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Les arbres nous enseignent sur la vie, la mort et la résurrection

En dehors de Dieu et des humains, ce sont les êtres vivants les plus souvent mentionnés dans la Bible.

Christianity Today July 9, 2024
Veeterzy / Unsplash

J’ai toujours aimé les arbres. J’aime leur aspect, leur ombrage, le bruit du vent dans leurs feuilles et le goût de tous les fruits qu’ils produisent. Dès mon enfance, j’ai commencé à planter des arbres avec mon père et mon grand-père. Depuis, je continue. Un jour, alors que je me formais pour devenir médecin, ma femme et moi avons planté des arbres dans toute la rue où nous habitions. Mais il y a une douzaine d’années, lorsque j’ai proposé de planter des arbres dans notre église, l’un des pasteurs m’a rétorqué que j’avais une théologie de « câlineur d’arbres ». Ce n’était pas un compliment.

L’église était plutôt conservatrice. Elle croyait que l’Écriture était la Parole inspirée et inerrante de Dieu. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous étions là. Comme me l’avait dit un membre, « une fois que l’on s’engage sur la pente glissante du libéralisme, qui sait où l’on aboutit ».

Ma première réaction au commentaire du pasteur a été de me dire : « J’ai peut-être tort. Peut-être que Dieu ne se soucie pas des arbres. »

À l’époque, toute notre famille était novice en matière de foi chrétienne. Ma fille n’avait pas encore épousé un pasteur. Mon fils n’était pas pédiatre missionnaire en Afrique, et je n’avais pas encore écrit de livres de théologie ni prêché dans plus d’un millier d’universités et d’églises à travers le monde. Que savais-je de la théologie des arbres ?

Mais depuis que j’avais découvert l’Évangile, dans ma quarantaine, la Bible était ma boussole. Lorsque l’on m’a qualifié de « câlineur d’arbres », je me suis tourné vers les Écritures pour m’y retrouver.

Dieu aime les arbres

Mis à part les humains et Dieu, les arbres sont les êtres vivants les plus mentionnés dans la Bible. On les trouve dans le premier chapitre de la Genèse (v. 11-12), dans le premier psaume (Ps 1.3) et à la dernière page de l’Apocalypse (22.2). Comme pour souligner l’importance de tous ces arbres, la Bible parle de la sagesse comme d’un arbre (Pr 3.18).

Chaque personnage important et chaque événement théologique majeur de la Bible est associé à un arbre. La seule exception à ce schéma est Joseph, à qui l’Écriture adresse cependant ce très beau compliment : Joseph est un arbre (Gn 49.22). Jérémie exhorte d’ailleurs tous les croyants à être comme un arbre (17.7-8).

La seule description physique de Jésus dans la Bible se trouve dans Ésaïe. « Vous voulez reconnaître le Messie quand il arrivera ? », demande le prophète. « Cherchez l’homme qui ressemble à un petit arbre poussant sur une terre stérile » (53.2, paraphrase de l’auteur).

Vous appréciez la beauté des arbres ? Vous êtes en bonne compagnie. Dieu aime aussi les arbres. En surlignant chaque phrase contenant un arbre dans les trois premiers chapitres de la Genèse, on peut se faire une idée assez précise de ce que Dieu pense à leur propos. Près d’un tiers de ces phrases mentionnent un arbre.

Genèse 2.9 déclare que les arbres sont « agréables à l’œil ». Et leur valeur esthétique est constamment réaffirmée d’un bout à l’autre de la Bible. Que Dieu enseigne à son peuple comment fabriquer des chandeliers (Ex 25.31-40), de quels motifs orner le temple (1 Rois 6) ou comment ourler la robe du grand prêtre (Ex 28.34), la beauté de l’arbre (et de ses fruits) sert de modèle. Si l’on recherche le siège le plus confortable d’une maison aujourd’hui, il y a de fortes chances qu’il se trouve face à la télévision. Au ciel, le trône de Dieu fait face à un arbre (Ap 22.2-3).

En Genèse 2, Dieu fait deux choses de ses propres mains. Tout d’abord, il forme Adam et insuffle le souffle de vie dans ses narines (v. 7). Puis, Dieu se retourne et plante un jardin (v. 8). C’est là, sous les arbres, que Dieu place tendrement Adam, lui confiant la tâche de « cultiver » et « garder » ce jardin (v. 15). Les arbres ont eux reçu de Dieu leurs propres tâches. Il les charge de maintenir les humains en vie (Gn 1.29), de leur donner un endroit où vivre (Gn 2.8) et de leur fournir la nourriture nécessaire (v. 16).

Curieusement, les Écritures décrivent régulièrement les arbres comme des êtres qui communiquent. Ils battent des mains (Es 55.12), poussent des cris de joie (1 Ch 16.33) et se disputent même (Jg 9.7-15). Ce qui rend cette observation particulièrement surprenante, c’est que des créatures qui communiquent manifestement, comme les poissons ou les oiseaux, sont pratiquement muettes dans la Bible. Depuis des milliers d’années que les gens lisent la Bible, la chose est passée pour une simple tournure poétique. Mais au cours des deux dernières décennies, les scientifiques spécialistes des arbres ont découvert quelque chose de fascinant à leurs propos : les arbres communiquent vraiment. Ils comptent, partagent des ressources et discutent entre eux à l’aide de tout un réseau que l’on a surnommé le « Wood Wide Web ».

Une forêt qui disparaît

Malgré la véritable forêt d’arbres des Écritures, la plupart de nos contemporains n’ont jamais entendu de prédication sur ceux-ci. Tel n’a pas toujours été le cas. Un coup d’œil sur quelques titres de sermons de Charles Spurgeon vous donnera une idée de ce que les gens entendaient en chaire entre le milieu et la fin des années 1800 : « Christ, l’arbre de vie », « L’arbre dans la cour de Dieu », « Les cèdres du Liban », « Le pommier dans les bois », « La beauté de l’olivier », « Le bruit dans les mûriers », « L’arbre sans feuilles », etc. Spurgeon, le « prince des prédicateurs », n’avait aucune difficulté à voir la forêt et ses arbres dans les Écritures.

Non seulement les arbres ont disparu de nos sermons, mais ils disparaissent également de nos bibles. Sur mon étagère se trouve une bible d’étude King James, publiée à l’époque de Spurgeon, qui contient plus de 20 pages sur le sujet des arbres et des plantes, y compris de nombreuses illustrations d’arbres en pleine page. La version actualisée en 2013 de cette bible ne contient plus toutes ces pages de commentaires. Dans l’index, elle ne mentionne que trois références sous « arbre » ; l’index d’une autre bible d’étude de mon étagère, encore plus récente, ne contient aucune entrée relative aux arbres.

Si les arbres étaient autrefois monnaie courante dans les sermons et les bibles d’étude, ils étaient également présents dans la littérature chrétienne. En remontant à il y a plus de mille ans en arrière, dans l’une des plus anciennes œuvres de la littérature anglaise, Le Rêve de la Croix, on découvre par exemple le récit de la Passion raconté du point de vue d’un arbre.

Même à une époque plus récente, des auteurs de fiction chrétiens comme George MacDonald, J. R. R. Tolkien et C. S. Lewis ont enraciné dans les arbres bien des aspects de leur théologie biblique. Qu’il s’agisse de l’image du paradis de MacDonald dans At the Back of the North Wind, de la Lothlórien de Tolkien dans la Terre du Milieu, ou de la réaction des arbres lorsqu’Aslan se déplace dans la Narnia de Lewis, chacun a associé aux arbres l’idée du shalom de Dieu. Les justes vivent sous, dans et autour des arbres. Ils valorisent les arbres, les protègent et leur parlent même. En revanche, des personnages maléfiques comme le Tash de Lewis ou le Sauron de Tolkien coupent les arbres — même les arbres qui parlent !

Comment expliquer la disparition progressive des arbres de l’imaginaire chrétien moderne ? Les raisons sont nombreuses et complexes, mais elles sont très probablement liées à la résurgence de l’hérésie dualiste du premier siècle : le monde créé par Dieu est mauvais, et seules les choses spirituelles reflètent la gloire de Dieu. L’un des principaux travers de cette philosophie est qu’elle dénigre toutes les choses que Dieu a appelées « bonnes » dans la création. Pour paraphraser ce que dit Paul aux Romains, vous n’avez aucune excuse pour ne pas croire en Dieu si vous vous êtes promené dans les bois. À travers la nature, nous sommes confrontés à des preuves indubitables de la puissance et de la gloire de Dieu (voir Rm 1.19-20). Si les arbres et le reste du monde créé par Dieu n’étaient que corruption, l’affirmation de Paul serait erronée.

Retrouver l’Arbre de vie

Le problème avec le fait de retirer les arbres de notre théologie, c’est que ce n’est pas sans raison que Dieu les a placés dans l’Écriture. Il y avait deux arbres au centre du jardin d’Eden. L’un, l’Arbre de vie, représentait le lien de l’humanité avec le divin et l’éternel. L’autre, l’Arbre de la connaissance du bien et du mal, représentait l’autonomie de l’humanité et sa possible rébellion. Lorsqu’Adam et Ève ont mangé du mauvais arbre, ils ont essayé de couvrir leur crime en se servant de ces mêmes arbres dont ils étaient chargés de prendre soin (Gn 2.15 ; 3.7). Puis ils ont couru se cacher derrière eux (Gn 3.8). Le chapitre 3 de la Genèse se termine par le bannissement d’Adam et Ève du jardin. Qu’est-ce donc que la Bible, alors, sinon l’histoire de Dieu répondant au besoin de l’humanité de recevoir un Sauveur qui la ramène à l’Arbre de vie ?

Sans les arbres de la Bible, les eaux de Mara seraient restées amères (Ex 15.25), le géant de Gath ne se serait peut-être pas laissé prendre (1 Sa 17.43), et David aurait manqué son appel au combat (1 Ch 14.15). Déborah n’aurait pas eu de lieu pour juger Israël (Juges 4:5), et Dieu n’aurait pas appelé son peuple à être des chênes de justice (Es 61.3). Il n’y aurait pas eu d’amandiers (Luz, rebaptisé Béthel, signifie amandier) pour que Jacob s’endorme et rêve d’une échelle de bois joignant ciel et terre (Gn 28.10-19), et Job n’aurait pas associé arbres et résurrection (Job 14.7). Plus important encore, c’est au moyen d’arbres que nous comprenons la rupture entre Dieu et l’humanité et la mort expiatoire de Jésus.

Ésaïe avait prédit que le peuple de Dieu ne remarquerait pas le « tendre rameau » qu’il avait planté pour son salut (Es 53.2). On peut voir un accomplissement de cette prédiction dans le premier chapitre de l’Évangile de Jean. Philippe se rend auprès de Nathanaël et lui dit : « Nous avons trouvé celui que Moïse a décrit dans la loi et dont les prophètes ont parlé : Jésus de Nazareth, fils de Joseph. » (Jn 1.45) Nathanaël lui fait cette fameuse réponse : « Peut-il sortir quelque chose de bon de Nazareth ? » « Viens et vois », l’exhorte Philippe (v. 46). Voyant Nathanaël s’approcher, Jésus dit : « Voici vraiment un Israélite en qui il n’y a pas de ruse. » (v. 47) Jésus aurait pu tout aussi bien dire : Voici un Israël (celui qui a lutté avec Dieu et qui a persévéré) en qui il n’y a plus de Jacob (trompeur). Nathaniel a certainement bien reçu le compliment.

Jésus dit alors avoir auparavant vu Nathanaël sous un figuier (Jn 1.48). La Bible ne rapporte pas ce qu’il y faisait, mais la simple mention de cette circonstance permet à Nathanaël de savoir sans l’ombre d’un doute que Jésus est le Messie. Nathanaël avait-il supplié le Seigneur de voir le Messie de son vivant ? Peut-être même rappelait-il à Dieu son étude des prophètes pour tenter de reconnaître le Messie.

Mais Nathanaël avait oublié les paroles du prophète Ésaïe : « Il a grandi devant lui comme une jeune plante, comme un rejeton qui sort d’une terre toute sèche. Il n’avait ni beauté ni splendeur propre à attirer nos regards, et son aspect n’avait rien pour nous plaire. » (53.2) Comme l’avait prédit Ésaïe, quelque chose de grand allait sortir d’une ville dont le nom évoque justement un jeune arbre : Nazareth !

Jésus poursuit en disant à Nathanaël qu’il verra l’échelle dont Jacob avait rêvé des siècles auparavant : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. » (Jn 1.51) Quoi qu’en ait perçu Nathanaël, le plan de sauvetage qui se mettait en route impliquait bien des arbres et leur bois.

Il n’est donc pas surprenant que Jésus ait parlé d’arbres déracinés et jetés à la mer par la foi (Lc 17.6). Il n’est pas non plus surprenant qu’il ait parlé de ses disciples portant du fruit (Jn 15.8) ou qu’il leur ait demandé de demeurer en lui, comme des sarments attachés à une vigne vivifiante (15.4-6). Comme le dit Paul, les croyants sont comme une branche ou un rejeton greffé sur un arbre (Rm 11.17-18).

Jésus était un charpentier solide, du genre à soulever tout seul de lourdes planches. Il ne se laissera pas aisément abattre. Dès sa naissance, ses ennemis ont cherché à s’en débarrasser. Ils ont essayé de le tuer alors qu’il était bébé (Mt 2.16-18), de le lapider (Jn 10.31-39) et de le jeter du haut d’une falaise (Lc 4.29), mais cela n’a pas fonctionné. Jésus pouvait rester 40 jours sans manger, monter sur le ring avec l’adversaire le plus coriace de la planète et en sortir vainqueur après trois rounds (Mt 4.1-11). Il ne servait à rien non plus d’essayer de le noyer. Il s’en serait aussi tiré (Mt 14.22-33).

Non, la seule chose qui pouvait faire du mal au charpentier de Nazareth était un arbre. Pourquoi ? Car celui qui est pendu à un arbre est maudit (Dt 21.23, Ga 3.13), pas celui qui est poignardé, lapidé ou brûlé. (Il est à noter qu’en hébreu le même mot désigne à la fois la potence et l’arbre.) Sans arbres, il n’y aurait pas de résurrection, pas de bonne nouvelle au matin de Pâques. La croix est en réalité un arbre de vie tronçonné par le péché de l’homme. Pourtant, le sang de Jésus a transformé un arbre mort, utilisé comme instrument de torture par les Romains, en un symbole de vie éternelle, nouvel Arbre de vie. Jésus est l’Arbre de vie, et un jour ses disciples mangeront des feuilles de cet arbre et seront guéris (Ap 22.2, 14).

Un nouveau type de porte

J’ai commencé ma vie comme charpentier. Je n’ai jamais vraiment arrêté. Au cours des dernières années, j’ai entièrement réaménagé la maison dans laquelle je vis. Les portes, les sols, et tout le reste.

L’un des aspects du travail de menuiserie qui fait la différence entre le bricoleur du dimanche et l’artisan est la pose de portes massives à partir de zéro. Les portes sont remarquablement similaires d’une époque à l’autre et d’une culture à l’autre. Elles sont suspendues à des charnières et se ferment sur un montant. Comme dans l’Exode, ces deux poteaux latéraux sont surmontés d’un linteau (Ex 12.22). Lorsque le sang de l’agneau de la Pâque a été appliqué sur ces trois planches, la porte s’est comme verrouillée et l’ange de la mort n’a pas pu entrer.

Lors d’une célébration de cette même Pâque, il y a 2 000 ans, Jésus a ouvert une nouvelle porte d’un type très inhabituel, assurément étroite. Contrairement à toutes les autres portes qui nécessitent trois planches, celle-ci n’en emploie que deux : une verticale et une horizontale. Lorsque le sang de Jésus a été appliqué sur ces deux morceaux de bois croisés, la porte du ciel s’est ouverte. Il n’y avait pas d’autre moyen de la déverrouiller.

Je crois que la Bible contient toute une forêt d’arbres parce que les arbres nous enseignent la nature de Dieu. Comme un arbre, Dieu donne constamment. Les arbres ont donné la vie bien avant que les êtres humains n’aient la moindre idée de l’existence de l’oxygène. Les arbres sont source de vie, de beauté, de nourriture et d’ombre. Le bureau sur lequel j’écris est fait d’érables morts. Il n’est pas étonnant que Dieu utilise les arbres pour nous instruire sur la vie, la mort et la résurrection. Les arbres, comme Dieu, donnent la vie même au-delà de leur mort.

On pourrait penser que Jésus en aurait voulu aux arbres après sa crucifixion. Mais tel ne semble pas être le cas. Le matin de Pâques, lorsque Marie est descendue déposer des fleurs sur le tombeau, les yeux rougis par les pleurs, elle a levé les yeux et a vu Jésus. Elle ne l’a pas pris pour un soldat, un fonctionnaire ou un commerçant. Elle l’a pris pour un jardinier (Jn 20.15). Ce n’était pas une erreur. Jésus est le nouvel Adam, qui reprend le travail là où l’ancien Adam avait échoué — cultiver et garder le jardin. Dans le dernier chapitre de la Bible, il nous invite à garder ses commandements, afin que nous puissions le retrouver auprès d’un arbre : l’Arbre de vie devant le trône de Dieu, dont les branches portent des fruits en toute saison et dont les feuilles guérissent les nations.

