J’aime les mois de décembre dans l’hémisphère nord : la neige (ou, plus au sud où je vis, la relative fraîcheur), les moments de détente dans la chaleur de son chez-soi et, bien sûr, les décorations de Noël. Les lumières scintillantes parent les rues de fantastiques galaxies, et le sapin remplit mon salon de l’odeur de ses aiguilles.
Au sommet de l’arbre, nous avons placé une étoile. Certains coiffent leur sapin d’un ange, mais d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été attiré par l’étoile, qui représente l’un des éléments les plus énigmatiques des récits déjà étonnants de la naissance de Jésus.
L’Évangile de Matthieu nous apprend qu’après la naissance de Jésus, des mages venus d’Orient se sont rendus à Bethléem pour l’adorer. Contrairement aux bergers, qui ont reçu de toute une compagnie d’anges l’annonce de cette naissance divine, les mages ont pris la route sous l’impulsion d’une seule étoile apparue dans le ciel : « nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus pour l’adorer. » (2.2) Ce détail soulève bien des questions. Aujourd’hui encore, théologiens et astronomes s’interrogent sur les divers mystères de ce temps des fêtes, y compris l’étoile de Bethléem. Une autre question me préoccupe cependant en cette période : si cette même étoile apparaissait aujourd’hui dans le ciel nocturne, serions-nous capables de la voir ?
J’ai commencé à réfléchir aux étoiles et à leur place dans notre monde moderne en étudiant un autre passage de l’Écriture dans lequel les corps célestes jouent un rôle capital. En Genèse 12, Dieu conclut une alliance avec un homme nommé Abram. Il promet de faire de lui une grande nation, une promesse qui semble invraisemblable puisque Abram n’a pas d’enfant et que sa femme est stérile.
Les années passent et la famille nomade n’a toujours rien d’une nation, et encore moins d’une grande nation. N’ayant toujours ni héritier ni terre, Abram demande à Dieu un signe qui lui assure qu’il n’a pas cru en vain à ces promesses.
Dieu lui demande alors de sortir de sa tente et de contempler les cieux. « Regarde vers le ciel et compte les étoiles, si tu peux les compter. […] Telle sera ta descendance. » (15.5)
Le texte dit alors d’Abram : « Abram eut confiance en l’Éternel, qui le lui compta comme justice. » (v 6)
En lisant un jour ce passage avec des membres de l’église dont je suis pasteur, je m’imaginais Abram debout dans le désert silencieux, tendant le cou vers le vaste ciel nocturne parsemé d’une mer infinie d’étoiles et croyant dans son cœur que les promesses de Dieu s’accompliraient.
J’ai alors proposé au groupe un petit exercice : prenez quelques instants d’une de vos soirées bien remplies pour sortir, lever les yeux et vous émerveiller de la gloire et de la bonté de notre Créateur. Un des membres présents a plaisanté en disant qu’il essaierait de compter les étoiles et de rendre compte de ses résultats.
Mais lorsque je suis moi-même sorti pour observer les étoiles, ce que j’ai vu n’avait rien de très impressionnant. Malgré la clarté de la nuit et l’approche de la nouvelle lune (la phase la plus sombre de la lune), je pouvais compter les étoiles. Il y en avait 12.
J’étais surpris : où sont-elles donc toutes passées ?
La réponse, évidemment, est qu’elles sont toujours là-haut. C’est nous qui ne pouvons plus les voir.
Pendant presque toute l’histoire de l’humanité, nos ancêtres ont vécu, travaillé et adoré Dieu sous un ciel presque identique à celui qu’Abram pouvait contempler il y a de cela des milliers d’années. Lorsque le soleil disparaissait sous l’horizon, un éblouissant plafond d’étoiles, de planètes et d’autres corps célestes émergeait de l’obscurité de la nuit.
