Aux sources du courage moral d’Alexeï Navalny

Le dissident russe assassiné était prêt à persévérer malgré son isolement, sachant que se tramait une plus grande histoire dans laquelle il ne serait jamais seul.

Alexei Navalny se tient à proximité d’agents des forces de l’ordre dans un couloir d’un centre d’affaires qui abrite les bureaux de sa Fondation anticorruption, à Moscou.

Alexei Navalny se tient à proximité d’agents des forces de l’ordre dans un couloir d’un centre d’affaires qui abrite les bureaux de sa Fondation anticorruption, à Moscou.

Christianity Today February 22, 2024
Dimitar Dilkoff/Contributeur/Getty

Ce texte a été adapté de la newsletter de Russell Moore. S’abonner ici (en anglais).

Le président russe Vladimir Poutine vient d’assassiner un autre chrétien. Ce n’était qu’un pas parmi d’autres dans le projet de Poutine de protéger « l’Occident chrétien » de l’impiété. Après tout, nous a-t-on rappelé, on ne peut pas créer un empire nationaliste chrétien sans tuer des gens.

Avant que le monde n’oublie le cadavre d’Alexeï Navalny dans le froid glacial d’une colonie pénitentiaire de l’Arctique, nous devrions y prêter attention — en particulier ceux d’entre nous qui suivent Jésus-Christ — pour réfléchir à ce qu’est réellement le courage moral.

Navalny était peut-être le dissident anti-Poutine le plus connu au monde. Il a maintenant rejoint les nombreux ennemis de Poutine « soudainement décédés ». Il avait survécu à un empoisonnement en 2020, s’était rétabli en Europe et était finalement retourné dans son pays d’origine en sachant ce qui l’attendait. Parlant de sa dissidence et de sa volonté d’en assumer les conséquences, Navalny avait fait référence à plusieurs reprises à sa profession de foi chrétienne. De nombreux médias ont récemment relayé une transcription de son procès de 2021 sur le site Meduza dans laquelle Navalny explique en des termes bibliques frappants ce que signifie souffrir pour ses convictions.

« Le fait est que je suis chrétien, ce qui fait de moi le sujet de moqueries constantes au sein de notre Fondation anticorruption, car la plupart de nos membres sont athées, et j’ai moi-même été un athée militant », déclarait Navalny. « Mais maintenant, je suis croyant et cela m’aide beaucoup dans mes activités, car tout devient beaucoup plus facile. »

« Il y a moins de dilemmes dans ma vie, parce qu’il y a un livre dans lequel, en général, il est plus ou moins clairement écrit ce qu’il faut faire dans chaque situation », expliquait-il. « Il n’est pas toujours facile de suivre ce livre, bien sûr, mais je m’y efforce. »

Navalny déclarait notamment être motivé par ces paroles de Jésus : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés ! » (Mt 5.6)

« J’ai toujours pensé que ce commandement spécifique était plus ou moins un appel à agir », expliquait-il. « Ainsi, même si je n’apprécie pas vraiment l’endroit où je me trouve, je n’ai aucun regret d’être revenu ou de faire ce que je fais. Ce n’est pas grave, parce que j’ai fait ce qu’il fallait. »

« Au contraire, j’éprouve une réelle satisfaction », a-t-il ajouté. « Parce qu’à un moment difficile, j’ai fait ce qui était demandé par les instructions et que je n’ai pas trahi le commandement. »

Ces paroles pourraient sembler un peu simplistes à certains. Après tout, pourrait répondre un incroyant, la plupart des membres du mouvement prodémocratie et anti-tyrannie dont Navalny faisait partie ne croyaient pas, eux, aux « instructions » de l’Écriture. Et Poutine lui-même est soutenu par les principaux dirigeants de l’Église orthodoxe russe, dont certains sont aussi disposés que n’importe quel prophète de cour à parer son assassinat du langage de la vertu et de la civilisation chrétiennes. (Bien qu’il y ait aussi des exemples de dissidence croyante.)

Mais cette réponse ne tiendrait pas compte de ce que Navalny voulait dire. Il ne disait pas que les chrétiens sont courageux et que les non-croyants ne le sont pas. Il existe de nombreuses preuves du contraire, en Russie comme dans bien d’autres pays.

Navalny avait toutefois reconnu que l’attrait de la lâcheté morale fait que ceux qui font preuve de courage se retrouvent bien souvent isolés. On peut toujours rassurer sa conscience en se disant qu’il est pour l’instant plus prudent de se taire. Navalny comprenait la terreur que suscite l’idée d’être relégué en dehors du groupe, d’être considéré comme un traître par ses compatriotes et comme un hérétique par ses coreligionnaires.

Pour résister à l’attrait de la foule, il faut un autre motif que l’espoir de saisir une opportunité nouvelle de « succès » politique. Navalny comprenait qu’il fallait, comme le disait le missionnaire évangélique Jim Elliot, accepter de se faire « étranger ».

« Pour une personne moderne, tout ce commandement — “heureux”, “assoiffé”, “affamé de justice”, “car ils seront rassasiés” — peut bien sûr sonner très pompeux », expliquait Navalny. « Cela sonne un peu étrange, pour être honnête. »

« Les gens qui disent de telles choses sont censés, franchement, avoir l’air fous », soulignait-il. « Des gens fous, étranges, assis là avec des cheveux ébouriffés dans leur cellule et essayant de se remonter le moral avec quelque chose, bien qu’ils soient seuls, des solitaires, parce que personne n’a besoin d’eux. »

« Et c’est la chose la plus importante que notre gouvernement et l’ensemble du système essaient de dire à ces personnes : vous êtes seul. » « Vous êtes un solitaire. Il faut d’abord intimider, puis prouver que l’on est seul. »

Ce faisant, Navalny ne témoignait pas seulement de ses propres motifs d’aller à l’encontre de la norme — il contredisait également la nature même de la conception poutinienne du christianisme. Dans un régime de ce genre, être « chrétien », c’est être russe (ou toute autre variante locale dans d’autres contextes). Être « chrétien », c’est être une personne « normale », qui ne veut pas sortir du rang ou exposer sa conscience à des pensées susceptibles de lui causer des difficultés.

Après l’assassinat de Navalny, The Free Press a publié des lettres échangées entre lui et le célèbre ancien dissident soviétique Natan Sharansky, qui purgea sa peine dans la même colonie pénitentiaire de l’Arctique pendant certaines des années les plus périlleuses du régime communiste. Des passages bibliques sont cités tout au long et Navalny plaisante en se demandant à « quel autre endroit passer la semaine sainte » que dans le complexe pénitentiaire que le vieil homme appelle son « alma mater ».

C’est là, je crois, la racine du courage moral de Navalny, de sa volonté de tenir même seul, de sa volonté de mourir. Ce n’est pas seulement qu’il connaissait des versets de la Bible. Le patriarche pro-Poutine de l’Église orthodoxe russe en connaît sans doute plus. C’est la façon dont il semblait connaître l’Écriture. Il semblait connaître non seulement les simples « instructions » de Jésus sur la faim et la soif de justice, sur le fait d’être heureux dans la persécution, mais aussi l’histoire plus vaste qui les sous-tend. Il savait que ces mots étaient étranges. Il savait qu’ils paraissaient fous.

Dans l’introduction de son recueil de poèmes sur la joie, le poète Christian Wiman note que les premiers auditeurs du message du Nouveau Testament, offensés par l’étrangeté de ce qu’ils entendaient, « auraient très bien pu simplement rentrer chez eux en passant devant des rangées de cadavres crucifiés spécialement conçues pour éradiquer tout espoir ou joie subversive. » L’étrangeté revêt ici une réelle importance. Personne ne peut entendre ce que dit Jésus lorsqu’il qualifie de « heureux » les oubliés, les persécutés, les pauvres et les méprisés, sans comprendre pourquoi sa propre famille pensait qu’il était fou (Mc 3.21).

C’est probablement la raison pour laquelle Navalny discernait si clairement les méthodes du régime de Poutine pour faire en sorte que les dissidents se sentent étranges, fous et solitaires : Navalny l’avait déjà vu auparavant, dans un Empire romain qui faisait la même chose avec ses croix.

Les personnes qui font preuve de courage moral, qu’elles soient croyantes ou non, ont toutes sortes de motivations pour justifier leurs convictions. Mais, quelle que soit la motivation, on ne peut pas faire preuve de courage moral sans être prêt à se retrouver chassé de ce que l’on appelle « ma maison » ou « mon peuple ». Mais voici le joyeux paradoxe : personne n’est jamais seul lorsqu’il fait partie d’une histoire plus grande, lorsqu’il appartient à un ensemble plus vaste.

Il existe une vaste nuée de témoins dans laquelle nous retrouvons Élie et Jérémie, Pierre et Paul, saint Maxime et Dietrich Bonhoeffer, et d’innombrables autres qui sont morts apparemment abandonnés, passant pour fous en leur temps (Hé 12.1). Ce sont de telles personnes — et non les évêques « chrétiens allemands » du Reich ou le patriarche orthodoxe qui encourage Poutine — qui ont semé les graines de la génération suivante de chrétiens.

Avoir « faim » ou « soif », c’est constater qu’il manque quelque chose, que les satisfactions offertes ne sont pas suffisantes. Comme le soulignait C. S. Lewis, l’appétit même pour ces choses est un signe que ce dont on a faim, ce dont on a soif, existe bien quelque part.

C’est une chose que l’on peut parfois même percevoir depuis un goulag. C’est étrange. C’est fou. Mais c’est ce qu’au moins une Personne que je connais appelle être « heureux »

Russell Moore est rédacteur en chef de Christianity Today et dirige son projet de théologie publique.

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Repenser la guerre évangélique des sexes

Les lignes de fracture entre égalitariens et complémentariens ne se trouvent peut-être pas au bon endroit.

Christianity Today February 21, 2024
Illustration d’Abigail Erickson/Images sources : Getty

L’année dernière, je suis tombé sur des mots acerbes à l’encontre du ministère d’enseignement de Beth Moore. Ses prêches et ses enseignements étaient décrits comme une « drogue d’initiation au féminisme radical », déclarait un jeune conservateur. J’ai trouvé la rhétorique consternante, mais je n’ai pas pu le dire à l’auteur de ces mots, car il n’existe plus. Il s’agissait de Russell Moore, en 2004.

J’avais assurément tort à propos de Beth Moore, mais l’expression « drogue d’initiation » me fait encore plus réfléchir. Le débat sur les genres entre complémentariens et égalitariens a souvent été houleux parce qu’il portait justement sur cette question : quelles affirmations étaient des « drogues d’initiation » menant à quel abîme, quelles « pentes glissantes » conduiraient à quelle erreur.

Certains étaient convaincus que les égalitariens nous éloigneraient de ce que la Bible déclare être bon : que Dieu nous a conçus comme des hommes et des femmes, que nous avons besoin de mères et de pères, que l’expression sexuelle devrait être limitée à l’union entre un mari et une femme. D’autres mettaient en garde contre le fait que les arguments complémentariens faisaient une utilisation fautive des Écritures, semblable à celle employée dans les générations précédentes pour défendre la suprématie blanche et l’esclavage.

Ces dernières années, nombre d’entre nous ont vu d’anciennes alliances et certitudes brisées en mille morceaux. Nous avons également découvert des « pentes glissantes » dans des endroits imprévisibles. Parmi les plus traditionnels, une frustration se manifeste face à une définition de plus en plus étroite d’un certain complémentarisme, de plus en plus conditionné par la lutte contre ses « ennemis » plutôt que par la recherche d’un véritable consensus biblique. Des questions de premier ordre définissant la catholicité de l’Église ont été traitées comme des problématiques internes, tandis que des questions secondaires ou tertiaires relatives aux « rôles des hommes et des femmes » ont été mises en avant comme des questions cruciales définissant les possibilités d’unité.

Plus important encore, de récents scandales ont montré que certaines craintes des égalitariens en matière de pentes glissantes étaient au moins partiellement fondées. Pour certains, ce qui se cachait derrière le zèle pour l’« autorité masculine » relevait moins d’un désir d’agir de manière responsable devant Dieu que d’un dégoût pathologique des femmes ou, pire, d’une couverture pour la manière sadique dont des femmes et des jeunes filles étaient réduites au silence. La chose est apparue non seulement dans les horreurs découvertes elles-mêmes, mais aussi avec ceux qui ne donnent aucune preuve qu’ils satisfont aux exigences de 1 Timothée 2 pour le ministère, des gens qui, au lieu de mettre fin à la « colère » et aux « disputes » (v. 8), s’empressent d’appliquer le reste du chapitre pour fustiger des femmes qui oseraient être l’oratrice invitée d’une église le jour de la fête des Mères.

Quoi que l’on puisse penser de la rhétorique du « leader serviteur » d’organisations masculines comme les Promise Keepers il y a une génération, nous ne sommes certainement pas plus avancés avec certaines tendances virilistes « theobro » soucieuses de s’opposer à des attributs prétendument féminisants tels que l’empathie et la gentillesse. Il s’est avéré que dans de nombreux propos décrits comme « bibliques », il y avait plus de John Wayne que de Jésus, plus de masculinisme que d’Écriture.

De nombreux égalitariens évangéliques se sont également retrouvés « sans domicile fixe ». Dans les milieux progressistes, leur « féminisme » est mis en doute parce que, pour eux, la question est de savoir comment interpréter au mieux les Écritures inspirées et faisant autorité — y compris les lettres de Paul — et non de les « déconstruire ». Aujourd’hui, alors que les idéologies du genre présentent bel et bien une pente glissante lorsqu’elles remettent en cause la binarité entre homme et femme, les évangéliques égalitariens se retrouvent fréquemment à devoir défendre l’idée qu’il existe réellement une complémentarité entre l’homme et la femme, mais pas de type patriarcal.

Comme me l’a dit une pasteure, « je ne peux pas participer à des conférences auxquelles je veux assister — avec des gens avec lesquels je suis d’accord sur 99 % des sujets — parce qu’ils pensent que je suis “libérale”, tandis que certaines des personnes qui se réjouiraient de mon ordination sont horrifiées par le fait que je n’abandonnerai jamais le langage biblique fondamental de Dieu en tant que Père, Fils et Saint-Esprit. »

Beaucoup d’entre nous ont besoin de reconsidérer les personnes qu’ils considéraient autrefois comme des « ennemis » ou des « alliés ». Peut-être les lignes de fracture n’étaient-elles pas au bon endroit depuis le début. Les partisans du baptême des croyants, par exemple, ont plus en commun avec les évangéliques qui pratiquent le baptême des enfants qu’avec les mormons qui baptisent les adultes. Ceux qui ne sont pas d’accord sur la manière dont Galates 3.28 s’accorde avec Éphésiens 5, mais qui veulent voir les hommes et les femmes pleinement engagés dans l’accomplissement du mandat confié par Jésus ont plus en commun les uns avec les autres qu’avec ceux qui voudraient que le genre soit tout ou rien.