Un investissement dans l’avenir de l’humanité

Ceux qui plantent ou protègent des arbres en raison de leur foi sont en bonne compagnie. En fait, l’église où l’on m’a un jour soupçonné d’être du genre à faire des câlins aux arbres a fini par en planter sur son terrain. Plus encore, le logo de l’église arbore désormais un arbre de vie stylisé. Je crois que cette réponse est emblématique de ce qui se passera lorsque les chrétiens redécouvriront les arbres que Dieu a plantés dans les Écritures et reboiseront leur foi.

Abraham est la première personne de la Bible à avoir planté des arbres. À l’époque, il ne possédait pas un seul mètre carré de terre. D’après les Écritures, la plantation d’arbres a commencé par un acte de foi désintéressé. « Abraham planta des tamaris à Beer-Shéba, et là il fit appel au nom de l’Éternel, le Dieu d’éternité. » (Gn 21.33) Étant donné ce que sont les arbres, Abraham rendait ainsi le monde meilleur.

Nous comprenons mieux aujourd’hui le rôle de l’arbre dans les cycles de l’oxygène, du carbone et de l’eau à l’échelle mondiale. Tout cela était inconnu d’Abraham. Néanmoins, le bosquet du patriarche devait lui aussi être une bénédiction pour toutes les familles du monde (voir Gn 12.3). Abraham a planté pour la génération suivante, et celle d’après.

L’Ancien Testament se termine par une exhortation à penser à long terme et à se montrer reconnaissants pour ceux qui nous ont précédés. Les cœurs d’une génération devront se tourner vers les cœurs de la suivante, et vice versa (voir Ml 4.6). Seul le Seigneur connaît l’esprit de l’homme, mais dans le cas d’Abraham, la plantation et la protection des arbres étaient des preuves tangibles de ce qui se trouvait dans son cœur. La pensée à long terme est pleine de piété. La pensée à court terme ne l’est pas. C’est peut-être aussi pour cette raison que le premier psaume dit que le juste ressemble à un arbre.

Son auteur nous offre l’un des aperçus les plus clairs de la pensée de Dieu sur les arbres. Le roi David a dansé et poussé des cris de joie lorsque l’arche contenant la Bible, une jarre de manne et une branche d’amandier a été conduite vers le tabernacle qu’il avait préparé. Il a écrit un chant d’action de grâce pour célébrer l’événement. Celui-ci exprime l’attente impatiente de la seconde venue du Messie, et même les arbres se joignent à la fête : « Que les arbres des forêts poussent des cris de joie devant l’Éternel, car il vient pour juger la terre. » (1 Ch 16.33) La Bible nous dit que de nombreuses personnes se cacheront sous des rochers pour éviter le jugement lors du second avènement de Christ, mais pas les arbres. Ils seront eux aussi entendus et savent exactement quel sera le verdict.

Comme le dit la Bible, je crois que Jésus reviendra pour juger les vivants et les morts. Mais qu’en est-il de ceux qui affirment que le retour du Seigneur nous libère de toute préoccupation concernant les arbres ? « Toutes les ressources doivent être consacrées à l’évangélisation », entend-on encore parfois.

Si quelqu’un croit cela et agit en conséquence, je dis « Amen ! ». Mais trop souvent, cette idée est exprimée avec toute la sincérité de Judas Iscariote plaidant pour les pauvres alors que Marie oignait Jésus de parfum (voir Jn 12.1-8).

Les arbres sont un investissement de Dieu dans l’avenir de l’humanité. Ils sont le seul être vivant à qui Dieu offre un anneau à chaque anniversaire. Lui seul connaît le moment exact du retour du Christ. J’espère que ce sera demain matin. Mais en attendant, je planterai des arbres qui mettront un siècle à pousser et j’essaierai de répandre l’Évangile comme si demain devait ne jamais advenir.

Matthew Sleeth, docteur en médecine, est conférencier, auteur et directeur exécutif de Blessed Earth, une organisation qui promeut le soin de la création. Il est l’auteur de Reforesting Faith: What Trees Teach Us About the Nature of God and His Love for Us (WaterBrook, 2019).

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Après deux élections, la France reste divisée. Les évangéliques peuvent-ils faire la différence ?

Bien que les évangéliques ne représentent qu’un pour cent de la population, ils veulent que leur présence porte du fruit.

Des manifestants fêtent l’annonce des résultats du premier tour des élections législatives françaises de 2024.

Des manifestants fêtent l’annonce des résultats du premier tour des élections législatives françaises de 2024.

Christianity Today July 9, 2024
Abaca Press/AP Images

Comme leurs concitoyens, les évangéliques français se sont rendus aux urnes ce dimanche pour un second tour des élections législatives prenant des allures d’épreuve de force entre l’extrême droite et le reste du pays.

Le Nouveau front populaire, une fragile nouvelle coalition de partis de gauche, a formé un « front républicain » avec les partis centristes alliés au président Emmanuel Macron. Si cette stratégie a permis de contenir le Rassemblement national de Marine Le Pen en troisième position, ni les partis de gauche ni les partis centristes n’ont obtenu de majorité absolue à l’Assemblée nationale, une situation qui risque d’entraîner de nombreux blocages politiques dans les mois à venir.

Les évangéliques français ne représentaient qu’une infime partie des votants de dimanche ; environ 60 % de l’ensemble des électeurs de ce pays de près de 68 millions d’habitants se sont déplacés, ce qui représente la plus forte participation depuis 1981. Estimé à près de 745 000, le nombre des évangéliques a augmenté de près de 100 000 personnes au cours des dernières années, mais ceux-ci restent tout de même une petite minorité.

Malgré cela, les responsables évangéliques français se sont régulièrement engagés dans les défis qui touchent leur pays, abordant les préoccupations sur l’islam et la liberté d’expression, s’exprimant sur un projet de loi affectant les églises en même temps qu’il visait à mettre fin au séparatisme musulman et réaffirmant leurs valeurs pro-vie après que le pays a récemment inscrit l’avortement dans sa constitution.

Avant le premier tour de l’élection, le 30 juin, le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) avait appelé les croyants à prier, à faire preuve de discernement et à voter.

« La politique ne peut pas tout », rappelait le communiqué de presse, soulignant que, dans ces temps troublés, les évangéliques dont l’espérance ultime se trouve en Dieu doivent agir conformément à celle-ci et être « ferments de paix, semences de vie, acteurs de réconciliation et d’hospitalité. »

Nous avons demandé à plusieurs responsables protestants et évangéliques français quel rôle leur minorité pourrait jouer dans cette période tendue.

Erwan Cloarec, président du Conseil national des évangéliques de France (CNEF)

Dans ce temps de division et de confusion nationale, les Églises en France doivent plus que tout montrer par ce qu’elles sont qu’une autre société est possible. Une société où les divisions d’origine, de genre et de condition sociale qui fracturent l’humanité ne l’emportent pas ; c’est le sens du « ni juif ni grec ; ni esclave ni homme libre ; ni homme ni femme » dont l’apôtre Paul parle dans l’épitre aux Galates [3.28]. Nous devons cet exemple au monde, et nous devons de veiller à ce que les clivages et les invectives qui travaillent la société globale ne s’importent pas dans nos communautés.

Rachel Calvert, présidente d’A Rocha France

En France, les Églises évangéliques rassemblent souvent des personnes issues de divers milieux politiques, ethniques et socio-économiques. Nous déplorons la montée d’un parti qui fait des migrants des boucs émissaires tout en refusant de prendre au sérieux des défis à long terme, tels que l’effondrement de la biodiversité ou le changement climatique.

Dans ce climat fracturé, nous témoignons d’une autre réalité : en Christ, Dieu est en train de réconcilier toutes choses à lui-même. Le fait de servir ceux qui ne sont pas « comme nous » ainsi que de prendre soin de la création de Dieu permet d’apporter une contribution constructive.

Matthew Glock, missionnaire, pasteur et coordinateur de la commission implantation des Communautés et assemblées évangéliques de France (CAEF)

Les élections anticipées convoquées par le président Macron ouvrent une fenêtre sur les dysfonctionnements de la politique française et sur le mouvement inéluctable de nombreux électeurs vers les extrêmes de l’échiquier politique. Il est difficile d’imaginer comment les évangéliques en France pourraient jouer un rôle dans cette réalité politique nationale, mais, au niveau local, il y a beaucoup à faire.

Le moyen d’offrir de l’espoir en ces temps de confusion est de suivre le commandement de Jésus-Christ d’« aimer son prochain comme soi-même ». En suivant l’exemple d’amour sacrificiel du Christ, l’Église a beaucoup à offrir.

Caroline Bretones, pasteure de l’Église protestante unie de France

Persécutés pendant plus de deux siècles et très minoritaires, les protestants ont appris à vivre en France de manière discrète tout en développant un sens aigu de la responsabilité, de la liberté de conscience et de l’engagement social.

S’ils ont un rôle décisif à jouer aujourd’hui, ce n’est pas en faisant des déclarations publiques qui diabolisent certains partis tout en stigmatisant implicitement leurs électeurs, mais plutôt en continuant à rassembler des hommes et des femmes extrêmement divers (sur le plan ethnique, culturel, social et professionnel) autour d’une espérance chrétienne qui dépasse les clivages humains, mais aussi les frustrations et les solutions faciles.

En tant que chrétiens, notre appartenance commune au Royaume de Dieu doit passer avant toute autre citoyenneté de ce monde, et nous permettre d’ouvrir des espaces de dialogue et de communion là où les divisions menacent.

Françoise Caron, présidente de la Fédération nationale des associations familiales protestantes

La Bible nous encourage à désirer « le bien » pour notre ville, pour notre pays, car notre propre bien en dépend.

Je vois cela tout premièrement comme un appel à prier pour notre pays et pour ceux et celles qui le dirigent. C'est aussi être à leurs côtés quand cela est possible pour être « artisans de paix » et témoins, porte-parole de ceux et celles qui souffrent et des actions que l'on peut mener en leur faveur. C'est prendre notre place en tant que représentants de la société civile porteurs des valeurs de l'Évangile, là où l’on peut être entendu…

C'est également être au cœur de nos villes et de nos quartiers, pour que nos paroles soient prolongées par des actes. Dans l'action nous nous retrouvons plus proches des hommes et des femmes de bonne volonté, quelles que soient leurs opinions politiques.

Enfin, c’est choisir toujours d'imaginer ce que Jésus ferait à notre place ! Nous devons et pouvons être source d'apaisement, de réconciliation. Nous pouvons dénoncer les dérives, faire valoir les valeurs de l'Évangile par l'exemple, les actions concrètes, les paroles pleines de respect de bienveillance.

C'est aux fruits que nous portons que nous sommes reconnus et c'est ce qui peut faire la différence dans ces moments troublés !

Nicolas Blum, équipier GBU et ancien à l'Église protestante évangélique des Ternes

« Liberté, égalité, fraternité » : en France, les Églises évangéliques font partie des rares endroits où les trois mots de notre devise nationale sont vécus. Nous voulons inviter nos concitoyens et nos personnalités politiques à découvrir le « vivre-ensemble » chrétien, dans lequel les différences générationnelles, sociales ou de cultures d'origine sont des atouts et non des facteurs de division ou de rejet.

La fidélité à l'Évangile et le témoignage de l'espérance chrétienne vécue au quotidien, dans l'amour concret de chacun et dans la joie, voilà les contributions que nous pouvons apporter pour l'apaisement de notre société. Le changement dont les habitants de notre pays ont actuellement besoin, c'est Jésus !

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Suivre Christ, c’est aussi lutter contre la corruption

Six façons dont les chrétiens peuvent aggraver le problème et cinq étapes vers une solution.

Christianity Today July 5, 2024
Illustration par Elizabeth Kaye/Images sources : Getty/Unsplash

Le 6 décembre 2022 à 4 heures du matin, le domicile de Martha Chizuma, directrice générale du Bureau de lutte contre la corruption du Malawi, est encerclé par 19 agents armés conduits par le chef de la police du pays. Emmenée en pyjama au poste, elle y subit un interrogatoire serré, agenouillée sur le sol, avant d’être relâchée. […]

Avocate formée à Londres et ancienne médiatrice du gouvernement du Malawi, Chizuma est la première responsable malawite de la lutte contre la corruption choisie sur base du mérite. « Les gens se sont battus contre ma nomination, et maintenant ils veulent m’affaiblir », explique-t-elle, en particulier parce qu’elle dirigeait une grande enquête mettant sur la sellette les promesses d’intégrité du gouvernement.

Ses opposants espéraient sans doute faire taire une fonctionnaire zélée déterminée à « cracher du feu sur les politiciens corrompus », comme le rapportait le Nyasa Times quelques jours plus tard. Ils n’ont pas réussi.

La lutte contre la corruption exige un immense courage, car cette pratique est très lucrative. Son impact est très difficile à estimer, mais elle pourrait rapporter plus de 1 000 milliards de dollars par an dans le monde. Chaque année, 25 % des adultes dans le monde paient au moins un pot-de-vin. L’organisation Transparency International (TI), offre, par sa mesure de l’indice de perception de la corruption, un outil qui permet de promouvoir la lutte contre ce fléau. Et malheureusement, pour de nombreux pays à majorité chrétienne, cet indice n’est pas bon.

Trop souvent les évangéliques font partie du problème en acceptant de nombreuses pratiques malsaines dans leur milieu : pots-de-vin, fraude, népotisme, traite des êtres humains, promotions canapé dans l’enseignement, blanchiment d’argent, enseignants fantômes dans les écoles, et bien d’autres choses encore. Une Africaine formée dans un séminaire évangélique américain qui venait d’échanger des dollars contre de la monnaie locale m'a un jour surpris : « Je ne fais affaire qu'avec des changeurs musulmans. Je ne ferais jamais confiance à un chrétien ! »

« L’Église doit nettoyer ses écuries d’Augias », déclarait l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo en 2017, comparant les églises nigérianes aux écuries crasseuses du célèbre mythe grec. « Non seulement elles célèbrent, mais elles vénèrent ceux dont les sources de richesse sont douteuses. Elles acceptent les cadeaux […] de n’importe qui sans poser de questions. Cela donne l’impression que tout est acceptable dans la maison de Dieu. »

Mais pourquoi certains chrétiens sont-ils insensibles au problème, voire y contribuent-ils ? Il y a au moins six raisons à cela.

Premièrement, beaucoup de membres d’église sont peu enclins à demander des comptes à ceux qui gèrent leur communauté. D’autres font l’autruche, comme s’il n’était pas possible que des coreligionnaires soient corrompus. Ils ne prêtent donc pas attention à certains signes avant-coureurs et ne cherchent pas plus loin.

D’autre part, on observe parfois une exacerbation de la corruption lors du passage d’une religion populaire traditionnelle à une affiliation chrétienne. Un récent rapport non publié, basé sur des entretiens avec 48 responsables chrétiens en Afrique, explique que de nombreux adeptes de religions traditionnelles africaines n'osent pas mentir parce qu'ils croient que leurs ancêtres les observent d'outre-tombe et pourraient leur infliger un châtiment ferme et expéditif. En revanche, selon certaines personnes interrogées, certains chrétiens africains semblent plus disposés à mentir – même lorsqu'ils jurent sur la Bible – parce qu'ils pensent que le Dieu chrétien est miséricordieux et diffère son jugement.

Troisièmement, si les pasteurs « prêchent la lutte contre la corruption, ils perdront des membres qui apportent des offrandes importantes », déclare Orinya Agbaji de l’Assemblée du Palais des prêtres, une église d’Abuja, au Nigeria. Dans de nombreux cas, explique Orinya, les églises protestantes qui dépendent des offrandes évitent d’offenser des donateurs corrompus mais généreux.

Quatrièmement, dans de nombreux pays, les pasteurs ou autres personnes engagées à l’église subissent les attentes de leur entourage — famille et communauté ethnique — pour partager leurs avantages. Ce phénomène que la journaliste Michela Wrong appelle « à notre tour de manger » crée une très forte pression sur ces personnes pour détourner les finances de l’organisation au profit des leurs.

Munkhjargal Tuvshin, pasteur de la Truth Community Church à Oulan-Bator, en Mongolie, soulève un cinquième problème : « La plupart des chrétiens tendent à penser que la corruption concerne le monde, pas l’Église. Cet état d’esprit dualiste nous éloigne de la vérité. »

Selon Orinya, initiateur d’une grande campagne anticorruption parmi les pentecôtistes du Nigeria, un sixième facteur serait l’évangile de la prospérité. Le message de ce mouvement hérétique selon lequel « si vous êtes pauvre, vous ne devez pas être un enfant de Dieu » incite parfois ses adeptes à voler, croyant que même les gains mal acquis sont une bénédiction divine.