Mais tout cela a changé depuis une centaine d’années. Aujourd’hui, la pollution lumineuse, terme générique désignant les effets négatifs de l’utilisation excessive (et souvent non réglementée) de lumières artificielles la nuit, a rendu invisibles de nombreuses étoiles, modifiant radicalement la façon dont l’homme perçoit le ciel nocturne.
Peu sont épargnés. En 2016, le physicien Fabio Falchi et ses collaborateurs ont publié un rapport intitulé « The new world atlas of artificial night sky brightness », qui révèle que 83 % de la population mondiale et 99 % des Américains et des Européens vivent sous un ciel nocturne partiellement obscurci par la pollution lumineuse. La Voie lactée, cette bande laiteuse d’étoiles et de gaz que forme notre galaxie, est désormais cachée à un tiers de la population mondiale. Les habitants de Singapour, du Moyen-Orient et de Corée du Sud sont les moins susceptibles de voir le ciel nocturne.
Et le monde ne fait que s’éclaircir. Dans une étude réalisée en 2023, le physicien Christopher Kyba et ses collègues ont constaté que, en moyenne, la luminosité du ciel nocturne (mesurée sur Terre en fonction de tout éclairage artificiel proche tel que des lampadaires) a augmenté de près de 10 % chaque année entre 2011 et 2022.
La plupart d’entre nous ne réalisent pas à quel point nos nuits sont lumineuses, parce que nous n’avons jamais, ou que rarement, expérimenté une nuit vraiment naturelle, non altérée par la lumière artificielle.
Le firmament étoilé, autrefois facilement accessible à tous, est devenu une denrée si rare que le tourisme des nuits étoilées est en plein développement. Des gens se retrouvent dans des parcs nationaux et d’autres régions retirées dans le simple but de contempler les étoiles au naturel. (Au moment où j’écris ces lignes, ma femme et moi préparons justement un voyage dans le Zion National Park, certifié pour son ciel étoilé. On nous a proposé, juste en lisière du parc, une tente à toit transparent pour mieux profiter du spectacle céleste.)
En matière de questions environnementales, le changement climatique domine souvent les débats, étant donné l’ampleur des enjeux. Mais les effets destructeurs de la pollution lumineuse, nombreux et bien documentés, suscitent également un intérêt croissant.
Le scientifique suédois Johan Eklöf, dans son livre Osons la nuit (2022), explore par exemple les preuves que notre monde artificiellement éclairé nuit à toutes sortes de formes de flore et de faune dont la santé dépend d’un cycle régulier d’exposition à la lumière et à l’obscurité. Les humains en font partie. Si vous vous sentez fatigué en permanence, il est possible que la quantité et le type de lumière artificielle à laquelle vous vous exposez la nuit soient en cause.
Le Smithsonian Museum of Natural History, à Washington, s’intéresse également à la pollution lumineuse et à la disparition du ciel nocturne. Jusqu’en décembre 2025, une exposition intitulée Lights Out pose la question suivante : « De quelle quantité de lumière avons-nous besoin la nuit ? »
Différents critiques de la pollution lumineuse se concentrent sur différentes conséquences que celle-ci peut avoir. Certains, comme Eklöf, tirent la sonnette d’alarme quant à l’impact désastreux, et souvent fatal, de la lumière artificielle sur la faune et la flore, comme les oiseaux migrateurs ou les tortues marines en période de nidification.
D’autres déplorent la perte d’une expérience universelle — le ciel nocturne étoilé — qui a inspiré d’innombrables philosophes, scientifiques, artistes et écrivains depuis des milliers d’années. Vincent Van Gogh peindrait-il encore « La nuit étoilée » s’il observait aujourd’hui le ciel de Saint-Rémy, en France ? Probablement pas.
Je partage ces préoccupations. En tant que pasteur, cependant, je suis surtout alarmé par les profondes implications spirituelles d’un ciel sans étoiles. Les chrétiens ont de solides raisons bibliques de considérer la préservation du ciel nocturne comme un aspect crucial de la protection de la création et de notre propre lien avec Dieu et ses promesses.
