Qui était vraiment la première apôtre ?

Touchée par la grâce, Marie Madeleine a une histoire à nous raconter.

Christianity Today April 5, 2024
Illustration de Chloe Cushman

À l’exception de Jésus-Christ et de sa mère Marie, peu de personnages bibliques occupent une place aussi importante dans l’histoire de l’art chrétien que Marie-Madeleine. Peintures et sculptures reviennent régulièrement à la représentation de ces deux Marie, non seulement parce qu’elles apparaissent fréquemment dans le Nouveau Testament, mais aussi parce qu’elles jouent un rôle central dans la vie de Jésus.

L’identité de Marie de Nazareth est incontestée. Elle est la jeune fiancée qui a conçu Jésus, le Fils de Dieu. Présente auprès de son Fils et de ses disciples tout au long de son ministère terrestre, elle est restée avec lui jusqu’à la fin et au-delà, quand l’Esprit saint inspira les fidèles à répandre partout la nouvelle du salut.

L’identité de Marie-Madeleine, en revanche, n’est pas aussi claire. De ses représentations visuelles à travers le temps émerge une histoire riche, complexe et intrigante, qui soulève en fin de compte une question centrale : qui était-elle ?

En nous penchant sur cette question au filtre de l’art chrétien, on perçoit rapidement que la réponse n’est pas évidente. Comme le révèle le dernier ouvrage d’histoire visuelle de Diane Apostolos-Cappadona, Marie-Madeleine a représenté énormément de choses pour l’Église à travers le monde et à travers les âges.

L’exposition « À la recherche de Marie Madeleine », organisée en 2002 par Apostolos-Cappadona, présentait effectivement plus de 80 œuvres d’art et objets représentant Marie Madeleine. L’histoire de l’art l’associe souvent à des cheveux longs, à une jarre d’huile d’onction et à la nudité. Elle incarne fréquemment la pécheresse pénitente et la prostituée repentie, réputée pour son amour fervent du Christ et son humilité face à lui. Elle est connue pour sa présence à la croix et au tombeau dans le jardin. On se souvient également d’elle pour ses courageux voyages missionnaires en tant qu’évangéliste et prédicatrice.

Ces portraits de Marie-Madeleine donnent un aperçu de l’interprétation que l’Église a faite de son histoire, mais aussi de l’impact des légendes médiévales qu’elle a inspirées.

L’Art Institute of Chicago a récemment accueilli deux tableaux du célèbre artiste italien le Caravage. L’un d’eux, Marthe et Marie-Madeleine, peint vers 1598, illustre bien les difficultés à cerner son histoire.

En associant Marie-Madeleine à Marthe, le Caravage suivait des enseignements du sixième siècle du pape Grégoire le Grand, qui avait appliqué les références bibliques concernant Marie de Béthanie à la personne de Marie-Madeleine. Sous la direction de Grégoire, et dans l’esprit médiéval, Marthe est devenue la sœur de Marie-Madeleine et Lazare son frère. À l’époque du Caravage, également époque de la Réforme, les efforts exégétiques visant à distinguer Marie de Béthanie de Marie-Madeleine avaient provoqué une controverse entre protestants et catholiques romains. Y avait-il deux Marie dans ces passages ou une seule ? Comme l’ont montré les travaux de Margaret Arnold, le cas de Marie Madeleine illustre bien les tensions entre la tradition de l’Église catholique et le Sola Scriptura protestant.

L’examen de la peinture du Caravage révèle une autre complexité. Marie-Madeleine se regarde dans un miroir convexe, objet de luxe au début de l’époque moderne. Si nous pouvons aujourd’hui facilement admirer notre propre reflet, tel n’était pas le cas à l’époque. Les miroirs n’ont intégré les foyers qu’au 17e siècle et n’ont commencé à remplacer les tapisseries murales qu’au 18e siècle. À cette époque, le miroir convexe était associé à la déformation du moi. Il renvoyait à la perception de soi et à la nécessité de faire face au péché humain.

En mettant Marie-Madeleine face à un miroir convexe, le Caravage évoque les thèmes du péché et de la pénitence, qui ont fait la trame de son histoire pendant des siècles en raison de son association avec la femme pécheresse de Luc 7. Vu l’amalgame entre Marie de Magdala et Marie de Béthanie, puis le rapprochement entre Marie de Béthanie et la femme pécheresse (l’une oignant Jésus en Jean 12.1-8 et l’autre en Luc 7.36-50), le pas fut vite franchi de jeter une réputation de pécheresse sur Marie de Magdala.

Il n’est donc pas facile de décrire correctement de Marie-Madeleine. Les représentations artistiques que l’on a faites d’elle reflètent souvent la confusion due aux lectures traditionnelles du texte biblique ainsi qu’aux couches de légendes médiévales qui ont prolongé son histoire.

The Chosen, la série multi-saisons de Dallas Jenkins sur la vie de Jésus, prolonge ces réécritures. Elle a suscité bien des débats dès son premier épisode en présentant la vie de Jésus à travers le regard de deux personnages inattendus et régulièrement négligés : Marie-Madeleine et Nicodème.

L’intérêt croissant pour l’identité et le sens à donner au personnage de Marie de Magdala devrait nous amener à réexaminer le texte biblique. Elle n’apparait peut-être pas à chaque page des récits évangéliques, mais chaque fois qu’on la voit, elle occupe une place prépondérante en tant que témoin oculaire et bénéficiaire de la grâce.

Le Nouveau Testament brosse un tableau saisissant de la vie et de la foi de Marie de Magdala. Luc la présente de la manière suivante :

Par la suite, il [Jésus] se mit à cheminer de ville en ville et de village en village ; il proclamait et annonçait la bonne nouvelle du règne de Dieu. Les Douze étaient avec lui, ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies : Marie, celle qu’on appelle Madeleine (ou de Magdala), de qui étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chuza, intendant d’Hérode, Susanne, et beaucoup d’autres, qui utilisaient leurs biens pour les servir. (Lc 8.1-3)

Luc la distingue des nombreuses autres Marie en la surnommant « Madeleine » ou « de Magdala ». Les chercheurs ont souvent associé ce titre à un village de pêcheurs prospère situé sur la rive ouest de la mer de Galilée. Cette localité aurait été nommée Magdala en raison de la présence, à une époque antérieure, d’une tour dans son port (magdala signifie « tour » en araméen). Gens et richesses y auraient afflué, faisant passer Magdala du statut de village à celui de véritable cité, rivale juive des villes de la Décapole. De récentes découvertes archéologiques y ont mis au jour une synagogue cossue et des thermes hellénistiques.

Luc dépeint Marie comme généreuse. Si elle était effectivement originaire de la région, elle devait probablement bénéficier de ses richesses.

Mais en dépit de ses biens matériels, sa vie a dû également être marquée par un temps de grande détresse. Puisque Marie suit Jésus et que les auteurs de l’Évangile tiennent à montrer la puissance de Jésus sur les démons, c’est donc certainement lui qui a chassé ceux qui étaient sortis d’elle. Marie-Madeleine, ainsi que les autres femmes qui voyageaient avec lui, avait été guérie de diverses maladies, tant spirituelles que physiques.

Plusieurs fois, au cours de son ministère, Jésus a refusé aux personnes qu’il avait guéries de l’accompagner. Il les a renvoyées chez elles (Lc 8.38-39 ; 14.4). Mais pas ces femmes-là. À elles, il a dit oui.

Parmi elles, Marie de Magdala se distingue des autres par l’importance de sa guérison. Son cas faisait sans doute partie de ces situations désespérées décrites par Jésus en Luc 11.26.

Le chiffre sept évoque l’accomplissement. Il indique que c’est la vie tout entière de la personne qui est envahie par les démons. Si la présence d’un seul esprit provoque la terreur, on ne peut s’imaginer être possédé par 7 démons. Marie représente donc une personne « à qui l’on a beaucoup donné » pour sa guérison. Par conséquent, « on attend beaucoup » de sa part (12.48).

Et elle va amplement s’acquitter de sa dette de reconnaissance envers Jésus. Alors qu’il parcourt les villes et les villages en prêchant la bonne nouvelle du royaume de Dieu, elle est là avec lui, et elle est la première des femmes nommées. Ce passage de Luc 8 est l’un des passages du Nouveau Testament où notre vision de l’entourage de Jésus s’élargit. Il n’y a pas que 12 disciples. Ils sont là, mais ils ne sont pas les seuls. Le cercle est plus large.

Par gratitude, Marie et les autres femmes ont mis leurs biens au service du mouvement initié par Jésus. On se demande souvent comment Jésus et ses 12 disciples ont pu subvenir à leurs besoins alors qu’ils avaient quitté leur emploi. Voici une partie de la réponse. Ces femmes les aidaient à payer leurs factures. Au cours des nombreux voyages de Jésus, elles ont observé son ministère et y ont participé. Elles l’ont aussi soutenu financièrement.

Il n’est pas très étonnant que Luc les mentionne, car il n’hésite pas à indiquer la présence de femmes aux côtés des hommes (Luc 23.27, 49), mais Matthieu et Marc soulignent également la mixité du groupe des disciples. Ces deux évangélistes mentionnent aussi celles qui ont suivi Jésus de la Galilée à Jérusalem, s’occupant de lui au cours de ce long voyage (Mt 27.55-56 ; Mc 15.40-41).

Dans ces trois textes, Marie Madeleine est mentionnée en premier. Elle était l’une des disciples de longue date et était profondément engagée envers Jésus. Elle avait une histoire à raconter sur ce que son Seigneur avait fait pour elle. Et, ayant suivi Jésus jusqu’à la fin de sa vie, elle a été témoin oculaire des événements qui ont changé le monde. Elle a assisté à sa mort, son ensevelissement et sa résurrection.

Matthieu, Marc et Luc indiquent qu’un groupe de femmes observe à distance la crucifixion de Jésus (Luc 23.49 ; 24.10). Marie de Magdala est citée en premier chez Matthieu et de Marc. Ces femmes n’avaient ni fui ni renié Jésus comme certains des autres disciples, mais la distance qu’elles gardaient n’apportait surement pas un grand réconfort à Jésus. Peut-être avons-nous là, selon certains interprètes, une évocation du Psaume 37.12 dans la Septante (Psaume 38.11 dans nos bibles), où l’épreuve d’une personne souffrante est aggravée lorsque ses amis et sa famille se tiennent à l’écart.

Toutefois, selon le récit que fait Jean sur la crucifixion, Marie ne reste pas à cet endroit : « Auprès de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie-Madeleine. » (Jn 19.25, italiques ajoutés)

À un moment donné, elle s’est donc déplacée pour s’approcher de Jésus, suffisamment près pour l’entendre parler. C’était risqué. Il était crucifié en tant qu’usurpateur ; s’associer à lui pouvait coûter cher. De nombreuses femmes chrétiennes du 1er siècle ont été emprisonnées et persécutées pour leur foi — Romains 16.7 mentionne les épreuves de Junia et une lettre du deuxième siècle du gouverneur romain Pline à l’empereur Trajan relate l’interrogatoire et la torture de deux femmes diacres. Mais Marie est audacieuse. Elle veut être présente près de Jésus et de sa mère pour les réconforter.

Les quatre Évangiles confirment aussi la présence de Marie après la mort de Jésus. Elle parcourt la courte distance qui sépare la croix du tombeau pour voir où le corps de Jésus est déposé (Luc 23.55). Elle veut être au cœur éprouvant du deuil. Le moment où la mort semble définitive et où l’on dépose la personne dans son lieu de repos. Le moment où la poussière retourne à la poussière.

Après avoir honoré le reste du sabbat, Marie et les autres femmes retournent au tombeau pour oindre le corps de Jésus de parfum et d’aromates. Il était courant d’oindre un cadavre avec de l’huile, mais les épices indiquent quelque chose de spécial. Marie et les autres femmes qui s’étaient occupées financièrement de Jésus semblent avoir continué à le faire, de même que Nicodème (Jean 19.39). En tant que lecteurs, on ne peut que constater l’engagement profond de ces personnes.

En acceptant de s’occuper de Jésus une dernière fois, Marie et les autres femmes sont témoins du moment le plus crucial de sa vie humaine. Lorsqu’elles retournent au tombeau, elles ne trouvent pas son corps. Au lieu de cela, des êtres célestes d’une blancheur éblouissante leur apparaissent et les aident à se remettre du choc. Mais ils leur rappellent aussi que Jésus avait prédit cet événement et les invitent à aller annoncer aux autres disciples la nouvelle de sa résurrection (Mt 28.5-7 ; Mc 16.6-7). Finalement, Jésus lui-même, le ressuscité, se révèle à elles et les charge d’aller tout rapporter aux autres disciples (Mt 28.10).

Marie de Magdala est la seule de ces femmes à être citée dans les quatre Évangiles, ce qui signifie que chaque évangéliste a estimé qu’elle était suffisamment importante pour la nommer. Marie était présente avec Jésus au long de son ministère, ainsi qu’au moment de sa mort et de sa résurrection. Et c’est lui qui lui a demandé de raconter cette histoire. C’est pour cette raison que le christianisme oriental comme occidental se souvient d’elle comme de la première apôtre.

Le témoignage que nous offre Marie-Madeleine jusqu’au tombeau et au-delà nous révèle l’immense puissance rédemptrice du Dieu qui l’a délivrée de sept démons. Elle atteste également du soutien puissant de Dieu, qu’elle a accueilli, pour pouvoir accompagner fidèlement Jésus à des moments clés de sa vie. Elle s’est ensuite engagée dans la proclamation de la bonne nouvelle qui a changé le monde. C’est Jésus lui-même qui l’avait mandatée pour cette tâche.

Dans le vaste récit de Luc sur la naissance de l’Église, Marie Madeleine semble bel et bien faire partie des personnes chargées d’annoncer la Bonne Nouvelle, non seulement aux autres disciples, mais aussi à tous les peuples. En Luc 24.33, les 11 disciples et leurs compagnons sont réunis, y compris probablement aussi Marie-Madeleine et les autres femmes qui sont revenues pour témoigner de la résurrection de Jésus (v. 9-10). Puis Jésus apparait et leur dit à tous : « Vous êtes témoins de ces choses » (v. 48).

Les témoins sont des personnes qui ont vu et peuvent raconter ce qu’elles ont vu. Comme demandé par Jésus, ils attendront la venue de l’Esprit, dont Luc précisera, plus tard, qu’il est descendu sur les serviteurs et les servantes du Christ (Ac 2.17-18). Et, lorsqu’il décrit les événements postérieurs à la résurrection dans son sermon à Antioche de Pisidie, Paul résume : « il est apparu pendant de nombreux jours à ceux qui étaient montés avec lui de la Galilée à Jérusalem, et qui sont maintenant ses témoins auprès du peuple. » (Ac 13.31, italiques ajoutés)

Puisque Marie est montée avec Jésus de la Galilée à Jérusalem, puisqu’il lui est apparu ressuscité, elle fait désormais partie de ses témoins auprès du peuple.

La fidélité constante de Marie pourrait en fait se refléter dans son nom. Certains spécialistes du Nouveau Testament, sous l’impulsion des travaux d’Elizabeth Schrader Polczer, se sont récemment demandé si « Magdala » ne décrirait pas son caractère plutôt que sa ville natale. Elle aura été une tour, un pilier de la foi, montrant obstinément le chemin vers celui qui l’a délivrée de ses démons et lui a confié une mission. L’Église a aussi parfois compris la signification de son nom de cette manière, bien qu’on l’ait souvent oublié.

Dieu met tous les disciples de Jésus au défi d’accueillir la puissance de l’Esprit pour imiter la fidélité de Marie, tant en actes qu’en paroles. Une fois de plus, l’Écriture nous révèle que Dieu inclut pleinement les femmes dans son œuvre pour le monde.

L’importance de la représentation de Marie Madeleine dans l’art chrétien témoigne à la fois d’une reconnaissance du rôle essentiel qu’elle a joué, mais aussi d’une certaine confusion quant à son identité. La Bible ne mentionne ni la nature des démons qui l’affligeaient ni la nature du péché de la femme anonyme de Luc 7 à laquelle elle a été associée. Considérer Marie Madeleine comme une prostituée va bien au-delà de ce que permet le texte biblique.

Mais le miroir convexe du Caravage a bien sa place. Marie était prise dans la toile du péché, affligée dans son être intérieur et extérieur par les puissances des ténèbres — comme nous le sommes tous. Et elle avait besoin du Sauveur, Jésus-Christ.

Malgré les confusions au cours des siècles, la réponse à la question « Qui est Marie de Magdala ? » est claire. Elle est une pécheresse rachetée que l’Esprit de Dieu a poussée à suivre Jésus et que Jésus lui-même a chargée d’annoncer la bonne nouvelle de son retour à la vie au matin de Pâques.

Lorsque nous croisons son image, utilisons-la comme un miroir de nous-mêmes et de ce que, par la grâce de Dieu, nous pouvons devenir : des hommes et femmes apôtres de la bonne nouvelle de la résurrection !

Jennifer Powell McNutt est titulaire de la chaire Franklin S. Dyrness d’études bibliques et théologiques au Wheaton College et autrice de The Mary We Forgot (Brazos Press, octobre 2024).

Amy Beverage Peeler est titulaire de la chaire Kenneth T. Wessner d’études bibliques au Wheaton College et autrice de Women and the Gender of God.

Traduit par Anne Haumont

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Le « complémentarisme » survivra-t-il ?

Je veux continuer à me présenter comme complémentarienne, mais nous devons nous réapproprier ce terme.

Christianity Today April 3, 2024
Illustration de María Jesús Contreras

Le complémentarisme a-t-il un avenir ? Ma question n’est pas de savoir si l’idée de complémentarité ordonnée par Dieu entre les hommes et les femmes continuera d’exister. Ceux d’entre nous qui soutiennent le principe d’égalité et de distinction entre les hommes et les femmes considèrent qu’il est fondé dans l’Écriture elle-même. Je parle plutôt du complémentarisme en tant que mouvement spécifique articulant de manière cohérente certaines de ces convictions bibliques.

J’aimerais beaucoup pouvoir continuer à me décrire comme complémentarienne de conviction, croyant que l’Écriture prescrit des rôles particuliers pour les hommes et les femmes dans l’Église et dans le foyer. Mais ces dernières années, la disqualification, les reprises incontrôlées et la cannibalisation croissantes du complémentarisme m’ont amenée à me demander si je devais continuer à utiliser ce terme pour décrire ce que je crois.

