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Dieu est-il un homme ou une femme ?

Une évocation de deux ouvrages traitant de la manière dont notre conception du genre interagit avec notre perception de Dieu.

Christianity Today February 21, 2024
Illustration de Mallory Rentsch/Images sources : WikiMedia Commons

Deux livres publiés en 2022 par Eerdmans abordent notre regard sur le sexe de Dieu sous deux angles différents.

God Is, de Mallory Wyckoff, est plus personnel et plus large dans son approche du divin. Women and the Gender of God, d’Amy Peeler, est plus érudit, systématique et orthodoxe dans ses affirmations sur la nature de Dieu.

Pour être franche, j’ai failli rédiger l’avant-propos du livre de Wyckoff tant j’étais enthousiasmée par son approche du sujet. God Is s’oppose à la « représentation par défaut de Dieu comme une vieille figure masculine dans les cieux » en montrant que Dieu est, comme l’indique le titre d’un chapitre, « plus que ce que nous avons été amenés à croire ».

Wyckoff aborde une grosse douzaine d’affirmations potentiellement nouvelles sur ce que « Dieu est » : « Mère », « sage-femme », « hôtesse », « foyer ». Il s’agit d’un livre courageux, dans lequel il y a plus à apprendre qu’à dénoncer. Cependant, les chapitres dans lesquelles Dieu est présenté comme « survivant d’un traumatisme sexuel » et « sagesse intérieure » ne m’ont pas seulement mise mal à l’aise ; je les ai trouvés hétérodoxes. Le premier repousse les limites de l’analogie d’une manière qui ne convient pas, et la seconde renvoie au nom d’une hérésie.

Pour Wyckoff, plus on en apprend sur soi-même, plus on modifie sa conception de Dieu. Cette affirmation est en partie vraie. Au fur et à mesure que nous grandissons dans la vie et la foi, nous devrions passer du lait à la viande, comme le dit l’apôtre Paul (1 Co 3.2-6). Wyckoff observe que prendre de l’âge l’a amenée à imaginer Dieu sous un jour nouveau : « À chaque saison de ma vie, à chaque itération de ma personne, j’ai vu Dieu se refléter dans de multiples lumières. J’ai rencontré diverses images du Dieu qui est à la fois toutes celles-ci et aucune d’entre elles. » Elle souhaite ainsi élargir notre vision de Dieu et nous faire passer d’un « petit Dieu — un petit vous » à une abondance de métaphores.

Bien que j’apprécie la façon dont Wyckoff développe la personnalité de la divinité au-delà de « une ou deux métaphores pour Dieu — toutes résolument masculines », elle ne tient pas compte de certaines limites importantes. Son manque de balises concernant l’identité de Dieu lui permet d’absorber le mysticisme non chrétien comme source de vérité, tout en affirmant que « les chrétiens ne sont pas propriétaires du concept de Dieu ». Plus grave encore, Wyckoff assimile sa connaissance de Dieu avec sa conception d’elle-même, comme « deux vagues dans une danse rythmique, séparées l’une de l’autre, mais se déplaçant comme une seule », négligeant les distinctions entre ces réalités.

Une bonne dose de l’Orthodoxie de G. K. Chesterton permettrait de trier entre les affirmations indéfendables de ce livre et ses véritables perles. Chesterton nous aide à voir que quelqu’un qui ouvre trop largement ses bras ne pourra pas tout embrasser, mais finira par ne plus tenir à rien. En réfutant ce qu’il appelle l’hérésie du « dieu intérieur », Chesterton écrit : « Que Jones adore le dieu qui est en lui s’avère en fin de compte signifier que Jones adore Jones. »

Au lieu de se référer à son dieu intérieur, explique-t-il, le christianisme affirme que « l’on ne doit pas seulement regarder à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur, pour contempler avec étonnement et enthousiasme une compagnie divine et un divin capitaine. »

Si nous devons élargir notre représentation de Dieu au-delà des images masculines, cet élargissement de la nature divine ne devrait par ailleurs pas non plus élargir la taille de notre ego. « Si un homme veut élargir son monde », conseille Chesterton, « il doit toujours se faire petit. » De même, si nous désirons un Dieu grand et saint, nous devons reconnaître notre nature de créature.

Peeler rejoint Wyckoff pour dire que Dieu est mal compris lorsqu’on l’envisage de manière strictement masculine et que cette image a conduit à dévaloriser les femmes. Elle commence par deux grandes affirmations qui sont répétées tout au long de son livre : « Dieu valorise les femmes » et « Dieu le Père n’est pas un homme ».

En raison des connotations sexuées du mot « père », de nombreuses personnes présupposent une masculinité de Dieu. Cette hypothèse conduit à une forme de hiérarchisation erronée entre hommes et femmes. Wyckoff énumère diverses citations misogynes tirées de la tradition ecclésiastique, avant d’ajouter avec humour : « La réalité est que ces hommes comptent parmi les penseurs les plus applaudis et les plus influents, qui ont fondamentalement façonné ce que nous appelons le christianisme. » C’est la raison pour laquelle Wyckoff choisit de nouvelles sources pour ses métaphores.

