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Comment la Colombie est devenue le pays d’Amérique du Sud où il est le plus difficile d’être chrétien.

Officiellement, la Colombie protège mieux les libertés religieuses que la plupart des autres pays de la région. Sur le terrain, la situation est plus compliquée.

Des rebelles de l’Armée de libération nationale patrouillent près de la rivière Baudo en Colombie.

Des rebelles de l’Armée de libération nationale patrouillent près de la rivière Baudo en Colombie.

Christianity Today January 30, 2024
Daniel Munoz/Contributeur/Getty

Rodrigo est un pêcheur chrétien. Il vit avec sa famille dans le département du Chocó, une région de la jungle proche de la frontière que la Colombie partage avec le Panama et l’un des endroits les plus humides de la planète.

En raison de son isolement, la ville où il habite n’a pas de rues pavées et la présence de la police ainsi que des autres autorités colombiennes y est rare. Pour se déplacer, les habitants empruntent principalement les puissants fleuves Atrato, Baudó et San Juan en bateau à moteur. Rodrigo subvient aussi aux besoins de sa famille en vendant de l’essence. C’est ce que nous rapporte Portes Ouvertes, première organisation à nous raconter son histoire.

Malgré l’apparente importance de son activité, Rodrigo et sa famille sont isolés. La communauté autochtone, majoritaire dans la région où ils vivent, les a rejetés en raison de leur foi. Ils sont exclus socialement et économiquement parce qu’ils refusent de participer aux rituels animistes qui sont courants chez les autochtones. Cet isolement a également fait de Rodrigo une proie facile pour la guérilla et les groupes paramilitaires qui dominent la région. Ceux-ci le menacent régulièrement de fermer son entreprise s’il ne leur verse pas des sommes d’argent. Tout le pays pâtit de ces pratiques criminelles, mais ce sont les chrétiens qui sont les plus touchés.

L’histoire de Rodrigo réunit deux des principales raisons pour lesquelles la Colombie a été, selon l’Index mondial de persécution établi par Portes Ouvertes, le pays le plus dangereux d’Amérique du Sud pour les chrétiens, au cours des cinq dernières années. Dans l’Index de cette année, la Colombie se classe au 34e rang mondial des endroits où les chrétiens éprouvent le plus de difficultés à vivre. Comment cette nation ayant une longue tradition démocratique et une majorité de population catholique a-t-elle pu devenir l’un des endroits les plus hostiles pour les croyants de l’hémisphère ouest ?

Une grande partie de la violence notoire en Colombie remonte à 1948, année de l’assassinat du candidat présidentiel libéral Jorge Eliécer Gaitán. Cet événement déclencha, en effet, une tragédie nationale connue sous le nom de « El Bogotazo » et une recrudescence de la violence politique. À la suite de cela, plusieurs groupes de guérilla, alimentés par l’idéologie communiste de la révolution cubaine, ont commencé à semer la terreur dans les zones rurales.

Dans les années 1980, le trafic de drogue étant en plein essor, ces groupes de guérilleros se sont alliés aux trafiquants. Mais après la chute de barons de la drogue comme Pablo Escobar dans les années 1990, ces groupes et leurs adversaires, les groupes paramilitaires, ont repris le contrôle de leur trafic criminel. À cette époque, il n’était pas rare que des responsables chrétiens soient victimes d’enlèvements, de meurtres et de déplacements. Ces faits étaient déjà relatés dans Christianity Today en 1998.

« La Colombie est un pays où il existe deux réalités. D’une part, les grandes villes connaissent beaucoup de libertés et les chrétiens qui y vivent ne se rendent pas compte de la persécution qui sévit dans les zones rurales du pays », nous dit Ted Blake, directeur de Portes Ouvertes en Espagne. « [Mais] dans ces zones rurales, il y a des groupes armés — guérillas ou paramilitaires — qui ne permettent rien sans leur approbation, que vous obtenez en les payant. »

Selon Portes Ouvertes, la deuxième forme de persécution dans les zones rurales de Colombie est le fait de groupes indigènes qui sont libres d’établir leurs propres règles dans les territoires qui leur ont été confiés. Souvent, ces règles interdisent la conversion à la foi chrétienne qui est punie par l’expulsion de la communauté, l’expropriation des terres ou l’exclusion économique.

C’est dans le département de Cauca, au sud du pays, près de l’Équateur, que la persécution des chrétiens par les communautés indigènes est la plus évidente. Dans cette région, la population indigène majoritaire dépasse les 200 000 personnes. Ceux qui ont osé embrasser la foi chrétienne, estimés à 14 000, ont été licenciés, déplacés et victimes d’autres formes d’exclusion sociale. « Comme nous ne mâchons pas la feuille de coca, que nous ne participons pas aux barrages routiers organisés pour protester contre le gouvernement colombien et que nous ne jetons pas de sorts avec des herbes magiques, ils nous déplacent », expliquait Rogelio Yonda Trochez, un pasteur évangélique, à la BBC en 2012.

La violence exercée par les groupes de trafiquants de drogue et l’oppression due aux communautés indigènes ne sont toutefois pas les seules causes de l’environnement toxique dans lequel vivent les chrétiens colombiens. Selon Portes Ouvertes, l’intolérance séculière a augmenté et empêche certains chrétiens de partager leurs convictions sur l’avortement, le mariage et la liberté religieuse.