Éteindre les lumières est plus qu’une habitude écologique, c’est une discipline spirituelle.
De la Genèse à l’Apocalypse, les étoiles apparaissent régulièrement dans les pages de l’Écriture. Elles y jouent un rôle subtil, mais significatif, nous invitant à diriger notre regard physique vers les cieux et notre regard spirituel vers le Dieu qui, « d’un mot », a créé « toute la troupe des étoiles » (Ps 33.6, NFC).
En Genèse 1, Dieu crée les étoiles, ainsi que le soleil et la lune, « pour marquer les époques, les jours et les années » et « pour éclairer la terre » (v. 14-15).
Dès le début de l’histoire biblique, les étoiles ont servi à affirmer que Dieu — et Dieu seul — est le Créateur transcendant de toutes choses. Mais les étoiles nous enseignent aussi qu’il n’est pas seulement un créateur qui aurait mis son univers en mouvement, puis s’en serait éloigné. Comme nous le rappelle l’histoire d’Abram, c’est un créateur qui veut être en relation avec ses créatures.
Le Dieu d’Israël est si puissant qu’il fait naître les étoiles, et il est si personnel qu’il fait des promesses à son peuple. Et la mémoire de ces promesses est inscrite dans les étoiles.
Dans le livre des Nombres, alors que les Israélites font route vers la Terre promise, un roi moabite engage un prophète nommé Balaam pour maudire le peuple de Dieu (22.4-6). Au lieu de cela, Dieu parle à travers Balaam pour délivrer une prophétie messianique sur un roi à venir : « un astre sort de Jacob, un sceptre s’élève d’Israël » (24.17).
Des centaines d’années plus tard, ce roi tant attendu vint au monde, et une étoile — celle que commémorent nos décorations de Noël — conduisit les Rois mages jusqu’à Jésus.
Apocalypse 22 nous dit qu’à la fin de toutes choses, dans la nouvelle Jérusalem, il n’y aura « besoin ni de la lumière d’une lampe ni de celle du soleil » (ni même de LED !). Jésus, « l’étoile brillante du matin », sera notre source de lumière parfaite et éternelle (v. 5, 16).
Jusqu’à aujourd’hui, les étoiles au-dessus de nos têtes nous parlent de l’Étoile qui nous sauve. Elles constituent un appel cosmique à l’adoration.
Les Psaumes, en particulier, contiennent de nombreuses références aux étoiles. Le Psaume 19 parle des corps célestes dans le ciel nocturne qui racontent et proclament la gloire de Dieu (v. 1). L’étendue céleste « révèle » l’œuvre de Dieu et, bien que les étoiles ne parlent pas, « leur voix parcourt toute la terre » (v. 2-4). La création est le temple de Dieu, et les étoiles participent aux chœurs de louange de la nature.
Dans le Psaume 8, David se livre à une observation doxologique des étoiles. En observant le ciel, il contemple la grandeur de tout ce que Dieu a fait, et cela l’amène à s’émerveiller : « L’être humain a-t-il tant d’importance pour que tu penses à lui ? Mérite-t-il vraiment que tu t’occupes de lui ? » (v. 5, NFC).
Pour David — et pour nous — les étoiles offrent une mise en perspective. En mettant en évidence notre petitesse, elles nous rendent humbles. Mais elles nous font aussi relever la tête en nous rappelant notre valeur infinie aux yeux du Créateur.
Tout comme les étoiles aident les navires à s’orienter en mer, elles nous orientent spirituellement et existentiellement sur les flots mouvementés de la vie. C’est un peu comme si elles nous disaient : Lève les yeux, tu n’es qu’un grain de poussière dans ce vaste univers, et bientôt tu seras oublié. Mais continue à regarder vers le haut : le même Dieu qui a créé et nommé chaque étoile dans le ciel te connaît, t’aime et est mort pour toi.