Une nouvelle génération d’hommes et de femmes chrétiens arrive. Pour ce qui est de leur apprendre à marcher ensemble et à se soutenir mutuellement pour enseigner et conduire l’Église, je fais en tout cas bien plus confiance à Beth Moore qu’au Russell Moore de 2004.

Russell Moore est rédacteur en chef de CT.

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Books

Dieu est-il un homme ou une femme ?

Une évocation de deux ouvrages traitant de la manière dont notre conception du genre interagit avec notre perception de Dieu.

Christianity Today February 21, 2024
Illustration de Mallory Rentsch/Images sources : WikiMedia Commons

Deux livres publiés en 2022 par Eerdmans abordent notre regard sur le sexe de Dieu sous deux angles différents.

God Is, de Mallory Wyckoff, est plus personnel et plus large dans son approche du divin. Women and the Gender of God, d’Amy Peeler, est plus érudit, systématique et orthodoxe dans ses affirmations sur la nature de Dieu.

Pour être franche, j’ai failli rédiger l’avant-propos du livre de Wyckoff tant j’étais enthousiasmée par son approche du sujet. God Is s’oppose à la « représentation par défaut de Dieu comme une vieille figure masculine dans les cieux » en montrant que Dieu est, comme l’indique le titre d’un chapitre, « plus que ce que nous avons été amenés à croire ».

Wyckoff aborde une grosse douzaine d’affirmations potentiellement nouvelles sur ce que « Dieu est » : « Mère », « sage-femme », « hôtesse », « foyer ». Il s’agit d’un livre courageux, dans lequel il y a plus à apprendre qu’à dénoncer. Cependant, les chapitres dans lesquelles Dieu est présenté comme « survivant d’un traumatisme sexuel » et « sagesse intérieure » ne m’ont pas seulement mise mal à l’aise ; je les ai trouvés hétérodoxes. Le premier repousse les limites de l’analogie d’une manière qui ne convient pas, et la seconde renvoie au nom d’une hérésie.

Pour Wyckoff, plus on en apprend sur soi-même, plus on modifie sa conception de Dieu. Cette affirmation est en partie vraie. Au fur et à mesure que nous grandissons dans la vie et la foi, nous devrions passer du lait à la viande, comme le dit l’apôtre Paul (1 Co 3.2-6). Wyckoff observe que prendre de l’âge l’a amenée à imaginer Dieu sous un jour nouveau : « À chaque saison de ma vie, à chaque itération de ma personne, j’ai vu Dieu se refléter dans de multiples lumières. J’ai rencontré diverses images du Dieu qui est à la fois toutes celles-ci et aucune d’entre elles. » Elle souhaite ainsi élargir notre vision de Dieu et nous faire passer d’un « petit Dieu — un petit vous » à une abondance de métaphores.

Bien que j’apprécie la façon dont Wyckoff développe la personnalité de la divinité au-delà de « une ou deux métaphores pour Dieu — toutes résolument masculines », elle ne tient pas compte de certaines limites importantes. Son manque de balises concernant l’identité de Dieu lui permet d’absorber le mysticisme non chrétien comme source de vérité, tout en affirmant que « les chrétiens ne sont pas propriétaires du concept de Dieu ». Plus grave encore, Wyckoff assimile sa connaissance de Dieu avec sa conception d’elle-même, comme « deux vagues dans une danse rythmique, séparées l’une de l’autre, mais se déplaçant comme une seule », négligeant les distinctions entre ces réalités.

Une bonne dose de l’Orthodoxie de G. K. Chesterton permettrait de trier entre les affirmations indéfendables de ce livre et ses véritables perles. Chesterton nous aide à voir que quelqu’un qui ouvre trop largement ses bras ne pourra pas tout embrasser, mais finira par ne plus tenir à rien. En réfutant ce qu’il appelle l’hérésie du « dieu intérieur », Chesterton écrit : « Que Jones adore le dieu qui est en lui s’avère en fin de compte signifier que Jones adore Jones. »

Au lieu de se référer à son dieu intérieur, explique-t-il, le christianisme affirme que « l’on ne doit pas seulement regarder à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur, pour contempler avec étonnement et enthousiasme une compagnie divine et un divin capitaine. »

Si nous devons élargir notre représentation de Dieu au-delà des images masculines, cet élargissement de la nature divine ne devrait par ailleurs pas non plus élargir la taille de notre ego. « Si un homme veut élargir son monde », conseille Chesterton, « il doit toujours se faire petit. » De même, si nous désirons un Dieu grand et saint, nous devons reconnaître notre nature de créature.

Peeler rejoint Wyckoff pour dire que Dieu est mal compris lorsqu’on l’envisage de manière strictement masculine et que cette image a conduit à dévaloriser les femmes. Elle commence par deux grandes affirmations qui sont répétées tout au long de son livre : « Dieu valorise les femmes » et « Dieu le Père n’est pas un homme ».

En raison des connotations sexuées du mot « père », de nombreuses personnes présupposent une masculinité de Dieu. Cette hypothèse conduit à une forme de hiérarchisation erronée entre hommes et femmes. Wyckoff énumère diverses citations misogynes tirées de la tradition ecclésiastique, avant d’ajouter avec humour : « La réalité est que ces hommes comptent parmi les penseurs les plus applaudis et les plus influents, qui ont fondamentalement façonné ce que nous appelons le christianisme. » C’est la raison pour laquelle Wyckoff choisit de nouvelles sources pour ses métaphores.

Peeler, elle, reste dans la tradition de l’Église pour réfuter nos hypothèses erronées sur la masculinité de Dieu. Elle ne cherche en aucun cas à faire de Dieu une icône féministe, pas plus qu’elle ne renverse la hiérarchie des sexes pour favoriser les femmes au détriment des hommes. Au contraire, elle utilise la logique et l’Écriture pour corriger certaines affirmations sur Dieu que leur inexactitude n’a pas empêchées de prendre de l’importance. À juste titre, elle souligne que « tous les humains souffrent lorsque Dieu ressemble plus à certains qu’à d’autres ». Elle dissèque les arguments insuffisants en faveur de la masculinité de Dieu et met en valeur l’importance des femmes dans le récit chrétien, tout en soutenant des positions théologiques orthodoxes et des affirmations crédibles.

Avant de lire le livre de Peeler, je ne m’étais jamais arrêtée sur le fait que Dieu s’incarne à travers la chair d’une femme. En effet, bien que Jésus ait été un homme à part entière, sa substance humaine lui a été fournie au moyen du corps d’une femme, sa mère, Marie. « L’incarnation dit clairement et singulièrement non à la misogynie », écrit Peeler. Dieu apparaît à une femme, lui demande son accord pour accomplir une mission divine, daigne résider dans son ventre et élève ainsi son corps au rang de lieu saint.

Peeler détaille comment le corps incarné de Jésus s’est intimement appuyé sur Marie : « C’est le corps que l’Esprit saint a préparé à partir de la seule chair de Marie et le corps qui est entré dans le monde par Marie, le corps qui a été nourri par le lait de Marie et entouré par les bras de Marie. » D’une certaine manière, l’eucharistie elle-même nous vient à travers la chair de Marie, car c’est d’elle que sort le corps du Christ.

Bien que Peeler dénonce l’hérésie d’un Dieu masculin et mette en avant les femmes, elle plaide pour que les chrétiens continuent à utiliser le langage du Père et du Fils, tel qu’il a été institué par les Écritures et par Jésus. Si « Dieu présente des caractéristiques à la fois masculines et féminines », le langage utilisé dans les Écritures, la tradition ecclésiale et les paroles de Jésus lui-même mettent l’accent sur sa filiation et sur la paternité de Dieu. Peeler estime que les chrétiens doivent se soumettre à la manière dont Dieu se nomme lui-même, mais que « tout langage sur Dieu » doit être « interprété à travers le prisme de l’incarnation ».

Dans ses propos sur Jésus en tant que « Sauveur masculin », Peeler résiste à nouveau à la tentation de s’écarter de l’orthodoxie. Elle reconnaît que la tradition de l’Église a mal interprété la signification de la masculinité de Jésus pour les chrétiens et les chrétiennes. Par exemple, C. S. Lewis et d’autres théologiens ont affirmé à tort que les femmes ne peuvent pas « représenter Dieu » à la tête d’une église, car cela amènerait les fidèles à penser que « Dieu est comme une bonne femme » et donc à croire en une « religion autre que la religion chrétienne ».

Peeler cherche à rappeler à l’Église dans son ensemble que Jésus est « le Sauveur incarné en un homme et doté d’une chair fournie par une femme ». La femme a été créée à partir de l’homme, mais le nouvel homme est créé à partir de la femme. Peeler s’appuie sur Augustin pour étayer son argumentation : « Il est né d’une femme ; ne désespérez pas, messieurs, le Christ était heureux d’être un homme. Ne désespérez pas, mesdames, le Christ était heureux d’être né d’une femme. » Que les lecteurs soient d’accord ou non avec les affirmations de Peeler concernant le rôle des femmes dans l’Église, son argumentation est sérieuse et convaincante.

Avant de conclure, Peeler passe des affirmations sur le sexe de Dieu à leurs implications pour la vocation des femmes. Elle exalte d’abord l’exemple de Marie, en qui Dieu « accorde un honneur inestimable à la maternité ». Elle passe ensuite en revue les façons dont Dieu a appelé la mère de Jésus à servir son royaume en énumérant d’autres rôles qu’elle a remplis, notamment celui de chanter pour Élisabeth, d’instruire les serviteurs à Cana et de témoigner devant les foules à la Pentecôte. Pour l’autrice, « le Dieu du Nouveau Testament ne réduit pas au silence le ministère verbal des femmes ».

Ce que j’admire dans le livre de Wyckoff, c’est qu’elle nous assure que l’utilisation d’images féminines de Dieu n’est pas synonyme d’agenda féministe. Les femmes sont autorisées — et même encouragées — à trouver des moyens de représenter Dieu dans le monde. Le livre de Wyckoff vise à renforcer la voix des femmes dans l’Église, encore trop souvent négligée ou réduite au silence. En outre, l’ouvrage est drôle et rafraîchissant.

Ce que j’aime le plus dans le livre de Peeler, c’est la façon dont elle démontre qu’une interprétation systématique de la Parole de Dieu soutient bel et bien nos intuitions sur la beauté de la féminité. Plutôt que de se fier à une expérience personnelle qui pourrait nous induire en erreur, Peeler étaye ses affirmations par des preuves tirées des Écritures et de la tradition ecclésiastique. Avec l’autorité d’une spécialiste de la Bible, elle nous rappelle l’importance des femmes et le fait que, heureusement, Dieu n’est pas un simple homme.

Jessica Hooten Wilson est la première chercheuse en arts libéraux du Seaver College à l’université de Pepperdine et chercheuse principale au Trinity Forum. Elle est l’autrice de plusieurs livres, dont le plus récent est Reading for the Love of God: How to Read as a Spiritual Practice.

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Comment l’Église peut-elle contribuer à la guérison des femmes noires ?

Être une « femme noire forte » était ma fierté, mais j’ai bien failli en mourir.

Christianity Today February 21, 2024
Gary Parker/Getty/Adaptations par CT

Les chrétiens noirs d’Amérique font face à de nombreuses préoccupations, telles que s’assurer que « les vies noires comptent » dans nos églises, transmettre l’Évangile aux jeunes générations, former la prochaine génération de responsables de nos églises, lutter contre le nationalisme chrétien blanc et identifier des moyens par lesquels l’Église peut s’attaquer aux disparités raciales dans notre pays.

Mais dans ma propre vie de chrétienne noire, je me préoccupe en particulier de savoir comment l’Église peut aider les femmes noires à se débarrasser du cliché néfaste de la « femme noire forte ». Vivre selon ce stéréotype peut avoir des conséquences destructrices, voire mortelles sur la santé mentale et physique des femmes noires. Si l’on ajoute à ces problèmes le stigmate associé aux problèmes de santé mentale tels que l’anxiété et la dépression, il en résulte que trop de femmes noires cachent leurs véritables préoccupations par crainte d’être stigmatisées.

L’Église est cependant particulièrement bien placée pour aider les femmes noires à trouver un soutien thérapeutique et théologique lorsqu’elles sont confrontées à des problèmes de santé mentale.

L’image de la femme noire forte est source d’une fierté que les femmes noires portent depuis des générations. Les chercheurs identifient systématiquement trois caractéristiques qui y sont associées : la retenue émotionnelle, l’indépendance et l’abnégation.

Cette tendance est probablement née à la fois de l’expérience personnelle et culturelle des femmes noires (notamment pendant les siècles d’esclavage de masse fondé sur la race au cours desquels nous avons protégé la structure familiale tout en endurant abus et tortures) et des exigences de la société à l’égard des femmes noires (notamment la lutte contre la discrimination fondée sur la race et le sexe pendant la période des lois Jim Crow aux États-Unis et le soutien apportée au mouvement des droits civiques). Nous avons cherché à être fortes par peur de paraître faibles.

Pendant de trop nombreuses années, j’ai adhéré à l’idéologie de la femme noire forte. Elle pouvait à la fois « ramener le bacon à la maison et le faire frire dans la poêle ». Elle n’avait pas besoin de demander de l’aide parce qu’elle pouvait tout faire — elle était une épouse, une mère, une travailleuse, une responsable de ministère, une bénévole et une amie accomplie. Elle possédait le « Black girl magic » et inspirait tous ceux qui se trouvaient dans sa sphère d’influence. Je voulais être cette femme noire forte, alors c’est ce que je suis devenu. Comme beaucoup de mes ancêtres, je portais ma force comme un trophée.

Malheureusement, ce désir de force ne permettait pas l’expression de mes vulnérabilités ou de mes défauts. Au lieu de cela, j’ai ignoré mes préoccupations légitimes en matière de santé mentale pour donner aux autres une image trompeuse. J’ai cru au mensonge selon lequel je ne pouvais pas exprimer ouvertement mes luttes contre la dépression et l’anxiété. J’ai caché mes problèmes de santé mentale pour tenter de préserver la façade d’une femme qui avait tout pour elle.

