui ont pris le contrôle de la majeure partie de la capitale haïtienne, Port-au-Prince. Le pasteur Marcorel Zidor aurait dit aux membres de son église que leur foi les mettrait à l’abri des balles. Les membres de l’église ont défilé avec des bâtons et des machettes et ont attaqué les bandes armées. Haïti est en crise depuis l’assassinat de son président en 2021.

Royaume-Uni : le « chêne de Wycliffe » en lice pour un prix arboricole

Un vieux chêne dont on pense qu’il offrit son ombre au réformateur John Wycliffe lorsqu’il prêcha dans le Surrey, en Angleterre, a été sélectionné pour le concours de l’arbre de l’année organisé par une organisation caritative de protection de l’environnement. L’arbre est âgé d’environ 800 ans et son tronc mesure plus de 7 mètres de diamètre. Wycliffe y aurait prêché en 1370. Le baptiste Charles Spurgeon a prêché sous ses branches en 1872.

Suisse : l’AEM critiquée pour sa rencontre avec des Iraniens

L’Alliance évangélique mondiale (AEM) a accepté une invitation controversée à un forum sur la religion et les droits de l’homme organisé par l’Iran. Le pays est classé huitième sur l’Index mondial de persécution de Portes Ouvertes, et certains évangéliques ont vivement critiqué l’AEM pour avoir accepté de rencontrer les Iraniens. Johnnie Moore, qui a déjà siégé à la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale, a déclaré que l’AEM « devient une partie du problème », et le responsable d’Iran Alive Ministries a affirmé que l’organisation faisait preuve d’une dangereuse naïveté. Le secrétaire général de l’AEM, Thomas Schirrmacher, a toutefois défendu la rencontre. Selon lui, il est bon que les chrétiens soient considérés comme des interlocuteurs par des pays qui ne les considèrent généralement que comme des fauteurs de troubles. « Ils nous ont demandé de nous expliquer : quelle contribution les évangéliques peuvent-ils apporter au bien de la société ? » « J’aurais mauvaise conscience si nous ne profitions pas de ces occasions pour témoigner devant le tribunal du monde. » Les autorités iraniennes ont arrêté 134 chrétiens l’année dernière, selon les meilleures informations disponibles. Près de 50 ont été torturés.

Rwanda : augmentation du prix des bibles

La Société biblique du Rwanda a augmenté le prix des bibles d’environ 200 % après avoir constaté une forte baisse des dons. Antoine Kambanda, le cardinal catholique qui dirige l’organisation multiconfessionnelle, a déclaré que la société biblique était devenue trop dépendante des fonds étrangers, comptant sur les chrétiens à l’extérieur du pays pour couvrir environ 85 % des frais de publication. « Il est grand temps que les Rwandais commencent à contribuer à ce travail de publication des Écritures », a-t-il déclaré. L’organisation vend aujourd’hui des bibles pour environ 8 000 francs rwandais (l’équivalent d’environ 7 dollars américains).

Chine : la croissance de l’Église stagnerait.

Selon une nouvelle étude du Pew Research Center à partir d’enquêtes universitaires et gouvernementales chinoises, la croissance du christianisme dans le pays marque le pas. Selon la formulation de la question de l’enquête, entre 2 et 3 % des adultes se sont déclarés chrétiens. Cela correspond à environ 18 millions de protestants. Si les églises enregistrent de nouvelles conversions, de nombreux chrétiens quittent également la foi. Sur une période de quatre ans, les chercheurs ont constaté qu’environ un quart des croyants ont cessé de s’identifier comme chrétiens. Les données les plus récentes évaluées par Pew datent de 2018.

Japon : des missionnaires reçoivent une nouvelle appellation.

A3, une organisation évangélique qui a débuté dans les années 1960 avec des missionnaires à court terme enseignant l’anglais au Japon, a décidé de ne plus utiliser le mot « missionnaire ». Les chrétiens envoyés pour travailler dans des contextes interculturels seront désormais appelés « partenaires missionnels ». A3, anciennement connu sous le nom d’Asian Access, est dirigé par des chrétiens japonais depuis 2022. Ils ont estimé que missionnaire sonnait trop occidental. D’autres chrétiens exerçant un ministère interculturel affirment également que ce mot n’est pas biblique et a perdu son utilité, empêchant même les gens de répondre à l’appel à la mission. Aujourd’hui, A3 envoie des personnes dans 18 pays d’Asie, ainsi qu’au Moyen-Orient et en Amérique centrale, pour établir des cohortes d’apprentissage formant des responsables chrétiens.

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Les évangéliques américains se divisent sur l’Ukraine

Les candidats républicains à la présidence présentent des arguments contradictoires à leurs potentiels électeurs.

Christianity Today November 7, 2023
Illustration by Mark Harris

Des prêtres détenus par la police. Un service secret qui fouille des lieux de culte, interroge le clergé au détecteur de mensonges et assigne des responsables d’église à résidence. Un président qui menace d’interdire toute organisation religieuse ayant des liens avec un pays voisin.

Pour des évangéliques soucieux de liberté religieuse dans le monde, ces éléments suffiraient à s’inquiéter pour n’importe quel pays. Mais ces choses sont encore plus alarmantes lorsqu’elles proviennent d’un pays que leur gouvernement soutient dans une guerre.

C’est probablement le genre de choses que Tucker Carlson, ancien commentateur de Fox News, avait à l’esprit en juillet lorsqu’il a demandé à l’ancien vice-président américain Mike Pence si les électeurs chrétiens pouvaient, en toute conscience, continuer à soutenir l’Ukraine et Volodymyr Zelensky dans la guerre avec la Russie.

« Le gouvernement Zelensky a effectué des descentes dans des couvents, arrêté des prêtres et interdit de fait une confession chrétienne », s’exclamait Carlson en référence aux mesures prises à l’encontre de la partie de l’Église orthodoxe ukrainienne rattachée au patriarcat de Moscou.

L’échange, qui a eu lieu lors d’un rassemblement de chrétiens conservateurs dans l’Iowa, a rapidement dégénéré. Carlson a été vivement critiqué par les partisans du soutien à l’Ukraine. L’Orthodox Public Affairs Committee, un groupe basé aux États-Unis, a accusé le commentateur de faire de la « propagande russe ».

Mais un nombre croissant d’électeurs évangéliques américains semblent se poser les mêmes questions que lui. Nombreux sont ceux qui expriment des doutes croissants quant au soutien des États-Unis à la guerre.

Les évangéliques américains ont soutenu l’Ukraine de manière assez vigoureuse dès le départ. Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, ils étaient même plus enclins que les autres Américains à soutenir l’Ukraine. Selon un sondageEconomist/YouGov réalisé en mars 2022, 77 % des évangéliques américains se déclaraient favorables à l’Ukraine, aux côtés de 73 % de l’ensemble de la population américaine.

Le soutien de certains Américains est resté aussi fort que par le passé. Brent Hobbs, pasteur baptiste de Virginia Beach, en Virginie, considère cette question comme un critère décisif pour savoir pour qui il votera lors d’une élection. Pour lui, c’est une question de bien et de mal. En raison de ses implications géopolitiques, cette guerre est pour lui le problème numéro un des États-Unis.

« Je ne soutiendrais pas quelqu’un qui dirait : “Nous soutenons trop l’Ukraine” ou “Nous devons arrêter de financer la guerre” — c’est hors de question », dit Hobbs.

D’autres, en revanche, semblent avoir quelques doutes. À la fin du mois de juillet 2023, 55 % d’Américains sondés ont déclaré à CNN qu’ils pensaient que le Congrès ne devrait pas autoriser un financement supplémentaire pour l’Ukraine. Le nombre exact d’évangéliques n’est pas précisé, mais parmi les républicains, plus de 70 % estiment que trop d’argent a déjà été consacré à ce conflit.

Il y a d’autres signes d’un changement radical. Lors d’un événement organisé en juillet par Turning Point USA, l’organisation politique conservatrice a demandé aux 6 000 personnes venues voir l’ancien président Donald Trump ce qu’elles pensaient de l’Ukraine. Les États-Unis devraient-ils continuer à s’impliquer ? 96 % ont répondu par la négative. On ne sait pas exactement combien de personnes présentes étaient évangéliques, mais le groupe a organisé de nombreux événements dans des églises et cible spécifiquement les évangéliques dans sa vision politique.

Le fondateur de Turning Point USA, Charlie Kirk, qui s’identifie comme évangélique, a lu les résultats sur scène et a exhorté les candidats républicains à y prêter attention :

« Quand les hommes politiques apprendront-ils qu’on ne peut pas dire aux électeurs ce qu’ils doivent croire ? »

L’opinion à propos du président russe Vladimir Poutine semble également évoluer. Les évangéliques, comme la plupart des Américains, ont eu une vision largement négative de la Russie dans ce conflit, mais certains expriment des sentiments plus chaleureux à l’égard de Poutine, qui s’est positionné comme un défenseur des valeurs familiales traditionnelles. Une enquête récente a montré que les personnes qui pensent que les États-Unis devraient être une nation chrétienne sont plus susceptibles de le soutenir.

Les attentes eschatologiques peuvent également inciter certains évangéliques à ne pas vouloir s’impliquer dans le conflit. Avant sa mort, le télévangéliste Pat Robertson avait déclaré que Poutine était « contraint par Dieu » d’envahir l’Ukraine pour préparer une guerre contre Israël, ce qui, selon certains, serait un événement déclencheur de la fin des temps annoncé par le prophète Ézéchiel. Les populaires prédicateurs américains Greg Laurie et Tony Evans ont tenu des propos similaires.

Mais les regards évangéliques sur l’Ukraine semblent refléter surtout l’évolution de certains hommes politiques.

Certains républicains, comme Mike Pence, ont clairement encouragé le soutien à l’Ukraine. D’autres, notamment Donald Trump, qui a déjà qualifié Poutine de « génie », expriment un scepticisme croissant. Les candidats à la présidence de 2024 Ron DeSantis et Vivek Ramaswamy ont déclaré qu’ils cesseraient d’envoyer de l’argent à l’Ukraine.

Selon le sondage CNN, la plupart des Américains pensent que les États-Unis ont envoyé suffisamment d’aide. Et au moins certains semblent préoccupés par les informations selon lesquelles le gouvernement ukrainien prendrait des mesures sévères à l’encontre de l’Église orthodoxe ukrainienne.

L’année dernière, cette Église a voté en faveur d’une rupture des liens avec Moscou, bien que cette rupture n’ait pas été nette en raison des complexités du droit canonique. Tetiana Kalenychenko, sociologue qui a rédigé sa thèse de doctorat sur les aspects religieux de la guerre en Ukraine, explique que l’Église s’est divisée en trois factions. Zelensky a proposé une loi qui criminaliserait celle qui maintient une affiliation à Moscou.

« Ces actions ne sont pas dignes d’une démocratie telle que de nombreux médias internationaux ont tenté de dépeindre l’Ukraine », a déclaré James Lasher, rédacteur en chef du magazine Charisma. « Au contraire, ces actions rappellent celles de Vladimir Poutine, connu pour sa répression de l’opposition politique et religieuse et dont la soif de pouvoir a conduit au conflit entre la Russie et l’Ukraine. »

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a également averti que la loi violerait des libertés protégées. Le projet de loi a tout de même été présenté.

Les autorités ukrainiennes insistent toutefois sur le fait qu’elle ne s’oppose pas aux prêtres orthodoxes, mais aux personnes qui, à l’intérieur de l’Ukraine, utilisent la religion comme couverture pour appuyer l’invasion et soutenir la Russie. Certains prêtres ont été accusés d’espionnage, ayant envoyé des coordonnées géographiques de troupes à l’armée russe. Les services secrets ukrainiens ont effectué des descentes dans des églises et des monastères et y ont trouvé de la propagande russe.

Taras Dyatlik, directeur régional du Conseil d’outre-mer de la United World Mission, estime que certaines des accusations pourraient être valables, mais que les personnes vivant en dehors de l’Ukraine ne devraient pas juger trop rapidement ceux qui vivent dans une zone de guerre et sont confrontées à une menace existentielle. Les détails sont compliqués. Il y a des circonstances atténuantes.

« Les médias occidentaux essaient de juger et d’évaluer la situation religieuse en Ukraine à l’aune de leur normalité, sous un ciel paisible où il n’y a pas de guerre à grande échelle en cours et où vous êtes protégés par l’OTAN et les armes nucléaires », dit-il, « mais vivre dans le pays au sein de cette guerre vous donne une vision différente. »

Les électeurs américains devront toutefois se prononcer dans un sens ou dans l’autre. Les candidats républicains font valoir leurs divers arguments dans la primaire en cours. Devant un public de 2 000 évangéliques réunis au Family Leadership Summit dans l’Iowa, Pence [qui a depuis retiré sa candidature] déclarait que le soutien à l’Ukraine était dans l’intérêt des États-Unis.

« Quiconque affirme que nous ne pouvons pas être le leader du monde libre et résoudre les problèmes à l’intérieur de nos frontières n’a qu’une vision très limitée de la plus grande nation du monde », disait-il. « Si Vladimir Poutine triomphe de l’Ukraine, je ne doute pas que les militaires russes franchiront les frontières d’un pays de l’OTAN que nos militaires devront alors défendre. »

Le rassemblement de l’Iowa a été ponctué de quelques applaudissements. Mais il y a aussi eu des huées, et il est encore difficile de dire lesquels ont été les plus retentissants.

Jonny Williams est un journaliste basé à Rhode Island.

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Books

La famille d’un pasteur piégée à Gaza pleure ses proches tués à l’église.

L’ancien pasteur de l’église baptiste de Gaza, coincé en Égypte depuis le début de la guerre, se démène pour évacuer sa femme et ses enfants, qui luttent pour survivre à l’église orthodoxe Saint-Porphyre.

Des proches assistent aux funérailles de chrétiens gazaouis tués par une frappe aérienne israélienne près de l’église orthodoxe Saint-Porphyre.

Des proches assistent aux funérailles de chrétiens gazaouis tués par une frappe aérienne israélienne près de l’église orthodoxe Saint-Porphyre.

Christianity Today November 6, 2023
Abed Khaled/AP Images

Piégée à Gaza, Janet Maher n’a pas pris de douche depuis deux semaines. Elle nourrit ses trois enfants à raison d’un repas par jour, qui se résume souvent à du pain et du fromage.

Son cousin a péri à la suite des dégâts causés par un missile israélien, alors qu’il protégeait ses garçons de sept et cinq ans de l’effondrement du mur de l’église orthodoxe Saint-Porphyre. Les deux familles s’étaient réfugiées ensemble, et le plus jeune garçon était ami avec son fils à l’école maternelle.

