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Après le postmodernisme, voici le métamodernisme

Notre apologétique doit évoluer pour s’adapter à la tournure d’esprit des nouvelles générations.

Christianity Today June 3, 2024
Elizabeth Kaye/Images sources : Getty, Unsplash

Depuis plusieurs années, des spécialistes annoncent la mort du postmodernisme. Après des décennies de prédominance culturelle, cette posture intellectuelle notamment marquée par le cynisme et le relativisme est en train de céder le pas. À sa place, ceux d’entre nous qui passent beaucoup de temps avec les plus jeunes générations (Z et Alpha) voient s’installer une autre perspective idéologique.

Quelles sont ces nouvelles manières de pensée qui s’installent ? Et comment les chrétiens sont-ils appelés à agir dans ce paysage culturel en évolution ?

Un certain nombre de spécialistes identifient ce courant sous l’étiquette de « métamodernisme ». Utilisé pour la première fois en 1975 pour décrire une évolution littéraire, le concept est devenu plus important au début des années 2000 grâce au travail d’analystes de la culture tels que Timotheus Vermeulen et Robin Van den Akker. Dans leur article de 2010 intitulé « Notes on Metamodernism », ils offrent une présentation convaincante de ce nouveau Zeitgeist et fournissent une analyse culturelle de ses diverses caractéristiques.

Selon Vermeulen et Van den Akker, le métamodernisme s’observe dans « un optimisme (souvent prudent) et une sincérité (parfois feinte) qui laissent entrevoir une autre structure de perception », découlant de la conscience que « l’histoire […] avance rapidement au-delà de sa fin trop rapidement annoncée. » Bien qu’il y ait eu de nombreuses réponses académiquesà leur travail, le terme n’a pas eu beaucoup de succès dans la sphère publique.

En tant qu’enseignant dans un lycée, pasteur de jeunesse et membre plus âgé de la génération Z, j’ai non seulement grandi dans le bain idéologique du métamodernisme, mais j’ai aussi vu à quoi celle-ci ressemble sur le terrain. Elle peut se manifester de plusieurs manières tangibles, et en particulier dans ce que j’appelle la confiance apocalyptique, la construction d’une vision du monde inversée et la forte mise en récit de l’identité.

La confiance apocalyptique en question (ou ce que Vermeulen et Van den Akker appellent « optimisme prudent ») naît du pessimisme viscéral du postmodernisme et s’y oppose. Elle reconnaît que le monde est en quelque sorte « condamné » ou du moins en crise, mais répond à ce fait par un humour noir, un optimisme sincère (souvent exprimé par l’ironie) et un esprit révolutionnaire qui rejette activement la résignation passive des décennies antérieures.

La nouvelle génération s’est habituée à envisager son avenir en termes sombres, s’attendant à affronter des conditions dystopiques dues aux développements technologiques, aux excès des gouvernements, aux catastrophes naturelles résultant de la crise climatique ou encore à à l’instabilité mondiale découlant de l’affrontement entre visions nationalistes et mondialistes de l’avenir.

Malgré tout, la plupart des jeunes n’adoptent pas la politique de l’autruche pour préserver l’innocence de leur jeunesse et ne réagissent pas non plus par un désespoir manifeste. Au lieu de cela, ma génération affronte souvent l’avenir bardée de plaisanteries douces-amères et d’une farouche résolution intérieure à changer le monde.

Contrairement au postmodernisme, que le professeur et théoricien de la culture Ag Apolloni décrivait comme « l’ère de la fin », la génération métamoderne aspire à un nouveau départ.

Vermeulen et Van den Akker décrivent le métamodernisme comme une prise de conscience que l’histoire n’est pas encore terminée. Si tel est le cas, il y a encore de l’espoir pour le changement. C’est la raison pour laquelle les nouvelles générations sont avides de solutions à des problèmes apparemment insolubles. Lorsqu’il s’agit de questions environnementales, économiques ou sociales, les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus susceptibles de se rallier à une cause et de chercher à agir en conséquence, même s’ils le font parfois d’une manière radicale qui peut passer pour alarmiste ou excessive. Ayant grandi avec l’idée que notre avenir pourrait n’être préservé que par des mesures radicales, il est logique que nous l’accueillions avec une certaine distance et une forte volonté de changer le monde.

Pourquoi l’Église devrait-elle s’en préoccuper ? Cette question importe parce que l’un des éléments les plus essentiels d’une vision du monde est son regard sur l’avenir. Les jeunes d’aujourd’hui s’attendent à ce que les choses empirent avant de s’améliorer et se sentent réellement poussés à agir rapidement pour parer aux nombreux fléaux que l’humanité s’est elle-même infligés. Et il se trouve que l’Écriture entre en résonance avec cette manière de penser.

En Romains 8, Paul écrit que toute la création gémit dans l’attente de la rédemption et de son renouvellement. Cette langueur n’est pas une caractéristique originelle de notre monde. Il s’agit d’une conséquence du péché humain et de son impact destructeur sur le monde bon créé par Dieu. La perception chrétienne de la réalité répond directement à la frustration et à la peur qui affectent les générations métamodernes : notre monde est en proie aux maux que nous avons engendrés.

Heureusement, l’Écriture ne se contente pas de diagnostiquer le problème. L’Évangile propose également une solution très concrète : la promesse d’un renouvellement de la création, inauguré par la résurrection de Jésus, dont les pécheurs trouvent un avant-goût dans la vie nouvelle reçue en Christ en attendant leur propre résurrection sur le modèle de la sienne. Vu sous cet angle, l’Évangile donne une véritable substance à la confiance apocalyptique métamoderne.

Une autre facette clé d’un métamodernisme très terre-à-terre est ce que j’aime décrire comme la construction d’une vision du monde inversée.

Historiquement, nous fondons généralement notre vision du monde sur des bases métaphysiques dont nous tirons des conclusions éthiques. En d’autres termes, du moins sur le papier, nous commençons par les questions de sens ultime avant de passer aux questions de finalité temporelle. Comme l’écrit le philosophe Alasdair MacIntyre dans After Virtue, « je ne peux répondre à la question “Que dois-je faire ?” que si je peux répondre à la question préalable “De quelle histoire ou de quelles histoires est-ce que je fais partie ?” »

Mais parmi les générations métamodernes montantes, il semble que cet ordre conventionnel soit inversé. En réponse au relativisme moral de ses prédécesseurs postmodernes, la génération métamoderne cherche d’abord à se fonder sur certains principes éthiques essentiels et choisit ensuite le meilleur climat idéologique pour encadrer cette éthique. Notre génération met en quelque sorte « la charrue avant les bœufs », en ce sens que nous fondons souvent nos positions religieuses ou philosophiques sur des présupposés éthiques plutôt que l’inverse.

Cette nouvelle donne consiste donc à partir d’une forme de certitude éthique et à s’aligner sur les affirmations religieuses qui correspondent aux résultats éthiques souhaités, rejetant celles dont les résultats éthiques sont jugés « problématiques ». Dans ce nouvel absolutisme éthique, certains rejettent et dénoncent toute représentation religieuse semblant produire des conclusions éthiques qui ne leur conviennent pas.

Là où certains en étaient venus à considérer la vérité et la moralité comme à peine plus que des questions de préférences personnelles, on voit aujourd’hui certains condamner explicitement de nombreux aspects de l’enseignement chrétien orthodoxe pour ses manquements éthiques perçus. La « tolérance » postmoderne n’est clairement plus à la mode. Dans son livre Confronting Injustice without Compromising Truth, Thaddeus Williams observe que « depuis [les années 1990], nous avons vu une culture qui s’enorgueillissait de son absence de jugement se transformer en l’une des sociétés les plus moralisatrices de l’histoire ».

Bien qu’il crée de nouveaux défis pour le témoignage chrétien, ce nouveau climat culturel n’est pas sans avantages. Nous avons vécu des décennies de lutte contre des adversaires idéologiques qui prétendaient rejeter toute réalité morale ou norme éthique. L’Église pourrait trouver rafraîchissant de pouvoir présenter ce qu’elle confesse comme vérité à des personnes qui reconnaissent la réalité d’un monde souvent immoral plutôt que de défendre l’idée d’un monde supposément amoral.

D’un point de vue apologétique, ce changement dans l’idéologie populaire exige également un changement dans notre approche de l’évangélisation. Plutôt que d’enseigner aux jeunes chrétiens à défendre simplement l’existence de la vérité, nous devrions leur apprendre à mieux comprendre et articuler les fondements et les avantages de l’éthique biblique. Pour communiquer avec la génération métamoderne, il est essentiel de défendre une vision véritablement scripturaire de l’éthique chrétienne.

Comme le souligne Rebecca McLaughlin dans son livre The Secular Creed, ceux qui ont abandonné la vision chrétienne du monde en raison de certains de ses résultats éthiques s’accrochent souvent à d’autres principes éthiques (comme le fait que le faible puisse demander des comptes au fort). Pensant que ces principes relèvent du « bon sens moral de base », ils oublient que nombre de « ces vérités nous sont venues du christianisme ».

Une grande partie de l’éthique de la pop culture contemporaine peut être ramenée au « principe de non-nuisance », un élément essentiel du libéralisme moderne tel que le formulait le philosophe John Stuart Mill. Le philosophe chrétien Charles Taylor décrit ce principe comme l’idée que « personne n’a le droit d’interférer avec moi pour mon propre bien, mais seulement pour empêcher que d’autres ne subissent un préjudice ». Dans une reformulation simpliste de la règle d’or, certains confondent d’ailleurs le principe de non-nuisance avec l’éthique biblique, imaginant que tout ce que Dieu veut, c’est que nous nous abstenions de nous faire du mal les uns aux autres. Une vision métamoderne du monde pourrait ainsi énergiquement condamner des chrétiens qui enseignent que la moralité ne se résume pas à cela.

« “Que ta volonté soit faite” n’est pas équivalent à “Laissez les humains s’épanouir” », souligne Taylor, même si nous savons que Dieu veut bel et bien l’épanouissement de l’être humain. L’Écriture ne nous appelle pas seulement à ne pas nous gêner les uns les autres et à faire ce qui nous semble naturel. Elle nous appelle à un mode de vie qui va au-delà de ce qui serait simplement « naturel ». Elle nous pousse souvent à renoncer à nos propres désirs et même à notre propre vie. Le Christ nous appelle à être transformés et, comme le dit Taylor, « cette transformation implique que nous vivions pour quelque chose qui va au-delà de l’épanouissement humain tel qu’il est défini par l’ordre naturel, quel que soit ce quelque chose. »

La dernière composante influente du métamodernisme tel que j’ai pu l’observer est la tendance à une forte mise en récit de l’identité.

L’une des plus grandes différences pratiques entre les jeunes générations (de la génération Y à la génération Alpha) et leurs prédécesseurs est le niveau de familiarité avec les thèmes de la santé mentale et du développement psychologique. Selon l’American Psychological Association, les membres de la génération Z aux États-Unis sont « beaucoup plus susceptibles (27 %) […] de déclarer que leur santé mentale est moyenne ou mauvaise » et sont « également plus susceptibles (37 %) […] de déclarer qu’ils ont reçu un traitement ou une thérapie avec l’aide d’un professionnel de la santé mentale ».

Le fait d’être plus à l’aise avec les questions traditionnellement source de stigmatisation telles que la santé mentale n’est certainement pas une mauvaise chose. Cette évolution a été corrélée à une plus grande empathie et à une plus grande transparence sur les luttes internes. Elle est déjà en train de remodeler les lieux de travail contemporains. Mais cette situation a aussi des effets secondaires, notamment avec l’influence déformante de la psychologie populaire.

La popularisation de la psychologie conduit aujourd’hui à la diffusion à grande échelle de multiples avis et recommandations psychologiques rapides sur toutes les plateformes disponibles. Madison Marcus-Paddison, thérapeute et conseillère en traumatologie, souligne que ce type de contenu souffre souvent d’une simplification excessive, d’un manque de contexte, de références professionnelles limitées et d’un manque de personnalisation lorsqu’il s’agit de questions de santé mentale réelles et complexes.

Cet ensemble d’évolutions positives et négatives crée un environnement culturel très porté sur l’autodiagnostic, qui peut conduire à une « surnarration » de soi sous prétexte d’amélioration de la santé mentale.

La thérapeute Jessica Jaramillo, qui travaille principalement avec des étudiants de l’université du Colorado, a mis en évidence le danger rampant chez les jeunes de s’autodiagnostiquer des maladies mentales et de trop s’identifier à ces diagnostics. Même sans étiquette diagnostique précise, les jeunes ont tendance à suranalyser leur propre histoire pour expliquer, justifier ou résoudre leurs problèmes.

Comme d’autres tendances métamodernes, ce mouvement s’accompagne de changements culturels à la fois positifs et négatifs que les chrétiens doivent pouvoir prendre en compte.

Du côté positif, cette évolution signifie que les jeunes sont beaucoup plus disposés à parler ouvertement des défis mentaux et émotionnels auxquels ils sont confrontés et des fardeaux qu’ils portent. Cette ouverture peut (souvent) prendre la forme d’une autodépréciation sarcastique, mais elle n’en témoigne pas moins d’une plus grande vulnérabilité pouvant ouvrir à des conversations plus honnêtes, lesquelles peuvent constituer une opportunité de partage sincère de l’Évangile.

Le côté sombre de cette évolution est le sentiment de paralysie qui l’accompagne souvent. Plus vous construisez votre perception de vous-même à partir de vos expériences négatives passées, moins il vous semblera possible d’espérer un changement significatif à l’avenir. Ce déterminisme fataliste explique peut-être pourquoi le taux de suicide a triplé chez les adolescents et augmenté de près de 80 % chez les lycéens au cours de la dernière décennie.

Dans mon expérience d’enseignant et de pasteur de jeunes, c’est probablement cette caractéristique du métamodernisme qui a le plus d’influence sur mes interactions avec les jeunes que je côtoie quotidiennement. Derrière l’ironie et l’autodérision, beaucoup de mes étudiants pensent qu’il est impossible d’échapper aux défauts que leur passé a fait naître en eux.

Une fois de plus, cependant, l’Évangile peut offrir une parole d’espoir aux métamodernes. Vous êtes imparfait, oui. Vous êtes un pécheur, incapable de vous réparer par vous-même et de devenir la personne que vous voulez être. Mais les bontés de Dieu « se renouvellent chaque matin » (Lm 3.23). Vous pouvez trouver une espérance profonde et durable en Jésus, à l’image duquel nous sommes quotidiennement « transformés » (2 Co 3.18) jusqu’au jour de son avènement (1 Co 15.51-53).

L’identité qui est la nôtre aujourd’hui n’est pas indépassable. Il ne s’agit pas de minimiser les pathologies réelles et les besoins de traitement, mais simplement de nous rappeler que nous sommes plus que les histoires que nous racontons sur nous-mêmes.

Il y aura assurément encore bien des choses à dire sur le métamodernisme, mais mon espoir est en tout cas que nos réflexions sur le terrain puissent aller au-delà d’une apologétique postmoderne souvent dépassée. Tandis que nous travaillons ensemble pour proclamer la Bonne Nouvelle dans un monde en mutation, par la grâce de Dieu, je prie pour que nous assistions bientôt à un réveil dans l’ère métamoderne.

Benjamin Vincent est pasteur et enseignant en Californie du Sud. Il est pasteur adjoint à Journey of Faith Bellflower et directeur du département d’histoire et de théologie à la Pacifica Christian High School de Newport Beach, en Californie.

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La condamnation de Trump pour crime est entourée de confusion morale

Tant parmi les opposants au candidat républicain que parmi ses partisans, il est courant d’entendre appeler le mal bien et le bien mal.

Des partisans et des opposants à l’ancien président américain Donald Trump devant le tribunal pénal de Manhattan.

Des partisans et des opposants à l’ancien président américain Donald Trump devant le tribunal pénal de Manhattan.

Christianity Today June 3, 2024
Timothy A. Clary/Getty

Jeudi dernier, la page d’accueil du site du New York Times annonçait la condamnation de Donald Trump pour 34 chefs d’inculpation avec un large titre en lettres noires rappelant de vieux journaux jaunis annonçant le déclenchement de la guerre. « TRUMP COUPABLE SUR TOUS LES POINTS », pouvait-on lire au-dessus d’une photo de l’ancien président, l’air fatigué, dans un espace public bondé.