Dans ce contexte, comment les chrétiens pourraient-ils faire une différence substantielle face aux habitudes de corruption ?

La première étape serait d’encourager les assemblées à donner au quotidien la priorité à l’intégrité face à une culture qui favorise la malhonnêteté. Citant Éphésiens 4.25, « Rejetez donc le mensonge, et que chacun de vous parle avec vérité à son prochain ; car nous faisons partie les uns des autres. », le pasteur Taba Ebenezar à Bamenda, au Cameroun, exhorte sa communauté à « faire de chaque jour, un jour d’intégrité ».

Les disciples de Christ doivent savoir que Dieu n’agit pas dans un esprit commercial, en accordant des faveurs à ceux qui paient les pots-de-vin demandés par un chaman ou un prédicateur de la prospérité. Ebenezar, dont le pays est classé 140e sur 180 dans l’indice de perception de la corruption, déclare : « Nous ne pouvons pas parler uniquement du salut alors que le pays est en train de régresser. »

Deuxièmement, les églises doivent devenir des sociétés modèles. Les dirigeants laïques auront une meilleure vision de ce qu’est une nation intègre lorsque les églises donneront l’exemple d’une vie sans corruption. Trop d’églises et d’organisations missionnaires dissimulent des comportements contraires à l’éthique en recourant à des pratiques de gestion malsaines, par exemple en signant des accords de non-divulgation, sapant ainsi le message d’espoir et d’intégrité qu’elles devraient transmettre.

Global Trust Partners (GTP), une émanation mondiale de l’organisation américaine Evangelical Council for Financial Accountability, cherche à modifier ces comportements délétères en créant des groupes de pairs qui promeuvent l’intégrité fiscale et éthique ainsi que la générosité. Pour le directeur financier de GTP, l’Australien Matthew Gadsden, « grâce à la transparence de la gouvernance, les gens pourront être assurés que leurs dons seront utilisés aux fins prévues ».

Les responsables d’église ne réalisent souvent pas à quel point des organismes non confessionnels comme Transparency International ont besoin d’eux. Selon Roberto Laver, un ancien avocat de la Banque mondiale qui travaille sur les questions de corruption en Amérique latine, ces organisations ont « tous les outils en matière de redevabilité sociale, mais manquent des connexions relationnelles et de l’éthique universelle que l’église peut offrir.

Il établit un contraste intéressant entre les catholiques et les évangéliques en Amérique latine : « l’Église catholique romaine s’exprimera sur tous les sujets, y compris la corruption […] mais ses propos feront peu de différence [sur le plan personnel]. Quant aux évangéliques, individuellement, ils sont plus honnêtes, mais ils se taisent en public. » Laver s’interroge : « Si l’Église ne démontre pas une plus grande honnêteté publique, quel espoir peut-on trouver dans l’Évangile ? ».

Une troisième piste est de transmettre une vision saine de la souveraineté de Dieu, de ses attentes éthiques à l’égard des croyants et du potentiel de transformation qu’offre la foi en Christ. Il y aura là une base solide pour décourager la participation à la corruption.

Ainsi, au Cameroun, pour contrecarrer la culture ambiante, le pasteur Ebenezar a été invité par les autorités des écoles publiques à enseigner l’intégrité aux enfants. Il avance dans ce domaine grâce à une campagne de sensibilisation très créative avec une émission de radio hebdomadaire, des casquettes et des maillots promotionnels, et des récompenses à la mi-temps des matchs de football pour les jeunes qui montrent le bon exemple.

Martin Allaby, expert britannique en matière de lutte contre la corruption, souligne qu’« il n'y a pas de solution de rechange à un changement culturel profond ».

À Jinja, en Ouganda, Anyole Innocent, le directeur de la radio Busoga One, partage la vision chrétienne de l’intégrité à son million d’auditeurs quotidien sur les ondes. Les efforts créatifs comme ceux d’Innocent et d’Ebenezar sont précieux. Que ce soit par le biais des films, de la musique, dans les églises, les écoles ou les foyers, avec des adultes ou des enfants, l'enseignement d'une vision chrétienne du monde constitue une base solide pour les efforts de lutte contre la corruption.

La vision chrétienne du monde aide aussi à reconnaitre les liens entre désordre social, corruption et pauvreté. Les fonctionnaires qui cherchent à obtenir des pots-de-vin sont souvent eux-mêmes victimes de supérieurs corrompus qui retiennent leurs salaires, par ailleurs souvent trop bas. Le Seigneur nous appelle à partager nos biens avec des familles appauvries — en particulier au sein de l’Église — pour qu’elles ne se rabattent pas sur les pots-de-vin. Il est intéressant de noter que si la Bible condamne fréquemment la perception de pots-de-vin, elle ne condamne nulle part le fait d'en verser. Mais ceux qui se sentent obligés de le faire devraient toutefois se demander dans quelle mesure ils contribuent au maintien d’une situation problématique.

Une quatrième stratégie clé, mise en évidence par le sociologue James Davison Hunter de l’université de Virginie, est le développement de réseaux multisectoriels de dirigeants capables de travailler ensemble. La « secte de Clapham » de William Wilberforce, à la fin du 18e et au début du 19e siècles en est un bel exemple. Avec l’appui du renouveau wesleyen, les banquiers, parlementaires, auteurs, activistes, pasteurs, écrivains et éducateurs qui en faisaient partie ont profondément transformé l’Angleterre, autrefois gangrenée par la corruption. Ce genre de réseaux permet de coordonner la lutte contre la corruption en connectant notamment ce qui se passe dans les églises aux efforts de réforme nationaux.

Pathways for Integrity, un réseau récemment lancé en Ouganda, promeut également ce genre d’actions. Anyole Innocent, le directeur de station radio, en fait partie : « À l’avenir, nous envisageons un réseau englobant des organisations qui comptent sur nous pour former leurs employés, des créateurs et demandeurs d’emploi qui font confiance à nos recommandations et des investisseurs occidentaux qui recherchent notre assistance pour leurs projets en Ouganda et qui veulent savoir quelles initiatives, y compris gouvernementales, sont dignes de confiance. »

Le réseau « Faith and Public Integrity », cofondé par Allaby et Laver, rassemble lui des universitaires et des dirigeants chrétiens qui mettent leurs efforts en commun. Certains évangéliques comme Martha Chizuma prennent également part à des réseaux comme les Chandler Sessions, qui ne sont pas spécifiquement chrétiens.

La cinquième partie de la stratégie consiste à trouver un porte-parole vertueux et sacrificiel qui soit le visage du mouvement, à l'instar de Martin Luther King Jr. qui a légitimé le mouvement des droits civiques aux États-Unis dans les années 1950 et 1960. Les activistes ont besoin d'une figure de proue pour rassembler leurs voix en faveur du changement. Ebenezar est l'une de ces voix au Cameroun : « Si nous, pasteurs, nous engageons sur cette question, notre nation sera restaurée et libérée ! »

Peut-être aurions-nous besoin d'un James Yen du 21e siècle pour mener la lutte contre la corruption mondiale. Yen était un célèbre réformateur agraire chrétien pendant la lutte acharnée entre les nationalistes (le gouvernement chinois au pouvoir de 1912 à 1949) et les communistes. Mao Zedong et Tchang Kaï-chek tentèrent tous deux de le recruter pour leurs gouvernements respectifs, mais il déclina les deux offres.

Un jour, après ces refus polis mais fermes, un haut fonctionnaire qui passait dans une limousine vit Yen tomber de son vélo alors qu'il traversait des rails de tramway. Le lendemain, une nouvelle voiture apparut mystérieusement à l'endroit où Yen logeait. Il rangea discrètement la voiture dans le garage d'un ami, préférant l'embarras et les pantalons boueux à la trahison de son intégrité chrétienne par l'acceptation de cadeaux de la part d'un gouvernement corrompu.

Tous les chrétiens ne doivent pas nécessairement refuser de servir dans un gouvernement corrompu. Mais des leaders vertueux et prêts aux sacrifices sont importants pour mettre en lumière la corruption et la dénoncer. Lorsque les « œuvres infructueuses des ténèbres » (Ep 5.11) sont dévoilées, elles flétrissent sous la lumière éclatante de la vérité.

À Tegucigalpa, la capitale du Honduras, l’Association pour une société plus juste (ASJ) s’est concentrée sans relâche sur la corruption dans les écoles publiques. Par ses efforts, elle a permis, en deux ans, de réduire de 26 % à 1 % le pourcentage d’enseignants fantômes (qui ne se présentent pas en classe mais continuent de percevoir leur salaire), récupérant d’importants fonds pour les 2 millions d’enfants en âge scolaire du pays.

Lorsque les écoles ont rouvert après une fermeture de 28 mois due au COVID-19, l'ASJ a de nouveau mobilisé ses 20 000 volontaires pour surveiller les écoles et repérer les cas d'enseignants fantômes. Grâce aux volontaires, dit Kurt Ver Beek, cofondateur de l'ASJ, les élèves honduriens ont reçu les 200 jours d'enseignement prévus au cours de l'année scolaire 2023-2024. L'ASJ a persisté malgré les pressions occasionnelles de certains représentants du gouvernement.

Au Malawi, Martha Chizuma persévère elle aussi, encouragée par quelques amis. Trois jours après son arrestation inattendue, une dizaine de femmes démunies se sont approchées d’elle alors qu’elle attendait son chauffeur. « Elles m’ont serrée dans leurs bras, en pleurant, parce qu’elles savaient ce qui m’était arrivé », se souvient-elle. « L’une d’entre elles m’a dit : “J’étais tellement que tu sois arrêtée, car tu es la seule à te battre pour nous !” »

Bien que le Malawi ait un président évangélique, Lazarus Chakwera, la corruption est toujours profondément enracinée dans le pays. En mai, lorsque des accusations à l’encontre d’un haut fonctionnaire véreux ont été soudainement abandonnées, la déception a rappelé à Chizuma que son chemin est souvent solitaire. Nous avons besoin de plus d'évangéliques comme ces dix femmes qui l'ont encouragée à poursuivre son œuvre !

Robert Osburn est chercheur à l’Institut international Wilberforce et auteur de Taming the Beast: Can We Bridle the Culture of Corruption?

Traduit par Anne Haumont

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Isaac Asimov pensait que l’histoire pourrait encore durer des millénaires. Et nous ?

L’œuvre de l’auteur de Fondation interroge notre appétit pour les prophéties de fin du monde.

Le célèbre auteur de science-fiction Isaac Asimov avec une photo de la Terre vue de l’espace.

Le célèbre auteur de science-fiction Isaac Asimov avec une photo de la Terre vue de l’espace.

Christianity Today July 3, 2024
Douglas Kirkland / Contributeur / Getty / Edits by CT

«Les signes se multiplient de jour en jour. Le monde est en ébullition. Nous sommes à l’aube — en ce moment même — de la fin des temps. » Voici ce que l’on peut lire dans l’annonce d’une prochaine conférence eschatologique à laquelle prendront part d’éminents leaders évangéliques américains.

De l’autre côté de l’Atlantique, en tant que pasteur en Belgique, j’entends aussi régulièrement des frères et sœurs évangéliques convaincus ou inquiets que tel ou tel événement de l’actualité révélerait que le Christ ne revient pas seulement bientôt, comme il nous l’a dit, mais très bientôt. Je peux les comprendre : outre les préoccupations plus larges de notre monde, notre continent est confronté à de nombreux défis qui me font espérer l’arrivée du royaume de Dieu.

Cependant, je reste souvent surpris : pourquoi ce type de convictions eschatologiques très immédiates se perpétue-t-il alors que Jésus nous a dit explicitement que nous ne pouvons pas savoir quand la fin viendra (Mt 24.36 ; Ac 1.7) ? Le contraste avec un célèbre écrivain de science-fiction, qui a passé des décennies à envisager la poursuite de l’histoire humaine pour plusieurs milliers d’années encore, m’amène à me demander si nous ne recouvririons pas d’un vernis chrétien une certaine forme de pessimisme. L’Écriture nous appelle à plus de réalisme.

Au début des années 2000, à l’époque où de nombreux jeunes évangéliques se retrouvaient plongés dans des ouvrages prémillénaristes comme Les survivants de l’Apocalypse, je découvrais une autre série de livres : la trilogie de Fondation d’Isaac Asimov.

Né en Russie avant d’émigrer aux États-Unis alors qu’il était tout petit, Asimov aura écrit ou édité plus de 500 livres. De 1942 à 1950, il publie une collection de nouvelles et de romans consacrés à la chute et à la renaissance d’un empire galactique dans un très lointain futur, aux alentours de l’an 24000. Cette trilogie de Fondation a eu une telle influence qu’elle est réputée être derrière divers éléments d’autres classiques de science-fiction tels que Dune et Star Wars. Et c’est encore tout récemment qu’Apple en a tiré une série télévisée.

Dans Fondation, tout commence lorsque Hari Seldon, un brillant scientifique, parvient à la conclusion que l’effondrement est inévitable. Grâce à ce qu’il appelle la psychohistoire, il calcule non seulement que l’empire disparaîtra dans les 300 prochaines années, mais aussi que, si rien n’est fait, 30 000 ans de ténèbres suivront cette disparition. Seldon élabore alors un plan pour réduire cette période de chaos à un simple millénaire et accélérer la renaissance d’un nouvel empire grâce à la « Fondation ».

Au fil des ans, Asimov développera la trilogie de Fondation en un « Cycle de Fondation » et l’associera à ses Cycles des robots et de l’Empire pour construire ce que certains ont décrit comme une hypothétique « histoire du futur », explorant les divers moments cruciaux des plus de 20 000 ans séparant Seldon de nous. Ce faisant, il a anticipé de nombreuses questions auxquelles nous faisons face aujourd’hui, en particulier le développement des robots et de l’IA et la façon dont nous pourrons vivre avec eux.

En l’absence de la croyance que Dieu mettrait fin à l’histoire à un moment donné, et avec un certain degré d’optimisme quant aux capacités de l’humanité à faire face aux menaces, le non-chrétien Asimov avait toute liberté pour explorer ses hypothèses sur l’avenir et les crises auxquelles il nous confronterait. Son travail reste ainsi une source d’inspiration pour ceux qui réfléchissent aux défis contemporains.

L’eschatologie chrétienne, au contraire de la chronologie d’Asimov, a souvent été plutôt pessimiste quant à la poursuite de la vie de ce monde. Dans son recensement humoristique des annonces de fin imminente à travers l’histoire, le Pocket Guide to the Apocalypse dénombre de nombreux prédicateurs plus ou moins chrétiens ayant prédit la « fin du monde » en leur temps, en commençant dès le deuxième siècle avec l’hérétique Montanus.

Martin Luther s’inscrit lui aussi dans cette tradition. En son 16e siècle, face à l’état désastreux du Saint Empire romain germanique et à la menace d’invasions turques, il écrit : « Le monde court à sa fin, et il me vient souvent cette pensée que le jour du Jugement pourrait bien arriver avant que nous eussions achevé notre traduction de la sainte Écriture. Toutes les choses temporelles qui y sont prédites se trouvent accomplies. »

Luther était plus modéré que certains de ses contemporains, tels que le théologien Thomas Müntzer, dont les croyances sur la fin des temps conduisirent des milliers de paysans allemands à la révolte avant d’être massacrés. Mais tous, comme bien d’autres beaucoup plus récents, faisaient fausse route. Malgré les crises incessantes, la terre a continué à tourner. Et malgré ces foules d’annonces trompeuses, toutes sortes de prophètes continuent à proclamer la fin toute proche du monde et à trouver un auditoire attentif.

Même en dehors des milieux chrétiens, l’Horloge de l’Apocalypse plane toujours au-dessus des têtes. Pourquoi ?

Le philosophe sceptique belge Maarten Boudry a récemment publié un article explorant ce qu’il appelle « les sept lois du pessimisme » dans lequel il décrit toute une série de raisons pour lesquelles nous, humains, restons malgré tout anxieux à propos de notre monde.

À côté de mécanismes plus connus à l’origine de notre sentiment que tout est en train de s’effondrer, comme l’invisibilité tranquille des bonnes nouvelles, notre appétit instinctif et protecteur pour les mauvaises nouvelles et la manière dont les réseaux sociaux alimentent aujourd’hui intentionnellement cet appétit, Boudry met également en évidence ce qu’il appelle « la loi de conservation de l’indignation ». En somme, notre niveau d’indignation a tendance à rester le même, même lorsque les conditions s’améliorent. Nous augmentons simplement notre sensibilité à des maux moindres, de sorte que les plus anxieux trouveront toujours un motif à leur anxiété.

D’autre part, selon Boudry, les solutions que nous trouvons à un problème nous conduisent à oublier le problème lui-même et à nous concentrer sur les nouveaux problèmes qui découlent de nos nouvelles solutions, même si ces nouveaux problèmes sont moins aigus que les précédents (ce qu’il appelle « la loi des solutions auto-effaçables »). Plus frappant encore, le philosophe souligne que plus nous jouissons de liberté dans une société, plus nous sommes en mesure de dénoncer de nouveaux maux inconnus dans d’autres contextes (« la loi de la désinfection solaire »). Ainsi, le progrès lui-même peut alimenter le pessimisme.