Comme moi, les femmes noires qui adhèrent à l’idéologie de la femme noire forte peuvent être confrontées à de graves problèmes de santé mentale. Une étude récente a cependant révélé que la dépression peut se manifester différemment chez les femmes noires. Selon l’étude, plutôt que de faire état de sentiments de tristesse et de désespoir, les femmes noires souffrent d’autocritique, d’auto-accusation et d’irritabilité caractérisant leur dépression.

Les résultats de cette étude correspondent à mes expériences personnelles. Je ne pensais pas pouvoir me permettre le luxe, en tant que femme noire, de me sentir triste ou désespérée — surtout dans ma vie publique — car ces réalités me paraissaient synonymes de faiblesse et non de force. Par conséquent, j’ai eu recours à l’autocritique et aux accusations pour les problèmes de ma vie, ce qui n’a fait qu’exacerber ma dépression et mon anxiété.

Aligner ma vie sur cette idéologie me tuait littéralement. Je cherchais à personnifier la femme noire forte au détriment de ma santé mentale et physique. Vivre selon l’image d’une femme capable de réprimer ses émotions tout en accomplissant de manière indépendante des tâches au profit des autres, que ce soit à la maison, au travail, à l’église ou dans la communauté, m’a été réellement préjudiciable.

Plus d’un médecin soulignait l’importance de prendre soin de ma santé mentale, qui avait un impact direct sur ma santé physique. Pendant plusieurs années de ma vie de femme noire forte, j’ai reçu de nombreux diagnostics pour des maladies qui auraient pu me coûter la vie si je n’avais pas fait face à mes problèmes de santé mentale.

En 2015 et 2016, j’ai été confrontée à une grave dépression. L’autoculpabilisation était constante. Je n’arrivais pas à me débarrasser de mes sentiments d’épuisement et d’échec. Je me reprochais de ne pas parvenir à fonctionner normalement. J’affichais un sourire de façade lorsque j’étais en public et je continuais à servir dans mon église et à participer activement au ministère tout en gardant pour moi mes problèmes de santé mentale. Je savais que les maladies mentales étaient stigmatisées dans de nombreuses églises, et je ne savais vraiment pas comment ma famille religieuse réagirait si elle découvrait que je luttais contre la dépression et les idées suicidaires.

Un jour de 2016, lorsque quelqu’un à l’église m’a demandé comment j’allais, je n’ai plus voulu être forte. « Je lutte contre la dépression », ai-je répondu. Il n’était pas facile d’admettre que je luttais, mais j’étais fatiguée de faire semblant. J’étais fatiguée d’essayer de passer pour ce que je n’étais pas. Je n’allais pas bien, et je me suis rendue compte que je pouvais l’admettre.

À ma grande surprise, mon honnêteté et ma vulnérabilité ce jour-là ont ouvert la porte à ma guérison. Voici pourquoi : ma famille religieuse ne m’a pas dénigrée ni rejetée. Au contraire, elle m’a entourée et soutenue lorsque j’en avais le plus besoin. Mon pasteur et mes anciens se sont ralliés à moi et m’ont encouragée à rechercher une aide spirituelle et psychologique. Je frémis à l’idée de ce qui aurait pu se passer si je n’avais pas reçu leur amour et leur soutien.

En me permettant de renoncer à mon costume de femme noire forte, ma famille religieuse m’a donné une chance de vivre, de guérir et de voir ma valeur au-delà d’une quête irréaliste et malsaine de force. Et ils continuent à le faire lorsque je rencontre des difficultés avec ma santé mentale.

Je crois que les églises, avec une formation et des ressources appropriées, peuvent être une source de soutien et d’encouragement pour les femmes noires — comme d’ailleurs pour toutes les femmes — qui ont besoin d’enlever le manteau de la force et de le remplacer par la bénédiction de l’empathie et de la compassion.

Aux États-Unis, selon la National Alliance on Mental Illness (NAMI), chaque année, un adulte sur cinq souffre d’une maladie mentale, et un adulte sur vingt d’une maladie mentale grave. Ces statistiques révèlent une réalité saisissante : nos églises sont très probablement remplies de personnes qui luttent contre la maladie mentale. Même si nous professons que Jésus-Christ est notre Seigneur et notre Sauveur, nous sommes toujours confrontés à l’anxiété, à la dépression et à une myriade d’autres problèmes psychologiques. Nous vivons dans un monde déchu.

J’aimerais proposer quelques moyens par lesquels les églises pourraient aider les femmes noires qui luttent contre des problèmes de santé mentale résultant du stéréotype de la femme noire forte.

1. Enseigner et prêcher la réalité des problèmes de santé mentale : on a le droit de ne pas aller bien.

La Bible regorge d’exemples de personnes confrontées à des problèmes de santé mentale :

  • Caïn « fut très irrité et il arbora un air sombre » lorsque Dieu accepta Abel et son don, mais pas Caïn et le sien (Ge 4.3-5). Caïn en fut affecté au qu’il finit par assassiner son frère (Ge 4.8).
  • Après des années de stérilité, « l’amertume dans l’âme, [Anne] pria l’Éternel et pleura abondamment » pour avoir un fils (1 S 1.10).
  • Dans le psaume 143, le roi David exprime clairement sa détresse : « Viens vite, Seigneur, et réponds-moi, car ma dépression s’aggrave. Ne te détourne pas de moi, ou je mourrai » (v. 7, d’après la New Living Translation).
  • Jésus déclara que son âme était « triste à en mourir » alors qu’il priait dans le jardin de Gethsémané, avant sa crucifixion (Mt 26.38).

Ces exemples offrent un rappel important : nos esprits sont parfois troublés et dévastés par les situations auxquelles nous sommes confrontés parce que nous vivons dans un monde marqué par le péché. La présence de l’anxiété, de la dépression, des idées suicidaires et d’autres réalités de ce type dans la vie des personnages bibliques est analogue à la réalité de ces défis dans notre société et nos églises modernes.

En normalisant les problèmes de santé mentale, les églises permettront aux femmes noires de se sentir moins isolées et plus à l’aise pour reconnaître leurs propres difficultés.

2. Souligner que la communauté est essentielle à la vie chrétienne.

Genèse 2.18 et Romains 12.4-5 soulignent l’importance de la communauté. Dieu nous a créés pour que nous vivions ensemble et pas isolés. Si une femme sait qu’elle peut compter sur son église pour l’épauler dans ses difficultés, elle sera mieux à même de faire face à ses problèmes de santé mentale.

En me permettant d’exprimer honnêtement mes problèmes et en me montrant que j’avais le droit de ne pas aller bien, ma famille ecclésiale m’a sauvé la vie. Je ne me sentais pas complètement seule. Les églises peuvent prendre le relais de ceux qui ne sont pas en mesure de prier, de chercher ou d’adorer Dieu par eux-mêmes. Les églises ont littéralement la possibilité de sauver des vies.

3. Faire preuve d’empathie et de compassion à l’égard des femmes noires qui parlent de leurs problèmes de santé mentale.

Mon église a joué un rôle majeur dans mon processus de guérison en me permettant d’exprimer mes vulnérabilités et en m’offrant de l’empathie et de la compassion. Je crois que l’Église peut jouer un rôle important dans le processus de guérison de tant de mes sœurs qui auraient également besoin de renoncer au rôle de la femme noire forte.

Les responsables d’église peuvent faire preuve d’empathie et de compassion en parlant ouvertement de leurs propres problèmes de santé mentale. Nous devons être prêts à entendre, plutôt que d’ignorer, une femme qui partage ses difficultés en matière de santé mentale. En les encourageant et les soutenant, les églises peuvent offrir aux femmes un lieu sûr où elles peuvent retirer leurs costumes de superhéroïnes.

4. Investir du temps et des ressources dans le soutien aux femmes confrontées à des problèmes de santé mentale.

Enfin, les églises peuvent proposer à leurs membres des ressources psychologiques locales et en ligne. Je ne veux pas dire que les églises doivent assumer la responsabilité de fournir des services de santé mentale. Elles peuvent par contre s’équiper pour offrir facilement des références et des listes de ressources aux membres qui sont confrontés à des problèmes de santé mentale.

Les églises qui disposent de compétences et de ressources financières peuvent également proposer à leurs responsables — tant spirituels qu’administratifs — une formation sur les bases de la santé mentale. En outre, les responsables qui accompagnent spirituellement les membres d’une église devraient recevoir une formation plus approfondie sur la reconnaissance des problèmes de santé mentale. Cet investissement pourrait sauver des vies.

Les églises sont particulièrement bien placées pour donner aux femmes noires la permission de se défaire de l’image de la femme noire forte et leur permettre d’apprendre qu’elles ont aussi le droit de ne pas aller bien. Grâce à la communauté, à l’empathie et à la compassion, l’Église peut aider les femmes à trouver une véritable guérison et leur véritable identité en Christ.

T. K. Floyd Foutz est une avocate devenue enseignante des Écritures. Outre ses activités de mentorat et de conférencière, elle propose des études bibliques en ligne et dans son église locale de San Antonio.

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L’Église noire aborde autrement la question des rôles de genre.

Comment la place des femmes évolue-t-elle au sein des communautés chrétiennes afro-américaines ?

Christianity Today February 21, 2024
Illustration de Monica Garwood

Les débats sur le rôle des femmes dans l’Église ressurgissent très régulièrement, mais à ce sujet beaucoup aux États-Unis laissent de côté un groupe important de chrétiens américains : l’Église noire.

Dans ce contexte, les discussions sur la place des femmes dans le christianisme ne se déroulent pas selon les termes façonnés par les évangéliques blancs. Les églises noires n’utilisent pas le même langage ni les mêmes cadres que les évangéliques blancs, en particulier en ce qui concerne les rôles des hommes et des femmes ; la terminologie « égalitariens versus complémentariens » est plutôt rare. En nous concentrant uniquement sur les aléas de ce débat dans les dénominations à prédominance blanche, nous passons à côté de ce que l’Église noire peut apporter aux réflexions sur la place des femmes dans l’Église.

Par « Église noire », j’entends ici l’ensemble des communautés protestantes afro-américaines de diverses dénominations. Nous nous décrivons ainsi non seulement en raison de la couleur de notre peau, mais aussi en raison de l’importance historique et culturelle unique de cette institution au sein de la communauté afro-américaine. « Au cours des siècles qui ont suivi sa naissance à l’époque de l’esclavage, l’Église noire a été le fondement de la vie religieuse, politique, économique et sociale des Noirs », écrit l’historien Henry Louis Gates Jr.

Les femmes ont toujours joué un rôle essentiel dans l’Église noire, puisqu’elles représentent 60 % d’une communauté moyenne, selon le Pew Research Center. Bien que l’Église noire ait historiquement promu l’égalité entre Noirs et Blancs dans la société en général, les femmes noires ont souvent été marginalisées au sein de l’institution et tenues à l’écart des rôles de direction.

Toutefois, au cours des dernières décennies, le rôle des femmes dans l’Église noire a commencé à évoluer, même si des différences confessionnelles persistent. J’ai contacté des responsables de communautés baptistes, méthodistes épiscopales africaines (AME) et de l’Église de Dieu en Christ (COGIC) pour me faire une idée de leur position dans le débat en cours sur le leadership des femmes dans l’Église.

Les églises baptistes noires constituent un vaste ensemble, affiliées à la National Baptist Convention, les American Baptist Churches, ou la Progressive National Baptist Convention. Ces communautés sont autonomes. Elles sont généralement dirigées par un pasteur principal et, traditionnellement, ces pasteurs (ainsi que les diacres, les administrateurs et autres responsables de ministère) sont des hommes. En parallèle existent un certain nombre de « rôles féminins », comme ceux de missionnaire, de diaconesse, d’aide-pasteur et d’épouse de pasteur — souvent décrite comme « première dame ».

Dans certaines dénominations, la situation est en train de changer, ou a déjà changé. « Nous avions des femmes autorisées à prêcher, une femme ordonnée, des femmes diacres », rapporte Donna Owusu-Ansah, pasteure de la First Baptist Church d’Englewood, dans le New Jersey, à propos de l’église qu’elle fréquentait dans son enfance. C’est la raison pour laquelle « lorsque j’ai répondu à mon appel au ministère, [le pastorat] ne m’a pas semblé problématique pour moi. » « Ce n’est que lorsque je suis entrée au séminaire et que j’ai rencontré d’autres femmes baptistes que j’ai réalisé que mon histoire n’était pas celle de tout le monde. »

Certaines églises baptistes noires refusent toujours d’ordonner des femmes, souligne-t-elle, et elle pense que d’autres incluent des femmes dans leurs processus de recherche de pasteurs pour paraître progressistes, mais n’envisageraient jamais réellement d’engager une femme. Tout récemment, une église baptiste noire historique de Harlem aurait écarté toutes les femmes de sa liste de candidats dans sa recherche d’un successeur après le décès du pasteur qu’elle avait eu pendant 30 ans. « Nous avançons », dit Donna Owusu-Ansah, « mais nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. »

Les églises de l’AME, en revanche, sont depuis longtemps à l’avant-garde de l’intégration des femmes dans le ministère, les autorisant à exercer diverses fonctions de prédication et de pastorale depuis la fin des années 1800. L’AME était la dénomination d’origine de Jarena Lee, la première femme noire à prêcher aux États-Unis, qui au début des années 1800 s’adressait à des auditoires métissés. La dénomination a élu sa première femme évêque, Vashti Murphy McKenzie, en 2000.

« J’ai rejoint une église AME dans la région de Boston il y a de nombreuses années, et c’est la première fois que j’ai vu une femme pleinement ordonnée », raconte Elaine Flake, pasteure principale de la Greater Allen AME Cathedral, une importante église new-yorkaise connue pour son engagement en faveur de la justice sociale et ses initiatives de développement communautaire.

« J’ai grandi chez les baptistes et je ne savais pas que des femmes pouvaient être ordonnées », se souvient la pasteure. « Ils avaient peut-être laissé parler la première dame pour la Journée de la femme ou quelque chose comme ça, mais je ne l’avais jamais vu. » Pour Elaine Flake, la rencontre avec des femmes ordonnées a été un « choc culturel ». Toutefois, depuis l’époque de ses études, la culture a encore évolué. « Lorsque j’ai suivi le processus d’ordination, il y avait probablement autant, sinon plus, d’hommes que de femmes », se rappelle-t-elle. « Mais aujourd’hui, je vois des classes de préparation à l’ordination en grande partie, voire uniquement, composées de femmes. »

Pourtant, dans la pratique, ajoute-t-elle, le rôle des femmes varie selon les districts et les évêques. Lauren Harris, chargée d’un rôle d’ancienne itinérante de l’AME du Maryland, est du même avis. « Nous pouvons être élues et consacrées en tant qu’évêques, nous pouvons être responsables au niveau confessionnel, nous pouvons être ordonnées en tant qu’anciennes et diaconnesses, et nous pouvons être pasteures », m’explique-t-elle. « Cela dépend du district dans lequel vous travaillez, car certaines églises préfèrent encore les hommes. »

Dans l’Église de Dieu en Christ (COGIC), l’une des dénominations pentecôtistes noires les plus importantes et influentes, tous les districts sont encore dirigés par des hommes. L’évêque président de la dénomination, son conseil général et son conseil des évêques sont également exclusivement masculins.

