En ces temps de polarisation et d’opinions tranchées, une part importante des chrétiens américains n’est toujours « pas sûre » de ce qu’elle pense des questions liées à la guerre entre Israël et le Hamas.
Une récente enquête de l’institut chrétien Lifeway Research, parrainée par le Philos Project, a révélé certaines convictions significatives parmi les personnes s’identifiant comme chrétiennes : de fortes majorités soutiennent le droit d’Israël à l’autodéfense (83 %), mais aussi le droit palestinien à l’autodétermination (76 %) et l’objectif d’une solution à deux États (81 %).
Mais de nombreuses questions révèlent des incertitudes quant à la complexité du conflit :
- 15 % se déclarent incertains quant au résultat optimal à rechercher.
- 17 % quant à savoir si les habitants de Gaza sont responsables des attaques du Hamas.
- 18 % quant à savoir si la rébellion armée palestinienne est une réponse naturelle à de mauvais traitements.
- 24 % quant à savoir si le blocus de Gaza par Israël constitue une oppression des Palestiniens.
- 24 % quant à savoir si le contrôle israélien de la Cisjordanie et de la bande de Gaza constitue une occupation illégale.
- 26 % quant à savoir si la plupart des habitants de Gaza soutiennent la lutte du Hamas contre Israël.
- 31 % quant à savoir si les colonies israéliennes situées au-delà des frontières reconnues sont illégales.
En outre, 41 % des personnes interrogées ont une perception globale d’Israël qui oscille entre plutôt positive (25 %) et plutôt négative (16 %), tandis que 11 % ne sont pas du tout sûres de ce qu’elles pensent.
Pour chacune de ces questions, bien entendu, une grande diversité d’opinions s’exprime. Afin d’analyser plus en profondeur les diverses approches du sujet, nous avons demandé à quatre experts évangéliques — deux personnes issues d’organisations de promotion de la paix aux États-Unis, un responsable juif messianique en Israël et un chrétien palestinien — de décrire ce qu’ils ont trouvé de plus surprenant, préoccupant et encourageant dans les résultats de l’enquête :
Robert Nicholson, président du Philos Project (« promouvoir un engagement chrétien positif au Proche-Orient dans l’esprit de la tradition hébraïque ») :
Alors qu’une grande partie du monde est en train de tergiverser ou de condamner Israël, je suis agréablement surpris de voir que tant de chrétiens américains tiennent leur position et dénoncent le mal indicible perpétré par le Hamas. Une large majorité (83 %) reconnaît qu’Israël doit prendre des mesures fortes pour lutter contre la campagne de terrorisme que cette organisation mène depuis des décennies.
Le fait que la plupart des chrétiens désignent les médias comme principale influence dans leur réflexion concernant ce conflit (44 %) — et non la Bible (27 %) — est assez choquant. Seuls de faibles pourcentages déclarent que leur église (12 %) ou les dirigeants chrétiens (10 %) influencent leur opinion. Cela montre bien que les chrétiens ne sont pas plus à l’abri de l’air du temps que n’importe qui d’autre. Cela met également en évidence un manque de leadership chez les pasteurs qui n’aident pas leurs fidèles à réfléchir à l’un des conflits les plus importants de notre époque. Seuls 14 % ont entendu une expression de soutien à Israël dans leur église.
Je suis également préoccupé par le grand nombre de personnes qui penchent en faveur d’options pacifiques pour mettre fin au conflit israélo-palestinien. Le fait que 88 % des personnes interrogées estiment qu’une paix durable passe par une solution mutuellement négociée est louable, mais déconnecté de la réalité lorsque le Hamas se voue à la destruction d’Israël.
Cette enquête révèle une corrélation directe entre la fréquentation d’une église et une bonne clarté morale dans cette situation, quelle que soit la dénomination, ce qui est très encourageant. Ceux qui vont plus souvent à l’église sont plus susceptibles de nommer le mal qui a déclenché cette guerre et de soutenir les victimes lorsqu’elles agissent pour se défendre. Alors que 16 % des chrétiens estiment que les États-Unis ne font pas assez pour aider Israël, cette proportion passe à 23 % pour ceux qui vont à l’église au moins une fois par semaine. La perception positive globale d’Israël passe également de 65 à 71 %.