En somme, que l’on soit aux prises avec les effets directs d’une guerre ou plus simplement confronté aux défis de la vie moderne dans un contexte plus favorable, l’être humain trouvera toujours matière à alimenter l’idée de déclin. La plupart des inquiétudes concernant la fin des temps que j’ai entendues personnellement émanaient de personnes vivant dans des pays connaissant un degré d’abondance et de sécurité inédit dans l’histoire. Mais les plus riches et les plus puissants ont potentiellement plus à perdre que ceux qui n’ont presque rien.

De ces diverses angoisses très humaines à l’idée que le Christ serait sur le point de revenir, il pourrait n’y avoir qu’un pas assez rapidement franchi. Dans ces « Jésus revient très bientôt », ne faudrait-il pas souvent entendre une version chrétienne de « Ce monde me fait peur » ou « Je n’aime pas la façon dont les choses évoluent » ?

Dans une humanité où œuvrent les sept lois de Boudry, l’individu qui offre un appui biblique à l’idée de déclin attirera inévitablement l’attention. Quelle que soit la qualité de l’exégèse de ceux qui affirment savoir que le Christ est sur le point de revenir à cause de tel ou tel événement présent, ceux-ci offrent une validation concrète à la détresse ressentie par certains et redonnent aux plus anxieux un certain contrôle grâce aux certitudes immédiates qu’ils fournissent. Mais aussi attrayantes que ces choses puissent être, Dieu nous appelle à de meilleures voies pour vivre notre vie et témoigner de notre espérance auprès de nos contemporains.

Il ne nous appartient pas de faire des plans pour les 20 000 prochaines années, mais nous manquons de l’imagination d’un Asimov lorsque nous ne pouvons pas concevoir la survie de l’humanité, ou simplement de nos enfants, au-delà du cadre que nous connaissons actuellement. Certes, de nombreuses situations terribles sur notre planète nous font profondément désirer le renouveau promis par notre Dieu. Mais d’époque en époque, on peut observer que ce qui nous apparaît comme de profonds bouleversements ne signifie pas nécessairement que Dieu s’apprête à tirer le rideau ou en aurait fini d’agir dans notre monde.

Dans les romans d’Asimov, la menace imminente dépasse de loin tout ce que nous pouvons craindre, même dans notre monde globalisé : la chute d’un empire intergalactique, la barbarie et des guerres cosmiques conduisant à la mort de milliards de personnes. Pourtant, Asimov ne décrit pas cela comme « la fin du monde ». Certains survivront et devront reconstruire la civilisation. La question principale est de savoir s’ils seront suffisamment préparés pour raccourcir la période de chaos qui suivra la chute de l’empire.

L’Écriture n’encourage ni un pessimisme anxiogène qui nous rendrait méfiants à l’égard de tout ni un optimisme naïf qui attendrait de l’humanité qu’elle progresse d’elle-même vers un état de paix et d’harmonie. Comme le met en scène la récente adaptation de l’œuvre d’Asimov par Apple, quels que soient l’exotisme d’un hypothétique environnement interstellaire, les vaisseaux spatiaux, les technologies inventives ou les vêtements fantaisistes qui nous attendent, l’humanité restera constante dans son mélange de beauté et de corruption. Dans ce monde, le blé et l’ivraie poussent côte à côte (Mt 13.24-30 ; Ap 22.11).

Lorsque Jésus nous a dit « Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur viendra. » (Mt 24.42), il ne parlait pas de guetter des signes à venir, que ce soit dans le ciel ou dans la géopolitique du Proche-Orient. Il parlait de veiller sur nous-mêmes, comme il l’explicite dans la parabole qui suit à propos du bon et du mauvais serviteur. Le serviteur fidèle ne reste pas à la porte à attendre le retour de son maître. Il prend soin de ceux qui lui ont été confiés (v. 45-46).

Au lieu de nous mettre en quête perpétuelle d’indices permettant de dire que notre Maître reviendrait précisément maintenant, nous sommes appelés à le rendre présent à nos contemporains par la façon dont nous agissons, continuant à marcher à l’image de Christ, quelle que soit la durée de l’histoire de l’humanité.

Parmi les nombreux personnages de la trilogie originale de Fondation, les plus aptes à faire face à des circonstances difficiles sont ceux qui croient en la viabilité du plan inconnu de Seldon pour la Fondation, malgré l’insécurité, les guerres, les émeutes ou les mauvais dirigeants. Je ne révélerai pas ici ce qu’il advient du plan de Seldon. En fin de compte, l’eschatologie d’Asimov n’est pas celle de l’Écriture. Mais nous savons avec certitude que l’auteur de notre plan est bien plus digne de notre confiance.

Dans un monde complexe et en perpétuel changement, cette assurance nous permet d’offrir à nos contemporains la présence de chrétiens ancrés dans l’éternité et prêts à affronter les questions difficiles et les dures réalités de notre temps avec la grâce de leur Seigneur. Et ce jusqu’à ce qu’il revienne vraiment.

Léo Lehmann est coordinateur du travail en français de CT et directeur des publications du Réseau de missiologie évangélique pour l’Europe francophone (REMEEF). Il vit en Belgique dans la région de Namur.

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Pourquoi les juifs les plus pieux d’Israël refusent-ils le service militaire ?

Un responsable juif messianique nous offre son regard sur les haredim ultraorthodoxes qui échappaient jusqu’à présent au front de la guerre à Gaza.

Des juifs orthodoxes affrontent des policiers lors d’une manifestation à Jérusalem contre l’enrôlement dans les forces de défense israéliennes.

Des juifs orthodoxes affrontent des policiers lors d’une manifestation à Jérusalem contre l’enrôlement dans les forces de défense israéliennes.

Christianity Today July 1, 2024
Amir Levy / Stringer / Getty / Edits by CT

Au beau milieu de la guerre à Gaza, les Juifs les plus religieux d’Israël ont menacé d’émigrer.

La déclaration publiée par le grand rabbin de la communauté séfarade en mars n’avait rien à voir avec la peur des roquettes du Hamas ou la poursuite de la lutte contre celui-ci. Elle n’était pas non plus liée aux protestations concernant les otages restants ou aux appels au cessez-le-feu.

Leur inquiétude portait plutôt sur l’enrôlement forcé des juifs haredim, couramment désignés comme ultraorthodoxes, dans l’armée.

Le 25 juin, la Cour suprême d’Israël a statué à l’unanimité contre eux. Bien qu’un plan doive encore être formulé, environ 66 000 ultraorthodoxes sont désormais éligibles à l’enrôlement.

Israël exige trois ans de service pour la plupart des hommes et deux ans pour la plupart des femmes. Mais en 1947, le Premier ministre de l’époque, David Ben Gourion, avait exempté 400 étudiants de yeshiva qui souhaitaient se consacrer à la prière et à l’étude de la Torah.

Reconnaissables à leur tenue traditionnelle noire et blanche, leur chapeau, leur longue barbe et leurs boucles latérales, les ultraorthodoxes se désignent eux-mêmes couramment comme haredim, reprenant un terme d’Ésaïe 66.2 qui affirme que Dieu favorise ceux qui « tremblent » à sa parole. Le succès d’Israël, selon eux, est lié à Lévitique 26.3, où l’épanouissement du pays dépend de l’observation « minutieuse » de la loi, interprétée comme un travail rigoureux des Écritures.

Aujourd’hui, la communauté haredi est celle qui connaît la croissance la plus rapide dans la société israélienne. Elle représente 13 % de la population et, selon les estimations, devrait en composer un quart d’ici à 2050. Pourtant, si 540 hommes haredim remplissant les conditions militaires se sont volontairement enrôlés pour combattre depuis le 7 octobre, des dizaines de milliers d’entre eux ont échappé à l’appel en vertu de l’exemption de Ben Gourion.

En 1998, la Cour suprême israélienne avait jugé qu’une loi était nécessaire pour codifier cette politique. Celle-ci a été adoptée en 2002. Israël a également créé une yeshiva incluant le service militaire ainsi qu’un bataillon spécial pour les hommes haredim. Bien que des milliers s’y soient joints, la grande majorité rejette l’influence sécularisante des Forces de défense israéliennes (FDI), qu’elle considère comme une menace pour la spécificité de leur communauté religieuse.

La plupart des haredim ne célèbrent pas la fête de l’indépendance israélienne qui a eu lieu cette année du coucher du soleil au coucher du soleil les 13 et 14 mai. S’ils ne sont pas antisionistes, ils pensent que seul le messie à venir pourra rétablir la nation d’Israël sur sa terre. En attendant, ils soutiennent l’actuelle entreprise humaine par leurs prières.

Mais en 2017, la Cour suprême a jugé que la loi de 2002 était discriminatoire et a ordonné au gouvernement d’y remédier. Compte tenu de la forte influence des haredim sur la politique, la question a été laissée en suspens jusqu’au 28 mars, date à laquelle des juges ont interdit à l’État de continuer à verser des allocations aux étudiants des yeshivas éligibles à l’appel sous les drapeaux. Les autorités ont déclaré qu’elles ne procéderaient pas à une conscription massive, mais que 55 000 Haredi, répartis dans plus de 1 200 yeshivas, perdraient leur financement.

La controverse a suscité des manifestations et des contre-manifestations opposant juifs religieux et laïques. Nous avons demandé à Samuel Smadja, responsable d’une synagogue juive messianique à Jérusalem, d’apporter son éclairage sur la situation.

Son père, qui a trouvé la foi au sein de la petite minorité juive de Tunisie, a été l’un des premiers croyants messianiques en Israël, où il a immigré en 1956. Aujourd’hui, Samuel Smadja est le directeur régional de Trinity Broadcasting Network. Il a fondé Sar-El Tours pour permettre aux chrétiens de renouer avec leur héritage en Terre sainte. Il a également des parents haredim dans sa famille.

Nous avons évoqué avec lui la place des yeshivas dans la politique israélienne actuelle, l’efficacité des prières des haredim et les meilleures méthodes pour parler de Jésus à une communauté isolée dont certains membres assimilent le prosélytisme aux agissements d’Adolf Hitler.

Comment les juifs messianiques perçoivent-ils l’armée israélienne ?

Les enfants des juifs messianiques sont pleinement engagés et s’efforcent d’être les meilleurs soldats possibles. Il ne s’agit pas seulement d’affirmer notre légitimité dans la société, mais aussi d’être une lumière pour l’Évangile et de faire progresser notre témoignage.

Nous voulons que nos enfants soient promus aux postes les plus élevés et servent d’exemple.

Comment les juifs messianiques considèrent-ils les haredim ?

Il est préférable de parler de judaïsme orthodoxe, car les haredim en sont un sous-ensemble et il existe une diversité en leur sein. Certains s’engagent dans l’armée, d’autres non. Il est difficile de généraliser, car tout dépend du rabbin qu’ils suivent.

Mais en général, comme le disait Paul, ils craignent Dieu, mais sans connaissance. Les juifs orthodoxes s’efforcent de respecter les commandements et de faire de leur mieux pour gravir l’échelle de la justice afin de se rapprocher de Dieu. Et ils sont prêts à payer le prix de leurs convictions, surtout en ces temps de guerre.

Je crois que nous devons les respecter.

Mais nous ne sommes pas d’accord avec eux, même si nous avons beaucoup en commun sur des questions morales telles que l’avortement et la compréhension traditionnelle de l’éthique judéo-chrétienne. Face à de nombreux juifs laïques, il faut prouver l’existence de Dieu. Mais les orthodoxes acceptent la vérité de la Bible. S’ils sont prêts à discuter, cela exige de nous une connaissance approfondie de l’Écriture.

Ils connaissent très bien l’Ancien Testament, en particulier les cinq premiers livres de Moïse.

Sont-ils prêts à discuter ?

Beaucoup plus que par le passé. J’ai grandi en Israël et, il y a 25 ans, le nom Yeshoua (Jésus) était un mot très problématique. Les juifs messianiques étaient inconnus parce que nous étions très peu nombreux. Aujourd’hui, les gens savent que nous existons et que nous croyons que Yeshoua est le Messie.

Cela donne lieu à une discussion intéressante. Le débat se centre sur la manière de prouver l’idée d’un messie souffrant, et pas seulement à partir d’Ésaïe 53, dont ils ont une interprétation différente. Nous abordons ensuite l’unité complexe de Dieu — la Trinité — et les propos de Jean : « Au commencement était la Parole ; la Parole était auprès de Dieu » (1.1). Cette notion est fréquemment mentionnée dans la littérature rabbinique, et nous examinons comment Jean se positionne par rapport à cela.

Le messie de Dieu doit-il être divin ou simplement un rabbin proéminent ? Ce que le chrétien moyen tient pour acquis, nous devons le prouver aux orthodoxes, tout comme Jésus l’a fait sur la route d’Emmaüs lorsqu’il a expliqué la Loi et les Prophètes.

Pourquoi Ésaïe 53 est-il insuffisant ?

Les Juifs disent que ce chapitre parle d’Israël et que c’est de la souffrance des Juifs dont il est question. Les prophéties d’Ésaïe présentent quatre portraits du « serviteur de l’Éternel ». L’un renvoie à un prophète, un autre au peuple d’Israël, un autre à un messie et un dernier à Cyrus, le souverain de Babylone. Les Juifs nous demandent pourquoi nous nous centrons sur Yeshoua, alors que le texte dit « il verra une descendance et vivra longtemps » (v. 10).

Bien que le Juif moyen ne le sache pas, la littérature rabbinique parle de deux messies : le fils de David et le fils de Joseph. Et Joseph, envoyé par ses frères en esclavage en Égypte, est une figure de souffrance.

La Genèse donne à voir cette belle scène où Joseph se présente à ses frères et ceux-ci ne le reconnaissent pas jusqu’à ce qu’il se dévoile. Nous devons leur montrer que ces deux messies sont la même personne. Mais peut-être qu’après 2000 ans de tradition chrétienne, le Jésus dont nous parlons ressemble trop à un « Égyptien ».

Et comment Jean entre-t-il en résonance avec la littérature rabbinique ?

Vous vous souvenez de la rencontre de Jacob avec Dieu et de la vision d’une échelle montant au ciel ? Quittant sa patrie, le fils d’Isaac est troublé dans son esprit. Il oint une pierre et dit : « Si Dieu est avec moi et me garde pendant mon voyage […] alors l’Éternel sera mon Dieu. » (Gn 28.20-21)

Dans les traductions araméennes de la Torah — Targum Onkelos et Targum Jonathan — que les orthodoxes apprécient pour leurs commentaires, cette dernière formule est rendue par « la parole de Dieu sera mon Dieu ». Il existe plus de 500 exemples de cette manière de parler, car lorsque le nom « Jéhovah » est écrit deux fois pour des questions d’accentuation, on utilise souvent « parole de Dieu » comme synonyme.

Jean nous dit que la Parole de Dieu est Yeshoua.

Les juifs orthodoxes prient et croient que Dieu répond à leurs prières. Ils savent que Dieu est amour et qu’ils tombent dans le péché. Ils croient au paradis et à l’enfer.

Mais avant de parler du Messie, je crois que le meilleur point de départ est l’assurance du pardon. À l’époque du Tabernacle et du Second Temple, un sacrifice permettait de pardonner les péchés pour un an. Mais aujourd’hui, il n’y a ni temple, ni autel, ni grand prêtre.

Le Talmud décrit que l’un des grands rabbins, Yohanan Ben Zakkai, dont le disciple lui demanda s’il savait qu’il irait au paradis, répondit ceci : « Je ne suis pas sûr d’en avoir fait assez. » Nous devons être très prudents à l’égard des juifs orthodoxes ; ils n’aiment pas moins Dieu que nous. Mais nous pouvons les interroger : Pouvez-vous atteindre Dieu en grimpant l’échelle de la justice ?

Est-il vrai que les orthodoxes sont les plus hostiles aux juifs messianiques ?

Cela vient d’un petit groupe radical qui considère que nous essayons de les convertir au christianisme. Cependant, ils ne cherchent pas à nous faire du mal, mais à nous sauver. J’essaie d’amener les Juifs à Yeshoua, mais ils voient cela comme un effort pour réussir là où Hitler a échoué.

Nous devons être honnêtes : pour s’attirer la sympathie, certains juifs messianiques diabolisent les orthodoxes, ce qui n’est pas correct. Il est vrai qu’ils ne nous aiment pas. Mais nous insistons sur le fait que nous ne cherchons pas à convertir les Juifs au christianisme, mais à les amener à leur Dieu, en espérant et en priant pour qu’ils reconnaissent leur Messie. Paul disait qu’il aurait été prêt à être effacé du livre de vie pour le bien de ses frères. C’est l’attitude que nous devons adopter pour chaque personne, qu’elle soit juive, chinoise ou autre.