Depuis que le mot est apparu pour la première fois à la fin des années 1980 pour décrire ou formuler les convictions théologiques qui sont aujourd’hui les miennes, le concept a fait l’objet de nombreuses critiques. En tant que chrétiens, nous ne devrions pas craindre les questions, mais accepter une critique saine et respectueuse. Elle nous oblige à remettre en question notre façon de penser, à identifier nos présupposés et à progresser dans notre compréhension et notre connaissance de Dieu.

Mais la disqualification est différente. Elle ne se limite pas à dire : « Je pense que vous avez tort, et voici pourquoi. » Elle vous signifie : « Vous ne méritez pas d’exister. Il n’y a pas de place pour vous ici. » Malheureusement, un nombre croissant d’opposants au complémentarisme choisissent de passer outre la critique pour aboutir à la disqualification. Je vois en effet de nombreux nouveaux et plus jeunes critiques condamner aujourd’hui toutes les expressions du complémentarisme — en tout temps et en tout lieu — comme intrinsèquement abusives et intolérables.

Je partage la tristesse exprimée par nombre de ces sœurs et frères. Je déplore que la théologie complémentarienne ait été utilisée à mauvais escient et de manière abusive par ceux qui se présentaient comme ses partisans, au réel détriment d’autres personnes, en particulier des femmes. Je souhaite ardemment un mouvement de repentance et d’engagement renouvelé envers ce que je vois comme l’enseignement biblique véritable et porteur de fruits de la complémentarité des hommes et des femmes.

Cependant, beaucoup considèrent aujourd’hui que le concept de complémentarisme ne peut être autre chose qu’une nuisance pour les femmes et qu’il n’a pas sa place dans l’Église contemporaine. Mais cela signifie alors qu’il n’y a pas de place pour les femmes complémentariennes comme moi dans l’Église.

Je suis titulaire d’un doctorat en théologie et j’ai une grande expérience de la direction de ministères, ainsi que le respect et le soutien d’innombrables collègues complémentariens masculins. Lorsque je cherche à offrir ma propre expérience et mes références comme preuve que le complémentarisme est bel et bien capable de soutenir et d’honorer les femmes, on me répond qu’il est tout simplement impossible que le complémentarisme ait produit des résultats aussi positifs, et que je ne dois donc pas être complémentarienne.

Comment le complémentarisme pourrait-il avoir un avenir si ses opposants nient même qu’il puisse avoir un présent ?

Mais la disqualification n’est pas seule à menacer l’avenir du complémentarisme. Ce cadre théologique est également repris par des personnes ayant une vision beaucoup plus restrictive des relations entre les hommes et les femmes et de leurs rôles et qui cherchent à aplanir toute différence entre complémentarisme et patriarcat (la domination sociétale des hommes). Mais la théologie complémentarienne n’est pas la même chose que l’idéologie patriarcale. Ceux d’entre nous qui sont attachés aux principes théologiques fondamentaux du complémentarisme peuvent immédiatement repérer les différences.

Rédigé en 1987, le document fondateur du complémentarisme — la Déclaration de Danvers — souligne l’égalité des hommes et des femmes en tant que personnes. Elle reconnaît en même temps l’existence de distinctions scripturaires et expose notre enseignement biblique sur la manière de vivre fidèlement ces distinctions au sein du foyer et de l’Église. Elle appelle les femmes à exercer l’intelligence que Dieu leur a donnée, à ne pas se montrer serviles et à faire connaître la « grâce de Dieu en paroles et en actes ».

En cela, elle est en contraste flagrant avec ceux qui parlent des hommes et des femmes comme étant inégaux par essence, qui étendent la nécessité d’une direction masculine à tous les domaines de la société, au-delà du mariage et de l’Église, qui prétendent qu’il n’y a pas de place pour les femmes dans les études théologiques (ou même dans l’enseignement supérieur en général), qui encouragent les maris à déterminer quels livres chrétiens ils autoriseront ou non leurs femmes à lire, et qui suggèrent qu’il n’y a pas de ministère légitime pour les femmes en dehors de la maison. Il ne s’agit pas de complémentarisme.

À leur crédit, de nombreux partisans du patriarcat le savent bien. Pour eux, le complémentarisme est trop passif. Il ne va pas assez loin. Malgré cela, le complémentarisme est de plus en plus pris en otage par cette idéologie trompeuse et répressive.

Lorsqu’il n’y a pas de distinction publique reconnue entre ces deux visions des choses différentes, comment le complémentarisme peut-il s’affirmer en tant que tel ? Comment pourrait-il continuer à avoir un véritable sens à l’avenir ?

Outre sa disqualification et ses reprises par des personnes extérieures au mouvement, le troisième danger actuel et probablement le plus grave pour l’avenir du complémentarisme est la cannibalisation de l’intérieur. Cette cannibalisation se produit lorsque les adhérents au mouvement tentent de verrouiller le complémentarisme au-delà des principes théologiques fondamentaux de la Déclaration de Danvers.

Oui, des individus, des églises et des ministères différents parviendront à des conclusions différentes quant à l’application de ces principes. Cependant, le péril de l’autodestruction menace lorsque de telles interprétations sont définies comme la seule forme fidèle de complémentarisme. C’est ce qui se produit lorsqu’il devient impossible pour quelqu’un ou pour un groupe d’envisager que des conclusions divergentes restent fondées et cohérentes avec les affirmations théologiques fondamentales du complémentarisme.

Nous sommes également sur la voie de l’autodestruction lorsque ceux qui se présentent comme complémentariens combattent avec empressement toute velléité de pensée féministe tout en apparaissant fermer les yeux sur la misogynie la plus grossière. J’ai récemment vu un message d’une femme se décrivant sur twitter comme féministe chrétienne faire l’objet d’une attaque au vitriol de la part de certains milieux complémentariens, tandis qu’une vidéo virale affirmant que les femmes sont biologiquement moins capables de penser rationnellement que les hommes a été accueillie par un silence quasi total de la part du même camp.

Lorsque nous, complémentariens, sommes sélectifs quant aux principes bibliques que nous défendrons ou non, nous participons à notre propre destruction. Comment le complémentarisme pourrait-il avoir un avenir si nous, ses adeptes, ne nous tenons pas de manière complète et cohérente ce que nous disons croire ?

Je ne sais pas si le complémentarisme tel que nous le connaissons a un avenir. Mais je sais qu’il n’en aura un que si les chrétiens complémentariens sont prêts à démontrer constamment — en paroles et en actes — que ceux qui les (et nous) jugent incapables de porter les fruits de l’Évangile ont tort ; si nous sommes prêts à dénoncer sans réserve les enseignements non bibliques et misogynes sur les hommes et les femmes ; et si nous nous montrons redevables à l’égard de nos principes théologiques, en refusant d’aller au-delà ou de nous contenter de moins.

Si Dieu doit donner un avenir au complémentarisme, il faudra que ses adhérents masculins et féminins investissent de manière proactive dans cet avenir et qu’ils le fassent dans le cadre d’une véritable complémentarité des uns avec les autres. C’est là que réside le défi, mais aussi l’opportunité de montrer ce que signifie réellement le fait que Dieu a créé les hommes et les femmes pour qu’ils portent ensemble son image.

Nous avons une chance de faire revivre le rôle central que Dieu a voulu que les femmes jouent dans le récit de l’Écriture (comme dans Luc 24.1-12) et de mettre en œuvre entre les deux sexes le type de merveilleux partenariat pour le service que l’on peut voir dans Romains 16.

Nous avons l’opportunité d’imiter et d’honorer notre Sauveur, qui a toujours traité les femmes avec beaucoup de dignité et de respect, qui les a appelées à trouver la vie en abondance en lui et les a incitées à appeler d’autres à faire de même.

Danielle Treweek est l’autrice de The Meaning of Singleness: Retrieving an Eschatological Vision for the Contemporary Church et responsable diocésaine de la recherche pour le diocèse anglican de Sydney.

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Culture

Le caractère n’a-t-il vraiment plus d’importance ?

La « pudibonderie joyeuse » de l’évangélique Ned Flanders a cédé la place à la vulgarité, la misogynie et l’esprit partisan. Quel impact pour notre témoignage ?

Christianity Today April 3, 2024
Illustration par Christianity Today/Images sources : WikiMedia Commons/Getty

Ce texte a été adapté de la newsletter de Russell Moore. S’abonner ici .

Je suppose que Ned Flanders fréquente maintenant les clubs de strip-tease.

Il y a longtemps que je n’avais plus repensé à la caricature du voisin chrétien né de nouveau de la série Les Simpson. La journaliste religieuse du New York Times Ruth Graham l’a récemment cité, lui et sa « pudibonderie joyeuse », comme exemples — aux côtés de Billy Graham et George W. Bush — de ce qu’étaient autrefois les figures chrétiennes évangéliques les plus connues de notre pays. En 2001, un article de Christianity Today le surnommait même « Saint Flanders ». Les chrétiens évangéliques savaient que le moralisme de Ned était destiné à nous tourner en ridicule et que ses « valeurs familiales traditionnelles » étaient en décalage avec une culture américaine post révolution sexuelle.

Mais Ned n’était pas un charlatan. Il aspirait bel et bien au type de vie de prière, de lecture de la Bible, de chasteté morale et d’amour du prochain que les évangéliques étaient censés vouloir, même s’il le faisait d’une manière triviale et caractéristique de la classe moyenne de banlieue nord-américaine. Comme le souligne Ruth Graham, s’il se matérialisait aujourd’hui, Ned Flanders ferait l’objet de moqueries féroces pour ses scrupules moraux, mais probablement davantage de la part de ses coreligionnaires évangéliques blancs que de celle de ses voisins de bande dessinée non-croyants et amateurs de bière.

Comme le dit la journaliste, une « culture “nichons et boisson” a frayé son chemin dans la classe dirigeante conservatrice, soutenue par l’ascension de Donald J. Trump, le déclin de l’influence des institutions religieuses traditionnelles et un paysage médiatique changeant, de plus en plus dominé par les normes plus souples de la culture en ligne. » (L’article que vous lisez en ce moment même témoigne de ce changement. J’ai passé plus de 15 minutes à réfléchir à la manière de citer Graham sans utiliser le mot anglais « boobs » qu’elle emploie.)

L’analyse de Graham est importante pour les chrétiens américains, précisément parce que le changement qu’elle décrit n’est pas quelque chose « d’extérieur », appartenant au reste de la culture, mais est au contraire conduit spécifiquement par la même sous-culture évangélique blanche qui insistait autrefois sur le fait que le caractère personnel — la vertu, pour utiliser un mot aujourd’hui démodé que les fondateurs de notre pays connaissaient bien — est important.

Oui, le caractère de plus en plus vulgaire d’une certaine droite est en partie dû à la sécularisation de la base par des émissions de culture pop dont les vedettes promeuvent davantage un libertarisme décomplexé que l’Évangile. Mais ce qui est beaucoup plus alarmant, c’est que la grossièreté et l’effritement de la vertu sont bien observables parmi les chrétiens professant engagés en politique. La membre du Congrès qui, lors d’un petit-déjeuner de prière, a plaisanté sur le fait qu’elle avait refusé des relations sexuelles à son fiancé pour pouvoir se présenter devant son auditoire, était là pour parler de sa foi et de l’importance de la foi et des valeurs religieuses pour l’Amérique. Le membre du Congrès qui a récemment dit à un journaliste « d’aller se faire f… » se présente comme un « nationaliste chrétien ». Nous avons entendu des « Let’s Go Brandon » — une formule dissimulant une insulte qui aurait autrefois entraîné des mesures disciplinaires — chantés dans des églises.

Le pasteur et aspirant théocrate Douglas Wilson a publiquement utilisé une insulte à l’encontre des femmes que non seulement je ne répéterai pas ici, mais qu’aucun média non chrétien ne citerait — et ce, sans même faire référence au roman de Wilson, d’une grossièreté effrayante, à propos d’un robot sexuel.

Wilson, bien sûr, cultive une attitude caricaturale consistant à mettre en scène une forme de vilenie qui n’est pas représentative de la plupart des chrétiens évangéliques. Mais le problème réside dans la manière dont de nombreux autres chrétiens réagissent : « Eh bien, je ne dirais pas les choses comme il les dit, mais… » Certains ne voient rien de plus que des « tweets méchants » lorsque Donald Trump s’en prend à celles qui prétendent avoir été agressées sexuellement par lui en raison de leur apparence, à des héros de guerre parce qu’ils ont été capturés, à des personnes handicapées parce qu’elles sont handicapées, ou qu’ils soutient ceux qui ont attaqué des policiers et saccagé le Capitole en les qualifiant d’« otages ».

Le pire, c’est que les chrétiens évangéliques — dont certains de ceux que j’ai entendus pontifier sans fin sur l’immoralité sexuelle de Bill Clinton (et avec les propos desquels j’étais d’accord à l’époque et le suis encore aujourd’hui) — qualifient de moralistes à la noix ceux qui refusent de faire exactement ce pour quoi ils ont condamné les défenseurs de Clinton : privilégier l’alignement des vues politiques au détriment du caractère personnel.

Au milieu du scandale Clinton de la fin des années 1990, un groupe d’universitaires publiait une « Déclaration concernant la religion, l’éthique et la crise de la présidence Clinton » :

Nous sommes conscients que certaines qualités morales sont essentielles à la survie de notre système politique, parmi lesquelles le souci de la vérité, l’intégrité, le respect de la loi, le respect de la dignité d’autrui, l’adhésion au processus constitutionnel et la volonté d’éviter les abus de pouvoir. Nous rejetons l’idée que les violations de ces normes éthiques devraient être excusées tant qu’un dirigeant reste fidèle à un programme politique particulier et que la nation bénéficie d’une économie forte.

Ces paroles semblent aujourd’hui appartenir à un passé bien lointain.

Notre situation serait compréhensible dans un monde où les mots qui sortent d’une personne ne représentent pas ce qui est présent dans le cœur, ou dans un monde où la conduite extérieure peut être séparée du caractère intérieur. Le problème est qu’un tel monde imaginaire est contraire à la Parole de Dieu. Jésus nous a enseigné exactement l’inverse, de manière explicite et répétée (Mt 15.10-20 ; Lc 6.43-45).

Ironiquement, certains de ceux-là mêmes qui soutiennent le mythe d’une « Amérique chrétienne », dans laquelle les fondateurs américains sont transformés en évangéliques conservateurs, adoptent aujourd’hui une manière de penser que les chrétiens orthodoxes comme les unitariens déistes de nos débuts auraient, d’un commun accord, dénoncée. Des Federalist Papers aux débats autour de la Constitution et de la Déclaration des droits, pratiquement tous les pères fondateurs — malgré toutes leurs divergences sur les spécificités du fédéralisme — affirment que les procédures et politiques constitutionnelles ne suffisent pas à elles seules à préserver une république : des normes morales et l’attente d’une certaine élévation de caractère personnel étaient nécessaires.

Ces normes empêchent-elles les personnes de basse moralité d’accéder à de hautes fonctions ? Pas du tout. Les hypocrites et les démagogues ont toujours existé. Ce que toutes les générations d’Américains ont cependant su jusqu’à présent, c’est qu’il y a une différence nette entre des dirigeants qui ne seraient pas à la hauteur de ce que l’on attend d’eux et des dirigeants qui opèreraient dans un contexte où il n’y a pas d’attentes en matière de caractère personnel. Vous pouvez engager un comptable pour s’occuper de vos impôts et découvrir plus tard qu’il s’agit d’un fraudeur ou qu’il détourne vos fonds. Ce n’est pas du tout la même chose que d’embaucher un fraudeur patenté parce que vous avez conclu que seuls les imbéciles respectent les lois fiscales.

Aucun responsable d’aucune communauté, association ou nation n’est un ensemble abstrait de politiques. Nous choisissons des responsables pour prendre des décisions sur des éventualités qui ne se sont pas encore produites, ou qui ne sont peut-être même pas envisagées. Un dentiste qui profère des injures à l’encontre de ses adversaires et promet une pratique fondée sur la « vengeance et la rétribution » et la destruction de toutes les normes de la dentisterie moderne n’est pas quelqu’un à qui vous devriez faire confiance pour manipuler la fraise dans votre bouche. Qu’en est-il lorsqu’il s’agit de confier à une personne des codes nucléaires ?

D’autre part, ce que les conservateurs en général et les chrétiens en particulier savaient autrefois, c’est que ce qui est banalisé dans une culture devient un élément attendu de cette culture. Défendre un président qui utilise son pouvoir pour avoir des relations sexuelles avec sa stagiaire en disant que « Tout le monde ment à propos du sexe » n’est pas seulement une question politique. Cela change au bout du compte la façon dont les gens pensent à ce qu’ils devraient attendre d’eux-mêmes. C’est ce que le sociologue Daniel Patrick Moynihan appelait « abaisser la barre de la déviance ».

Lorsque des habitants de Louisiane défendent leur soutien à David Duke, un propagandiste nazi et ancien grand sorcier du Ku Klux Klan, parce qu’il est prétendument « pro-vie » ne sont pas seulement en train de « choisir le moindre mal ». L’idée de « nazi pro-vie », ou d’« agresseur sexuel pro-vie », change la signification de ce que signifie pro-vie dans l’esprit de toute une génération.

Quels que soient les résultats politiques à court terme que vous pourrez « gagner », vous vous retrouverez dans une situation où certains croient que l’autoritarisme et les agressions sexuelles peuvent être compensés par la bonne approche politique, tandis que d’autres croiront que s’opposer à l’abus de pouvoir ou à l’anarchie sexuelle nécessite d’être opposé au courant pro-vie. D’une manière ou d’une autre, vous perdrez.

Les conséquences politiques à long terme d’une culture où la vertu ne compte plus sont importantes. Les conséquences pour un pays le sont encore plus. Mais pensez aussi aux conséquences sur vous. « Si les individus ne vivent que soixante-dix ans, alors un État, une nation ou une civilisation, qui peut durer mille ans, est plus important qu’un individu », écrivait C. S. Lewis. « Mais si le christianisme est vrai, alors l’individu est non seulement plus important, mais incomparablement plus important, car il est éternel. La vie d’un État ou d’une civilisation, comparée à la sienne, n’est qu’un court moment. »

La Bible nous avertit non seulement de ce que la dissolution du caractère — de l’immoralité à la vantardise en passant par l’absence de charité et la cruauté — peut faire aux âmes de ceux qui pratiquent de telles choses, mais aussi de l’effet désastreux sur ceux qui « approuvent ceux qui les pratiquent » (Rm 1.32).