Depuis les débuts de la COGIC, « les femmes n’ont pas été autorisées à être ordonnées », explique Keon Gerow, pasteur principal de l’église Catalyst à Philadelphie. Mais « les femmes ont reçu des possibilités [de servir] sans titre », poursuit-il « qu’elles ont pu exploiter à leur profit et acquérir un pouvoir important ».

Chaque femme de la COGIC fait partie du Département international des femmes (IDW), le bras de l’Église en charge de la croissance spirituelle des femmes. L’IDW a sa propre gouvernance et, au-delà des rôles officiels institués, les églises COGIC honorent la position de « mère d’église », que la professeure Anthea Butler décrit dans Women in the Church of God in Christ Making a Sanctified World (« Les femmes dans l’Église de Dieu en Christ. Créer un monde sanctifié. »)

« Le titre de “mère d’église” ou “mère”, attribué à des femmes âgées dans de nombreuses églises noires, porte le germe de la direction et de l’anciennat » au sein de l’IDW, explique-t-elle. Cette désignation, qui fait référence à Tite 2, est généralement accordée à des membres de longue date de l’Église et constitue « le lien entre les hommes ordonnés » et les femmes dont ils ont la charge sur le plan pastoral.

Que leur rôle soit reconnu ou non, les femmes noires constituent l’épine dorsale de la COGIC. Deux tiers des membres de la dénomination sont des femmes, rapporte Keon Gerow, ce qui signifie que les femmes ont une influence très importante sur les dons, les finances, la prise de décision, les interactions en dehors de la chaire, l’organisation du système et la création de liens. Dans les églises de la COGIC, l’influence des femmes ne provient pas de positions officielles, explique-t-il, mais cela « n’a pas empêché les femmes de s’autodéterminer et de jouer un rôle » dans leur foi commune.

Les femmes noires ont été capitales dans l’histoire de l’Église noire et continuent à jouer un rôle vital dans son développement et à l’influencer sur les questions ecclésiales et sociétales plus larges. Malgré les nombreux défis auxquels elles sont confrontées, les femmes noires se sont montrées actives dans la défense de leurs intérêts au sein de ces institutions.

Du leadership religieux et spirituel à l’engagement social et à l’édification de la communauté, ces femmes noires offrent aussi un modèle de leadership pour les femmes d’autres confessions et églises dans leur propre contexte. Dans les débats sur les rôles des hommes et des femmes dans l’Église, notre histoire mérite d’être rappelée.

Khristi Lauren Adams est doyenne pour la vie spirituelle, la diversité, l’équité et l’inclusion et professeure d’études religieuses à la Hill School. Elle est l’autrice de plusieurs livres, dont Parable of the Brown Girl et Unbossed: How Black Girls Are Leading the Way. Speaking Out est la rubrique invités de Christianity Today.

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Books

Décès de l’autrice Letha Dawson Scanzoni, précurseure du féminisme biblique

Sa lecture égalitarienne des écritures lui valut des critiques et son soutien à la reconnaissance de la communauté LGBTQ la mit à l’écart du monde évangélique.

Christianity Today February 20, 2024
Letha Scanzoni/éditions de Rick Szuecs

Letha Dawson Scanzoni, célèbre pour avoir initié un mouvement en faveur d’un « féminisme biblique », avait perdu de son influence auprès des évangéliques en raison de son soutien à la reconnaissance des personnes LGBTQ. Elle est décédée à l’âge de 88 ans.

Dans les années 70, avec deux articles publiés dans le magazine Eternity puis un livre, coécrit avec son éditrice Nancy Hardesty, Scanzoni a poussé les évangéliques à repenser ce que la Bible dit des femmes. À ses yeux, l’idée que les hommes et les femmes étaient égaux et qu’il fallait libérer les femmes des coutumes et cultures dévalorisantes à leur égard n’était pas d’origine séculière. Pour elle, il s’agissait d’abord d’une idée biblique.

« Les évangéliques ont pour tradition de prendre les Écritures très au sérieux », expliquait un jour Scanzoni. « Nous les avons examinées et avons découvert qu’elles ne limitaient pas les femmes, mais qu’elles les libéraient. »

Au début des années 1970, elle et un petit groupe de femmes qui rejoignaient sa pensée créèrent l’Evangelical Women’s Caucus. Cette initiative fut développée dans le cadre de l’association Evangelicals for Social Action (ESA), un groupe chrétien progressiste, auteur de la Déclaration de Chicago. Celle-ci était un appel évangélique à s’opposer au racisme, au matérialisme, au militarisme et aux forces qui engendrent les inégalités économiques. Le groupement de femmes convainquit l’ESA d’y ajouter l’opposition au sexisme.

Au bout de quelques années, l’Evangelical Women’s Caucus (aujourd’hui appelé Christian Feminism Today ou Evangelical and Ecumenical Women’s Caucus) comptait près de 1 500 membres et organisait des conférences annuelles indépendantes.

Dans les années 1980, le groupe perdit cependant plus de trois quarts de ses membres, suite à une controverse sur l’homosexualité. Scanzoni, coautrice avec la théologienne Virginia Ramey Mollenkott, de l’ouvrage Is the Homosexual My Neighbor? (« L’homosexuel est-il mon prochain ? ») cessa, à cette époque, d’être invitée à prendre la parole dans la plupart des institutions évangéliques et ne put plus publier d’articles dans la plupart des magazines du mouvement.

Malgré sa marginalisation, Scanzoni continua à s’identifier comme évangélique et à affirmer que ses croyances étaient fondées sur la Bible.

« Elle connaissait les Écritures », écrit la biographe Kendra Weddle, « et pouvait en citer des versets et des chapitres, comme les biblistes les plus érudits. Mais plus encore, la Bible était pour elle une source constante d’inspiration et d’orientation. Et elle vivait une riche relation avec le Christ. »

Brian McLaren, leader du mouvement de l’Église émergente, a retenu du parcours de Scanzoni la conviction qu’un engagement fidèle à l’Écriture conduit presque inévitablement à un conflit avec les gardiens de l’orthodoxie évangélique.

« Les textes bibliques que ces (hommes blancs) gardiens évangéliques utilisaient pour opprimer les autres, je la voyais les utiliser au contraire pour les libérer », écrit-il. « Pour moi, elle est avant tout une courageuse interprète de la Bible. »

Letha Dawson Scanzoni était née le 9 octobre 1935 à Pittsburgh et grandit à Mifflintown, dans le centre de la Pennsylvanie. Ses parents, James et Hilda Dawson, tenaient une station-service et un restaurant. Ils travaillaient la plupart des dimanches et n’étaient pas pratiquants, mais ils envoyaient Letha à l’église avec sa meilleure amie, la fille d’un pasteur. À l’âge de 11 ans, la jeune Letha vécut une expérience de conversion et, encouragée par la femme du pasteur, elle répondit à un appel devant l’assemblée.

Elle se rappellera plus tard qu’il avait beaucoup été question de péché et de repentance, mais qu’elle s’était avant tout sentie submergée par l’amour de Dieu. Plus tard, elle avait regardé le ciel et s’était émerveillée de sa grandeur, remplie d’admiration pour ce Créateur qui se souciait si profondément et si personnellement d’elle.

Scanzoni était une tromboniste talentueuse et avait été admise, à l’âge de 16 ans, à l’Eastman School of Music de Rochester, dans l’État de New York. Elle jouait également pour des églises et lors de rassemblements religieux, comme lors d’une campagne d’évangélisation organisée par Billy Graham. Lors de ce genre d’événements, elle fut petit à petit amenée à partager son témoignage, à apporter une méditation ou à diriger une étude biblique. Mais très rapidement, elle fut aussi soumise, en tant que femme, aux limites strictes concernant la manière dont elle pouvait s’exprimer et les conditions dans lesquelles elle pouvait le faire.

Ces limites n’étaient pas toujours claires pour elle. L’historien Isaac Sharp raconte à son propos qu’elle avait été déconcertée lorsque, lors d’un concert de trombone pour des prisonniers, un pasteur lui avait demandé de parler de sa foi. Elle savait que ce pasteur était d’avis que les femmes n’étaient pas habilitées à enseigner aux hommes. En revanche, il lui assurait qu’elle pouvait donner son témoignage, ce qui pour lui n’était pas la même chose. Pour Scanzoni, cette distinction n’avait pas de sens.

En tant que jeune femme, elle apprit également qu’elle ne pourrait pas toujours compter sur le plus élémentaire respect de la part des chrétiens. Un responsable du groupe de Youth for Christ auquel elle prenait part à Eastman l'embrasse un jour sans son consentement.

En 1954, après ses études à Eastman, Scanzoni s’inscrit à la section musique de l’Institut biblique Moody. C’est là qu’elle rencontre John, son futur mari. Pour suivre celui-ci dans un ministère qui lui avait été proposé puis dans la poursuite de ses études en sociologie des familles, elle quitte son cursus académique sans diplôme.

Durant cette période, Scanzoni aide son mari à rédiger plusieurs textes de sociologie. Elle le suit à Bloomington, dans l’Indiana, où il avait obtenu un poste d’enseignant à l’université. Tout en élevant ses deux garçons, Scanzoni commence à écrire ses propres articles et livres, alliant sagesse biblique et connaissances sociologiques pour parler de la vie familiale moderne.

À l’époque, elle écrit plusieurs livres dont Youth Looks at Love, Sex and the Single Eye et Sex Is a Parent Affair à propos de l’éducation sexuelle des enfants . Le second de ces ouvrages fut soutenu par le fondateur de Focus on the Family, James Dobson, qui en rédigea également la préface.

Scanzoni ne se considérait néanmoins pas comme une agitatrice ou une féministe en croisade. D’ailleurs, personne à l’époque ne la considérait de la sorte.

« La plupart des gens me voyaient comme une ménagère, une mère au foyer », raconte-t-elle. « Je n’étais pas le genre de personne à prendre la parole pour contester hardiment les professeurs de théologie et les interprétations traditionnelles de la Bible. Je passais mes journées à m’occuper de mes enfants et à écrire en tant qu’indépendante. »

En 1963, cependant, Scanzoni s’insurge contre un article publié dans le magazine Eternity. Charles Ryrie, professeur de théologie systématique au Dallas Theological Seminary, y affirmait que « une femme ne peut pas faire le travail d’un homme à l’Église, pas plus qu’un homme ne peut effectuer le travail d’une femme à la maison. »

Scanzoni voulut répliquer par un texte qui devint vite trop long pour un simple courrier des lecteurs. Elle le mit de côté, mais y revint plus tard pour en faire un article qui fut publié par Eternity en février 1966 sous le titre « Woman’s Place: Silence or service? » (« La place des femmes : silence ou service ? ») Scanzoni y affirmait que « l’incohérence associée à l’inflexibilité produit de nombreux problèmes » pour les femmes chrétiennes, dont beaucoup ont été douées par le Saint-Esprit pour répondre aux besoins de l’Église et accomplir le mandat missionnaire donné par Jésus.

« Pendant que, dans leurs tours d’ivoire théologiques, les hommes débattent de la place des femmes chrétiennes, » écrivait Scanzoni, « ces femmes travaillent fidèlement dans les vignes, craignant “d’enfreindre un commandement de Dieu”, mais encore plus effrayées à l’idée de voir le travail rester inachevé. »

Deux ans plus tard, elle publiait un article sur le mariage égalitarien, intitulé « Elevate Marriage to Partnership » (« Élever le mariage au rang de partenariat »). Celui-ci lui valut l’appréciation de Nancy Hardesty qui l’édita à l’époque. « Je viens de terminer l’édition de votre article et je suis très impressionnée par celui-ci », écrivit-elle à Scanzoni. « Et je ne pense pas du tout qu’il soit radical ou provocateur. C’est tout simplement juste et vrai, comme il se doit. Mais évidemment, je ne suis qu’une femme. »

Scanzoni lui répondit en l’invitant à collaborer à la rédaction d’un livre. Toutes deux se mirent à travailler sur All We’re Meant to Be: Biblical Feminism for Today (« Tout ce que nous sommes appelées à être. Un féminisme biblique pour aujourd’hui ») et le livre sortit en 1974.

L’année suivante, l’Evangelical Women’s Caucus organisait sa première réunion indépendante, coordonnée par Cheryl Forbes, éditrice chez Christianity Today, et deux autres personnes. Virginia Ramey Mollenkott ouvrit la conférence en déclarant : « La Bible soutient les principes fondamentaux du féminisme. »

Plusieurs éminentes personnalités évangéliques n’étaient cependant pas d’accord et commencèrent à mettre en doute le respect des Écritures affiché par les femmes égalitariennes. Pour eux, certaines féministes dépassaient les bornes et n’étaient plus réellement évangéliques.

« Certains des plus ardents défenseurs de l’égalité dans le mariage, en opposition à la hiérarchie, parviennent à leur conclusion en reniant directement et délibérément la Bible comme règle infaillible pour la foi et la pratique. Ce faisant, ils ont cessé d’être évangéliques », écrivait Harold Lindsell, autre éditeur de Christianity Today, en 1976. « Quiconque souhaite défendre l’égalitarisme dans le mariage est libre de le faire. Mais s’il ou elle dénigre l’Écriture en cours de route, le prix à payer est trop élevé. »

Le groupe Evangelical Women’s Caucus continua cependant à se développer jusqu’à ce qu’il se divise à la suite d’une controverse autour des chrétiens LGBTQ. Celle-ci éclata en 1978 lors de la parution d’un livre dans lequel Scanzoni et Mollenkott plaidaient pour la pleine inclusion de ces personnes dans l’Église.

Au départ, le livre avait une portée plus large. Les autrices avaient prévu d’aborder les problèmes sociaux les plus urgents, avec des chapitres sur le divorce, l’avortement, la censure et l’homosexualité. Mais pendant la rédaction de l’ouvrage, Mollenkott fit son coming out et révéla à Scanzoni qu’elle était lesbienne. Passé le choc provoqué par cette nouvelle, la pensée de Scanzoni évolua. Pour elle, les arguments utilisés pour la libération des femmes s’appliquaient également aux personnes LGBTQ.