L’amitié des chrétiens avec le peuple juif — 41 % ont déjà rencontré un Israélien — et, par extension, avec l’État juif n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui. Mais seulement 13 % d’entre eux déclarent que leurs expériences personnelles avec les Juifs contribuent à leur perception d’Israël. Les chrétiens ont passé la majeure partie des 20 siècles passés à condamner les Juifs. Il est inadmissible qu’aujourd’hui, alors que les Juifs sont attaqués par des extrémistes religieux, des chrétiens fassent tout sauf se tenir à leurs côtés.
Todd Deatherage, directeur exécutif du groupe Telos (« un mouvement pro-israélien, pro-palestinien et pro-paix qui recherche la dignité, la liberté et la sécurité pour tous ») :
Pendant trop longtemps, de nombreux membres de l’Église américaine ont appuyé la fiction selon laquelle le conflit israélo-palestinien serait un jeu à somme nulle. Les résultats de cette enquête montrent que se limiter à l’alternative entre soutien à Israël ou soutien à la Palestine ne correspond pas à la compréhension qu’ont la plupart des chrétiens du caractère sacré de toute vie et de la dignité inhérente aux Israéliens et aux Palestiniens.
Mais il était tout de même inattendu de voir un soutien aussi fort à ce que nous appelons chez Telos « l’épanouissement mutuel », à savoir l’idée qu’il ne peut y avoir d’avenir sain pour les Israéliens ou les Palestiniens sur le territoire s’il n’y a pas d’avenir sain pour les uns et pour les autres. Une majorité écrasante de chrétiens américains soutient l’objectif d’une solution à deux États (81 %), croit au droit à un État et à l’autodétermination pour les deux nations (88 % pour les Israéliens, 76 % pour les Palestiniens) et affirme qu’une paix durable dépend de leur entente mutuelle (88 %).
Il est réconfortant de constater que tant de personnes voient que la violence engendre la violence et que le caractère sacré de la vie humaine nécessite de s’opposer à la fois à l’attaque brutale du Hamas du 7 octobre et au blocus, à l’invasion et au bombardement de Gaza par Israël, qui ont entraîné des pertes massives en vies humaines et la ruine de la région.
Seuls 16 % des sondés estiment que le Hamas ne pourrait réaliser ses aspirations nationales que par la violence, tandis que 75 % pensent qu’il s’agit d’un groupe extrémiste isolé de la plupart des autres Arabes. Et 50 % sont d’accord pour dire que le blocus constitue une oppression pour les Palestiniens.
Le fait qu’un si grand nombre de personnes pensent que les chrétiens devraient plaider en faveur d’un cessez-le-feu immédiat (42 %) et d’efforts importants pour minimiser les pertes civiles (53 %) montre qu’ils comprennent que la violence sous toutes ses formes est à l’origine de la situation actuelle. Elle n’est pas la solution.
Mon inquiétude vient de ce que les points de vue exprimés ici ne sont pas entendus. La voix dominante qui émerge du monde évangélique ne reflète pas la nuance et la complexité qui apparaissent dans cette enquête. Il s’agit d’un moment historique où les chrétiens ne doivent pas rester silencieux, d’autant plus que de nombreux responsables chrétiens de premier plan ont exprimé leur soutien à la destruction de Gaza et que d’autres sont d’une indifférence déconcertante face à la perte de vies palestiniennes.
Pendant trop longtemps, les chrétiens évangéliques ont constitué la voix la plus forte et la plus audible pour nier les liens entre les Palestiniens et la terre. Au bout du compte, c’est l’humanité des Palestiniens qui a été négligée, même celle des chrétiens palestiniens. Aujourd’hui, il est difficile de voir comment cette guerre n’entraînera pas l’extinction de la communauté chrétienne de Gaza, qui remonte à plusieurs siècles.