Mais parmi les horreurs de la vie en état de siège, le pire pour eux est peut-être ceci : le mari de Janet est coincé en Égypte.

« Je me sens comme la mère et la sœur de Moïse après qu’elles l’ont déposé entre les joncs », dit Hanna Maher, ancien pasteur de l’église baptiste de Gaza. « Tout ce que je peux faire, c’est regarder de loin. »

Né à Sohag en Haute-Égypte, Maher a été pasteur de la communauté évangélique de 2012 à 2020. Célibataire à son arrivée, il a épousé Janet, de père orthodoxe et de mère baptiste, au cours de sa première année de service à Gaza. Bien qu’il ait été appelé par Dieu à servir dans « les endroits difficiles », le ministère était éprouvant, tout comme le fait de devoir continuellement obtenir des autorisations pour des procédures d’entrée et de sortie compliquées sous l’occupation israélienne.

Depuis 2007, Israël et l’Égypte imposent un blocus à la bande côtière de 360 kilomètres carrés.

Chaque fois que la famille partait en vacances en Égypte, elle se disait qu’elle ne devrait pas retourner à Gaza. Mais jusqu’en 2020, chaque voyage s’est terminé par un engagement renouvelé d’Hanna Maher envers sa mission. Cette année-là, il accepte le poste de pasteur de l’église presbytérienne de Beni Suef, à 140 kilomètres au sud du Caire. Janet, qui a toujours espéré rester proche de sa famille élargie, se sent en paix.

Mais pas son mari. Trois ans plus tard, avec la bénédiction de Janet pour suivre à nouveau cet appel, il démissionne de son poste et, en mai dernier, la famille retourne à Gaza. N’étant plus soutenu comme missionnaire, il profite de ce voyage de prospection pour explorer les possibilités de service en dehors de la chaire. Envisageant la création d’un centre éducatif ou d’un centre de développement des petites entreprises, il retourne seul en Égypte le 28 septembre en quête d’éventuels partenaires dénominationnels.

Moins de deux semaines plus tard, la guerre commence et plus personne n’est autorisé à entrer ou sortir de la zone.

« Je ne peux pas me concentrer, je n’ai pas d’énergie et je n’ai pas pu dormir après l’attaque de l’église », rapporte Hanna Maher. « Je me contente de regarder les nouvelles et de prier pour ma famille. »

Il consacre une grande partie de sa journée à essayer de les contacter. Du matin au soir, il appelle le téléphone portable de Janet, mais les réseaux de communication ayant été endommagés par les bombardements, il faut des heures pour obtenir une connexion. Dans le meilleur des cas, ils peuvent avoir une conversation de cinq minutes, mais ils sont généralement interrompus au bout de 60 secondes.

Son fils a tenté un jour d’injecter un peu d’humour : C’est fantastique, papa, il n’y a pas d’école.

Des proches disparus après une frappe aérienne israélienne près de l’église Saint-Porphyre à Gaza.Adaptations par CT/Image source : fournie par Hanna Maher.
Des proches disparus après une frappe aérienne israélienne près de l’église Saint-Porphyre à Gaza.

Le sourire de Maher disparaît rapidement face aux statistiques de la guerre. Plus de 8 000 personnes auraient été tuées à Gaza, dont au moins 3 324 enfants, et 6 000 autres enfants auraient été blessés. Le ministère des Travaux publics a indiqué que 43 % des logements ont été détruits ou endommagés, et que plus de 1,4 million de personnes, sur une population de 2,2 millions d’habitants, ont été déplacées.

Avant qu’Israël ne rétablisse la deuxième des trois principales conduites d’eau, la quantité d’eau disponible pour pouvoir boire, cuisiner et se laver était estimée à 3 litres par jour et par personne, ce qui est bien inférieur aux 100 litres recommandés par l’Organisation mondiale de la Santé.

Le quartier de Tel al-Hawa, dans la ville de Gaza, où habite Maher, a subi d’importants bombardements israéliens. Vivant près de l’hôpital al-Quds — accusé d’être un repaire du Hamas — où environ 10 000 personnes déplacées de Gaza ont trouvé refuge, Janet n’a pas pu trouver de nourriture dans les rayons de l’épicerie locale.

Israël a accusé le Hamas de stocker de l’eau, de la nourriture et du carburant.

Janet est partie se réfugier à l’église orthodoxe grecque cinq jours après le début de la guerre, lorsqu’un ami musulman a été tué par une frappe israélienne sur l’immeuble voisin. Au début, elle et les enfants avaient toute la salle des funérailles pour eux seuls. Aujourd’hui, entre 400 et 500 personnes dorment côte à côte sur des matelas dans l’ensemble du complexe et partagent trois salles de bains.

La chapelle Saint-Porphyre, construite au 12e siècle sur un site chrétien remontant aux alentours de 425 apr. J.-C., porte le nom de l’évêque local qui a évangélisé la région. Le Conseil des Églises du Moyen-Orient a estimé qu’environ 380 chrétiens y trouvaient abri. Les autres sont des musulmans, et tous sont répartis dans les sept bâtiments du complexe.

Après le bombardement du 19 octobre, qui, selon les forces de défense israéliennes, visait un centre de commandement du Hamas situé à proximité, deux musulmans ont été recensés parmi les morts aux côtés de 18 chrétiens.

Outre le cousin de Janet, on compte parmi les victimes une de ses amies proches, la sœur d’un ancien de l’église baptiste, le bibliothécaire baptiste, sa femme et sa petite-fille, ainsi que de trois enfants qui fréquentaient régulièrement l’école du dimanche chez les baptistes.

Avant le bombardement, Janet lisait la Bible et priait avec de nombreuses personnes.

« Elle encourageait les autres dans le refuge », raconte son mari. « Maintenant, elle a besoin de quelqu’un pour l’encourager. »

Les victimes étaient également liées à des évangéliques en Cisjordanie et en Jordanie. Un autre ancien pasteur de l’église baptiste de Gaza, Hanna Massad, a perdu sa tante, tandis que Munir Kakish, président du Conseil des églises évangéliques locales en Terre sainte, a perdu la femme et les deux enfants de son fils adoptif. Aux États-Unis, dans le Michigan, Justin Amash, ancien républicain du Tea Party et premier Palestinien américain élu au Congrès, a perdu plusieurs membres de sa famille chrétienne élargie, dont deux jeunes femmes.

Mais à Gaza, il peut s’avérer difficile de trouver des encouragements pour Janet.

La population chrétienne locale était d’environ 7 000 personnes lorsque le Hamas a pris le contrôle de l’enclave en 2007. Ce nombre était tombé à environ 3 000 au moment où Maher est devenu pasteur. Mais il précise que les chrétiens, qui seraient aujourd’hui moins de 1 000, fréquentent rarement l’église. Les mêmes 100 personnes — souvent à la recherche d’aide — constituent l’essentiel de l’assistance des trois églises de Gaza.

Il prie pour que cette guerre les pousse à invoquer Dieu, mais la vie en état de siège n’a pas encore suscité de réveil. Au contraire, certains sont convaincus que Dieu les a abandonnés, voyant pour leur génération l’accomplissement de Sophonie 2.4 : « Gaza sera abandonnée. »

« Pendant huit ans, en tant que pasteur, je leur ai répété que ce n’était pas le cas », raconte Maher. « Mais si je me mets à leur place maintenant, il est difficile de leur demander de faire confiance à Dieu. »

Mais Janet et les autres n’ont guère d’autre choix. La famille reste à l’église orthodoxe, malgré les appels frénétiques de son mari à trouver un endroit plus sûr après le bombardement.

« Elle m’a demandé : “Où pourrions-nous aller ?” »

À l’église catholique ? — Elle est pleine.

Retourner à notre appartement ? — Il n’y a pas de nourriture.

Au sud ? — Maher savait déjà que cela ne fonctionnerait pas.

Il a été en contact avec un croyant qui a répondu aux appels d’Israël pour l’évacuation totale des civils de la ville de Gaza et du nord. Plus de 800 000 personnes ont fui leur domicile.

Mais il n’a pas trouvé d’abri, et moins de nourriture que là d’où il venait.

La famille MaherImage : fournie par Hanna Maher
La famille Maher

La campagne de bombardements n’a fait que s’intensifier dans le sud, le ministère de la Santé de Gaza ayant indiqué que les deux tiers des frappes effectuées au cours de la deuxième semaine de la campagne visaient la région la moins urbanisée. L’histoire de ce croyant faisant finalement du stop pour rentrer chez lui s’ajoute à d’autres récits similaires d’habitants de Gaza qui se demandent où l’on pourrait réinstaller une telle quantité de gens.

De nombreux analystes, en particulier en Égypte, craignent qu’ils ne soient chassés plus loin.

Après la guerre de 1967, certains responsables israéliens avaient proposé de transférer les Palestiniens de Gaza dans la péninsule du Sinaï. Le ministère israélien du renseignement a reconnu la présence de la même idée dans un « document de réflexion » actuel, tandis que l’ancien premier ministre Naftali Bennett a proposé que l’Égypte, la Turquie et l’Écosse accueillent « temporairement » les réfugiés de Gaza. La demande de financement pour Israël [adressée à la chambre des représentants] par la Maison-Blanche comprend des dispositions humanitaires pour « répondre aux besoins potentiels des habitants de Gaza fuyant vers les pays voisins ».

Des dizaines de blessés ont été évacués par la frontière de Rafah, ainsi que des centaines de détenteurs de passeports étrangers. Hanna Maher s’est désespérément adressé aux autorités religieuses en Égypte et à son ambassade en Cisjordanie, afin d’ajouter sa famille à la liste.

Ses enfants possèdent la nationalité égyptienne, mais pas Janet.

« J’ai l’impression que ma tête va exploser », dit-il. « Ils n’ont pas de carburant pour atteindre la frontière, et la seule autre option est de rester au milieu des combats. »

La plupart des chrétiens de Gaza vivent dans la vieille ville de la capitale de l’enclave. L’hôpital anglican al-Ahli, où se trouve l’église baptiste, n’est qu’à cinq minutes de marche de l’enceinte orthodoxe. Selon les informations disponibles, la majorité des habitants restent sur place malgré l’avis d’évacuation. Beaucoup ont trouvé abri dans les églises. La semaine dernière, neuf bébés ont été baptisés par « peur que quelque chose de grave n’arrive » à nouveau.

« Que pouvons-nous faire d’autre ? » demande Kamel Ayyad, responsable de la communication pour l’église Saint Porphyre. « Nous voulons que l’Église vivante poursuive son témoignage à Gaza. »

Maher s’adresse à toutes les confessions dans ses courtes conversations téléphoniques.

« Ils pensaient qu’ils seraient en sécurité », dit-il. « Mais maintenant, ils me le disent tous : Nous n’avons aucun espoir, nous allons mourir, ils nous exterminent. »

Comme de nombreux Palestiniens de Gaza, les chrétiens locaux n’ont pas d’amour particulier pour le Hamas. Selon un sondage réalisé en juillet, 70 % de la population est favorable au régime de l’Autorité palestinienne (AP) et 62 % au maintien du cessez-le-feu. La moitié des sondés déclarent que le Hamas devrait cesser d’appeler à la destruction d’Israël et accepter une solution à deux États. Près des trois quarts qualifient le Hamas de « corrompu ».

Pourtant, les Palestiniens ne disposent que de peu d’alternatives pour surmonter le siège. Environ trois quarts d’entre eux soutiendraient le Jihad islamique, rival du Hamas, tandis qu’un autre sondage a révélé que 79 % des habitants de Gaza étaient favorables à la résistance armée contre l’occupation israélienne du territoire palestinien.

Des proches disparus après une frappe aérienne israélienne près de l’église Saint-Porphyre à Gaza.Adaptations par CT/Image source : fournie par Hanna Maher
Des proches disparus après une frappe aérienne israélienne près de l’église Saint-Porphyre à Gaza.

Dans un sondage réalisé en 2020 auprès des chrétiens de Cisjordanie et de Gaza, seuls 66 % d’entre eux exprimaient leur confiance dans l’Autorité palestinienne, tandis que 69 % s’inquiétaient de l’existence de factions armées analogues au Hamas. Une majorité (61 %) serait favorable à la solution d’un État unique.

Le chef du Hamas, Ismail Haniyeh a toutefois déclaré que ses actions représentaient l’ensemble de la société gazaouie. Le président israélien Isaac Herzog a abondé dans ce sens, déclarant que les habitants de Gaza portaient une responsabilité collective.

Maher, quant à lui, est fatigué de ces rhétoriques politiques. Il a été stupéfait d’entendre un pasteur américain déclarer sur Facebook que « tous les habitants de Gaza sont des terroristes ». Il ne s’agissait pas pour lui d’une simple connaissance. Maher avait déjà aidé ce pasteur à mettre au point un programme en direction des Arabes de sa communauté. Après plusieurs échanges, le pasteur dit maintenant qu’il prie pour les innocents des deux côtés.

C’est un progrès, dit Maher.

Mais d’une manière générale, il est en colère — contre le Hamas, contre Israël et contre l’approche occidentale de cette guerre. Pendant que le monde débat de la légitimité de la campagne de bombardements menée par Israël pour éradiquer le terrorisme implanté dans l’une des zones urbaines les plus densément peuplées du monde, sa femme et ses enfants incarnent dans leur propre chair les dommages collatéraux que beaucoup négligent dans leurs prises de position politiques.

Comme ils incarnent aussi le corps du Christ.

Soucieux d’être bien compris, Hanna Maher choisit ses mots avec soin. Mais il a un message qui va au-delà de sa demande de prière pour la sécurité et la paix, malgré le deuil de ses proches et de ses anciens paroissiens.

« Soyez humains », dit-il. « Souvenez-vous des enfants tués dans cette guerre et ayez de l’empathie. »

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Books

16 alliances évangéliques demandent un cessez-le-feu à Gaza et condamnent le Hamas.

La déclaration publiée par les associations régionales et nationales en faveur d’une « paix juste » va plus loin d’un point de vue biblique que d’autres appels analogues.

Église orthodoxe grecque Saint-Porphyre à Gaza.

Église orthodoxe grecque Saint-Porphyre à Gaza.

Christianity Today November 6, 2023
Agence Anadolu/Contributeur/Getty

Alors que les victimes civiles de la guerre entre Israël et le Hamas se multiplient à Gaza, 16 alliances et associations évangéliques appellent à un cessez-le-feu humanitaire immédiat.

Mais leur déclaration de lamentation, de repentir et de condamnation du 1er novembre va plus loin.