« Elle appelait son approche “Aimer son prochain”, et mettait l’empathie et les relations au centre de ses préoccupations, plutôt que les règles ou les restrictions », écrit sa biographe. « Elle était convaincue que l’amour de Dieu était libérateur, ce qui la poussait vers la Bible, plutôt que de l’éloigner. »

Pour de nombreux évangéliques conservateurs, cependant, cela confirma l’idée que le féminisme était le début d’une pente glissante. La question fut abordée au sein de l’Evangelical Women’s Caucus en 1978, puis en 1982 et en 1984, et finit par diviser le groupe en 1986. L’organisation adopta une résolution affirmant que « les personnes homosexuelles sont des enfants de Dieu » et prit « une position ferme en faveur de la protection des droits civils des personnes homosexuelles ».

Il s’ensuivit une vague de démissions et la création d’une organisation concurrente, Christians for Biblical Equality (« Chrétiens pour l’égalité biblique »). Au même moment, des évangéliques opposés au féminisme chrétien lancèrent le Council on Biblical Manhood and Womanhood (« Conseil sur la masculinité et la féminité biblique »). Ce groupe était nécessaire, selon eux, en raison de la « prévalence et de l’acceptation croissante de bizarreries herméneutiques conçues pour réinterpréter le sens apparemment clair des textes bibliques. »

Scanzoni, quant à elle, ne fut plus la bienvenue dans les milieux évangéliques où elle avait auparavant sa place. Elle ne fut plus conviée à prendre la parole lors de conférences et de rencontres universitaires. On n’accepta plus de publier ses propositions d’articles. Et James Dobson lui retira son soutien lors de la réédition dans les années 1980 de son livre sur l’éducation sexuelle des enfants. Le message était clair : elle n’était plus la bienvenue.

« Si la fidélité à l’autorité de la Bible signifiait également qu’il fallait rester dans un certain éventail de conclusions interprétatives fixées par les tenants du pouvoir dans le mouvement évangélique », écrit l’historien Isaac Sharp, « les féministes évangéliques n’avaient aucune chance de succès. »

Scanzoni ne parut cependant pas particulièrement troublée par sa marginalisation au sein des milieux évangéliques. Elle avait la conviction que le Christ l’appelait à continuer à écrire, enseigner et prêcher. Et c’est ce qu’elle fit.

« En Luc 4, il nous est dit que Jésus est venu dans le monde pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres, libérer les captifs, rendre la vue aux aveugles et affranchir les opprimés », rappelait-elle. « Ce n’est rien de moins qu’un appel à la justice. Chacun d’entre nous peut y prendre part. Chacun d’entre nous peut être un petit ruisseau qui vient élargir le fleuve. »

Letha Scanzoni est décédée à Charlotte, en Caroline du Nord, le 9 janvier dernier. Elle laisse derrière elle ses fils David et Stephen.

Traduit par Anne Haumont

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Ce que le réveil d’Asbury m’a appris sur la génération Z

Il y a un an, j’ai vu une réponse à une certaine forme désinvolte de christianisme.

Christianity Today February 16, 2024
Illustration de Kyle Smart

Le 8 février 2023, un banal culte de 50 minutes à l’université Asbury s’est transformé en un événement de 16 jours qui a attiré l’attention du monde entier.

Je suivais la rencontre en ligne depuis mon bureau ce matin-là. Après un message de l’orateur, une chorale d’étudiants a clôturé la rencontre par un chant. J’ai quitté mon ordinateur et me suis rendu à ma réunion suivante. Plus tard, alors que je me préparais à prendre mon repas de midi, ma femme m’a envoyé un message pour m’informer que certains étudiants étaient encore en train de prier et de louer dans l’auditorium Hughes.

D’autres étudiants les ont rejoints. Puis d’autres encore.

Au cours des semaines suivantes, ce que les responsables de l’université ont qualifié d’« effusion » de l’Esprit s’est développé de manière exponentielle pour amener autour de 50 000 visiteurs dans notre petite ville du centre du Kentucky. Leur présence a débordé sur les sites de diffusion simultanée hébergés par le séminaire voisin et des églises locales. Ils se sont agenouillés, ont prié et ont chanté sur le sol froid de notre vaste campus verdoyant.

Charlotte Staudt, archiviste d’Asbury, a repéré depuis plus de 250 podcasts, 1 000 articles et des dizaines de sermons et de conférences sur ce qui s’est passé. Plus de 100 médias locaux, nationaux et internationaux ont visité notre campus. Il y a eu environ 250 millions de messages sur les réseaux sociaux liés aux tags #AsburyRevival ou #AsburyRevival2023. Je n’avais jamais vu un tel rassemblement d’hommes et de femmes de tous âges, de toutes origines et de toutes nationalités touchés, en recherche, repentants et unis.

Pendant tout ce temps, internet a été le théâtre de nombreux débats sur la définition d’un réveil et sur la question de savoir si les événements survenus à Asbury pouvaient être décrits de cette manière. Des comparaisons ont inévitablement été faites avec de précédents réveils à Asbury, notamment celui de 1970. Ces discussions faisaient sens. Des termes tels que réveil, renouveau ou effusion induisent diverses nuances historiques et théologiques.

Il reviendra peut-être aux historiens de dresser la liste des conséquences à long terme des événements de l’an dernier et de déterminer s’il s’agit d’un réveil ou d’autre chose. Pour l’instant, avec le recul d’une année seulement, je pense que le terme effusion est assez large pour permettre une diversité de compréhensions et éviter de définir trop prématurément ce qui a eu lieu sous nos yeux.

Il y a cependant une chose que j’ai pu constater très clairement à la suite de ces 16 jours : la génération Z pourrait émerger comme un correctif au christianisme désinvolte qui a marqué notre paysage religieux et caractérisé le mouvement de désaffection de nos églises.

Pour comprendre pourquoi, il faut d’abord comprendre ce que la génération Z vit. Lors d’interviews réalisées l’année dernière, j’ai souvent affirmé que les défis sociaux, économiques et touchants à la santé mentale dans notre pays — ainsi que les naufrages moraux au sein de l’Église elle-même — ont durement éprouvé les plus jeunes générations. « Il y a une faim pour quelque chose de plus », disais-je à un journaliste.

J’ai par la suite demandé à mes étudiants ce qu’ils pensaient de mes propos. Tout en étant globalement d’accord, un étudiant m’a dit qu’il exprimerait les choses différemment. « Nous ne voulons pas quelque chose de plus », expliquait-il. « Nous voulons quelque chose de moins. » Il parlait en fait du désir de sa génération de trouver un point d’ancrage face à la désorientation et aux va-et-vient de notre époque, quelque chose de plus épuré et concret.

Ces étudiants sont moins intéressés par les « croyances » que par une foi qui ait des conséquences pratiques. Il y a dans notre pays un vide de sens profond qui alimente une grande faim spirituelle. Un ancien médecin de la guerre d’Irak qui a repris des études à Asbury et a participé cinq fois aux événements me décrivait le désespoir qui se lit sur le visage d’un soldat avant qu’il ne meure. « J’ai vu la même chose sur les visages des visiteurs », m’a-t-il dit.

Jason Vickers, de l’université Baylor, écrit dans son livre Outpouring (coécrit avec Tom McCall, théologien à l’université Asbury) que les longues files de personnes essayant d’entrer dans l’auditorium Hughes rappelaient les files d’attente pour la soupe pendant la Grande Dépression. « Le lien était évident et écrasant », écrit Vickers. « Ils avaient faim et soif de Dieu. Et ils croyaient sincèrement que Dieu était là. »

L’existence d’une faim spirituelle aux États-Unis est peut-être évidente. Mais ce qui m’a frappé chez nos élèves, c’est la façon dont ils ont répondu à cette faim. Ces files de visiteurs manifestaient un ordre qui a marqué l’ensemble de l’événement. Cependant, les responsables recherchaient l’ordre, mais pas l’instrumentalisation — et certains des responsables les plus visibles étaient des étudiants, que l’on pouvait voir en train de témoigner, de servir et de diriger la louange.

Pendant ces 16 jours, nous avons recensé des étudiants venus de 285 établissements d’enseignement. Une centaine d’équipes de louange sont montées sur l’estrade. Sans qu’on le leur demande, ils ont joué depuis le côté de la scène, en dehors des projecteurs. Cette démarche était en cohérence avec une tendance implicite plus large à ne pas se mettre en travers du chemin. Avant d’animer le culte, les équipes passaient une heure dans une « salle de consécration » que nous avions mise à part, pour prier et recevoir la prière. Bien que cet espace invisible n’ait reçu que peu d’attention, une personne l’a décrit comme le « réacteur nucléaire » de cette effusion.

Je ne crois pas que l’université Asbury ou même l’année 2023 aient quelque chose de spécial, dans le sens où Dieu peut utiliser n’importe quel endroit et n’importe quel moment pour répandre son Esprit. Des effusions similaires se sont produites depuis à l’université de Samford, à l’université de Lee, à l’université de Baylor, à l’université A&M du Texas et à l’université d’Auburn.

Là où j’ai vu quelque chose de particulier, c’est chez ceux qui étaient présents. Il y a un an, j’ai été témoin du meilleur de notre communauté étudiante, avec les enseignants et le personnel qui les encadrent : des hommes et des femmes fidèles, dotés d’une grande vigueur spirituelle, d’une sainte imagination et d’une volonté de faire preuve d’un désintéressement radical.

« Asbury est comme un lit de rivière », expliquait Chris Segre-Lewis, professeur d’art, lors d’une table ronde organisée après l’effusion. « Quand l’eau arrive, elle sait où couler. »

Ce désintéressement radical, associé à la soif évidente de la génération Z pour quelque chose d’authentique et sans fard, est un signe d’espoir pour l’avenir du christianisme, de ses institutions et de l’Église.

De nombreux commentateurs se sont intéressés aux données de l’ouvrage de Jim Davis et Michael Graham publié en 2023, The Great Dechurching (« La grande désaffection de l’Église »). Au cours du dernier quart de siècle, environ 40 millions d’Américains sont passés d’une fréquentation régulière d’une église à une fréquentation inférieure à une fois par an, soit un nombre de personnes supérieur à toutes les conversions des premier et deuxième Grands réveils et de toutes les croisades de Billy Graham réunis.

Parmi les personnes qui ont quitté l’Église, environ 10 millions l’ont fait parce que l’« Église fait du mal », soit en raison d’abus spirituels ou d’une perte de confiance, par exemple. En anglais, Michael Graham parle ici de « casualty exits », les départs des victimes. Mais les trois quarts restants sont présentés comme des « casual exits », plus liés à une forme de désinvolture à l’égard de l’Église. Il s’agit d’hommes et de femmes qui ont cessé de fréquenter une église parce qu’ils ont déménagé et n’ont pas trouvé de nouvelle assemblée, ou parce qu’un emploi du temps chargé ou des changements de mode de vie empêchent la célébration hebdomadaire du culte.

Un départ désinvolte de l’Église est le résultat d’une foi désinvolte. Comme l’a suggéré le théologien et auteur Stanley Hauerwas, certaines parties du christianisme contemporain ont été domestiquées en une forme d’adhésion à un ensemble de propositions que nous préservons mentalement, mais qui n’ont que peu d’incidence sur notre vie quotidienne. La foi désinvolte produit un système de croyances qui exige peu de nous et produit de pâles déclarations telles que « Je crois que Jésus est Seigneur, mais ce n’est que mon opinion ».

Je pense que la génération Z est différente.

« C’est une génération d’extrêmes », m’expliquait Charlotte Staudt, archiviste d’Asbury et elle-même membre de cette génération. Elle a raison. Je suis entouré de jeunes adultes et d’adolescents insatiables, prêts à « payer le prix » de leur engagement envers le Christ. Les chrétiens de la génération Z sont sérieux et insatisfaits du statu quo institutionnel.

Une étude du Barna Group montre que la génération Z considère la croissance spirituelle comme une priorité absolue. D’une manière générale, ils rejettent les paroles creuses et l’hypocrisie et veulent des valeurs incarnées dans l’action. Ils privilégient le comportement aux paroles comme stratégie de partage de la foi. Cela n’a rien d’étonnant pour une génération qui fait de l’authenticité une valeur fondamentale.

Dans un podcast, la journaliste Olivia Reingold, qui se décrit comme « une personne peu portée sur la spiritualité » et affirme n’avoir jamais mis les pieds dans une église, concluait par cette déclaration remarquable sur ce qui s’est passé l’année dernière à Asbury : « Indépendamment de ce que vous croyez, vous ne pouvez pas nier qu’il y a des jeunes qui croient sincèrement en Dieu. Et maintenant, je pense, on peut dire qu’ils ont lancé une sorte de mouvement. »

J’espère qu’elle a vu juste.

J’espère que de cette génération émergera un reste dont l’engagement inébranlable restaurera radicalement le caractère inapprivoisable, prêt à faire la différence et exigeant du christianisme historique.

J’espère qu’ils s’inspireront d’images de saints sérieux et dévoués comme Sophie Scholl, Simone Weil, Dietrich Bonhoeffer, Óscar Romero ou Martin Luther King Jr — au lieu de prêtres médiatiques, de l’évangile de la prospérité, de la culture de la célébrité, ou d’un dieu individualiste et thérapeutique décevant qui n’existe que pour soutenir nos préférences.

De nombreux éléments indiquent que la génération Z pourrait être encline à produire précisément ce type de croyants. Nos étudiants ont façonné l’effusion d’Asbury d’une manière à la fois modeste et radicalement contre-culturelle pour l’Église d’aujourd’hui. Ils ne cherchaient pas à mettre en avant des célébrités ou des personnalités médiatiques. Ils n’ont pas cherché à dérouler leur CV lorsqu’ils ont témoigné ou conduit la louange. Pendant la prière, de nombreux étudiants ont déposé leur téléphone sur l’autel. Ils ont prié pour les enseignants, le personnel et l’administration, y compris pour moi.

La génération Z est souvent décrite comme un groupe sociologique très pathologique. Ils sont moins religieux. Ils quittent l’Église. Ils se méfient des institutions. Ils sont anxieux, dépressifs et déformés par la technologie et les réseaux sociaux. Vous auriez de bonnes raisons d’être sceptique quant au fait qu’un tel groupe détienne la réponse à certains problèmes du mouvement évangélique contemporain. Eux ?

Mais cette question ressemble étrangement à certains échanges avec le Christ dans les Écritures. Jésus, sais-tu qui te lave les pieds ? Sais-tu chez qui tu manges ? Eux ?