En faisant défiler la page, on pouvait trouver des liens vers un article soulignant le caractère historique de ce moment et vers un autre article détaillant chacun des 34 chefs d’accusation. Sur la page d’accueil, le titre du premier et le résumé du second formaient une étrange juxtaposition. « Donald Trump devient le premier président criminel des États-Unis », pouvait-on lire, et en dessous, une liste à puces : « 11 chefs d’accusation concernant des factures, 12 chefs d’accusation concernant des écritures comptables, 11 chefs d’accusation concernant des chèques. » Des factures ? Voilà qui ne ressemble pas vraiment au crime du siècle.

Ceci met en évidence le problème central des réactions les plus courantes à ce verdict dans notre discours politique : tant parmi les opposants à Trump que parmi ses partisans, il est courant d’appeler le mal bien et le bien mal (Es 5.20).

Je peine à y voir de la simple malhonnêteté. Les réactions les plus animées que j’ai observées n’étaient pas calculées, bien au contraire. En dehors des cercles plus intellectuels, ces réactions ressemblaient surtout à des explosions spontanées de jubilation et de Schadenfreude, ou d’indignation et de ressentiment. Dans les deux camps, je pense que la plupart des gens considèrent sincèrement leurs réactions comme découlant d’une volonté de défendre la justice. Mais quand bien même les motivations seraient bonnes, on peut observer une certaine confusion morale.

Commençons par les opposants de Trump, qui se sont réjouis de l’annonce du verdict. Quelle est la nature exacte du crime ? Contrairement à l’inculpation de Trump en Géorgie [pour ses tentatives présumées d’inverser les résultats de l’élection de 2020], que je trouve moralement et légalement convaincante, les crimes dont Trump a été reconnu coupable à New York sont obscurs et éthiquement peu intuitifs.

Cette affaire a été couramment résumée comme concernant des paiements effectués par Trump pour dissimuler ses liaisons avec deux actrices pornographiques. C’est en partie cela, mais là n’est pas le crime condamné, car il n’est pas illégal d’avoir des liaisons avec des actrices pornographiques ou de payer pour garder secrètes des relations adultères.

En résumé, Trump a été reconnu coupable d’avoir violé une loi de l’État de New York interdisant la falsification de documents commerciaux afin de masquer sa violation délibérée de la loi fédérale sur le financement des campagnes électorales (ainsi que d’autres lois). Celle-ci l’aurait obligé à divulguer un processus de paiement en plusieurs étapes visant justement à dissimuler ses liaisons pour éviter que sa campagne présidentielle de 2016 ne soit affectée par la révélation publique de son infidélité.

Si ces falsifications de documents ont été classées comme crimes et non comme délits, comme le seraient habituellement ce type de faits, c’est donc parce que celles-ci sont censées avoir couvert cet autre crime — un crime pour lequel Trump n’a jamais été inculpé, et encore moins condamné.

Si cela vous semble à la fois alambiqué et étonnamment banal, vous n’êtes pas le seul. Lorsque le procureur de Manhattan, Alvin Bragg, a rendu publiques les accusations pour la première fois l’année dernière, elles ont presque universellement été accueillies par des haussements de sourcils des principaux analystes, y compris parmi des expertsjuridiques orientés à gauche.

Politico, qui est loin d’être un brûlot pro-Trump, a qualifié l’affaire de « casse-tête ». Le commentateur de CNN, Fareed Zakaria, a décrit la situation comme « un cas où l’on juge la bonne personne pour le mauvais crime ». Andrew Prokop, de Vox, a argumenté en détail que, bien que Trump ne soit pas un « fervent partisan de l’État de droit » (ce qui est vrai), ce procès était également politisé : une large pêche aux informations aurait ensuite permis d’exploiter « une question obscure ou technique » en utilisant une nouvelle théorie juridique sous la conduite d’un opposant politique élu de l’accusé.

Tout cela me laisse dire que ce verdict ne mérite pas réellement d’être qualifié de « bon ». Peut-être est-il techniquement correct sur le plan juridique — je n’ai pas l’expertise nécessaire pour le dire. Mais même si tel est le cas, cette condamnation semble être le résultat d’une affaire motivée bien plus par des rivalités politiques que par un réel intérêt pour la justice et l’État de droit.

Nous ne savons pas encore quelle sera la sentence de Trump (celle-ci est prévue pour le 11 juillet), mais dans le cas improbable où il serait effectivement emprisonné pour ce crime non violent, une réaction de jubilation serait non seulement inconvenante, mais aussi injuste (Pr 24.17, 1 Co 13.6).

Passons maintenant aux partisans de Trump. L’ancien président a nié les accusations d’adultère et de tentatives de dissimuler ses méfaits. Mais il a déjà admis à plusieurs reprises au moins un de ces paiements et Rudy Giuliani en a également parlé publiquement lorsqu’il était l’avocat de Trump. Compte tenu de l’historique bien documenté de commentaires (et de séances photo) de l’ancien président à propos de sa sexualité, ses dénégations sont pour le moins questionnables.

Trump a passé des décennies à attirer naturellement et à se forger délibérément une réputation de « personne immorale, impure ou cupide » connue pour sa lubricité, ses « obscénités, ses propos insensés » et ses « plaisanteries grossières » — toutes choses, cela va sans dire, bien éloignées de « ce qui convient à des saints » (Ep 5.3-5). Quelqu’un croit-il ses dénégations concernant ses liaisons avec des stars du porno ?

Franchement, je doute que même ses électeurs les plus enthousiastes y prêtent foi. En toute transparence, Trump n’est pas un homme de bonne moralité. Il n’est pas le genre d’homme au sujet duquel ces accusations sembleraient invraisemblables. J’ai la chance de connaître de nombreux hommes d’un autre genre, tout comme vous, j’imagine. De telles accusations à leur encontre me surprendraient au plus haut point. Je peinerais à ne pas en rire. Mais Trump ? Ses paroles disent non, mais tout son personnage public dit oui. Tout cela est indigne et honteux. Le fait de nous y associer est de nature à corrompre notre caractère (1 Co 15.33-34).

En bref, il est peut-être exact de dire que Trump est victime d’une certaine injustice, comme l’affirment de nombreux républicains. Si l’on considère les questions juridiques, je tends à les rejoindre. Mais cela ne fait pas de lui un héros persécuté qui mériterait d’être suivi et défendu à tout prix. En considérant Trump sous l’angle de la morale, il devrait être très facile de voir que sa vie ne mérite pas d’être qualifiée de « bonne ».

En tant que chrétiens, nous confessons bien sûr qu’« il n’y en a aucun qui fasse le bien, pas même un seul », que « tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu, et ils sont gratuitement déclarés justes par sa grâce, par le moyen de la libération qui se trouve en Jésus-Christ. » (Rm 3.12, 23-24)

En observant les difficultés rencontrées par Trump — certaines injustes, mais beaucoup causées par sa propre main — cette confession devrait nous éloigner de la jubilation ou de l’indignation, de la joie malsaine ou de la rancœur. Elle devrait nous inciter à l’humilité, à reconnaître que nous n’avons pas moins besoin de rédemption. Quel intérêt y a-t-il à ce que quelqu’un remporte une grande victoire judiciaire — ou même la présidence — tout en perdant son âme ?

Bonnie Kristian est directrice éditoriale pour les idées et les livres chez Christianity Today.

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Si, Paul enseignait bien la soumission mutuelle

L’interprétation que donne Wayne Grudem à Éphésiens 5.21 ne tient pas la route.

Christianity Today May 29, 2024
WikiMedia Commons/Adaptations par CT

En Éphésiens 5.21, Paul demande aux chrétiens de « se soumettre les uns aux autres ». Ces mots ont traditionnellement été compris comme appelant à une forme de soumission mutuelle, y compris entre membres d’une même famille. Le réformateur Jean Calvin, par exemple, estimait que l’idée de soumission d’un père à son enfant ou d’un mari à sa femme pouvait sembler « étrange à première vue », mais il n’a jamais remis en question le fait qu’une telle soumission est effectivement ce que Paul prescrit.

Non sans ironie, c’est au nom du conservatisme théologique que cette lecture d’Éphésiens 5.21 a cependant été remise en question ces dernières années. De nombreux chercheurs évangéliques affirment aujourd’hui que la soumission dont il est question dans ce verset n’est pas une soumission mutuelle (tout le monde se soumet à tout le monde), mais une soumission unidirectionnelle à ceux qui détiennent l’autorité (certains se soumettent à d’autres). Le plus fervent défenseur de cette approche est Wayne Grudem, un éminent théologien qui a notamment participé à la création du Council on Biblical Manhood and Womanhood.

Grudem, qui a récemment annoncé qu’il se retirait de l’enseignement, soutient depuis plus de trente ans qu’Éphésiens 5.21 pourrait être paraphrasé comme suit : « Ceux qui sont soumis à une autorité doivent se soumettre à ceux d’entre vous qui ont autorité sur eux. » Selon la lecture de Grudem, ce verset requiert qu’une femme se soumette à son mari, mais il ne nécessite en aucun cas qu’un mari se soumette à sa femme.

Pour défendre cette interprétation, Grudem fait appel au sens de hypotassō, le verbe grec traduit par « se soumettre » ou « être soumis ». Grudem affirme que ce verbe « signifie toujours être soumis à l’autorité de quelqu’un d’autre, dans toute la littérature grecque, chrétienne et non chrétienne ».

« Dans tous les exemples disponibles », affirme Grudem, « lorsque l’on dit que la personne A est “soumise” à la personne B, la personne B a une autorité spécifique que la personne A n’a pas. En d’autres termes, hypotassō implique toujours une soumission unidirectionnelle à quelqu’un qui détient l’autorité. »

Le problème de cet argument est que ses affirmations concernant hypotassō ne sont tout simplement pas vraies. Je vous propose ci-dessous huit passages anciens contenant le verbe hypotassō. Chacun d’eux réfute de manière décisive l’affirmation de Grudem selon laquelle hypotassō « implique toujours une soumission unidirectionnelle à quelqu’un qui détient l’autorité ». Dans plusieurs, hypotassō est utilisé pour décrire une soumission qui est explicitement mutuelle et non unidirectionnelle. Et dans les huit textes, hypotassō décrit une soumission à des personnes qui ne sont pas en position d’autorité. (Toutes les traductions sont miennes. Une discussion approfondie de ces passages et d’autres textes pertinents sera disponible dans mon article à paraître dans le prochain Lexington Theological Quarterly)

  • Le moine Antiochos de Palestine, au 7e siècle, donne le conseil suivant à celui qui recherche l’humilité : « Qu’il se soumette à son prochain et qu’il soit son esclave, en se souvenant du Seigneur, qui ne dédaignait pas de laver les pieds de ses disciples. » (Pandecte 70.75-77)
  • L’évêque du 4e siècle Grégoire de Nysse explique que chaque membre d’une communauté monastique doit se considérer comme « un esclave du Christ qui a été acheté pour les besoins communs des frères » et doit donc « se soumettre à tous ». (De instituto Christiano 8.1:67.13-68.12)
  • Dans une lettre personnelle, l’évêque du 4e siècle Basile de Césarée parle de celui « qui, conformément à l’amour, se soumet à son prochain ». (Lettres 65.1.10-11)
  • Dans un traité réglementant la vie dans une communauté monastique, Basile cite l’exhortation de Paul en 1 Corinthiens 10.24 : « Que personne ne cherche son propre bien, mais le bien de l’autre. » Il en conclut qu’il faut « se soumettre soit à Dieu selon son commandement, soit aux autres en raison de son commandement » (Patrologia Graeca 31:1081.30-38).
  • Dans un traité également attribué à Basile, l’auteur décrit les membres d’une communauté monastique comme étant à la fois « esclaves les uns des autres » et « maîtres les uns des autres ». Cet « esclavage mutuel » n’est pas le fruit d’une coercition, mais se fait de plein gré, « l’amour soumettant les libres les uns aux autres ». (Patrologia Graeca 31:1384.7-14)
  • Dans un sermon contre la promiscuité sexuelle, l’archevêque du 4e siècle Jean Chrysostome déclare que « l’époux et l’épouse » qui n’ont pas eu d’expérience préalable avec d’autres partenaires sexuels « se soumettront l’un à l’autre » dans le mariage (Patrologia Graeca 62:426.33-35).
  • Dans une exhortation à la soumission mutuelle, Chrysostome s’interroge sur la manière de traiter un frère chrétien qui n’a pas l’intention de nous rendre la pareille : « Mais il n’a pas l’intention de se soumettre à toi ? Malgré cela, toi, soumets-toi ; ne te contente pas d’obéir, mais soumets-toi. Entretiens ce sentiment à l’égard de tous, comme si tous étaient ton maître. » (Patrologia Graeca 62:134.56-59)
  • Dans un traité attribué au moine Macaire l’Égyptien, du 4e siècle, l’auteur exhorte les membres d’une communauté monastique à rester « dans ce bon et édifiant esclavage » et à agir en « entière soumission les uns aux autres ». L’auteur imagine « tous les frères soumis les uns aux autres avec joie » et les exhorte, « en tant qu’imitateurs du Christ », à adopter « soumission et heureux esclavage pour le rafraîchissement mutuel ». (Grande Lettre 257.22-261.1)

L’interprétation que fait Grudem d’Éphésiens 5.21 est donc fondée sur une mauvaise compréhension du verbe grec hypotassō. Comme l’illustrent les passages cités ci-dessus, ce verbe n’est pas seulement utilisé pour décrire la soumission à des personnes en position d’autorité ; il est également utilisé pour décrire la soumission à son prochain, aux frères dans la foi et aux femmes.

De plus, en utilisant le Thesaurus Linguae Graecae — une énorme bibliothèque numérique contenant pratiquement toute la littérature grecque du monde antique disponible — j’ai examiné toutes les citations et allusions à Éphésiens 5.21 avant l’an 500 de notre ère. Je ne trouve aucun indice que l’Église de langue grecque ait même pu avoir idée de l’interprétation défendue par Grudem pour qui certains devraient se soumettre à d’autres. Les chrétiens de l’Antiquité ont toujours compris les paroles de Paul en Éphésiens 5.21 comme exigeant la soumission à tous les membres de la communauté, quel que soit leur rang, et les ont donc régulièrement associées à des passages tels que Marc 10.44 (« soyez l’esclave de tous ») et Galates 5.13 (« soyez esclaves les uns des autres »).

Par exemple, immédiatement après avoir cité Éphésiens 5.21, Jean Chrysostome fait l’exhortation suivante à la soumission mutuelle : « Qu’il y ait un échange d’esclavage et de soumission. Car ainsi il n’y aura pas d’esclavage. Que l’un ne s’asseye pas au rang de libre et l’autre au rang d’esclave ; il vaut mieux que maîtres et esclaves soient esclaves les uns des autres. » (Patrologia Graeca 62:134.28-32)

Remarquez qu’en expliquant Éphésiens 5.21, Jean Chrysostome utilise le vocabulaire de Galates 5.13 : « soyez esclaves les uns des autres. » Bien que ces deux versets soient régulièrement associés dans la littérature patristique grecque, les lecteurs francophones de Paul font rarement le lien. Les bibles en français traduisent généralement Galates 5.13 par « mettez-vous au service les uns les autres », mais le propos de Paul est plus fort que ne le suggère cette traduction. Paul utilise ici le verbe douleuō, qui signifie « être esclave » (doulos signifiant « esclave »)

Les verbes douleuō et hypotassō sont très proches et sont parfois utilisés ensemble comme des quasi-synonymes. Voyez les quatre passages suivants dans lesquels le verbe hypotassō est associé au verbe douleuō.