« Nous appelons l’Église et les croyants à accroître et intensifier dans la région un travail d’établissement d’une paix juste et promotrice une justice réparatrice, et à le faire en faisant preuve d’empathie et d’humilité », déclarent les signataires. « La paix ne peut être atteinte que lorsque les cycles de la violence sont brisés et que les auteurs et les victimes sont libérés de leur désir de vengeance. »

Au nombre des associations régionales de l’Alliance évangélique mondiale (AEM) au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique latine signataires du texte, on trouve des organismes représentatifs d’Algérie, d’Égypte, d’Éthiopie, d’Inde, d’Irak, de Jordanie, du Kenya, du Kurdistan, du Népal, du Qatar, d’Afrique du Sud et du Sri Lanka, ainsi qu’une alliance arabophone d’Europe.

Reconnaissant leur compréhension « incomplète » de la complexité géopolitique de la situation et des desseins eschatologiques de Dieu, la déclaration déplore la perte tragique de vies humaines, se repent du soutien insuffisant apporté au rétablissement de la paix et dénonce le fait que la communauté mondiale n’a pas su « assurer le respect » du droit humanitaire international.

Mais l’appel commun, relayé notamment par les affiliés de l’AEM en Inde et en Amérique latine, est également plus clair dans des domaines où d’autres déclarations chrétiennes sur la guerre ont été accusées de ne pas être à la hauteur.

Les alliances condamnent toutes les formes d’antisémitisme, appellent le Hamas à libérer tous les otages et qualifient de « déplorable et méprisable » le « plus grand massacre de civils juifs en un seul jour depuis l’Holocauste ».

Cependant, le texte affirme également qu’« Israël, dans sa poursuite du Hamas, a causé davantage de morts parmi les civils ». Il situe ces violences dans le cadre d’un conflit qui dure depuis des décennies et dans lequel, « sans garantir la justice, l’égalité et l’épanouissement de tous en Terre sainte, aucun groupe de population n’obtiendra la sécurité ».

Ce message, de l’avis de beaucoup, est la raison pour laquelle d’autres déclarations restaient insatisfaisantes.

« Nous nous sommes associés à cet effort pour attirer l’attention sur les différentes perspectives au sein de la communauté évangélique mondiale », rapporte Vijayesh Lal, secrétaire général de l’Alliance évangélique indienne, membre fondateur de l’AEM. « Tout d’abord pour une bonne compréhension, mais aussi pour promouvoir la paix, il est nécessaire de présenter divers points de vue autres que ceux qui sont normalement étiquetés comme “la position évangélique”. »

L’alliance sud-africaine a déclaré qu’elle ne voulait pas répéter les erreurs du passé.

« Au plus fort de l’apartheid, la voix évangélique dans le monde était largement inexistante ou, au mieux, cherchait à adopter une position neutre face à nos souffrances », dit Moss Nthla, son secrétaire général. « Nous avons estimé qu’il se passait la même chose avec la guerre d’Israël contre Gaza. »

L’alliance du Kenya voulait une condamnation claire des atrocités commises contre les citoyens d’Israël. Elle souligne également le plus grand nombre de morts parmi les Palestiniens, tout en estimant que le Hamas est passé maître dans l’utilisation de boucliers humains.

Et des évangéliques font partie de ceux qui souffrent à Gaza, note l’alliance en lançant un appel à tous pour un « état d’esprit humanitaire ».

« Nous nous adressons à la communauté internationale : n’ignorez pas le sort des civils qui souffrent », déclare Nelson Makanda, secrétaire général de l’Alliance évangélique du Kenya. « C’est notre devoir de chrétien. »

Cette déclaration s’inscrit dans le cadre d’une récente série d’appels internationaux à l’arrêt des combats.

« Cessez le feu, cessez le feu. Frères et sœurs, arrêtez ! » appelait le pape François. « La guerre est toujours une défaite, toujours. »

Le Conseil œcuménique des Églises et les Églises pour la paix au Moyen-Orient ont également soutenu un cessez-le-feu. La communion anglicane, cependant, faisait face à un désaccord interne dans les termes à adopter.

À la suite des décès causés par une frappe aérienne israélienne à proximité de l’église orthodoxe Saint-Porphyre, l’archevêque de Canterbury Justin Welby s’est joint aux patriarches et aux chefs des Églises de Jérusalem pour appeler à un cessez-le-feu humanitaire immédiat.

Citant Matthieu 25.35 — j’avais faim et vous m’avez donné à manger — les religieux ont insisté sur la livraison de biens de première nécessité aux agences humanitaires, y compris la leur.

« Même face aux demandes incessantes de l’armée d’évacuer nos institutions caritatives et nos lieux de culte, nous n’abandonnerons pas cette mission chrétienne. »

L’Église d’Angleterre que dirige Welby a toutefois publié une déclaration légèrement différente.

Citant Ésaïe 2.4 — ils n’apprendront plus la guerre — elle affirme le droit d’Israël à l’autodéfense tout en appelant à des « pauses » humanitaires immédiates.

La sémantique est importante dans la diplomatie internationale, et la question de la formulation divise également les Nations unies. Après avoir échoué quatre fois au Conseil de sécurité des 15 membres — une fois à cause du veto des États-Unis, une fois à cause du veto de la Russie et de la Chine — l’Assemblée générale a adopté une troisième approche dans son appel non contraignant à une « trêve humanitaire immédiate, durable et soutenue ». La mesure a été adoptée par 120 voix contre 14.

Le Royaume-Uni fait partie des 45 pays qui se sont abstenus. L’amendement du Canada visant à dénoncer le Hamas a été rejeté. Les États-Unis ont voté contre la résolution. Ils soutiennent une « pause », mais estiment qu’un cessez-le-feu n’est pas approprié « à ce stade ».

Israël a vivement critiqué le fait que le Hamas n’ait pas été condamné.

« Pourquoi les besoins humanitaires des habitants de Gaza sont-ils […] la seule question sur laquelle vous vous concentrez ? », a demandé son ambassadeur auprès des Nations unies.

Tony Perkins, président du Family Research Council, [une organisation américaine de lobbying chrétien], note que la résolution de l’ONU est intervenue au moment où Israël était prêt à entamer sa campagne terrestre.

« L’entrée dans la bande de Gaza », analyse-t-il, « suscite des réactions négatives de la part des sympathisants des Palestiniens au sein des Nations unies et dans le monde entier. »

Le Philos Project [une association chrétienne engagée pour la paix au Proche-Orient] a déclaré qu’un cessez-le-feu était la « mauvaise solution ».

« Il n’est pas possible de négocier la paix avec un parti qui la rejette par principe », a-t-il déclaré, citant l’article 13 de la charte du Hamas. « Le Hamas poursuivra son cycle violent d’attaques contre Israël, Israël ripostant en légitime défense, les Palestiniens mourants et le monde blâmant Israël. L’éradication du Hamas est la seule voie vers une solution à deux États, et un cessez-le-feu ne fera que perpétuer les effusions de sang. »

Le Hamas lui-même l’admet.

« Le déluge d’Al-Aqsa n’est qu’une première, et il y aura une deuxième, une troisième, une quatrième, parce que nous avons la détermination, la volonté et les capacités de nous battre », a déclaré Ghazi Hamad, membre du bureau politique de l’organisation. « Devrons-nous en payer le prix ? Oui, et nous sommes prêts à le payer. »

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou s’est joint à ceux qui citent les Écritures à propos du conflit.

« Il y a un temps pour la paix et un temps pour la guerre. L’heure est à la guerre, une guerre pour notre avenir commun », a-t-il déclaré en se référant à Ecclésiaste 3.8. « Chacun doit maintenant choisir de quel côté il veut se tenir. »

La seule référence biblique explicite de la déclaration des 16 alliances évangéliques renvoie à un prophète égaré.

« Nous demandons humblement à Dieu de nous guider dans nos prières pour le Moyen-Orient, afin que nous ne soyons pas insensibles comme Jonas et déconnectés des plans de Dieu visant à réconcilier tous les peuples avec lui-même. »

L’impulsion est venue de l’extérieur du monde arabe, à l’initiative d’alliances en Afrique du Sud et au Kenya, rapporte Jack Sara, secrétaire général de l’Alliance évangélique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Ces alliances voulaient selon lui « laver leur nom et leur témoignage » face à l’opinion publique mondiale.

Mais elles voulaient aussi un soutien aussi large que possible.

À la recherche d’un consensus au sein de l’AEM, Sara explique que le soutien officiel de l’organisation dépendait de l’accord de son alliance israélienne.

« L’AEM a travaillé avec les alliances nationales de la région pour parvenir à un accord sur une déclaration commune qui ferait suite à la déclaration initiale que nous avons publiée », raconte Janet Epp Buckingham, directrice du plaidoyer international pour l’AEM, « mais cela s’est avéré très difficile ».

Danny Kopp, secrétaire général de l’Alliance évangélique d’Israël, estime qu’il y avait « beaucoup de choses à approuver » dans la déclaration. Mais il n’a pas pu y apposer sa signature.

« Je suis tout à fait d’accord pour dire que nous sommes avant tout appelés à être des artisans de la paix et qu’une déclaration commune enverrait un message fort », dit-il. mais qu’entendent les signataires de cette déclaration par « paix » ?

Il évoque Jérémie 6.14 : « Ils pansent à la légère la plaie de la fille de mon peuple : Paix ! paix ! Disent-ils ; et il n’y a point de paix. » (NEG)

Kopp critique cette déclaration pour trois raisons.

Tout d’abord, elle ne laisse pas à Israël la possibilité de se défendre. Deuxièmement, elle blâme Israël pour la mort des civils que le Hamas utilise comme boucliers humains. Et troisièmement, elle rend Israël responsable d’un nombre disproportionné de victimes qu’il n’a pas pu éviter.

Israël n’a pas de « permis général » de tuer, dit-il. Mais le pays a le devoir d’utiliser la « force violente ». Si l’initiative conjointe avait répondu à ces préoccupations, il aurait été disposé à y participer.

« La déclaration, telle qu’elle est formulée aujourd’hui, va à l’encontre de la recherche de la paix », estime Kopp. « Il s’agit d’une capitulation pacifiste face à des meurtres de masse qui n’est ni morale ni chrétienne. »

De quelque manière qu’on les interprète, les victimes sont de plus en plus nombreuses.

L’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens a déclaré qu’un cessez-le-feu humanitaire immédiat était désormais « une question de vie ou de mort ». Près de 1,5 million de personnes sont déplacées, un tiers des hôpitaux ne fonctionnent plus, et les pompes à eau et les usines de dessalement dans le sud de la bande se sont presque complètement arrêtés en raison du manque de carburant. Le directeur de l’Agence, Philippe Lazzarini, a accusé Israël d’infliger une « punition collective » aux citoyens de Gaza, déclarant que la « poignée de convois » autorisés à entrer ne permettra pas de répondre aux besoins de deux millions de personnes.

L’idée d’un cessez-le-feu est soutenue par des organisations humanitaires telles que Caritas, Christian Aid, le Comité central mennonite et Oxfam. World Vision « exhorte toutes les parties à assurer d’urgence l’acheminement de l’aide essentielle », tandis que Samaritan’s Purse a déclaré que « pour l’instant, l’accès humanitaire à Gaza n’est pas possible », mais que l’association « se tient prête » à apporter son aide et a proposé son assistance aux autorités israéliennes.

Cependant, quelle que soit l’ampleur de l’aide nécessaire dans les deux pays, la déclaration commune des 16 alliances évangéliques s’achève en attirant l’attention des lecteurs sur des problèmes qui se posent aussi ailleurs dans le monde. Elle rappelle notamment les conflits armés et leurs conséquences au Soudan, en Azerbaïdjan-Arménie, au Yémen, en Ukraine-Russie et au Myanmar.

Elle appelle à prier pour « la paix, la justice, la guérison et la réconciliation ».

« L’escalade militaire et le bombardement de civils ne pourront jamais favoriser la paix », dit Vijayesh Lal. « Il y a certes la paix du cimetière, mais est-ce la direction que nous devons prendre ? »

Il est difficile de trouver la paix, dit le dirigeant évangélique indien, et plus difficile encore pour certains en raison de problèmes historiques. Cependant, la déclaration commune cherche à « transcender » une approche souvent limitée aux perspectives du Moyen-Orient et de l’Occident en incluant des nuances d’autres origines culturelles et régionales.

« Les évangéliques d’Afrique et d’Asie ont montré qu’ils comprenaient le conflit et qu’ils étaient capables de s’engager de manière empathique dans la recherche de la paix », dit Lal. « Je pense que c’est très utile. »

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Books

Guerre en Israël : le complexe exercice de positionnement des évangéliques arabes.

Les chrétiens du Moyen-Orient rejettent la violence tout en exprimant leur frustration face au manque de reconnaissance occidental de la réalité de l’occupation et des dommages collatéraux des bombardements.

Opérations de recherche et de sauvetage dans l’église orthodoxe grecque historique Saint-Porphyre après une frappe aérienne israélienne à Gaza.

Opérations de recherche et de sauvetage dans l’église orthodoxe grecque historique Saint-Porphyre après une frappe aérienne israélienne à Gaza.

Christianity Today October 30, 2023
Ali Jadallah/Anadolu/Getty Images

Depuis le déclenchement de la guerre après les attaques terroristes sans précédent du Hamas contre Israël, diverses Églises, comités et responsables du Moyen-Orient ont exprimé leur indignation face au massacre de milliers de civils innocents.

De nombreux groupes chrétiens arabes ont fait des déclarations publiques. La plupart d’entre elles insistent sur l’appel des chrétiens à être des artisans de paix. Plusieurs ont cependant été critiquées pour ce que certains considèrent comme un manque d’attention à la souffrance des civils juifs ciblés par les terroristes.

Issues de Palestine, d’Égypte, de Jordanie et du Liban — beaucoup ayant été suscitées par le tragique bombardement de l’hôpital anglican de Gaza — les déclarations publiques varient en termes d’approche et d’intensité. Certains affirment que la communauté internationale néglige le contexte de l’occupation par l’État israélien ; d’autres rappellent à l’Église mondiale la présence continue des chrétiens sur le territoire.

Nous avons examiné les textes de neuf organisations arabes et de quatre organisations occidentales, la plupart de conviction évangélique, et sollicité le point de vue d’un juif messianique israélien et d’un évangélique arménien libanais. L’examen a révélé que peu de déclarations du Moyen-Orient désignaient le Hamas comme acteur terroriste, alors que nombre d’entre elles critiquaient spécifiquement Israël lui-même.

L’une des déclarations les plus récentes est celle de l’organisation Musalaha, qui cite les deux acteurs du conflit.