L’effusion d’Asbury a suscité chez moi un grand nombre de questions, dont beaucoup ne trouvent pas encore de réponse. Mais elle m’a permis de voir cette génération sous un jour nouveau. Et si, au lieu de la génération anxieuse ou de la iGeneration, nous assistions à l’émergence d’une génération corrective ?

Je sais que certains membres de la génération Z sont lassés des attentes démesurées qui pèsent sur eux pour réparer tous les dégâts laissés par leurs prédécesseurs (d’où un autre surnom, la génération « Fix-It »). Pourtant, je ne peux m’empêcher de me demander s’il se pourrait qu’ils en viennent particulièrement à incarner une foi résistante, engagée et coûteuse en Jésus-Christ, antidote au christianisme désinvolte qui a vidé les bancs de l’Église au cours des dernières décennies.

Je m’interroge parce que je l’ai déjà vu.

« Le réveil », disait un étudiant d’Asbury, Charlie Cox, « c’est quand les choses mortes reviennent à la vie. »

Kevin Brown est président de l’université Asbury à Wilmore, dans le Kentucky.

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Books

L’Église orthodoxe est plus évangélique que vous ne le pensez

Un expert lié au Mouvement de Lausanne évoque l’appartenance à l’Église, le bien-fondé du prosélytisme interconfessionnel et l’exemple donné par Billy Graham en Russie et en Roumanie.

Église orthodoxe (gauche) Église évangélique (droite)

Église orthodoxe (gauche) Église évangélique (droite)

Christianity Today February 15, 2024
Adaptations par Christianity Today/Image source : Getty/Lightstock

Les évangéliques et les orthodoxes sont-ils des alliés dans la foi ?

Bien que les deux confessent le Symbole de Nicée, le petit nombre des orthodoxes dans de nombreux pays occidentaux, surtout comparé aux catholiques, les laisse méconnus de la plupart des évangéliques. Pour beaucoup, l’orthodoxie est une religion nominale dotée de grandes cathédrales vides en Europe de l’Est et en Russie.

Cependant, on peut aussi observer qu’un nombre non négligeable d’évangéliques se sont convertis à l’orthodoxie, attirés par ses racines anciennes et sa pratique sacramentelle.

Bradley Nassif connaît bien ces deux choses. Élevé au Kansas, où ses grands-parents, immigrés libanais, ont contribué à la création de l’Église orthodoxe antiochienne Sainte-Marie, sa transformation spirituelle s’est opérée grâce à sa communauté locale, à un sermon de Billy Graham et à sa participation à une étude biblique au lycée. Bien qu’il soit resté dans son église d’origine, il est devenu directeur académique au séminaire évangélique Fuller et est aujourd’hui professeur de Nouveau Testament et de dialogue orthodoxe-protestant à l’Antiochian House of Studies, basée en Californie.

John McGuckin, professeur à l’université d’Oxford, estime que Nassif, l’un des responsables de l’Initiative de Dialogue avec les orthodoxes du Mouvement de Lausanne, est « le plus grand expert mondial » en matière de dialogue orthodoxe-évangélique. Nous nous sommes entretenus avec celui-ci au sujet de son livre paru en 2021 et intitulé The Evangelical Theology of the Orthodox Church (« La théologie évangélique de l’Église orthodoxe »).

Vous affirmez : « Je suis orthodoxe, donc évangélique. » Comment l’orthodoxie répond-elle aux marqueurs principaux de la foi évangélique ?

L’orthodoxie orientale embrasse le quadrilatère de Bebbington au moyen duquel on caractérise fréquemment les évangéliques (biblicisme, crucicentrisme, conversionnisme et activisme), mais le transcende par une vision maximaliste de l’Incarnation dans sa vie liturgique, sacramentelle et spirituelle. L’Évangile imprègne l’Église — non seulement la mort de Jésus pour nos péchés et la nécessité d’une foi personnelle, mais aussi toute l’histoire de Jésus, de la création à la consommation. Cela implique que la plénitude, la catholicité de la foi est formellement présente dans l’Église orthodoxe. Donc, oui, je suis orthodoxe, et donc évangélique, dans le sens incarné, trinitaire et holistique du mot Évangile.

Quelles sont les différences théologiques les plus importantes entre nous ?

Nombre d’entre elles se trouvent dans la manière dont nous nous approprions le passé et dans notre compréhension de la nature de l’Église. Les évangéliques et les orthodoxes partagent un intérêt commun pour l’histoire du christianisme, mais les orthodoxes sont plus organiquement liés au passé que nos frères et sœurs évangéliques, dont les communautés ne sont que vaguement reliées à la plénitude de la foi et de l’organisation du christianisme historique.

Les évangéliques semblent ignorer que l’Église primitive est l’Église orthodoxe. Les communautés qu’ils rencontrent dans les récits de l’Antiquité sont traitées comme s’il s’agissait d’un corps invisible de croyants, au lieu d’une communauté visible d’églises locales orthodoxes. Ces Églises partageaient la même foi et les mêmes sacrements et étaient dirigées par des évêques en communion les uns avec les autres dans le cadre de la succession apostolique, qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui.

Les évangéliques mettent l’accent sur le corps invisible du Christ comme base de l’unité et semblent souvent se satisfaire de la désunion visible qui existe aujourd’hui dans le christianisme. Les orthodoxes, eux, y voient beaucoup plus un contre-témoignage préjudiciable à la vérité de l’Évangile.

Une autre différence essentielle de mentalité réside dans l’herméneutique qui guide l’interprétation biblique. Nous sommes d’accord sur le fait que la Bible est la source de la révélation divine et la norme au moyen de laquelle toute croyance revendiquée comme chrétienne doit être évaluée. Mais nous ne sommes pas d’accord sur le rôle de la communauté chrétienne dans la validation de nos conclusions exégétiques, à la lumière de la tradition apostolique transmise dans la vie de l’Église. Le Saint-Esprit a inspiré non seulement la rédaction des Écritures, mais aussi leur interprétation.

Cette différence explique pourquoi les Églises orthodoxes ont échappé aux aspects destructeurs de la théologie protestante libérale qui imprègne aujourd’hui les confessions traditionnelles et les cercles progressistes. Le recours à la Sainte Tradition empêche les interprètes bibliques d’avoir une confiance idolâtre dans leurs propres conclusions exégétiques. Celles-ci doivent être confrontées à la foi commune de l’ensemble de la communauté chrétienne.

Peut-on encore aujourd’hui parler d’un consensus historique préservé de l’erreur ?

Tout ce qui nous vient du passé n’a pas la même valeur et n’est pas nécessairement vrai. La pensée orthodoxe « suit les saints Pères », comme l’indique le préambule du Symbole de Chalcédoine (451), mais elle ne se contente pas de faire appel au passé comme s’il s’agissait de la seule source de vérité. L’ancienneté elle-même n’est pas une preuve de vérité ; on peut avoir simplement affaire à une ancienne erreur ! Suivre les saints Pères, c’est embrasser non seulement leur témoignage de foi, mais aussi leur méthode de raisonnement théologique.

Par exemple, au huitième siècle, le monde orthodoxe a vécu pendant plus de 30 ans avec l’idée que les icônes étaient idolâtres. Cette décision avait été adoptée par les évêques lors du concile de Hiéreia, mais a été annulée en 787 apr. J.-C. par le septième concile œcuménique de Nicée. Dans les deux cas, les sources théologiques étaient les mêmes : l’Écriture, les conciles précédents et la tradition. La différence de résultat est attribuée à la direction de l’Esprit saint, dont le témoignage est recueilli au fur et à mesure du temps par l’Église.

Nous touchons ici au mystère de la doctrine orthodoxe de l’Église, que les protestants et les catholiques ont souvent du mal à comprendre. Ni l’Écriture ni le pape ne sont le seul critère de vérité. Il existe un lien indissociable entre l’Esprit saint qui vit mystérieusement dans l’Église et ses dogmes, son culte et sa vie spirituelle.

Une belle fleur pourrait illustrer le propos. Disons que les racines de la fleur représentent l’Église. De l’Église part une tige, qui représente la doctrine, et de cette tige doctrinale naît une belle fleur, qui est la vie spirituelle et liturgique de l’Église. Les racines, la tige et la fleur sont inséparables.

Embrasser la tige doctrinale des conciles de Nicée ou de Chalcédoine, comme le font les évangéliques, tout en rejetant la racine qui l’a produite et la fleur spirituelle qui en est issue, porte atteinte à l’intégrité organique de la fleur. Cela coupe la tige de ses racines vivifiantes et de sa fleur spirituelle. Les orthodoxes croient que le Saint-Esprit préserve l’intégrité de la fleur, car la vie d’une de ses parties est la vie de toutes.

Image : Fournie par l’Initiative de Dialogue avec les orthodoxes du Mouvement de Lausanne Des évangéliques et des orthodoxes se retrouvent lors de la réunion de juin 2023 de l’Initiative de Dialogue avec les orthodoxes, dans le Derbyshire, en Angleterre.

Des évangéliques et des orthodoxes se retrouvent lors de la réunion de juin 2023 de l’Initiative de Dialogue avec les orthodoxes, dans le Derbyshire, en Angleterre.Fournie par l’Initiative de Dialogue avec les orthodoxes du Mouvement de Lausanne
Des évangéliques et des orthodoxes se retrouvent lors de la réunion de juin 2023 de l’Initiative de Dialogue avec les orthodoxes, dans le Derbyshire, en Angleterre.

Les évangéliques auraient-ils besoin de se convertir à l’orthodoxie ?

La conversion est un mot qui désigne d’abord l’entrée dans la vie nouvelle donnée par Dieu lorsque l’on devient chrétien pour la première fois. En ce sens, la plupart des évangéliques que je connais sont déjà convertis. Mais la question du changement d’appartenance ecclésiale est très personnelle, et chacun doit y répondre pour lui-même.

L’orthodoxie estime que l’Église sur terre doit rester visiblement unie. Qu’en est-il donc des évangéliques et des autres chrétiens qui ne sont pas visiblement unis à elle ? Différents orthodoxes répondraient de différentes manières.

Les plus rigoureux affirment que toute personne qui n’est pas orthodoxe n’appartient pas à l’Église. La grâce peut être à l’œuvre dans des églises non orthodoxes, mais leurs membres ne peuvent pas être considérées comme véritablement membres de l’Église. Par conséquent, les évangéliques, comme tout le monde, devraient se convertir et devenir orthodoxes sous peine de perdre leur salut.

Un groupe plus modéré, cependant, estime que s’il n’y a qu’une seule Église, il y a de nombreuses façons de s’y rattacher. Dans cet esprit, je ne doute pas que les évangéliques croyants sont déjà dans l’Église orthodoxe, le corps du Christ, même s’ils sont visiblement séparés de nous. Ce n’est pas le témoignage que Dieu veut, mais si quelqu’un est « en Christ », il doit d’une certaine manière être « dans l’Église ». Une expérience spirituelle beaucoup plus complète peut toutefois être vécue dans la vie liturgique et sacramentelle de l’Église orthodoxe, pour tous ceux qui le désirent.

Dans le monde, combien d’orthodoxes sont « donc évangéliques » comme vous ?

Tous les orthodoxes sont évangéliques dans leur doctrine, mais pas toujours dans leur pratique. Trop souvent, nous vivons dans un ghetto doré, entourés de trésors théologiques, mais vivant dans la pauvreté spirituelle. C’est le grand tabou qui remonte au moins au quatrième siècle, lorsque le christianisme est devenu la religion officielle de Rome. Je ne dis pas que l’union de l’Église et de l’État était intrinsèquement mauvaise, mais elle avait des inconvénients, notamment le développement d’un formalisme sans vie et d’une foi nominale.

Les sermons de saint Jean Chrysostome offrent un témoignage éloquent de l’état charnel du chrétien moyen. Peu de choses ont changé au cours des siècles qui se sont écoulés depuis. Heureusement, l’essor du monachisme au 4e siècle a sauvé l’intégrité du christianisme en préservant l’esprit évangélique de l’Église.

Néanmoins, nous devrions reconnaître aux orthodoxes le mérite d’avoir gardé la foi pendant les dures persécutions et les humiliations sociales subies sous les régimes musulmans et communistes. Mais comme une fleur de printemps qui bourgeonne après le dégel hivernal, le christianisme orthodoxe connaît une renaissance au 21e siècle.

Sur le plan spirituel, bien que l’orthodoxie américaine soit confrontée au même défi du nominalisme que les pays orthodoxes traditionnels, elle semble plus vivante grâce à l’influence vivifiante des convertis évangéliques. À bien des égards, l’Église orthodoxe d’Amérique est dans la meilleure situation spirituelle qu’elle ait jamais connue.

Une fois qu’elle aura repris conscience de la centralité de l’Évangile, que devrait faire l’Église orthodoxe pour évangéliser ses propres membres ?

L’orthodoxie ne peut pas nourrir les siens simplement en offrant plus de liturgies, de conférences et de sermons pour leur demander de faire plus d’efforts. Au contraire, l’Évangile doit être au centre de toutes les actions vitales de l’Église — sa prédication, ses rites liturgiques, ses sacrements, son action missionnaire et ses programmes d’enseignement.

Il ne s’agit pas d’une science exacte, mais d’un accent mis sur l’ABC de la foi. La transformation spirituelle commence dès le début par le renouvellement de nos vœux de baptême au moyen de la repentance et la foi dans le Christ comme Seigneur et Sauveur, en s’appuyant sur la puissance de l’Esprit saint pour la vie chrétienne.

Le renouveau d’une paroisse commence une personne à la fois, et nous commençons donc par nous-mêmes. Les responsables comme les laïcs doivent se demander si nous avons consciemment accepté l’appel de Jésus à « prendre sa croix et à le suivre » (Mc 8.34).

Le don du salut exige une réponse. Les gens ont parfois besoin qu’on leur demande gentiment où ils se situent par rapport au Christ. Cela peut se faire tout au long de l’année liturgique, lors de sermons, d’accompagnements pastoraux, d’études bibliques, de visites à domicile ou simplement autour d’une tasse de café. Quelle que soit la manière dont cela se passe, l’évangélisation interne et l’appel à la formation de disciples sont des nécessités pour une paroisse dynamique.

Cela est-il nécessaire pour les sauver de l’enfer, ou seulement pour qu’ils vivent la plénitude de la vie chrétienne ?