  1. Plutarque, auteur romain du 2e siècle, cite le conseil de Platon de ne pas « se soumettre et être esclave » de la passion (Moralia 1002E).
  2. Le philosophe romain Épictète, jeune contemporain de Paul, fustige celui qui ne parvient pas à atteindre l’idéal stoïcien : « Tu es un esclave, tu es soumis » (Discours 4.4.33).
  3. Le Berger d’Hermas, un texte chrétien du 2e siècle, décrit ce qui se passera « si tu es esclave du bon désir et si tu t’y soumets » (45.5).
  4. Dans le premier des huit passages cités plus haut, Antiochos écrit : « Qu’il se soumette à son prochain et qu’il soit son esclave. »

Dans ses arguments contre la soumission mutuelle, Grudem a négligé la proximité entre ces deux verbes. Il observe à juste titre que hypotassō implique une hiérarchie dans laquelle une personne est placée en dessous d’une autre. Puisque deux personnes ne peuvent pas être simultanément l’une sous l’autre, Grudem et d’autres critiques de la soumission mutuelle rejettent un concept qu’ils voient comme autocontradictoire.

Cependant, ces chercheurs ne relèvent pas que le verbe douleuō dans Galates 5.13 implique également une hiérarchie dans laquelle une personne est placée au-dessous d’une autre. Néanmoins, tous les commentateurs reconnaissent en Galates 5.13 que Paul utilise manifestement le verbe douleuō pour décrire une action mutuelle et non unidirectionnelle. Ainsi, si les propos de Paul concernant la soumission mutuelle en Éphésiens 5.21 sont effectivement (délibérément) autocontradictoires, ils ne le sont pas plus que ses propos concernant l’esclavage mutuel en Galates 5.13.

L’Église ancienne a toujours compris qu’Éphésiens 5.21 appelait à une réelle soumission mutuelle. Le rejet moderne de cette interprétation par certains évangéliques trouve son origine dans des affirmations fallacieuses concernant le verbe grec hypotassō. Jésus « a pris la forme d’un esclave » (Ph 2.7), et tous ceux qui le suivent, hommes et femmes, sont eux aussi appelés à la soumission.

Murray Vasser est professeur adjoint de Nouveau Testament au Séminaire biblique de Wesley. Cet article résume un travail académique présenté lors de la réunion de 2023 de la Society of Biblical Literature et à paraître dans la revue Lexington Theological Quarterly.

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Culture

L’assouplissement de l’évangélisme américain

Des normes établies de longue date à l’encontre de la consommation d’alcool, des tatouages et de pratiques religieuses vues comme trop « catholiques » disparaissent à toute allure. Que se passe-t-il ?

Christianity Today May 29, 2024
Icee Dc/Unsplash/Adaptations par CT

Au cours des 25 dernières années, il s’est passé dans le monde évangélique aux États-Unis quelque chose qui relève à mes yeux d’un profond changement générationnel. J’aimerais esquisser les traits de ce changement que j’observe et savoir comment d’autres le perçoivent.

Permettez-moi tout d’abord de planter le décor et de définir le genre d’églises évangéliques américaines auxquelles je pense : des communautés centrées sur la Bible, l’évangélisation et la foi personnelle en Jésus ; souvent, mais pas nécessairement, non confessionnelles, avec un accent modéré ou minimal sur les sacrements, la liturgie et l’autorité ecclésiastique ; et marquées par un style revivaliste ainsi que par des positions conservatrices sur la sexualité, le mariage et d’autres questions sociales. Historiquement, ces églises étaient majoritairement blanches et issues de la classe moyenne ou inférieure, mais pas aussi uniformément qu’on l’imagine souvent. Nombre d’entre elles ont été fondées au cours des trois dernières décennies et sont souvent adeptes des longs sermons, de la louange contemporaine, de la sainte cène une fois par mois et des multiples jeux d’éclairages.

C’est dans ces églises que j’ai constaté ce que je décrirais comme une forme d’assouplissement. Ce changement est en grande partie involontaire, ou du moins non planifié. Il n’est pas cohérent ou idéologique ; il ne s’agit pas d’un programme ou d’un mouvement ; il n’est même pas conservateur ou libéral en soi (et mon but ici n’est pas de porter un jugement globalement positif ou négatif sur ce changement). Cet assouplissement consiste en un relâchement généralisé de diverses normes sociales plus ou moins non dites, ou du moins non écrites.

L’exemple le plus évident est celui de notre attitude à l’égard de l’alcool. Pendant des générations, les évangéliques américains étaient connus pour être très méfiants à l’égard de la boisson, parfois au point de se faire abstinents. La chose était encore vraie pendant toute mon adolescence. Lorsque j’entendais dire que frère Joe ou sœur Jane buvait un verre de vin avant d’aller au lit, il ne s’agissait que de murmures à propos d’un comportement privé. Joe et Jane ne buvaient pas en public. Ils n’étaient certainement pas en train de microbrasser de la bière dans leur garage et d’en distribuer des échantillons dans des groupes de maison.

Deux décennies plus tard, pour autant que je puisse en juger, ce tabou concernant l’alcool a pratiquement disparu. Les professeurs de mon université chrétienne privée ne sont pas autorisés à boire avec les étudiants, mais il y a une douzaine d’années à peine, ils n’étaient pas autorisés à boire du tout. Et ce changement de politique n’est pas une anomalie dans les institutions évangéliques.

Pensez maintenant à d’autres tabous bien ancrés chez les évangéliques américains : les tatouages, la danse, les jeux d’argent, le tabagisme, et même les mères qui travaillent en dehors de la maison. Les pasteurs-célébrités « cool » sont loin d’être les seuls évangéliques tatoués de la génération Y ou Z. Si je demandais à l’un de mes étudiants chrétiens bien engagés quel raisonnement théologique a motivé sa décision de se faire de multiples tatouages, il ne m’offrirait pas une réfutation minutieuse de l’interprétation dépassée de Lévitique 19.28 que faisaient ses grands-parents. Il me fixerait d’un air étonné : Qu’est-ce que Dieu a à voir avec ça ?

Ou pensez à nos divertissements. Les églises et les parents chrétiens continuent de mettre certaines limites en matière de contenu, mais le champ s’est considérablement élargi. Il fut un temps où les films de Disney eux-mêmes étaient suspects. La sexualité, la vulgarité et la violence à l’écran étaient considérées comme causes du mauvais comportement des adolescents. Mais aujourd’hui, les habitudes évangéliques semblent à peu près identiques à celles de l’abonné Netflix moyen. Certains présentent même le fait de regarder Game of Thrones ou The Sopranos comme une nécessité pour connaître la culture qui les environne : Je ne fais que mon devoir missionnaire. Si le gore, la cruauté et la nudité choquent votre éducation fondamentaliste, tant pis pour le frère plus faible que vous êtes.

Cet assouplissement se produit également à l’intérieur des églises. Les évangéliques américains auxquels je pense regardaient traditionnellement d’un mauvais œil les pratiques qui pouvaient rappeler le catholicisme : la liturgie formelle, les vêtements, les sacrements, le calendrier ecclésiastique, parfois même les credo. Ces éléments ont longtemps été considérés comme des innovations extrabibliques qui menaçaient d’obscurcir l’Évangile, d’usurper l’autorité souveraine du Christ ou de promouvoir une foi nominale et sans vie.

Pourtant, je constate aujourd’hui un mouvement étonnant de la part de toutes sortes d’institutions évangéliques en faveur de la récupération de ces pratiques autrefois estampillées comme catholiques. Les chrétiens qui refusaient autrefois de faire une distinction entre la fête de Pâques et la célébration de la résurrection chaque dimanche observent aujourd’hui le carême. Des églises fondées sur un rejet de principe des credo récitent chaque dimanche le Symbole des Apôtres ou celui de Nicée. Des communautés historiquement associées au mémorialisme parlent de présence réelle du Christ dans l’Eucharistie (qu’elles appellent précisément « Eucharistie », pas seulement « Cène »).

L’assouplissement s’étend même aux programmes des séminaires évangéliques et à la préparation des prédications. Les professeurs et les pasteurs font référence à des auteurs et des penseurs extérieurs au monde évangélique et même au protestantisme, en s’appuyant sur des prêtres catholiques, des moines orthodoxes médiévaux, des évêques et des conciles patristiques. Comme tous mes autres exemples, ce changement n’est pas nécessairement associé au libéralisme théologique. Dans certains cas — je pense en particulier à la récitation de credo — il s’agit au contraire d’une évolution conservatrice, d’un retour à la catéchèse comme rempart contre les dérives théologiques.

J’ai qualifié cet assouplissement de « changement générationnel ». En un sens, c’est bien ce qu’il est. Mais d’après mes observations, les moins de 40 ans ne sont pas les seuls à avancer dans ce sens. Même s’il se limitait aux plus jeunes, un important changement serait toujours en cours, mais il pourrait ne s’agir que de la tendance normale des enfants à désapprendre les habitudes de leurs parents.

J’observe cependant que les membres des générations Y et Z ne sont pas les seuls à se relâcher. Il en va de même de leurs parents et de leurs grands-parents. Les anciens abstinents boivent désormais de l’alcool, les anciens boycotteurs de Disney regardent Netflix, les anciens critiques des jeux d’argent organisent des soirées poker.

Si j’ai raison, il y a là bien plus que les habituels changements générationnels. Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui a conduit tant d’évangéliques, en si peu de temps, à se débarrasser de tant de tabous sociaux et liturgiques ?

Avant d’avancer quatre hypothèses, je dois reconnaître que je me livre ici à quelques spéculations. Je n’ai pas de tableaux ni de graphiques pour étayer mon esquisse ou prouver une quelconque explication. Mais de même que j’ai exposé mes quelques observations pour voir si elles sont partagées par d’autres, je lance ces quatre idées pour voir si elles résonnent ailleurs dans le monde évangélique.

Tout d’abord, cet assouplissement me laisse penser que les nombreuses normes non écrites de l’évangélisme américain n’étaient pas uniquement soutenues par la doctrine, l’autorité de la communauté ou l’enseignement biblique. La force et l’adoption généralisée des règles relatives à la consommation d’alcool, aux tatouages, à la liturgie formelle, et ainsi de suite, trouvait aussi son origine dans la culture ambiante.

Dans de nombreux cas, l’impulsion extérieure provenait même de l’État. Ce n’est pas une coïncidence si cet assouplissement s’est produit après que les lois relatives au « vice » — alcool, divorce, drogues et pratiques sexuelles autrefois illégales — sont tombées les unes après les autres au cours du dernier demi-siècle. Le droit peut se trouver en aval ou en amont de la culture, mais l’Église fait dans tous les cas partie de ce fleuve social.

Deuxièmement, une culture moins chrétienne et plus sécularisée crée de nouvelles incitations et pressions pour les croyants ordinaires. Si tous les membres de la majorité non chrétienne croient ou font x, le fait de continuer à s’abstenir de x devient un marqueur distinctif du discipulat chrétien (ou de notre intransigeance). Cela amène tous les croyants, y compris les pasteurs, à reconsidérer leurs engagements : L’alcool est-il vraiment interdit par Dieu ? Noir sur blanc, dans tel verset de tel chapitre ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi est-ce que je subis le mépris de mes voisins ou de mes collègues de travail ? En outre, tout le monde a toujours été au courant pour la collection de vins de Joe et Jane. Allons-y et rejoignons-les.

Troisièmement, lorsque le propos de l’Écriture est ambigu ou discutable sur un sujet alors que la position de la culture environnante est claire, il faut des pasteurs ou une Église institutionnelle pour convaincre les fidèles de s’en tenir à la norme scripturaire. Au cours des dernières décennies, nous avons cependant assisté à un déclin de l’autorité pastorale, à la mort de l’identité confessionnelle et à une crise de confiance envers les institutions chrétiennes.

« Les anciens l’ont dit » ou « le pasteur Luc sait ce qui est mieux » ne suffit plus. J’ai la possibilité de voter avec mes pieds et de rejoindre une église dont le pasteur dit ce qui me convient. Qui est le pasteur Luc ? N’est-ce pas lui qui m’a dit que tous les croyants sont capables d’interpréter les Écritures par eux-mêmes ? Et qu’aucune autorité autre que l’Écriture ne doit décider des questions de foi et de morale ? Et que toutes les questions sur lesquelles l’Écriture est silencieuse sont « indifférentes », soumises à la conscience personnelle ?

Quatrièmement et enfin, le sectarisme est difficile à tenir dans les tranchées postchrétiennes. Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, les forces qui poussent les évangéliques à boire, à se faire tatouer et à regarder Netflix les poussent également à répéter les credo, à recevoir des cendres sur le front et à lire le pape Benoît XVI. Lorsque le monde entier semble s’opposer à la fidélité au Christ, vous avez besoin de tous les alliés disponibles. Les différences doctrinales qui n’ont que peu d’influence dans les batailles culturelles actuelles — pensez par exemple au baptême des enfants, par opposition à notre théologie de la sexualité ou du genre — peuvent plus rapidement être laissées de côté.

Voilà ce dont je parle lorsque j’affirme que l’assouplissement en question n’est pas le fruit d’un plan idéologique conduit du haut vers le bas. Tout se passe de manière organique, tout en même temps, parfois de manière apparemment contradictoire. Il n’est ainsi pas facile d’en juger. J’ai moi-même grandi sans liturgie à l’église ni alcool à la maison ; aujourd’hui, je me signe avant la prière et je bois volontiers un verre avec mes parents. Je déplore par contre la colonisation du temps libre des croyants par les écrans, qu’il s’agisse de la télévision en continu ou d’applications comme TikTok, ainsi que le laisser-faire qui en découle en ce qui concerne le contenu visionné.

Que chaque tendance spécifique soit bonne, mauvaise ou qu’elle reste à discerner, je sais que cet assouplissement s’est produit au cours des mêmes années où la fréquentation des églises et leur autorité sur leurs membres a décru, tandis que la solitude s’est approfondie. Ce qui semble être un gain à certains égards (moins d’autorité signifie peut-être moins de propension aux abus) a aussi des revers (certains membres égarés ont parfois besoin d’une direction forte pour remettre leur vie sur les rails).

Quoi qu’il en soit, au moment même où j’écris ces lignes, le monde évangélique tel que nous le connaissions est en train de changer. À quoi ressemblera-t-il au bout de ce changement ? Seul Dieu le sait.

Brad East est professeur associé de théologie à l’Université chrétienne d’Abilene. Il est l’auteur de quatre livres, dont The Church: A Guide to the People of God et Letters to a Future Saint: Foundations of Faith for the Spiritually Hungry.

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Paul était-il né esclave ?

Probablement originaire de Galilée, certains pensent que Saul de Tarse pourrait avoir grandi dans la servitude.

Christianity Today May 27, 2024
Illustration de Michael Marsicano

Peu des nombreuses lettres écrites par l’apôtre Paul nous sont parvenues. Ce dont nous disposons est principalement composé de communications aux églises dans leur ensemble et de lettres adressées à des groupes de croyants dans des villes spécifiques. C’est logique. Ces lettres étaient lues publiquement et à plusieurs reprises ; elles étaient copiées, diffusées et beaucoup pourraient avoir été considérées comme partie de l’Écriture peu après que l’encre de leurs pages ait séché.

Paul a également envoyé de nombreuses lettres à des particuliers. En lisant ses écrits, on sent bien que l’on n’entrevoit qu’une fraction de son réseau relationnel et de son influence. Presque toutes ses lettres à des individus ont été perdues.

Mais il y a des exceptions.

Il ne paraît peut-être pas évident que des lettres personnelles trouvent leur place dans le canon. Le fait d’être associées à une figure importante, au responsable d’une grande communauté, a probablement aidé. Timothée, par exemple, semble avoir été un responsable de premier plan pour la deuxième génération de l’Église. Il a été évêque d’Éphèse, une grande ville de l’Empire romain et un centre important pour le christianisme. Tite était un pilier de la mission auprès des non-Juifs et a servi comme évêque de Crète. L’inclusion dans le canon des lettres qui ont gardé leurs noms pouvait être soutenue par d’importantes communautés.

Par contre, la préservation de la lettre de Paul à Philémon, responsable d’une église de maison dans la petite ville de Colosses, a quelque chose d’un mystère. C’est la lettre la plus personnelle que nous ayons de Paul. Elle ne comporte que 25 versets.

Cette lettre nous révèle une histoire. Un homme nommé Onésime s’est enfui de chez son maître Philémon. Onésime était probablement un esclave domestique, un serviteur haut placé dans la hiérarchie. Parler d’esclave en fuite correspond donc bien à une réalité, mais pourrait induire en erreur les lecteurs modernes qui imagineraient un Onésime dans une fuite désespérée vers la liberté.