Il est urgent de mettre en place une solide communauté d’artisans de la paix, engagée à soutenir l’épanouissement de tous et, dans une période comme celle-ci, de pleurer avec tous ceux qui sont en deuil. Mais nous avons également la responsabilité d’agir pour mettre fin à cette folie et aborder les questions essentielles de manière à assurer la sécurité, la dignité et la liberté des Israéliens comme des Palestiniens. Les résultats du sondage suggèrent que cette voie, qui a souvent paru solitaire, est plus que jamais envisageable. Les chrétiens peuvent et doivent participer à ce travail.
Dan Sered, directeur des opérations de Juifs pour Jésus et président de la Consultation du Mouvement de Lausanne sur l’évangélisation des Juifs :
Les résultats de l’enquête de Lifeway étaient attendus et choquants. Ce qui me préoccupe le plus, c’est de voir à quel point les médias influencent l’opinion que l’on se fait d’Israël. Nous avons prié pour que le Seigneur utilise cette tragédie pour rapprocher les gens de lui. Mais la réalité actuelle révèle que 44 % des chrétiens admettent que les médias influencent le plus leur point de vue, contre 17 % seulement qui s’orientent d’abord par la Bible.
Les implications vont au-delà de la guerre et du Moyen-Orient. Lorsque les médias occultent les Écritures, les informations erronées circulent librement et les perspectives sont orientées par l’émotion, l’expérience et l’opinion publique. En Ésaïe 55, le Seigneur nous dit que mes pensées sont plus élevées que les vôtres, mais seuls 12 % des chrétiens se disent influencés par leur église locale en ce qui concerne Israël. Le défi sera d’autant plus grand pour une approche biblique de la marche chrétienne que les États-Unis entrent dans une année d’élections présidentielles.
En outre, lorsque 81 % des personnes qui s’identifient comme chrétiennes soutiennent l’objectif d’une solution à deux États, cela reflète leur manque de compréhension du fait que le Hamas ne marche pas dans cette voie : il veut l’extermination des Juifs. Pourtant, seulement 33 % des personnes interrogées pensent que les chrétiens devraient plaider pour qu’Israël poursuive le combat jusqu’à ce que le Hamas se rende.
Je pose la question à mes frères et sœurs : « Êtes-vous prêts à devenir une Corrie ten Boom des temps modernes et à offrir un refuge au peuple juif ? » Alors que nous [avons célébré] la naissance de Jésus, il convient de se rappeler que celui qui est né roi des Juifs veut que nous priions pour la sécurité du peuple qu’il est venu sauver.
Les chrétiens croient aux promesses de Dieu de préserver les siens, mais les Israéliens non croyants n’y voient aucune garantie. Pour eux comme pour nous, l’Holocauste n’est pas un souvenir si lointain. Qu’on nous pardonne de nous demander si le monde fermerait à nouveau les yeux sur le renouvellement d’une « solution finale ».
Satan ne demande pas mieux que de voir les terroristes détruire cette terre et tous ses habitants. En tant que chrétiens — Juifs, non-Juifs et Palestiniens — nous devons faire comprendre que le seul espoir d’une paix durable est de devenir des disciples de Jésus. La proclamation de l’Évangile doit être notre priorité absolue.
Cette enquête a été réalisée en ligne, et les médias sont l’une des principales raisons pour lesquelles près de 9 chrétiens sur 10 suivent l’actualité de cette guerre. Mais lorsque quelque chose [comme les médias] cesse d’être une simple ressource et commence à diriger notre vie, cela suggère que notre confiance est placée dans l’équivalent des chars et des chevaux du Psaume 20, verset 7. Nous vivons une période difficile, et la cruauté du terrorisme a laissé de nombreuses personnes en quête d’espoir et de réconfort.
Certes, l’armée israélienne a de très bons antécédents en termes militaires et les États-Unis ont manifesté un soutien sans faille à Israël. Mais je sais qu’il est vain et peu durable d’y fonder son espoir. Ma confiance doit être fermement enracinée dans le Seigneur, fortifiée par sa Parole et sa présence dans la prière. Ce n’est qu’ainsi que je peux me rappeler l’espérance éternelle que j’ai dans le Messie Yeshoua, à la fois maintenant et pour l’avenir.