Ce ministère de réconciliation, basé à Jérusalem, travaille avec des Israéliens et des Palestiniens de diverses origines religieuses en utilisant des principes bibliques pour aborder les questions qui les divisent dans le but de parvenir à la paix. Après deux semaines passées à observer dans la douleur le carnage généralisé, sa déclaration publique s’est concentrée sur la « lamentation » et appelle à une réponse réconciliatrice.

« Nous déplorons que des personnes, au nom de la justice, aient permis à la rage de perpétuer le cycle de la déshumanisation et d’excuser l’effusion de sang, comme en témoignent les attaques du Hamas et la réponse de l’armée israélienne », dit le communiqué. « Nous invitons les Palestiniens et les Israéliens à voir la dignité et l’humanité de l’autre en résistant ensemble de manière non violente pour un avenir meilleur. »

L’organisation chrétienne la plus représentative de la région s’est toutefois exprimée sans détour sur les souffrances que l’État juif impose selon elle à Gaza.

« Ce à quoi le peuple palestinien est exposé à Gaza n’est pas une réaction militaire à une action militaire », a déclaré le Conseil des Églises du Moyen-Orient (CEMO), « mais plutôt un génocide et un nettoyage ethnique, visant les détenus de la plus grande prison de l’histoire de l’humanité — et avec préméditation. »

Cette déclaration, la plus sévère des neuf déclarations arabes étudiées, qualifie la guerre de « guerre d’extermination » et appelle « toutes les personnes honorables » à intervenir.

Michel Abs, secrétaire général du CEMO, reconnaît que ce qu’il appelle « l’entité sioniste » a été attaquée et a réagi, mais estime qu’elle aurait dû s’arrêter là.

Le CEMO s’est concentré sur la dénonciation d’Israël pour la coupure d’eau dans la bande côtière densément peuplée de Gaza, la destruction des infrastructures médicales et les morts collatérales de citoyens sans défense. Il a appelé à l’arrêt de l’agression, à la levée du siège de Gaza et à ce que soient demandés des comptes à ce qu’Abs appelle « les forces d’occupation ».

Les membres du CEMO comprennent des Églises catholiques, orthodoxes et de nombreuses dénominations protestantes, dont la plupart sont désignées comme « évangéliques » dans l’usage local. Cependant, même si les différences entre courants chrétiens dans le paysage occidental ne sont pas aussi marquées dans le monde arabe, l’Alliance évangélique mondiale (AEM) intègre des organes qui ne sont pas représentés au sein du CEMO.

« Nous sommes globalement d’accord [avec la déclaration du CEMO], sans nécessairement adhérer à chaque mot », déclare Paul Haidostian, président par intérim de l’Union des Églises évangéliques arméniennes du Proche-Orient, une Église réformée d’expression piétiste non affiliée à l’AEM. « Mais est-ce qu’il y a des éléments d’extermination dans la guerre actuelle ? Je pense que oui. »

Jack Sara, secrétaire général de l’Alliance évangélique régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, a contribué à l’élaboration de la réponse officielle de l’AEM au « conflit en Terre sainte ». Mais il est également d’accord avec la déclaration du CEMO.

« Avec des milliers de Palestiniens qui meurent sans arrêt, elle décrit clairement les faits sur le terrain », estime-t-il. « À la limite, elle manque simplement d’implorer le monde d’intervenir. »

Les analystes observent que le Hamas s’installe dans des zones peuplées de civils et que les Forces de défense israéliennes (FDI) émettent souvent des avertissements avant de frapper des structures résidentielles. En prévision d’une invasion terrestre, les FDI ont demandé aux non-combattants d’évacuer le nord de la bande de Gaza ; le Hamas leur a demandé de rester sur place.

Les Nations unies ont cependant déclaré que Gaza représentait déjà une catastrophe humanitaire, avec plus de 6 500 morts et un million de personnes déplacées au 26 octobre, selon le ministère palestinien de la santé dirigé par le Hamas. Face au terrorisme du Hamas et à l’assassinat de 1 400 personnes, des civils pour la plupart, Israël est confronté à un dilemme de taille : la guerre urbaine nécessaire pour poursuivre les chefs terroristes à Gaza ne fera qu’aggraver la situation locale et enflammera de plus en plus l’opinion mondiale.

Mais alors que de nombreux évangéliques aux États-Unis et dans le monde soutiennent Israël, le Bethlehem Bible College (BBC) de Jack Sara a cosigné une déclaration chrétienne palestinienne d’une grande sévérité, appelant « les responsables d’églises et les théologiens occidentaux » à la repentance.

La déclaration s’ouvre sur une citation du prophète Ésaïe : Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, protégez l’opprimé ! (1.17)

« Les attitudes occidentales à l’égard de la Palestine-Israël souffrent d’un double standard flagrant qui humanise les Juifs israéliens tout en appuyant la déshumanisation des Palestiniens et le camouflage de leurs souffrances », peut-on lire dans le texte. « Le cœur brisé, nous considérons que certains auront à rendre compte de leur complicité théologique et politique. »

Tout en déplorant la « reprise du cycle de violence » et en condamnant « toutes les attaques contre les civils », le document reproche aux responsables chrétiens de ne pas évoquer le « contexte plus large et les causes profondes » de la guerre, notamment l’occupation en cours et le blocus de Gaza qui dure depuis 17 ans. Il rappelle que les trois quarts de la population de Gaza sont des descendants de Palestiniens déplacés lors du conflit qui a suivi la création d’Israël en 1948, qui leur refuse le droit au retour censé être le leur.

Jack Sara déplore que, dans les mois précédant la guerre, des juifs extrémistes et des colons israéliens aient multiplié les attaques contre les églises locales, crachant sur les prêtres tandis que les chrétiens du reste du monde restaient silencieux. Les croyants locaux ont souvent l’impression d’être une « nuisance » pour les tenants occidentaux de certaines théologies de la fin des temps, ou encore pour le discours de leurs gouvernements sur la région.

« Nous prions pour que l’Église soit l’Église, et non un organe politique qui prend parti », déclare Jack Sara dans un message sur YouTube. « Ce n’est plus l’origine ethnique qui compte pour Dieu — Jésus n’est plus seulement un Juif, il est tout pour tout le monde. »

Un responsable juif messianique a qualifié cette déclaration commune de « répréhensible ».

Non seulement les chrétiens palestiniens ne dénoncent pas ni ne mentionnent le Hamas ou le terrorisme, dit Michael Brown, animateur de l’émission de radio américaine Line of Fire, mais leur déclaration répète des « affirmations diffamatoires » selon lesquelles Israël aurait intentionnellement bombardé l’hôpital arabe al-Ahli le 17 octobre ainsi que l’église orthodoxe grecque Saint-Porphyre le 19 octobre. (Les FDI ont affirmé que les morts de l’hôpital avaient été victimes d’une roquette mal tirée par des militants du Jihad islamique, mais ont reconnu que les morts de l’église avaient été touchés par l’un de leurs missiles visant un bâtiment voisin.)

En outre, Brown critique une déclaration qui reprendrait des « clichés habituels de la gauche » qui assimilent le retour des Juifs dans leur antique patrie à un colonialisme de peuplement.

« Nous voulons nous montrer solidaires en tant que frères et sœurs en Jésus », dit Brown, qui a participé aux conférences « Christ at the Checkpoint » du Bethleem Bible College. « Mais repentez-vous de cet appel à la repentance profondément déficient afin qu’ensemble, nous puissions poursuivre la justice, la bonté, l’équité et la miséricorde. »

Le président de l’Alliance évangélique d’Israël compare les signataires à une femme battue.

« La plupart des chrétiens du Moyen-Orient n’ont pas la liberté de s’exprimer et de condamner la violence islamiste », dit Danny Kopp. « Le coût social, et souvent physique, est tout simplement trop élevé pour être envisagé. »

Au lieu de cela, ils se tairaient, se défileraient ou rejetteraient la faute sur les autres. Les abus traumatiques altèrent la capacité de jugement moral, dit-il. Mais après avoir assisté au « pire massacre de Juifs en un seul jour depuis l’Holocauste », les croyants arabes se trouvent à un moment crucial.

« Au moment même où les chrétiens auraient pu offrir une rare étincelle de vérité, l’Église s’est largement confinée dans un état de décadence morale et d’insignifiance », dit le responsable israélien.

Les évangéliques égyptiens — quoi que l’on pense de leur position — se sont exprimés dès le début.

La présidence des Églises protestantes d’Égypte (EPC), membre du CEMO et de l’AEM, a été l’un des premiers organismes régionaux à publier une déclaration. Un jour seulement après le massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre, elle publiait une condamnation non spécifique de « toutes les formes de violence et de conflit armé entre Palestiniens et Israéliens », mentionnant notamment les attaques contre des civils innocents.

Une deuxième déclaration serait venue soutenir la politique du gouvernement égyptien en matière d’apport d’aide humanitaire. Mais trois déclarations lui ont rapidement succédé, déplaçant l’attention sur les abus israéliens. Les EPC ont condamné le bombardement de l’hôpital de Gaza, puis ont désapprouvé l’idée de traiter le dossier palestinien avec des instruments militaires. Suite au bombardement qui a partiellement détruit l’église de Gaza, elles ont exprimé leur « profonde inquiétude face à la violence dirigée contre les zones résidentielles, depuis le tout début des événements ».

L’Égypte a été le premier pays arabe à conclure un traité de paix avec Israël. Les critiques d’Israël dans d’autres pays pourraient avoir fait évoluer certaines déclarations.

Ce qui a révolté de nombreux chrétiens arabes, c’est que le bombardement de l’hôpital a eu lieu le jour que les patriarches et les chefs des Églises de Jérusalem avaient appelé à consacrer au jeûne et à la prière. Deux jours auparavant, en réponse à l’appel d’Israël à évacuer le nord de la bande de Gaza, ces responsables exprimaient leur conscience de la colère des Israéliens en mettant en garde contre un « nouveau cycle de violence » qui avait commencé « par une attaque injustifiable contre des civils en Israël ».

Les responsables chrétiens de Jérusalem n’y dénonçaient ou ne mentionnaient toujours pas le Hamas, mais cette déclaration changeait tout de même par rapport à leur première réaction le jour des atrocités terroristes. Alors qu’Israël était encore sous le choc de la journée la plus meurtrière pour les Juifs depuis l’Holocauste, ces responsables s’étaient d’abord prononcés contre toute atteinte aux « civils palestiniens et israéliens ».

L’envoyé d’Israël au Vatican s’était alors indigné de cette « ambiguïté linguistique immorale ».

Qu’en est-il des évangéliques de Jordanie ?

Le 14 octobre, l’Alliance évangélique jordanienne (AEJ), membre de l’AEM, mais pas du CEMO, a publié une déclaration approuvant l’invitation à la prière des patriarches et responsables des Églises de Jérusalem. Reflétant la volonté de ses cinq églises membres, l’assemblée générale de l’alliance jordanienne a cependant voté pour éviter toute mention spécifique d’Israël ou du Hamas.

Une forte minorité souhaitait nommer Israël.

Selon Nabeeh Abbassi, président de la Convention baptiste jordanienne, une dénomination membre de l’AEJ, le Hamas est considéré comme un « libérateur » par de nombreux Palestiniens de Jordanie, qui représentent un pourcentage important, mais contesté, de la population du royaume. Souhaitant ne pas être perçue comme allant à l’encontre de ce sentiment, l’Alliance évangélique a choisi de « ne pas faire de politique » et de se concentrer sur une humanité commune.

La déclaration de l’AEJ condamne le « cycle actuel de violence et de contre-violence », tout en mentionnant une « agression contre le peuple palestinien ». Néanmoins, le Sermon sur la Montagne encourage ces croyants à être des artisans de paix, le dialogue et la négociation étant vus comme les moyens nécessaires pour mettre fin à une politique israélienne d’expansion des colonies qui n’est pas nommée.

« La violence engendre la violence », déclare l’AEJ, « l’occupation crée la résistance et le siège aboutit à l’explosion ».

Cette formule est une explication, dit Abbassi, et non une justification.

« Le Hamas est à l’origine des troubles. » « Israël a le droit de se défendre. Mais il a ensuite fait bien pire. »

Nabeeh Abbassi estime que trop de chrétiens occidentaux soutiennent Israël en raison d’une compréhension erronée de la théologie. Bien que lui-même dispensationaliste, le pasteur jordanien estime qu’il n’appartient pas aux croyants de hâter le calendrier eschatologique de Dieu.

Il renvoie à Actes 1.6-8, où les disciples demandent à Jésus ressuscité s’il va restaurer le royaume d’Israël. Il rappelle que Jésus refuse de répondre à la question, appelant plutôt les croyants à être ses témoins.

« Si nous voulons aider Dieu, c’est cela que nous devons faire. » « Ne pas prendre parti, mais aimer les uns et les autres et partager l’Évangile avec tous. »

Mais à la suite de ce qu’il a qualifié de « raid brutal » contre l’hôpital anglican, Nabeeh Abbassi rapporte que sa dénomination s’était sentie obligée de publier sa propre déclaration, et qu’elle avait ensuite été encore affligée par la frappe contre l’église orthodoxe grecque. Il blâme la politique de la « machine de guerre » israélienne qui prend pour cible aussi bien les musulmans que les chrétiens, sans faire de différence entre les civils et le personnel militaire.

« Le Hamas est un groupe, Israël est un État », dit Abbassi. « On peut attendre du Hamas qu’il fasse n’importe quoi, mais j’attends d’Israël qu’il fasse ce qui est juste. »

La déclaration de sa dénomination en Jordanie est associée à un rare moment de reconnaissance dans le pays. Presque tous les médias jordaniens ont qualifié l’hôpital de Gaza de « baptiste », reflétant ainsi la perception populaire installée par son administration baptiste pendant la guerre de 1967.

C’était l’occasion de « montrer notre cœur » au Jordanien moyen — Abbassi a donné trois interviews télévisées après la veillée de prière — ainsi que l’accord des chrétiens locaux avec une politique gouvernementale qui défend les droits des Palestiniens tout en préservant la paix avec Israël, le royaume hachémite du roi Abdallah étant le gardien historique des sites religieux musulmans et chrétiens de Jérusalem.

Les évangéliques libanais avaient des objectifs variés.

« Certains voulaient une déclaration à montrer au gouvernement, d’autres à montrer aux musulmans », rapporte Joseph Kassab, président du Conseil suprême de la communauté évangélique en Syrie et au Liban. « Mais je voulais qu’elle reflète simplement notre foi et notre théologie. »

Encouragé par plusieurs dirigeants locaux à s’exprimer après l’explosion de l’hôpital, le document libanais fait référence à la loi du talion que Jésus invite à dépasser, mais qui reste présente selon Kassab chez les juifs et les musulmans. Selon cette logique, le terrorisme du Hamas mériterait une réponse égale, mais pas double. Cependant, dit-il, Israël a décuplé la rétribution.