Divers spécialistes estiment plutôt qu’Onésime s’est rendu auprès de Paul avec le projet de retourner plus tard auprès de son maître. Steven M. Baugh, professeur émérite de Nouveau Testament au Westminster Seminary, en Californie, écrit : « Il semble très probable qu’Onésime se soit enfui de chez Philémon avec l’intention de retrouver Paul pour demander son intercession en sa faveur […] dans le contexte d’une querelle entre maître et esclave. Cette lettre est l’intercession de Paul. »

Il peut être difficile aujourd’hui de comprendre pourquoi Onésime aurait pu vouloir retourner à l’esclavage. Mais l’explication est simple : si Onésime occupait un poste important auprès de son riche propriétaire, il y avait peu de chance qu’il ait le désir de troquer celui-ci pour une vie de pauvre paysan. « Les esclaves appartenant aux foyers de personnes riches ou moyennement riches menaient d’une certaine manière une vie meilleure que les pauvres libres de la ville », écritl’historien James S. Jeffers dans The Greco-Roman World of the New Testament Era. « Contrairement aux pauvres libres, ces esclaves bénéficiaient normalement de trois repas par jour, d’un logement, de vêtements et de soins de santé. » De nombreux esclaves, ajoute Jeffers, « étaient mieux formés que les pauvres nés libres ».

Ceci dit, l’interprétation traditionnelle et la plus courante de l’histoire est qu’Onésime s’était emparé de l’argent de Philémon et n’avait pas l’intention de repartir.

Et il y aurait pu avoir beaucoup d’argent. De nombreux esclaves ayant le sens de l’organisation et des affaires étaient chargés de superviser les entreprises de leurs maîtres. Ils étaient connus sous le nom d’oikonomos (à l’origine de notre mot « économie »), ou intendants.

Philémon, un riche homme d’affaires converti au christianisme suite au témoignage de Paul, vivait à Colosses. Il avait probablement un certain nombre d’esclaves pour l’aider dans ses entreprises. En raison du risque de vol sur la route entre les grandes villes commerciales, les hommes comme Philémon ne voyageaient pas eux-mêmes avec leurs marchandises. Au lieu de cela, ils confiaient cette tâche à des esclaves de confiance comme Onésime.

Dans un tel cas, on pourrait imaginer que, au lieu de retourner chez Philémon avec son argent, Onésime aurait empoché le gain et sauté dans un bateau pour Rome. C’est ainsi qu’on le retrouverait finalement auprès de Paul, le servant en prison et devenant un disciple du Christ sous sa conduite.

Il est impossible de dire si Onésime a fui pour chercher Paul ou s’il en est venu à entendre parler de lui par l’intermédiaire des chrétiens de Rome. Mais il paraît étrange qu’un esclave en fuite passe autant de temps auprès d’un personnage religieux sous bonne garde, assigné à résidence et entouré d’agents de l’État.

Pourquoi Onésime a-t-il pris le risque d’aller voir Paul ? C’est un peu comme s’il avait su quelque chose sur Paul que nous avons oublié.

Dans les décennies précédant la naissance de Jésus, une agitation certaine régnait dans le nord d’Israël. Le pays était un foyer de résistance et de soulèvements contre Rome, entre révoltes armées et vols dans les dépôts où étaient stockés les fruits des odieuses taxes de l’occupant.

Mais Rome n’en était pas à ses débuts. Garder les peuples soumis est tout un art, et l’Empire avait des siècles d’expérience en la matière. Les commandants insurgés étaient exécutés par des moyens horribles tels que la crucifixion ou l’empalement. Rome savait qu’il ne suffisait pas de couper la tête. Pour étouffer la rébellion, ce sont des communautés entières qu’il fallait reprendre en main.

Ainsi, comme le raconte l’historien Josèphe, Rome commença à mettre à sac des villages rebelles entiers et à vendre leurs habitants comme esclaves sur ses nombreux marchés. À cette époque, des marchands d’esclaves suivaient souvent les légions romaines lors des campagnes militaires, recueillant le butin humain et remplissant les coffres de l’Empire.

Un village de Galilée allait particulièrement gêner Rome au cours de la centaine d’années entourant la résurrection du Christ : Gischala, situé à l’extrême nord du pays.

Après quelque infraction commise aux abords du tournant de l’ère chrétienne et dont les détails ont été oubliés par l’histoire, les Romains rassemblèrent les habitants de Gischala, les embarquèrent et les réduisirent en esclavage.

Si la mémoire de l’Église primitive est correcte, les parents de Paul étaient parmi eux.

En l’an 382, le pape charge un jeune érudit étonnamment brillant, Jérôme, de mettre à jour l’ancienne Bible latine. Les érudits connaissant le grec étaient rares, et Jérôme était l’un des rares à maîtriser également l’hébreu.

Deux décennies plus tard, dans un monastère de Bethléem, il achevait la tâche monumentale de la traduction de la Vulgate, la version de la Bible la plus influente de l’histoire. Il écrivit également, entre autres, quatre commentaires sur les lettres de Paul.

Dans son commentaire sur Philémon, Jérôme évoque ce souvenir que l’Église primitive avait de Paul :

On dit que les parents de l’apôtre Paul étaient originaires de Gischala, une région de Judée, et que, lorsque toute la province fut dévastée par la main de Rome et que les Juifs furent dispersés dans le monde entier, ils furent transférés à Tarse, une ville de Cilicie.

Le latin fuisse translatos du commentaire de Jérôme à propos des parents de Paul transférés à Tarse pourrait aussi être traduit par « furent emmenés », ou pris contre leur gré.

On a parfois fait l’hypothèse que les ancêtres de Paul étaient simplement des entrepreneurs opportunistes. Ils auraient quitté Israël parce que le travail du cuir et la fabrication de tentes étaient plus rentables dans un grand centre romain comme Tarse.

Mais ce n’est pas ce que disait l’Église primitive.

L’euphémisme « emmené » signifie que Rome a traité les parents de Paul comme elle le faisait presque toujours avec les rebelles. Selon le chercheur allemand Theodor Zahn, ils avaient été « faits prisonniers de guerre » et vendus comme esclaves à Tarse. Paul était peut-être un enfant à l’époque, dit Zahn, ou peut-être est-il né au milieu des obligations de l’esclavage de ses parents.

L’esclavage romain n’était cependant pas le même que celui de la traite des Noirs. « Les citoyens romains libéraient souvent leurs esclaves », écrit Jeffers. « Dans les foyers urbains, cela se produisait souvent lorsque l’esclave atteignait l’âge de 30 ans. On connaît peu d’esclaves urbains qui ont atteint un âge avancé avant de gagner leur liberté. »

Selon la spécialiste Mary Beard, beaucoup à l’époque considéraient ce passage de l’esclavage à la citoyenneté comme un trait distinctif de la réussite de Rome. Elle écrit : « Certains historiens estiment qu’au deuxième siècle de notre ère, la majorité des citoyens libres de la ville de Rome avaient des esclaves parmi leurs ancêtres. »

C’est pour cette raison que de nombreuses traductions de la Bible ont choisi d’utiliser le terme de serviteur plutôt que celui d’esclave pour parler de cette réalité. L’asservissement est assurément un affront flagrant aux droits de l’homme. Mais l’esclavage du Nouveau Testament n’était pas le type d’esclavage auquel nos contemporains pensent souvent. L’esclavage romain avait généralement une fin. Dans de nombreux cas, il créait même des opportunités de promotion sociale, en particulier pour les enfants d’esclaves.

Quelques siècles après Jérôme, Photius 1er, évêque de Constantinople, fit le tour de sa célèbre bibliothèque et en retira des volumes et des documents qui ont depuis lors été engloutis dans les sables du temps. Seule sa lettre évoquant ces documents a été conservée. S’inspirant non pas de Jérôme, mais d’une autre source de l’Église primitive que les historiens n’ont pas encore identifiée, il écrit :

Paul, le divin apôtre […] qui avait pris pour patrie la Jérusalem d’en haut, avait aussi pour part la patrie de ses ancêtres et de sa race physique, à savoir Gischala (qui est aujourd’hui un village de la région de Judée, autrefois considéré comme une petite ville). Mais comme ses parents, ainsi que beaucoup d’autres de sa race, furent faits prisonniers par la lance romaine et que Tarse lui fut échue et qu’il y naquit, il la nomme comme patrie.

Photius fait naître Paul à Tarse, de parents esclaves. Ce n’est pas parce qu’une tradition dit quelque chose que celle-ci est vraie. De nombreuses traditions ne correspondent pas à l’Écriture et doivent être laissées de côté.

Mais pas celle-ci.

Jerome Murphy-O’Connor, spécialiste de Paul et professeur de Nouveau Testament à l’École biblique de Jérusalem, écritque « la probabilité que [Photius] ou tout autre chrétien antérieur ait inventé cette association de la famille de Paul avec Gischala est faible. La ville n’est pas mentionnée dans la Bible. Elle n’a aucun rapport avec Benjamin. Elle n’a aucun lien avec le ministère galiléen de Jésus. »

Pour le dire autrement : si vous vouliez inventer une légende sur les origines de Paul, vous devriez trouver quelque chose de plus intéressant. Vous le situeriez à un endroit important, avec une histoire qui cimenterait son ancrage dans le récit biblique. Pas dans une ville obscure qui n’apparaît même pas dans les Écritures.

En matière de traditions historiques de l’Église, celle-ci semble aussi fiable qu’on puisse l’espérer. Des spécialistes allemands comme Zahn et Adolf von Harnack qualifient ce type de détail d’unerfindbar, « ininventable ». En somme, la chose apparaît comme trop précise pour avoir été créée de toutes pièces.

L’une des grandes énigmes de la recherche paulinienne est de savoir pourquoi peu d’experts dans le monde anglophone en parlent. Douglas Moo, éminent spécialiste de Paul au Wheaton College, déclarait dans une interview : « Je n’ai trouvé que très peu d’ouvrages sur Paul qui en fassent même simplement mention ». Dans sa biographie de Paul, N. T. Wright estime assez légèrement qu’il s’agit d’une « légende tardive ».

Mais il n’y a pas là grand-chose d’une légende et l’on peut difficilement qualifier l’information de tardive.

Les spécialistes de Jérôme et d’Origène, un autre père de l’Église primitive, s’accordent à dire que la déclaration de Jérôme sur les parents de Paul, écrite en l’an 386, n’est pas de son propre fond. En fait, peu de choses dans le commentaire de Jérôme sont originales.

Ronald E. Heine, spécialiste d’Origène à l’université Bushnell, estime que « Jérôme fait surtout de la traduction d’Origène ». Caroline Bammel, historienne de l’Église ancienne à Cambridge, considère plus crûment que le travail de Jérôme dans ses commentaires est « largement plagié d’Origène ».

Le commentaire d’Origène sur Philémon, comme une grande partie de son œuvre, a été perdu. Mais en observant les traductions — ou appropriations — d’autres commentaires d’Origène par Jérôme, les chercheurs sont certains qu’il provient d’Origène. « Dans ce commentaire, nous avons l’exposé d’Origène revêtu de l’habit du latin de Jérôme », écrit Heine.

Cela situe cette tradition sur l’origine de Paul non pas à l’époque de Jérôme, mais à celle d’Origène, au début des années 200. Origène écrivait à Césarée, à proximité de la Galilée et dans une ville où Paul a passé deux ans (Ac 23.23-24 ; 24.27). Les plus âgés des conteurs qui l’entouraient et préservaient la tradition orale avaient grandi sous la conduite des deuxième et troisième générations de l’Église.

Loin d’une légende tardive, il s’agit de la « première explication connue de l’Épître à Philémon », écrit Heine. « Selon toute vraisemblance, il s’agit du premier commentaire jamais écrit sur l’épître. »

Dans le monde académique allemand, l’idée que Paul était un esclave affranchi fait l’objet de discussions animées depuis déjà 150 ans. Au 20e siècle, d’éminents spécialistes tels que Von Harnack et Zahn, ainsi que Martin Dibelius, ont apporté leur crédit à l’histoire de Jérôme.

De nombreux autres chercheurs allemands « prennent au sérieux l’affirmation selon laquelle les parents de Paul venaient de Galilée », écrit le théologien Rainer Riesner, qui enseigne aujourd’hui à l’université de Dortmund. Certains vont même jusqu’à penser pouvoir identifier la rébellion galiléenne qui aurait conduit à l’asservissement de ses parents : le soulèvement de l’an 4 avant Jésus-Christ, lorsque Varus, gouverneur romain de la Syrie, brûla des villes entières et crucifia 2 000 personnes. Dans des villes galiléennes comme Sepphoris, écrit Josèphe dans ses Antiquités juives, les Romains « réduisirent les habitants en esclavage ».

Si tel est bien le cas, le fait que Saul de Tarse apparaisse adolescent à Jérusalem deux décennies plus tard est tout à fait cohérent. Lorsque Paul affirme, en Ac 22.28, qu’il est « né » citoyen romain, le verbe gennao qu’il emploie pourrait se référer à la naissance ou à l’adoption. Les esclaves romains affranchis étaient souvent adoptés par la famille de leur maître et recevaient un nom et une citoyenneté romains.

Cela explique également pourquoi il portait le nom de Paul, un nom très romain qu’aucun pharisien ne donnerait à son enfant bien hébreu.

Contrairement à ce que l’on pense souvent et à ce que l’on entend en chaire, Saul ne prend pas le nom de Paul après être devenu disciple du Christ. Le nom de Saul par lequel il est d’abord désigné est encore employé après sa conversion (Ac 11, 13). Dans les contextes juifs, il utilise son nom hébreu, Saul. Dans les contextes gréco-romains, il utilise ce qui pourrait être son cognomen (troisième partie d’un nom romain), Paullus, hérité de la famille à laquelle il appartenait.

Bien qu’il ait pu hériter ce nom de Paullus de n’importe quelle famille romaine, celui-ci était porté par une branche d’une famille particulièrement célèbre, celle des Aemiliens, relève le spécialiste des lettres classiques du 20e siècle, G. A. Harrer. Ici aussi, les certitudes sont impossibles, mais Harrer suppose que si le propriétaire de Paul était issu de cette famille, le nom romain de l’apôtre aurait pu être « L. Aemilius Paullus, également connu sous le nom de Saul ».

Quelle que soit l’origine du nom de famille, dit Riesner dans une interview, le père de Paul « a été affranchi par son maître romain et a automatiquement obtenu la citoyenneté [romaine] ».

On peut aisément oublier à quel point Paul est un personnage étrange. Luc et lui semblent faire des récits si différents de sa vie que certains chercheurs s’en sont trouvés déconcertés.

Dans les Actes, Luc dépeint Paul comme un citoyen romain de Tarse, à l’aise dans un monde juif hellénistique plus détendu à l’égard des anciennes coutumes. Cependant, Paul se décrit ailleurs en des termes très juifs : « hébreu né d’Hébreux », parlant l’araméen, « de la tribu de Benjamin », pharisien zélé (Ph 3.5-6).

Si nous n’avions pas le livre des Actes des Apôtres, ces propos nous feraient probablement supposer que Paul était originaire de Galilée ou de Jérusalem. Après tout, « on ne devenait pas pharisien en dehors de la Palestine », écrit Riesner dans Paul’s Early Period.

Il était vraisemblablement très rare que quelqu’un soit à la fois un pharisien galiléen zélé et un citoyen romain de Tarse. Il pourrait avoir été difficile de croire que l’on puisse combiner « hébreu né d’Hébreux » et Juif hellénistique. Mais c’est précisément ce qu’était Paul.

Paul n’était pas un Juif de langue grecque qui avait perdu sa langue et sa culture et qui vivait dans le luxe romain. Hier comme aujourd’hui, il existait une forte différence entre les Juifs vivant dans leur patrie et la défendant et ceux menant une vie plus confortable ailleurs. Paul souligne intentionnellement son enracinement dans son héritage et son attachement résolu à celui-ci.

En même temps, Paul était une bizarrerie parmi les Romains, car les Juifs hellénisés parlaient rarement l’araméen. La maîtrise de cette langue par Paul est si importante qu’elle constitue le point culminant de la scène relatée en Actes 21 et 22.