Les étoiles sont une facette de ce que les théologiens appellent la « révélation générale », ce que la nature nous révèle sur Dieu et son caractère. La pollution lumineuse menace d’étouffer cette révélation en estompant la voix de ces conductrices de louange implantées par Dieu dans la trame de la création.
Les mentions des étoiles dans la Bible ne sont cependant pas toutes positives. Depuis notre éloignement de Dieu, nous sommes enclins à adorer « la créature au lieu du Créateur » (Rm 1.25).
Dans le Deutéronome, Moïse avertit les Israélites : « Veille sur toi-même. Sinon, en levant les yeux vers le ciel et en voyant le soleil, la lune et les étoiles, tous les corps célestes, tu te laisserais entraîner à te prosterner devant eux et à leur rendre un culte. » (4.19) Les étoiles, malgré leur beauté, sont destinées à susciter l’adoration de quelqu’un d’autre, et non à faire elles-mêmes l’objet d’un culte.
Lorsque le roi Josias chercha à débarrasser Juda de l’idolâtrie, il chassa les prêtres qui offraient de l’encens « aux constellations et à tous les corps célestes » (2 R 23.5).
Par l’intermédiaire du prophète Ésaïe, Dieu condamne l’astrologie, l’observation des mouvements des étoiles et des planètes pour comprendre ou prédire des événements (47.13-14).
Dans mon contexte occidental, ces interdictions relatives à l’astrologie pourraient sembler dépassées, mais cette pratique connaît une résurgence avec l’attirance croissante de nos contemporains pour des formes alternatives de spiritualité. Les horoscopes, qui se limitaient autrefois principalement aux pages des journaux, atteignent aujourd’hui de très vastes audiences grâce aux influenceurs de l’astrologie sur des plateformes telles qu’Instagram et TikTok.
Même des chrétiens consultent le ciel pour obtenir des conseils. En 2018, un rapport du Pew Research Center révélait que plus d’un quart des personnes s’identifiant comme chrétiennes aux États-Unis croient en l’astrologie, avec près d’un évangélique sur cinq. Il n’est pas rare que des membres d’église s’enquièrent de mon signe astrologique (ce à quoi mes études théologiques ne m’avaient pas préparé !).
La tendance humaine à rechercher la connaissance dans la création plutôt que dans le Créateur n’est pas facile à dissiper.
Je reconnais qu’un plaidoyer chrétien en faveur d’un monde plus sombre peut paraître inattendu. L’obscurité ne semble guère avoir bonne presse dans les Écritures. La Bible contient environ 200 références aux ténèbres (selon les traductions), dont la plupart sont négatives. Elle dit aussi que le Père « nous a délivrés de la puissance des ténèbres » (Col 1.13) et que « Dieu est lumière et il n’y a pas de ténèbres en lui » (1 Jn 1.5).
Il s’agit cependant de métaphores spirituelles, et les leçons à en tirer doivent tenir compte de l’emploi qu’en fait l’Écriture. Au cours de l’histoire, certains chrétiens ont par exemple utilisé l’emploi symbolique des ténèbres dans la Bible pour justifier des préjugés à l’encontre des personnes à la peau plus sombre. Non seulement cette idée n’est pas étayée par les textes, mais elle contredit clairement le message de l’Évangile.
De même, il serait erroné de supposer que l’obscurité littérale de la nuit est le résultat de la chute et qu’elle devrait donc nécessairement être surmontée. Le rythme naturel du jour et de la nuit existait dans le jardin d’Eden avant la rencontre fatidique avec le serpent — et « Dieu vit que c’était bon » (Gn 1.14-18).
L’histoire de la conquête de l’obscurité et de la disparition des étoiles ressemble beaucoup à une boutade d’Ernest Hemingway dans Le soleil se lève aussi, sur la façon dont on fait faillite : « Graduellement, puis soudainement. »
Les hommes ont toujours cherché à éclairer les ténèbres, à la fois par nécessité et par crainte. Pendant la plus grande partie de l’histoire de l’humanité, nous avons utilisé des luminaires après le coucher du soleil pour effectuer diverses tâches et écarter les dangers.