Alors que la dissuasion par une réponse écrasante fait partie des fondements de la stratégie militaire israélienne, Joseph Kassab estime que les chrétiens devraient employer une métrique différente.

« On ne peut pas travailler pour la paix et la réconciliation et donner son soutien inconditionnel à qui que ce soit. »

Au contraire, en cherchant à se concentrer sur la nécessité d’une solution juste pour l’ensemble du conflit israélo-palestinien, la déclaration libanaise n’a désigné ni Israël ni le Hamas comme adversaires.

Que se passerait-il si l’Iran entrait en guerre, ou les États-Unis ?

Estimant que les actions « tristes et malheureuses » du Hamas visaient à perturber les récents efforts de normalisation arabe avec Israël, connus sous le nom d’accords d’Abraham, Joseph Kassab considère clairement que ni la Palestine ni la région n’ont d’avenir si l’idéologie islamiste parvenait à s’imposer.

Israël, cependant, a à ses yeux multiplié les atrocités. Il mentionne les milliers d’immeubles d’habitation détruits à Gaza et l’appel aux réfugiés — plus tard révisé — à « sortir » et à fuir par la frontière méridionale de la bande de Gaza vers l’Égypte. Les déplacements de Palestiniens en 1948 et 1967 sont devenus des installations permanentes.

Malgré cela, il estime que la déclaration du CEMO n’était pas entièrement justifiée.

« Israël n’a peut-être pas une intention exterminatrice, mais s’il continue à agir de la sorte, c’est à cela que les choses aboutiront », dit Kassab. « Si vous n’aimez pas le mot, remplacez-le par un autre, mais cela ne changera pas l’ampleur de la violence. »

Munir Kakish, président du Conseil des églises évangéliques locales de Terre sainte, affilié à l’AEM, a pris ses distances par rapport à la déclaration du CEMO :

« Lorsque nous serons invités à leurs réunions, je pourrai alors exprimer mon opinion, »

Soulignant l’appel à être un pont pour la paix et la réconciliation, sa déclaration du 18 octobre n’était pas dirigée contre un parti ou l’autre. Centrée sur la seule bande de Gaza, elle ne mentionne ni le Hamas ni Israël et appelle à une aide humanitaire immédiate et à un traité de paix global.

« Ce qui est arrivé aux hôpitaux et aux écoles de Gaza est inacceptable au regard de toutes les lois et conventions internationales », a déclaré ce Conseil, qui s’est ensuite fait l’écho de 1 Timothée 2.2. « Nous lançons un appel à toutes les parties pour une cessation immédiate de la guerre […] afin que nous puissions vivre une vie paisible dans la piété et la dignité. »

Mais aussi pour prêcher l’Évangile. Pour Kakish, les événements actuels font partie des « guerres et rumeurs de guerres » que Jésus a prédites avant la fin des temps. Le mal augmente comme à l’époque de Noé, dit-il, et la porte de l’arche sera bientôt fermée.

« Il est temps pour l’Église de se réveiller et d’accomplir son mandat missionnaire au lieu de se laisser distraire par d’autres choses. »

Les chrétiens arabes ne sont bien sûr pas seuls à faire des déclarations.

Contrairement à leurs homologues du Moyen-Orient, la Commission pour l’éthique et la liberté religieuse (ERLC) de la Convention baptiste du Sud aux États-Unis, l’Association nationale des évangéliques (NAE) américains et l’Alliance évangélique mondiale ont rapidement et nommément condamné le Hamas.

L’ERLC a émis la déclaration pro-israélienne la plus forte.

Reconnaissant les différentes positions théologiques sur la relation entre Israël et l’Église, la déclaration des baptistes du Sud rappelle que le peuple juif a « longtemps enduré des tentatives génocidaires visant à l’éradiquer et à détruire [son] État ». Citant Israël comme un « rare exemple de démocratie » dans la région, l’ERLC se réfère à Romains 13 pour soutenir le droit du gouvernement israélien à « porter l’épée » contre les actes de malveillance à l’égard de la vie innocente.

En outre, la déclaration de l’ERLC affirme « la dignité et le caractère personnel de toutes les personnes vivant au Moyen-Orient » et prie pour « le difficile ministère des croyants juifs et palestiniens qui œuvrent pour l’Évangile ».

[Note au lecteur : Le rédacteur en chef de notre magazine, Russell Moore, ancien président de l’ERLC, a signé la déclaration aux côtés de 2 000 autres responsables.]

Ses homologues de l’Alliance baptiste mondiale (ABM) se sont concentrés sur la Palestine, notant l’héritage baptiste du sud de l’hôpital Al-Ahli tout en « plaidant pour la protection de tous les citoyens et l’établissement d’une paix véritable ».

Comptant 17 églises baptistes en Israël et 13 dans les territoires palestiniens — dont une à Gaza — l’ABM a appelé à « des voies d’apaisement qui rejettent sans équivoque le terrorisme ». « Au milieu de la complexité », elle exhorte à la « poursuite de la justice réparatrice et de la paix ».

Le secrétaire général Elijah Brown a donné l’exemple du guide de prière de l’ABM.

« Convaincus qu’en tant qu’ambassadeurs de la paix, nous ne devons pas mettre l’accent sur des approches créatrices d’antagonisme politique », nous a-t-il déclaré, « nous devons nous efforcer de façonner une voix partagée d’engagement commun. »

L’Alliance évangélique aux États-Unis (NAE) a également reconnu le droit d’Israël à se défendre. Mais elle a toutefois mis en garde Israël contre le risque de compromettre sa propre sécurité en allant au-delà pour « se venger » et infliger de nouvelles souffrances à des civils innocents. L’AEM a exprimé sa « stupéfaction » face aux manifestations qui semblaient se réjouir des premiers meurtres, tout en encourageant tous les efforts de désescalade de la violence.

Tous deux ont appelé à une paix juste — une expression qui n’est pas utilisée par l’ERLC — mais aucun des deux organismes n’a publié de déclaration évaluant ce qu’il en est depuis lors. Étant donné que la NAE a réaffirmé le rôle des évangéliques pour « critiquer de manière constructive les responsables gouvernementaux », serait-ce nécessaire aujourd’hui ?

« La doctrine de la guerre juste, de par sa nature même, comporte un cadre avec des limites sur la manière dont la guerre peut être menée, notamment l’interdiction de cibler des civils innocents », nous rappelle le président de l’ERLC, Brent Leatherwood. « Notre préoccupation pour les personnes vulnérables ne connaît pas de frontières, mais nous devons rester lucides quant aux responsables de ce conflit. »

Le président de la NAE, Walter Kim, a également cité la tradition chrétienne.

« La plupart des évangéliques s’appuient sur les principes classiques de la guerre juste pour rechercher la justice tout en limitant la violence. Israël a le droit de se défendre contre le Hamas, qui poursuit ses attaques », dit-il. « Les autres principes de la guerre juste comprennent l’intention juste, la rétribution limitée, la recherche de la paix à long terme et la protection des innocents. »

Il laisse au lecteur le soin de juger ce qu’il en est.

Thomas Schirrmacher, secrétaire général de l’AEM, a déjà son avis.

« Israël est toujours dans une situation d’autodéfense », estime-t-il. « Comme l’indiquent clairement ces attentats, ces personnes veulent tuer tous les Juifs et rayer Israël de la carte. »

Soulevant de sérieux doutes quant à la culpabilité d’Israël dans le bombardement contre l’hôpital, Schirrmacher accuse les responsables palestiniens — en Cisjordanie, gouvernée par l’Autorité palestinienne, ainsi qu’à Gaza, contrôlée par le Hamas — d’avoir échoué à construire un État fonctionnel. Le Hamas s’étant engagé dans la voie du terrorisme, la chose est impossible pour Gaza en tout cas.

Il souligne toutefois que tous ses commentaires sont formulés à titre personnel. L’AEM représente des alliances et des partenariats nationaux dans 173 pays, dont celles dirigées par Munir Kakish, Danny Kopp et une autre axée sur les citoyens arabes d’Israël.

L’alliance régionale du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord est en désaccord avec l’alliance régionale européenne de l’AEM sur les spécificités d’une définition de l’antisémitisme, rapporte Schirrmacher, tandis qu’une alliance évangélique en Azerbaïdjan est embarrassée par la condamnation par l’AEM des violations des droits de l’homme commises par ce pays du Caucase à l’encontre des Arméniens dans le Haut-Karabagh.

Il s’efforce également de trouver un équilibre entre les croyants d’Ukraine et de Russie.

L’aide fournie vise aussi l’équilibre. L’AEM travaille par l’intermédiaire de son alliance en Israël pour fournir des abris à Ashdod et Ashkelon, près de la frontière de Gaza. En partenariat avec le Synode du Nil qui lui est affilié en Égypte, une aide sera apportée au point de passage de Rafah. Avec son alliance palestinienne, une aide financière est apportée à la reconstruction de l’hôpital anglican de Gaza.

« Avant de parler, nous dialoguons avec toutes les parties », dit Thomas Schirrmacher. « Cela signifie que nous sommes lents, mais plus à même de contribuer à la paix et au changement positif qu’à publier rapidement une déclaration qui devrait être révisée par la suite. »

« Faire des déclarations n’est pas la tâche la plus importante de l’Église », dit Paul Haidostian, dont l’union évangélique arménienne n’a pas fait de commentaires officiels sur la guerre. « Il est plus important d’éduquer à la paix, à la justice et aux revendications historiques, et pas seulement aux affaires en cours. »

Selon lui, les chrétiens arabes élaborent leurs déclarations à partir de deux préoccupations principales.

Tout d’abord, ils cherchent à établir à une relation de confiance avec des partenaires internationaux en Occident, afin de contrer « l’opinion déséquilibrée et inconditionnellement favorable » à Israël souvent véhiculée par certains médias grand public.

Et deuxièmement, ils veulent montrer à la région qu’ils ne sont pas de simples spectateurs. Le responsable arménien reconnaît qu’ils peuvent être confrontés à des pressions locales de la part de musulmans ou de juifs, ajoutant qu’ils éprouvent souvent un sentiment de désespoir existentiel face à l’affaiblissement de leurs communautés chrétiennes.

Mais leurs déclarations affirment qu’ils ne sont pas, tout comme les Palestiniens, des enfants illégitimes de la terre ou des étrangers.

« Les chrétiens arabes sont aussi souvent des victimes », dit Paul Haidostian. « Les accuser de partialité est simpliste. »

Bien qu’il ait une opinion bien arrêtée sur le conflit actuel, le dirigeant arménien invite les chrétiens à ne pas considérer la région de manière monolithique : les croyants doivent veiller à ne pas confondre l’Israël biblique avec l’État moderne d’Israël et à ne pas laisser la rhétorique des gouvernements et des médias diriger leurs positionnements dans la foi.

Qu’est-ce que le Christ veut de nous maintenant ? demande-t-il. Si la Terre sainte est le berceau de la foi chrétienne, Jésus a clairement indiqué en Jean 17 que son regard s’étendait bien au-delà.

« La paix dans n’importe quelle partie du monde dépend de la paix partout ailleurs », dit Paul Haidostian. « La vitalité de l’Église au Moyen-Orient est essentielle à l’unité mondiale du corps du Christ. »

Reportage additionnel de Jeremy Weber.

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Le fondateur d’International House of Prayer, Mike Bickle, accusé d’abus sexuels

D’anciens responsables font état de ce qu’ils considèrent comme des accusations crédibles émanant de plusieurs femmes sur plusieurs années.

Mike Bickle

Mike Bickle

Christianity Today October 30, 2023
Fournie par IHOPKC

Mike Bickle, fondateur de la Maison internationale de prière de Kansas City (abrégé IHOPKC en anglais), fait l’objet d’accusations d’abus sexuels et spirituels qui se seraient étendus sur plusieurs décennies et concerneraient de nombreuses femmes. Le responsable de 68 ans a été accusé d’inconduite sexuelle « où l’alliance du mariage n’a pas été respectée », selon une déclaration publiée samedi par un groupe d’anciens dirigeants de l’IHOPKC qui ont enquêté sur ces accusations.

Bien qu’initialement choqués, ils ont jugé les accusations crédibles sur la base des « témoignages collectifs et concordants » de « plusieurs victimes ».

La mégaéglise charismatique de Bickle, qui propose des temps de prière et des cultes 24 heures sur 24 depuis sa création en 1999, a été informée de ces accusations vendredi, selon le Kansas City Star qui a obtenu un enregistrement de l’annonce.

Stuart Greaves, directeur exécutif d’IHOPKC, a déclaré au personnel que l’équipe responsable « prenait la situation très au sérieux ».

Les auteurs de la déclaration — les anciens membres de l’équipe de direction et du conseil d’administration Dwane Roberts et Brian Kim, ainsi que l’ancien pasteur de la Forerunner Christian Fellowship Wes Martin — ont déclaré qu’ils avaient d’abord tenté de confronter directement Bickle à ces accusations, comme la Bible l’indique en Matthieu 18. Bickle aurait selon eux refusé de les rencontrer, puis aurait ensuite tenté d’intimider et de discréditer les victimes.

Le Kansas City Star rapporte que Bickle avait prêché le dimanche précédent sur les fausses accusations.

Dans son sermon, il expliquait que, selon Apocalypse 12.10, « l’arme la plus efficace de Satan à la fin des temps est l’accusation » et qu’il transforme « des insinuations murmurées en accusations hostiles qui détruisent des vies et des relations », selon des notes du sermon rapportées par le site The Roys Report.

Bickle affirmait également que « l’Église approche de l’heure la plus glorieuse et la plus difficile de l’histoire, le dragon (cheval noir) soufflant sur de nombreuses personnes pour qu’elles s’accusent et se trahissent les unes les autres ».

Stuart Greaves a fait référence à ce passage du sermon lors de l’annonce au personnel : « Nous demandons de ne pas se référer au “cheval noir” dans cette situation, afin de limiter la douleur des personnes touchées. Nous nous préoccupons avant tout de ceux qui souffrent et sont traumatisés, de notre famille spirituelle, de Mike et Diane, ainsi que de la famille Bickle. »

Mike Bickle a accepté de s’abstenir de prêcher et d’enseigner pendant que l’Église fait appel à « des parties extérieures pour évaluer et arbitrer les accusations », ont annoncé les responsables du ministère pendant le culte de dimanche et sur les réseaux sociaux.