Dans la seconde moitié d’Actes 21, la présence de Paul dans le temple de Jérusalem provoque une vive agitation. On le prend pour un faux prophète égyptien qui avait trompé de nombreuses personnes quelques années auparavant et la foule devient si violente que les soldats romains doivent emmener l’apôtre.

Mais Paul, dans son grec maternel bien maîtrisé, s’adresse au commandant romain. En entendant Paul s’exprimer, l’officier se rend compte qu’il ne s’agit pas de la bonne personne : il n’est clairement pas égyptien.

L’apôtre demande alors s’il peut s’adresser à la foule.

Il monte les marches et commence à parler au peuple : en araméen, la langue qui les avait bercés depuis le sein de leur mère. « Lorsqu’ils entendirent qu’il leur parlait en araméen, ils se tinrent encore plus tranquilles », dit Luc (22.2, NFC).

Tout comme bien des émigrés perdent l’usage de la langue de leurs ancêtres au bout de quelques générations, il était rare que les Juifs de la diaspora parlent l’araméen. C’était la langue d’Israël. À moins que la famille de Paul n’ait quitté très récemment le pays, l’apôtre n’aurait pas été un locuteur natif.

Il y a une autre incohérence dans le CV de Paul : adolescent, il se rend à Jérusalem pour étudier avec Gamaliel, un enseignant juif renommé (5.34). Ce n’était pas un honneur habituel pour des enfants ordinaires de la diaspora ou des Juifs hellénistiques. Mais si les parents de Paul avaient été des zélotes, transplantés de force à Tarse, cette origine aurait pu le distinguer.

« De nombreux chercheurs modernes doutent fortement qu’un juif pieux comme Paul ait pu être citoyen romain », me dit Rainer Riesner. Il semble impossible de réconcilier le pharisien, l’hébreu né d’Hébreux, le zélote parlant l’araméen et le citoyen romain cosmopolite et parlant le grec. À moins, bien sûr, que l’on ne prenne en compte la tradition de l’Église primitive voyant en Paul l’enfant d’une famille réduite en esclavage.

« L’affranchissement du père de Paul résout ces problèmes », m’explique le théologien allemand.

Riesner s’inscrit dans la suite d’une longue lignée d’universitaires allemands qui ont pensé la même chose. « Le grand libéral Adolf von Harnack et le grand conservateur Theodor Zahn » étaient tous deux de « fervents défenseurs » de cette tradition, me raconte-t-il. Ils n’étaient pas même d’accord sur la résurrection, mais ils se rejoignaient sur ce point.

Alors pourquoi les chrétiens du monde anglophone n’en parlent-ils pas davantage ?

Une théorie veut simplement que les universitaires allemands du 20e siècle lisaient beaucoup mieux le grec et le latin que les universitaires américains ou britanniques contemporains. Lorsque ces Allemands ont commencé à occuper des postes dans des universités de premier plan, ils ont pu étudier Homère ou Origène en grec, ou Jérôme en latin. Ils pouvaient lire non seulement pour leurs recherches, mais aussi pour le plaisir.

Les études du Nouveau Testament dans le monde anglophone, en revanche, ont tendance à ne mettre l’accent que sur le corpus du grec du Nouveau Testament. De nombreux chercheurs du Nouveau Testament ne savent tout simplement pas lire Homère ni Origène. Ainsi, après la Seconde Guerre mondiale, lorsque beaucoup de recherches se sont déplacées des universités germanophones vers les universités anglophones, cette partie des débats sur Paul s’est peut-être perdue dans les affres de la traduction et du feuilletage des pages du dictionnaire.

« Les pères de l’Église se sont développés rapidement ici en Amérique », m’explique Ronald E. Heine, le spécialiste d’Origène. Pour lui, ce n’est que très récemment que les études patristiques ont reçu l’attention qu’elles méritaient.

Quelles qu’en soient les raisons exactes, certains de nos travaux académiques souffrent manifestement d’un manque de familiarité et de confiance à l’égard du travail de l’Église primitive.

Pour se décrire tel qu’il était en tant que jeune homme, Paul utilise parfois le terme « zélote » (généralement traduit dans des passages comme Galates 1.14 par « zélé »). On a généralement interprété ce terme comme signifiant qu’il était plein de zèle ou « brûlant pour Dieu ». Mais il y a de bonnes raisons de penser que Paul s’identifiait par là à la secte juive qui s’opposait par la violence à toute personne contrevenant à l’observance de la Torah, y compris les Romains.

Si tel est le cas, quel genre de zélote était Paul avant de rencontrer le Christ ?

Au bout de son expérience de l’esclavage, il avait découvert que Rome n’avait pas que de mauvais côté. L’empire lui avait tout de même conféré sa citoyenneté. Paul avait conservé les perspectives zélotes de son éducation, mais non sans les altérer. Ce n’est plus contre Rome qu’il se battait, mais pour ses traditions ancestrales. La persécution des chrétiens était l’expression de ce zèle.

Même après sa conversion, Paul semble réticent à révéler sa citoyenneté romaine devant ses compatriotes hébreux, qui pourraient encore l’avoir associé aux zélotes. Il supporte des coups qu’il aurait pu éviter en invoquant cette citoyenneté (Ac 16.16-40). Le philosophe romain Cicéron écrivait : « lier un citoyen romain est un crime, le fouetter est une abomination, le tuer est presque un acte de parricide ».

Ce n’est que lorsqu’il n’y a que peu ou pas de spectateurs juifs que Paul semble prêt à jouer sa carte de citoyen romain. Dans la scène d’Actes 22, Paul est séquestré dans la caserne lorsqu’il surprend les soldats par cette annonce.

Il est possible que de nombreux apôtres de Jérusalem n’aient eu connaissance de sa citoyenneté qu’à la fin de la vie de Paul. Il est difficile d’être à la fois un important responsable juif et un citoyen de l’empire qui opprime son peuple.

S’il avait été élevé en tant qu’esclave dans une ville romaine avant d’être affranchi, on comprend bien comment Paul pouvait être citoyen de l’empire tout en gardant un certain recul à son égard.

Les zélotes mettaient en œuvre leur zèle de différentes manières. Certains extrémistes assassinaient des personnalités politiques, des Romains ou des Juifs sympathisants de Rome. D’autres se livraient à des violences religieuses plus spécifiques, comme l’enlèvement de Juifs hellénistiques incirconcis et leur circoncision forcée.

Le héros de ces activistes était Phinéas, le petit-fils d’Aaron. Alors que les Israélites étaient sur le point d’entrer dans la Terre promise, celui-ci s’était mis en colère contre les hommes qui prenaient des femmes moabites et s’adonnaient à leur culte de la fertilité. En Nombres 25, il va chercher une lance et suit un homme et son amante madianite dans une tente. Il les transperce tous les deux d’un seul coup et détourne la colère de Dieu.

Dans sa biographie de l’apôtre, N. T. Wright explique : « Lorsque l’apôtre Paul se décrit dans sa vie antérieure comme étant consumé par le zèle pour ses traditions ancestrales, il se remémore une jeunesse façonnée par la figure de Phinéas. »

Phinéas était le héros du jeune Paul. Il cherchait ardemment à délivrer le peuple juif par le même type de zèle violent.

La manière dont nous faisons sa connaissance dans l’Écriture ne doit rien au hasard.

Dans le mouvement messianique naissant qui deviendra le christianisme, Étienne se distinguait comme un prédicateur remarquable. Non seulement il pouvait prêcher, mais il aidait aussi au service des veuves juives hellénistiques dont les besoins n’étaient pas satisfaits parce qu’elles étaient moins considérées que les autres (Ac 6). Dans l’esprit du jeune Paul, Étienne profanait la compréhension juive du monothéisme et violait les traditions rabbiniques, tout comme Jésus.

Si les zélotes cherchaient une cible, Étienne était tout indiqué.

Paul pourrait alors avoir contribué à son lynchage. Celui-ci n’est pas orchestré par des Juifs locaux, mais par des « membres de la synagogue appelée “synagogue des affranchis”, des Cyrénéens, des Alexandrins et des Juifs de Cilicie et d’Asie » (Ac 6.9). Comme l’écrit Eckhard J. Schnabel, spécialiste du Gordon-Conwell Theological Seminary, dans son commentaire sur les Actes des Apôtres, « les “affranchis” […] étaient des Juifs qui avaient été libérés de l’esclavage par leurs propriétaires ou qui descendaient d’esclaves juifs émancipés ».

Si l’Église primitive dit vrai au sujet des parents de Paul, alors, que celui-ci soit né d’un père affranchi ou né dans l’esclavage et affranchi par la suite, il aurait été considéré comme un affranchi.

Les membres de cette synagogue d’affranchis produisent de faux témoins contre Étienne afin de monter un dossier contre lui (v. 13).

Il serait étrange qu’un « Hébreu né d’Hébreux », chez lui à Jérusalem, travaille spécifiquement avec d’anciens esclaves pour mettre au point cette ruse. Si Paul avait été un membre important de la haute société, son association avec d’anciens esclaves n’aurait guère de sens. Promouvoir de faux témoignages nécessite un très haut niveau de complicité au sein d’un groupe. En cas de fuite, les intrigants s’exposaient au châtiment qu’ils cherchaient à infliger à leur victime (Dt 19.16-21).

Mais cette synagogue d’affranchis — dont beaucoup étaient originaires de Cilicie, qui avait pour capitale Tarse, la ville natale de Paul — pourrait avoir compté bien des amis proches et des compatriotes qui voyaient le monde comme Paul.

« Luc pourrait supposer ici que Paul appartenait à cette synagogue particulière », écrit Riesner.

Il est donc fort possible que Paul, l’esclave affranchi, ait été entouré d’esclaves affranchis issus de la même région que lui. Il fait partie d’un cercle de familiers, d’où il aurait pu inspirer les conspirateurs à l’origine de la mort du premier martyr chrétien. Par la suite, il prévoit de poursuivre et de détruire les communautés messianiques naissantes dans tout l’Empire romain.

Au sommet de la liste ? Damas.

Mais comme vous le savez, en chemin, Paul est confronté à un visiteur céleste, renversé et aveuglé pendant trois jours (Ac 9). Une rencontre qui a changé le monde.

Non seulement l’histoire de Paul telle que la raconte l’Église primitive explique mieux son personnage, mais elle explique aussi mieux la façon dont il s’exprime.

Nous ne nous interrogeons pas nécessairement sur la manière dont Paul écrit. Nous l’imaginons simplement normale. Mais si le reste du Nouveau Testament peut servir de guide, tel n’est pas le cas.

Chacun est formé par son milieu. Nos vocabulaires et nos boîtes à outils mentales trahissent le milieu dans lequel nous avons évolué. Et Paul est obsédé par le vocabulaire de l’esclavage. Dans ses écrits, il en parle constamment : de la servitude ; de la liberté ; de l’adoption ; des entraves ; de l’exode ; de la citoyenneté. Les deux ouvertures les plus courantes des lettres de Paul sont « Paul, apôtre de Christ » et « Paul, esclave de Christ ».

Le reste du Nouveau Testament utilise rarement le vocabulaire de l’esclavage. Si l’on se limite au compte des mots, Paul n’a écrit qu’un quart du Nouveau Testament, mais de simples recherches sur le vocabulaire montrent que les thèmes liés à l’esclavage sont présents de manière disproportionnée dans ses écrits.

Et à côté des références les plus évidentes, d’autres sont plus subtiles. À la fin de l’épître aux Galates, par exemple, Paul déclare : « Que personne désormais ne me fasse de peine, car je porte sur mon corps les marques de Jésus. » (Ga 6.17)

On pourrait aisément imaginer que Paul fait référence aux cicatrices accumulées à la suite des nombreux coups reçus dans son ministère. Le problème, c’est que, selon Wright, Galates est probablement la première lettre de Paul. Le spécialiste de Paul Richard N. Longenecker soutient également que la lettre aux Galates a été écrite très tôt dans le ministère de Paul, « avant le “concile” de Jérusalem ».

Les coups de fouet, les bastonnades et les lapidations, avec les cicatrices qui en résultent, viendront plus tard. De quelles marques Paul parle-t-il ?

Il y a aussi quelque chose d’amusant dans le choix des mots.

Il existe de nombreux mots en grec pour désigner une cicatrice ; plusieurs pourraient venir à l’esprit avant celui que Paul utilise ici, stigmata.

Selon le lexique de Johannes Louw et Eugène Nida, si l’on veut bien oublier le sens latin médiéval ultérieur du mot, stigmata désignait à l’époque de Paul « une marque ou une cicatrice permanente sur le corps, en particulier le type de “marque” utilisée pour indiquer la propriété des esclaves ».

Si Paul était né dans une famille d’esclaves, il avait été marqué au fer rouge pour indiquer son propriétaire. Paul a été affranchi au moment où nous le rencontrons, mais la marque est toujours là. Et Paul, passé maître dans l’art d’interpréter l’ancien à travers le prisme de la nouveauté en Christ, est capable de réinterpréter même cela.

L’identité de Paul est toujours celle d’un esclave. Mais il sait à présent qui est véritablement son maître. Paul, esclave du Christ.

Ces exemples ne sont pas le fruit du hasard. Les analogies avec l’esclavage sont la toile de fond de la pensée de Paul.

Dans son livre Reading While Black, Esau McCaulley, professeur au Wheaton College, rapporte cette histoire d’Howard Thurman :

On raconte souvent l’expérience d’Howard Thurman qui lisait la Bible pour sa grand-mère, une ancienne esclave. Plutôt que de lui faire lire toute la Bible, elle omettait des passages des lettres de Paul. Dans un premier temps, il ne remit pas en cause cette pratique. Finalement, il trouva le courage de lui demander pourquoi elle évitait Paul :

« À l’époque de l’esclavage, dit-elle, le pasteur du maître organisait de temps en temps des offices pour les esclaves. Le vieux McGhee était si méchant qu’il ne laissait pas un pasteur noir prêcher à ses esclaves. Le pasteur blanc utilisait toujours un texte de Paul. Au moins trois ou quatre fois par an, il revenait à ce texte : “Esclaves, obéissez à vos maîtres… comme à Christ.” Il poursuivait en montrant que c’était la volonté de Dieu que nous soyons esclaves et que si nous étions de bons et heureux esclaves, Dieu nous bénirait. J’ai promis à mon créateur que si j’apprenais à lire et si la liberté me revenait, je ne lirais pas cette partie de la Bible. »

De nombreux croyants ont encore du mal à lire Paul à cause de ce trouble héritage interprétatif. Tout au long de l’histoire, nombreux sont ceux qui ont mal compris Paul et l’ont utilisé comme arme contre les opprimés. Certains le font encore.

Bien que les chrétiens aient fini par mettre fin à l’esclavage dans l’Empire romain et par mener la charge pour son abolition en Occident, les propriétaires d’esclaves du monde entier ont également étayé leur idéologie par la Bible, en s’appuyant en particulier sur les paroles de l’apôtre.

Mais Paul n’était ni un partisan de l’esclavage ni un abolitionniste, malgré les efforts déployés pour utiliser sa lettre à Philémon dans un sens ou dans l’autre. En réalité, il n’avait le choix entre aucune de ces deux options.

Il est difficile pour les lecteurs modernes de comprendre que dans l’Empire romain de l’époque de Paul, la pensée abolitionniste était pratiquement inexistante. Selon Jeffers, « aucun auteur grec ou romain n’a jamais attaqué l’esclavage en tant qu’institution ». Il était acquis que l’esclavage existerait toujours. Au 19e siècle, le français Alexis de Tocqueville écrivait : « Tout porte à croire que même les hommes de l’Antiquité nés esclaves puis affranchis, dont plusieurs nous ont laissé de très beaux textes, envisageaient la servitude sous le même jour. »

Les premiers chrétiens, eux, avaient l’esprit presque exclusivement fixé sur la seconde venue de Christ, qu’ils croyaient imminente. Le temps n’était pas à la réforme des profondes injustices de l’Empire romain. Et même si les premiers chrétiens avaient nourri des ambitions abolitionnistes, ils représentaient moins d’un habitant sur mille dans l’Empire romain à l’époque du ministère de Paul. Ils étaient regardés avec suspicion et persécutés. Leurs responsables y laissaient fréquemment leur vie, comme ce fut le cas pour Paul. Les chrétiens n’avaient pas voix au chapitre. Pas encore.