Aux 17e et 18e siècles, les villes européennes et les colonies américaines ont commencé à mettre en place des formes rudimentaires d’éclairage public, principalement à l’aide de lampes à huile. L’idée d’éclairer les rues est notamment née de la supposition qu’une plus grande luminosité permettrait de réduire la criminalité. Dans une lettre adressée au politicien John Jay, John Adams, l’un des pères fondateurs des États-Unis, décrit l’obscurité comme un refuge pour « les vols, les cambriolages et les meurtres ». Pour lui, la lumière des réverbères « chasserait […] tous les bandits » et éviterait d’avoir à recruter davantage d’agents de police.
La croyance selon laquelle l’obscurité est synonyme de danger et la lumière de sécurité est profondément ancrée dans le psychisme humain, même si les preuves que la lumière met fin à la criminalité sont mitigées.
En 1807, Pall Mall, à Londres, fut l’une des premières rues à être éclairée par des lampes à gaz qui, selon certaines mesures, éclairaient dix fois plus que leurs prédécesseures à huile. En l’espace de quelques années, d’autres grandes villes des deux côtés de l’Atlantique suivirent le mouvement, et l’obscurité dans les zones urbaines commença à s’estomper. La course à l’éclairage des espaces publics était lancée.
À la fin des années 1800, le facteur de changement soudain qui modifia profondément le mode de vie des gens est quelque chose que nous tenons aujourd’hui pour acquis : l’éclairage électrique économiquement accessible.
Les lampes électriques étaient plus efficaces, plus sûres (sans flamme) et, surtout, plus lumineuses. Beaucoup, beaucoup plus lumineuses.
L’électricité devint monnaie courante dans les villes, mais au début du 20e siècle, de nombreux habitants des campagnes vivaient encore dans une relative obscurité. Aux États-Unis, en 1936, le président Franklin Roosevelt signa une loi sur l’électrification rurale dans le cadre du New Deal. Cette loi prévoyait des prêts à faible taux d’intérêt pour fournir de l’électricité aux exploitations agricoles et aux villes rurales. En l’espace de deux décennies, la grande majorité des foyers états-uniens — ruraux et urbains — purent accéder à l’électricité.
Le pays alluma l’interrupteur et, depuis, la nuit n’a plus cessé de s’éclairer.
Des signes précurseurs montrèrent que l’éclairage excessif aurait des conséquences inattendues. Dans les années 1930, le pape Pie XI déplaça l’observatoire du Vatican à 25 kilomètres de Rome pour échapper à la luminosité croissante du ciel de la Ville éternelle. Quelques décennies plus tard, l’aggravation de la pollution lumineuse contraignit le Vatican à trouver un autre endroit pour mener ses recherches astronomiques. Le télescope du pape a finalement trouvé sa place dans le ciel noir du sud-est de l’Arizona, où il est toujours actif aujourd’hui.
La pollution lumineuse n’est pas seulement un problème pour le pape, bien sûr. Cette histoire évoque un défi auquel tous les astronomes, les amateurs d’étoiles et les observateurs amateurs sont confrontés depuis des années : il y a tout simplement de moins en moins d’endroits sur cette planète où l’on peut admirer la beauté époustouflante des étoiles.
Cette crise est à la fois scientifique et spirituelle. Nous ne passons pas seulement à côté d’un spectacle captivant. Nous perdons une occasion de nous émerveiller.
Dacher Keltner, professeur de psychologie à l’université de Californie à Berkeley, et le psychologue social Jonathan Haidt définissent l’émerveillement comme « le sentiment d’être en présence de quelque chose d’immense qui transcende votre compréhension actuelle du monde ».