Peeler, elle, reste dans la tradition de l’Église pour réfuter nos hypothèses erronées sur la masculinité de Dieu. Elle ne cherche en aucun cas à faire de Dieu une icône féministe, pas plus qu’elle ne renverse la hiérarchie des sexes pour favoriser les femmes au détriment des hommes. Au contraire, elle utilise la logique et l’Écriture pour corriger certaines affirmations sur Dieu que leur inexactitude n’a pas empêchées de prendre de l’importance. À juste titre, elle souligne que « tous les humains souffrent lorsque Dieu ressemble plus à certains qu’à d’autres ». Elle dissèque les arguments insuffisants en faveur de la masculinité de Dieu et met en valeur l’importance des femmes dans le récit chrétien, tout en soutenant des positions théologiques orthodoxes et des affirmations crédibles.

Avant de lire le livre de Peeler, je ne m’étais jamais arrêtée sur le fait que Dieu s’incarne à travers la chair d’une femme. En effet, bien que Jésus ait été un homme à part entière, sa substance humaine lui a été fournie au moyen du corps d’une femme, sa mère, Marie. « L’incarnation dit clairement et singulièrement non à la misogynie », écrit Peeler. Dieu apparaît à une femme, lui demande son accord pour accomplir une mission divine, daigne résider dans son ventre et élève ainsi son corps au rang de lieu saint.

Peeler détaille comment le corps incarné de Jésus s’est intimement appuyé sur Marie : « C’est le corps que l’Esprit saint a préparé à partir de la seule chair de Marie et le corps qui est entré dans le monde par Marie, le corps qui a été nourri par le lait de Marie et entouré par les bras de Marie. » D’une certaine manière, l’eucharistie elle-même nous vient à travers la chair de Marie, car c’est d’elle que sort le corps du Christ.

Bien que Peeler dénonce l’hérésie d’un Dieu masculin et mette en avant les femmes, elle plaide pour que les chrétiens continuent à utiliser le langage du Père et du Fils, tel qu’il a été institué par les Écritures et par Jésus. Si « Dieu présente des caractéristiques à la fois masculines et féminines », le langage utilisé dans les Écritures, la tradition ecclésiale et les paroles de Jésus lui-même mettent l’accent sur sa filiation et sur la paternité de Dieu. Peeler estime que les chrétiens doivent se soumettre à la manière dont Dieu se nomme lui-même, mais que « tout langage sur Dieu » doit être « interprété à travers le prisme de l’incarnation ».

Dans ses propos sur Jésus en tant que « Sauveur masculin », Peeler résiste à nouveau à la tentation de s’écarter de l’orthodoxie. Elle reconnaît que la tradition de l’Église a mal interprété la signification de la masculinité de Jésus pour les chrétiens et les chrétiennes. Par exemple, C. S. Lewis et d’autres théologiens ont affirmé à tort que les femmes ne peuvent pas « représenter Dieu » à la tête d’une église, car cela amènerait les fidèles à penser que « Dieu est comme une bonne femme » et donc à croire en une « religion autre que la religion chrétienne ».

Peeler cherche à rappeler à l’Église dans son ensemble que Jésus est « le Sauveur incarné en un homme et doté d’une chair fournie par une femme ». La femme a été créée à partir de l’homme, mais le nouvel homme est créé à partir de la femme. Peeler s’appuie sur Augustin pour étayer son argumentation : « Il est né d’une femme ; ne désespérez pas, messieurs, le Christ était heureux d’être un homme. Ne désespérez pas, mesdames, le Christ était heureux d’être né d’une femme. » Que les lecteurs soient d’accord ou non avec les affirmations de Peeler concernant le rôle des femmes dans l’Église, son argumentation est sérieuse et convaincante.

Avant de conclure, Peeler passe des affirmations sur le sexe de Dieu à leurs implications pour la vocation des femmes. Elle exalte d’abord l’exemple de Marie, en qui Dieu « accorde un honneur inestimable à la maternité ». Elle passe ensuite en revue les façons dont Dieu a appelé la mère de Jésus à servir son royaume en énumérant d’autres rôles qu’elle a remplis, notamment celui de chanter pour Élisabeth, d’instruire les serviteurs à Cana et de témoigner devant les foules à la Pentecôte. Pour l’autrice, « le Dieu du Nouveau Testament ne réduit pas au silence le ministère verbal des femmes ».

Ce que j’admire dans le livre de Wyckoff, c’est qu’elle nous assure que l’utilisation d’images féminines de Dieu n’est pas synonyme d’agenda féministe. Les femmes sont autorisées — et même encouragées — à trouver des moyens de représenter Dieu dans le monde. Le livre de Wyckoff vise à renforcer la voix des femmes dans l’Église, encore trop souvent négligée ou réduite au silence. En outre, l’ouvrage est drôle et rafraîchissant.

Ce que j’aime le plus dans le livre de Peeler, c’est la façon dont elle démontre qu’une interprétation systématique de la Parole de Dieu soutient bel et bien nos intuitions sur la beauté de la féminité. Plutôt que de se fier à une expérience personnelle qui pourrait nous induire en erreur, Peeler étaye ses affirmations par des preuves tirées des Écritures et de la tradition ecclésiastique. Avec l’autorité d’une spécialiste de la Bible, elle nous rappelle l’importance des femmes et le fait que, heureusement, Dieu n’est pas un simple homme.

Jessica Hooten Wilson est la première chercheuse en arts libéraux du Seaver College à l’université de Pepperdine et chercheuse principale au Trinity Forum. Elle est l’autrice de plusieurs livres, dont le plus récent est Reading for the Love of God: How to Read as a Spiritual Practice.

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