LES CAYES, Haïti — Dimanche 22 août, un chef de gang offrait une trêve et proposait de l’aide aux collectivités du Sud-Ouest d’Haïti ébranlées par le tremblement de terre, suscitant une lueur d’espoir pour les opérations de secours perturbées par le pillage de camions d’aide et d’autres troubles.
Il restait à voir ce qu’il adviendrait de l’offre de Jimmy Cherizier, alias « Barbecue ». Bien que puissant patron de la criminalité, Cherizier est loin d’être le seul chef de gang en Haïti, et les échos des médias sociaux à propos d’une prétendue trêve des gangs n’avaient pas réussi jusque-là à empêcher les attaques contre les efforts de secours grandissant.
L’offre est intervenue alors que de nombreux Haïtiens retournaient à leurs cultes dans ou à l’extérieur des églises endommagées, pour la première fois depuis que le séisme de magnitude 7,2 a frappé, le 14 août.
Depuis la catastrophe, des gangs ont bloqué des routes, détourné des camions d’aide et volé des fournitures, obligeant les travailleurs humanitaires à transporter des fournitures par hélicoptère. Par endroits, des foules désespérées se sont battues pour des sacs de nourriture.
Dans une vidéo publiée sur Facebook, Cherizier s’était adressé aux régions les plus durement touchées de la péninsule sud-ouest d’Haïti avec ces mots : « Nous voulons leur dire que les Forces révolutionnaires du G9 et leurs alliés, tous pour un et un pour tous, sympathisent avec leur douleur et leur chagrin. »
« Les Forces révolutionnaires et les alliés du G9 […] participeront au secours en leur apportant de l’aide. Nous invitons tous les compatriotes à faire preuve de solidarité avec les victimes en essayant de partager avec eux le peu qu’il y a », déclarait-il encore.
Ce même jour, l’Agence de protection civile d’Haïti relevait la liste des morts confirmés à 2,207.
L’augmentation du nombre de morts est la première depuis le mercredi précédent, lorsque le gouvernement avait signalé 2189 décès. Le gouvernement a déclaré que 344 personnes étaient toujours portées disparues, que 12268 personnes avaient été blessées et que près de 53000 maisons avaient été détruites par le séisme.
Si l’église où sert Pierre Verdieu Badette aux Cayes est toujours debout, la plupart de ses fidèles ont presque tout perdu.
« Il est douloureux, en tant que berger, d’être témoin que votre troupeau a presque tout perdu et ne peut rien y faire », déclare Badette à CT. « La situation ne nous a pas empêché d’adorer notre Dieu omniprésent. Pourtant, l’atmosphère était différente de tout ce que nous avons connu. Je pouvais voir dans les yeux et l’esprit de mes frères et sœurs tant de questions difficiles auxquelles on attendrait que moi, le pasteur, je puisse apporter quelque élément de réponse ».
Un hôpital de campagne érigé aux Cayes par le groupe humanitaire Samaritan’s Purse prévoit quatre interventions chirurgicales ce dimanche-là, au lendemain de son ouverture. Trois des 10 salles d’opération qui desservent la région étaient hors service après le séisme, de sorte que le groupe basé aux États-Unis a ouvert son hôpital sur le campus haïtien de l’Université d’Amérique centrale.
L’hôpital de campagne ajoute non seulement une salle d’opération, mais aussi un laboratoire, une pharmacie et des possibilités de radiographie. Même une semaine après le tremblement de terre, des hélicoptères amenaient quatre blessés graves en provenance de régions éloignées.
L’infirmière Ali Herbert prépare la salle d’opération — une grande tente — pour une intervention chirurgicale le dimanche après-midi. Une opération sur un fémur cassé est prévue plus tard. Avec les ventilateurs soulevant l’air étouffant et les volets ouverts de la tente pour l’aération, l’ensemble détone par rapport à un bloc opératoire stérile, mais offre de bien meilleures conditions que celles dans lesquelles la plupart des patients ont été jusqu’à ce qu’ils arrivent, explique-t-elle.
« Une salle d’opération normale n’aurait pas ce genre de configuration ». « Nous devons simplement faire ce que nous pouvons et garder l’espace aussi propre que possible, et nous espérons que les patients s’en tirent bien. »
Certains patients ont reçu un premier traitement, mais ont besoin de plus de soins. D’autres sont traités pour la première fois, décrit-elle.
Les personnes ayant besoin d’aide se présentent également à l’hôpital public de l’autre côté de la ville. L’espace est compté et certains sont installé sur des lits à l’extérieur des salles. Si leur blessure est moins grave, ils sont parfois assis à même le sol sur un carré de carton.
Rousseau Hussein, un résident travaillant aux urgences, déclare que la situation s’est calmée au cours de la semaine écoulée, mais qu’ils continuent d’accueillir les patients blessés dans le tremblement de terre en provenance des zones périphériques. L’hôpital a reçu du soutien et a le nécessaire pour traiter les cas qui se présentent.
Aux Cayes, beaucoup ont assisté au culte ce dimanche pour pleurer les disparus et rendre grâce pour leur propre survie.
Dans une église évangélique du quartier de Bergeaud, les paroissiens chantaient des hymnes sous les rayons du soleil qui passaient à travers les trous du toit et des murs.