Ned Flanders n’est pas, et n’a jamais été, l’idéal du chrétien. La piété personnelle et la moralité ne suffisent pas. Mais nous devrions nous poser la question : si Les Simpson étaient réécrits aujourd’hui avec l’intention de se moquer des chrétiens évangéliques, cette caricature représenterait-elle quelqu’un d’excessivement dévoué à sa famille, à la prière, à la fréquentation de l’église, à la gentillesse envers ses voisins et à la pureté maladroite de ses propos ? Ou Ned Flanders serait-il un militant hargneux, un insurrectionniste violent, un misogyne qui se moque des femmes ou un pervers abusif ?

Ce changement de perspective serait-il dû au fait que le monde séculier est devenu plus hostile aux chrétiens ? Peut-être. Ou serait-ce parce que, lorsque le monde séculier regarde le visage que montre le christianisme, il ne pense plus à Ned Flanders, mais à un visage avide de plus dans un club de strip-tease ?

Si nous sommes détestés pour nos tentatives de ressembler à Jésus, considérons cela comme une joie. Mais si nous sommes détestés pour notre cruauté, notre hypocrisie sexuelle, nos querelles, notre haine et notre vulgarité, nous devrions peut-être nous demander ce qu’il est advenu de notre témoignage.

Le caractère compte. Ce n’est pas la seule chose qui compte. Mais si le caractère n’y est pas, le reste est sans importance.

Russell Moore est rédacteur en chef de Christianity Today et dirige son projet de théologie publique.

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Books

Les chrétiens du Botswana secoués par un dramatique accident de bus.

Les responsables prient et déplorent l’insécurité routière après la mort de 45 pèlerins sur le chemin de l’Église chrétienne de Sion, en Afrique du Sud.

Des proches des victimes de l’accident de bus pleurent à la l’Église chrétienne de Sion (ZCC) à Molepolole, au Botswana.

Des proches des victimes de l’accident de bus pleurent à la l’Église chrétienne de Sion (ZCC) à Molepolole, au Botswana.

Christianity Today April 3, 2024
Monirul Bhuiyan/AFP via Getty Images

Le Botswana organisera jeudi une cérémonie nationale à la mémoire des 45 personnes décédées alors qu’elles se rendaient à une célébration de Pâques en Afrique du Sud. Une fillette de huit ans, Lauryn Siako, est la seule survivante après qu’un bus transportant des membres de l’Église chrétienne de Sion a franchi les barrières d’une corniche et dégringolé de 50 mètres la semaine dernière.

Dans les jours qui ont suivi l’accident mortel, divers pasteurs du Botswana sont apparus à la télévision nationale pour prier et réconforter les personnes en deuil.

« Cette tragédie nous invite à sortir de notre sommeil, à prier sans cesse et à proclamer la protection de Dieu dans toute situation », a déclaré David Seithamo, directeur de l’Alliance évangélique du Botswana. « La nation devrait se rassembler pour soutenir ceux qui sont en deuil en ce moment. Lorsqu’ils pleurent, nous devons pleurer, mais ils doivent savoir que le Christ reste notre réconfort. »

Ces Botswanais étaient au nombre de plusieurs millions de pèlerins qui se rendent chaque année à Pâques à Moria, une ville située dans le nord-est de l’Afrique du Sud et où se trouve le siège de l’Église chrétienne de Sion (parfois désignée comme Église zioniste et abrégée ZCC pour l’anglais Zion Christian Church), l’une des plus grandes Églises d’initiative africaine de la région. La ZCC compte des communautés dans toute l’Afrique australe, notamment au Botswana, au Lesotho, au Zimbabwe, en Zambie, au Mozambique et au Malawi.

L’Église s’est divisée en deux branches, la ZCC et la St Engenas ZCC. Cette année marque le 100e anniversaire de cette dernière, et le président sud-africain Cyril Ramaphosa a assisté à la célébration organisée pour l’occasion. Bien que la faction de St Engenas ait accueilli des pèlerins en 2023, il s’agit du premier pèlerinage officiel organisé par l’Église depuis la pandémie.

Compte tenu du nombre de touristes qui sillonnent généralement les routes pendant la semaine sainte, le gouvernement sud-africain avait déjà pris des mesures pour vérifier les aptitudes des conducteurs et la sécurité des véhicules.

Lauryn Siako a déclaré aux autorités que le bus suivait deux voitures transportant des anciens de l’Église lorsqu’il a chuté dans le ravin. C’était la première fois que des pèlerins de la capitale du Botswana, Gaborone, empruntaient cette voie pour se rendre à Moria. Un journaliste sud-africain a suggéré qu’ils avaient opté pour cette route de montagne sinueuse afin d’éviter les difficultés de la circulation.

Jobe Koosimile, ancien président de la Mission de la foi apostolique au Botswana, a qualifié de « miracle » le fait que la jeune fille ait survécu.

Dans une déclaration officielle, David Seithamo a encouragé ses compatriotes à continuer de prier pour « les familles endeuillées et le prompt rétablissement de l’unique survivante de l’accident, âgée de huit ans ».

« Nous saluons également les efforts du gouvernement du Botswana, par l’intermédiaire de l’ambassade du Botswana en Afrique du Sud, ainsi que ceux du gouvernement sud-africain, qui ont apporté une aide précieuse aux personnes endeuillées », a-t-il écrit. « Nous implorons les responsables chrétiens de continuer à offrir la prière et un accompagnement spirituel aux familles endeuillées. »

Les routes africaines sont notoirement dangereuses. Les accidents de la route sont la principale cause de décès sur le continent pour les adultes de moins de 50 ans ; environ un décès sur cinq en Afrique est dû à la circulation.

Au Botswana, des compagnies d’assurance automobile se sont associées à au moins un ministère chrétien national pour promouvoir la sécurité routière.

« La sécurité routière est une chose dont l’Église est consciente, qu’il s’agisse de l’Église pentecôtiste, de l’Organisation des Églises d’institution africaine ou d’une Église traditionnelle, nous en sommes conscients et considérons la sécurité routière comme quelque chose d’essentiel », a déclaré Jobe Koosimile.

« Lorsqu’il s’agit des fêtes nationales, la sécurité routière est mise en avant à la fois à la radio et à la télévision nationales, et vous verrez qu’il y a même des barrages routiers presque partout dans le pays, où notre police et nos agents de la circulation mènent des campagnes [de sécurité routière]. C’est un point sur lequel on insiste beaucoup. »

Malgré l’étendue géographique du pays — le Botswana est légèrement plus grand que la France —, celui-ci ne compte que 2,4 millions d’habitants. Environ 80 % d’entre eux sont chrétiens.

« Nous n’avons jamais connu une telle chose dans notre pays. Il n’y a jamais eu autant de morts dans notre pays. Cela a choqué presque tout le monde », dit Jobe Koosimile.

« La perte de 45 personnes n’est pas une plaisanterie pour notre très petite population. C’est une véritable tragédie. La plupart du temps, nous avons des liens de parenté entre nous, et [vous trouverez facilement] que l’un ou l’autre a un lien de parenté avec une personne touchée ou décédée dans l’accident. »

Le Botswana abrite de nombreuses communautés zionistes et une population importante de membres de la ZCC.

La croissance et la prévalence de celle-ci ont « fondamentalement mis sur la touche les églises protestantes traditionnelles qui ont introduit le christianisme en Afrique australe », écrit Barry Morton, chercheur en études africaines. « Outre leur large base de membres dans toute la région, ils contrôlent également de vastes empires commerciaux dans des domaines tels que les transports, l’agro-industrie et l’assurance. »

Certains estiment qu’un Sud-Africain sur dix en est membre.

La ZCC a été fondée il y a un siècle par Engenas Lekganyane, un Sud-Africain qui avait grandi parmi les missionnaires luthériens et presbytériens et qui a ensuite rejoint les mouvements pentecôtistes, zionistes et de guérison par la foi.

Selon Morton, « il a tiré l’essentiel de sa théologie de l’Apostolic Faith Mission, un groupe pentecôtiste auquel il a appartenu de 1910 à 1916 et qui était alors dirigé par des Blancs. Il a intégré de nombreuses pratiques syncrétiques issues de la tradition africaine. »

Les deux branches de l’Église, toutes deux localisées à Moria, sont dirigées par le petit-fils de Lekganyane (ZCC, représentée par une étoile) et par son arrière-petit-fils (St Engenas ZCC, représentée par une colombe). Leur théologie continue de refléter de nombreux enseignements de leur fondateur, avec des uniformes et des badges pour les membres, l’accent mis sur la guérison et l’éloignement du mal et la pratique de l’intercession auprès des ancêtres.

Malgré les pèlerinages massifs, le groupe maintient un certain degré de secret sur ses pratiques et ses croyances.

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Les rôles de genre au-delà de l’Église occidentale

Les chrétiens occidentaux pourraient apprendre de la diversité des ecclésiologies à travers le monde.

Christianity Today March 29, 2024
Illustration de María Jesús Contreras

Le récent regain d’intérêt pour la question des « rôles de genre bibliques » — comment les hommes et les femmes servent dans l’Église et interagissent à la maison — semble se focaliser sur l’Église occidentale, en particulier aux États-Unis. Nous avons contacté le président du Séminaire théologique Gordon-Conwell, Scott W. Sunquist, qui est également missiologue et spécialiste du christianisme non occidental, pour entendre une perspective plus globale sur la question du genre et de l’Église.

Cet entretien a été légèrement édité pour des raisons de style et de clarté.

Comment les termes du débat sur les rôles des hommes et des femmes ont-ils été définis dans les Églises évangéliques ?

Deux commentaires préliminaires : premièrement, la notion d’« évangélique » n’est plus très claire, de sorte que chaque fois que nous parlons des « Églises évangéliques », nous devrions préciser de quelle famille ou de quelle tradition nous parlons. Deuxièmement, une grande partie du « débat » concernant les rôles des hommes et des femmes aux États-Unis a eu lieu lorsque ma famille vivait à l’étranger. Nous avons donc raté les prémices de la discussion autour des termes complémentarien et égalitarien. Il s’agit de nouveaux concepts qui ont commencé à se répandre à la fin des années 1980.

Le débat évangélique à ce sujet a été très différent de la discussion œcuménique plus large concernant les rôles des hommes et des femmes. L’Église orthodoxe n’ordonne pas de femmes prêtres, pas plus que les catholiques romains. Les Églises protestantes traditionnelles ont commencé à ouvrir aux femmes toutes les fonctions dans l’Église dans le sillage du grand mouvement missionnaire, où les femmes prédominaient en tant que pionnières. Les pentecôtistes des débuts de ce mouvement, quant à eux, reconnaissaient une égalité de fonction entre les femmes et les hommes. Dans cette tradition, les femmes ont commencé, au début du 20e siècle, à implanter des églises et à en assurer la charge pastorale.

La vision binaire des rôles des hommes et des femmes — lui vs elle — que nous avons aujourd’hui provient principalement des traditions baptistes du Sud, indépendantes et réformées conservatrices. Sous l’étiquette du complémentarisme, celles-ci défendent une définition claire des deux genres et délimitent les rôles acceptables pour les femmes .

Précisons que ce discours spécifique est une approche américaine de la question qui a été exportée par le travail des missionnaires. Précisons également que toutes les traditions qui s’identifient comme évangéliques, tant aux États-Unis que dans le monde, n’abordent pas le débat de la même manière.

Le débat complémentarisme-égalitarisme est très important aux États-Unis ainsi que dans l’Église occidentale en général. Mais comment le rôle des hommes et des femmes dans l’Église est-il perçu ailleurs ? Comment interprète-t-on ce que les Écritures disent sur les distinctions de genre dans les différentes ecclésiologies à travers le monde ?

Comme nous le savons tous, la diversité de cultures (qui se manifeste le plus nettement dans les langues et les religions) est une belle chose dont nous sommes témoins et pouvons être reconnaissants. J’ai eu la chance d’enseigner et d’être instruit auprès de responsables chrétiens de nombreux pays d’Asie et d’Afrique. En général, une fois que les femmes sont alphabétisées, leur rôle évolue. L’Évangile permet l’alphabétisation et l’éducation des femmes, ce qui constitue souvent une menace pour les rôles féminins traditionnels dans les cultures islamiques, hindoues et bouddhistes. L’alphabétisation permet aux femmes de s’émanciper. Elles peuvent enseigner à leurs enfants, poser des questions et transmettre l’Évangile autour d’elles.

Cependant, dans de nombreuses cultures du monde, les hommes et femmes chrétiens ne s’assoient pas ensemble dans l’église. Les femmes ont leur côté où elles s’occupent des enfants. Les rôles de genre sont liés à la culture ambiante. Mais, là où les femmes sont opprimées, l’Évangile leur procure toujours un certain degré de liberté. Pour le dire autrement : lorsque l’Évangile pénètre dans une culture, il la fait évoluer vers plus de grâce, de bien-être et d’épanouissement pour tous. Nos cultures sont marquées par le péché. L’Évangile en ajuste les modèles au bénéfice des individus, des familles et des sociétés.

Quelle est la situation au sein des églises mono-ethniques aux États-Unis ?

Pour faire suite à votre question précédente, imaginons ce qui se passe lorsque des étrangers, par exemple asiatiques, viennent aux États-Unis. Les églises coréennes (et la plupart des églises chinoises) de première génération sont dominées par une éthique et un ordre social confucéens. Dans la société confucéenne, l’ordre social est hiérarchique : l’empereur règne sur ses sujets, le père domine sur ses enfants, le mari sur la femme, etc. Par conséquent, les femmes ne sont généralement pas intégrées parmi les responsables de ces communautés. Cela ne les empêche toutefois pas de les diriger en coulisse dans bien des cas.

L’aspect positif lié au maintien de ces aspects culturels est qu’un Coréen pourra trouver ainsi une église où il se sent chez lui : mon église avec mon peuple. Il peut se dire que le christianisme n’est pas une religion étrangère et qu’il peut fréquenter l’Église sans devoir changer de culture. L’aspect négatif de cette forte adhésion aux modèles culturels est que, dans certains cas, les femmes ne sont pas traitées avec le respect et la dignité qui leur revient d’office dans la tradition chrétienne. Cela nuit au témoignage de la foi. C’est l’un des nombreux exemples de conversion incomplète d’une culture. On en trouve dans toutes les traditions à travers le monde.

Comme je l’ai mentionné précédemment, la conversion au Christ s’accompagne d’un réajustement. Elle nous incite à ne pas rester coincés dans les schémas pécheurs de nos cultures. Aux États-Unis, dans de nombreuses églises indiennes ou moyen-orientales, les hommes et les femmes sont assis chacun de leur côté. Mais outre les cultures autochtones locales, l’enseignement des missionnaires occidentaux influence aussi souvent la place et le rôle des femmes.

Aucune église chinoise ou noire n’est « pure », tout comme aucune des églises que nous désignons parfois comme « blanches ». Les cultures contiennent toutes quelque chose de l’image de Dieu, mais elles sont déchues. Il est important de s’en souvenir pour éviter la tentation de vouloir façonner tous les groupes ethniques à « notre » image et de ne prendre en compte que notre définition des rôles de genre dans la famille et dans l’Église.

Au fur et à mesure que le mouvement évangélique se développe en dehors de l’Occident, devons-nous nous attendre à une croissance ou à un déclin des débats sur les rôles des femmes et des hommes ?

Si l’on entend par « mouvement évangélique » des traditions religieuses centrées sur l’autorité biblique, la centralité du Christ et la nécessité de la conversion, il se développe déjà depuis longtemps en dehors de l’Occident. Aujourd’hui, les évangéliques occidentaux ne représentent qu’environ 30 % des évangéliques dans le monde. Le théologien nigérian Ogbu Kalu soulignait que « le christianisme africain est un christianisme évangélique ». Selon la description mentionnée ci-dessus, la plupart des communautés chrétiennes en expansion (y compris les pentecôtistes) en Chine, en Afrique, en Asie du Sud, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine peuvent être considérées comme évangéliques. Dans l’évangélisme non occidental, de nombreuses églises indépendantes africaines ont leurs propres enseignements, mais, d’une manière générale, elles sont évangéliques et leur approche du genre suit leurs normes culturelles.

Toutefois, comme je l’ai mentionné précédemment, la place des femmes s’y est améliorée. Si nous sommes attentifs, nous pouvons observer comment l’Évangile remodèle diverses traditions africaines et asiatiques, en particulier leur vision de la place de la femme dans leur milieu. Une grande partie de leurs débats sur les rôles des hommes et des femmes dans l’Église concerne l’application de la Bible à leurs rôles culturels actuels, en plus de ce qu’ils lisent et entendent de la part de chrétiens occidentaux. Dans les questions non essentielles, telles que les rôles de genre, les chrétiens occidentaux devraient aussi s’intéresser à la manière dont les chrétiens égyptiens ou malaisiens, par exemple, façonnent leur ecclésiologie, leur accompagnement pastoral et leur prédication. Les chrétiens occidentaux, en tout cas aux États-Unis, ont du mal à se mettre à l’écoute des autres.

J’ai été pasteur d’une église presbytérienne à Singapour où il n’y avait qu’une seule femme ordonnée, et elle venait d’Angleterre. La deuxième femme à être ordonnée fut une de mes étudiantes. Elle est devenue pasteure d’une église que j’ai contribué à implanter. Le changement s’est opéré sur plusieurs années, et il n’a pas été imposé par des « autorités » extérieures, mais par l’étude de la Bible, la reconnaissance des dons spirituels et la prière. Comme aux États-Unis, on n’ordonne pas les femmes dans toutes les dénominations de Singapour ou de Malaisie. Mais la plupart des rôles dans l’Église — exercer les fonctions de diacre et d’ancien, lire les Écritures, enseigner, implanter des Églises, servir la sainte cène — sont désormais ouverts aux femmes. L’ordination au pastorat est la seule chose qui n’est souvent pas encore ouverte aux femmes dans les églises évangéliques à travers le monde.

Que peut apprendre l’Église occidentale de l’Église mondiale dans sa façon d’aborder les rôles des hommes et des femmes ? Comment pouvons-nous rechercher l’unité tout en respectant nos convictions bibliques particulières ?

