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Si, Paul enseignait bien la soumission mutuelle

L’interprétation que donne Wayne Grudem à Éphésiens 5.21 ne tient pas la route.

Christianity Today May 29, 2024
WikiMedia Commons/Adaptations par CT

En Éphésiens 5.21, Paul demande aux chrétiens de « se soumettre les uns aux autres ». Ces mots ont traditionnellement été compris comme appelant à une forme de soumission mutuelle, y compris entre membres d’une même famille. Le réformateur Jean Calvin, par exemple, estimait que l’idée de soumission d’un père à son enfant ou d’un mari à sa femme pouvait sembler « étrange à première vue », mais il n’a jamais remis en question le fait qu’une telle soumission est effectivement ce que Paul prescrit.

Non sans ironie, c’est au nom du conservatisme théologique que cette lecture d’Éphésiens 5.21 a cependant été remise en question ces dernières années. De nombreux chercheurs évangéliques affirment aujourd’hui que la soumission dont il est question dans ce verset n’est pas une soumission mutuelle (tout le monde se soumet à tout le monde), mais une soumission unidirectionnelle à ceux qui détiennent l’autorité (certains se soumettent à d’autres). Le plus fervent défenseur de cette approche est Wayne Grudem, un éminent théologien qui a notamment participé à la création du Council on Biblical Manhood and Womanhood.

Grudem, qui a récemment annoncé qu’il se retirait de l’enseignement, soutient depuis plus de trente ans qu’Éphésiens 5.21 pourrait être paraphrasé comme suit : « Ceux qui sont soumis à une autorité doivent se soumettre à ceux d’entre vous qui ont autorité sur eux. » Selon la lecture de Grudem, ce verset requiert qu’une femme se soumette à son mari, mais il ne nécessite en aucun cas qu’un mari se soumette à sa femme.

Pour défendre cette interprétation, Grudem fait appel au sens de hypotassō, le verbe grec traduit par « se soumettre » ou « être soumis ». Grudem affirme que ce verbe « signifie toujours être soumis à l’autorité de quelqu’un d’autre, dans toute la littérature grecque, chrétienne et non chrétienne ».

« Dans tous les exemples disponibles », affirme Grudem, « lorsque l’on dit que la personne A est “soumise” à la personne B, la personne B a une autorité spécifique que la personne A n’a pas. En d’autres termes, hypotassō implique toujours une soumission unidirectionnelle à quelqu’un qui détient l’autorité. »

Le problème de cet argument est que ses affirmations concernant hypotassō ne sont tout simplement pas vraies. Je vous propose ci-dessous huit passages anciens contenant le verbe hypotassō. Chacun d’eux réfute de manière décisive l’affirmation de Grudem selon laquelle hypotassō « implique toujours une soumission unidirectionnelle à quelqu’un qui détient l’autorité ». Dans plusieurs, hypotassō est utilisé pour décrire une soumission qui est explicitement mutuelle et non unidirectionnelle. Et dans les huit textes, hypotassō décrit une soumission à des personnes qui ne sont pas en position d’autorité. (Toutes les traductions sont miennes. Une discussion approfondie de ces passages et d’autres textes pertinents sera disponible dans mon article à paraître dans le prochain Lexington Theological Quarterly)

  • Le moine Antiochos de Palestine, au 7e siècle, donne le conseil suivant à celui qui recherche l’humilité : « Qu’il se soumette à son prochain et qu’il soit son esclave, en se souvenant du Seigneur, qui ne dédaignait pas de laver les pieds de ses disciples. » (Pandecte 70.75-77)
  • L’évêque du 4e siècle Grégoire de Nysse explique que chaque membre d’une communauté monastique doit se considérer comme « un esclave du Christ qui a été acheté pour les besoins communs des frères » et doit donc « se soumettre à tous ». (De instituto Christiano 8.1:67.13-68.12)
  • Dans une lettre personnelle, l’évêque du 4e siècle Basile de Césarée parle de celui « qui, conformément à l’amour, se soumet à son prochain ». (Lettres 65.1.10-11)
  • Dans un traité réglementant la vie dans une communauté monastique, Basile cite l’exhortation de Paul en 1 Corinthiens 10.24 : « Que personne ne cherche son propre bien, mais le bien de l’autre. » Il en conclut qu’il faut « se soumettre soit à Dieu selon son commandement, soit aux autres en raison de son commandement » (Patrologia Graeca 31:1081.30-38).
  • Dans un traité également attribué à Basile, l’auteur décrit les membres d’une communauté monastique comme étant à la fois « esclaves les uns des autres » et « maîtres les uns des autres ». Cet « esclavage mutuel » n’est pas le fruit d’une coercition, mais se fait de plein gré, « l’amour soumettant les libres les uns aux autres ». (Patrologia Graeca 31:1384.7-14)
  • Dans un sermon contre la promiscuité sexuelle, l’archevêque du 4e siècle Jean Chrysostome déclare que « l’époux et l’épouse » qui n’ont pas eu d’expérience préalable avec d’autres partenaires sexuels « se soumettront l’un à l’autre » dans le mariage (Patrologia Graeca 62:426.33-35).
  • Dans une exhortation à la soumission mutuelle, Chrysostome s’interroge sur la manière de traiter un frère chrétien qui n’a pas l’intention de nous rendre la pareille : « Mais il n’a pas l’intention de se soumettre à toi ? Malgré cela, toi, soumets-toi ; ne te contente pas d’obéir, mais soumets-toi. Entretiens ce sentiment à l’égard de tous, comme si tous étaient ton maître. » (Patrologia Graeca 62:134.56-59)
  • Dans un traité attribué au moine Macaire l’Égyptien, du 4e siècle, l’auteur exhorte les membres d’une communauté monastique à rester « dans ce bon et édifiant esclavage » et à agir en « entière soumission les uns aux autres ». L’auteur imagine « tous les frères soumis les uns aux autres avec joie » et les exhorte, « en tant qu’imitateurs du Christ », à adopter « soumission et heureux esclavage pour le rafraîchissement mutuel ». (Grande Lettre 257.22-261.1)