La Croix est déjà un obstacle. N’en mettons pas d’autres sur leur chemin.

Comment comprenez-vous leur identification au verset d’Ésaïe 66.2 ?

Il y a là une bonne description de ce qu’ils croient être. Ils considèrent leur communauté comme la tribu de Lévi, qui n’a pas combattu lorsque le peuple d’Israël est entré dans le pays sous la direction de Josué. Comme les Lévites, ils se consacrent aux rituels religieux qui soutiennent l’armée engagée sur les lignes de front.

Nous qui croyons ce que dit la Bible, nous pouvons accorder une certaine valeur à cet attachement à la piété. Les haredim disent que, s’ils quittent la yeshiva, Israël ne pourra pas réussir dans ses entreprises sans leurs prières. Ils se considèrent comme des sentinelles sur le mur, priant 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour Israël. Les chrétiens qui s’engagent aujourd’hui dans des mouvements de prière 24 heures sur 24 devraient savoir que les haredim le faisaient bien avant eux.

Qu’en est-il de Lévitique 26.3 ?

Ce verset est en correspondance avec la mission confiée à Israël dans Deutéronome 11, avec la montagne de la bénédiction et la montagne de la malédiction. Selon l’alliance mosaïque, si vous voulez obtenir la bénédiction de Dieu, vous devez respecter les commandements. Mais lisez aussi ces passages à la lumière du Psaume 1.3 : la personne qui prospère est celle « qui médite sa loi jour et nuit ». Allez dans n’importe quelle yeshiva et vous verrez des haredim étudier la Torah jusque tard dans la soirée. Ils pensent ainsi sauver Israël et gagner la faveur de Dieu.

En ce qui concerne l’application que font les haredim de ces versets à l’encontre de leur enrôlement dans l’armée, je peux comprendre leur point de vue. Mais je crois que la faveur de Dieu ne vient que par le Messie. Comme les Juifs ne reconnaissent pas la nouvelle alliance de Jérémie 31, leur quête d’épanouissement dépend du Psaume 1.

Ils prennent la Bible très au sérieux. J’aimerais que le monde chrétien soit aussi dévoué.

Mais leur interprétation est-elle correcte ?

Les juifs laïques ne sont clairement pas d’accord. La plupart des Israéliens sont traditionnels, mais cela ne signifie pas qu’ils lisent leur Bible tous les jours. Selon eux, avec 24 heures dans une journée, les haredim peuvent trouver un moyen d’étudier les Écritures tout en servant dans l’armée. Il n’est pas juste, disent-ils, que j’envoie mon fils ou ma fille au front alors qu’ils sont assis à la yeshiva — surtout en cette période de guerre.

Pourtant, vous croyez au pouvoir de la prière.

Oui, mais différemment. Le retour du peuple juif en Israël n’est ni une coïncidence ni le résultat de nos efforts. En Ézéchiel, Dieu dit qu’il ramènera les Juifs sur leur terre, même s’ils ont profané son nom parmi les nations. Ce n’est pas que notre peuple ait atteint un certain niveau spirituel et que Dieu ait été impressionné. Dieu a fait cela pour montrer au monde qu’il est fidèle à sa parole.

Le retour des Juifs en Israël est la meilleure preuve que la Bible est vraie.

Et si Dieu nous a ramenés sur cette terre, je ne crois pas qu’il nous renverra ensuite dans la mer. C’est ma prière, mais la sécurité d’Israël ne dépend pas de ce qui se dit dans les yeshivas, mais des promesses de Dieu.

Lorsqu’une femme orthodoxe se rend au mur et prie pour ses enfants, Dieu lui répond-il ? Oui, dans sa miséricorde. Mais lorsque nous, croyants en Yeshoua, nous présentons devant le trône de Dieu, il nous répond dans sa grâce. La différence est énorme, car nous sommes sous les promesses de la nouvelle alliance.

Lorsque le prince William entre dans le palais du roi Charles, il n’est pas nourri parce que les serviteurs ont pitié de lui. C’est le cas pour le mendiant. Mais William est servi en raison de son statut. Comme lui, nous sommes des fils et des filles du Roi.

Je respecte les prières des haredim. Mais la rédemption d’Israël ne viendra pas de là.

Mais si ces prières peuvent attirer la miséricorde de Dieu, Israël n’aurait-il pas raison d’exempter les haredim du service militaire pour leur permettre de s’y consacrer pleinement ?

Ce n’est pas une question spirituelle, mais politique. En tant que juif messianique, je crois que Dieu peut répondre à leurs prières lorsqu’ils combattent dans l’armée, comme le font mes enfants.

Mais les haredim s’y opposent également parce que l’armée tend à séculariser la société et à supprimer les distinctions entre les communautés. La structure de l’armée ne leur convient pas encore. L’armée israélienne doit procéder à des changements majeurs pour les accueillir, en leur offrant une nourriture adaptée, en faisant appel à leurs rabbins en tant qu’aumôniers et en séparant les sexes. Nous devons être justes, et si l’armée les veut vraiment, elle doit changer — et pas pousser pour changer les haredim. Il faudra un processus pour gagner leur confiance.

Bien que l’armée ait entamé ce travail, il reste encore beaucoup à faire.

Ben Gourion a-t-il commis une erreur en accordant l’exemption ?

C’était un sioniste laïc et socialiste, mais il comprenait que les haredim faisaient partie de la nation. Comme ils étaient peu nombreux, il les a laissé prier. Mais aujourd’hui, ils représentent un pourcentage important de la population. Pour être honnête, la controverse ne porte pas fondamentalement sur l’enrôlement de leurs quelques milliers d’enfants dans l’armée. Il s’agit de leur pouvoir.

Notre système de coalition politique leur permet actuellement de contrôler le parlement ; aucun gouvernement ne peut être formé sans eux. Grâce à ce levier, ils demandent tout ce qu’ils veulent. Il ne s’agit pas seulement de l’enrôlement. Pourquoi les haredim devraient-ils être payés pour étudier à la yeshiva, disent beaucoup, alors que je dois payer pour que mon enfant aille à l’université ? Certains haredim prennent l’État pour une vache à lait.

Ils commettent une grave erreur. Ils pourraient plutôt proposer de faire du volontariat dans le cadre du service national dans les hôpitaux, dans les écoles ou auprès de Magen David Adom, l’équivalent de la Croix-Rouge en Israël. Au lieu de cela, les gens en viennent à se dire : « S’il y a un Dieu, je ne veux pas être comme ça. »

En Israël, quand quelqu’un cherche Dieu, il va à la synagogue. Ce sera peut-être une chance pour le mouvement messianique, que les gens trouvent en nous une option supplémentaire.

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« Vice Versa 2 » remet l’anxiété à sa place

Pour cet été, la suite du film à succès offre une belle sagesse à ceux qui s’inquiètent de l’avenir.

Christianity Today July 1, 2024
©Disney

Je ne ressens plus la présence de Dieu comme avant. Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? »

« Je ne suis plus sûr de croire en Jésus. Je peux avoir des doutes ? »

« Le contexte chrétien dans lequel j’ai grandi n’a jamais abordé les enjeux du racisme. Que dois-je faire de ce que j’apprends maintenant dans mes études ? Puis-je retourner à ce type de christianisme ? Devrais-je le faire ? »

J’ai le privilège de passer beaucoup de temps avec de jeunes chrétiens qui se posent des questions comme celles-ci, des questions sur leur identité et leur progression, leur évolution et leur croissance. Qui suis-je en train de devenir ?, se demandent-ils. Et quel est le lien avec ce que j’ai été jusqu’à présent ?

Cette interrogation est au cœur de Vice Versa 2 (ou Sens dessus dessous 2 au Québec), une suite qui enflamme déjà les box-offices de l’été. C’est en 2015 que les fans de Pixar faisaient la connaissance de Riley, 11 ans, dans Vice Versa. Joie, Peur, Tristesse, Colère et Dégoût travaillaient alors ensemble pour aider la jeune fille à reprendre pied après le déménagement de sa famille.

Aujourd’hui, Riley est sur le point d’entrer au lycée, essayant de se faire une place dans l’équipe de hockey et de surmonter les défis de la puberté. Son adolescence met les cinq émotions originelles face à de nouveaux et perturbants compagnons : Embarras, Envie, Ennui et, surtout, Anxiété.

L’anxiété joue un rôle complexe dans notre vie, source à la fois de paralysie et de sage prudence. Orientée vers l’avenir, elle nous aide à identifier les potentiels résultats indésirables et à réduire leur probabilité. L’anxiété nous éloigne des précipices ; l’anxiété nous empêche de prendre des selfies avec des ours.

Avec Anxiété à la barre, Riley navigue avec un certain succès à travers les périls de la vie adolescente. Elle se fait de nouvelles amies, plus âgées, en devinant le genre de choses dont parlent les lycéennes et en allant même jusqu’à risquer une conversation avec la capitaine de l’équipe de hockey, Val, pour compenser un départ difficile avec d’autres coéquipières.

Mais Vice Versa 2 montre aussi clairement que l’anxiété — même une anxiété « fructueuse » — a un coût. Riley rumine frénétiquement ce que les autres pourraient penser d’elle ou comment les choses pourraient mal tourner sur le plan sportif ou social. Elle développe une « intolérance à l’incertitude ». Elle voit du danger là où il n’y en a pas, tourmentée parce qu’elle ne peut pas savoir ce que ses coéquipiers et entraîneurs pensent d’elle. Dans une séquence particulièrement marquée par l’angoisse, elle s’imagine être si mauvaise qu’elle sera exclue de l’équipe ; une minute plus tard, elle s’inquiète d’être trop compétente et que ses coéquipières en soient jalouses. Désireuse de savoir objectivement où elle en est, elle trahit ses valeurs en jetant un coup d’œil furtif au carnet privé de son entraîneuse.

Alors que l’anxiété travaille de plus en plus frénétiquement à conduire Riley à travers des situations stressantes, les autres émotions prennent conscience de quelque chose de crucial : Anxiété, elle aussi, tente simplement de faire de son mieux. Elles mettent alors fin à leur lutte pour le contrôle et aident Anxiété à trouver sa place dans la vie émotionnelle complexe de Riley. L’anxiété peut offrir certains avantages sans qu’un désespoir compulsif prenne le dessus.

De nombreux jeunes chrétiens, y compris certains des étudiants avec lesquels je travaille, ont du mal à donner une juste place à leur anxiété. La plupart d’entre eux comprennent que ce n’est pas un péché de ressentir de l’inquiétude ; ils savent aussi qu’il est possible de trouver de l’aide thérapeutique, un accompagnement biblique voire des médicaments pour faire face à une anxiété qui deviendrait incontrôlable. Mais quel est exactement le lien à vivre entre anxiété et foi chrétienne ? Si nous sommes encouragés à « ne nous inquiéter de rien » (Ph 4.6), comment l’anxiété peut-elle être autre chose qu’un problème ?

Si ce verset appelant à ne nous inquiéter de rien nous est plus familier, on retrouve en fait le même mot grec (merimna) sous la plume de Paul en 2 Corinthiens 11.28. L’apôtre y parle là de ce que l’on a souvent traduit par son « souci » de toutes les églises. Paul associe cette pression ressentie à de nombreuses autres difficultés — emprisonnement, naufrage, faim, soif, danger — rencontrées dans son rôle apostolique, toutes bravées par compassion pour les églises implantées et par désir ardent de les voir prospérer.

Merimna est aussi parfois traduit par soin. Paul l’utilise dans 1 Corinthiens 12.25 pour parler du type de « soin » ou de « préoccupation » que les membres de l’Église devraient avoir les uns pour les autres au sein du corps du Christ. Lorsque nous nous soucions du bien-être des autres, nous nous rappelons aussi à quel point ils sont fragiles et précieux. Et c’est donc tout naturellement que nous nous sentons parfois inquiets pour eux.

Je ne veux pas que les jeunes adultes chrétiens avec lesquels je travaille soient calmes au point de tout laisser passer. Je veux les voir soucieux de servir Jésus. Je veux qu’ils posent des questions difficiles sur ce qu’ils deviennent et sur ce qu’ils croient. Je veux qu’ils prennent la mesure de la responsabilité découlant du fait d’être créés à l’image de Dieu et chargés de prendre soin de ce monde. Je veux qu’ils sachent que leurs choix peuvent soutenir ou compliquer la vie de leurs prochains.

Mais je veux aussi qu’ils fassent l’expérience de cette « anxiété » concernant notre vocation, notre mission et notre vie pour le Seigneur dans le contexte de l’assurance offerte par l’Évangile. Je veux qu’ils puissent se reposer dans l’amour de Dieu pour tous les êtres humains et pour chacun d’entre eux en particulier. Je veux qu’ils ne s’inquiètent de rien, au sens où l’entend Paul, sachant qu’ils peuvent en fin de compte confier leurs efforts à celui qui s’en préoccupe le plus, en lui abandonnant leurs soucis dans une vie d’humble prière (1 P 5.6-7).

Vice Versa 2 ne nous laisse pas seulement voir les symptômes de l’anxiété de Riley — les nuits sans sommeil, le cœur qui s’emballe — mais aussi les désirs sains que son anxiété dissimule et déforme. Riley veut être adulte. Elle veut être aimée et respectée. Elle veut contribuer, faire partie d’une équipe, être capable et reconnue comme telle.

Il en va de même pour mes étudiants, dont les inquiétudes révèlent souvent beaucoup de choses sur les personnes qu’ils sont. L’inquiétude liée à leurs notes révèle un désir d’apprendre et de progresser. L’inquiétude liée à l’acceptation des parents révèle la valeur accordée à la bénédiction que leur famille leur a apportée. L’anxiété suscitée par notre culture en ligne nous parle aussi du pouvoir et du potentiel des réseaux sociaux. Derrière notre peur anxieuse que tout s’écroule se cache une aspiration à la nouveauté.

Dans un ouvrage de Curtis Chang intitulé The Anxiety Opportunity, l’auteur observe que Jésus va régulièrement à la rencontre de personnes ayant matière à anxiété dans les Évangiles : il a écouté les veuves et touché les lépreux, rencontrant les gens là où ils étaient au lieu de les exhorter à réprimer leurs sentiments ou à se calmer. Jésus les a aimés, comprenant que leur agitation, quelles qu’en soient les raisons, était la marque d’une situation qui poussait les gens à se tourner vers lui.

En nous regardant dans nos angoisses avec le regard plein de grâce de Jésus, l’anxiété retrouvera la place qui lui revient dans notre vie chrétienne. Nous pourrons alors mieux œuvrer pour ce monde que Jésus aime tant.

J. Michael Jordan est professeur associé de théologie à l’université de Houghton, où il a été doyen de la chapelle de 2013 à 2024. Il est l’auteur de Worship in an Age of Anxiety: How Churches Can Create Space for Healing .

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Sans foi chrétienne, racisme et nationalisme prospèrent. La mise en garde d’Herman Bavinck

Le théologien néerlandais soutenait qu’une vision biblique du monde est fondamentalement incompatible avec l’ethnocentrisme.

Christianity Today June 26, 2024
Illustration d’Elizabeth Kaye

Dans le monde anglophone, le théologien néerlandais Herman Bavinck a connu une renaissance ces dernières années. Le théologien réformé James Eglinton le soulignait dans un récent article de ce même magazine.

Depuis la publication en 2008 de la traduction anglaise de l’ouvrage phare de Bavinck, sa Dogmatique réformée (non traduite en français), on assiste à un flux constant de relectures de sa vie et de sa pensée. Plus récemment, de nouvelles traductions anglaises de textes moins connus, mais non moins importants, ont vu le jour : Vision chrétienne du monde, Christianisme et science et Guide pour l’enseignement de la religion chrétienne. Toujours en anglais, d’autres ouvrages ont fait l’objet de nouvelles éditions : Philosophie de la révélation, basé sur ses conférences de 1908 et Les œuvres merveilleuses de Dieu.

Des théologiens comme moi redécouvrent également la tradition néo-calviniste façonnée par Bavinck et son homologue théologien néerlandais Abraham Kuyper et examinent comment ces penseurs pourraient faire face à nos questions contemporaines, y compris notre regard sur la problématique du racisme. Si beaucoup ont récemment (et à juste titre) critiqué Kuyper sur cette question, ils ont souvent négligé les contributions de Bavinck à ce propos, dans lesquelles de nombreux chercheurs voient une amélioration par rapport à son collègue.

Le travail sur Bavinck offre de précieuses leçons pour des chrétiens vivant dans un climat politique de plus en plus polarisé. À l’instar de l’Europe du 19e siècle où évoluait Bavinck, de nombreuses nations d’aujourd’hui sont confrontées aux défis d’une culture de plus en plus postchrétienne. Aux États-Unis, nous assistons ainsi à des débats passionnés sur l’identité de la nation, le nationalisme chrétien et la manière dont nous pourrions tous trouver un terrain d’entente au milieu de différences substantielles.