Les responsables qui avaient enquêté sur les accusations contre Bickle ont déclaré qu’ils estimaient que ses actes « ne respectaient pas les normes bibliques applicables aux responsables de l’Église » et qu’il avait notamment utilisé son autorité spirituelle pour manipuler les victimes. Leur déclaration précise que les femmes qui se sont manifestées « n’avaient rien à gagner en partageant leur expérience, si ce n’est la recherche de la vérité, du repentir, de la miséricorde et de la grâce ».

Ils ont affirmé que Bickle, qui n’a pas réagi publiquement aux récents développements, a nié toutes les accusations.

Mike Bickle a commencé son ministère pastoral à Kansas City dans les années 1980 et 1990 ; son église a quitté la dénomination Vineyard au milieu des années 1990 lorsque Bickle est devenu plus charismatique et a commencé à avoir des opinions différentes sur la prophétie et l’intercession. À l’époque, il était en lien avec des « prophètes » locaux, dont Paul Cain et Bob Jones. (Les deux ont été touchés par des scandales : Jones — sans lien avec l’université Bob Jones — a admis s’être rendu coupable d’inconduite sexuelle et d’abus spirituels, et Cain a fait l’objet de mesures disciplinaires en raison de son comportement homosexuel et de son alcoolisme.)

Au sein de l’IHOPKC, Bickle met l’accent sur le jeûne, la prophétie, le monde spirituel et la fin des temps. Certains assimilent son ministère aux charismatiques indépendants, bien qu’il ait rejeté l’étiquette de la « Nouvelle Réforme apostolique ». Au début du mois, il est apparu dans l’émission Strang Report du magazine Charisma pour partager une parole prophétique concernant la guerre en Israël. Au début de l’année, il organisait un jeûne pour le « salut d’Israël », qui, selon lui, entraînera le second avènement.

Le personnel d’IHOPKC compte environ 2 000 personnes, tous des missionnaires à temps plein qui collectent leurs propres soutiens, selon le site web du ministère. Lors de l’annonce de la direction de l’IHOPKC, certains ont demandé plus de transparence, affirmant qu’il y avait « plus à partager », a rapporté le Kansas City Star.

Dwane Roberts, l’un des auteurs de la déclaration de samedi, dirige aujourd’hui la Maison de prière de Florianópolis, au Brésil. Son église a annoncé qu’elle prenait ses distances avec Bickle pour le moment.

« Notre cri et notre prière sont que nous soyons forts et que nous ne permettions pas à ces événements d’ébranler notre foi, ou de décourager nos cœurs, dans le cheminement de l’édification d’une église qui prie et attend le retour de l’Époux », a écrit l’église. « Nous nous engageons à une transparence totale et à la vérité et nous partagerons plus d’informations au fur et à mesure que les faits seront clarifiés. »

Certains anciens membres de l’IHOPKC ont affirmé que l’église était coercitive et ressemblait à une secte ; les responsables ont répondu qu’elle était dirigée par des anciens, qu’elle avait mis en place des mécanismes de contrôle pour ses responsables et qu’elle s’engageait à assurer la sécurité contre les abus sexuels, émotionnels, physiques et spirituels.

Il y a plus de dix ans, la Maison internationale de prière avait fait l’objet d’une attention minutieuse après qu’une agression sexuelle et un meurtre aient eu lieu au sein d’un groupe d’étudiants qui avaient formé leur propre « communauté religieuse ». Le ministère avait également été poursuivi par la chaîne américaine de restaurants IHOP pour contrefaçon de marque.

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Books

L’étonnante persistance culturelle du dispensationalisme

En tant qu’école théologique, cette approche est en déclin. En tant que force culturelle et politique, elle est plus influente que jamais.

Christianity Today October 25, 2023
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: WikiMedia Commons / Getty

Pour la remise de mon diplôme de fin d’études, mon père a fait le voyage du Texas au Minnesota. Lors d’un rassemblement précédant la cérémonie, il discutait avec mon référent des travaux de celui-ci dans le domaine de l’herméneutique biblique. « Mais », demanda-t-il, perplexe, « est-ce que vous ne lisez pas simplement la Bible pour la comprendre ? Ne signifie-t-elle pas simplement ce qu’elle dit ? »

Sept ans plus tard, [en février de cette année,] la candidate républicaine à la présidence Nikki Haley lançait sa campagne en prononçant un discours introduit par le télévangéliste, auteur et activiste John Hagee. Après avoir commencé par une prière, celui-ci a fait l’éloge de Haley, qui brigue le poste de commandant en chef des États-Unis, en la qualifiant de « défenseuse d’Israël ».

À la même époque, je travaillais sur un article concernant le scepticisme des évangéliques américains à l’égard de l’origine humaine des changements climatiques. La question inévitable à laquelle je tentais de répondre était celle-ci : les évangéliques pensent-ils qu’il est normal de maltraiter la terre parce que nous attendons tous l’enlèvement ? Comme le formulait l’animateur de la chaîne Fox News Sean Hannity en 2022, « si [le monde] doit vraiment prendre fin dans 12 ans, au diable tout cela ! Faisons une grande fête pour les dix dernières années, et ensuite nous rentrerons tous à la maison pour voir Jésus. »

Le lien entre ces trois sujets est le thème d’un nouvel ouvrage perspicace de Daniel G. Hummel : The Rise and Fall of Dispensationalism: How the Evangelical Battle over the End Times Shaped a Nation (« L’ascension et la chute du dispensationalisme : comment la bataille évangélique sur la fin des temps a façonné une nation »). Le dispensationalisme est souvent réduit à son aspect eschatologique, mais comme le démontre Hummel dans son étude sur les deux siècles de son développement ecclésial, scientifique, politique et culturel, « la fin des temps n’est qu’une dimension de la théologie du dispensationalisme et de son héritage plus large ».

Qu’il s’agisse du modèle d’interprétation biblique invoqué par mon père se référant au « simple sens » du texte, du présupposé de Hagee selon lequel le soutien à l’État d’Israël est une qualification clé pour la présidence américaine, ou de l’idée largement répandue que les évangéliques ne se soucient pas d’une planète que nous nous attendons à voir consumée, si quelque chose de ce genre vous est familier, dit Hummel, « alors vous avez été exposé à des schémas de pensée qui ont été profondément façonnés par le dispensationalisme ».

La thèse de son ouvrage est ambitieuse : Hummel affirme que le dispensationalisme n’a pas seulement façonné le fondamentalisme ou l’évangélisme américain, mais les États-Unis dans leur ensemble. Aujourd’hui encore, écrit-il, le dispensationalisme reste « l’une des traditions religieuses américaines les plus persistantes et les plus populaires, une tradition qui enseignait aux chrétiens d’attendre avec impatience la venue d’un royaume de Dieu qui effacerait les royaumes guerriers des hommes, mais pas maintenant ».

Mais cette école de pensée s’est également propagée bien au-delà des murs de l’Église, à tel point que « les Américains de toutes origines » ont « une vision fondamentalement prémillénariste de l’avenir », une attente sécularisée « d’un déclin de la cohésion sociale et de menaces existentielles croissantes qui se termineront par une catastrophe induisant un changement d’ère ». En tant qu’école de théologie formelle, le dispensationalisme a fortement décliné au cours des 50 dernières années. Mais en tant que force culturelle et politique, son influence est plus forte que jamais. En ce sens, nous sommes tous aujourd’hui un peu dispensationalistes.

Cinq traits distinctifs

Le livre de Hummel est fouillé, mais facile d’accès. Il écrit dans une prose claire et accessible aux lecteurs non spécialistes et son intérêt pour le dispensationalisme n’est pas seulement académique. Élevé dans une famille dont les étagères théologiques étaient garnies d’auteurs dispensationalistes, il travaille aujourd’hui pour une organisation universitaire chrétienne à l’université de Wisconsin-Madison et a déjà écrit pour notre magazine.

Bien qu’il ne soit pas dépourvu de perspective d’auteur, cet ouvrage n’est donc pas fondamentalement polémique. Il ne prend pas non plus le ton de l’anthropologue cultivé bravant l’arrière-pays fondamentaliste. Hummel n’est jamais méprisant à l’égard de ses sujets, mais il ne tente pas de dédouaner certaines idées de liens avec le dispensationalisme que leurs adeptes pourraient trouver embarrassants. Rise and Fall est un livre bien fait et sa « grande contribution », comme l’écrit l’auteur de The Scandal of the Evangelical Mind, Mark A. Noll, dans une préface élogieuse, « est de prendre une histoire que “tout le monde connaît” et de montrer que ce que “tout le monde connaît” effleure à peine la surface ».

Cette histoire commence par la définition de la portée du dispensationalisme en tant que théologie. Dans l’esquisse de Hummel, il se distingue par cinq traits principaux, avec en premier lieu sa fameuse chronologie de la fin des temps : l’enlèvement, la tribulation, l’antichrist, la préservation divine d’un reste d’Israël, le second avènement, Armageddon, l’enchaînement de Satan, le règne de 1000 ans du Christ à partir de Jérusalem, une seconde défaite de Satan, le jugement dernier et une éternité de félicité avec Dieu — pour les principaux événements.

Quels sont les autres traits du dispensationalisme ? Le dispensationalisme tire son nom de l’élément qui s’est avéré le moins influent dans la culture américaine en général : sa théorie du temps, qui divise l’histoire humaine en « une série de dispensations qui se concluent inévitablement par l’incapacité des humains à remplir leurs obligations envers Dieu ». Dans la plupart des approches, il y a sept dispensations au total, et nous sommes au bout de la sixième. La théorie du système dispensationaliste à propos de l’humanité est étroitement liée à cela : elle est strictement divisée entre deux peuples de Dieu d’une part — l’Église et Israël, dont les objectifs célestes et terrestres respectifs sont à jamais distincts — et « les nations » d’autre part, soit tous les autres.

Le dispensationalisme comprend également « une herméneutique biblique propre ». Cependant, celle-ci a évolué au fil du temps, de premiers investissements « dans les lectures symboliques, allégoriques et typologiques de l’Écriture » jusqu’à l’insistance des 20e et 21e siècles sur les lectures « simples », « de bon sens » ou « littérales » qui tend à « assimiler les lectures non littérales des textes prophétiques à un rejet de l’inerrance ».

Finalement, le dispensationalisme a une approche distincte du salut, un élément qui rivalise avec son eschatologie dans son influence sur les idées populaires au sein du mouvement évangélique. Ce modèle de la « grâce gratuite » est à l’arrière-plan de l’accent sur la « prière du pécheur » à prononcer une fois pour toutes ou de l’idée d’« accepter Jésus dans son cœur » aux pieds de quelque évangéliste. Comme l’explique Hummel, le système « a abaissé la barre du salut à tout juste un peu plus que l’assentiment mental d’un moment donné à l’affirmation selon laquelle Jésus est Sauveur » et a bouleversé « les compréhensions américaines plus larges de la notion de “nouvelle naissance” ».

Une fois cette description posée, Hummel passe à l’histoire proprement dite. Il retrace le développement du dispensationalisme en partant des prédicateurs des Frères de Plymouth comme John Nelson Darby dans l’Irlande rurale, passant ensuite par les églises institutionnelles comme le complexe Moody de Chicago pendant l’ère de la reconstruction et l’âge doré [d’après la guerre de Sécession], jusqu’aux controverses entre fondamentalistes et libéraux du début du 20e siècle et l’essor au milieu de ce siècle de ce que nous appelons aujourd’hui l’évangélisme. (Notre magazine fait quelques apparitions dans le récit, et Billy Graham, notre fondateur, y tient une bonne place.)

La seconde moitié de cette chronologie, à partir de 1920 environ, sera certainement la plus intéressante pour bon nombre de lecteurs, ou du moins ceux qui abordent le livre en tant qu’observateurs du monde évangélique contemporain. Faisant apparaître de nombreux personnages qui façonnent encore activement les États-Unis, on a là un compte-rendu accablant de la popularisation du dispensationalisme. Le dispensationalisme vulgarisé que la plupart des Américains connaissent aujourd’hui a été façonné, selon Hummel, « non pas par des théologiens, mais par des personnes théologiquement peu intéressées ou analphabètes », ce qui a eu des effets délétères sur le mouvement évangélique et sur la société américaine dans son ensemble.

La cohérence politique du dispensationalisme au fil des décennies est particulièrement frappante. Le terme même de conservateur en tant qu’étiquette à la fois politique et théologique, aujourd’hui très ancrée dans nos réalités, a des racines dispensationalistes. Le concept de « système mondial » (« world system »), utilisé par une ancienne génération de dispensationalistes pour désigner « les institutions, organisations et pouvoirs structurels interdépendants dirigés par les élites qui ont gouverné le monde » — n’a pas changé depuis cent ans. Les accents de l’évangéliste Billy Sunday qui insistait en 1918 pour dire que « aucun homme ne peut être fidèle à son Dieu sans être fidèle à son pays » trouveraient aisément leur place dans de nombreux discours de campagne républicains de 2024. En 1923, la prédicatrice pentecôtiste Aimee Semple McPherson devançait de loin la franchise Dieu n’est pas mort avec un sermon intitulé « Le procès du professeur d’université libéral moderne contre le Seigneur Jésus-Christ ».

Même la dernière mode conspirationniste de droite [à propos d’un prétendu futur envisagé par le Forum économique mondial] — Vous ne posséderez rien. Et vous serez heureux. Vous mangerez les insectes. Vous vivrez dans une capsule. — était préfigurée par l’auteur de la série de romans Left Behind, Tim LaHaye, qui affirmait en 1983 que l’objectif des « Illuminati, des Bilderbergs, du Council on Foreign Relations et, plus récemment, de la Commission trilatérale » était de « réduire le niveau de vie dans notre pays afin qu’un jour les citoyens américains fusionnent volontairement avec l’Union soviétique ». Le « pop dispensationalisme » a offert dans les générations précédentes « un sens cosmique à la mobilisation des électeurs chrétiens », observe Hummel, et il en va de même aujourd’hui.

Trois questions

Les derniers chapitres de l’ouvrage ramènent son récit à des souvenirs très récents et me laissent avec trois grandes questions : l’une qu’il soulève et deux autres que j’aurais aimé qu’il aborde au moins brièvement.

La première de cette seconde catégorie est d’ordre historique. Hummel indique clairement que la question des précédents théologique est depuis longtemps un point de discorde autour du dispensationalisme en général et de la doctrine de l’enlèvement en particulier. Dès le début, Darby « insista sur le fait que [ses innovations] étaient des redécouvertes plutôt que des nouveautés », et jusqu’à la fin du 20e siècle, les dispensationalistes et leurs détracteurs « s’accusèrent mutuellement de manquer de précédents prémodernes […] les deux parties revendiquant le soutien des premiers pères ».

