Oui, le charisme a sa place en chaire

Mais il ne doit pas être confondu avec l’appel.

Christianity Today June 26, 2024
Illustration de Tim McDonagh

Le charisme connaît des temps difficiles dans l’Église. Beaucoup s’en méfient aujourd’hui très nettement. Et les lézardes apparaissent déjà depuis un certain temps. Il y a neuf ans, bien avant qu’Oxford University Press ne fasse de rizz le mot de l’année 2023 (un terme argotique anglais désignant le type de charisme qui inspire l’attirance romantique), Rick Warren affirmait que « le charisme n’a absolument rien à voir avec le leadership ».

Mais nous savons tous que les choses sont un peu plus compliquées que cela.

Nous aimons être conduit par des individus à la personnalité dynamique. Nous sommes attirés par eux, dans l’Église et en politique. Pour le meilleur ou pour le pire, le charisme est un facteur non négligeable. Le leader charismatique est un trait commun à l’histoire des débuts de nombreuses organisations et dénominations chrétiennes (et non chrétiennes). De nombreux mouvements trouvent leur origine dans une personnalité plus grande que nature, dotée d’une grande ambition pour Dieu et dont l’efficacité semble due autant à la personnalité qu’à l’appel de Dieu.

Par exemple, l’Écriture raconte que Saül, le premier roi d’Israël, était « était jeune et beau, plus beau que tous les Israélites, et […] les dépassait tous d’une tête » (1 S 9.2). L’apparence physique de Saül laisse penser qu’il serait un roi idéal.

L’expérience ultérieure prouvera le contraire. Lorsque le prophète Samuel cherche le successeur de Saül parmi les fils de Jessé, le Seigneur l’avertit de ne pas se laisser influencer par de telles choses. « Ne prête pas attention à son apparence et à sa grande taille, car je l’ai rejeté. En effet, l’Éternel n’a pas le même regard que l’homme : l’homme regarde à ce qui frappe les yeux, mais l’Éternel regarde au cœur. » (1 S 16.7)

Cependant, lorsque David est amené devant lui, 1 Samuel 16.12 souligne : « Le jeune homme avait le teint clair, un regard franc et une mine agréable. » (NFC)

Le charisme, comme la beauté, se trouve dans l’œil de celui qui regarde. Le charisme a donc une dimension culturelle. L’une des raisons pour lesquelles 1 Samuel insiste sur l’apparence physique de Saül et de David est que le roi était aussi un guerrier. Le peuple voyait en lui un libérateur (1 S 8.19-20). La taille de Saül et la santé de David ont contribué à leurs prouesses au combat et leur donnaient une apparence royale.

Cependant, l’Écriture est claire : les succès qu’ils ont connus n’étaient pas dus qu’à leurs dons naturels. Ce qui était en cause était le « charisme » au sens plus théologique du terme. Ils ont réussi parce que le Saint-Esprit est descendu sur eux avec puissance (1 S 10.10 ; 11.6 ; 16.13).

Puis tous deux ont commis des péchés qui ont été exposés aux yeux de tous. Les faillites similaires de leaders charismatiques contemporains ont fait la une de certains journaux et ont alimenté podcasts et documentaires. Leurs histoires nous rappellent brutalement que le charisme, comme la beauté, n’est parfois que superficiel.

Mais leurs trajectoires familières prouvent aussi que le charisme donne une sorte de pouvoir, qu’on le veuille ou non. Son origine reste cependant incertaine. S’agit-il d’une autorité qui vient de Dieu ? Ou simplement d’un produit de la chair ?

L’histoire a connu de nombreux leaders charismatiques. Mais cet idéal a été particulièrement mis en avant par le sociologue du 20e siècle Max Weber.

S’appuyant sur l’idée biblique que la capacité à diriger est un don de Dieu (Rm 12.8), Weber définit le charisme comme « une qualité certaine d’une personne individuelle en vertu de laquelle elle est distinguée des hommes ordinaires et traitée comme dotée de pouvoirs ou de qualités surnaturels, surhumains ou, du moins, spécifiquement exceptionnels ». Pour Weber, l’essence du charisme réside dans la force de la personnalité d’un leader qui incite les autres à le suivre.

Selon lui, une forte personnalité n’est pas le seul élément qui rend une personne charismatique. Le charisme est le résultat d’un ensemble de traits, dont la sainteté de caractère. Selon la définition de Weber, la combinaison qui constitue le véritable charisme est rare.