La vision chrétienne néo-calviniste de Bavinck et Kuyper, en l’occurrence, affirme la diversité de la réalité, mais considère que cette diversité reflète une unité plus grande. Puisque le Créateur est trine, observent-ils, le monde se conforme souvent à des modèles d’unité dans la diversité. Cependant, Bavinck pensait que ce motif avait d’autres implications pour l’humanité elle-même.

Comme je l’ai montré ailleurs, Bavinck soutenait que la notion d’image de Dieu (imago Dei) ne se rapporte pas seulement à nous en tant qu’individus, mais à l’humanité dans son ensemble. Comme l’écrit le théologien Richard Mouw, Bavinck met en lumière comment l’image de Dieu se déploie « dans la riche diversité de l’humanité répartie en de nombreux lieux et époques », dans un mouvement où l’espèce humaine se disperse à travers le monde et développe des cultures, des langues et des contextes organiquement différenciés. Ces différences ne sont pas figées ou statiques, mais elles s’entrelacent sous l’action de l’Esprit dans l’unité magnifique et surprenante du royaume de Dieu.

En somme, Bavinck pensait que la gloire de Dieu se révélait plus clairement à travers la diversité de l’humanité, et que l’unité de cette diversité serait préservée par une confession commune de Jésus comme Seigneur. L’Église mondiale est un peuple de toutes tribus et de toutes langues, une humanité renouvelée marchant vers son accomplissement sous la seigneurie du Christ.

Mais Bavinck associait cette vision positive à de sévères mises en garde contre le racisme et le nationalisme. Dans deux textes, Vision chrétienne du monde et Philosophie de la Révélation, Bavinck anticipe la montée du nationalisme eurocentrique. Dans un livre à paraître, j’étudie comment le théologien détecte ces développements dans la philosophie allemande au tournant du 20e siècle, qui a finalement préparé le terrain pour le régime d’Hitler, la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste.

Bavinck attribue ces changements idéologiques au déclin de la foi chrétienne en Europe. Lorsque les humains cessent d’adorer Dieu, ils remplacent les réalités divines par des réalités créées (Rm 1.25). Ainsi, selon lui, toute société qui s’éloigne de la foi chrétienne nourrit naturellement le racisme et le nationalisme.

Si Dieu n’est pas la source de la définition de ce qui est vrai, bon et beau, alors la morale doit être ancrée dans l’humanité. Et si l’humanité n’est pas « générique » ou « universelle », mais diverse et en constante évolution, il faut alors décider quelle humanité, à quel moment de l’histoire, devient la norme pour nos évaluations morales. Dans le contexte de Bavinck, ce point de référence était le nationalisme aryen (qu’il décrivait comme « pangermanisme, panslavisme, etc. »), qui considérait la « race aryenne » comme le sommet de l’humanité universelle et donc comme l’incarnation de la norme.

Bavinck cite quelques-uns des « éloquents » premiers maîtres à penser dont l’idéologie raciste émergente influençait ses contemporains et dont les idées ont finalement conduit à reconfigurer Jésus lui-même comme un symbole ultime de la race aryenne.

Puisque chaque religion considère un personnage historique comme la source de sa révélation, le nouveau nationalisme allemand devait refondre Jésus en « le type le plus pur de la race aryenne ou germanique » afin de « conserver » son autorité. « Jésus n’est pas venu d’Israël, mais des Aryens », affirmaient-ils, car toutes les autres cultures passées sont primitives, y compris les Juifs. « Combien doit être stupide celui qui croit que Jésus n’était pas juif, qu’il était aryen », écrit Bavinck, « et que la Bible, dans laquelle chaque hérétique trouve ses appuis, en donnerait la preuve ».

Ce « réveil de la conscience raciale » était encore renforcé, selon Bavinck, par la vision historique de nombreux philosophes de son époque : chaque étape de l’histoire de l’humanité constitue une progression jusqu’à l’âge actuel, commodément représenté comme le plus évolué et cultivé. Ainsi, la race aryenne était considérée comme la race dominante et supérieure à laquelle on pouvait attribuer toutes les plus grandes réalisations de l’Europe (et donc du monde).

Bavinck décrit ce qui en résulte comme un retournement d’une « soi-disant vision historique pure » en « la construction la plus biaisée de l’histoire ». En situant l’éthique dans leur propre histoire et en projetant leur culture comme si elle était la norme absolue, ces Allemands se posaient comme l’arbitre et le sommet de l’histoire éclipsant toutes les autres nations et groupes de population. Ils libéraient leur « race maîtresse » de l’obligation de rendre compte à une révélation transcendante de Dieu, ce qui leur permit d’infliger une coercition oppressive à toutes les races « inférieures » et de rejeter toute autre culture susceptible de leur apporter un correctif.

Ces idéologies ont été associées à la pratique émergente de l’eugénisme, appliquant la théorie de l’évolution et les sciences naturelles à la volonté de création d’une race supérieure (Übermensch). Pourquoi alors ne pas tenter d’accélérer le processus de sélection naturelle par la « survie du plus apte » en éliminant les faiblesses génétiques pour « purifier et perfectionner » la race humaine ? Ainsi, philosophes, scientifiques et psychologues se sont unis dans le but de délivrer l’humanité de ses misères — ou, comme le formule Bavinck, « d’améliorer artificiellement les qualités raciales de l’humanité ».

Bavinck associe ces théories à l’aspiration des philosophes allemands à se présenter comme les porteurs d’une forme de salut eschatologique pour le monde. Il observe que ces penseurs ne rejettent pas seulement le christianisme parce qu’ils le perçoivent comme faux, mais parce qu’il est vu comme mauvais pour le développement de l’humanité : « Si la culture moderne veut progresser, elle doit rejeter totalement l’influence du christianisme et rompre complètement avec l’ancienne vision du monde. »

Pourquoi ? Comme l’explique Bavinck, alors que l’on croyait que l’espérance humaine moderne devait être entièrement « de ce monde », le christianisme était perçu par ses contemporains européens comme « indifférent à cette vie », puisque son espérance repose en fin de compte sur un royaume d’un autre monde, l’éternité, le ciel et Dieu. En d’autres termes, l’espoir en des réalisations humaines tangibles paraissait plus sûr que l’espérance en des réalités divines intangibles.

Selon Bavinck, le fait de considérer une société humaine ou une nation particulière comme le principal porteur de la civilisation morale comble le vide eschatologique laissé par le retrait de l’espérance chrétienne de la société moderne. Si la loi morale ne se trouve pas dans le transcendant, mais dans l’immanent, il en va de même pour le paradis. La société utopique est alors façonnée par la nationalité supposée représenter le « summum » de l’humanité.

Ces développements idéologiques, tous en vogue à l’époque, brossent un tableau bien sombre. Quelle a été la réponse de Bavinck ? Quelle autre issue proposait-il ?

Dans sa Philosophie de la Révélation, Bavinck souligne les problèmes insurmontables que pose la transposition des principes scientifiques de l’évolution naturaliste à l’histoire sociale de l’humanité. Cette tendance reflète à ses yeux une forme de monisme qui réduit la riche diversité de la vie créée à une uniformité singulière, comme si une explication qui fonctionne bien dans un contexte pouvait être utilisée dans tous les domaines de la vie.

Les tentatives d’élaboration d’un grand récit historique privilégient souvent une nation ou un groupe de personnes par rapport à d’autres, argumentait-il, et ignorent l’unité de la race humaine à travers le temps et l’espace. En outre, affirmer que chaque siècle est intrinsèquement et globalement meilleur que le précédent, c’est oublier que de « hautes civilisations » ont existé dans l’Antiquité, peut-être plus avancées que nous à certains égards, et que les mêmes vices que ceux de l’Antiquité affligent encore nos cultures contemporaines.

Au lieu d’une histoire linéaire de développement progressif culminant dans une nation ou une philosophie maîtresse, Bavinck croyait que l’histoire était pluriforme, un labyrinthe riche et à multiples facettes, et qu’elle racontait une humanité unie à travers toutes ses particularités, ses lieux et ses époques.

Et selon lui, pour éviter l’instinct suprématiste qui conduit à glorifier une nation ou une phase de l’histoire, les sciences historiques doivent être enracinées dans le théisme chrétien. Les historiens ont besoin d’une « révélation » divine unique pour affirmer que « toutes les créatures […] sont accueillies et tenues ensemble par une seule pensée première, par un seul et même conseil de Dieu ». La croyance en l’unité de l’humanité, qui est le « présupposé de toute l’histoire », est une affirmation « que seul le christianisme nous a fait connaître ».

Plutôt que de considérer une culture ou une ethnie comme l’expression universelle de la véritable humanité, le christianisme de Bavinck enseigne que « l’unité de l’humanité n’exclut pas, mais inclut au contraire la diversité de l’humanité en termes de race, de caractère, d’accomplissements, de vocation et de bien d’autres choses ».

Bavinck écrit que cette « variété a été détruite par le péché et transformée en toutes sortes d’oppositions » depuis que « l’unité de l’humanité a été dissoute en une multiplicité de peuples et de nations ». Mais au lieu de rechercher la « fausse unité » d’un monisme mondial, la préservation de la riche diversité de l’humanité exige que « l’unité de toute la création ne soit pas recherchée dans les choses elles-mêmes, mais dans la transcendance […] dans un être divin, dans sa sagesse et sa puissance, dans sa volonté et sa direction ».

En d’autres termes, affirmer le christianisme signifie rejeter une uniformité faite de main d’homme et accueillir la diversité ordonnée par Dieu. Seuls le salut en Christ et la communion dans son Esprit, la révélation divine et la rédemption peuvent restaurer et accomplir l’idéal d’une véritable unité organique de l’humanité dans sa diversité.

En tant qu’êtres humains, notre unité et notre diversité, notre identité et notre dignité sont toutes en dernier ressort assurées par le Christ, que Bavinck décrit comme le « noyau » révélant le « plan, l’avancement et le but » de l’histoire et écartant notre tendance pécheresse à nous exalter nous-mêmes comme idéal historique. En d’autres termes, le centre, le but, l’avancement et la fin ultime de l’histoire ne se trouvent pas dans l’humanité, mais dans le Christ.

La seule approche qui « répond à la diversité et à la richesse du monde », écrit Bavinck, est celle qui insiste sur le fait que l’histoire est gouvernée par la volonté divine. Mais il nous faut aussi croire que Dieu est volontairement et « historiquement » entré dans le monde, en la personne de Jésus-Christ, pour l’élever « jusqu’aux hauteurs » du « royaume des cieux ».

L’utopie céleste à laquelle nous aspirons n’est donc pas le résultat d’un progrès historique humain, mais une œuvre divine : « S’il doit y avoir un jour une humanité unie dans son cœur et dans son âme, celle-ci doit naître d’un retour au seul Dieu vivant et vrai. »

Dans une époque de plus en plus polarisée, le message de Bavinck sur la diversité unifiée de l’humanité est plus nécessaire que jamais. Au lieu de supposer que notre vision du monde est ultime ou supérieure à celles d’autres contextes, Bavinck nous rappelle le témoignage prophétique du message universel de réconciliation de Dieu incarné en Jésus-Christ.

Les réflexions anthropologiques de Bavinck ne sont certainement pas parfaites. Il reste un homme du 19e siècle et véhicule parfois des analyses ou un langage que les lecteurs du 21e siècle rejetteraient (par exemple, son vocabulaire des « hautes » et « basses » cultures). Mais il est remarquable qu’au tournant du 20e siècle, Bavinck ait ainsi anticipé les dangers de l’eugénisme, du racisme et du nationalisme naissants dans la philosophie allemande, autant de courants alors aussi en vogue parmi certains chrétiens.

Dans les siècles qui ont précédé les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’on croyait que « l’esprit allemand guérirait le monde », Bavinck ramenait à une eschatologie fondée sur la transcendance, établie non pas par la main de l’homme, mais initiée par la volonté divine. Dans une ère post-chrétienne, hier comme aujourd’hui, Bavinck nous rappelle que le racisme et le nationalisme plongent leurs funestes racines dans le rejet de doctrines chrétiennes qui fondent notre dignité, notre morale et notre espérance ultime en Dieu.

N. Gray Sutanto est professeur associé de théologie systématique au Reformed Theological Seminary à Washington, DC. Il est l’auteur, l’éditeur et le traducteur de plusieurs ouvrages, dont God and Humanity : Herman Bavinck and Theological Anthropology et le T&T Clark Handbook of Neo-Calvinism.

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Oui, le charisme a sa place en chaire

Mais il ne doit pas être confondu avec l’appel.

Christianity Today June 26, 2024
Illustration de Tim McDonagh

Le charisme connaît des temps difficiles dans l’Église. Beaucoup s’en méfient aujourd’hui très nettement. Et les lézardes apparaissent déjà depuis un certain temps. Il y a neuf ans, bien avant qu’Oxford University Press ne fasse de rizz le mot de l’année 2023 (un terme argotique anglais désignant le type de charisme qui inspire l’attirance romantique), Rick Warren affirmait que « le charisme n’a absolument rien à voir avec le leadership ».

Mais nous savons tous que les choses sont un peu plus compliquées que cela.

Nous aimons être conduit par des individus à la personnalité dynamique. Nous sommes attirés par eux, dans l’Église et en politique. Pour le meilleur ou pour le pire, le charisme est un facteur non négligeable. Le leader charismatique est un trait commun à l’histoire des débuts de nombreuses organisations et dénominations chrétiennes (et non chrétiennes). De nombreux mouvements trouvent leur origine dans une personnalité plus grande que nature, dotée d’une grande ambition pour Dieu et dont l’efficacité semble due autant à la personnalité qu’à l’appel de Dieu.

Par exemple, l’Écriture raconte que Saül, le premier roi d’Israël, était « était jeune et beau, plus beau que tous les Israélites, et […] les dépassait tous d’une tête » (1 S 9.2). L’apparence physique de Saül laisse penser qu’il serait un roi idéal.

L’expérience ultérieure prouvera le contraire. Lorsque le prophète Samuel cherche le successeur de Saül parmi les fils de Jessé, le Seigneur l’avertit de ne pas se laisser influencer par de telles choses. « Ne prête pas attention à son apparence et à sa grande taille, car je l’ai rejeté. En effet, l’Éternel n’a pas le même regard que l’homme : l’homme regarde à ce qui frappe les yeux, mais l’Éternel regarde au cœur. » (1 S 16.7)

Cependant, lorsque David est amené devant lui, 1 Samuel 16.12 souligne : « Le jeune homme avait le teint clair, un regard franc et une mine agréable. » (NFC)

Le charisme, comme la beauté, se trouve dans l’œil de celui qui regarde. Le charisme a donc une dimension culturelle. L’une des raisons pour lesquelles 1 Samuel insiste sur l’apparence physique de Saül et de David est que le roi était aussi un guerrier. Le peuple voyait en lui un libérateur (1 S 8.19-20). La taille de Saül et la santé de David ont contribué à leurs prouesses au combat et leur donnaient une apparence royale.

Cependant, l’Écriture est claire : les succès qu’ils ont connus n’étaient pas dus qu’à leurs dons naturels. Ce qui était en cause était le « charisme » au sens plus théologique du terme. Ils ont réussi parce que le Saint-Esprit est descendu sur eux avec puissance (1 S 10.10 ; 11.6 ; 16.13).

Puis tous deux ont commis des péchés qui ont été exposés aux yeux de tous. Les faillites similaires de leaders charismatiques contemporains ont fait la une de certains journaux et ont alimenté podcasts et documentaires. Leurs histoires nous rappellent brutalement que le charisme, comme la beauté, n’est parfois que superficiel.

Mais leurs trajectoires familières prouvent aussi que le charisme donne une sorte de pouvoir, qu’on le veuille ou non. Son origine reste cependant incertaine. S’agit-il d’une autorité qui vient de Dieu ? Ou simplement d’un produit de la chair ?

L’histoire a connu de nombreux leaders charismatiques. Mais cet idéal a été particulièrement mis en avant par le sociologue du 20e siècle Max Weber.

S’appuyant sur l’idée biblique que la capacité à diriger est un don de Dieu (Rm 12.8), Weber définit le charisme comme « une qualité certaine d’une personne individuelle en vertu de laquelle elle est distinguée des hommes ordinaires et traitée comme dotée de pouvoirs ou de qualités surnaturels, surhumains ou, du moins, spécifiquement exceptionnels ». Pour Weber, l’essence du charisme réside dans la force de la personnalité d’un leader qui incite les autres à le suivre.

Selon lui, une forte personnalité n’est pas le seul élément qui rend une personne charismatique. Le charisme est le résultat d’un ensemble de traits, dont la sainteté de caractère. Selon la définition de Weber, la combinaison qui constitue le véritable charisme est rare.

Si une définition sociologique du charisme le présente comme « le pouvoir par la personnalité », l’emploi biblique du terme situe le pouvoir ailleurs. Le charisme, dans les Écritures, est la puissance de l’Esprit saint accordée par la grâce du Christ. Cette capacité donnée par Dieu se manifeste à travers la personnalité (voire parfois en dépit de celle-ci). Dans cette définition biblique, la personnalité est un moyen par lequel la puissance de Dieu se manifeste, et non la source de cette puissance.