Je pense que nous devons reconnaître la diversité de l’Église mondiale en matière d’ecclésiologie. Car c’est de cela qu’il est question : qui peut être ordonné, prêcher, superviser les sacrements et enseigner ? Les chrétiens sont parvenus à des conclusions très différentes sur des points secondaires, et nous devons faire preuve de bienveillance en accueillant la richesse que nous offre notre communauté mondiale. Certaines églises limitent la participation des femmes au culte pour des raisons bibliques et/ou traditionnelles. C’est leur droit et nous devrions le respecter, tant que les femmes sont elles aussi respectées et ont accès à des moyens significatifs de participer pleinement à la vie du corps du Christ.

Dans un monde en proie aux divisions, les chrétiens occidentaux devraient humblement apprendre de l’Église mondiale, en cherchant à approfondir l’unité autour de l’essentiel et en ne laissant pas des éléments secondaires comme les rôles de genre nous diviser. Le monde a besoin de voir l’unité que nous vivrons dans une humilité chrétienne emplie de grâce.

Traduit par Anne Haumont

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Après l’attentat de Moscou, les évangéliques russes veulent résister à l’esprit de vengeance.

Moscou et Kiev sèment le doute à propos de la tuerie revendiquée par une branche de l’État islamique. Les responsables chrétiens mettent l’accent sur la compassion et le pardon.

Des fleurs et des jouets déposés à la mémoire des victimes de l’attentat terroriste contre le Crocus City Hall à Moscou.

Des fleurs et des jouets déposés à la mémoire des victimes de l’attentat terroriste contre le Crocus City Hall à Moscou.

Christianity Today March 27, 2024
Olga Maltseva/Getty

Dans leurs sermons de dimanche, les évangéliques russes ont condamné l’attentat terroriste qui a frappé le public d’une salle de concert en périphérie de Moscou.

Alors que l’union baptiste de Russie priait pour « la miséricorde et la protection de Dieu », l’union pentecôtiste a fait part de son « amertume et de son chagrin ». Vitaly Vlasenko, secrétaire général de l’Alliance évangélique russe, a parlé d’un « choc douloureux » qui pourrait déclencher une « vengeance incontrôlée » contre le terrorisme.

Mais nombreux sont ceux qui s’interrogent en Russie : qui sont les terroristes ?

L’attentat de vendredi dernier, qui a fait au moins 137 morts au sein du Crocus City Hall de 6 200 places, a été revendiqué par une branche de l’État islamique dans la province afghane du Khorasan (EI-K), qui cherche à instaurer un califat islamique en Asie centrale. La déclaration du groupe souligne que l’attaque visait les chrétiens et s’inscrit dans le « cadre naturel » de sa guerre contre les ennemis de l’islam.

Au début du mois, l’ambassade des États-Unis à Moscou avait recommandé à ses ressortissants d’éviter les grands rassemblements. Les responsables américains ont affirmé avoir alors partagé leurs renseignements avec la Russie. Le 7 mars, la Russie déclarait avoir déjoué un attentat contre une synagogue et, quelques jours auparavant, les services de sécurité avaient tué six terroristes de l’EI-K lors d’une fusillade dans la région musulmane du Caucase russe.

Le groupe est également lié à l’attentat à la bombe perpétré en 2017 dans le métro de Saint-Pétersbourg, qui avait fait 15 morts.

L’EI-K a été formé en 2015 par des extrémistes désireux d’emprunter une voie plus violente que celle des talibans pakistanais, l’année même où la Russie est intervenue officiellement en Syrie pour soutenir le président Bachar el-Assad. Groupes sunnites, l’EI et ses affiliés s’opposent à la foi alaouite d’Assad, qu’ils considèrent comme hérétique, et voient les musulmans chiites comme des apostats.

En janvier, l’EI-K avait tué 95 Iraniens à Kerman lors d’une cérémonie à la mémoire de Qasem Soleimani, chef du Corps des gardiens de la révolution islamique, assassiné par les États-Unis en 2020. Alors que les forces américaines se retiraient d’Afghanistan en 2021, une attaque de l’EI-K contre l’aéroport de Kaboul avait également tué 13 soldats américains et 170 civils.

Des analystes estiment que l’EI-K visait de plus en plus la Russie.

Suite à l’attentat, les autorités russes ont arrêté onze suspects, dont quatre tireurs présumés, originaires du Tadjikistan, qui passent actuellement en jugement.

Mais le président Vladimir Poutine, réélu le 17 mars avec 88 % des voix lors d’un scrutin que les observateurs occidentaux n’ont estimé ni libre ni équitable, n’a pas mentionné le terrorisme islamique lorsqu’il a décrété une journée de deuil national. Les déclarations officielles concernant la responsabilité de l’attentat sont restées vagues, tandis que le chef adjoint du conseil de sécurité russe a ouvertement spéculé sur le fait que si l’Ukraine était impliquée ses dirigeants « devaient être traqués et tués sans pitié ».

« Êtes-vous sûr qu’il s’agit de l’État islamique ? », a interrogé le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, suggérant que le groupe était utilisé comme un « homme de paille ». L’ambassadeur russe aux États-Unis a nié avoir reçu des informations préalables de la part des États-Unis. Un média nationaliste a demandé au Kremlin de donner aux Ukrainiens 48 heures pour évacuer leurs grandes villes avant de les attaquer.

Quelques heures seulement avant le massacre de la salle de concert, dans le cadre d’un vaste assaut contre les infrastructures civiles de l’Ukraine, la Russie avait justement pris pour cible le plus grand barrage hydroélectrique du pays, privant d’électricité plus d’un million de personnes.

L’Ukraine a nié toute implication dans l’attaque terroriste.

Le porte-parole des services de renseignement militaire a toutefois suggéré qu’il s’agissait d’un « acte délibéré de provocation » de la part de Poutine, tandis que le président Volodymyr Zelensky a déclaré qu’il était typique de ces « salauds » de tenter de rejeter la faute sur d’autres. Il a également fait allusion à des accusations jamais prouvées selon lesquelles les attentats terroristes de 1999 en Russie étaient une opération sous fausse bannière et déclaré que Poutine considérait ses propres citoyens comme « accessoires ».

Les États-Unis ont déclaré que l’EI-K avait mené seule l’attaque, sans implication ukrainienne.

Nos contacts évangéliques russes n’ont pas commenté ces accusations mutuelles. Ils soulignent plutôt l’afflux de prières, la sympathie pour les victimes et la nécessité de faire confiance à Dieu et de résister à toute envie de vengeance.

« Le mal se répand sur la terre », dit Alexey Markevich, vice-recteur des affaires académiques du Séminaire théologique de Moscou, qui a critiqué la guerre en Ukraine. « Seigneur, donne-nous la paix et garde nous tous d’être consumés par le mal. »

Christians4Peace, un groupe antiguerre russe anonyme, a condamné à la fois les atrocités terroristes et l’attaque quasi simultanée contre l’infrastructure civile ukrainienne.

« Enseigne-nous à aimer nos ennemis », a posté le groupe sur son compte Telegram. « Montre-nous ce que nous pouvons encore faire, car nous avons parfois l’impression qu’il n’y a rien à faire. »

Un responsable orthodoxe russe travaillant pour le réseau d’organisations évangéliques Faith2Share, qui a demandé que son nom ne soit pas divulgué pour des raisons de sécurité, a déclaré que l’attaque était encore « trop fraîche » pour qu’il puisse en dire grand-chose. Mais en évoquant un sentiment de « désespoir », il a également rappelé les souvenirs du terrorisme du début des années 2000. Il craint que les liens avec l’EI ne nuisent encore à la communauté de migrants d’Asie centrale dont sont issus les auteurs présumés de l’attentat.

Selon les périodes, jusqu’à 1,5 million de Tadjiks ont travaillé en Russie, beaucoup d’entre eux ayant la nationalité russe.

D’autres extrémistes musulmans ont déjà troublé la Russie par le passé. En 2002, des militants tchétchènes du Caucase russe prenaient des otages dans un théâtre de Moscou. L’opération de sécurité visant à libérer ces derniers s’est soldée par la mort de 41 terroristes et de 129 civils. En 2004, à Beslan, la prise d’otage d’une école russe par des militants tchétchènes s’est soldée par 330 morts, dont plus d’une moitié d’élèves de l’école.

Mais après l’attentat de vendredi, un responsable évangélique interrogé ne craint pas l’escalade.

« Nous avons des responsables sages et prudents à Moscou », dit Sergey Holzwert, évêque de l’Église luthérienne en Russie européenne. « Le gouvernement ne sera pas irréfléchi et s’assurera des faits avant de dire quoi que ce soit d’officiel. »

Pavel Kolesnikov, secrétaire général du Commonwealth des chrétiens évangéliques et directeur régional du Mouvement de Lausanne pour l’Eurasie, voit dans l’attentat une nouvelle preuve du caractère déchu de ce monde. Mais il décourage les spéculations sur les coupables.

« Il n’est pas de notre ressort de déterminer les responsabilités », dit-il, citant Proverbes 25.2 et laissant entendre que cette tâche incombe aux responsables politiques. « Le mal peut venir de n’importe où et de n’importe qui, et ceux qui veulent tout interpréter ne font que nourrir leur orgueil. »

En tant que pasteur de l’église baptiste de Zelenograd, à Moscou, Pavel Kolesnikov s’est attaqué au terrorisme dans son sermon du dimanche.

Depuis Adam, le péché règne, a-t-il dit. Trop de gens idéalisent l’avenir du monde en pensant qu’ils peuvent le changer. Bien que Dieu soit sur le trône, Jésus ordonne à Pierre de ranger son épée. Le Sermon sur la montagne, a-t-il ajouté, oriente les chrétiens vers la miséricorde qui se traduit par une compassion et un pardon actifs.

Il a souligné que la prière de David consistait à demander à Dieu de lui venir en aide.

« Si vous avez peur, si vous demandez justice ou si vous ne pouvez pas pardonner, venez à Jésus », a prêché le pasteur. « Il vous donnera tout ce dont vous avez besoin. »

William Yoder, journaliste religieux à la retraite et citoyen américano-russe qui couvre la région depuis 1978, estime que les évangéliques russes ont tendance à être plus passifs que leurs homologues américains. Vivant en Russie et en Biélorussie depuis 2001, il dit qu’aucun d’entre eux n’exige de châtiment ; au contraire, le terrorisme est souvent assimilé à une forme de catastrophe naturelle.

« Il mérite d’être condamné », dit William Yoder, « mais la préoccupation locale est de demander la protection de Dieu. »

Il prie pour que la réponse soit mesurée, mais il craint une escalade. Plus ou moins convaincu que l’EI-K ne serait pas à blâmer, il pense que la plupart des évangéliques auraient des doutes similaires, comme la plupart des citoyens russes. Mais il vaudrait mieux à ses yeux que ce soit le groupe djihadiste qui soit coupable, afin de ne pas attiser encore plus l’hostilité envers les Ukrainiens.

Quel que soit l’auteur de l’attaque, il prie pour que Dieu parle à son cœur.

La Russie a affirmé que les militants tadjiks présumés avaient fui vers l’Ukraine, où ils attendaient d’être accueillis. Le média d’opposition russe Meduza a géolocalisé l’arrestation dans la région de Bryansk, à 340 kilomètres au sud-ouest de Moscou et à 145 kilomètres de la frontière ukrainienne. Les médias pro-Kremlin ont diffusé les aveux d’un militant détenu, qui a déclaré avoir été payé par un « prédicateur islamique » pour commettre l’attentat.

Des analystes ont exprimé des doutes quant au fait que quelqu’un puisse s’infiltrer par cette frontière hautement militarisée. Mais deux terroristes ont plaidé coupables. Des images les montrent gravement meurtris.

« Il n’y a pas de motivation religieuse à cette attaque », a déclaré Roman Lunkin, directeur du Centre d’études religieuses de l’Académie des sciences de Russie, répercutant ainsi le doute largement répandu au sujet de l’implication de l’EI-K. « Au contraire, la réponse a uni tous les croyants. »

Outre les chrétiens, les organisations musulmanes, juives et bouddhistes de Russie ont toutes exprimé leurs condoléances aux victimes. À l’approche de Pâques en Occident (les orthodoxes russes fêteront cette fête le 5 mai), Pavel Kolesnikov a rappelé aux croyants que le sang de Jésus est notre ultime espoir.

Plus de 5 000 Russes ont aussi donné le leur pour aider les blessés, rapporte-t-il, faisant la queue pendant près de neuf heures.

« Notre travail consiste à être auprès de notre communauté, à enseigner la bonté », dit le pasteur. « Le Christ a vaincu le mal, mais bien que celui-ci continue à se manifester de manière inattendue à travers des individus, nous ne voulons l’attribuer à aucune nationalité. »

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Les artisans de paix divisés de Terre sainte

Des chrétiens œuvrant à la réconciliation en Israël et en Palestine s’attendaient à ce qu’une guerre éclate. Aujourd’hui, celle-ci interroge la pertinence de leur travail.

Christianity Today March 27, 2024
Maya Levin pour Christianity Today

Le 7 octobre 2023, juste avant le lever du soleil, dans leur appartement de Jérusalem, Kay, la femme de Salim Munayer, le réveille en le secouant. Son téléphone portable émet sans cesse des alertes.

« WhatsApp devient fou », lui dit-elle.

Salim prend son téléphone. Sa famille élargie rapporte avec anxiété avoir entendu des sirènes de raids aériens. La chose n’est pas rare en Israël, et souvent de courte durée. Mais cette fois-ci, les alarmes ne cessent pas de retentir.

Il ne faudra pas longtemps pour apprendre ce qui se passe : les militants du Hamas de Gaza lancent des milliers de roquettes sur Israël. Au sol, ils ont franchi la frontière et massacrent des centaines de civils. Salim Munayer se réveille face à l’attaque terroriste la plus sanglante de l’histoire de son pays.

Il saute du lit et court réveiller ses fils.

Daniel Munayer, le deuxième fils de Salim, se souvient de son père entrant en trombe dans sa chambre et criant : « Daniel, c’est en train de se passer. » « C’est la guerre. »

Daniel a pris sa tête entre ses mains. « Oh, Seigneur, aie pitié. Seigneur, aie pitié. »

Salim, 68 ans, est le fondateur de Musalaha, une organisation chrétienne de promotion de la paix qui s’efforce de rétablir des relations entre Israéliens et Palestiniens en s’appuyant sur ce qu’elle considère comme des principes bibliques de réconciliation. Daniel, 32 ans, en est le directeur général.

Fondée en 1990, Musalaha est la plus ancienne et la plus connue des organisations chrétiennes de promotion de la paix en Israël et en Palestine. Son nom signifie « réconciliation » en arabe et, depuis plus de trente ans, son approche religieuse la distingue des groupes laïques de promotion de la paix.

Aucun des Munayers n’a été surpris par l’attaque du Hamas contre Israël, bien qu’ils n’aient jamais prévu la sophistication et la brutalité du massacre de près de 1 200 Israéliens ou la force dévastatrice de la réponse militaire d’Israël qui a fait plus de 30 000 victimes à Gaza, dont beaucoup de femmes et d’enfants. Depuis des années, Salim met en garde : « Nous vivons dans un statu quo qui est violent. Si vous ne travaillez pas pour la paix tous les jours, le prix de la guerre sera sévère. »

Il y a un an, dans une tribune adressée aux chrétiens, Daniel écrivait dans le Jerusalem Post : « Ne vous laissez pas tromper par les cessez-le-feu. Les ingrédients d’un nouveau cycle de violence sont toujours présents. Ce n’est qu’une question de temps. »

Les gens se sont bouché les oreilles. Même Kay commençait à en avoir assez d’entendre toujours les mêmes avertissements. « Vous ne cessez de dire que la situation est insoutenable, mais les choses ne changent toujours pas », disait-elle à Salim.

Au lieu de cela, la situation empirait : le gouvernement israélien s’orientait de plus en plus vers la droite, le pays se divisait sur la politique du Premier ministre Benjamin Netanyahou et Israël renforçait ses relations avec un nombre croissant de pays arabes. Il était clair que les besoins et les demandes des Palestiniens ne figuraient pas sur la liste des priorités d’Israël.

Le 7 octobre a éloigné de nombreux Israéliens du processus de paix. Pourtant, les Munayers considèrent que le travail de Musalaha est plus important que jamais. La preuve se trouve dans les décombres, disent-ils : le rétablissement de la paix et la réconciliation ne sont pas seulement importants, ils sont indispensables. Mais Musalaha prêche la paix et la réconciliation depuis plus de 30 ans. Une telle organisation peut-elle apporter quelque chose de nouveau aujourd’hui, alors que les relations entre Israéliens et Palestiniens sont plus mauvaises qu’elles ne l’ont jamais été et que le mot réconciliation est honni par beaucoup de part et d’autre ? Des efforts comme les leurs sont-ils encore pertinents ?

J’ai passé une semaine en Israël et en Cisjordanie à rencontrer des chrétiens palestiniens et des juifs messianiques : pasteurs, animateurs de jeunesse, responsables de Jeunesse en mission (JEM), guides touristiques, avocats et étudiants. Nombre d’entre eux ne sont pas des militants professionnels de la paix, mais tous, d’après ce que j’ai pu constater, prennent au sérieux les paroles de Jésus dans le Sermon sur la montagne et s’efforcent de donner corps à l’une d’entre elles en particulier : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés enfants de Dieu ! » (Mt 5.9, NFC)

Le problème, c’est que j’ai demandé à plus d’une vingtaine de personnes ce que signifie le rétablissement de la paix et que j’ai obtenu plus d’une vingtaine de réponses différentes. C’est le casse-tête israélo-palestinien : d’une manière générale, pour les Juifs, la « paix » signifie la sécurité et la protection durables d’Israël ; elle signifie l’écrasement du Hamas, même au prix d’importantes pertes humaines. Pour les Palestiniens, la « paix » signifie la récupération des terres et de la dignité perdues après la création de l’État d’Israël. Il s’agit de lutter pour l’égalité des droits et des libertés, ce qui, pour beaucoup, implique de soutenir le Hamas, au prix également d’importantes pertes humaines.

Avant même le 7 octobre, ces deux camps s’opposaient de plus en plus. C’est une réalité qui hante depuis longtemps les dirigeants de Musalaha. Comment rechercher la paix si l’on ne sait même pas à quoi elle ressemble ?