Si une définition sociologique du charisme le présente comme « le pouvoir par la personnalité », l’emploi biblique du terme situe le pouvoir ailleurs. Le charisme, dans les Écritures, est la puissance de l’Esprit saint accordée par la grâce du Christ. Cette capacité donnée par Dieu se manifeste à travers la personnalité (voire parfois en dépit de celle-ci). Dans cette définition biblique, la personnalité est un moyen par lequel la puissance de Dieu se manifeste, et non la source de cette puissance.

À cet égard, tout leadership est charismatique, car le leadership est un don de Dieu (l’étymologie grecque du mot charisme désigne un don). Non seulement la capacité d’exercer la direction est un don accordé à certains individus, mais ces individus sont eux-mêmes des dons accordés à l’Église (Ep 4.7-13).

Ce « charisme » spirituel n’est toutefois pas réservé à une poignée de personnes dans l’Église. « À chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour le bien de tous. » (1 Co 12.7) L’Église a des responsables, mais sa santé et son succès ne dépendent pas uniquement d’eux.

Les conducteurs de l’Église — ceux qui exercent les dons spirituels en son sein ainsi que ceux qui remplissent les fonctions et les tâches nécessaires à l’accomplissement de sa mission — contribuent tous à la direction charismatique de l’Église par le Saint-Esprit.

La faillite publique de nombreux leaders dynamiques nous rappelle qu’il est dangereux de trop se fier à un individu, y compris nous-mêmes.

Lorsque Jethro, le beau-père de Moïse, voit celui-ci entouré du peuple pour juger leurs différends du matin au soir, il comprend rapidement la folie d’un tel modèle de leadership : « Ce que tu fais n’est pas bien. Tu vas t’épuiser toi-même et tu vas épuiser ce peuple qui est avec toi. En effet, la tâche est trop lourde pour toi, tu ne pourras pas la mener à bien tout seul. » (Ex 18.17-18) La solution de Jethro consiste alors à répartir la charge en partageant la responsabilité de l’exercice de la justice avec d’autres.

Dieu semble avoir approuvé la sagesse de Jéthro lorsqu’il a lui-même pris de l’Esprit qui était sur Moïse pour le placer sur les anciens d’Israël (Nb 11.17).

Cette action n’anticipait pas seulement la charge partagée de la direction que nous observons dans l’Église du Nouveau Testament ; elle préfigurait également l’effusion plus large de l’Esprit le jour de la Pentecôte. Tout le monde dans l’Église n’est pas appelé à être un leader. Mais nous avons tous reçu le don de l’habitation de l’Esprit (Rm 8.9).

Si la capacité de diriger est en fin de compte attribuable à l’Esprit saint, quel rôle joue la personnalité ? Est-elle un avantage ou un obstacle ?

Il semble que beaucoup imaginent que le meilleur style de leadership est celui où la personnalité disparaît. Comme je l’ai écrit dans Preaching Today, cette réserve à l’égard de la personnalité résonne notamment dans une prière que j’ai souvent entendue prononcée avant un sermon. Quelque chose comme : « Que mes paroles soient oubliées, afin que l’on ne se souvienne que de ce qui vient de toi. » De telles prières sont bien intentionnées, mais manquent leur but, notamment parce qu’il n’y a généralement guère besoin d’un acte de Dieu pour oublier ce que dit le prédicateur.

Dans une série de conférences données aux étudiants de Yale, Phillips Brooks, maître de chapelle du 19e siècle, définissait la prédication comme la communication de la « vérité à travers la personnalité ». Pour Brooks, la personnalité ne se résume pas à un style personnel. Il s’agit du caractère, des affections, de l’intellect et de l’être moral du prédicateur. Il est question de l’action de Dieu sur l’ensemble de la personne.

Le leadership fonctionne de la même manière. Les qualifications pour le leadership décrites dans 1 Timothée 3 et Tite 1 se concentrent sur le type de personne considérée plus que sur les tâches qu’elle doit accomplir.

La personnalité joue un rôle important dans le leadership. Une étude menée par Warren Bird et Scott Thumma sur certaines des plus grandes églises américaines affirme que « dans l’ensemble, les pasteurs des grandes églises sont des serviteurs au long cours de leurs églises » — et non les personnalités abusives ou les criminels que les journaux nous ont appris à soupçonner. « Ils permettent à l’église de se concentrer sur la vitalité spirituelle, d’avoir un objectif clair et de vivre cette mission. »

La majorité de ces églises ont connu une croissance significative grâce au ministère d’un pasteur charismatique qui a servi la communauté pendant 22 ans en moyenne.