À cet égard, tout leadership est charismatique, car le leadership est un don de Dieu (l’étymologie grecque du mot charisme désigne un don). Non seulement la capacité d’exercer la direction est un don accordé à certains individus, mais ces individus sont eux-mêmes des dons accordés à l’Église (Ep 4.7-13).

Ce « charisme » spirituel n’est toutefois pas réservé à une poignée de personnes dans l’Église. « À chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour le bien de tous. » (1 Co 12.7) L’Église a des responsables, mais sa santé et son succès ne dépendent pas uniquement d’eux.

Les conducteurs de l’Église — ceux qui exercent les dons spirituels en son sein ainsi que ceux qui remplissent les fonctions et les tâches nécessaires à l’accomplissement de sa mission — contribuent tous à la direction charismatique de l’Église par le Saint-Esprit.

La faillite publique de nombreux leaders dynamiques nous rappelle qu’il est dangereux de trop se fier à un individu, y compris nous-mêmes.

Lorsque Jethro, le beau-père de Moïse, voit celui-ci entouré du peuple pour juger leurs différends du matin au soir, il comprend rapidement la folie d’un tel modèle de leadership : « Ce que tu fais n’est pas bien. Tu vas t’épuiser toi-même et tu vas épuiser ce peuple qui est avec toi. En effet, la tâche est trop lourde pour toi, tu ne pourras pas la mener à bien tout seul. » (Ex 18.17-18) La solution de Jethro consiste alors à répartir la charge en partageant la responsabilité de l’exercice de la justice avec d’autres.

Dieu semble avoir approuvé la sagesse de Jéthro lorsqu’il a lui-même pris de l’Esprit qui était sur Moïse pour le placer sur les anciens d’Israël (Nb 11.17).

Cette action n’anticipait pas seulement la charge partagée de la direction que nous observons dans l’Église du Nouveau Testament ; elle préfigurait également l’effusion plus large de l’Esprit le jour de la Pentecôte. Tout le monde dans l’Église n’est pas appelé à être un leader. Mais nous avons tous reçu le don de l’habitation de l’Esprit (Rm 8.9).

Si la capacité de diriger est en fin de compte attribuable à l’Esprit saint, quel rôle joue la personnalité ? Est-elle un avantage ou un obstacle ?

Il semble que beaucoup imaginent que le meilleur style de leadership est celui où la personnalité disparaît. Comme je l’ai écrit dans Preaching Today, cette réserve à l’égard de la personnalité résonne notamment dans une prière que j’ai souvent entendue prononcée avant un sermon. Quelque chose comme : « Que mes paroles soient oubliées, afin que l’on ne se souvienne que de ce qui vient de toi. » De telles prières sont bien intentionnées, mais manquent leur but, notamment parce qu’il n’y a généralement guère besoin d’un acte de Dieu pour oublier ce que dit le prédicateur.

Dans une série de conférences données aux étudiants de Yale, Phillips Brooks, maître de chapelle du 19e siècle, définissait la prédication comme la communication de la « vérité à travers la personnalité ». Pour Brooks, la personnalité ne se résume pas à un style personnel. Il s’agit du caractère, des affections, de l’intellect et de l’être moral du prédicateur. Il est question de l’action de Dieu sur l’ensemble de la personne.

Le leadership fonctionne de la même manière. Les qualifications pour le leadership décrites dans 1 Timothée 3 et Tite 1 se concentrent sur le type de personne considérée plus que sur les tâches qu’elle doit accomplir.

La personnalité joue un rôle important dans le leadership. Une étude menée par Warren Bird et Scott Thumma sur certaines des plus grandes églises américaines affirme que « dans l’ensemble, les pasteurs des grandes églises sont des serviteurs au long cours de leurs églises » — et non les personnalités abusives ou les criminels que les journaux nous ont appris à soupçonner. « Ils permettent à l’église de se concentrer sur la vitalité spirituelle, d’avoir un objectif clair et de vivre cette mission. »

La majorité de ces églises ont connu une croissance significative grâce au ministère d’un pasteur charismatique qui a servi la communauté pendant 22 ans en moyenne.

D’autres recherches suggèrent que certains facteurs de personnalité — la capacité à inspirer, l’assertivité et l’agréabilité — favorisent le travail d’implantation d’églises.

Dieu agit à travers la nature des personnes comme il le fait à travers les processus naturels. Il peut envoyer du pain du ciel, mais il fournit surtout de la nourriture par les plantations et les cultures. Il peut guérir instantanément par un miracle, mais il le fait plus souvent par l’intermédiaire des médecins et de leurs compétences. Le Christ a doté l’Église de personnalités douées qui enseignent, dirigent et administrent, et c’est ainsi qu’il travaille habituellement.

Il reste indéniable que le charisme personnel peut être un handicap comme un atout. Une étude de 2018 a montré que plus les leaders ont du charisme, plus ils sont perçus comme efficaces par ceux qui les suivent. Mais cela n’est vrai que jusqu’à un certain point. La difficulté consiste à déterminer le degré de charisme nécessaire.

Comment un responsable peut-il savoir qu’il est passé d’une saine confiance en soi à l’excès de confiance ? Malheureusement, il semble que cette leçon s’apprend généralement dans les échecs.

Les personnalités charismatiques peuvent être égoïstes et narcissiques. Pourtant, aucune église à la recherche d’un pasteur ne se dit : « Engageons un crétin prétentieux ! » De même, personne ne cherche une église en se disant « Où pourrais-je bien trouver un pasteur abusif ? » Nous sommes attirés par les leaders narcissiques parce qu’ils sont séduisants.

Les leaders narcissiques ont une présence. Ils sont passionnants. Ils promettent de grandes choses. Nombre d’entre eux produisent des résultats impressionnants, du moins pendant un certain temps. Les églises qui espèrent un leader messianique peuvent être attirées par le style narcissique qui accompagne souvent le leadership charismatique. Elles tolèrent alors les abus, espérant que le pasteur les conduira vers la terre promise du succès ecclésial.

Comme toute relation de codépendance, celle-ci repose sur un système dysfonctionnel de récompenses. Les communautés acceptent les comportements narcissiques parce qu’elles obtiennent quelque chose de ces responsables. Cela peut par exemple être la montée d’adrénaline offerte par une personnalité s’exprimant avec force dans la prédication. Souvent, il s’agit d’une capacité à attirer les foules.

Les églises qui tolèrent les abus des leaders narcissiques craignent souvent que personne d’autre ne soit en mesure de produire des résultats similaires. Ou bien elles craignent que le départ du pasteur ne nuise à la fréquentation. Plus l’église est grande, plus il peut être difficile de se désengager, car les enjeux sont énormes. Ces communautés finissent trop souvent par développer des écosystèmes qui renforcent les abus.

Les narcissiques s’entourent de personnes qui les font se sentir spéciaux. Ce cercle restreint éprouve un frisson par procuration en étant associé au leader. Cette association s’accompagne souvent d’avantages ou d’un traitement spécial, même s’il ne s’agit que d’un accès à une célébrité perçue. Il en résulte une boucle de codépendance qui aveugle les personnes chargées de demander des comptes au narcissique, ce qui les rend complices de l’abus.

Les leaders narcissiques sont généralement des tyrans. Ils développent des cultures organisationnelles marquées par la peur et la punition. Ils utilisent le pouvoir de leur position spirituelle pour faire taire tous ceux qui les contestent. Ils créent une culture qui muselle les objections et pénalise les opposants.

La contestation des dirigeants narcissiques a toujours un coût. Les membres de l’Église qui remettent en question leurs programmes ou leurs pratiques sont accusés de semer la discorde et de saper le plan de Dieu. Dans une mauvaise application de 1 Samuel 26.9 et 11, certains avertissent ceux qui critiquent le pasteur de ne pas « porter la main sur l’oint du Seigneur ». Les menaces et les représailles sont qualifiées de « discipline ecclésiastique ».

Weber décrit le processus de la manière suivante : « Le peuple choisit un dirigeant en qui il a confiance. Le dirigeant choisi dit alors : “Maintenant, taisez-vous et obéissez-moi.” » Cette approche ressemble à s’y méprendre à la philosophie de nombreux responsables d’église de premier plan. Leur forte personnalité les a rendus célèbres, mais leur le style intimidant les a ensuite conduits à la chute.

Comment trouver la personnalité idéale pour nous conduire ? Vous entendez peut-être là l’une de ces questions d’école du dimanche auxquelles la réponse est toujours « Jésus ». Bien que la Bible définisse des normes de caractère pour les responsables d’église, nous ne trouvons pas un seul type de personnalité présenté comme idéal, que ce soit par un exemple raconté ou un commandement explicite.

La Bible offre toutes sortes de portraits de leaders importants et imparfaits. Moïse n’est pas David, qui n’est pas Paul. Il ne semble pas que l’Esprit façonne ceux que Dieu utilise comme leaders en les faisant adopter ou délaisser un seul type de personnalité. Les extravertis, les introvertis, les planificateurs minutieux, les intuitifs, les personnalités dynamiques et les personnes plus en retrait semblent tous avoir leur place.

De même, le choix des apôtres par Jésus ne révèle guère un type apostolique unique. Pris ensemble, ses disciples semblent être un groupe improbable venant d’horizons radicalement différents et ayant des valeurs et des idéaux contradictoires — à l’exception peut-être d’une tendance commune à passer à côté de l’essentiel. Ils étaient pêcheurs, zélotes, séparatistes et collaborateurs des Romains. Cela contredit l’uniformité que l’on observe souvent dans les descriptions de la personnalité idéale du responsable.

Même s’il existe un profil de personnalité commun aux leaders charismatiques, la plupart des leaders de la Bible n’entrent pas dans cette catégorie.

Prenons l’exemple de Paul et d’Apollos. Aujourd’hui, nous connaissons beaucoup mieux le travail de Paul que celui d’Apollos. Mais lorsqu’ils étaient en vie, Apollos semble s’être attiré plus de suffrages. De l’avis général, il avait du charisme. Originaire de la grande ville d’Alexandrie, Apollos était « un homme éloquent et versé dans les Écritures » et « plein de ferveur » (Ac 18.24-25). Ces caractéristiques lui ont gagné une audience dans l’église de Corinthe (1 Co 3.4).

Paul avait aussi des disciples à Corinthe. Mais pour certains, le charisme de Paul se limitait à ses lettres. « Ses lettres sont sévères et fortes — dit-on — mais quand il est présent, il est faible et sa parole est méprisable. » (2 Co 10.10)

Ceux qui sont appelés à une même tâche ne l’accomplissent pas forcément de la même manière. Les exemples de responsables tels que Moïse, Pierre et Paul montrent que Dieu prépare les diverses personnalités aux tâches auxquelles celles-ci seront appelées. Je suis convaincu que cette préparation intègre des déficits, mais aussi des forces. Dieu appelle les insensés, les faibles, les méprisés et les timides (1 Co 1.26-29).

Un leadership de qualité dépend du charisme au sens large et biblique du terme. C’est un don que Dieu accorde par son Esprit. Les capacités de direction, ainsi que les responsables eux-mêmes, sont donnés par Dieu, tout comme ils l’étaient dans la Bible. La personnalité des responsables contemporains peut être aussi variée que celle de tous ceux dont nous parlent les Écritures, et tout aussi imparfaite.

Nous préférerions probablement avoir Jésus seul à notre tête. Nous aspirons peut-être à expérimenter un mouvement dont la seule impulsion viendrait de l’Esprit et non d’une réponse à la personnalité de quelqu’un.

Une telle chose est certainement possible, mais ce n’est pas la norme. La plupart du temps, Dieu agit par l’intermédiaire de personnes. Là où il y a des gens, la personnalité entre toujours en ligne de compte. Le Verbe qui n’a « pas redouté la matrice de la Vierge », comme le dit l’antique Te Deum, choisit aussi de se révéler à travers la personnalité de ses serviteurs.

Les faillites spectaculaires de tant de responsables de premier plan devraient nous inciter, en tant que chrétiens, à ne pas accorder trop d’importance à la personnalité d’un seul individu. L’Église n’a pas de place pour les cultes de la personnalité. Il n’y a qu’un seul Messie pour le peuple de Dieu, et son nom est Jésus.

Mais cela ne doit pas nous faire craindre la personnalité elle-même. La personnalité peut être déformée par le péché, mais elle est aussi le principal moyen choisi par Dieu pour manifester son image dans nos vies. La personnalité n’est pas un handicap en matière de leadership. Elle est le visage de l’âme.

John Koessler est écrivain, podcasteur et professeur émérite retraité du Moody Bible Institute. Son dernier livre s’intitule When God Is Silent, publié par Lexham Press.

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Les pasteurs doivent aussi fixer des limites

Quelques stratégies pour introduire des rythmes sains dans une culture d’église dysfonctionnelle.

Christianity Today June 20, 2024
Illustration by Anson Chan

Si je change ça, je risque de perdre mon poste », m’a dit un pasteur.

« Oui, c’est possible », ai-je répondu par souci d’honnêteté.

J’ai eu de nombreuses versions de cette conversation avec les pasteurs que j’accompagne. Beaucoup sont frustrés, épuisés et prêts à abandonner. Certains n’ont pas pris de vraies vacances depuis des années. D’autres souffrent de crises de panique ou d’autres symptômes de stress extrême. Leur mariage, leurs enfants, leur santé physique et leurs loisirs personnels ont tous été négligés. Ils se sont retrouvés à travailler 60, 70, voire 80 heures par semaine.

Au cours des 20 dernières années, je me suis spécialisé dans l’accompagnement des pasteurs. Depuis 10 ans, je le fais dans le cadre d’un centre de retraite pour les pasteurs et les responsables de ministères. Beaucoup d’entre eux ont réalisé qu’ils ne pouvaient plus exercer leur ministère de la même manière qu’avant. Mais ils sont également conscients d’une réalité douloureuse : l’établissement de limites saines n’est pas toujours soutenu par l’église. En fait, cette démarche pourrait conduire à leur licenciement.

Avant que vous ne partiez

Il est bon que les pasteurs s’efforcent d’établir des limites saines, mais ce n’est que la moitié du problème. Il y a deux parties dans la relation : le pasteur et la communauté. Que faire si une communauté refuse de respecter les limites saines d’un pasteur ? Et s’ils continuent à attendre du pasteur qu’il soit disponible à toute heure, tous les jours de la semaine ? Pour célébrer tous les mariages et toutes les funérailles ? Pour diriger chaque programme ? Alors quoi ?

Lorsque ma femme, Kari, et moi-même avions un cabinet de conseil privé, nous apportions occasionnellement notre soutien à de jeunes adultes qui vivaient encore chez leurs parents, mais dans des situations dysfonctionnelles, par exemple avec des parents en proie à la toxicomanie. Ces jeunes adultes souhaitaient une vie saine. Ils pouvaient à mes yeux emprunter quatre voies distinctes :

1. Essayer de bien vivre dans un système dysfonctionnel et peu susceptible d’évoluer.

2. Changer le système pour que tout le monde vive mieux.

3. Partir pour pouvoir mieux vivre.

4. Céder et perpétuer le dysfonctionnement.

Les pasteurs peuvent se trouver dans des situations très similaires. D’après mon expérience, nombre d’entre eux prennent l’option 3 ou 4. Ils se peut qu’ils commencent par essayer l’option 1. Mais maintenir des limites saines face à une pression persistante peut s’avérer plus épuisant que de simplement succomber à des attentes irréalistes. Les pasteurs s’en vont donc, persuadés que rien ne changera dans leur église. Ou bien ils renoncent aux changements qu’ils espéraient apporter, résignés à l’idée que c’est ainsi que fonctionne le ministère et qu’ils feraient mieux de s’y habituer.

Les pasteurs doivent-ils nécessairement se retirer ou baisser les bras ? Non. Dans de nombreux cas, avant que le départ ne devienne nécessaire — ou avant qu’ils ne soient licenciés — ils peuvent essayer la deuxième solution : revenir à un fonctionnement sain et emmener leur église avec eux. Un pasteur peut évoluer vers de justes limites et aider intentionnellement l’église dans ce processus.

Qui peut prendre le relais ?

Souvent, les pasteurs arrivent dans notre centre de retraite après avoir veillé tard la veille pour mettre en place les derniers éléments qui permettront que leurs responsabilités soient prises en charge en leur absence. Cette ultime course révèle une réalité courante dans l’Église : personne n’est déjà formé pour prendre en charge les différents aspects du ministère du pasteur, qui doit donc se démener pour trouver des personnes capables de le faire. La bonne nouvelle, c’est que les pasteurs peuvent généralement bel et bien trouver des personnes qui s’engagent et prennent le relais.