Salim Munayer a appris deux règles en grandissant dans l’ancienne ville de Lod : n’oubliez pas votre histoire. Mais n’en parlez pas. « Avant, c’était ma maison », lui dit un jour son père en lui montrant un bâtiment municipal. « C’est là que nous cultivions des oliviers et des oranges. » Ne fais pas de remous, lui disait-il encore. « De la maison à l’école, de l’école à la maison. Ne parle à personne. »

Lod, qui accueille aujourd’hui l’aéroport international Ben Gourion, a été pendant des siècles une ville majoritairement arabe, jusqu’en 1948, lorsque les troupes israéliennes l’ont occupée et ont expulsé la plupart des Arabes. Le père de Salim faisait partie des quelque 200 chrétiens locaux qui ont pu rester en se réfugiant dans une église, mais il a perdu sa maison et ses terres agricoles. À la naissance de Salim en 1955, la population de Lod était composée d’environ 30 % d’Arabes, le reste étant essentiellement constitué d’immigrants juifs qui avaient eux-mêmes été chassés des pays arabes.

À l’école, Salim a appris l’histoire nationale à travers le prisme sioniste, une approche qu’il a commencé à remettre en question au lycée. Un jour, un professeur répétait ce qu’on lui avait toujours enseigné : les Juifs étaient venus et avaient créé un jardin dans un désert stérile, tandis que les Arabes étaient partis bien que les Juifs aient essayé de les persuader de rester. Salim n’a pas pu s’empêcher de répondre.

« Regardez par la fenêtre. Vous voyez ces orangeraies ? Elles appartenaient à ma famille. Vous voyez cette église ? Ces maisons ? Elles appartenaient aux Palestiniens. »

À la même époque, Salim a expérimenté un aperçu de ce à quoi l’unité pourrait ressembler. Dans les années 70, il a pris part à une étude biblique chez son oncle, à laquelle participaient des Palestiniens et des Juifs. À cette époque, de nombreux Juifs commençaient à croire en Jésus. Comme Salim parlait couramment l’hébreu, il animait des études bibliques pour ces jeunes croyants juifs. Le groupe est passé de quelques convertis à une centaine. L’expérience a été formatrice ; Salim a ensuite étudié la théologie au Fuller Theological Seminary en Californie, puis est revenu en Israël en 1985.

Un an plus tard, il a commencé à enseigner au Bethlehem Bible College à Bethléem, en Cisjordanie. C’est la première fois qu’il était témoin de la vie des Palestiniens sous l’occupation. « J’étais en état de choc », se souvient-il. Il a vu des membres des Forces de défense israéliennes (FDI) battre des Palestiniens, les forcer à rester debout sous la pluie et humilier des pères devant leurs enfants. Il a vu ses amis israéliens — les mêmes personnes chaleureuses qu’il fréquentait à l’université — se transformer en oppresseurs méconnaissables dans leurs uniformes vert olive.

La première Intifada, « secousse » en arabe, a débuté en 1987 et a duré six ans. Les Palestiniens ont principalement protesté contre l’occupation israélienne par des boycotts massifs, des barrages et la désobéissance civile, mais beaucoup ont également eu recours à la violence en lançant des pierres et des cocktails Molotov.

Les étudiants de Salim à Bethléem lui posaient des questions qui allaient au-delà de sa formation théologique : « Devrions-nous nous joindre aux manifestations ? » « Pouvons-nous jeter des pierres aux soldats ? » « Les colons juifs ont volé la terre de ma famille en disant que Dieu leur avait donné cette terre. Que dit la Bible ? »

Parallèlement, Salim enseignait à des étudiants juifs israéliens dans un centre d’études bibliques à Tel Aviv-Jaffa, qui se débattaient avec leurs propres problèmes d’identité : « Comment pouvons-nous être juifs et croire en Yeshoua ? » « Comment pouvons-nous nous appeler chrétiens alors que les chrétiens ont persécuté notre peuple pendant des siècles ? » Salim s’est dit qu’il serait édifiant pour ses étudiants juifs et palestiniens d’entendre les luttes identitaires des uns et des autres. En 1990, il a donc organisé une rencontre entre eux.

« C’était un désastre », raconte-t-il. Presque immédiatement, les étudiants se sont mis à crier les uns contre les autres. Personne des deux camps ne parvenait à se mettre d’accord sur le langage à utiliser pour décrire les événements actuels. S’agissait-il d’une occupation ? De résistance ? De terrorisme ? Parler de théologie — que dit la Bible à propos de la terre d’Israël — n’a fait qu’empirer les choses. La conversation s’est désagrégée. C’était comme si les deux parties lisaient des Bibles complètement différentes, incapables de parvenir à un récit commun.

Peut-être une rencontre entre pasteurs porterait-elle plus de fruits, a pensé Salim. Il a invité 14 pasteurs — sept Juifs et sept Palestiniens — dans une église de Jérusalem pour discuter de l’actualité. « Cela s’est encore plus mal passé », m’a-t-il raconté. Il en a réellement été perturbé. Le corps du Christ ne pourrait-il pas trouver moyen de faire cause commune sur cette question ?

À cette époque, un ami qu’il avait rencontré dans des études bibliques s’est également senti interpellé par les conflits croissants entre les croyants palestiniens et juifs. Evan Thomas était un juif messianique néo-zélandais qui avait immigré avec sa femme en Israël en 1983 pour soutenir la communauté messianique naissante du pays.

Avant la première Intifada, Juifs et Arabes pratiquaient leur culte ensemble. Mais c’était comme si le conflit avait soulevé un tapis et dispersé toute la saleté qui se trouvait en dessous. « Nous nous retrouvions face aux enfants de l’autre sur le front », raconte le pasteur. Les Palestiniens étaient furieux que leurs frères et sœurs rejoignent les FDI et prennent les armes contre leur peuple ; les Juifs ne comprenaient pas comment des frères et sœurs pouvaient soutenir l’Intifada, qu’ils considéraient comme violemment anti-israélienne.

Salim MunayerOfir Berman pour Christianity Today
Salim Munayer

Un jour, après les cours, Salim s’est approché d’Evan. « Je suis inquiet pour le corps du Christ », lui dit-il. Les groupes séculiers parlaient d’accords de paix et de résolution des conflits, mais personne ne parlait de réconciliation. Les chrétiens étaient préoccupés par le salut, mais peu d’entre eux abordaient les questions cruciales qui les divisaient. Salim proposait de créer une organisation basée sur la foi pour répondre à ces deux besoins. Evan Thomas se joindrait-il à lui ?

« Nous devons le faire », répondit-il. « Nous devons commencer immédiatement. »

Salim a appelé une autre juive messianique qu’il connaissait depuis le lycée, une femme nommée Lisa Loden qui avait immigré en Israël en 1974 depuis les États-Unis avec son mari après avoir ressenti un fort appel à y être « une lumière et un témoin ».

Avant l’appel de Salim, Lisa Loden était déjà peinée par les inégalités qu’elle voyait entre les Palestiniens et les Juifs. Elle constatait les différences entre les budgets des municipalités arabes et juives en Israël. Elle observait une discrimination à l’emploi à l’encontre des Israéliens palestiniens. Elle entendait ce que certains Juifs disaient des Palestiniens, qu’ils étaient sales, peu civilisés et indignes de confiance.

Elle a ensuite rencontré des chrétiens de Cisjordanie. Un jeune Palestinien lui a demandé sans détour : « Pourquoi êtes-vous venue sur notre terre ? »

C’est ainsi qu’elle s’est lancée dans un voyage de recherche troublant sur la Nakba — « catastrophe » en arabe —, le nom donné à la dépossession et au déplacement violents des Arabes en Palestine pendant la guerre de 1948. Aussi, lorsque Salim lui a demandé si elle était prête à le rejoindre et à lancer un programme Musalaha pour les femmes, elle a tout de suite répondu positivement. « C’était une réponse à la prière », se souvient-elle.

Dès le début, Musalaha a été une collaboration intentionnelle entre des croyants palestiniens et juifs. Le premier défi consistait à réunir Juifs et Palestiniens sans déclencher d’affrontements verbaux. Ils avaient besoin de quelque chose de créatif, de déconnecter les gens du conflit et de les forcer à se voir les uns les autres avant tout comme de simples êtres humains.

« En désespoir de cause, nous devions faire quelque chose de radical », raconte Salim. Ils ont donc organisé une expérience de retraite et ont emmené les premiers participants dans le désert à dos de chameau. C’est là, dans le sable et le dépouillement, que la « rencontre du désert » a semblé porter des fruits. Pendant quatre jours, des Juifs et des Palestiniens se sont réunis autour d’un feu de camp et ont parlé de leur foi, de leurs familles et de leurs histoires. Ils ont partagé des tentes sous un ciel tacheté de diamants. Ils ont fait de la randonnée et ont prié dans les dunes. Et ils ont écouté, non sans malaise, la douleur des uns et des autres.

« Le désert est un endroit neutre », dit Salim. « Le déséquilibre des pouvoirs disparaît dans le désert. Cela détruit l’idée de “nous” et “eux”. »

Ces rencontres dans le désert, qui se poursuivent depuis des décennies bien qu’elles soient en pause en raison de la guerre, sont censées n’être qu’un début. Musalaha considère la réconciliation non pas comme un événement ponctuel, mais comme un processus graduel et continu. Après une rencontre dans le désert — que les responsables appellent l’étape « houmous et alléluia » — les participants sont encouragés à s’ouvrir à leurs différences au cours d’ateliers, de séminaires et de voyages. Ils font part de leurs griefs lors de réunions en face à face. Ils discutent de leur identité, cherchant à comprendre comment ils se perçoivent, à reconnaître la spécificité des autres et à confirmer la valeur égale de chacun en tant que membre du corps du Christ. Les participants qui le souhaitent peuvent aller plus loin, en analysant de manière critique et en confessant leur propre rôle dans l’injustice et en poursuivant leur action en faveur de la paix.

À l’époque de sa création, il s’agissait d’une approche novatrice du conflit israélo-palestinien. La première décennie de Musalaha a été pleine d’enthousiasme et d’optimisme. Le processus de paix d’Oslo dans les années 1990 a fait naître l’espoir que les Israéliens et les Palestiniens pourraient un jour coexister pacifiquement, et les réunions de Musalaha débordaient de bons sentiments quant à la possibilité pour le Christ d’aplanir leurs divergences.

Daniel Munayer est né dans ces années-là. Il se souvient que son père avait transformé le sous-sol de leur minuscule appartement en un bureau de fortune composé de deux bureaux et d’un canapé et qu’il s’y réfugiait pour effectuer des recherches, rédiger des programmes d’études et préparer des conférences. Sa mère faisait taire les garçons lorsqu’ils étaient trop bruyants.

Cependant, au cours de la deuxième décennie de Musalaha, la bulle a éclaté. Les négociations en vue d’un accord de paix entre le Premier ministre israélien Ehud Barak et le président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat ont échoué. La seconde Intifada, un soulèvement islamiste beaucoup plus sanglant, a éclaté en 2000, causant la mort de plus de 3 000 Palestiniens et 1 000 Israéliens. Beaucoup estiment qu’elle a également enterré la possibilité d’une solution à deux États avec une Palestine indépendante.

Au début des années 2000, Israël a commencé à ériger ce qui est aujourd’hui une barrière de 700 kilomètres de béton et de barbelés en Cisjordanie, séparant physiquement les deux peuples. Les Israéliens y voient une mesure de sécurité nécessaire. Les Palestiniens y voient une ségrégation raciale et une usurpation illégale d’une partie de leur territoire. (La clôture a été installée jusqu’à plus de 15 kilomètres au-delà de la ligne verte, frontière internationalement reconnue entre Israël et le territoire palestinien.)

Daniel a pris conscience de son identité d’« autre ». En tant que Palestinien israélien, il appartient à une minorité ; en tant que chrétien, il est encore plus minoritaire. Daniel et ses trois frères ont fréquenté des écoles juives où ils étaient les seuls Palestiniens. Pourtant, leurs cousins arabes les considèrent comme des « cousins blancs qui parlent anglais », car leur mère est britannique. Lorsqu’ils se rendent en Angleterre, leur teint sombre détone.

Les frères Munayer se sont également sentis exclus face à la communauté internationale des croyants. Les chrétiens qui visitent la Terre sainte semblent plus intéressés par un contact avec « le peuple élu » qu’avec eux, dit Daniel.

Daniel MunayerOfir Berman pour Christianity Today
Daniel Munayer

Au fil du temps, les frères entendent ce que les Juifs disent des Palestiniens, ce que les Palestiniens disent des Juifs et ce que les chrétiens à l’extérieur du pays disent de cette Terre promise. D’une certaine manière, ils représentent des enfants de fondateurs typiques, évaluant le ministère de leurs parents en tant que participants et observateurs à cheval sur plusieurs cultures. En tant que jeunes adultes, ils échangeaient fréquemment des idées à partir de la littérature qu’ils lisaient : la théologie de la libération telle qu’explorée par James H. Cone, Gustavo Gutiérrez et Naim Ateek et le colonialisme de peuplement tel que décortiqué par des chercheurs tels qu’Edward Said, Mahmood Mamdani et Frantz Fanon.

Ce qu’ils ont lu a touché les points sensibles de leur expérience en tant que chrétiens palestiniens israéliens. Ils discutaient vigoureusement de ces sujets lors des repas, des trajets en voiture et en sirotant un whisky avec leur père. Et ils ont posé des questions difficiles à Salim : « Quelle est la place de la libération et de la justice dans la réconciliation ? » « Comment nous réconcilier avec nos voisins, alors qu’ils nous placent dans un système qui nous opprime et nous déshumanise ? »

Alors que les relations entre Israéliens et Palestiniens se détérioraient, une rupture s’est également produite au sein de Musalaha, qui a laissé une cicatrice pour Salim et Daniel. Au cours de la dernière décennie, l’organisation a perdu la faveur de la plupart des juifs messianiques.

En dehors de son camp d’été annuel pour enfants, Musalaha ne compte plus aucun participant juif messianique. Les Munayers m’ont expliqué que c’est parce que l’organisation ne veut pas promouvoir la politique et la théologie sionistes. Le pasteur juif messianique Evan Thomas, qui a siégé au conseil d’administration de Musalaha pendant 29 ans, estime que la confiance s’est érodée lorsque l’organisation s’est impliquée dans Christ at the Checkpoint (CATC), une conférence bisannuelle organisée par le Bethlehem Bible College.

Selon son site web, la première édition de CATC s’est tenue en 2010 comme « une opportunité pour les chrétiens évangéliques de rechercher dans la prière une prise en compte adéquate des questions de paix, de justice et de réconciliation ». L’organisme est également très critique à l’égard du sionisme chrétien.

La plupart des Juifs messianiques considèrent que CATC n’est pas seulement mal orienté, mais aussi dangereusement antisémite. Ils accusent l’organisation de donner la parole à des orateurs qui embrassent le supersessionisme, l’idée que l’Église a remplacé Israël dans l’alliance et les plans de Dieu, tels que Sami Awad, directeur exécutif du Holy Land Trust, et Mitri Raheb, fondateur et président de l’université Dar al-Kalima à Bethléem. One for Israel, un ministère médiatique du Collège biblique d’Israël, a qualifié CATC de « programme politique palestinien unilatéral et anti-Israël » qui « promeut la destruction de l’État juif sur la terre d’Israël ».

En 2012, des groupes messianiques du monde entier ont publié une déclaration commune critiquant CATC : « Nous reconnaissons les défis des chrétiens palestiniens et nous en sommes profondément préoccupés. Ce à quoi nous nous opposons, c’est à ce qu’une conférence explicitement propalestinienne et anti-israélienne cherche à se présenter comme une conférence sur la paix et la réconciliation. » Tout effort de paix et de réconciliation entre juifs et non-juifs, conclut la déclaration, « doit reconnaître que les dons et la vocation de Dieu envers notre peuple juif sont irrévocables et toujours en vigueur aujourd’hui ».

CATC avait invité Musalaha à parler de la réconciliation. Salim et Evan ont tous deux accepté, même si le second a reçu par la suite de vives critiques, et même des menaces de mort, pour cette décision. Mais à l’époque, il avait la conviction de devoir y participer. « Comment aurais-je pu ne pas être présent ? Je suis un avocat de premier plan de la réconciliation. C’est exactement le genre d’endroit où je devrais parler. »

Mais avec le recul, il estime que sa décision de prendre la parole à CATC a été « une grave erreur ». La participation de Musalaha, dit-il aujourd’hui, a été un « moment décisif », « un outrage et une offense absolus à l’ensemble de la communauté messianique ». Une fois que Musalaha a perdu la confiance des juifs messianiques, « nous avons perdu l’un de nos partenaires les plus importants ».

Lisa Loden a également siégé au conseil d’administration de Musalaha pendant 29 ans, jusqu’à sa démission en 2019. Au fil des ans, elle a vu les femmes de Musalaha nouer des liens d’amitié. De nombreuses femmes juives entendaient parler de la Nakba pour la première fois, tout comme de nombreuses femmes palestiniennes découvraient l’Holocauste et la fuite des Juifs vers Israël après que de nombreux pays leur aient fermé leurs portes.

Mais certaines femmes juives ont également exprimé une frustration : « C’est toujours nous qui sommes coupables ici. C’est toujours nous qui demandons pardon. » Qu’en était-il des attentats suicides et des tirs de roquettes palestiniens, se demandaient-elles.

« Elles avaient l’impression que le fait que les deux peuples avaient souffert n’était pas ressenti de part et d’autre », analyse Lisa Loden. De nombreuses femmes juives ont abandonné le programme.

Aujourd’hui, la plupart des participants aux programmes de Musalaha sont des juifs israéliens laïques, des musulmans et des chrétiens palestiniens. Musalaha veut travailler avec les juifs messianiques, me disent les Munayers, mais ce désir n’est pas partagé. Mais si Salim a un regret, c’est de ne pas avoir agi assez vite pour inclure les non-chrétiens. Pourquoi la réconciliation devrait-elle se limiter aux croyants ?

C’est ce changement de cap qui a entraîné la démission de Lisa Loden. « Ma passion est de voir le corps du Christ se réconcilier, marcher ensemble, vivre le royaume de Dieu au milieu de nous », m’explique-t-elle. « Pour l’instant, ce n’est pas dans ce domaine que travaille Musalaha. »

Evan Thomas est parti pour des raisons quelque peu différentes. En 2019, alors qu’il accompagnait des jeunes juifs messianiques et des jeunes chrétiens allemands dans le camp de concentration d’Auschwitz, il a relu Jean 17.21 et a eu une révélation : « J’ai réalisé que la réconciliation n’a jamais été conçue comme une fin en soi. » L’objectif de la promotion de la paix, dit-il, est de témoigner au monde que Jésus est le Messie. Il a fait part de cette idée à Salim, qui ne l’a pas rejoint. Evan, dont le cœur était tourné vers la communauté messianique, sentait déjà qu’il n’avait plus sa place à Musalaha, compte tenu de l’ouverture de cette communauté vers les juifs laïques. Il a donc démissionné.