L’interprétation que fait Grudem d’Éphésiens 5.21 est donc fondée sur une mauvaise compréhension du verbe grec hypotassō. Comme l’illustrent les passages cités ci-dessus, ce verbe n’est pas seulement utilisé pour décrire la soumission à des personnes en position d’autorité ; il est également utilisé pour décrire la soumission à son prochain, aux frères dans la foi et aux femmes.

De plus, en utilisant le Thesaurus Linguae Graecae — une énorme bibliothèque numérique contenant pratiquement toute la littérature grecque du monde antique disponible — j’ai examiné toutes les citations et allusions à Éphésiens 5.21 avant l’an 500 de notre ère. Je ne trouve aucun indice que l’Église de langue grecque ait même pu avoir idée de l’interprétation défendue par Grudem pour qui certains devraient se soumettre à d’autres. Les chrétiens de l’Antiquité ont toujours compris les paroles de Paul en Éphésiens 5.21 comme exigeant la soumission à tous les membres de la communauté, quel que soit leur rang, et les ont donc régulièrement associées à des passages tels que Marc 10.44 (« soyez l’esclave de tous ») et Galates 5.13 (« soyez esclaves les uns des autres »).

Par exemple, immédiatement après avoir cité Éphésiens 5.21, Jean Chrysostome fait l’exhortation suivante à la soumission mutuelle : « Qu’il y ait un échange d’esclavage et de soumission. Car ainsi il n’y aura pas d’esclavage. Que l’un ne s’asseye pas au rang de libre et l’autre au rang d’esclave ; il vaut mieux que maîtres et esclaves soient esclaves les uns des autres. » (Patrologia Graeca 62:134.28-32)

Remarquez qu’en expliquant Éphésiens 5.21, Jean Chrysostome utilise le vocabulaire de Galates 5.13 : « soyez esclaves les uns des autres. » Bien que ces deux versets soient régulièrement associés dans la littérature patristique grecque, les lecteurs francophones de Paul font rarement le lien. Les bibles en français traduisent généralement Galates 5.13 par « mettez-vous au service les uns les autres », mais le propos de Paul est plus fort que ne le suggère cette traduction. Paul utilise ici le verbe douleuō, qui signifie « être esclave » (doulos signifiant « esclave »)

Les verbes douleuō et hypotassō sont très proches et sont parfois utilisés ensemble comme des quasi-synonymes. Voyez les quatre passages suivants dans lesquels le verbe hypotassō est associé au verbe douleuō.

  1. Plutarque, auteur romain du 2e siècle, cite le conseil de Platon de ne pas « se soumettre et être esclave » de la passion (Moralia 1002E).
  2. Le philosophe romain Épictète, jeune contemporain de Paul, fustige celui qui ne parvient pas à atteindre l’idéal stoïcien : « Tu es un esclave, tu es soumis » (Discours 4.4.33).
  3. Le Berger d’Hermas, un texte chrétien du 2e siècle, décrit ce qui se passera « si tu es esclave du bon désir et si tu t’y soumets » (45.5).
  4. Dans le premier des huit passages cités plus haut, Antiochos écrit : « Qu’il se soumette à son prochain et qu’il soit son esclave. »

Dans ses arguments contre la soumission mutuelle, Grudem a négligé la proximité entre ces deux verbes. Il observe à juste titre que hypotassō implique une hiérarchie dans laquelle une personne est placée en dessous d’une autre. Puisque deux personnes ne peuvent pas être simultanément l’une sous l’autre, Grudem et d’autres critiques de la soumission mutuelle rejettent un concept qu’ils voient comme autocontradictoire.

Cependant, ces chercheurs ne relèvent pas que le verbe douleuō dans Galates 5.13 implique également une hiérarchie dans laquelle une personne est placée au-dessous d’une autre. Néanmoins, tous les commentateurs reconnaissent en Galates 5.13 que Paul utilise manifestement le verbe douleuō pour décrire une action mutuelle et non unidirectionnelle. Ainsi, si les propos de Paul concernant la soumission mutuelle en Éphésiens 5.21 sont effectivement (délibérément) autocontradictoires, ils ne le sont pas plus que ses propos concernant l’esclavage mutuel en Galates 5.13.

L’Église ancienne a toujours compris qu’Éphésiens 5.21 appelait à une réelle soumission mutuelle. Le rejet moderne de cette interprétation par certains évangéliques trouve son origine dans des affirmations fallacieuses concernant le verbe grec hypotassō. Jésus « a pris la forme d’un esclave » (Ph 2.7), et tous ceux qui le suivent, hommes et femmes, sont eux aussi appelés à la soumission.

Murray Vasser est professeur adjoint de Nouveau Testament au Séminaire biblique de Wesley. Cet article résume un travail académique présenté lors de la réunion de 2023 de la Society of Biblical Literature et à paraître dans la revue Lexington Theological Quarterly.

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