Mais ne vous y trompez pas. Si Paul ne pouvait pas accomplir de grandes choses, il pouvait accomplir de petites choses avec beaucoup d’amour. Et ces petites choses allaient bouleverser le monde. « La révolution de Paul », écrit Scot McKnight dans son commentaire sur Philémon, « ne se situe pas au niveau de l’Empire romain, mais au niveau du foyer, pas au niveau de la polis [ville], mais au niveau de l’ekklēsia [église] ».

Comme le dit le chercheur britannique F. F. Bruce dans sa biographie de Paul, la lettre à Philémon « nous plonge dans une atmosphère où l’institution [de l’esclavage] ne pouvait que flétrir et mourir ».

Il paraît difficile d’imaginer une époque où l’esclavage était une telle évidence qu’aucun écrivain de l’époque ne le remettait directement en question. Mais Paul pourrait avoir fait plus que tout autre auteur ancien pour saper cette pratique.

La mémoire de l’Église primitive révèle en effet que Paul était probablement la personne la moins susceptible de tolérer l’esclavage. Ses parents avaient été esclaves. Et peut-être l’avait-il lui aussi été.

Et si Onésime l’avait su ? Le serviteur fugitif aurait alors parcouru plus de 1 000 kilomètres pour demander l’aide d’un homme dont il pensait qu’il comprendrait réellement sa situation.

L’apôtre affirme qu’il renvoie Onésime comme s’il s’agissait de ses propres splanchna, un terme qui désigne les sentiments les plus profonds d’une personne. Joseph Fitzmyer commente : « Paul considère le chrétien Onésime comme une partie de lui-même ». L’utilisation de splanchna dans cette lettre « montre à quel point Paul était personnellement impliqué dans l’affaire ». Pourquoi Paul était-il si intimement impliqué ? Il connaissait les réalités de la vie d’Onésime.

Lorsque Paul confie sa lettre à Onésime et le renvoie à son maître Philémon, l’apôtre plaide avec douceur et force pour que celui-ci reprenne Onésime « non plus comme un esclave, mais bien mieux encore, comme un frère bien-aimé » (v. 16).

Paul lui dit ensuite d’accueillir Onésime comme s’il l’accueillait lui-même. « Et s’il t’a fait du tort ou te doit quelque chose, mets-le sur mon compte », dit l’apôtre. « Moi Paul, je l’écris de ma propre main, je te rembourserai, sans vouloir te rappeler que toi aussi, tu as une dette envers moi : c’est toi-même. » (v. 18-19) Deux versets plus loin, il laisse entendre clairement qu’une fois sorti de prison, il passera chez Philémon. Il saura si Philémon a bien agi.

Il y a là un fait inédit dans le monde antique : accueillir un esclave en fuite comme on accueillerait l’un des principaux responsables d’un mouvement.

C’est cette égalité radicale qui a fait du christianisme une telle menace pour les puissants. Aucun contrat, aucune classe, aucune caste ne peut altérer la réalité de l’image de Dieu présente en chaque être humain. Paul le rappelle aux esclaves et aux propriétaires : ils sont égaux devant Dieu. « Vous le savez : vous et eux, vous avez le même Maître dans les cieux, et lui, il ne fait pas de différence entre les gens. » (Ep 6.9, PDV)

Malheureusement, Paul a probablement été exécuté par l’empereur romain Néron avant de pouvoir retourner à Colosses. Nous ne saurons peut-être jamais ce qu’il est advenu d’Onésime ou comment Philémon a réagi à cette lettre.

Mais sa conservation par l’Église pourrait être un indice majeur quant à l’effet qu’elle a produit.

Au cours du siècle dernier, les spécialistes ont conclu que les personnages et les récits de la Bible n’ont pas été choisis au hasard ou simplement parce qu’ils étaient fascinants. Comme le dit Jean : « Jésus a fait encore beaucoup d’autres choses. Si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde entier pourrait contenir les livres qu’on écrirait. » (Jn 21.25)

Pour Richard Bauckham, bibliste à Cambridge, les personnages retenus l’ont été parce qu’ils étaient reconnus par l’Église primitive.

Les Évangiles offrent bien plus de place aux personnalités qui conduisaient encore l’Église une trentaine d’années après sa création. C’est l’une des raisons pour lesquelles Marie, la mère de Jésus, qui, selon la tradition, a encore vécu pendant des décennies à Éphèse, bénéficie d’une place considérable dans les Écritures, alors que son mari Joseph, mort prématurément, ne dit pas un mot. Il existerait une sorte de préjugé favorable aux survivants dans les Écritures.

Aussi influent qu’Étienne ait pu être, son histoire sert surtout à introduire l’histoire plus vaste de Paul, qui façonnera l’Église grandissante pendant de nombreuses années. La trahison de Pierre et sa réconciliation avec Jésus est l’un des rares récits repris dans les quatre évangiles, très probablement parce que Pierre était bien connu de la jeune communauté chrétienne et qu’il y est resté pendant des décennies, racontant probablement souvent cette histoire.

Parmi les nombreuses communications personnelles de Paul qui ont probablement été perdues, pourquoi la lettre à Philémon a-t-elle été préservée ? Pourquoi cette lettre en particulier a-t-elle été conservée, lue publiquement, copiée à la main et diffusée dans tout le monde connu ?

Tout comme les Évangiles semblent privilégier les récits de personnes encore connues dans les communautés chrétiennes, et tout comme les lettres personnelles de Paul qui ont survécu sont liées à des responsables de communautés plus importantes, nous avons de bonnes raisons de penser qu’il en va de même ici. Philémon, Onésime ou les deux pourraient également avoir été bien connus et influents dans l’Église primitive.

La lettre nous apprend que Philémon faisait partie d’une église de maison à Colosses, une petite ville située dans l’actuelle Turquie. Il est peu probable que les églises du monde entier se soient intéressées à l’histoire de l’hôte d’une petite communauté que Paul aurait dû exhorter par cette lettre.

Mais dans la ville voisine d’Éphèse, capitale de la région et forte d’une importante communauté chrétienne, il y a une histoire qui pourrait avoir rendu la lettre digne d’être préservée, voire célébrée.

Timothée est le premier évêque des églises d’Éphèse. Les premiers historiens de l’Église rapportent qu’il fut martyrisé par l’empereur romain, comme l’avait été son mentor Paul.

Mais avant cela, il eut le temps de former toute une liste de pasteurs. L’un des pasteurs de Timothée était connu comme un véritable berger de bergers. Un pasteur de pasteurs. Un homme qui visitait les prisonniers et prenait soin des orphelins et des veuves dans leur détresse (Jc 1.27). Quelqu’un qui semblait comprendre le sort des marginaux comme s’il avait lui-même été de leur nombre.

Lorsque le moment vint de choisir un nouvel évêque après le martyre de Timothée, la tradition de l’Église et de nombreux spécialistes modernes s’accordent à dire que le choix à faire fut évident. L’Église éphésienne choisit le berger des bergers.

Cet homme servit à merveille pendant des décennies. Et dans sa vieillesse, il fut lui aussi tué par Rome.

Son nom était Onésime.

Mark R. Fairchild est professeur retraité de Bible et de religion à l’université de Huntington et titulaire d’une bourse Fulbright. Son prochain livre sur Paul sortira en 2025 chez Hendrickson Publishers.

Jordan K. Monson est auteur et professeur de missions et d’Ancien Testament à l’université de Huntington.

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Je suis prisonnier politique au Congo. Mon ministère est en plein essor.

Même si j’aspire à la santé et à la liberté, je vois tout le bien que Dieu produit.

Christianity Today May 27, 2024
Illustration de Mallory Rentsch Tlapek/Images sources : Getty

La fin du mois d’avril 2024 a marqué mon dixième mois de détention à la prison centrale de Makala à Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC).

Chaque jour qui passe me laisse l’impression que je serai libre demain. Je sais que le jour que j’espère arrivera enfin, parce que j’ai mis mon espoir dans le Maître des temps et des circonstances. Comme il le dit dans Matthieu 25.31-46, il est également détenu avec moi ici. Lorsqu’il en aura fini avec cette détention, il me conduira vers la liberté. Mon espérance est fondée sur ce roc.

J’ai été arrêté dans le cadre d’une procédure juridiquement irrégulière. À l’époque où j’ai été accusé à tort d’avoir appelé les habitants de ma région de l’est de la RDC à prendre les armes, je tournais une vidéo (que mes avocats ont présentée) promouvant l’appel au cessez-le-feu lancé par le processus de Nairobi. J’ai participé à ce processus et je me consacre depuis longtemps à la promotion de la paix et du développement.

Après avoir été transféré d’une prison à l’autre avant d’arriver à Makala, j’ai rejoint une aumônerie des Assemblées de Dieu et une équipe de prisonniers ordonnés qui exercent leur ministère ici avec l’aide des dons et des ressources auxquels nous avons accès.

Dès le début, j’ai demandé au comité de lancer un cours d’alphabétisation dans la prison en raison du grand nombre de personnes qui ne savent ni lire ni écrire. L’initiative a attiré l’attention des autorités et de nombreux individus plus soucieux d’humanité.

Une centaine de personnes, hommes et femmes, garçons et filles, bénéficient aujourd’hui du programme. Plus de 50 d’entre elles ont appris à lire, à écrire et à calculer. « Je ne m’attendais pas à apprendre à lire et à écrire en prison », nous a dit un étudiant adulte. « Merci pour cette initiative. » Beaucoup de ces personnes qui n’ont pas eu la possibilité d’aller à l’école sont originaires de la région de Kinshasa et ont grandi en tant que kuluna (enfants des rues).

Lorsqu’un détenu apprend à tenir un crayon et parvient à écrire, à lire et à calculer, j’ai envie de louer le Seigneur, Maître des temps et des circonstances.

Un enfant détenu a demandé un jour à son enseignant : « Pourquoi le programme ne se déroule-t-il pas tous les jours ? L’apprentissage est bon pour nous. Cela me permet aussi de rester occupé. »

Un autre adulte nous a dit : « Maintenant, j’ai besoin d’une bible que je puisse lire moi-même. »

Nous avons effectivement pu distribuer des bibles. Elles ont un impact non seulement dans des groupes d’étude biblique, mais aussi dans des équipes d’évangélisation. J’ai vu des équipes se déplacer de cellule en cellule avec des bibles, lisant et partageant des versets.

Outre les cours d’alphabétisation, nous avons également lancé en avril un cours de formation à la fabrication de savon, de détergent et de désinfectant à l’intention de 54 élèves. L’enseignant est également un détenu. Nous pouvons utiliser ces produits pour améliorer nos propres conditions sanitaires.

Parmi d’autres initiatives, nous avons un projet de plantation d’arbres, un cours sur le changement climatique et un cours sur la fabrication de peinture et de pigments.

Un programme sur la théologie du travail, que j’enseigne, s’est également étendu à l’extérieur de la prison. L’un de nos étudiants détenus a été libéré il y a quelques semaines et, chose surprenante, a obtenu un nouvel emploi au sein du gouvernement. Il m’a appelé pour me demander mes notes de cours : « Je veux les utiliser pour mobiliser les membres du parlement provincial afin qu’ils apprennent et appliquent ces choses. »

Une autre personne témoignait : « Ce que j’aime, c’est qu’on n’enseigne pas seulement le salut spirituel, mais aussi les besoins physiques. »

Je me suis senti très encouragé. Et il y aurait encore bien des choses à dire, car Dieu ne cesse de nous surprendre avec les « tours » qu’il nous joue. Il nous redonne le sourire.

Au sein du comité des aumôniers, nous sommes confrontés quotidiennement à des problèmes à résoudre, alors même que nos propres problèmes ne sont pas encore résolus. Il y a ceux qui n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins essentiels tels que le vêtement, la nourriture et les médicaments. J’ai aussi rencontré plus d’une douzaine de personnes qui avaient besoin d’argent pour résoudre leurs problèmes juridiques. Une fois qu’elles pouvaient fournir l’argent, elles étaient libérées.

Je me souviens notamment de la libération d’une famille de cinq personnes, détenues depuis plus de dix mois, qui est rentrée chez elle après que nous ayons trouvé les fonds nécessaires.

Dans un autre cas, le directeur musical de notre église dans les murs de Makala s’est assis dans ma petite pièce et m’a expliqué son problème financier. Lorsqu’une solution a été trouvée, il a pleuré de joie : « J’ai chanté pour bénir l’église et aujourd’hui je suis béni moi aussi ! »

Le fait d’être en prison ne me rend pas moins humain. Je continue à rêver, à être créatif et à me montrer capable de transformer les circonstances en opportunités. Je suis fait pour avoir un impact positif sur mon environnement.

J’ai reçu bien des grâces ; j’ai des compagnons de détention agréables et c’est une bénédiction. Nous partageons tout et cela renforce notre foi, notre espoir et notre amitié.

De plus, je passe du temps à m’occuper de ma pépinière dans la cellule. Je mange des fruits et je garde leurs graines, que je mets dans des bouteilles d’eau en plastique. C’est aussi un bon moyen de se procurer une certaine tranquillité d’esprit.

Comme je le dis à mes compagnons de détention et à mon cours de théologie du travail, la nature est notre parent. Mon dialogue avec l’environnement remonte aux années 1970, avec ma petite shamba (ferme) de pommes de terre. La région porte toujours mon nom, « mukwa Lazaro » (chez Lazare).

Lorsque j’ai été arrêté, mes médicaments ont été laissés derrière moi. Plus tard, on les a apportés pour me les montrer, mais on ne me les a jamais rendus. J’ai pourtant survécu sans ce traitement, même si j’ai connu de nombreux problèmes de santé du fait du manque de suivi médical approprié. Dans toutes ces circonstances, Dieu a été mon guérisseur et mon protecteur.

Nous sommes rapidement stressés par des conditions de vie insupportables. Comme l’a peut-être vécu l’apôtre Paul, une question peut régulièrement revenir : Comment se fait-il que je réponde aux besoins des autres, alors que mon propre cas n’est pas résolu et que mes besoins ne sont pas satisfaits ? Mais ma réponse est déjà écrite :

« Trois fois j’ai supplié le Seigneur de l’éloigner de moi, et il m’a dit : “Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse.” Aussi, je me montrerai bien plus volontiers fier de mes faiblesses afin que la puissance de Christ repose sur moi. » (2 Co 12.8-9)

Mon sentiment est que ce ministère est à présent bien affermi et qu’il est temps de rentrer chez moi.

Lazare Sebitereko Rukundwa, membre des Assemblées de Dieu, a fondé l’université Eben-Ezer de Minembwe au Sud-Kivu, en RDC. Il était délégué de la société civile lors des consultations de paix intercongolaises à Nairobi. Sa famille et les habitants de Minembwe attendent sa libération.

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Books

Deux missionnaires américains et un responsable haïtien tués à Port-au-Prince

Une attaque de gang contre une mission laisse trois morts et une maison en feu. L’intervention internationale se fait encore attendre.

Davy (à gauche) et Natalie (au centre) Lloyd travaillaient dans un orphelinat en Haïti depuis 2022.

Davy (à gauche) et Natalie (au centre) Lloyd travaillaient dans un orphelinat en Haïti depuis 2022.

Christianity Today May 27, 2024
Missions in Haiti

En Haïti, deux jeunes missionnaires venus des États-Unis ont été assassinés jeudi dernier dans le tumulte de la violence des gangs qui sévissent dans le pays.

Selon la page Facebook de Missions in Haiti, Davy et Natalie Lloyd, ainsi que Jude Montis, un membre haïtien du personnel et responsable d’église, ont été pris en embuscade par trois camions remplis d’assaillants tandis qu’ils quittaient une rencontre d’un groupe de jeunes à Port-au-Prince. Alors que les hommes armés volaient plusieurs véhicules et les chargeaient du butin pris à la mission, une autre bande est arrivée et les deux groupes se sont violemment affrontés.

« On ne sait pas exactement ce qui s’est passé, mais une personne a été tuée par balle et ce gang est passé à l’attaque », a écrit un missionnaire ayant reçu des informations en direct aux États-Unis. « Davy, Natalie et Jude sont dans ma maison, au bout de la propriété, et utilisent la connexion Internet starlink pour m’appeler. Ils sont donc terrés là, les gangs ont tiré sur toutes les fenêtres de la maison et continuent de le faire. »

Missions in Haiti aurait tenté de contacter la police haïtienne sans succès. Puis les lignes téléphoniques ont été coupées.