Musalaha n'a pas seulement perdu des croyants israéliens. Certains palestiniens se sont également éloignés.

Lorsque la seconde Intifada a éclaté, Saleem Anfous était un jeune homme de 16 ans, spirituellement affamé, qui étudiait pour devenir prêtre catholique. Le conflit a éveillé sa conscience sociale et brisé sa foi. Comment pourrait-il servir ses compatriotes palestiniens en tant que prêtre, se demandait-il, et promouvoir un Dieu qui, apparemment, favorisait les Juifs et leur permettait de faire subir à son peuple les bombes, les expulsions, la spoliation des terres, la surveillance, les couvre-feux et les points de contrôle ? Il a quitté le séminaire et sa foi.

Il a alors décidé d’étudier le journalisme au Bethlehem Bible College. C’est là que, pour la première fois, il a entendu des réponses bibliques à ses grandes questions théologiques. Il renouait sa relation avec Dieu, mais continuait à nourrir de la haine à l’égard d’Israël et à être frustré par l’inaction de l’Église. Un jour, il a créé une affiche géante sur laquelle figuraient des images d’enfants palestiniens morts et de décombres, en écrivant en grandes lettres : « Où êtes-vous dans tout cela ? » Il l’a accrochée à un tableau d’affichage dans le hall d’entrée des étudiants et a failli être expulsé du campus.

Beaucoup ne l’ont pas pris au sérieux. Mais Salim Munayer l’a fait. Il a vu en Saleem Anfous une flamme nouvelle qui pourrait agir puissamment si elle était bien orientée. Quelques mois plus tard, il est revenu vers l’étudiant dans son dortoir : « Tu aimes voyager ? »

« Ouais. »

« Il y a un voyage dans le désert jordanien de prévu. Tu veux venir ? »

« Oui, bien sûr. »

Saleem Anfous ne savait pas grand-chose de Musalaha à l’époque, en 2004. Il y est allé parce qu’il respectait Salim et qu’il pensait qu’il serait agréable de passer du temps dans la nature avec d’autres jeunes hommes et femmes.

Lors de sa première soirée dans le désert jordanien, Saleem Anfous s’est assis à côté d’un jeune homme sympathique qui s’est avéré être un juif messianique qui terminait sa conscription dans les forces de défense israéliennes. Salim a alors demandé à Saleem de partager une tente avec un autre juif israélien. Cette nuit-là, Saleem n’arrivait pas à dormir. Mais peu à peu, il a baissé sa garde. Pourquoi ne pas laisser Christ être le pont entre eux ? Grâce à Musalaha, il a noué des amitiés avec des Juifs israéliens qui ont duré des années.

Saleem AnfousMaya Levin pour Christianity Today
Saleem Anfous

Puis la guerre de Gaza de 2014 a éclaté. Les militants du Hamas ont lancé des milliers de roquettes et tué un peu plus de 70 Israéliens ; les FDI ont tué plus de 2 000 Palestiniens. Saleem Anfous a vu ses amis juifs afficher sur Facebook leur soutien à l’armée israélienne, ce qui, pour lui, revenait à applaudir le massacre de son peuple. Mais ses amis juifs lui disaient qu’ils devaient se défendre. Ils ont échangé des messages enflammés qui tournaient inévitablement en débats théologiques. Saleem Anfous a alors coupé les relations avec tous les Juifs qu’il avait rencontrés grâce à Musalaha.

« Ce n’est pas que le Christ ne soit pas assez solide », me dit Saleem Anfous des années plus tard dans un restaurant de shawarma à Beit Sahour, à l’extérieur de Bethléem. « Apparemment, ce sont les bases que nous pensions construire qui n’étaient pas assez solides. » Leurs différences étaient trop profondes, dit-il. « Lorsque ces problèmes surgissent, on ne peut pas les ignorer. Il faut vraiment y faire face. Et lorsque le moment est venu de s’en occuper, l’amitié n’a pas suffi. »

Saleem Anfous représente une génération de Palestiniens lassés des tentatives de réconciliation qui font l’impasse sur la libération de la Palestine de l’occupation. Il dit se préoccuper du rétablissement de la paix ; sa signature au bas de ses courriels dit : « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix. » Mais sa définition de la paix a changé. Quel est l’intérêt de l’amitié, dit-il, si les parties sont clairement inégales et si l’une d’entre elles a l’intention de maintenir l’inégalité du système ? Ce type de pacification « signifie garder le silence. C’est une faiblesse ! L’heure n’est pas à la faiblesse. Il est temps de se battre pour la justice. »

Pendant cinq ans, Saleem a été responsable de la jeunesse à l’église évangélique Immanuel, l’une des plus grandes communautés évangéliques de Cisjordanie. Il se passionne pour aider les jeunes générations à réconcilier leur foi avec leur identité palestinienne, et il observe avec consternation les jeunes Palestiniens qui s’éloignent de leur foi chrétienne. « L’Église ne joue pas son rôle d’Église dans la société ici », dit-il. « C’est pour cela que la jeune génération a pris des directions complètement différentes. »

Le jeune homme s’est cependant heurté à son pasteur principal, Nihad Salman. Celui-ci reconnaît qu’Israël opprime les Palestiniens dans ce qu’il voit comme une occupation « diabolique ». Il y vit. Mais sa priorité en tant que responsable spirituel, me dit-il, est « d’amener les gens à adorer Dieu malgré la guerre, la douleur ou la souffrance. » Il y a suffisamment de personnes qui réclament la justice sociale, estime-t-il, mais trop peu de bergers qui conduisent les Palestiniens à la joie et à la paix en Dieu au milieu des difficultés. Pour lui, rétablir la paix signifie réconcilier les gens avec Dieu. « Alors », dit-il, « vous vous réconcilierez immédiatement avec vos voisins. »

Cette approche de la promotion de la paix ne satisfait pas Saleem Anfous. « D’accord, mais je suis déjà réconcilié avec Dieu », dit-il à son pasteur. « Quelle est la prochaine étape pour moi ? Dois-je m’asseoir et attendre sur le banc jusqu’à ce que tous les autres soient réconciliés avec Dieu ? J’ai l’impression que tu me traites encore comme un gamin alors que j’ai déjà obtenu mon diplôme. »

Saleem Anfous a fini par quitter Immanuel par frustration et a rejoint l’église évangélique luthérienne de Bethléem, dont le pasteur actuel, Munther Isaac, est le directeur de Christ at the Checkpoint (CATC) et un membre de longue date du conseil d’administration de Musalaha.

Munther Isaac a oeuvré en faveur de la réconciliation pendant deux décennies, commençant à organiser des voyages de rencontre dans le désert dès l’âge de 20 ans. « J’y ai cru », me dit-il dans les bureaux de son église à Bethléem. « Je croyais que le seul véritable chemin vers la paix passait par la foi en Jésus. Si nous avons Jésus, nous avons la paix. »

Dans les premières années de CATC, Munther Isaac insistait pour que la conférence inclue des juifs messianiques. « J’étais tellement dévoué à cette cause », se souvient-il, qu’il a fait des heures de route pour se rendre chez des juifs messianiques afin de les inviter. « Nous ne pouvons pas avoir de conversation sur le conflit sans entendre votre voix », leur disait-il.

C’est la raison pour laquelle il a été très déçu d’entendre les critiques de juifs messianiques considérant que CATC faisait de la propagande politique antisémite.

Au fil des ans, le pasteur a de plus en plus douté de l’approche de promotion de la paix qu’il connaissait. Si les gens apprennent ainsi à connaître d’autres points de vue, les Palestiniens n’avaient pas encore acquis la liberté. En réalité, la possibilité d’un État palestinien semblait plus lointaine que jamais : au cours des six dernières décennies, plus de 750 000 colons juifs, soutenus et appuyés par l’État israélien, ont érigé en Cisjordanie toutes sortes d’infrastructures bien barricadées et lourdement protégées, transformant ce qui aurait dû être un État palestinien en une sorte de fromage à trous.

Munther Isaac a également été troublé par la théologie sioniste, qu’il considère comme une théologie trompeuse qui délégitime l’existence et la dignité des Palestiniens et soutient l’occupation israélienne. Il croit en l’importance de la réconciliation, mais il a commencé à se demander si son action ne se limitait pas à aider les gens à se sentir mieux dans leur peau sans rien faire pour résoudre le conflit.

Le tournant s’est produit en 2016, lorsqu’il a rejoint un groupe d’une trentaine de chrétiens palestiniens et de juifs messianiques dans le cadre de l’Initiative du Mouvement de Lausanne pour la réconciliation en Israël-Palestine. Munther Isaac, Salim Munayer et Lisa Loden ont tous trois participé à l’organisation de la réunion.

Pendant plusieurs jours, le groupe rassemblé à Larnaca, à Chypre, a prié et loué Dieu pour rechercher l’unité face au conflit. Munther Isaac y présentait un exposé expliquant que la promesse de Dieu à Abraham et à ses descendants ne s’applique plus seulement aux Juifs et à la terre d’Israël, mais à tous les enfants de Dieu et à la terre entière. Selon lui, Jésus s’intéressait au Royaume de Dieu et non à la terre d’Israël.

Un autre participant du groupe de Larnaca, Jamie Cowen, un avocat juif messianique, se souvient s’être senti « troublé et interpellé » par cette présentation. « C’était comme si je n’étais pas sûr que nous lisions la même Bible. Il s’agissait d’une théologie du remplacement classique », se souvient-il. Il a exprimé son désaccord avec les arguments de Munther Isaac, et d’autres sont intervenus. Le débat s’est enflammé, certains ont haussé le ton, et personne n’a finalement changé d’avis.

Ces divergences de vues sur la théologie de la Terre sainte expliquent pourquoi tant d’initiatives de paix entre croyants Juifs et Palestiniens échouent. C’est la raison pour laquelle la plupart des juifs messianiques se méfient des conférences telles que CATC, malgré leurs déclarations dénonçant l’antisémitisme. Pour beaucoup de juifs messianiques, la frontière entre l’antisionisme et l’antisémitisme est très mince. La terre que Dieu a donnée à leurs ancêtres est au cœur de leur identité et de leur foi.

Pourtant, pour de nombreux chrétiens palestiniens, le sionisme est une « théologie politique ethnocentrique » qui privilégie un peuple au détriment d’un autre. Leur longue présence historique sur la terre où Jésus a marché est une source de fierté et un témoignage de la fidélité de Dieu.

Le fait que le groupe soit parvenu à rédiger et à signer une déclaration lors de la réunion de Chypre est « quelque peu miraculeux », dit Jamie Cowen. Les débats autour de l’inclusion du mot « occupation » ont duré des heures. Certains participants ont choisi de ne pas signer ce document, connu sous le nom de Déclaration de Larnaca, qui affirme l’unité des croyants en Christ et énumère plusieurs désaccords importants entre les factions juives et palestiniennes.

Munther IsaacMaya Levin pour Christianity Today
Munther Isaac

J’ai entendu certaines personnes qualifier la déclaration de Larnaca d’insignifiante. Mais elle a eu de réelles conséquences, du moins pour certains de ses signataires. Lisa Loden, qui a participé à l’organisation de l’événement, y voit un « moment historique ». De toute façon, les déclarations n’ont jamais été destinées à changer les choses, observe-t-elle. Ces déclarations représenteraient plutôt une « chronique de l’histoire ». Le fait qu’un groupe de Juifs et de Palestiniens influents se soit réuni, ait rédigé un document et l’ait signé constitue en soi un événement historique.

Malgré les désaccords, Jamie Cowen qualifie cette expérience de « bouleversante » : « De toutes les choses que j’ai faites ici depuis que je suis en Israël, c’est de loin la plus importante à laquelle j’ai participé. » C’est à Larnaca qu’il a compris pour la première fois l’expérience palestinienne. Après la conférence, il a continué à lire des historiens tels que l’Israélien Benny Morris, qui ont remis en question ses présupposés sur la création d’Israël. Il a également noué de nouvelles amitiés : un avocat palestinien israélien qu’il a rencontré à Larnaca l’a invité au mariage de son fils.

Pour Munther Isaac aussi, Larnaca a changé sa vie. Il est rentré chez lui physiquement et mentalement éreinté. Il était épuisé de devoir expliquer, défendre et débattre de mots et de phrases qui, pour lui, ne représentaient pas des idées, mais des réalités. Il n’a signé la déclaration que parce qu’il s’est senti contraint de le faire. Mais il garde l’impression d’avoir apposé son nom sur quelque chose qui « légitimait la rationalisation de l’oppression de [son] peuple ».

C’en était assez, a-t-il conclu. « Je ne veux plus jamais faire ça. »

En 2021, lorsqu’il s’est rendu à une réunion entre des croyants juifs israéliens, juifs allemands et palestiniens, c’est avec impatience qu’il a entendu les gens partager leurs différents récits. Puis il n’a plus pu se retenir.

« Je suis fatigué de ça », a-t-il dit au groupe. « Nous ne parlons d’aucun des vrais problèmes, y compris le fait que votre théologie a été utilisée pour justifier l’occupation. Vous faites partie du système qui pousse mes concitoyens à partir et les remplace par les vôtres. Et vous voulez venir faire la paix avec moi ? Quel sens ça a ? »

Depuis Larnaca, il a développé une approche très différente de la promotion de la paix. Il se montre toujours posé et aimable, apparaissant comme un doux prêtre. Mais il n’a plus froid aux yeux et ne craint pas d’offenser. Le premier pas vers la paix, dit-il, est d’appeler les choses par leur nom. Il utilise fréquemment des termes polarisants tels que nettoyage ethnique, apartheid et colonialisme de peuplement.

Essayer d’être neutre, de maintenir les deux perspectives en tension, n’est pas un travail de promotion d’une paix biblique, considère-t-il. « Pour moi, il est clair que Dieu prend parti, non pas pour une ethnie, mais pour les opprimés, les affligés, les marginalisés. Et si Dieu prend parti pour ce groupe de personnes, nous devons faire de même. »

Certaines personnes le trouvent changé. Il est devenu trop conflictuel, disent-ils. Son approche ne fonctionnera pas. « L’approche douce a-t-elle fonctionné ? », répond-il.

En 2019, peu de temps après que Munther Isaac ait modifié son approche de la quête de la paix, Daniel Munayer est rentré en Israël après avoir étudié aux États-Unis et en Angleterre. Il avait refusé des offres d’emploi à Londres pour revenir. Il croyait en l’importance du travail de Musalaha.

En 2020, un ami de Cisjordanie a raconté à Daniel quelque chose qui a réorienté Musalaha. Cet ami lui expliquait qu’il aimait participer aux programmes de Musalaha et se faire des amis parmi les Juifs israéliens. Mais une fois le programme terminé, il retournait chez lui dans un camp de réfugiés. « Je veux vivre en paix avec les Israéliens », expliquait cet ami à Daniel. « Mais comment faire ? Je ne veux pas vivre dans cette occupation. Je ne veux pas que ma fille grandisse dans ce camp de réfugiés. Et je ne me vois pas d’avenir. Vos programmes nous mènent-ils vers un avenir différent ? »

Cette conversation a hanté Daniel. « Je n’arrivais pas à me l’enlever de la tête », raconte-t-il. Il ressentait que son ami avait raison. « Ce que fait Musalaha est formidable, mais nous pouvons l’adapter et l’améliorer. Nous pouvons faire en sorte que cela réponde mieux à nos réalités politiques. »

Cette question est devenue un sujet de conversation brûlant entre Salim et ses fils. Ceux-ci l’ont mis au défi de repenser Musalaha. Si Israël est un projet colonial, disaient-ils à Salim, cela devrait changer la façon dont Musalaha aborde la réconciliation.

Peut-être que, tenta Daniel auprès de son père, Musalaha ne devrait pas tant parler de « coexistence » que de « corésistance » non violente. Il était nécessaire de continuer à travailler sur la réconciliation interpersonnelle, mais aussi sur la réconciliation structurelle, en dénonçant les systèmes qui oppriment et rendent la réconciliation interpersonnelle presque impossible.

Salim a écouté et lutté. Il n’était pas facile d’envisager qu’il avait peut-être fondamentalement mal compris le conflit et que le travail de Musalaha en avait peut-être souffert. Finalement, après avoir fait des recherches et réfléchi, il s’est rangé à l’avis de Daniel.

Un changement de génération a eu lieu. Le conseil d’administration de Musalaha est plus en phase avec la nouvelle vision. En 2022, Salim a pris du recul pour endosser un rôle de consultant et Daniel est devenu le nouveau directeur général.

Lorsque j’ai rencontré Salim dans le minuscule bureau de Musalaha, dans une zone industrielle de Jérusalem, il était plein de vie, avec des yeux noisette vifs sous des cheveux grisonnants. Comme toujours, il n’a pas mâché ses mots.

Au début, il imaginait des disciples de Jésus, Juifs israéliens et Palestiniens, en train de faire la paix en Terre sainte où Jésus est venu, est mort et ressuscité. Quel témoignage ils seraient quant à la volonté de Dieu de se réconcilier avec le monde !

« C’était mon rêve », m’a dit Salim. « Et nous avons échoué. »

Musalaha a favorisé le développement d’innombrables amitiés entre Israéliens et Palestiniens. L’organisation a développé une méthodologie théologique de réconciliation qui se démarque des autres organisations de promotion de la paix. « Mais nous avons échoué en ce qui concerne la structure politique à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église », estime son fondateur. « Les Palestiniens ne sont pas égaux. »

Pourtant, il garde espoir.

« Je crois vraiment, vraiment, jusqu’à aujourd’hui, que notre identité centrale dans le Christ transcende et enrichit notre identité ethnique. Je crois qu’il est possible — et j’ai grandi avec cette idée — que les Palestiniens et les Israéliens vivent les uns avec les autres, s’ils sont égaux. » La paix ne consiste pas seulement à se comprendre les uns les autres et à concilier les différences. La paix doit inclure la justice, la libération et l’égalité.