Søren Kierkegaard écrivait : « Plus une personne se limite, plus elle devient pleine de ressources. » De nombreux pasteurs sont devenus habiles à faire beaucoup de choses. Un changement dans la culture de l’église pourra s’amorcer lorsqu’un pasteur aborde sérieusement ces questions : Et si je ne pouvais pas venir la semaine prochaine ? Que se passerait-il ? Qui ferait quoi ? Qu’est-ce que je suis le seul à pouvoir faire et sur quoi dois-je me focaliser ? Pour revenir à des termes empruntés à Kierkegaard, comment pourrais-je me concentrer sur l’intensité et non sur l’extensité ?

Trouver et former d’autres personnes prêtes à assumer les diverses responsabilités du pasteur est une étape fondamentale dans le maintien de limites saines. Par exemple, accompagnez un ancien qui a un penchant pour la prédication. Prenez avec vous un paroissien au cœur pastoral en visite à l’hôpital. Formez une personne pour animer les réunions en l’absence du pasteur. Cela permettra non seulement d’assurer le bon fonctionnement de l’église lorsque le pasteur est absent ou se consacre à d’autres tâches, mais cela peut également ouvrir à des expressions régulières du ministère laïc.

Le fait d’équiper intentionnellement d’autres personnes pour qu’elles puissent assumer certaines responsabilités pastorales aide le corps de l’église à grandir et à mûrir. Cela permet au pasteur de se décharger de certaines tâches, aux responsables laïcs de mieux comprendre le rôle du pasteur et de faire preuve d’empathie à son égard, et agit directement contre la principale résistance à ce que le pasteur impose des limites. La première raison pour laquelle les gens s’opposent aux limites d’une autre personne est qu’ils pensent que ces limites leur enlèvent quelque chose qu’ils veulent ou dont ils ont besoin. Lorsque le pasteur leur dit « Non, je ne vais pas faire ça », les membres d’une église se rebiffent parce qu’ils pensent perdre quelque chose. Cela peut provenir de leur propre peur, de leur insécurité, de leur paresse, de leur sentiment d’appartenance ou même de la fierté qu’ils mettent dans les compétences de leur pasteur. Mais lorsqu’il devient évident que quelqu’un d’autre peut accomplir une tâche donnée, les gens apprennent qu’ils n’ont pas à craindre de perdre quelque chose.

Mettre les choses par écrit

Pour qu’une église puisse respecter les limites saines de son pasteur, il est essentiel qu’elle dispose d’une description de poste écrite et réaliste qui précise les attentes de l’église pour cette responsabilité. Le pasteur peut prendre le temps d’échanger avec les responsables de l’église pour évaluer et ajuster la description du poste, en ajoutant des précisions lorsque c’est possible. On peut par exemple détailler les heures de travail hebdomadaires prévues, le nombre de dimanches que le pasteur doit prêcher par an ou le nombre maximum de mariages qu’il est supposé pouvoir célébrer dans l’année.

Le pasteur peut être confronté à un obstacle de taille lorsque les autres responsables de l’église (tels que les anciens ou le conseil de l’église) n’ont pas une vision complète de tout ce qu’il ou elle fait. Dans ce cas, le pasteur peut tenir un journal pendant un mois, en notant tout le temps consacré aux tâches liées au ministère (y compris les conversations par SMS avec les membres de l’église). Ce registre aidera les autres responsables à comprendre les difficultés du pasteur à limiter le nombre d’heures de travail par semaine et peut susciter une discussion fructueuse sur la manière de donner la priorité aux tâches principales du pasteur, comme la préparation des prédications.

Lorsque les responsabilités pastorales sont limitées, spécifiques et soutenues et que la communauté se trouve face à un pasteur en bonne santé, passionné, concentré et enthousiaste, elle comprend les avantages qu’il y a à ce que le pasteur puisse choisir judicieusement ce sur quoi il se concentre et ce qu’il laisse de côté.

Laisser parler l’Écriture

Au fur et à mesure que les pasteurs grandissent et approfondissent leur maturité spirituelle et leur santé en Christ — en particulier dans le domaine des limites — ils peuvent aussi transmettre ces leçons à leur communauté du haut de la chaire. Cela profite non seulement aux pasteurs eux-mêmes, mais aussi à tous ceux qui les écoutent et apprennent ainsi à cultiver un rythme sage et des priorités centrées sur Christ, qu’ils soient laïcs ou responsables d’église.

La prédication sur les valeurs bibliques qui sous-tendent une bonne compréhension des limites peut prendre de nombreuses formes. Par exemple, les pasteurs pourraient prêcher sur des thèmes bibliques comme l’importance de veiller sur son cœur parce que celui-ci est la source de la vie, ou sur le fait que chaque membre du corps du Christ est appelé à être une main, un pied ou un œil et que les limites peuvent aider les gens à rester dans le cadre de leur appel. Des prédications pourraient encore explorer l’importance de donner la priorité au repos du sabbat ou la façon dont notre identité en Christ nous permet de dire oui ou non à certaines choses. De tels messages peuvent favoriser une culture d’église ayant des attentes saines à la fois à l’égard des membres de l’église et de ceux qui les servent.

Pour clarifier davantage auprès de la communauté ce que le pasteur fait et ne fait pas, un sermon sur le rôle biblique du pasteur (en particulier s’il est apporté par un prédicateur invité) peut s’avérer très utile. Il pourrait également être judicieux qu’un responsable autre que le pasteur aborde les éléments clés du travail du pasteur avec la communauté lors d’une rencontre de membres.

Un risque qui en vaut la peine

Lorsqu’un pasteur est confronté à la crainte que la communauté ne respecte pas ses limites, il est préférable qu’il communique aux autres responsables que le fonctionnement actuel n’est pas tenable et essaie d’aider à changer les choses plutôt que de partir tranquillement ou d’attendre d’être licencié.

Fixer des limites, demander le soutien des autres responsables et de la communauté et déléguer des rôles sont de bonnes mesures à prendre, même si elles échouent. Si certains pasteurs que j’ai finalement vus tenter de fixer des limites ont été bien reçus par les responsables de l’église et la communauté, j’ai malheureusement aussi vu d’autres pasteurs faire face à l’incompréhension. Il s’agit d’une réalité douloureuse à laquelle certains sont confrontés.

Même si le succès n’est pas garanti, il est bon pour tout le monde de travailler patiemment et stratégiquement pour essayer de changer la culture de l’église afin que celle-ci valorise de saines limites, y compris celles du pasteur. Le jeu en vaut la chandelle. Un pasteur étant le pasteur qu’il ou elle est appelé à être, interagissant avec chacun des membres du troupeau tels qu’ils sont appelés à être, contribuera à ce que la vie du corps de Christ s’exprime comme elle appelée à le faire.

Michael MacKenzie est conseiller agréé et pasteur ordonné. Il a accompagné des pasteurs et d’autres responsables chrétiens au cours des 20 dernières années et est actuellement directeur exécutif de Marble Retreat. Il est l’auteur de Don’t Blow Up Your Ministry.

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Le charisme et ses nécessaires compagnons

Les mouvements ecclésiaux ont besoin de leaders attirants. Mais les meilleurs responsables ont besoin de plus que de charme.

Christianity Today June 20, 2024
Illustration de Tim McDonagh

Emad se distingue à plus d’un titre. Il a grandi dans un immense bidonville, mais est devenu directeur d’une succursale bancaire dans une grande ville. La plupart des habitants de sa région sont musulmans et animistes, mais la mère d’Emad, fervente chrétienne, lui a inculqué la passion d’aller à la rencontre de ceux qui se perdent pour leur parler de Christ. Il se trouvait par là en tension avec l’église locale dont il était pasteur, où les croyants lui semblaient ne pas s’intéresser à l’évangélisation.

Après quelques années d’« échec » dans le pastorat, Emad (un pseudonyme), déprimé, s’est un jour retrouvé en train de prier dans une rue poussiéreuse. Là, il a senti l’Esprit saint le diriger vers un chaman. Ce sorcier avait récemment rêvé d’un homme venant lui parler du « Dieu vivant ». Avec enthousiasme, il a présenté Emad à tout son réseau de connaissances et, très vite, des gens ont commencé à venir à Christ.

À cette rencontre entre Emad et ce sorcier, on peut faire remonter l’apparition de 7 000 nouvelles églises dans les dix années qui ont suivi. Le mouvement s’est étendu à cinq groupes de population différents dans trois pays.

En tant que chercheurs dans le domaine de l’implantation d’églises, nous voulions comprendre qui étaient les personnes qui, comme Emad, ont ouvert à la multiplication des disciples de Jésus dans des endroits où il n’y avait que peu ou pas de chrétiens connus. Ces personnes sont ce que nous appelons des « leaders pionniers ».

Nous voulions également comprendre un groupe exceptionnel dont fait partie Emad : environ 1 500 leaders pionniers dans le monde dont les disciples ont fait des disciples qui ont à leur tour fait des disciples au point de donner naissance à au moins 100 nouvelles églises. Ce sont ceux que nous appelons les « catalyseurs de mouvement ».

Emad et les autres participants à notre étude n’ont accepté d’y contribuer qu’à condition que leurs réponses soient anonymes et que leurs noms complets ne soient pas publiés, ce qui est une pratique courante dans la recherche. En outre, nombre de ces pionniers travaillent dans des régions peu sûres pour les évangélistes.

Selon notre recherche, divers éléments de la personnalité de ces catalyseurs de mouvement se rejoignent pour expliquer en partie ce qui se passe lorsque les nouveaux croyants se multiplient de façon exponentielle dans un endroit d’où ils étaient auparavant absents. Nos travaux ont permis d’identifier 21 qualités qui caractérisent la plupart de ces catalyseurs de mouvements et les distinguent de leurs pairs qui n’ont pas été à l’origine de tels mouvements de discipulat.

Tout cela n’enlève évidemment rien à l’action première de l’Esprit saint à travers la puissance de l’Évangile. Aucune combinaison particulière de traits et de qualités personnelles ne peut être à lui seul à l’origine d’un mouvement. Mais puisque Dieu a choisi d’agir à travers les hommes et les femmes qu’il appelle, les qualités qu’ils manifestent et qu’ils cultivent font partie de son œuvre dans le monde. Il nous incombe d’entretenir ces qualités chez eux.

Bien que les causes conduisant à l’apparition d’un mouvement ne puissent être réduites à une formule, les données empiriques suggèrent que partout où il y a un mouvement débouchant sur de nombreux nouveaux chrétiens et de nombreuses nouvelles églises, il y a aussi un missionnaire pionnier avec un ensemble de certains traits notables.

Deux des trois caractéristiques les plus fréquemment observées sont la prière intense pour le salut des membres de la communauté en question et l’accent sur la formation de disciples.

La troisième est le charisme.

Depuis des millénaires, les gens considèrent que le charisme est au cœur de la conduite d’un groupe. Plus récemment, la recherche sur le « leadership transformationnel » a permis de constater que le charisme est l’une des rares qualités qui semblent être partout valorisées chez les dirigeants. Toute une école de pensée s’est consacrée à ce que le spécialiste en management Robert House a appelé en 1977 le « leadership charismatique ».

Mais qu’est-ce que le charisme ? Nous avons constaté que, chez les catalyseurs de mouvement, le charisme est une combinaison de confiance en soi, d’agissements désintéressés et de capacité à influencer les autres par sa personnalité (plutôt que par son statut ou son titre). Les gens se sentent honorés d’être associés à de tels leaders.

Il n’y a en somme rien de surprenant à ce que les catalyseurs de mouvements soient marqués par le charisme. Selon notre définition, ils sont à la pointe des transformations personnelles et sociales à grande échelle par le biais de l’Évangile.

Cependant, plus d’un parmi nous a eu des expériences négatives avec des leaders très charismatiques.

Ce qui soulève la question suivante : comment le charisme peut-il rester une bonne chose plutôt qu’une simple source de pouvoir pour un individu ? Dans notre recherche, nous avons considéré le charisme non pas comme un don autonome, mais comme quelque chose qui est complété et façonné (ou non) par d’autres qualités. Nous avons constaté que ces potentiels garde-fous du charisme étaient liés à la fois à la vie intérieure des personnes et à leurs compétences interpersonnelles.

Les disciplines spirituelles sont normalement invisibles pour les autres. Pourtant, elles agissent puissamment pour influencer notre personnalité publique.

L’une des façons dont les catalyseurs de mouvements fondent leur charisme est leur discipline privée d’« écoute de Dieu ». Ils vivent dans une position de dépendance à l’égard de Dieu qui les amène à prendre régulièrement le temps d’attendre sa direction pour leur vie et leur ministère. Cette habitude constitue un puissant antidote spirituel à l’égoïsme qui peut contaminer un leader charismatique.

Une autre qualité qui marque les pionniers de notre étude est une forte tendance à la conscienciosité, l’un des cinq grands traits de personnalité qui ont été validés par la recherche en psychologie. Le sens des responsabilités de ces personnes est un élément assez stable de leur caractère. Cette nature consciencieuse empêche les leaders charismatiques d’agir de manière trop impulsive et de donner la priorité à leurs propres caprices.

Nous avons constaté que les catalyseurs de mouvement sont des personnes qui font preuve d’une autodiscipline marquée, qui s’efforcent de dépasser les attentes des autres et qui contrôlent et dirigent leurs propres impulsions.

Si toute personne en position d’autorité doit savoir contrôler ses impulsions — ce qui fait partie de la conscienciosité — la chose est peut-être encore plus importante pour les leaders charismatiques. Les leaders charismatiques se retrouvent souvent à l’œuvre au-delà des cadres organisationnels ou hiérarchiques. Ils ont donc d’autant plus besoin de se maîtriser.

La façon dont les catalyseurs de mouvement sont centrés sur les autres est le deuxième garde-fou qui empêche leur charisme de déraper.

Dans notre étude, les catalyseurs de mouvement semblaient avoir un niveau inhabituellement profond d’amour pour les autres. En général, ces individus ne veulent pas utiliser les gens pour des raisons égoïstes. Mais au-delà de cela, les catalyseurs de mouvement s’intéressent réellement à la vie et au bien-être des autres, et ils l’expriment par des moyens que ces personnes peuvent ressentir.

Un autre trait stable des Big Five, l’agréabilité, façonne également le charisme des catalyseurs de mouvement. Nos recherches ont montré qu’ils sont plus soucieux de l’harmonie sociale que la moyenne des implanteurs d’églises, qu’ils sont généralement des compagnons agréables et qu’ils sont prêts à faire des compromis lorsqu’ils interagissent avec d’autres personnes. L’agréabilité empêche les leaders charismatiques de dominer les autres.

Enfin, on peut également observer une valeur tempérante dans leur propension à donner des responsabilités aux autres, une caractéristique légèrement plus prononcée chez les catalyseurs de mouvement que le charisme lui-même.

Les responsables qui n’œuvrent pas à l’autonomisation de ceux qui les entourent ont tendance à accumuler eux-mêmes le pouvoir, attirant les responsabilités comme un aimant. Mais les catalyseurs du mouvement que nous avons étudiés ont délibérément opéré dans l’esprit inverse, en renonçant librement au contrôle. Ils ont confié des responsabilités à d’autres, quitte à risquer l’échec.

Un leader très charismatique de notre étude montre à quel point cette démarche peut être délibérée :

Chaque fois qu’une crise survenait, je me disciplinais pour aller voir les responsables que notre équipe formait et leur dire : « Vous devez partir et prier à ce sujet, prier jusqu’à ce que vous obteniez une réponse. Et quand Dieu vous dira ce qu’il faut faire, venez me le dire. » Bien sûr, j’ai toujours eu peur qu’ils me fassent quelque chose de bizarre. Mais vous savez quoi, cela a toujours porté du fruit. Ils priaient jusqu’à ce qu’ils entendent le Saint-Esprit, qui leur donnait toujours quelque chose d’étonnant qui était biblique et qui correspondait bien à la culture du pays.

Bien entendu, il existe différents types de responsables pour différentes situations. Le profil d’un catalyseur de mouvement efficace peut ne pas être celui d’un bon responsable pour une église moribonde dans une société imprégnée de tradition chrétienne. Une personne manquant de ce type de charisme peut aussi conduire une église vers la fécondité.

Néanmoins, nos recherches montrent que les responsables ayant porté un nombre de fruits exceptionnel ont généralement une personnalité charismatique. Elles démontrent également que le charisme seul ne suffit pas.

Mais dans les meilleures conditions — lorsque les leaders charismatiques ont d’autres qualités qui régulent leur vie intérieure et ont développé l’amour des gens, une personnalité agréable et un souci de responsabiliser les autres — une telle personnalité peut être une force pour que l’Évangile prenne racine dans de nouveaux croyants, de nouvelles églises et de nouveaux responsables.

Emanuel Prinz est consultant en développement et chercheur en mouvements ecclésiaux. Il est l’auteur de Movement Catalysts et blogue sur Catalytic Leadership.

Gene Daniels et sa famille ont implanté des églises en Asie centrale pendant 12 ans. Il effectue des recherches sur le ministère dans le monde musulman et écrit sous un pseudonyme pour des raisons de sécurité.

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