Comme le note Hummel, le reconstructionniste chrétien Gary North, aujourd’hui décédé, encouragea des recherches « visant à discréditer les origines de [la doctrine de] l’enlèvement en les faisant remonter à une adolescente mentalement instable, Margaret MacDonald, qui eut des visions en 1830, et à qui John Nelson Darby aurait volé l’idée d’un enlèvement imminent ». Hummel qualifie cette histoire d’origine de « théorie du complot [que] des experts impartiaux ont jugée […] improbable », mais il ne précise pas comment Darby est arrivé à l’idée de l’enlèvement ni dans quelle mesure ses affirmations sur la longue histoire théologique de cette doctrine sont fondées.

Deuxièmement, Hummel montre comment les bouleversements politiques passés ont joué un rôle dans le changement de la perspective américaine dominante sur la fin des temps. Par exemple, « l’époque du consensus postmillénariste [parmi les chrétiens américains] a pris fin dans les années 1860 », écrit-il, car « de nombreux évangéliques ayant vécu la [guerre civile] et ses conséquences » ont estimé que « la correction des maux sociaux modernes [était] une entreprise trop difficile et, en tout état de cause, une tâche secondaire par rapport à l’évangélisation ». Contre le dispensationalisme, cependant, certains membres de la première droite religieuse, estimant que la victoire politique était à portée de main, « rejetaient l’idée d’un enlèvement imminent et d’un royaume futur, qu’ils considéraient comme incompatibles avec une l’urgence de leur organisation politique ».

Mais Hummel ne se demande pas si un changement comparable n’est pas en train de se produire à mesure que le nationalisme chrétien et d’autres idéologies illibérales gagnent du terrain. Si vous avez un nouvel espoir d’établir une gouvernance explicitement chrétienne, que vous croyez (comme l’a dit l’ancien président Donald Trump en mars) que la prochaine élection présidentielle est « la bataille finale » pour l’Amérique, que vous vous attendez sincèrement à « reprendre » votre pays, y a-t-il de la place pour l’enlèvement de l’Église dans votre plan décennal ? Le sociologue Samuel Perry a émis l’hypothèse sur Twitter que « nous pourrions assister à une recrudescence du postmillénarisme dans les cercles de la droite chrétienne, car le postmillénarisme fournit une meilleure justification aux objectifs nationalistes chrétiens que la vision prémillénariste dominante ». J’ai eu l’occasion de m’entretenir de ce sujet avec Perry et Hummel pour un autre article.

Finalement, Rise and Fall se termine par une observation stimulante :

Dans le sillage de l’effondrement du dispensationalisme [académique], la vision eschatologique de l’Église américaine s’est brouillée. « Bien », pourraient s’exclamer les détracteurs du système : mieux vaut une vision vague qu’une vision erronée. Pourtant, l’histoire du dispensationalisme ne permet pas de porter un jugement aussi simple.

Le vide théologique laissé par le dispensationalisme — l’une des rares tentatives soutenues de créer un système théologique fondamentaliste au vingtième siècle — n’est pas resté vide. Les évangéliques, et plus largement les Américains, n’ont fait que multiplier les spéculations apocalyptiques depuis l’effondrement de la théologie dispensationaliste dans les années 1990. Les vestiges du dispensationalisme populaire ont été projetés dans un océan d’apocalyptiques déchaîné mêlant prophètes de la fin de l’anthropocène, extrémistes de la théorie du remplacement, trolls de QAnon, pessimistes technologiques et néo-malthusiens.

Malgré tous les problèmes que l’apocalyptique théologique a posés au 20e siècle, il est probable que l’apocalyptique irréligieuse du 21e siècle s’avérera encore plus problématique.

En tant que sceptique du dispensationalisme, c’est une question à laquelle je vais devoir réfléchir : Les chrétiens sont-ils mieux lotis après la chute du dispensationalisme qu’avant ?

En d’autres termes, sommes-nous passés à une vision vague, fidèle et fructueuse de la fin des temps, ou avons-nous plutôt plongé dans un océan de visions trompeuses ? Attendons-nous sincèrement le retour du Christ, peu importe le calendrier ? Quels que soient leurs défauts, les dispensationalistes n’ont jamais manqué de redire avec ferveur : « Viens, Seigneur Jésus. »

Bonnie Kristian est directrice éditoriale pour les idées et les livres chez Christianity Today. Elle est l’autrice de Untrustworthy : The Knowledge Crisis Breaking Our Brains, Polluting Our Politics, and Corrupting Christian Community .

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La violence antisémite et ses honteuses justifications.

Nous devons nous soucier de toutes les victimes de la guerre, qu’elles soient israéliennes ou palestiniennes. Et cela implique de rejeter activement la haine du peuple juif.

Un manifestant brandit une pancarte lors du rassemblement All Out for Palestine à Times Square, New York.

Un manifestant brandit une pancarte lors du rassemblement All Out for Palestine à Times Square, New York.

Christianity Today October 23, 2023
Hailey Swanson/AP Images

Au lendemain des massacres commis par le Hamas en Israël le jour de Sim'hat Torah, des foules se retrouvaient dans le quartier new-yorkais de Times Square pour un rassemblement organisé par les Socialistes démocrates d’Amérique. Un orateur s’exprimait ainsi : « Notre résistance a pris d’assaut les colonies illégales et a franchi les frontières coloniales en parapente. » La foule a répondu par des applaudissements nourris.

On célébrait là sans équivoque l’assaut sur plusieurs fronts mené par des terroristes contre des villes israéliennes, des kibboutzim (villages agricoles progressistes et communautaires) et un festival de musique en plein air. Les membres du Hamas ont assassiné plus de 1 400 Israéliens, violé, torturé et blessé des milliers d’autres, et enlevé environ 200 otages. La plupart des victimes étaient des civils, et beaucoup étaient des enfants, des personnes âgées ou des nourrissons. La grande majorité d’entre eux étaient juifs.

Ce rassemblement de Times Square ne représente pas un cas isolé d’activisme pro-Hamas. Aux États-Unis, des manifestations pro-Hamas ont notamment été organisées par la section de Chicago de Black Lives Matter et par Students for Justice in Palestine à l’université d’État de Californie à Long Beach et à l’université de Louisville. Dans chaque cas, le matériel promotionnel incluait des images de parapentes — une référence non pas à la cause palestinienne en général, mais à cette attaque spécifique du Hamas contre des milliers d’Israéliens innocents.

L’organisation mère de ces groupes universitaires a qualifié l’assaut initial du Hamas de « victoire historique pour la résistance palestinienne », encourageant ses membres non seulement à se rassembler, mais aussi à envisager une « confrontation armée avec les oppresseurs ».

Cette guerre n’en est qu’à ses débuts. Il peut être difficile de distinguer la vérité du mensonge et de discerner exactement pourquoi ce type d’activisme — présenté à tort par ses partisans comme en faveur des opprimés — est très problématique. Mais nous aurons une vision morale plus claire de la situation en nous remémorant l’histoire sombre que ce moment fait ressurgir.

On pourrait se demander comment la conscience peut être déformée à un point tel qu’elle justifie ou même célèbre une violence aussi horrible. En me montrant généreux, je peux envisager que l’apparent différentiel de pouvoir entre Israéliens et Palestiniens façonne une partie de cette réponse. Il ne fait aucun doute (comme l’a souligné le journaliste juif Bari Weiss la semaine dernière) qu’une incohérence idéologique à l’œuvre sur les campus américains en est également dans une large mesure responsable. Mais nous ne pouvons pas ignorer une autre raison plus subtile et plus universelle derrière au moins certaines de ces réactions : l’antisémitisme.

D’une certaine manière, l’antisémitisme est aussi vieux que l’Exode, lorsque les Israélites furent réduits en esclavage par Pharaon (Ex 1.9-10) ou menacés de destruction par les Amalécites (Ex 17.8-9 ; Dt 25.17-18). La haine des Juifs parce qu’ils sont juifs — parce qu’ils refusent de s’assimiler — est au cœur du livre d’Esther et est restée fréquente sous les régimes assyrien et romain. Ce même antisémitisme a également joué un rôle lorsque les Romains ont mis à sac Jérusalem après l’échec d’une révolte juive en l’an 70, poussant les Juifs à se disperser hors de Judée et à travers tout le Moyen-Orient, l’Afrique, la Russie et l’Europe.

Au fil des siècles, les Juifs ont continué jusqu’à aujourd’hui à résister à l’assimilation, en conservant et en développant leurs pratiques religieuses, leur langue et leurs coutumes. Comme l’a décrit l’auteur Walker Percy, la résilience du peuple juif est une sorte de miracle historique :

Lorsque l’on rencontre un juif à New York, à La Nouvelle-Orléans, à Paris ou à Melbourne, il est remarquable que personne ne considère ce fait comme remarquable. Que font-ils ici ? Mais il est encore plus intéressant de se demander, s’il y a des Juifs ici, pourquoi il n’y a pas de Hittites. Où sont les Hittites ? Pouvez-vous me montrer un seul Hittite à New York ?

Mais cette même résilience et cette résistance à l’assimilation continuent de susciter la méfiance et la haine ou, autrement dit, cet antisémitisme ancestral.

D’une certaine manière, cela n’est pas surprenant. Comme l’ont montré des biologistes, nous sommes programmés pour ressentir de l’anxiété face aux étrangers. Ce qui les distingue — leur langue et leurs habitudes sociales — déclenche une alerte dans notre cerveau nous signifiant que nous pourrions être en compétition avec eux pour des ressources limitées.

Mais en tant que chrétiens, nous sommes invités à résister à cette impulsion. Une prescription biblique qui traverse les deux Testaments nous appelle à aimer notre prochain et à prendre soin des immigrants et des étrangers (p. ex. Dt 1.16 ; Mt 25.35). Cette idée va à l’encontre de notre nature humaine (déchue). On le voit bien dans toutes les justifications que les chrétiens ont inventées pour éviter d’aimer ceux qui leur sont étrangers. Malheureusement, le traitement que nous avons réservé au peuple juif au cours de l’histoire en est un bon exemple.

Le christianisme était d’abord une histoire d’hommes et de femmes juifs qui reconnaissaient un homme juif comme le Fils de Dieu. Ils lisaient des livres saints juifs et beaucoup continuaient à observer les pratiques religieuses juives.

Pourtant, au 4e siècle, les origines juives du christianisme ont été éclipsées par le mépris de responsables ecclésiastiques tels qu’Ambroise de Milan, qui qualifia les Juifs d’« odieux assassins du Christ ». Les chrétiens ne devraient « jamais cesser » de chercher à se venger du peuple juif, déclarait Ambroise, allant même jusqu’à affirmer que « Dieu a toujours détesté les Juifs. Il est essentiel que tous les chrétiens les détestent ».

Toutes ces affirmations sont des mensonges antisémites. Toutes sont également antichristiques. Tout l’Ancien Testament montre l’amour de Dieu pour Israël en tant que tribu mise à part dans un monde déchu et Paul indique clairement dans Romains 9 que cet amour de Dieu pour Israël n’a pas pris fin, même si un « nouvel Israël » a vu le jour en Christ.

L’allégation selon laquelle les Juifs auraient « assassiné » Jésus va également à l’encontre des paroles du Christ, qui dit à propos de sa vie : « Personne ne me l’enlève, mais je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la reprendre. Tel est l’ordre que j’ai reçu de mon Père. » (Jean 10.18) Dire que les juifs ont « assassiné » Jésus, c’est traiter Jésus de menteur.

Mais les mensonges sont séduisants, surtout lorsqu’ils servent à atténuer l’anxiété ou la peur. L’idée reçue selon laquelle « les Juifs ont assassiné Jésus » s’est imposée et a perduré pendant des siècles, servant de justification à l’hostilité envers nos prochains juifs. Dans les périodes de bouleversements sociaux de l’histoire, les Juifs ont régulièrement servi de boucs émissaires, accusés de tous les maux, de l’instabilité politique à la peste noire.

Au 19e siècle, le prisme de compréhension des événements historiques est passé du récit chrétien à de nouvelles notions comme le darwinisme et l’idée de progrès de l’histoire sous l’impulsion de l’homme (un sujet que j’ai récemment abordé dans un article de CT). Mais l’antisémitisme n’a pas disparu pour autant, il a simplement changé de forme. Au lieu d’une inflexion historique et chrétienne, l’antisémitisme occidental a pris une tournure « scientifique ».

Une nouvelle rhétorique présentait les Juifs comme une race étrangère rivalisant avec les autres nations et les spoliant de leurs richesses. La « question juive » (comme on a fini par l’appeler) relevait en fait de l’anxiété collective des nations européennes qui ne voulaient pas offrir une place aux Juifs en tant que citoyens égaux.

Cette rhétorique s’est intensifiée au 20e siècle et les nazis se sont appuyés sur des siècles d’histoire antisémite pour présenter les Juifs comme une « maladie » ou une « vermine ». Il est terrible, mais essentiel, de noter qu’aussi profond et dépravé que soit l’antisémitisme nazi, la réponse majoritaire des pays alliés de l’Allemagne nazie ou conquis par elle — tels que la Pologne, la France et l’Italie — a été la collaboration dans le mauvais traitement des Juifs.

En de très nombreux endroits, les Juifs ont été rassemblés par les autorités locales, dépouillés de leurs biens et de leurs terres, forcés de s’installer dans des ghettos et internés jusqu’à ce qu’ils puissent être entassés dans des trains et envoyés dans les camps de la mort. Pour les nazis, il s’agissait de la « solution finale à la question juive ».

Cette semaine, lorsque nous avons vu des images d’une horreur inimaginable en Israël — des Juifs torturés et brûlés vifs, des parents contraints d’assister à la mort de leurs enfants — cette histoire est plus que jamais d’actualité. Israël existe en partie pour prévenir ces horreurs. Le fait qu’elles aient pu se reproduire et que certains Occidentaux peinent à réagir ou s’en réjouissent est le signe d’une profonde décadence morale.

Le vocabulaire que nous utilisons en ce moment est important. Avant que les propagandistes nazis ne qualifient les Juifs de « vermine » à exterminer, on les décrivait comme des étrangers et on les rendait apatrides — on leur refusait une place dans le monde. Il nous faut comprendre que lorsque les manifestants pro-Hamas scandent « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre », ils ne se contentent pas de défendre le sort des Palestiniens ordinaires. Ils appellent à l’éradication de l’État juif et, implicitement, à la violence envers les Juifs israéliens. Et lorsque les alliés idéologiques du Hamas qualifient les citoyens israéliens vivant dans des kibboutzim centenaires de « colonisateurs » ou de « colons blancs », ils sous-entendent que les Juifs seraient des étrangers sans liens historiques légitimes avec la terre. Il s’agit toujours du même antisémitisme aliénant.