Salim plaide depuis longtemps en faveur de la justice et de l’égalité dans le rétablissement de la paix. Il aborde le sujet dans Through My Enemy’s Eyes, un livre qu’il a coécrit avec Lisa Loden en 2014. Ce n’est pas nouveau. Mais ce qui a changé, c’est la façon dont Salim présente Israël comme un projet colonialiste et son approche de la réconciliation comme « corésistance » à l’occupation israélienne. Cela a induit des changements majeurs dans la vision et la mission de Musalaha ; l’organisation voit les Palestiniens comme la partie la plus opprimée, encourage ceux-ci à prendre l’initiative et promeut une solution politique spécifique.

Au lendemain du 7 octobre, la plupart des Juifs israéliens avec lesquels je me suis entretenue se montraient naturellement moins préoccupés des diverses approches de la promotion de la paix que par le choc et le traumatisme particuliers de l’attaque du Hamas, qui a massacré des familles, violé des femmes, tué des enfants et des personnes âgées, allant jusqu’à attacher un parent et son enfant pour les brûler vifs. Cette situation a ravivé la profonde angoisse existentielle d’un peuple qui a été persécuté tout au long de son histoire millénaire.

Les chrétiens palestiniens que j’ai rencontrés n’ont jamais tenté de justifier les actes du Hamas. Mais ceux de Cisjordanie ont à peine mentionné l’attaque, plus préoccupés par les bombardements de Gaza. Tous les Palestiniens avec lesquels je me suis entretenu ont qualifié la guerre à Gaza de « génocide ». Lorsque je leur demandais des explications, ils sortaient leur téléphone et me montraient des vidéos de maisons dévastées, de cadavres d’enfants enveloppés dans des tissus blancs et de mères gémissantes et couvertes de cendres. Israël aurait-il largué des centaines de bombes de près d’une tonne si des militants du Hamas s’étaient cachés dans des enclaves juives ? Qui pourrait faire cela et espérer que Gaza survive ? « Si ce n’est pas un génocide », m’a demandé Saleem Anfous, « qu’est-ce que c’est ? »

Après l’attaque, Musalaha a publié une « lettre de lamentation » déplorant la mort de civils israéliens et gazaouis et les actions tant des FDI que des militants du Hamas. Mais certaines déclarations de chrétiens palestiniens ne reconnaissent pas le rôle du Hamas dans le déclenchement de la guerre et ne condamnent pas non plus ce qui constitue le plus grand massacre de Juifs depuis l’Holocauste.

Et lorsque la poussière sera retombée, les Juifs se souviendront de leur silence, dit Evan Thomas, ancien membre du conseil d’administration de Musalaha.

« Si vous ne reconnaissez pas cela, alors aux yeux de la communauté messianique, d’une certaine manière, vous l’approuvez », dit-il. « Ce n’est pas toujours juste, et ce n’est pas toujours intrinsèquement vrai. Mais c’est ainsi que c’est perçu. »

Lisa Loden, aujourd’hui âgée de 77 ans, a toujours été optimiste. Elle a toujours œuvré en faveur de la paix et de la réconciliation entre Juifs et Palestiniens, même si, depuis son installation en Israël, elle a été témoin de six guerres. Mais cette attaque l’a touchée différemment. Le chagrin l’a immobilisée pendant des jours.

« Je ne sais pas si la réconciliation est possible », me dit-elle dans sa maison de Netanya, dans le centre ouest d’Israël. « Nous parlons depuis de nombreuses années : pouvons-nous construire un récit qui fasse le pont ? Pouvons-nous construire une théologie qui fasse le pont ? Et tous les efforts déployés dans ce sens ont été réduits à néant. »

Elle est prête à réessayer. Mais pas maintenant. « Il y a des moments où l’on peut parler de ces choses et d’autres où l’on ne peut pas. Ce n’est pas le moment. »

Entre-temps, le paradigme du colonialisme de peuplement, selon lequel les colons juifs blancs seraient venus prendre le pas sur les populations autochtones de couleur plutôt que de s’assimiler, gagne du terrain parmi les Palestiniens comme Saleem Anfous, et c’est ainsi qu’ils perçoivent la guerre actuelle : une agression coloniale destinée à anéantir la culture et l’identité des autochtones.

Ce type de langage peut bloquer tout dialogue sur la paix et la réconciliation. Pour de nombreux Juifs, les « colons blancs européens » auxquels ils sont assimilés sont ceux-là mêmes qui ont assassiné des millions de Juifs au 20e siècle. Ils citent la Torah comme preuve écrite qu’ils ont eux aussi un droit historique sur cette terre. Pour eux, le fait que les Palestiniens souhaitent qu’ils disparaissent peut également être assimilé à une volonté génocidaire.

Daniel Munayer dit aux Juifs israéliens : « Je ne considère pas qu’il faille effacer Israël. Ce que je dis, c’est que nous devons repenser les fondements de notre paysage politique, afin que nous puissions tous vivre ici sur un pied d’égalité, que nos droits et nos libertés soient basés sur notre citoyenneté, et non sur notre appartenance ethnique ou religieuse. Je veux un pays qui s’adresse à tous ses citoyens. »

Après le 7 octobre, Daniel a été interpellé de la même manière par des personnes issues des deux camps : « Y a-t-il un intérêt à se réconcilier après tout cela ? »

Mais cette guerre en montre justement la nécessité, affirme Daniel.

« Nous devons fournir des cadres dans lesquels les gens peuvent avoir des conversations et surmonter leurs émotions. Parce que si cela ne se fait pas, ce sera une explosion de rage et de colère, et cela ne fera qu’engendrer des représailles et de nouvelles destructions. Et c’est le cycle qui se poursuit. »

Musalaha veut essayer de jeter un pont entre deux idées apparemment incompatibles, me dit Salim. L’organisation veut encourager la réconciliation tout en considérant l’Israël actuel comme un projet colonialiste.

« Je suis très optimiste », dit-il. Après des années de mise sous le tapis, il constate une prise de conscience en Israël et dans la communauté internationale de la nécessité de trouver une solution à la question israélo-palestinienne. Musalaha, considère-t-il, est une voix prophétique.

La question est maintenant de savoir si d’autres verront les choses de la même manière.

Alors que je me promenais avec Saleem Anfous dans la rue de l’Étoile à Bethléem, il a reçu un appel de Daniel. Celui-ci essayait de le convaincre de donner une nouvelle chance à Musalaha. Va lire notre dernière lettre de nouvelles, lui a dit Daniel. Nous prenons une nouvelle direction. Cela va changer les choses.

« On verra bien », a répondu Saleem.

Sophia Lee est reporter internationale pour CT.

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Le mythe derrière Paul et le salut par la maternité

Pour nous aider à comprendre un étrange passage biblique, Sandra Glahn examine en profondeur le dossier d’une déesse éphésienne.

L’Artémis d’Éphèse

L’Artémis d’Éphèse

Christianity Today March 27, 2024
WikiMedia Commons/Adaptations par CT

En tant que femme spécialiste du Nouveau Testament, je n’ai tout simplement pas le luxe de passer à côté de 1 Timothée 2.11-15 où Paul, après avoir déclaré que les femmes devraient « apprendre dans le calme et la pleine soumission », affirme que « la femme sera sauvée en devenant mère ». Cette idée de « salut par la maternité » m’a été citée par plus d’inconnus et de connaissances (plus ou moins) bien intentionnés que n’importe quel autre, mais une situation m’est bien restée en mémoire.

Je ne me souviens pas du contexte qui aurait pu rendre la chose appropriée, mais un jour, il y a une dizaine d’années, un jeune homme m’a dit, au cours d’une conversation à propos de mon enseignement : « Oui, tu es bien sauvée par la maternité. » Il se trouve que j’étais en position d’autorité par rapport à lui, et je voyais bien que ce qui se présentait comme une « blague » visait à me remettre à ma juste place.

« Alors je suppose que je ne suis pas sauvée », ai-je répondu, sachant que son interprétation de ce verset relevait de ma maternité littérale. Je savais aussi, contrairement à lui, que mon corps donnait de nombreux signes indiquant que je ne pourrais jamais avoir d’enfant. (Soit dit en passant, par la grâce de Dieu, j’ai fini par devenir la « mère de quelqu’un ».)

Mon histoire n’est qu’un aperçu de la manière terrible dont les femmes ont été blessées par l’utilisation abusive de 1 Timothée 2.11-15. Dans l’introduction de son récent livre intitulé Nobody’s Mother: Artemis of the Ephesians in Antiquity and the New Testament (« La mère de personne : l’Artémis des Éphésiens dans l’Antiquité et le Nouveau Testament »), Sandra L. Glahn brosse un tableau déchirant de son expérience de la perte d’un enfant et de ses rencontres avec ce texte dans des cultures où il joue un rôle de premier plan pour la participation des femmes au sein de l’Église. Comme moi, elle a intériorisé bien des messages sur la féminité et la façon dont la valeur des femmes peut être mesurée. Il doit y avoir beaucoup de « flèches dans notre carquois », nous dit-on, et notre ministère a lieu dans notre maison.

Glahn, professeure au Dallas Theological Seminary, présente son livre comme un ouvrage visant à déconstruire soigneusement ce genre de propos en se penchant sur le contexte historique de 1 Timothée. En examinant minutieusement d’anciens témoignages sur Éphèse et la déesse Artémis qui y était honorée et en brisant au passage quelques mythes, Glahn permet de mieux comprendre un passage terriblement complexe. Tout au long de l’ouvrage, sa méthode principale consiste à illustrer ses affirmations par la présentation de données historiques, qu’elle analyse ensuite en relation avec le texte biblique.

Une image plus juste d’Artémis

Le premier chapitre du livre aborde une question importante qui vous a peut-être déjà traversé l’esprit : avons-nous vraiment besoin d’un autre livre sur ce passage ? Et pourquoi maintenant ? Le oui retentissant de Glahn vient de plusieurs directions. À ses yeux, nous avons besoin d’un « regard neuf » pour ces quatre raisons :

  • Pendant la majeure partie de l’histoire de l’Église, les femmes ont été considérées comme inférieures aux hommes par nature.
  • Les faits suggèrent que (malgré ce qui précède) les femmes étaient actives dans l’Église pendant toute cette période.
  • Nous avons accès à davantage d’informations grâce à des bases de données, des inscriptions et d’autres preuves archéologiques.
  • Nous pouvons mieux évaluer l’information grâce à l’analyse littéraire et aux progrès réalisés dans l’étude des inscriptions, des matériaux et pratiques littéraires anciens et des signes et symboles.

Le deuxième chapitre se concentre sur la ville d’Éphèse, où Timothée se trouve probablement lorsqu’il reçoit la correspondance de Paul. Glahn commence par une étude des lieux où Éphèse apparaît dans l’Écriture. L’une des mentions les plus importantes se trouve dans Actes 19, où le ministère de Paul conduit à la destruction de livres de magie et à un soulèvement. Un cri retentit dans la foule en colère : « Grande est l’Artémis des Éphésiens ! » (v. 28, 34) Le message de Paul sur Christ menaçait leur dévotion à la déesse — et la production de biens qui accompagnait ce culte.

Jusqu’ici, les observations faites par Glahn s’alignent sur les observations habituelles, mais c’est dans sa caractérisation de la déesse qu’elle détone. Pour beaucoup, Artémis est une déesse de la fertilité et, dans certains cas, de la prostitution. Dans ses représentations, son torse ou sa poitrine est couvert de ce qui ressemble à des œufs, et beaucoup pensent que ces œufs sont ses nombreux seins. Comme l’indique Glahn, certains ont également fait un lien entre Artémis et les amazones de la mythologie grecque. Mais que disent les textes anciens sur Artémis ?

Quelque chose de tout à fait différent.

Artémis, souvent décrite comme « l’Artémis d’Éphèse », est « la mère de personne ». Elle accorde une grande importance à la virginité et se bat parfois pour préserver sa propre chasteté. Malgré cela, elle qui avait vu sa mère souffrir de la naissance traumatisante de son frère Apollon était considérée comme une sage-femme. Les femmes priaient pour qu’elle les conduise en toute sécurité à travers l’expérience de l’accouchement ou les libère miséricordieusement de la souffrance en leur décochant rapidement d’une de ses flèches.

Dans ces récits, elle n’est jamais associée à la prostitution. Glahn souligne d’ailleurs que la prostitution était interdite à Éphèse à cette époque. Chacune de ces caractérisations d’Artémis dans les sources littéraires est également corroborée par des épigraphes anciennes que Glahn présente dans le chapitre suivant. Elle y examine diverses références à Artémis, notamment sur des bâtiments et des monuments. Celles-ci présentent une image similaire de la déesse.

Si Glahn observe un portrait relativement cohérent d’Artémis dans les sources littéraires et les épigraphes disponibles, les représentations d’Artémis dans l’architecture et l’art sont plus variées. Parfois, elle ressemble à une amazone, une beauté traditionnelle, parée de bijoux et de cheveux tressés. À d’autres moments, elle paraît plus étrange, couverte de formes ovoïdes interprétées comme des seins. Mais ces images ne sont pas représentatives de déesses différentes ou de traditions divergentes. Glahn explique que certaines pièces de cette époque présentent une représentation d’Artémis au recto et l’autre au verso. La belle chasseuse vierge est bel et bien la « mère de personne ». Que penser alors de ces étranges formes semblables à des œufs ?

Glahn aborde un large éventail d’explications, au nombre desquelles on trouve par exemple des testicules de taureau ou des canines de cerf, mais se fixe sur l’idée que ces formes sont un type de perle utilisé dans les bijoux magiques liés aux pouvoirs de l’Artémis d’Éphèse. Avec ces nombreux bijoux, elle apparaît comme à la fois resplendissante et puissante, un bon portrait de cette déesse, comme nous l’avons vu.

L’Artémis d’ÉphèseWikiMedia Commons/Adaptations par CT 
L’Artémis d’Éphèse

Une réponse à un slogan

Le dernier chapitre, « Sauvée par la maternité », explore comment une image plus précise d’Artémis peut aider notre interprétation de 1 Timothée dans son ensemble, mais surtout en 1 Timothée 2, où des conceptions erronées d’Artémis ont influencé les conceptions chrétiennes de la manière dont les femmes peuvent prendre part à la vie de l’Église. Glahn comprend 1 Timothée comme une polémique (relativement subtile) contre Artémis. Elle montre comment le langage appliqué à Artémis apparaît plus souvent et d’une manière différente dans les lettres de Paul à Timothée et à Tite, et elle relie divers thèmes de ces lettres aux éléments déjà soulignés tout au long du livre.

Mais elle avance également des arguments qui vont bien au-delà de cette relation avec Artémis. Elle montre pourquoi les interprètes devraient considérer 1 Timothée 2.11-15 comme des instructions destinées aux épouses, et non à toutes les femmes. Pour elle, l’interdiction faite aux femmes « d’enseigner ou d’assumer une autorité sur un homme » signifie seulement qu’une femme ne doit pas « enseigner dans le but de dominer un mari ». Si les arguments de l’autrice convergent ici avec des analyses typiques de ce passage, sa présentation des enjeux est claire et se rattache à sa thèse plus générale.

Parmi les idées les plus intéressantes de ce chapitre, on trouve celle que « la femme sera sauvée par la maternité » était un dicton ou un slogan en vigueur chez les Éphésiens. Si tel est bien le cas, Paul répéterait cette affirmation pour y apporter sa réponse : « si elles persévèrent dans la foi, dans l’amour, et dans une vie sainte en gardant en tout le sens de la mesure. » (1 Tm 2.15, SEM) Les interprètes s’interrogent généralement sur le passage du singulier au pluriel (« la femmesera sauvée » si « elles persévèrent »), mais comme le note Glahn, le passage du slogan à la réponse pourrait résoudre ce problème.

Dans l’ensemble, ce livre est une ressource remarquable pour ceux qui voudraient en savoir plus sur l’Artémis d’Éphèse. Il fournit une étude approfondie de la littérature ancienne et quelques analyses intéressantes. Ceci dit, cette grande force du livre pourrait également être considérée comme l’une de ses principales faiblesses : à première vue, il semblerait destiné à un public profane averti, mais des dizaines de pages contiennent de longues citations de sources primaires. Les discussions sont parfois très techniques. Peut-être ai-je mal évalué le ou les publics visé(s), mais l’écart de style et de ton entre l’introduction autobiographique de Glahn et son analyse des preuves épigraphiques est significatif.

Il se pourrait aussi que certains soient déçus que l’interprétation de 1 Timothée ne joue pas un rôle plus important dans le livre. Cependant, à la décharge de Glahn, le chapitre qui traite bel et bien de ce texte est assez long, puisqu’il représente environ un quart de l’ouvrage. Malgré sa longueur, l’analyse reste toutefois principalement, mais pas exclusivement, guidée par l’hypothèse de l’autrice selon laquelle Paul a l’Artémis d’Éphèse à l’esprit tout au long de sa composition, ce qui demeure malgré tout incertain.

Madison N. Pierce est professeure associée de Nouveau Testament au Western Theological Seminary. Elle est l’autrice de Divine Discourse in the Epistle to the Hebrews.

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Carême : Les chrétiens britanniques invités à changer de banque

Pour les défenseurs du climat, la finance soulève des questions de justice. Changer de compte en banque peut avoir un impact significatif.

Christianity Today March 22, 2024
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Cela fait longtemps que Rosie Venner parle des banques. Elle y voit un sujet essentiel — pour Dieu.

« Nous sommes appelés à être de bons intendants, à aimer notre prochain, à rechercher la paix, à agir avec justice. Cela devrait clairement influencer notre rapport à l’argent et les endroits où nous effectuons nos opérations bancaires », nous dit-elle.

Venner est une chrétienne britannique qui milite contre le changement climatique. Elle travaille sur la campagne Money Makes Change avec le JustMoney Movement. Ce groupe se veut « l’organisation de référence pour les chrétiens et les églises » qui mettent en pratique les enseignements de leur foi et les appels bibliques à la justice dans la gestion de leur argent. C’est dans ce contexte que Venner interroge les banques britanniques. Quels choix font-elles lorsqu’elles investissent l’argent placé par des chrétiens soucieux des effets négatifs de l’utilisation des combustibles fossiles sur l’environnement ?

Barclays, par exemple, qui est considérée par certains experts comme une société clé pour la stabilité financière mondiale, a été le plus grand bailleur de fonds du secteur des combustibles fossiles en Europe entre 2016 et 2021. Cette société bancaire y a investi, certaines années, plus de 23 milliards de livres (environ 27 milliards d’euros), finançant aussi l’extraction de pétrole dans le cercle polaire arctique et la forêt amazonienne.