D’autres recherches suggèrent que certains facteurs de personnalité — la capacité à inspirer, l’assertivité et l’agréabilité — favorisent le travail d’implantation d’églises.

Dieu agit à travers la nature des personnes comme il le fait à travers les processus naturels. Il peut envoyer du pain du ciel, mais il fournit surtout de la nourriture par les plantations et les cultures. Il peut guérir instantanément par un miracle, mais il le fait plus souvent par l’intermédiaire des médecins et de leurs compétences. Le Christ a doté l’Église de personnalités douées qui enseignent, dirigent et administrent, et c’est ainsi qu’il travaille habituellement.

Il reste indéniable que le charisme personnel peut être un handicap comme un atout. Une étude de 2018 a montré que plus les leaders ont du charisme, plus ils sont perçus comme efficaces par ceux qui les suivent. Mais cela n’est vrai que jusqu’à un certain point. La difficulté consiste à déterminer le degré de charisme nécessaire.

Comment un responsable peut-il savoir qu’il est passé d’une saine confiance en soi à l’excès de confiance ? Malheureusement, il semble que cette leçon s’apprend généralement dans les échecs.

Les personnalités charismatiques peuvent être égoïstes et narcissiques. Pourtant, aucune église à la recherche d’un pasteur ne se dit : « Engageons un crétin prétentieux ! » De même, personne ne cherche une église en se disant « Où pourrais-je bien trouver un pasteur abusif ? » Nous sommes attirés par les leaders narcissiques parce qu’ils sont séduisants.

Les leaders narcissiques ont une présence. Ils sont passionnants. Ils promettent de grandes choses. Nombre d’entre eux produisent des résultats impressionnants, du moins pendant un certain temps. Les églises qui espèrent un leader messianique peuvent être attirées par le style narcissique qui accompagne souvent le leadership charismatique. Elles tolèrent alors les abus, espérant que le pasteur les conduira vers la terre promise du succès ecclésial.

Comme toute relation de codépendance, celle-ci repose sur un système dysfonctionnel de récompenses. Les communautés acceptent les comportements narcissiques parce qu’elles obtiennent quelque chose de ces responsables. Cela peut par exemple être la montée d’adrénaline offerte par une personnalité s’exprimant avec force dans la prédication. Souvent, il s’agit d’une capacité à attirer les foules.

Les églises qui tolèrent les abus des leaders narcissiques craignent souvent que personne d’autre ne soit en mesure de produire des résultats similaires. Ou bien elles craignent que le départ du pasteur ne nuise à la fréquentation. Plus l’église est grande, plus il peut être difficile de se désengager, car les enjeux sont énormes. Ces communautés finissent trop souvent par développer des écosystèmes qui renforcent les abus.

Les narcissiques s’entourent de personnes qui les font se sentir spéciaux. Ce cercle restreint éprouve un frisson par procuration en étant associé au leader. Cette association s’accompagne souvent d’avantages ou d’un traitement spécial, même s’il ne s’agit que d’un accès à une célébrité perçue. Il en résulte une boucle de codépendance qui aveugle les personnes chargées de demander des comptes au narcissique, ce qui les rend complices de l’abus.

Les leaders narcissiques sont généralement des tyrans. Ils développent des cultures organisationnelles marquées par la peur et la punition. Ils utilisent le pouvoir de leur position spirituelle pour faire taire tous ceux qui les contestent. Ils créent une culture qui muselle les objections et pénalise les opposants.

La contestation des dirigeants narcissiques a toujours un coût. Les membres de l’Église qui remettent en question leurs programmes ou leurs pratiques sont accusés de semer la discorde et de saper le plan de Dieu. Dans une mauvaise application de 1 Samuel 26.9 et 11, certains avertissent ceux qui critiquent le pasteur de ne pas « porter la main sur l’oint du Seigneur ». Les menaces et les représailles sont qualifiées de « discipline ecclésiastique ».

Weber décrit le processus de la manière suivante : « Le peuple choisit un dirigeant en qui il a confiance. Le dirigeant choisi dit alors : “Maintenant, taisez-vous et obéissez-moi.” » Cette approche ressemble à s’y méprendre à la philosophie de nombreux responsables d’église de premier plan. Leur forte personnalité les a rendus célèbres, mais leur le style intimidant les a ensuite conduits à la chute.