J’avoue avoir été particulièrement troublé par l’iconographie des parapentes. Telle a été la méthode utilisée pour attaquer (entre autres) le festival de musique où plus de 260 jeunes Israéliens — pour la plupart juifs — ont été tués alors qu’ils se réunissaient pour célébrer la cause de la paix. Ils ont été abattus en plein champ. Des femmes ont été violées à côté des cadavres de leurs amis et enlevées à Gaza pour y attendre des horreurs inconnues. C’est à ces crimes que nous devrions associer ces parapentes, tout comme nous associons les nazis aux fours crématoires crachant leur fumée, aux fosses communes et aux corps empilés comme du bois coupé. Brandir ces pancartes avec un parapente, c’est comme brandir une croix gammée.

Être horrifié par le massacre d’Israéliens innocents ne nécessite pas de nier la souffrance du peuple palestinien. Et se préoccuper des Palestiniens innocents ne nécessite pas de se montrer froid ou insensible face aux horreurs de l’antisémitisme et du Hamas. Nous pouvons condamner le Hamas tout en demandant des comptes aux dirigeants israéliens qui ont alimenté la violence, encouragé les extrémistes de droite et excusé les violations du droit international. Les chrétiens devraient se distinguer par leur volonté de s’opposer à toute injustice et de prendre soin des victimes, qu’elles soient israéliennes ou palestiniennes.

Cela implique de comprendre que les Palestiniens ont subi de grandes injustices de la part du gouvernement israélien — ainsi que de la part d’États voisins comme l’Égypte, la Jordanie, l’Iran, le Liban, la Syrie et l’Arabie saoudite et du Hamas et de l’Autorité palestinienne elle-même. Mais cela implique aussi un rejet actif de l’antisémitisme.

Comme me l’a dit un ami juif peu après les attentats, « nous savons tous ce qui va arriver. Aujourd’hui, les gens sont horrifiés. Demain, ils feront ce que les gens font depuis des siècles. Ils accuseront les Juifs. Ce n’est qu’une question de temps. »

Cela a déjà commencé. J’espère et je prie que les chrétiens puissent jouer leur rôle en s’y opposant.

Mike Cosper est directeur responsable des podcasts pour Christianity Today.

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Books

Zoom sur l’hôpital chrétien frappé par l’explosion qui a tué des centaines de Gazaouis.

L’explosion du 17 octobre a touché un établissement dirigé par des anglicans « au milieu de l’une des régions les plus troublées du monde ».

Des Palestiniens récupèrent des objets du bâtiment de l’hôpital baptiste Al-Ahli lourdement endommagé après un bombardement dans la ville de Gaza, le 18 octobre 2023.

Des Palestiniens récupèrent des objets du bâtiment de l’hôpital baptiste Al-Ahli lourdement endommagé après un bombardement dans la ville de Gaza, le 18 octobre 2023.

Christianity Today October 19, 2023
Photo : Belal Khaled/Anadolu via Getty Images

Des centaines de Palestiniens ont été tués mardi 17 octobre lors d’une explosion dans la cour du seul hôpital chrétien de Gaza, l’hôpital arabe Al-Ahli.

Le ministère palestinien de la Santé dirigé par le Hamas, qui a estimé le nombre de morts à plus de 500, impute à Israël la responsabilité du drame survenu dans la ville de Gaza. Les Forces de défense israéliennes (FDI) ont elles déclaré que l’explosion était due à un tir de roquette raté du Jihad islamique, un groupe militant associé au Hamas. Le président des États-Unis, Joe Biden, en visite en Israël mercredi, a mentionné l’existence de données du ministère de la Défense américain qui confirmeraient les dires d’Israël.

L’hôpital Al-Ahli a été fondé par des missionnaires anglicans et existe dans la région depuis 1882. Pendant quelques décennies, au milieu du 20e siècle, il a été géré par des missionnaires américains de la Convention baptiste du sud. Il dépend actuellement du diocèse épiscopal anglican de Jérusalem.

Connu aussi sous le nom d’Al-Ma’amadani (ou « le baptiste » en arabe), il s’agit de l’un des 22 hôpitaux du nord de la bande de Gaza. Après l’ordre d’évacuation des environs par Israël, des centaines de Palestiniens s’y sont réfugiés. Selon des reportages, des familles s’abritaient dans la cour où a eu lieu l’explosion.

« Nous sommes ici comme un instrument entre les mains de Dieu pour montrer l’amour de Jésus-Christ pour tous les peuples. Nous sommes fiers que, dans tous les conflits, cet hôpital ait été là pour soulager les souffrances des blessés et des pauvres, et pour aider ceux qui avaient besoin d’un cœur compatissant », exposait récemment Suhaila Tarazi, directrice de l’hôpital Al-Ahli, dans un appel lancé à des sponsors chrétiens.

« Cet hôpital restera un lieu de réconciliation et d’amour. L’histoire de cet hôpital montre que nous sommes tous les enfants d’un seul Dieu, que nous soyons chrétiens, musulmans ou juifs. »

Suhaila Tarazi, une chrétienne arabe venue de Caroline du Sud, fait face au taux de chômage élevé, aux coupures d’électricité et aux troubles divers depuis 30 années qu’elle se trouve à Gaza. Quelques semaines avant la guerre entre Israël et le Hamas, l’hôpital chrétien était déjà débordé et manquait de fonds. La directrice expliquait à un groupe que sa journée de travail commençait à 8 heures le matin et se terminait à 4 heures du matin le lendemain.

« Nous n’avons pas les moyens de payer les salaires du personnel à temps plein. » « Le simple fait d’essayer d’obtenir le carburant dont nous avons besoin pour faire fonctionner les générateurs ajoute une nouvelle couche de difficultés et de souffrances apparemment insurmontables. Nous manquons de médicaments. Nous sommes à court de fournitures. Nous manquons d’équipements médicaux essentiels. Nous manquons de personnel. Que pouvons-nous faire d’autre que de travailler jour et nuit ? Je suis épuisée. »

Avant l’explosion de mardi, l’hôpital avait déjà subi des dommages. Le service d’information de la Communion anglicane rapportait qu’il avait été touché samedi par des tirs de roquettes israéliens, endommageant deux étages de son centre de cancérologie et blessant quatre membres du personnel. Justin Welby, l’archevêque de Canterbury, a publié un communiqué indiquant que l’hôpital manquait de matériel médical et ne pouvait pas évacuer ses patients gravement malades et blessés.

Mercredi, Justin Welby a qualifié l’explosion survenue à l’hôpital de « violation du caractère sacré et de la dignité de la vie humaine ».

« Il s’agit d’une violation du droit humanitaire, qui stipule clairement que les hôpitaux, les médecins et les patients doivent être protégés », a-t-il déclaré. « C’est pourquoi il est essentiel que nous fassions preuve de retenue dans l’attribution des responsabilités avant que tous les faits ne soient clarifiés. »

Après l’explosion de mardi, environ 350 blessés ont été envoyés dans un hôpital voisin, qui était déjà lui-même submergé. L’incident a déclenché des protestations dans les pays arabes, où les manifestants réclament la fin des frappes aériennes israéliennes. En conséquence, la Jordanie a annulé un sommet prévu avec Joe Biden.

« Dans une unité sans faille, nous dénonçons avec véhémence ce crime et le condamnons avec la plus grande fermeté. Les premières informations sur la tragédie de l’hôpital de l’Église à Gaza nous ont plongés dans la tristesse, car il s’agit d’une transgression profonde des principes mêmes de l’humanité. Les hôpitaux, désignés comme des lieux sacrés en vertu du droit international, ont été profanés par les forces militaires », ont écrit les patriarches et les chefs des Églises de Jérusalem dans une déclaration commune.

Plus d’un million de Palestiniens ayant reçu l’ordre de fuir leurs maisons, les gens sont désespérément à la recherche de fournitures de première nécessité, de nourriture et d’eau. Après l’explosion de l’hôpital, Israël a autorisé l’entrée dans la bande de Gaza de la première aide humanitaire en provenance d’Égypte depuis 10 jours.

Ailleurs dans la région, à la suite des attaques terroristes du Hamas du 7 octobre, plusieurs ministères juifs messianiques se sont mobilisés pour aider les membres de l’armée israélienne et pour former un « centre de réponse et de secours d’urgence » pour les Israéliens fuyant les attaques à la frontière. Dans le cadre de leur travail, ils ont collecté des dons, distribué des fournitures aux soldats et envoyé de la nourriture aux familles déplacées.

Au cours de sa longue histoire à Gaza, Al-Ahli a maintenu une présence chrétienne et s’est plusieurs fois trouvé pris entre deux feux dans le conflit en cours.

Selon la thèse de maîtrise de Carlton Carter Barnett III, historien de la médecine au Moyen-Orient, les missionnaires anglicans qui ont ouvert l’hôpital en 1882 y voyaient l’occasion d’apporter l’Évangile aux musulmans, notamment des pauvres, des habitants de la campagne et des femmes.

Le personnel des premiers temps de l’hôpital lisait régulièrement des versets de la Bible et priait avec les patients. Ils prenaient soin des musulmans qui ne voulaient pas mourir « sous un toit chrétien » en les emmenant à l’extérieur de l’hôpital le moment venu, mais pas avant d’avoir offert une dernière fois le message du salut. Les missionnaires britanniques eurent plus de succès dans l’évangélisation des élèves de l’école primaire située dans l’enceinte de l’hôpital.

En 1954, le Foreign Mission Board (aujourd’hui International Mission Board) de la Convention baptiste du sud a acheté l’hôpital, l’a rebaptisé Gaza Baptist Hospital et y a offert des soins pendant les trois décennies suivantes. Bien que le prosélytisme soit illégal à Gaza, les missionnaires baptistes considéraient ce travail comme une bonne occasion de partager l’Évangile et ouvrirent la seule école d’infirmières de Gaza avec la mission à l’esprit.

L’hôpital baptiste de Gaza a soigné les Palestiniens blessés lors de la crise de Suez en 1956 et d’autres incidents dans la région. Pendant que l’Égypte gouvernait Gaza de 1957 à 1967, le président égyptien Gamal Abdel Nasser a visité l’hôpital pour lui exprimer sa reconnaissance pour son travail.

Pendant la guerre des Six Jours en 1967, l’institution a continué à fonctionner bien qu’elle se soit trouvée au milieu d’importants échanges de tirs. Les fenêtres ont été brisées, plusieurs murs se sont effondrés et un membre du personnel a été blessé. Les missionnaires utilisèrent l’église baptiste de Gaza (l’ancien sanctuaire anglican) pour accueillir des lits d’hôpitaux supplémentaires, tandis que 500 personnes y avaient trouvé refuge.

À la fin des années 1970, la Convention baptiste a rendu l’hôpital aux anglicans, qui l’ont placé sous la tutelle du diocèse épiscopal anglican de Jérusalem. Les nouveaux exploitants ont donné à l’institution son nom actuel, l’hôpital arabe Al-Ahli, et le personnel baptiste a continué à y travailler jusqu’en 1987, pendant ce qu’ils ont gardé en mémoire comme un temps d’exacerbation des sentiments antichrétiens, jusqu’à une tentative d’assassinat du directeur intérimaire de l’hôpital par les Frères musulmans.

En 1980, un Palestinien lance deux grenades derrière un mur de l’hôpital, tuant trois personnes, dont un officier israélien et un passant arabe, et en blessant d’autres. En 1989, nous évoquions « l’hôpital Ali Arab géré par l’épiscopat » comme un exemple de partenariat entre Palestiniens chrétiens et missionnaires américains pour aider les victimes de l’escalade de la violence dans la région.

L’église baptiste de Gaza, qui reste la seule communauté évangélique de Gaza, se réunissait dans l’enceinte de l’hôpital jusqu’à ce que la seconde Intifada rende trop difficile la présence d’une église à proximité immédiate de la salle des urgences, rapporte Hanna Massad, un ancien pasteur de l’église qui travaillait en tant que technicien de laboratoire à Al-Ahli.

« Ce qui s’est passé hier est difficile à imaginer », témoigne-t-il. « Ces précieuses personnes sont venues chercher un abri parce qu’elles pensaient qu’elles seraient plus en sécurité dans un hôpital chrétien. »

Le diocèse de Jérusalem gère des établissements médicaux à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem, en Jordanie et au Liban. Selon le diocèse, l’hôpital offrait « certains des meilleurs soins médicaux disponibles » au « milieu de l’une des régions les plus troublées du monde », notamment des dépistages gratuits du cancer du sein et le premier programme de formation des médecins de Gaza à la chirurgie mini-invasive.

Le responsable baptiste local Bader Mansour relève que de nombreux articles de presse continuent à décrire l’hôpital comme « baptiste », en dépit de sa direction actuelle.

« Il semble que certains à Gaza se souviennent encore de l’ancien nom et de la contribution des baptistes au service de la population de Gaza, qui se poursuit aujourd’hui par l’intermédiaire de l’église baptiste de Gaza », écrit-il.

Depuis qu’elle travaille à l’hôpital, Suhaila Tarazi a assisté au traitement de centaines d’enfants handicapés des suites des violences du conflit israélo-gazaoui de 2014. Il y a cinq ans, elle a dû faire face à une forte baisse de l’aide américaine à l’agence des Nations unies responsable des Palestiniens, ce qui a fait chuter le nombre de lits disponibles à l’hôpital de 80 à 50.

Entre-temps, la population chrétienne de Gaza, qui a parfois été confrontée à l’hostilité et à la violence de ses voisins musulmans, ne compte plus qu’un millier de personnes.

Depuis les attaques du 7 octobre du Hamas contre Israël, plus de 1 400 personnes ont été tuées en Israël et plus de 3 000 à Gaza, selon les autorités.

« Le chrétien arabe peut être un médiateur entre les juifs et les musulmans, l’Occident et le Moyen-Orient. Pour nous, le christianisme, c’est la paix et l’amour pour tous », dit Suhaila Tarazi telle que citée par Don Liebich dans Memos from the Mountains. « Mais nous craignons que Jésus ne trouve pas un seul disciple lorsqu’il reviendra. L’Église doit aider les chrétiens à rester sur place. C’est la terre du christianisme et de tous Ses disciples. Les chrétiens devraient être là pour aider et donner un bon exemple de ce qu’est le christianisme. »

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