Seul Dieu le sait ! Cela dépend de la position de chacun dans sa relation avec Dieu. Certains se croient chrétiens simplement parce qu’ils viennent d’un pays orthodoxe ; d’autres sont religieux, mais perdus. Beaucoup ont été négligés spirituellement et ont besoin de soins pastoraux. Dans l’ensemble, les orthodoxes sont très réceptifs à l’Évangile lorsqu’il est présenté clairement par un membre de l’Église aimant et digne de confiance.

Ce n’est pas parce que l’Évangile est dans l’Église que notre peuple l’a compris et s’est approprié son message. Nos maîtres mystiques, tels que saint Syméon (10e siècle) et saint Makarios d’Égypte (4e siècle), nous rappellent la nécessité d’une expérience consciente de Dieu dans le cœur.

Si le repentir conduit à cette conscience, la conscience de la vie de Dieu dans l’âme peut survenir soudainement pour certains, tandis que pour d’autres elle n’apparaît que progressivement, au fur et à mesure qu’ils obéissent aux commandements.

Comment les évangéliques peuvent-ils contribuer à ce message évangélique dans le monde orthodoxe ?

Les évangéliques doivent d’abord examiner leurs propres attitudes et visées. Croient-ils que l’orthodoxie n’est pas le vrai christianisme ? Les orthodoxes ont-ils besoin d’une conversion à l’évangélisme ?

Les missionnaires pourront faire progresser leur travail dans les pays orthodoxes en commençant par s’informer le plus possible sur cette foi et son influence sur l’héritage culturel.

Le monachisme, par exemple, est au cœur de l’incarnation de l’appel de Jésus à « prendre sa croix et à me suivre » (Lc 9.23). Étudiez les icônes et les saints. Lisez Dostoïevski et écoutez Tchaïkovski. Les conversations autour de ces sujets sont également un bon moyen de créer des liens avec les membres du clergé.

Le rappel du témoignage de l’Évangile déjà présent dans les écrits de leurs propres autorités pourrait aussi rencontrer un plus grand succès parmi les orthodoxes.

Votre livre souligne que les évangéliques sont parfois victimes de discrimination dans le monde orthodoxe.

Malgré l’inquiétude majeure que suscite le prosélytisme des missionnaires évangéliques dans les pays orthodoxes, les orthodoxes doivent également comprendre qui sont les évangéliques. Trop souvent, ils sont mis dans le même sac que les sectes et les cultes qui rejettent la divinité du Christ et la Sainte Trinité.

Je pense que le Seigneur serait heureux si davantage de responsables orthodoxes pouvaient comprendre la différence entre les formes populaires, parfois moins sophistiquées, de l’évangélisme qui apparaissent à la télévision ou sur Internet, et l’héritage théologique respectable de l’érudition évangélique, tel que ce que l’on peut voir dans l’Initiative de dialogue avec les orthodoxes du Mouvement de Lausanne.

Mais avec ou sans amélioration de la compréhension mutuelle dans les pays orthodoxes, la foi est mieux servie par la protection des droits de toutes les personnes à exister sans discrimination. La liberté humaine et religieuse est au cœur de la compréhension biblique et patristique de l’image de Dieu, car le seul amour qui vaille la peine d’être reçu est un amour librement donné.

Quel est votre espoir pour l’unité de l’Église ?

Nous sommes déjà unis dans le Christ, mais cette unité est imparfaite. Pour aller plus loin, il faudrait être pleinement d’accord dans la foi. Mais nous ne pouvons pas communier ensemble, par exemple, puisque nous avons des croyances différentes quant à la présence réelle du Christ dans l’eucharistie.

Je ne crois pas que les chrétiens orthodoxes et évangéliques s’uniront un jour de manière visible, et cela me convient. Il y a trop de différences qui ne doivent pas être minimisées au nom d’une unité superficielle. Notre unité imparfaite peut cependant être mise au service d’un témoignage plus parfait en soutenant notre proclamation commune du Christ comme Seigneur et Sauveur.

Nous pouvons le faire à travers l’action sociale pour aider les pauvres, la défense de l’enfant à naître et du mariage hétérosexuel monogame, et l’« évangélisation coopérative » prônée par Billy Graham. Il y a quelques années, des évêques orthodoxes de haut rang ont publiquement soutenu ses campagnes en Russie et en Roumanie, à condition que tous les orthodoxes qui se présentaient pour consacrer leur vie au Christ soient renvoyés vers une église orthodoxe pour y être suivis.

Ensemble, que Dieu nous donne cette humilité et cet amour mutuels, pour le Christ et le bien de son Église à travers le monde.

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Les prières des supporters croyants sont-elles efficaces ?

Des responsables chrétiens — et des supporters de la Coupe d’Afrique des nations — de six pays s’expriment sur le rôle de Dieu dans le sport.

La progression aux allures miraculeuse de la Côte d’Ivoire dans la Coupe d’Afrique des nations a convaincu certains habitants du pays que Dieu était de leur côté.

La progression aux allures miraculeuse de la Côte d’Ivoire dans la Coupe d’Afrique des nations a convaincu certains habitants du pays que Dieu était de leur côté.

Christianity Today February 15, 2024
Sunday Alamba/AP Images

Peu de gens pensaient que l’équipe nationale masculine de Côte d’Ivoire serait en mesure de remporter une troisième Coupe d’Afrique des nations (CAN) après avoir licencié son entraîneur au début de la plus grande compétition de football du continent. Ou lorsqu’elle a échoué à recruter l’entraîneur espéré. Ou encore lorsqu’elle a été la dernière équipe à se qualifier pour le tour de groupe de la CAN.

Mais au fur et à mesure que l’équipe surmontait ces revers et remportait les matchs éliminatoires de manière spectaculaire, des supporters de ceux qu’on appelle les Éléphants — chrétiens et musulmans confondus — ont commencé à voir dans leurs prières les raisons du succès de leur équipe.

« Pendant les matchs du tournoi, de nombreux supporters profitent de la mi-temps pour trouver un coin tranquille ou un espace à l’arrière des gradins pour poser leur tapis de prière et prier », rapportait The Associated Press. « Les supporters s’agenouillent en inclinant la tête dans la même direction. »

Dimanche, la Côte d’Ivoire a battu le Nigeria à domicile (2-1) et remporté le titre, mettant fin à un tournoi palpitant qui a comporté des retours surprise, des prolongations, des tirs au but, la suspension de plusieurs joueurs de premier plan et la victoire de la Côte d’Ivoire dans un match où elle a été privée d’un joueur pendant plus de la moitié de la partie. Ces prières auraient-elles porté du fruit ?

Nous avons interrogé des responsables africains en Afrique du Sud, au Ghana, en Sierra Leone, au Togo, au Nigeria et au Kenya sur le rôle divin dans les victoires et les défaites. Dieu récompense-t-il les athlètes et les supporters fidèles par des victoires ? Dieu affecte-t-il les performances des équipes dont les supporters sont nombreux à aimer Jésus ? Les équipes qui comptent de nombreux athlètes chrétiens sont-elles bénies par Dieu et remportent-elles plus de victoires ?

Les réponses ont été éditées pour des raisons de longueur et de clarté et sont classées des plus ouvertes aux plus réticentes à cette idée.

Magloire Pilabana, aumônier, Athletes in Action, Togo:

L’équipe de Côte d’Ivoire a remporté la Coupe d’Afrique de manière incroyable. Ils ont marqué à la dernière minute dans de nombreux matchs. Ils ont renvoyé leur entraîneur après le premier tour et ont ensuite promu un ancien joueur. Certains ont commencé à dire que l’équipe utilisait des grigris.

Certains affirment que ce succès est dû à la prière des chrétiens. Certains joueurs ont dit que c’était Dieu. Mais quel Dieu ? Combien de joueurs ivoiriens sont des chrétiens évangéliques ? Combien y a-t-il de joueurs ivoiriens qui paient des sorciers ? Combien de pasteurs ont mobilisé des chrétiens pour prier pour leur équipe ?

Personnellement, je pense que les victoires et les qualifications de l’équipe ivoirienne ont dépassé ce qu’un sorcier peut provoquer. Je pense que c’est pour cela que tout le monde dit que c’est Dieu.

D’après mon expérience avec les athlètes et les équipes, lorsque les athlètes croient en Christ, ils obtiennent de bons résultats. Si l’équipe compte de nombreux croyants, cela favorise l’unité et un comportement sacrificiel, car les joueurs travaillent mieux ensemble.

Paul Nyama, directeur national d’Operation Mobilisation, originaire de Sierra Leone et basé au Ghana :

Oui, Dieu récompense les athlètes et les supporters fidèles. En effet, 1 Corinthiens 15:58 dit : « votre travail n’est pas sans résultat dans le Seigneur. » Cela inclut le sport. Lorsque l’arène sportive est votre terrain d’évangélisation, vous rendez Dieu heureux.

De plus, oui, Dieu entend les cris de ses enfants, qu’il s’agisse de la guérison d’une maladie ou de la victoire d’une équipe. Dieu est un père attentionné ; il est tout simplement cool comme ça.

Enfin, les joueurs chrétiens connaissent à la fois des victoires et des échecs, et je crois qu’il y a des leçons à tirer des deux côtés. Dieu fait concourir toutes choses à notre bien. Les joueurs fiers sont humiliés par la défaite. C’est douloureux, mais vrai.

Abigail Mensah, directrice de Beautiful Feet, un ministère sportif au Ghana :

Oui, je crois que Dieu peut bénir les athlètes et les supporters par des victoires.

Avant d’expliquer ma position, convenons que Dieu récompense le travail et l’assiduité. Ces choses devraient en fait faire partie de la vie de disciple fidèle du Christ. Nous avons de nombreux exemples de serviteurs de Dieu fidèles et diligents auxquels Dieu a accordé des victoires spectaculaires.

Parlons du fidèle Daniel, dont l’Écriture dit qu’il n’a pas été négligent. Ou encore de Joseph, à qui une promesse de victoire a été annoncée, mais qui a travaillé avec diligence comme esclave dans la maison de son maître, de telle sorte qu’il a été nommé responsable de ses biens.

Dieu déclare dans sa Parole qu’il récompense ceux qui prennent plaisir en Lui (Ps 37.4). Dans le Psaume 1.1-3, la Bible décrit ainsi la vie d’un fidèle : il porte des fruits en son temps, et dans tout ce qu’il fait, il prospère. Jésus a dit que notre Père céleste sait donner de bonnes choses à ses enfants (Mt 7.1-11).

Cassie Carstens, aumônier de l’équipe sud-africaine victorieuse de la Coupe du monde de rugby en 1995 et cofondateur de l’International Sports Leadership School

Les chrétiens vivent de la grâce et non de la récompense. Dieu a autorité pour intervenir et le fait parfois, non pas en guise de récompense, mais dans l’intention de faire avancer son Royaume. Plus les joueurs ou les supporters sont ouverts à saisir le moment (victoire ou défaite) pour glorifier Dieu sans s’enorgueillir, plus ils font preuve d’une créativité et d’une énergie propre au Royaume, et plus Dieu sera disposé à intervenir. Les chrétiens vivent selon le principe suivant : que nous mangions, buvions ou fassions quoi que ce soit (sport, travail, etc.), nous le faisons pour la gloire de Dieu ! (1 Co 10.31)

Osam Temple, professeur invité du Nigeria, actuellement à l’université Daystar, au Kenya :

Oh, les fervents Nigérians. Au milieu de la chute du taux de change du naira local, de l’augmentation des taux d’inflation et de l’insécurité croissante, certains attendaient avec impatience la victoire éventuelle de leur équipe bien-aimée, les Super Eagles, comme un moyen potentiel pour Dieu de réconforter les Nigérians et de leur redonner de l’espoir cette saison. Et pourtant, le Nigeria a perdu contre la Côte d’Ivoire dimanche.

J’ai bien ri en voyant que certains jeunes Nigérians ont prié sincèrement pour que Dieu aveugle les yeux du gardien sud-africain lors de la séance de tirs au but de la demi-finale. Un pasteur a régulièrement posté des messages pendant la CAN, dont une vidéo dans laquelle il déclarait avec assurance que Dieu lui avait dit que le Nigeria gagnerait la coupe.

Dieu a-t-il donc donné la coupe à la Côte d’Ivoire ? Dieu a-t-il décidé de l’issue des matchs de phase finale de la CAN ? A-t-il été influencé par les prières des chrétiens ivoiriens et a-t-il ignoré les prières de ses enfants nigérians ?

Peut-être devrions-nous exclure totalement Dieu de la conversation. Mais pouvons-nous le faire tout en restant chrétien ? Y a-t-il quelque chose sur terre qui échappe à la connaissance de Dieu ? Le football est-il moins important pour Dieu que l’économie, la politique ou la religion ?

Dieu est présent dans tous les domaines de la vie et intervient dans les affaires de ce monde. Je crois aussi qu’il récompense le travail acharné et qu’il répond aux prières. Nous ne savons pas exactement pourquoi la Côte d’Ivoire a remporté cette coupe. Les compétences, les talents, le moral et les stratégies ont tous joué un rôle, mais il y a aussi beaucoup de choses invisibles en jeu que certains appellent la chance, le hasard ou la providence de Dieu. Dieu a favorisé la Côte d’Ivoire pour des raisons que nous ne connaîtrons peut-être jamais. Nous ne pouvons voir qu’en partie et connaître qu’en partie !

Blessing Mpofu, rédacteur en chef, ChurchMag, Afrique du Sud :

Le football (le vrai) est un exemple parfait de la façon dont, pour les Africains, tout est spirituel. Rien n’est trop petit pour Dieu ; si c’est important pour nous, cela vaut la peine d’attirer l’attention de Dieu dessus. Nous recherchons l’intervention divine pour tout ce qui est important pour nous. Le monde spirituel est aussi réel que les drapeaux et autres accessoires que nous tenons dans nos mains lorsque nous regardons les matchs.

Si notre équipe ne gagne pas, ce n’est pas la faute de Dieu. Il y a une raison pour laquelle il n’aura pas permis la victoire. C’est peut-être nous, quelque chose qui nous a échappé. Il doit y avoir un grand objectif, que nous ne connaissons pas encore, mais que nous espérons pour l’avenir.

Il est peu probable que l’autre équipe ait mieux prié. Quoi qu’il en soit, c’est à nous de le découvrir. Notre foi en Dieu n’est jamais ébranlée et nous prierons avec la même ferveur, voire plus, pour le prochain match.

En définitive, Dieu n’est jamais à blâmer. Lorsque les choses vont dans notre sens, c’est Dieu, et lorsque ce n’est pas le cas, nous considérons que ce n’est pas la volonté de Dieu pour cette période.