Au total, selon les données les plus récentes, les banques ont injecté plus de 733 milliards de livres (environ 858 milliards d’euros), par an, dans l’industrie des combustibles fossiles.

Venner encourage les chrétiens à suivre l’appel du Seigneur à la compassion et la justice, selon Michée 6.8, et à retirer leur argent de telles banques.

Pendant le carême et en association avec d’autres organisations chrétiennes de défense du climat (comme Just Love, Operation Noah et Switch it Green), JustMoney incite les chrétiens à changer leurs habitudes financières. L’opération s’intitule « The Big Bank Switch » (« Le grand changement de banque »). Pendant cette période où les chrétiens tentent de se détacher des choses matérielles et d’approfondir leur foi, cette action spéciale les invite à « aligner leurs finances sur leurs valeurs, en passant d’une banque qui finance des combustibles fossiles destructeurs pour la planète à une autre qui ne le fait pas ».

Les personnes qui souscrivent à « The Big Bank Switch » s’engagent à transférer leurs comptes bancaires vers une banque plus verte d’ici la fin du mois d’avril. Jusqu’à présent, plus de 100 chrétiens ont promis de changer de banque. Les militants espèrent arriver à 1 000 personnes d’ici la fin de la campagne.

« L’action très pratique de changer de banque nous permet d’influencer les politiques en supprimant notre soutien au développement des combustibles fossiles », déclare Stefan Spence, directeur de la campagne Just Love UK. Les entreprises et les gouvernements s’appuient sur le soutien du public, et le message clair envoyé par la campagne « The Big Bank Switch » nécessitera donc une réponse. Le moment est opportun, car d’autres campagnes comme Make My Money Matter exercent une pression similaire. Et ces dernières années, les banques ont également commencé à mettre à jour leur politique de développement durable.

Historiquement, nous raconte Spence, les banques ont fondé leurs choix d’investissement uniquement sur le rendement pour les actionnaires et sur les préoccupations relatives aux risques financiers. Leur seule considération éthique était le respect de la législation. En conséquence, elles ont parfois investi leur argent d’une manière jugée choquante par leurs déposants. L’argent consacré à l’industrie de combustibles fossiles va à l’encontre d’une réduction effective des émissions de carbone par la Grande-Bretagne. Or, pour de nombreux chrétiens, il s’agit là d’un enjeu éthique essentiel.

« En tant que chrétiens, nous réalisons que la terre et les cieux ont été créés pour proclamer la gloire de Dieu », nous dit Spence. « Les plantes, les animaux et les êtres humains sur Terre sont beaux et précieux. Le commandement de Dieu de gérer la création implique que nous prenions soin à la fois des personnes et de l’environnement. »

Il cite des versets tels que Proverbes 22.16 comme mandats clairs des Écritures. Le Seigneur réprouve ceux qui agissent d’une manière qui rend les riches plus riches et nuit aux pauvres. Et ceux qui « sèment l’injustice » récolteront le malheur (v. 8).

Selon Spence, le secteur bancaire ne devrait pas agir de la sorte. Les investisseurs pourraient très bien tenir compte de considérations éthiques lorsqu’ils mettent en balance le profit potentiel à réaliser et le risque financier encouru.

Spence fait remarquer que ce n’est pas la première fois que les chrétiens tentent d’utiliser leurs finances pour créer un changement social. Dans les années 1970 et 1980, les campagnes antiapartheid ont exercé efficacement des boycotts pour pousser les entreprises à cesser de financer des projets en Afrique du Sud.

Operation Noah, l’une des premières organisations caritatives chrétiennes de défense du climat au Royaume-Uni, a également passé une décennie à encourager les chrétiens et les organisations confessionnelles à se retirer de placements qui nuisent à l’environnement.

« Cette pression donne de réels résultats », explique Cameron Conant, responsable de la communication de l’organisation. « Parfois les gens se découragent et ont l’impression que les campagnes ne donnent rien, mais je peux dire, en tant que militant qui fait campagne depuis pas mal d’années, que ça marche vraiment. »

Conant a vu de nombreux particuliers changer d’avis, mais il souligne également les succès obtenus auprès d’institutions plus importantes. L’année dernière, l’Église d’Angleterre s’est désengagée de tous les investissements dans le pétrole et le gaz qui n’étaient pas « véritablement alignés » sur les objectifs fixés de limitation des émissions de carbone.

Selon Conant, la stratégie à suivre doit consister à aider les gens à comprendre qu’ils ont une influence et à connecter leur action à leur foi chrétienne.

« Qui finance les combustibles fossiles ? Qui les y autorise ? C’est notre système politique et nos banques », dit Conant. « Nous avons essayé de parler d’une seule voix chrétienne pour dire que c’est un sujet sur lequel les chrétiens devraient être unis. Nous sommes appelés à prendre soin de la création de Dieu. Et tout comme en tant qu’églises et organisations religieuses nous ne devrions pas financer le tabac, les armes ou les jeux d’argent, nous ne devrions pas non plus financer les combustibles fossiles. »

Cette action porte vraisemblablement déjà ses fruits. La base de données mondiale des promesses de désinvestissement à l’égard des combustibles fossiles montre que les organisations confessionnelles sont à l’avant-garde du processus. Les grandes banques s’en rendent compte. Barclays a annoncé le mois dernier qu’elle cesserait de financer directement de nouveaux projets pétroliers et gaziers.

Holly-Anna Petersen relate que la Christian Climate Action, dont elle est membre, a également obtenu beaucoup de succès en amenant les organisations chrétiennes à réfléchir plus attentivement à l’impact de leur argent sur le changement climatique. Récemment, des militants ont organisé une veillée devant la cathédrale de l’Église d’Angleterre à Sheffield, exhortant cette communauté à changer de banque.

« Pour des organisations chrétiennes qui mènent elles-mêmes diverses campagnes, le fait d’être l’objet d’une campagne plus vaste était un peu inconfortable », nous dit Petersen. « Mais elles ont rapidement compris le tort que leur banque faisait et se sont donc montrées très réceptives. »

L’organisation Christian Aid s’est également laissé convaincre de changer de banque.

« C’est pratique de rester dans la banque que l’on a toujours fréquentée. Changer de banque demande assurément un certain effort. Mais la crise climatique est financée et alimentée par l’argent », déclare Ashley Taylor, conseillère principale de Christian Aid en matière de plaidoyer. « Il est essentiel de faire ce que nous pouvons pour aider à interrompre ce flux financier si nous voulons mettre fin aux souffrances de nos frères et sœurs qui subissent les pires impacts climatiques. »

Taylor encourage ses semblables à ne pas sous-estimer l’impact qu’ils peuvent avoir.

« Les actes parlent plus que les mots », dit-elle. « C’est facile de déclarer une urgence climatique, de dire qu’on se soucie du sort de ceux qui souffrent et qu’on ne soutient pas les pollueurs. Mais en effectuant nos opérations bancaires par l’entremise de ceux qui financent les pollueurs, on risque de faire partie du problème auquel on prétend s’opposer. »

Pour Rosie Venner, il est essentiel de prendre conscience de ce lien. Elle se souvient du jour où elle a réalisé que la banque avec laquelle elle travaillait faisait partie du système qui la tourmentait et que ses activités bancaires menaçaient les enjeux pour lesquels elle priait.

« J’ai travaillé pour une organisation caritative de développement international », explique-t-elle. « J’ai rencontré des gens du monde entier. J’ai entendu parler des luttes des communautés déplacées de leurs terres ou de celles dont les moyens de subsistance sont menacés à cause de l’exploitation minière, de l’agriculture à grande échelle ou de projets pétroliers et gaziers. Le financement de ces activités provenait des banques devant lesquelles je passais dans la rue : il y avait un lien direct avec les personnes qui me tenaient à cœur et les communautés pour lesquelles je priais. »

Pendant le carême, elle espère aider d’autres chrétiens à saisir ce lien avec l’opération « The Big Bank Switch ».

« Je pense que c’est le bon moment », conclut Venner. « De nombreux chrétiens sont préoccupés par la crise climatique et prennent conscience du rôle que joue la finance dans ce contexte. »

Traduit par Anne Haumont

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Même en ligne, nous avons encore besoin de la pudeur.

Avec le développement des blogs et des réseaux sociaux, nous avons gagné un public. Mais nous avons surexposé nos âmes.

Christianity Today March 22, 2024
Illustration by Mallory Rentsch Tlapek / Source Images: Getty

Il y a dix ans, je publiais mon premier livre. Comme beaucoup d’autres auteurs, mon travail s’inspire de mon expérience personnelle et utilise des éléments de mon histoire. Après tout, je suis devenue autrice à l’apogée des blogs chrétiens aux États-Unis, alors que des femmes depuis devenues célèbres écrivaient depuis leur table de cuisine sur les luttes de la vie domestique et de la féminité. Le premier article de blog dont j’ai fait la lecture décrivait la douleur de l’accouchement dans tous ses détails sanglants.

Mais l’ouverture d’alors n’est rien comparée au type d’exposition de soi qu’exigent les plateformes contemporaines.

À mesure que les blogs cèdent la place aux réseaux sociaux, le contenu devient à la fois plus mis en scène et, paradoxalement, plus intime. Au lieu d’écrire depuis la table de la cuisine, les influenceurs sont en direct de leur cuisine, de leur salle de bains ou de leur chambre. Rien n’est interdit. Les spectateurs sont invités à suivre tous les aléas de leurs relations personnelles, leurs expériences sexuelles ou leurs doutes religieux. Ensemble, nous nous retrouvons à célébrer les étapes importantes de la vie d’enfants que nous ne connaissons même pas.

Dans le secteur de l’édition, la pression exercée sur les auteurs pour qu’ils dévoilent leur vie privée est liée à la nécessité de stimuler les ventes grâce à leur présence et leur audience en ligne, ce que l’on appelle la « marque personnelle ». L’autrice Jen Pollock Michel, dont la carrière a des parallèles avec la mienne, a récemment déclaré qu’elle envisageait de prendre du recul, non pas par rapport à l’écriture, mais par rapport à l’édition de livres, parce qu’« il y a de moins en moins de moyens de faire connaître un livre qui ne relèvent pas de la promotion de soi ».

Tout cela donne lieu à une culture de l’édition profondément impudique, dans laquelle le dévoilement de soi est considéré comme une vertu.

Qualifier l’autopromotion d’un auteur de problème de pudeur peut sembler incongru. Ce genre de promotion a quelque chose d’artificiel, et peut-être même un peu « malaisant », comme le disent les jeunes, mais impudique ? Si je pense à la pudeur, c’est en partie parce que pour gagner des adeptes dans l’espace bruyant et encombré de nos vies, il faut attirer l’attention des lecteurs. Et un moyen sûr d’y parvenir est de se dévoiler.

Parler de pudeur dans mon contexte américain représente un défi : le mot anglais modesty qui y correspond est souvent mal compris, en particulier dans le cadre de la culture de la pureté. À son meilleur, une certaine « modestie » conduit à une forme d’humble autodérision (dont les réseaux sociaux auraient bien besoin) ; mais malheureusement, la notion a souvent été employée pour faire honte aux femmes à propos de leur corps. Dans un cas comme dans l’autre, nous passons cependant à côté de la manière dont une certaine pudeur pourrait nous aider à nous fixer et maintenir des limites plus saines en ligne. Après tout, la pudeur n’est pas tant une question de ce qui est caché que de à qui l’on cache ce quelque chose.

Ainsi comprise, la pudeur est profondément liée à l’intimité que l’éthicien chrétien et professeur à la Duke Divinity School Luke Bretherton considère comme la pierre angulaire de la communauté humaine. Dans A Primer in Christian Ethics, il présente l’intimité comme la capacité de s’approcher l’un de l’autre dans la vulnérabilité et la confiance. Si l’intimité inclut la sexualité, elle ne se résume pas à cela. Elle est le moyen par lequel nous nous ouvrons à la possibilité de nous lier aux autres et de construire la dépendance mutuelle nécessaire à l’épanouissement.

Mais l’intimité est risquée, car de la même manière qu’elle nous permet de tisser des liens, elle nous expose également à l’exploitation. Lorsque nous nous exposons, nous avons confiance que les autres ne profiteront pas de nous et honoreront le caractère sacré de ce que nous partageons. Lorsque les autres baissent la garde et se dévoilent à nous, nous ne devons pas abuser de leur confiance. Nous devons agir fidèlement les uns envers les autres.

Dans l’idéal, des normes tacites et des conventions communes protègent cette vulnérabilité, mais l’idéal n’est pas la réalité. Les normes non exprimées ne sont même plus reconnues comme normes. Les conventions ne sont pas respectées et les communautés ferment les yeux sur les abus. Loin du paradis, nous devons évaluer qui est digne de confiance et qui ne l’est pas. Nous devons apprendre à connaître les personnes avec lesquelles nous pouvons être vulnérables. À qui pouvons-nous confier ce qui se passe au plus profond de nos entrailles ? Qui honorera notre caractère sacré ?

La relation entre l’intimité, la vulnérabilité et la confiance est au cœur de la pudeur et c’est la raison pour laquelle celle-ci est si nécessaire à nos interactions en ligne. La pudeur — qu’elle soit physique, émotionnelle ou spirituelle — reconnaît le risque inhérent à la nudité dans un monde qui cherche à la profaner. Elle nous couvre tout comme Dieu a couvert l’homme et la femme dans le jardin (Ge 3.21). Nous avons toujours la possibilité de nous dévoiler, mais ce dévoilement dépend en partie du contexte et de la relation.

C’est ce contexte qui explique la pudeur de la passion sexuelle exprimée dans le Cantique des Cantiques, un livre écrit sous forme poétique, comme voilé. La vulnérabilité des amants est sacrée à cause de son absence de protection, à cause de sa liberté. En tant que telle, elle doit être honorée et préservée par la communauté qui l’entoure. Il s’agit notamment de la protéger contre les voyeurs.

Par ailleurs, certains lieux et certaines relations excluent l’intimité, non pas parce que se dévoiler est intrinsèquement mauvais, mais parce qu’on ne peut pas faire confiance à l’endroit ou aux personnes pour nous honorer. Ils abuseront ou mépriseront le caractère sacré de notre dévoilement. Certains espaces, comme les réseaux sociaux, sont intrinsèquement précaires. L’anxiété et l’incertitude que nous y ressentons ne sont pas tant liées à l’idée de nous ouvrir qu’à notre compréhension instinctive du fait que nous ne sommes pas en sécurité lorsque nous le faisons.

La pudeur est également la raison pour laquelle mes lecteurs ne connaîtront jamais tous les détails de ma vie ou de mes cheminements, et pourquoi je refuse d’exposer certaines parties de moi-même en ligne ou par écrit. L’une des premières critiques de mon premier livre suggérait que je ne disais pas tout au lecteur. Elle se résumait à ceci : les idées qui se dégagent de mes écrits témoignent d’une certaine expérience de la vie et même de la souffrance. Le critique se demandait donc d’où venaient ces idées. Qu’est-ce que je ne partageais pas ?

Tout. Et rien.

De la même manière que j’habille mon corps, j’habille aussi mes paroles. La forme de mon cœur est encore perceptible, mais même si les lecteurs peuvent en tracer les contours, je n’en dévoilerai pas la chair. Et tout comme je couvre les blessures physiques pour éviter l’infection, je n’exposerai pas les blessures de mon âme tant qu’elles ne seront pas guéries.

Je ne m’en excuse pas. Certaines choses sont trop sacrées pour être consommées par le tout-venant, quel que soit le nombre de lecteurs qu’elles attireront. Notre douleur, notre chagrin et même notre joie doivent être mis à part et sanctifiés. Eux aussi sont bien vulnérables. Nous choisissons aussi parfois de voiler les plus belles parties de nous-mêmes afin de les préserver pour ceux qui peuvent en percevoir la valeur.

Ma vie a beaucoup changé en dix ans. Je ne cours plus derrière mes petits. Je ne blogue plus. Je vis toujours au même endroit, mais les personnes qui y vivent avec moi ont changé. Je ne jardine plus autant et ma maison est plus silencieuse qu’elle ne l’a jamais été. Je fais partie d’une église locale, mais sans faire partie des responsables. Je suis retournée à l’école. Je devrais probablement mettre à jour ma biographie.

J’ai partagé certains de ces changements avec mes lecteurs, et j’en ai gardé d’autres pour moi — en particulier ceux qui impliquaient une perte ou un deuil — afin d’honorer leur caractère sacré. Lorsque cela s’est avéré nécessaire, je me suis éloignée des réseaux sociaux pour de longues périodes de retrait dans mon cocon douillet, afin que certaines parties de moi se restaurent en privé.

Je me suis souvent demandé ce que nous nous devons les uns aux autres dans cette époque dépourvue de limites. Sans les frontières de l’espace, du temps et de la relation incarnée, comment puis-je savoir qui sont vraiment les miens ? Comment savoir à qui je peux faire confiance ? Il m’est arrivé de me dévoiler en toute innocence et de voir mon ouverture d’esprit se heurter à des épines. Mais au lieu de me protéger en endurcissant mon cœur, je choisis la pudeur. Je choisis de protéger activement les parties plus sensibles de mon être pour qu’elles puissent rester tendres, pour que je puisse rester moi-même.

Le fait de s’exposer constamment en ligne nous désensibilise et nous empêche d’honorer le caractère sacré de notre vie. La pudeur peut aller à l’encontre de la sagesse dominante, mais je crois qu’elle est bénéfique pour mon âme. En reprenant les mots de Marc 8.36-38, je me demande : Que servira-t-il à une femme de gagner le monde entier, si elle perd son âme ? Si même elle vendait tous ses livres, remportait tous les prix et faisait la une des grands journaux, qu’est-ce que cela lui rapporterait ?

Nos histoires et nos âmes sont bien trop sacrées pour être simplement vendues au plus offrant. Elles renferment de la sagesse, certes, mais aussi des personnes et des réalités trop sacrées pour être nommées sur la place publique. Dans la mesure où nous pouvons partager ce que nous avons appris avec le monde, nous devons le faire, mais tout le reste n’est que détails. Une fois révélés, ces détails ne changeront pas la vie du lecteur, mais ils changeront certainement la mienne.

Hannah Anderson est l’autrice de Made for More, All That’s Good et Humble Roots : How Humility Grounds and Nourishes Your Soul.

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