Botrus Mansour, président de la Convention des églises évangéliques en Israël, basé à Nazareth, s’exprimant en sa qualité personnelle d’écrivain et d’avocat chrétien palestinien israélien :
À la lumière de l’attaque brutale du 7 octobre par le Hamas, je m’attendais à ce que le soutien des chrétiens américains à Israël soit encore plus élevé qu’il ne l’est. Pourtant, j’ai été surpris que les résultats indiquent des positions plus modérées. Une majorité (53 %) estime que les croyants devraient préconiser des mesures énergiques pour réduire au minimum les pertes civiles, ce qui reflète une préoccupation pour le nombre élevé de Palestiniens innocents tués. Une forte minorité (42 %) appelle en outre à un cessez-le-feu immédiat pour mettre fin à la tuerie.
J’aimerais que ces chiffres soient plus élevés.
Il semble également que l’on comprenne mieux le contexte des attaques du Hamas, sans pour autant les justifier, bien entendu. Alors qu’un tiers seulement (36 %) reconnaît que le contrôle israélien sur Gaza et la Cisjordanie est une occupation illégale, la moitié (50 %) reconnaît que le blocus de Gaza a opprimé les Palestiniens. Et les trois quarts (74 %) reconnaissent en général que les Palestiniens ont le droit de se défendre et de défendre la terre sur laquelle leurs familles vivent depuis des générations.
L’occupation est contraire au droit international et constitue un obstacle sérieux aux pourparlers de paix et à toute solution juste.
Ce qui m’encourage, c’est le soutien solide à une solution politique après la guerre (88 %) et la reconnaissance du droit palestinien à l’autodétermination (76 %). Je prie pour que cela se traduise par une action solide et sans compromis. J’espère que, dans l’intérêt des Israéliens et des Palestiniens, toute partie qui refuse une résolution viable et équitable de ce conflit devra rendre des comptes.
Mais je suis préoccupé par le fait que beaucoup pensent que les chrétiens devraient plaider pour qu’Israël se batte jusqu’à ce que tous les otages soient libérés (38 %) ou jusqu’à ce que le Hamas se rende (33 %). Le prix à payer serait très élevé : une longue guerre avec un nombre croissant de soldats israéliens tués, ainsi que des dizaines de milliers de Palestiniens innocents en plus de ceux déjà décédés. Non seulement ces objectifs sont très difficiles à atteindre, mais ils entrent également en contradiction [avec les précédents].
La part des personnes qui préconisent la formation d’un État palestinien autonome en dehors d’Israël (30 %) est encore plus faible, bien qu’il s’agisse d’une aspiration forte. Il y a là la solution à long terme qui, si elle est appliquée de bonne foi, mettra fin aux cycles de violence sanglante.
Il est intéressant de constater que 44 % des chrétiens américains citent les médias comme étant ce qui influence le plus leur opinion sur Israël, alors que 17 % seulement citent la Bible. Je me demande si cela se reflète dans l’ordre des raisons qu’ils invoquent pour justifier leur soutien, partant du droit d’Israël à l’autodéfense (60 %) et du fait qu’il est le plus proche allié des États-Unis (47 %) pour aller vers le fait que ce territoire est la patrie historique des Juifs (44 %) et vers la judéité de Jésus (32 %), finissant par les prophéties bibliques (30 %) et l’enseignement de la Bible (28 %).
Toutes ces raisons sont peut-être valables, mais elles ignorent complètement la question morale du traitement des Palestiniens par Israël. Les médias sont une bonne source, mais sont parfois partiaux — et 44 % des sondés sont d’accord à ce sujet. D’autre part, comprendre ce que dit la parole de Dieu sur la situation actuelle d’Israël n’est pas une tâche aussi simple que certains le pensent.
Malheureusement, seuls 13 % des chrétiens américains ont vu leur opinion influencée par des expériences personnelles avec des Juifs, et 5 % seulement avec des Palestiniens. Sur ce dernier point, j’aimerais qu’il y en ait davantage, afin de surmonter les stéréotypes existants. Les Palestiniens sont généreux, travailleurs et accueillants. Un plus grand nombre de personnes devraient le découvrir.