Moss Ntlha, secrétaire général de l’Alliance évangélique d’Afrique du Sud

Jésus aime assister à un match équitable, sans que les joueurs soient dopés pour améliorer leurs performances. Je ne vois pas pourquoi il voudrait transformer les perdants en gagnants, sauf si l’autre partie utilise des méthodes sournoises pour gagner.

Je note aussi que nous apprenons souvent plus en perdant, du point de vue de la formation du caractère et du développement personnel, qu’en gagnant.

Joan Mwangi, volontaire auprès d’INcontext International, Kenya :

J’ai assisté aux matchs de la République démocratique du Congo (RDC) et j’ai prié pour qu’elle gagne. Je pensais que la victoire de la RDC serait un encouragement pour tout le pays qui est confronté aux combats et aux tueries dans l’est du Congo. Mais je suis limité dans mes pensées et mes désirs, et Dieu est souverain dans toutes ses actions.

Dans le passé, j’aurais conclu que Dieu récompense les athlètes et les supporters fidèles par des victoires, mais au fur et à mesure que je progresse dans ma marche avec Dieu, je comprends que c’est par sa fidélité qu’il récompense les athlètes et les supporters, dans le but de les rapprocher de lui.

Statistiquement, l’équipe du Nigeria compte plus de joueurs chrétiens et bon nombre d’entre eux ont ouvertement professé leur foi en Dieu sur les réseaux sociaux. Nous les avons vus se rassembler pour prier avant le match et même à la fin de la première mi-temps, mais ils ont perdu contre la Côte d’Ivoire.

Dans le même temps, la Côte d’Ivoire compte un joueur, Jean-Michael Seri, qui a été désigné homme du match lors de la rencontre avec le Sénégal en huitième de finale. Il est croyant et a professé sa foi avec audace, attribuant leur victoire à Dieu.

Le plus grand défi que j’ai constaté est que nous n’avons personne pour aider les supporters et les athlètes à faire face aux résultats de la compétition, quels qu’ils soient. Il est donc difficile pour beaucoup de reconnaître la bonté de Dieu dans les victoires et les défaites, à moins d’être profondément enraciné dans le Christ et d’avoir appris que, quoi qu’il arrive, le Christ est glorifié et que nous devons nous rapprocher de lui.

Ray Mensah, directeur exécutif de OneWay Africa, Ghana :

La semaine dernière, l’Église méthodiste du Ghana m’a invité à m’adresser à ses jeunes responsables pour leur parler de l’utilisation du sport comme outil d’évangélisation et de formation de disciples.

Ils prévoient de lancer bientôt une ligue de football dans les districts du Ghana. Je leur ai donc demandé : « Que se passerait-il si l’objectif de la ligue était uniquement de gagner ? » Ils ont répondu qu’il y aurait beaucoup de luttes, de corruption, de tricherie et même d’occultisme pour gagner.

J’ai ensuite posé une deuxième question : « Que ferait Dieu si deux équipes de l’Église méthodiste s’affrontaient et que, en tant que bons chrétiens, tous priaient Dieu pour la victoire ? À quelle prière Dieu devrait-il répondre si tous sont ses enfants ? »

Je ne prie donc pas pour que les équipes gagnent. Si je prie pour qu’une équipe gagne et qu’elle gagne, et que je prie à nouveau et qu’elle gagne une deuxième fois, je deviens comme un sorcier pour eux, car ils voudront toujours que je prie pour eux avant de jouer un match.

Lorsque je prie pour des équipes, je prie donc pour qu’elles fassent de leur mieux et rendent gloire à Dieu, quels que soient les résultats. Je prie pour qu’ils soient en sécurité et qu’ils aient de l’endurance et une bonne attitude tout au long du match.

Desmond Henry, directeur international du réseau mondial d’évangélistes pour l’association Luis Palau, Johannesburg, Afrique du Sud :

L’idée que Dieu distribue les victoires aux plus fidèles, établissant une sorte de classement céleste, est un récit tentant, mais qui manque de fondement théologique. Les Écritures nous rappellent que si le talent et les opportunités sont des bénédictions divines, l’humilité est la vertu que Dieu estime par-dessus tout (Jc 4.6). Envisager le sport sous cet angle permet de se prémunir contre l’orgueil spirituel, qui peut facilement nous prendre au piège, en particulier lorsque des croyants s’affrontent sur le terrain. Les victoires sportives ne doivent pas être considérées comme une mesure de la fidélité ou de la faveur divine.

Si les prières ferventes des supporters et la foi des athlètes sont des aspects importants de leur vie spirituelle, il est essentiel de reconnaître que le résultat d’un match n’est pas le reflet direct de la volonté divine en termes de victoire ou de défaite. L’histoire nous montre que les athlètes et les équipes fidèles font l’expérience des deux, indépendamment de leurs prières ou de leur piété. Il est possible que Dieu agisse à travers ces événements dans un but qui va au-delà du résultat immédiat, en enseignant des leçons qui ont un impact bien plus profond que le frisson de la victoire.

Les triomphes peuvent rallier une nation et potentiellement rapprocher un peuple de Dieu, comme me l’a récemment fait remarquer un ami. À l’inverse, il notait également que la grâce dont fait preuve une équipe scolaire enracinée dans la foi lors d’une défaite peut enseigner des leçons inestimables de résilience et d’esprit sportif, glorifiant peut-être Dieu plus encore qu’une victoire.

En tant que disciples du Christ, notre engagement dans le sport, que ce soit en tant que participants ou supporters, devrait se faire dans une perspective qui transcende les victoires et les défaites. Nous sommes appelés à apprécier les valeurs plus profondes que sont l’unité, la bonté et l’humilité — des attributs qui peuvent en effet rendre gloire à Dieu en profondeur. Encourageons, jouons et vivons notre foi dans l’arène du sport avec cette perspective équilibrée, en nous rappelant que dans tous les hauts et les bas, notre but ultime est de refléter le caractère et l’amour du Christ.

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Books

Christ et la cancel-culture

Quelques leçons de la controverse autour des propos d’Alistair Begg.

Christianity Today February 14, 2024
Elizabeth Kaye/Images sources : WikiMedia Commons

Ces dernières semaines, les débats ont fait rage au sujet du pasteur et auteur Alistair Begg, qui a conseillé à une grand-mère d’assister au mariage de son petit-enfant avec une personne transgenre. Maintenant que le calme revient à peu près, il paraît utile de s’interroger sur les enseignements que nous pourrions tirer de cet épisode.

J’ai expliqué ailleurs pourquoi je ne suis pas d’accord avec le conseil de Begg, mais je souhaite ici réfléchir à la manière dont nous gérons nos différends sur ces questions au sein du corps du Christ. Comment les chrétiens peuvent-ils vivre leurs désaccords d’une manière qui minimise les dommages collatéraux pour le royaume de Dieu ?

En l’occurrence, le désaccord ne porte pas sur une question d’éthique sexuelle (la position de Begg à ce sujet est claire). Il s’agit davantage d’une question de sagesse pratique : comment les chrétiens qui maintiennent une conception traditionnelle du mariage doivent-ils agir dans une société qui l’abandonne de plus en plus ? Par exemple, dans les circonstances évoquées par Begg — une relation entre une grand-mère et son petit-enfant dans laquelle la conviction de la grand-mère est clairement connue — la participation à une cérémonie de mariage gay ou transgenre est-elle envisageable ?

Bien que j’arrive à une conclusion différente de celle de Begg, sa position ne devrait pas faire oublier les décennies de ministère fidèle qu’il a derrière lui. Pourtant, de nombreuses réactions le décrivent comme fondamentalement compromis ou indigne de confiance, ou encore comme un partisan du mariage homosexuel. S’il est tout à fait normal que des gens puissent manifester leur désaccord, les dénonciations à l’emporte-pièce et les ruptures drastiques semblent refléter un dysfonctionnement plus large dans la manière dont les chrétiens se prêtent à cet exercice.

Malheureusement, la « cancel culture » est de plus en plus répandue dans l’Église et dans le monde. Les désaccords sur Internet, en particulier, témoignent d’une mentalité très réactive et du type « tout ou rien », qui réduit finalement l’autre personne à notre désaccord avec elle, même s’il s’agit d’un désaccord sur une question secondaire ou tertiaire. Nous avons désespérément besoin de préserver et cultiver notre capacité à dire : « Je ne suis pas d’accord avec telle personne sur telle question, mais elle reste mon frère ou ma sœur en Christ, et notre désaccord s’inscrit donc dans ce contexte plus large ». Trop souvent, notre manière de gérer nos désaccords ne reflète que peu ou pas la conscience de l’unité et de l’amour qu’il devrait y avoir entre les chrétiens.

Les précieuses figures chrétiennes du passé auraient-elles pu survivre au climat que nous créons actuellement ? John Stott serait-il boycotté pour ses opinions sur l’annihilationnisme ? Qu’en serait-il de C. S. Lewis et de son rejet de l’inerrance biblique ? Ou de Dietrich Bonhoeffer et sa position sur l’historicité de Genèse 2-3 ?

Je ne veux pas minimiser l’importance de ces questions. Il ne s’agit pas non plus de tout fondre dans une sorte de « Soyons gentils et ne parlons pas de nos désaccords ». Mais dans le cas d’un désaccord avec un autre chrétien, la manière dont nous vivons ce désaccord doit être conditionnée par la réalité de notre identité partagée en Christ.

À quoi pourrait ressembler un désaccord sain entre chrétiens ? Il n’y a pas de formule magique et je n’ai pas toutes les réponses, mais voici quelques idées qui pourraient mériter d’être prises en considération.

Faire une pause dans les débats publics le dimanche

Certaines des batailles entre chrétiens les plus passionnées se déroulent le dimanche sur Twitter, voire le dimanche matin. Je me demande si l’ennemi n’utilise pas cela pour nous détourner de ce moment de notre rythme hebdomadaire qui devrait être spécialement réservé au repos et à l’adoration. Et si nous faisions une pause dans nos querelles le jour du Seigneur et que nous nous engagions plutôt dans la louange, la prière et le repos ?

Je ne voudrais pas contraindre la conscience d’autrui sur une question de sagesse comme celle-ci, mais j’ai personnellement pris la décision d’éviter de m’engager dans un débat public le dimanche, et j’inviterais chacun à se demander si une démarche similaire pourrait être bénéfique pour sa propre vie.

Cultiver une culture de l’honneur

Le Nouveau Testament nous appelle à une culture de l’honneur (Rm 12.10) et de la douceur (Ga 6.1). Cela ne signifie pas que nous n’ayons pas à demander des comptes ou à formuler des critiques si nécessaire. La réprimande publique peut avoir sa place (p. ex. 1 Tm 5.20), y compris à l’égard de responsables (Ga 2.11).

Toutefois, nous devons être attentifs à la culture ambiante que nous sommes en train d’installer dans l’Église, en particulier en ce qui concerne les responsables. Plus que jamais, les pasteurs et autres responsables d’église évoluent dans un climat de suspicion. Selon un récent sondage aux États-Unis, moins d’un tiers des Américains jugent le clergé honnête et moral. Par ailleurs, les pasteurs font de plus en plus face au découragement.

Là encore, les critiques légitimes ont leur place. Mais la trajectoire générale de notre culture est telle que la méfiance envers les responsables d’église (et envers les institutions et leurs responsables en général) ne cesse de croître. C’est une mauvaise chose pour nous tous. Si ses responsables sont épanouis, l’ensemble du corps du Christ a tout à y gagner. Mais qui peut s’épanouir dans un climat de suspicion et de jugements à l’emporte-pièce ?

Lorsque nous nous livrons à la critique, nous ferions bien de nous poser la question : Quelle est la culture ambiante que je cultive par mes paroles ?

Montrer de l’amour dans le désaccord

L’une des raisons pour lesquelles l’amour est si important est que le monde observe la façon dont nous sommes en désaccord les uns avec les autres. Jésus nous a enseigné : « C’est à cela que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13.35) Il a prié pour notre unité afin que le monde croie en lui (Jn 17.21).

Dans un récent podcast, l’auteur Trevin Wax attirait notre attention sur le commentaire de Francis Schaeffer concernant cet enseignement du Christ : « Jésus, ici, donne au monde le droit de faire quelque chose sur la base de sa propre autorité. Il donne au monde le droit de juger si vous et moi sommes des chrétiens nés de nouveau en fonction de l’amour que nous portons à tous les chrétiens. » Comment la controverse autour des propos de Begg a-t-elle été perçue par les non-chrétiens qui nous regardent ?

Encore une fois, l’amour ne signifie pas taire tout désaccord. Mais lorsque nous nous engageons dans un débat public avec un frère ou une sœur en Christ, nous devrions considérer l’effet plus large de ce débat sur la crédibilité de l’Évangile. Charles Spurgeon offre à ce sujet un modèle inspirant. Au sujet du poète George Herbert, il déclarait :

Là où est l’Esprit de Dieu, il doit y avoir de l’amour, et si j’ai connu et reconnu un homme comme mon frère en Jésus-Christ, l’amour du Christ m’oblige à ne plus le considérer comme un étranger, mais comme mon concitoyen parmi les saints. Certes, je déteste l’esprit de la Haute Église comme mon âme déteste Satan, mais j’aime George Herbert, bien que George Herbert soit désespérément un homme de la Haute Église. Je déteste son esprit de Haute Église, mais j’aime George Herbert du plus profond de mon âme, et j’ai un recoin chaleureux de mon cœur pour tous les hommes qui lui ressemblent. Que je trouve un homme qui aime mon Seigneur Jésus-Christ comme George Herbert, je ne me demande pas si je l’aimerai ou non ; il n’y a pas de place pour la question, car je ne peux pas m’en empêcher ; si je ne peux pas cesser d’aimer Jésus-Christ, je ne peux pas cesser d’aimer ceux qui l’aiment. […] Gardez-vous, si vous aimez un tant soit peu Jésus-Christ, de vouloir faire votre propre tri parmi son peuple.

Dans les années et les décennies à venir, nous serons probablement confrontés à des questions beaucoup plus complexes sur ce à quoi ressemble la fidélité chrétienne dans notre société. Nous ne serons pas toujours d’accord entre nous. Mais même nos désaccords pourront honorer Jésus et témoigner de l’Évangile à ceux qui nous entourent si nous avons un « recoin chaleureux » dans notre cœur pour toutes les brebis du Christ.

Gavin Ortlund (PhD, Fuller Seminary) est président de Truth Unites et théologien en résidence à Immanuel Nashville. Il est l’auteur de huit livres, dont Why God Makes Sense in a World That Doesn't.

Une précédente version de cet article a été publiée sur le site Truth Unites.

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