En 2021, des milliers de Colombiens sont descendus dans la rue pour protester contre des hausses d’impôts et un retard dans la distribution du vaccin COVID-19. Lorsque les dirigeants chrétiens ont refusé de manifester ou se sont exprimés contre eux, certains manifestants ont vandalisé des églises, notamment la grande église évangélique de Bogota, El Lugar de Su Presencia.

Des « incohérences dans la méthodologie » ?

Depuis 1991, la Colombie est l’un des pays les plus avancés de la région en matière de liberté religieuse. C’est l’année où la Constitution a reconnu pour la première fois les libertés de religion, de conscience et de culte comme des droits fondamentaux dans ce pays historiquement catholique.

En conséquence, c’est avec scepticisme que les autorités colombiennes ont accueilli les rapports les plus récents de Portes Ouvertes.

« La violence en Colombie a touché de nombreuses églises et croyants », nous explique Lorena Ríos, ancienne directrice du Bureau des affaires religieuses du ministère de l’Intérieur et aujourd’hui sénatrice du parti chrétien Colombia Justa Libres. « Cependant, la violence n’a pas toujours été causée par des questions de foi, mais plutôt par ce qui gravite autour, comme des questions politiques (participation politique ou soutien à un candidat), l’engagement social (pasteurs qui dénoncent la corruption ou les menaces de divers groupes), ou des situations plus personnelles (commerce et dettes). Ce n’est donc pas toujours directement parce qu’ils sont chrétiens que les chrétiens sont persécutés. »

En 2021, sous la conduite de Lorena Ríos, le Bureau des affaires religieuses publiait ainsi une réfutation formelle des affirmations de Portes Ouvertes. Le Bureau exprimait alors ses préoccupations sur ce qu’il décrivait comme des « incohérences dans la méthodologie » de Portes Ouvertes au niveau de son évaluation des niveaux de persécution religieuse en Colombie. Dans ce rapport, le gouvernement colombien s’interrogeait sur les raisons pour lesquelles le pays était passé de la 41e à la 30e place dans l’Index mondial de la persécution de 2021.

« Cette brusque variation n’avait pas de sens, car en 2020, en raison de la pandémie, il y a eu moins d’attaques contre les chrétiens dans le pays », explique Ríos, ajoutant que « même [Portes Ouvertes] avait admis qu’en raison des restrictions imposées par le COVID-19, 2020 n’avait pas été une année représentative pour la collecte de données. »

La méthodologie de travail de Portes Ouvertes a évolué depuis 1993, date du début du classement. Elle est actuellement basée sur une série de questionnaires appliqués aux populations chrétiennes et non chrétiennes de chaque pays. Les informations sont ensuite notées sur une échelle de 100 points en fonction des niveaux de persécution et font l’objet d’un audit indépendant par l’Institut international pour la liberté religieuse (IIRF).

« Nous mesurons les niveaux d’oppression des chrétiens dans cinq domaines : la vie privée, la sphère familiale, la sphère sociale, la sphère nationale et la sphère ecclésiastique. Nous prenons également en compte les violences physiques ou matérielles subies par les chrétiens », rapporte Ted Blake.

La Colombie ne figure cependant pas sur l’Index à cause de ses lois. Elle y figure parce que des chrétiens ont été assassinés à cause de leur foi et que des églises ont été attaquées.

La persécution en Amérique latine

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Après être entrée dans le top 50 en 2019 (à la 47e place), la Colombie est tombée jusqu’à la 22e place de l’Index 2023. L’année dernière, elle était donc la nation la plus dangereuse pour les chrétiens dans toute l’Amérique latine. Bien que le pays soit remonté à la 34e place cette année-ci, son score de points sur 100 n’est passé que de 71 en 2023 à 68 en 2024.

À présent, le premier pays latino-américain de l’Index 2024 est Cuba (22e place, score de 73), suivi du Nicaragua (30e place, score de 70) en raison de l’obsession du dictateur Daniel Ortega à l’encontre de l’Église catholique, dont il considère les dirigeants comme opposants à son régime. Après la Colombie vient le Mexique (37e place, score de 68).

« Les formes de persécution en Colombie et au Mexique sont très similaires », nous dit Ted Blake. « Les groupes de narcotrafiquants extorquent, enlèvent et assassinent des responsables chrétiens dans les deux pays, tandis que les groupes autochtones exercent une pression en excluant les chrétiens sur le plan économique et social. »

Le Venezuela (67e place, score de 53) n’est plus dans le top 50, même si les observateurs étrangers se doutent bien que la liberté de professer la foi chrétienne y est entravée par son gouvernement autoritaire.

Que peut faire l’Église mondiale face aux persécutions qui se multiplient, même dans les pays historiquement chrétiens ?

Il faut s’exprimer, dit Blake.

« Jésus nous a enseigné que quiconque le suivrait serait persécuté. Nous devons nous attendre à ce que cela se produise », rappelle-t-il. « Mais pour éviter cela, élevez votre voix doublement : demandez à Dieu de fortifier les chrétiens pour qu’ils restent fermes face à l’adversité. Et d’autre part, élevez votre voix devant les gouvernants, afin qu’ils interviennent pour défendre les droits des chrétiens qui souffrent de tant d’injustices. »

Hernán Restrepo est un journaliste colombien basé à Bogota. Depuis 2021, il gère les comptes sur les réseaux sociaux de Christianity Today en espagnol.

Traduit par Anne Haumont

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