« S’il vous plaît, priez », a demandé Missions in Haiti à ses 4 500 abonnés sur Facebook. « La nuit va être longue. »

À 21 heures, la maison était en feu. Les Lloyd et Jude Montis étaient morts.

Jude avait 45 ans. Davy avait 23 ans. Natalie, 21 ans.

« Mon cœur est en mille morceaux », a écrit le père de Natalie, Ben Baker, représentant de l’État du Missouri à la Chambre américaine des représentants. « Je n’ai jamais ressenti une telle douleur. »

Les bandes criminelles ont tué près de 5 000 personnes en Haïti l’année dernière. Puis, en 2024, les gangs se sont regroupés, se sont retournés contre les politiciens qui avaient autrefois collaboré avec eux pour obtenir le pouvoir et ont lancé des attaques coordonnées contre le gouvernement. Les gangs ont incendié les postes de police, fermé le principal aéroport et le port maritime et ont ouvert deux prisons, libérant environ 4 000 détenus. Ils ont vandalisé les bureaux du gouvernement, pris d’assaut le palais national et pris le contrôle d’environ 80 % de la capitale.

« Aujourd’hui, ils sont une puissance en eux-mêmes », expliquait Robert Fatton, professeur de gouvernance et d’affaires étrangères à l’université de Virginie, à Associated Press. « L’autonomie des gangs a atteint un seuil critique. C’est la raison pour laquelle ils sont aujourd’hui capables d’imposer certaines conditions au gouvernement lui-même. »

Le Premier ministre a démissionné en avril et un conseil de gouvernement temporaire a été mis en place et chargé de mettre fin à la violence et de rétablir l’ordre.

Une mission de maintien de la paix approuvée par les Nations unies et composée de 1 000 policiers kényans a déjà été reportée à plusieurs reprises. Deux cents d’entre eux devaient atterrir jeudi, alors que le président kényan William Ruto rencontrait le président américain Joe Biden à la Maison-Blanche, mais le vol en provenance de Nairobi a été annulé à la dernière minute.

Selon Reuters, les policiers n’ont pas reçu d’explication pour ce retard et ont reçu l’instruction de se tenir prêts pour un départ à tout moment. Les autorités américaines ont expliqué que la force ne disposait pas des véhicules blindés, des hélicoptères, des armes et des équipements de communication nécessaires au déploiement.

Le gouvernement américain s’est engagé à verser 300 millions de dollars à la mission. Depuis le mois d’avril, les États-Unis ont fait sortir des centaines de citoyens américains par hélicoptère et de nombreux gouvernements et organisations à but non lucratif ont également coordonné des évacuations d’urgence. Cependant, tout le monde n’a pas pu partir, et certains ont choisi de ne pas le faire.

En mars, Missions in Haiti expliquait à ses soutiens que leur quartier de Port-au-Prince était calme et que les missionnaires ne craignaient pas pour leur sécurité.

L’organisation a été créée par les parents de Davy Lloyd, David et Alicia, en 2000. La mission s’adresse principalement aux enfants, leur offrant nourriture, éducation et formation spirituelle. En 2002, une centaine d’enfants avaient participéau programme d’été de Missions in Haiti. L’automne suivant, on comptait 10 enfants à l’orphelinat et 30 autres inscrits à l’école.

En 24 ans, l’école s’est développée et accueille aujourd’hui plus de 400 enfants par an, selon les rapports adressés aux soutiens financiers. La mission s’est également développée, avec la création d’une église et d’une boulangerie employant des diplômés.

La spirale de la violence en Haïti a toutefois commencé à inquiéter David Lloyd en 2022.

« Il n’y a pas de gouvernement fonctionnel, la nation haïtienne est dans l’anarchie totale », écrivait le père de Davy. « Ces gangs assassinent, violent, volent et détruisent à volonté. »

Il racontait que Missions in Haiti avait failli être la proie « d’un des gangs les plus malfaisants », mais « nous nous sommes mis à genoux et Dieu est intervenu de manière miraculeuse et a fait reculer ce gang ».

Les missionnaires ont gardé espoir et ont demandé à leurs soutiens de prier et d’écrire à leurs représentants américains.

Davy et Natalie Lloyd ont rejoint Missions in Haiti en 2022, après avoir obtenu leur diplôme à l’Ozark Bible Institute, une école pentecôtiste dans le Missouri, et s’être mariés.

Davy, qui a grandi à la mission, s’est lancé dans des projets d’entretien, rénovant les salles de bain des dortoirs, réparant les véhicules et construisant une nouvelle buanderie.

Il expliquait à ses partenaires qu’il pouvait à présent mieux voir les problèmes qui frappent Haïti que lorsqu’il était enfant, allant à l’école et à l’église, s’occupant des poulets et jouant avec ses amis haïtiens.

« Mes yeux sont plus ouverts », racontait le jeune Lloyd dans une vidéo partagée par Missions in Haiti. « Vraiment, nous avons besoin d’un miracle. Nous avons besoin que Dieu agisse. »

Natalie travaillait dans l’orphelinat et s’occupait des enfants. Elle partageait des images du ministère sur le compte Instagram du couple : repeindre des équipements de jeu, donner aux enfants des mangues et des noix de coco ou encore les enseigner à propos de l’armure spirituelle offerte par Dieu.

La jeune missionnaire se montrait parfois préoccupée par la situation politique en Haïti, mais elle se concentrait sur sa joie de servir les enfants et sa confiance en Dieu.

« Dieu est toujours fidèle à ses promesses. Il est immuable et ne vacille jamais », écrivait-elle. « Je veux mettre mon espoir en Celui qui ne fait jamais défaut, en Celui dont les miséricordes se renouvellent chaque matin, en Celui qui, lorsque les saisons changent, reste le même. »

Quelques jours avant l’attaque des deux groupes de bandits, les missionnaires exprimaient l’espoir que l’aide arriverait et que l’ordre serait bientôt rétabli. Ils voyaient des avions militaires américains survoler le pays plusieurs fois par jour, vraisemblablement pour apporter du matériel aux forces kényanes. L’aéroport avait rouvert et l’activité des gangs semblait diminuer, selon la page Facebook de Missions in Haiti.

« Le règne des gangs pourrait bientôt prendre fin », écrivait David Lloyd. « Nous prions pour que cela se produise effectivement, et le plus tôt sera le mieux. Merci pour vos prières constantes. »

Vendredi après-midi, des membres de la famille ont indiqué que les corps de Davy et Natalie Lloyd avaient été transférés à l’ambassade américaine.

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Les chrétiens peuvent agir contre la pollution plastique

Une communauté du Honduras ouvre la voie à la collecte locale des déchets et prie pour un traité international sur les plastiques.

Le pasteur Wilfredo Vásquez collecte et trie les déchets au Honduras.

Le pasteur Wilfredo Vásquez collecte et trie les déchets au Honduras.

Christianity Today May 24, 2024
Guevara Tearfund

Devant l’église de Dieu du village d’El Rincón, on peut lire ce message : « Soyons du côté de la solution, pas de la pollution » !

Le pasteur Wilfredo Vásquez l’y a affiché après avoir été témoin des impacts négatifs des déchets sur la vie des habitants de sa commune.

« De plus en plus, je comprends qu’en tant qu’enfants de Dieu, si nous voulons voir notre société changer, dans quelque domaine que ce soit, nous devons en prendre l’initiative. Car l’Église est l’espoir du monde », nous déclare-t-il.

Wilfredo Vásquez, qui dirige la communauté wesleyenne-arminienne de cette petite commune d’Amérique centrale d’environ 4 000 habitants, y encourage des mesures concrètes pour faire face au problème des plastiques. Et il espère ardemment qu’un traité international vienne enfin enrayer ce fléau.

Du 23 au 29 avril dernier, des délégués du monde entier étaient réunis à Ottawa dans le cadre du Comité intergouvernemental de négociation sur la pollution plastique (CIN-4) des Nations unies. Il s’agissait de la quatrième étape d’un processus en cinq points visant à la conclusion d’un accord susceptible de modifier la manière dont le plastique est géré à l’échelle mondiale.

S’il est adopté, les experts estiment que ce traité pourrait avoir un réel impact sur l’utilisation du plastique, comparable à celui qu’a eu le protocole de Montréal de 1987 sur des produits chimiques tels que le fréon, qui affecte la couche d’ozone.

L’étape finale du processus aura lieu en novembre en Corée du Sud. Entretemps, les délégués de plus de 150 pays ont entamé des travaux intermédiaires. Dans l’immédiat, ils se réuniront pour mettre au point des méthodes d’identification des produits plastiques et des substances chimiques préoccupantes.

À El Rincón, à 3 600 kilomètres des dernières discussions, Wilfredo Vásquez prie pour l’adoption du traité.

Car ce pasteur sait exactement ce qui est en jeu. Pour en avoir fait l’expérience dans sa commune, il connaît l’impact que peuvent avoir même de petits gestes. Avec l’aide d’un traducteur, il nous raconte que jusqu’à récemment il n’existait pas de système de recyclage ou de collecte des déchets digne de ce nom dans sa localité. « Les déchets solides, les gens les jetaient, les enterraient ou les brûlaient », nous dit-il.

La population vivait dans un environnement vicié. Aires de jeux et terrains de sport étaient jonchés de détritus. Les feux de poubelle polluaient l’air et intoxiquaient de nombreuses personnes, dont la belle-mère du pasteur.

« Il fallait fermer portes et fenêtres et garder ces personnes isolées », nous raconte-t-il. « À cause de la fumée, elles ne pouvaient pas sortir. »

Poussé par l’amour de son prochain et l’appel du Seigneur à prendre soin de sa création, Wilfredo Vásquez a décidé d’agir pour changer les choses.

Il a commencé par encourager les membres de son église et les habitants de la commune à cesser de brûler des déchets. L’église a ensuite organisé des nettoyages de quartier. Les tasses et autres ustensiles plastiques à usage unique ont été bannis.

Épaulé par Tearfund, une organisation caritative chrétienne qui travaille en partenariat avec des églises dans plus de 50 pays parmi les plus pauvres du monde, le pasteur a travaillé avec les responsables de la municipalité et le gouvernement local sur la nécessité de collecter les déchets.

Désormais la commune bénéficie d’un ramassage hebdomadaire des ordures, les jeunes de l’église de Vásquez collectent et mettent le plastique au recyclage et des points de collecte d’autres déchets recyclables sont mis à la disposition des citoyens.

Grâce à ces changements, la localité est plus propre et les personnes souffrant de troubles respiratoires peuvent à nouveau respirer.

Miriam Moreno, conseillère en développement durable pour l’Amérique latine et les Caraïbes auprès de Tearfund, a aidé le pasteur pour initier ces changements à l’échelle locale. Tearfund a aussi financé des conteneurs pour le tri des déchets.

« C’est très inspirant d’avoir des leaders comme lui et de pouvoir diffuser son expérience », nous dit-elle.

Comme pour Wilfredo Vásquez, c’est la foi qui la pousse à agir.

« C’est ma responsabilité en tant que chrétienne. En même temps, c’est très motivant de mobiliser les autres et de voir tout ce qu’ils accomplissent », témoigne-t-elle.

Les deux espèrent encourager des changements similaires dans d’autres régions d’Amérique centrale.

« La collecte des déchets et les poubelles installées à El Rincón feront une grande différence pour cette localité, mais il y en a des centaines de milliers d’autres comme celle-ci », explique Miriam Moreno.

Elle estime que l’adoption d’un traité international pour la lutte contre la pollution plastique, constituera une étape essentielle pour aider les pays pauvres. « Tout le monde a entendu parler des problèmes liés aux déchets plastiques et à la pollution. Tout le monde a des connaissances techniques. Mais il manque un lien pour sensibiliser les gens à notre responsabilité chrétienne de prendre soin de la création. »

À l'INC-4, le groupe Tearfund est entre autres représenté par Rich Gower, un économiste expérimenté de l'organisation à but non lucratif. Celui-ci relate que, comme l’ONG est active dans plus de 50 des pays les plus pauvres du monde, elle a pu constater en direct à quel point le plastique dégrade la vie des personnes vulnérables.

Selon lui, environ 2 milliards de personnes dans le monde sont dans l’incapacité de se débarrasser en toute sécurité de leurs déchets. Comme à El Rincón, ces personnes n’ont d’autre choix que de brûler ou de jeter leurs ordures au coin des rues et dans des décharges à ciel ouvert.

« Les conséquences sont nombreuses et extrêmement nocives : émanations toxiques, inondations, augmentation du risque de cancer et d’autres maladies graves telles que les maladies cardiaques, les infections respiratoires et d’autres problèmes de santé, sans oublier les émissions de gaz à effet de serre », nous dit-il.

Un rapport de recherche de Tearfund, intitulé « Pas de temps à gaspiller », estime que cette situation entraine la mort de près d’un million de personnes chaque année.

L’équipe de Tearfund présente aux négociations de l’ONU appelle les gouvernements à faire pression en faveur d’un traité qui prenne pleinement en compte l’impact des déchets sur les personnes vivant dans la pauvreté, en veillant à ce que quatre éléments soient obligatoirement inclus dans l’accord final :

  • Réduction : objectifs juridiquement contraignants pour réduire la production de plastique et pour généraliser sa réutilisation
  • Recyclage : accès généralisé à la collecte et au recyclage des déchets
  • Respect : défense des personnes qui ramassent et trient les déchets dans le cadre d’une transition équitable
  • Redevabilité : développement de mécanismes qui garantissent une action réelle des entreprises et des gouvernements

Rich Gower estime que les chrétiens ont un rôle important à jouer dans ce processus.

« Des chrétiens du monde entier se sont associés à la campagne Rubbish de Tearfund parce que nous croyons que chaque personne créée par Dieu devrait pouvoir vivre pleinement sa vie sans être contaminée par des déchets », explique-t-il. « La crise engendrée par l’accroissement du gaspillage et de la production de déchets nuit énormément aux personnes vivant dans la pauvreté, ainsi qu’à la belle création de Dieu. »

La cinquième et dernière session du Comité intergouvernemental de négociation sur la pollution plastique se tiendra du 25 novembre au 1er décembre 2024. Si un accord est conclu, le traité sur les plastiques pourrait entrer en vigueur en 2025.

Traduit par Anne Haumont

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Les 5 hérésies favorites des évangéliques américains

Un rapport de 2022 montre que l’arianisme et le pélagianisme sont des réalités bien présentes parmi des croyants pouvant par ailleurs être considérés comme évangéliques.

Christianity Today May 21, 2024
Adaptations par Christianity Today/Image source : Getty

La compréhension qu’ont les évangéliques américains de la théologie semble s’être troublée. Dans une enquête de 2022 sur l’état de la théologie publiée par Ligonier Ministries et Lifeway Research, plus de la moitié d’entre eux soutenaient des images hérétiques de Dieu.

Le rapport renvoie à l’enseignement du fondateur de Ligonier, R. C. Sproul, selon lequel « Nous sommes tous des théologiens ». « Toutefois, le Dr Sproul s’empresserait d’ajouter que tout le monde n’est pas un bon théologien », peut-on lire dans le descriptif. Cette mise en garde s’applique à la population en général et aux évangéliques en particulier.

Dans le contexte américain, il semble que les personnes sondées s’éloignent d’année en année d’une compréhension orthodoxe de Dieu et de sa Parole. Plus de la moitié du pays (53 %) affirmait que les Écritures « ne sont pas littéralement vraies », contre 41 % au commencement de cette enquête bisannuelle en 2014.

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Sur les huit années d’étude, les chercheurs qualifient le rejet de l’origine divine de la Bible de « tendance la plus claire et la plus cohérente ».

« Cette approche permet aux individus d’accueillir les enseignements bibliques avec lesquels ils se sentent à l’aise tout en rejetant simultanément tout enseignement biblique qui n’est pas en phase avec leurs propres opinions ou avec des valeurs culturelles plus larges », écrivent les chercheurs.