Le pasteur Sevrain Marc Dix Jonas, affirme que le service de ce dimanche est spécial, parce que jusqu’à présent sa congrégation n’avait pas pu se réunir depuis le séisme.
« Aujourd’hui nous devions être là », dit-il, debout sous une ouverture béante au sommet de la façade de son église. « Pour remercier Dieu. Il nous a protégés. Nous ne sommes pas morts. » Son église est l’une des rares où les fidèles peuvent se rassembler à l’intérieur. Dans beaucoup d’autres cas, les services ont eu lieu dans la rue à l’extérieur des sanctuaires effondrés.
Bernard Fountaine, pasteur adjoint à la troisième Église Baptiste de la Mission Evangélique Baptiste du Sud d’Haïti aux Cayes, affirme qu’il y a une myriade de raisons pour lesquelles moins de croyants sont venus adorer ce dimanche.
« Certaines personnes ne sont pas encore revenues dans le lieu de culte par peur des répliques, d’autres ne savaient pas si l’Église allait se réunir ». « [Enfin,] ceux dont les maisons se sont effondrées n’avaient pas les vêtements pour venir à l’église. » L’Église de Wilbert Clément aux Cayes, l’Église Baptiste de Cance, a été gravement endommagée. Il a prêché sur le Psaume 91 et sur le Seigneur comme l’abri invincible pendant la catastrophe. « La congrégation est totalement épuisée et effrayée », nous dit-il.
La dévastation a frappé Lory, un village dans la campagne à environ 120 kilomètres au nord-ouest de l’épicentre du séisme. Les offices du dimanche à « L’église par la foi » de Lory attirent normalement environ 700 personnes. Cette semaine, seuls 200 fidèles se sont présentés à l’église.
« Les gens ont peur des répliques et sont dans l’insécurité parce qu’ils n’ont plus de maison. Vous pouvez voir la peur dans leurs yeux », déclare le pasteur Lomann Dolce à CT. « Ils prient pour de l’aide parce qu’ils ont tout perdu. Ils ne se sentent plus en sécurité. Dieu est leur seul espoir. »
À Camp Perrin, à environ 48 kilomètres à l’ouest de l’épicentre, le tremblement de terre a endommagé un certain nombre de bâtiments éducatifs qui sont liés au ministère de l’Église baptiste de Guichard. Ce dimanche, ceux qui étaient présents ont passé du temps à adorer et à prier pour que leurs maisons et leur école soient reconstruites et pour le financement de la clinique médicale gratuite qui se trouve également sur leur propriété, a rapporté le pasteur Eberle Nazaire à CT. « Si nous ne trouvons pas ces fonds nécessaires, la situation sera très difficile dans les prochains jours, car nous sommes maintenant au milieu de la saison des ouragans ». « Nous avons besoin de cet argent pour reconstruire des maisons et éduquer les enfants et les jeunes ».
L’apologète haïtien Lesly Jules s’inquiète que certains concluent que c’est le séisme qui a tué des gens alors que, en réalité, le problème est que les bâtiments n’étaient pas conformes au code de la construction.
« Malheureusement, depuis le dernier tremblement de terre, les codes de construction n’ont pas été appliqués par le gouvernement haïtien », déclarait Jules à CT dans un précédent article où lui et d’autres dirigeants chrétiens haïtiens abordent la réponse de l’Église aux tremblements de terre de 2010 et 2021 et proposent à l’Église mondiale des sujets de prière pour Haïti.
« Les Églises n’ont pas insisté sur la nécessité d’agir avec sagesse lorsqu’il est question de construire. Le sens littéral de la parabole du fou qui construit sa maison sur le sable n’a pas été mise en rapport avec les tremblements de terre », affirme-t-il encore.
« Priez pour la force du témoignage de l’Église haïtienne. Le pays a désespérément besoin d’une église qui remplira le rôle de sel et de lumière », déclare Magda Victor, secrétaire générale de la Société biblique haïtienne.
Dans la foulée de l’assassinat du président au mois de juillet, le président de l’Université Emmaüs d’Haïti, Guenson Charlot, et son épouse, Claudia Charlot, directrice de Hand Up Micro Credit, ont participé au podcast Quick to Listen de CT (en anglais). Guenson se disait préoccupé par le fait que trop d’étrangers essayent de trouver une solution rapide aux problèmes systémiques d’Haïti : « Ce que je demande en ce moment à nos amis et à nos frères chrétiens évangéliques en Amérique du Nord, c’est d’avoir un peu de patience ». « Laissez-nous travailler ».
« Le changement que nous espérons n’arrivera pas du jour au lendemain. Je sais que les besoins sont pressants, mais nous devons avoir une stratégie d’autosuffisance », dit-il. « Nous ne pouvons pas résoudre tous les problèmes du jour au lendemain. Pour être plus efficaces dans ce que nous faisons, nous devons investir dans des plans à long terme. »
Reportages d’Evens Sanon et Marko Alvarez pour Associated Press, avec contribution de Christopher Sherman. Reportage supplémentaire de Morgan Lee pour CT.
Traduit par Lee Tracey Jahdona Hubguerly Louis-Jeune
Révisé par Léo Lehmann