Comment trouver la personnalité idéale pour nous conduire ? Vous entendez peut-être là l’une de ces questions d’école du dimanche auxquelles la réponse est toujours « Jésus ». Bien que la Bible définisse des normes de caractère pour les responsables d’église, nous ne trouvons pas un seul type de personnalité présenté comme idéal, que ce soit par un exemple raconté ou un commandement explicite.

La Bible offre toutes sortes de portraits de leaders importants et imparfaits. Moïse n’est pas David, qui n’est pas Paul. Il ne semble pas que l’Esprit façonne ceux que Dieu utilise comme leaders en les faisant adopter ou délaisser un seul type de personnalité. Les extravertis, les introvertis, les planificateurs minutieux, les intuitifs, les personnalités dynamiques et les personnes plus en retrait semblent tous avoir leur place.

De même, le choix des apôtres par Jésus ne révèle guère un type apostolique unique. Pris ensemble, ses disciples semblent être un groupe improbable venant d’horizons radicalement différents et ayant des valeurs et des idéaux contradictoires — à l’exception peut-être d’une tendance commune à passer à côté de l’essentiel. Ils étaient pêcheurs, zélotes, séparatistes et collaborateurs des Romains. Cela contredit l’uniformité que l’on observe souvent dans les descriptions de la personnalité idéale du responsable.

Même s’il existe un profil de personnalité commun aux leaders charismatiques, la plupart des leaders de la Bible n’entrent pas dans cette catégorie.

Prenons l’exemple de Paul et d’Apollos. Aujourd’hui, nous connaissons beaucoup mieux le travail de Paul que celui d’Apollos. Mais lorsqu’ils étaient en vie, Apollos semble s’être attiré plus de suffrages. De l’avis général, il avait du charisme. Originaire de la grande ville d’Alexandrie, Apollos était « un homme éloquent et versé dans les Écritures » et « plein de ferveur » (Ac 18.24-25). Ces caractéristiques lui ont gagné une audience dans l’église de Corinthe (1 Co 3.4).

Paul avait aussi des disciples à Corinthe. Mais pour certains, le charisme de Paul se limitait à ses lettres. « Ses lettres sont sévères et fortes — dit-on — mais quand il est présent, il est faible et sa parole est méprisable. » (2 Co 10.10)

Ceux qui sont appelés à une même tâche ne l’accomplissent pas forcément de la même manière. Les exemples de responsables tels que Moïse, Pierre et Paul montrent que Dieu prépare les diverses personnalités aux tâches auxquelles celles-ci seront appelées. Je suis convaincu que cette préparation intègre des déficits, mais aussi des forces. Dieu appelle les insensés, les faibles, les méprisés et les timides (1 Co 1.26-29).

Un leadership de qualité dépend du charisme au sens large et biblique du terme. C’est un don que Dieu accorde par son Esprit. Les capacités de direction, ainsi que les responsables eux-mêmes, sont donnés par Dieu, tout comme ils l’étaient dans la Bible. La personnalité des responsables contemporains peut être aussi variée que celle de tous ceux dont nous parlent les Écritures, et tout aussi imparfaite.

Nous préférerions probablement avoir Jésus seul à notre tête. Nous aspirons peut-être à expérimenter un mouvement dont la seule impulsion viendrait de l’Esprit et non d’une réponse à la personnalité de quelqu’un.

Une telle chose est certainement possible, mais ce n’est pas la norme. La plupart du temps, Dieu agit par l’intermédiaire de personnes. Là où il y a des gens, la personnalité entre toujours en ligne de compte. Le Verbe qui n’a « pas redouté la matrice de la Vierge », comme le dit l’antique Te Deum, choisit aussi de se révéler à travers la personnalité de ses serviteurs.

Les faillites spectaculaires de tant de responsables de premier plan devraient nous inciter, en tant que chrétiens, à ne pas accorder trop d’importance à la personnalité d’un seul individu. L’Église n’a pas de place pour les cultes de la personnalité. Il n’y a qu’un seul Messie pour le peuple de Dieu, et son nom est Jésus.

Mais cela ne doit pas nous faire craindre la personnalité elle-même. La personnalité peut être déformée par le péché, mais elle est aussi le principal moyen choisi par Dieu pour manifester son image dans nos vies. La personnalité n’est pas un handicap en matière de leadership. Elle est le visage de l’âme.

John Koessler est écrivain, podcasteur et professeur émérite retraité du Moody Bible Institute. Son dernier livre s’intitule When God Is Silent, publié par Lexham Press.

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