Les évangéliques américains (définis par leur croyance et leur appartenance à une église) partagent clairement certaines convictions religieuses fondamentales. Plus de 90 % d’entre eux affirment que Dieu est parfait, qu’il existe en trois personnes, que la résurrection corporelle de Jésus est réelle et que les humains sont rendus justes non pas par leurs œuvres, mais par leur foi en lui.

Mais, dans certains domaines, des répondants évangéliques témoignent d’incompréhensions significatives et se démarquent peu des tendances de la société en général.

Dans l’enquête de 2022, environ un quart des évangéliques (26 %) déclaraient que la Bible n’est pas littéralement vraie, contre 15 % en 2020. Ils sont également plus nombreux à considérer que la croyance religieuse est « une question d’opinion personnelle » et pas de « vérité objective » ; 38 % en 2022, contre 23 % en 2020.

Voici cinq des croyances non orthodoxes les plus répandues parmi les évangéliques interrogés dans le cadre de l’enquête de 2022 :

1. Jésus n’est pas le seul chemin vers Dieu.

Plus de la moitié — 56 % — des répondants évangéliques affirmaient que « Dieu accepte le culte de toutes les religions, y inclus le christianisme, le judaïsme et l’islam », contre 42 % en 2020. Bien que la question n’englobe pas toutes les religions, elle indique une tendance à l’universalisme : croire qu’il existe des moyens de contourner Jésus pour s’approcher de Dieu et être accepté par lui.

On est là en contradiction avec la théologie orthodoxe que l’on trouve dans les Écritures, dans lesquelles Jésus affirme : « C’est moi qui suis le chemin, la vérité et la vie. On ne vient au Père qu’en passant par moi. » (Jn 14.6)

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2. Jésus a été créé par Dieu.

Une proportion surprenante de 73 % de personnes est d’accord avec l’affirmation selon laquelle « Jésus est le premier et le plus grand être créé par Dieu ».

Il s’agit d’une forme d’arianisme, une hérésie populaire apparue au début du quatrième siècle de notre ère. Ceux qui y croyaient ont suscité un tel émoi qu’ils ont conduit à la réunion du tout premier concile œcuménique de responsables d’églises. Ceux-ci ont échangé puis dénoncé ces croyances et d’autres comme étant hérétiques, car contraires aux Écritures.

Le Concile de Nicée a donné naissance au Symbole de Nicée, qui affirme notamment que Jésus est « engendré, non pas créé » et qu’il est « consubstantiel au Père », comme l’indiquent des passages tels que Jean 3.16 et Jean 14.9.

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3. Jésus n’est pas Dieu

Compte tenu de ces convictions sur Jésus comme être créé, il n’est pas très surprenant que 43 % des personnes interrogées aient affirmé que « Jésus était un grand maître, mais qu’il n’était pas Dieu », ce qui est une autre forme de l’hérésie arienne.

On nie ici la divinité du Christ et son unité avec Dieu le Père en tant que membre égal de la Trinité, un seul Dieu en trois personnes. Cette croyance est considérée comme la croyance orthodoxe classique depuis l’Église primitive et se fonde sur de nombreux passages bibliques, comme celui où Jésus dit : « Le Père et moi, nous sommes un. » (Jn 10.30) Pour cela, il est accusé de blasphème (et menacé de lapidation) par les chefs religieux qui voient bien là qu’il prétend être Dieu.

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4. Le Saint-Esprit n’est pas un être personnel.

En ce qui concerne la Trinité, 60 % des répondants évangéliques à l’enquête ont des doutes sur son troisième membre, estimant que « le Saint-Esprit est une force, mais n’est pas un être personnel ».

Certes, l’Esprit de Dieu est souvent décrit comme une force impersonnelle dans la Bible (parfois comme une colombe, un nuage, du feu, du vent ou de l’eau), mais ce ne sont que des métaphores exprimant la présence personnelle de l’Esprit. Les Écritures affirment clairement que l’Esprit est pleinement Dieu, tout comme Jésus et le Père, qui nous a envoyé l’Esprit. Tel est par exemple le cas lorsqu’Ananias est accusé d’avoir menti simultanément au Saint-Esprit et à Dieu (Ac 5.3-4).

5. L’homme n’est pas pécheur par nature.

Il est intéressant de noter finalement que 57 % des évangéliques interrogés sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « tout le monde pèche un peu, mais la plupart des gens sont bons par nature ». En d’autres termes, les humains sont capables de commettre des péchés individuels, mais nous n’avons pas une nature pécheresse.

De nombreux évangéliques américains croient ainsi que les humains naissent fondamentalement bons, ce qui tend vers une hérésie connue sous le nom de pélagianisme. Celle-ci revient à nier la doctrine du « péché originel », qui se fonde sur un certain nombre de passages bibliques tels que Romains 5.12. Même David, dans l’Ancien Testament, reconnaissait que les humains naissaient dans le péché : « Oui, depuis ma naissance, je suis coupable ; quand ma mère m’a conçu, j’étais déjà marqué par le péché. » (Ps 51.7)

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Les personnes interrogées étaient considérées comme de conviction évangélique si elles étaient tout à fait d’accord avec les croyances en la Bible en tant qu’autorité suprême, en l’importance d’encourager les non-chrétiens à placer leur confiance en Jésus comme leur sauveur, dans le fait que sa mort a supprimé la peine du péché et dans le fait que seule la foi en lui apporte le salut. Cette définition en quatre points a été adoptée par Lifeway et l’Alliance évangélique américaine (National Association of Evangelicals) en 2015.

Si les évangéliques se sont éloignés des croyances orthodoxes dans plusieurs questions concernant Dieu, ils ont gagné en assurance dans leur positionnement sur des questions culturelles et éthiques.

Parmi les évangéliques, 94 % pensent que « les relations sexuelles en dehors du mariage traditionnel sont un péché » et 91 % pensent que l’avortement est un péché, soit les niveaux les plus élevés depuis le début de l’enquête.

Il est possible de répondre à l’enquête sur l’état de la théologie et de consulter l’ensemble des résultats et graphiques sur le site stateoftheology.com (en anglais).

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Je ne voulais pas un bébé. Je voulais ce bébé.

Faire le deuil d’une fausse couche nécessite de reconnaître la spécificité de la vie qui s’en est allée.

Christianity Today May 16, 2024
Illustration de Mallory Rentsch/Images sources : Unsplash/Getty/Pexels

« Vous êtes jeune. Vous pourrez réessayer », me dit le phlébotomiste en me plantant une aiguille dans le bras. Il fait une prise de sang pour des tests qui confirmeront ce que les ultrasons disent déjà : je fais une fausse couche. Je vois bien que le jeune homme tente de me réconforter et je le reçois comme tel. Ce que je ne dis pas, c’est que je ne voulais pas simplement un bébé.

Avant cette troisième grossesse, j’avais dit à mon mari que j’en avais fini. Tout membre supplémentaire qui viendrait s’ajouter à notre famille de quatre personnes ne proviendrait pas de mon corps. C’est donc avec deux jeunes enfants à la maison et dans l’attente de celui que nous voulons accueillir en famille d’accueil que nous apprenons que je suis à nouveau enceinte.

Mon corps me signale très tôt que se prépare ainsi mon troisième enfant, me signifiant de manière intime la présence cachée de ce petit être qui se forme dans mon ventre. Les nausées « du matin » qui durent toute la journée. La fatigue. Le lent resserrement du pantalon autour de ma taille. En me donnant ainsi pour lui, j’apprends à connaître ce bébé comme je l’ai fait avec ses sœurs aînées.

C’est lorsque je commence à avoir de petites pertes de sang et à ressentir des crampes que j’apprends à connaître — et à aimer — ce bébé d’une autre manière, en implorant Dieu avec angoisse. Il m’était déjà arrivé une fois de faire de semblables prières. Cette fois-là, le « Je ne vois pas de battements de cœur… » du médecin avait été rapidement suivi du soulagement d’entendre le petit cœur palpitant d’une enfant qui a aujourd’hui 10 ans. Mais à présent, nulle palpitation n’est à observer.

La lourdeur qui s’installe au fond de moi n’est pas due au fait que je veux un bébé. Je veux ce bébé, mon bébé. Je veux que mon enfant vive.

Mon bébé meurt dans mon ventre au début de mon premier trimestre de grossesse et je ne suis pas préparée au chagrin qui m’envahit. Je ne suis pas non plus préparée à la façon dont je vais lutter pour ressentir que ce chagrin est légitime, même si des sanglots s’emparent de mon corps à l’improviste tout au long de la journée, même lorsqu’une légère dépressions’installe pour des mois, même lorsque j’apprends que je suis à nouveau enceinte.

Je finirai par comprendre que la chose est courante : les personnes qui font face à une fausse couche ont souvent besoin de s’autoriser à faire leur deuil. Bien que 10 à 20 % de toutes les grossesses connues se terminent par une fausse couche, celle-ci est souvent vécue comme une perte « invisible », qui se produit avant que la famille et les amis ne soient au courant de la grossesse. Traumatismes médicaux, poids de l’absence non voulue d’enfant, tabou social, culpabilité et auto-accusation : nombreux sont les facteurs qui peuvent se conjuguer pour alourdir cette souffrance.

Mais il y a une chose qui rend le deuil particulièrement difficile. C’est le fait de se demander si notre peine est justifiée ; de quoi ou, plus précisément, de qui faisons-nous le deuil ?

Dans les semaines qui suivent ma fausse couche, je ressens une dissonance. Au cœur du deuil, une partie de moi jette un doute sur ma tristesse. La douleur que j’éprouve me dit que j’ai bel et bien perdu un enfant. Mais est-ce vraiment le cas ?

Plusieurs éléments contribuent à cette question. J’ai été influencée plus que je ne le pense par mon environnement culturel, qui considère toute affirmation du statut de personne des bébés à naître au mieux comme un fruit de l’ignorance et au pire comme une nuisance pour les femmes. Compte tenu de la fréquence des fausses couches, certains estiment qu’il est absurde de croire que chacune représente la mort d’une personne. Quelqu’un me disait un jour qu’il ne croyait pas que le paradis serait rempli de fœtus.

J’ai également passé toute ma vie dans des églises et des ministères d’origine asiatique, où des sujets comme la sexualité, l’avortement et les fausses couches sont rarement abordés de manière explicite. En dehors de l’église, la plupart des arguments entendus de la part des mouvements pro-vie faisaient appel aux stades ultérieurs du développement du fœtus. Mais mon bébé n’a jamais ressemblé à ceux que l’on voit sur les affiches des manifestants et, à ma connaissance, il n’a jamais eu de battements de cœur.

Est-il donc sensé que je pleure la mort d’un bébé que je n’ai connu que par des tests de grossesse positifs, des nausées et un ventre légèrement gonflé ?

Certains diront qu’il importe peu que mon bébé ait été une personne dotée d’une âme. Ils me rassureraient en me disant qu’en fin de compte, c’est ma « conception de la grossesse » et mon attachement personnel au fœtus qui importent, et non une quelconque réalité objective sur la valeur de celui-ci. Mais pour moi, il est impossible d’échapper à la question de la personnalité de cet enfant. Ce que je crois et le réconfort que j’y trouve ont une portée bien plus vaste qu’une simple expérience subjective et le soulagement émotionnel que l’on pourrait espérer y trouver.

L’espérance chrétienne se fonde sur la personne du Christ, brisée non pas dans mon imagination, mais réellement, corporellement, pour moi. Le cœur de Jésus a réellement recommencé à battre dans le tombeau le troisième jour, de même que nos corps seront réellement ressuscités impérissables au dernier jour (1 Co 15.51-54). Le christianisme affirme que l’une des implications de la rupture avec Dieu est la réalité de la mort physique qui m’atteint de l’intérieur et dont je fais l’expérience par les crampes, les saignements et les pleurs : « Mon bébé, mon bébé ». La foi chrétienne m’assure aussi que, tout comme mon chagrin correspond bien à une réalité, il en va de même de mon espérance : le Créateur tient vraiment mon bébé entre ses mains, il le voit et s’en préoccupe, et il l’emmènera au-delà du voile dans l’éternité.

C’est aussi à travers le chagrin et le réconfort des autres que je trouve la permission de vivre mon deuil.

« Pax me manque », me dit mon mari en employant le nom que nous avons fini par donner à notre bébé. Mon beau-père pleure notre perte. Ma mère me dit que Pax sera toujours son petit-enfant. Les membres de l’église qui espéraient avec nous de meilleures nouvelles déposent maintenant à notre porte des pieds de porc au vinaigre noir, de la soupe de poulet au gingembre et de la bouillie de haricots rouges sucrée — les plats chinois associés à la période du post-partum. Ce faisant, ils reconnaissent le poids que la grossesse a fait peser sur moi. En soignant mon corps, ils soignent mon cœur. Chaque personne qui reconnaît notre perte nous dit : Vous avez raison. Votre tristesse est justifiée.

Si chaque vie humaine commence au moment de la conception et si chaque personne est faite à l’image de Dieu (Gn 1.27 ; Jc 3.9), alors nous qui avons perdu des bébés dans le ventre de leur mère avons raison d’en être attristés.

Mais même dans une église qui affirme que la vie commence à la conception, certaines idées intégrées peuvent subtilement nous empêcher de pleurer avec celles qui font des fausses couches.

Il peut être tentant d’offrir de fausses assurances pour l’avenir (« Tu seras de nouveau enceinte ») ou de proposer des raisons pour lesquelles la fausse couche aurait pu être une bonne chose (« C’est mieux que si le bébé était né avec une maladie génétique »). Il arrive parfois même que l’on malmène les parents en faisant reposer sur eux la responsabilité de ce qui est arrivé (« Tu as désobéi à Dieu » ou « Tu n’as pas pris soin de ton corps »). Ces réactions ne reconnaissent pas la réalité et le poids de notre perte ni le caractère personnel des bébés que nous pleurons.

Si les bébés que nous avons perdus étaient vraiment des bébés, alors les chrétiens doivent pleurer avec ceux qui pleurent (Rm 12.15), avec tendresse et sensibilité pour chaque souffrance individuelle. L’Église doit être résolument pro-vie dans ce domaine. Si nous reconnaissons le statut de personne des enfants dans le ventre de leur mère, nous ne sommes pas simplement appelés à nous opposer à l’avortement, mais aussi à nous associer à la douleur de celles et ceux qui souffrent de la perte d’une grossesse, qu’elle qu’en soit la raison.

Nombreuses sont celles qui, parmi nous, ont perdu un bébé à cause d’une fausse couche ou ont vu leur enfant mort-né. D’autres ont le cœur brisé à cause de bébés perdus à la suite d’avortements, ceux qu’elles n’ont pas pu empêcher ou qu’elles ont choisis et regrettent aujourd’hui. Dans une culture qui compatit à la perte d’une grossesse, mais ne reconnaît pas la plénitude de ce qu’elle implique, les chrétiens peuvent faire la différence dans l’accompagnement de cette souffrance. Nous disposons d’une base solide pour offrir réconfort, espoir et guérison.

Dans les semaines et les mois qui ont suivi ma fausse couche, j’ai pu échanger avec d’autres femmes qui avaient vécu une expérience semblable. Certaines sont des femmes âgées qui, dans leur pays d’origine, n’ont pas grandi dans le contexte d’un enseignement chrétien sur les débuts de la vie. Nombre d’entre elles n’avaient jamais entendu quelqu’un leur affirmer que les bébés qu’elles avaient perdus étaient des personnes. Pour moi comme pour elles, il y avait donc quelque chose de thérapeutique à pouvoir aujourd’hui parler ouvertement de ces enfants.

« Moi aussi j’ai un enfant au ciel », m’a dit une mère. « Tu crois vraiment que ton enfant est avec Dieu ? », m’a demandé une autre. Elle m’interrogeait à propos de Pax, mais elle pensait à sa propre tristesse, aux bébés qu’elle me dira plus tard qu’elle avait aussi perdus.

Est-ce que je crois que mon bébé est avec Dieu ? Oui, lui ai-je répondu sans hésiter. Je le crois.

Faith Chang est l’autrice de Peace over Perfection: Enjoying a Good God When You Feel You’re Never Good Enough. Elle est membre de la Grace Christian Church de Staten Island et du comité de rédaction du réseau SOLA.

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