Nous ressentons généralement de l’émerveillement face à une grande beauté associée à une grande puissance ou à un grand mystère. Et, comme l’affirme Keltner dans son livre Awe: The New Science of Everyday Wonder and How It Can Transform Your Life (2023), l’émerveillement est bon pour nous. L’émerveillement nous touche de toutes sortes de façons. Il peut surgir sur au sommet d’une falaise, face à d’imposantes montagnes ou dans des moments plus intimes, comme lorsque nous tenons dans nos bras un nouveau-né ou nous trouvons en présence d’un être cher proche de la mort.
L’émerveillement nous pousse à contempler les grandes questions de la vie, si facilement noyées dans la routine de notre quotidien.
Tout en les distinguant, Keltner fait un rapprochement entre émerveillement et étonnement, qu’il définit comme un « état mental d’ouverture, de questionnement, de curiosité et d’acceptation du mystère ». L’étonnement, dit-il, découle de l’émerveillement.
On peut voir cette dynamique à l’œuvre en Ésaïe 40.26. Par l’intermédiaire du prophète, Dieu demande à son peuple de lever le regard vers les cieux. L’émerveillement est alors censé déboucher sur l’étonnement : « Qui a créé tout cela ? » Et cet étonnement culmine dans l’adoration, lorsque nous contemplons « celui qui fait sortir les corps célestes en bon ordre » et qui « les appelle tous par leur nom. »
Pour les chrétiens, l’émerveillement conduit à l’étonnement, qui conduit à l’adoration. L’émerveillement nous décentre. Il détourne notre attention du moi. Cela n’est pas négligeable dans un monde inondé d’algorithmes qui s’orientent sur nos moindres préférences. Lorsque nous faisons l’expérience de l’émerveillement, écrit Keltner, « les régions du cerveau associées aux excès de l’ego, y compris l’autocritique, l’anxiété et même la dépression, s’apaisent ». Dans une expression très parlante pour notre monde de selfies, la philosophe Iris Murdoch parlait d’un effet de « unselfing » — une forme de détachement de soi.
Les bénéfices mentaux et sociaux de l’émerveillement sont notables, mais ce qui m’interpelle le plus, c’est la capacité de l’émerveillement à nous ouvrir à la possibilité de croire en Dieu. Piercarlo Valdesolo, professeur au Claremont McKenna College, et Jesse Graham, professeur à l’université de l’Utah, ont découvert dans une étude de 2014 que « la croyance des participants en l’existence d’un contrôle surnaturel était significativement plus importante » chez ceux qui avaient éprouvé de l’émerveillement que chez ceux qui n’en avaient pas éprouvé. En termes théologiques, l’émerveillement stimule ce que Jean Calvin appelle le sensus divinitatis dans son Institution, le sens inné de Dieu au plus profond du cœur de chaque personne.
Lorsque nous laissons nos lumières artificielles occulter la lumière de Dieu, nous privons le monde d’une source d’émerveillement. Cet émerveillement a pourtant le pouvoir d’attirer les gens à Christ — ou du moins d’inspirer des conversations qui pourraient nous permettre de partager l’Évangile. Dans mon pays où le christianisme continue à décliner, je vois combien nous aurions besoin de pouvoir partager cette expérience d’émerveillement. Contrairement aux parcs nationaux ou à telle ou telle chaîne de montagnes impressionnante, les étoiles sont partout, offrant à tous la possibilité de s’émerveiller et d’adorer, quel que soit l’endroit de la planète.
Il est cohérent que le développement et la prolifération de l’éclairage artificiel aient suivi de près la diffusion des idéologies des Lumières. Alors que la raison humaine et le progrès scientifique étaient censés faire disparaître le besoin de « superstition » religieuse, la technologie humaine a progressivement effacé les rappels cosmiques de la petitesse des créatures que nous sommes.
C’est l’ironie de notre époque : des progrès technologiques remarquables nous permettent de scruter l’espace plus profondément que jamais, mais les développements qui rendent possibles des merveilles telles que le télescope spatial James Webb contribuent également à occulter les étoiles qui se trouvent directement au-dessus de nous.
Beaucoup d’entre nous passent leurs soirées à l’intérieur, entourés de lumière, à contempler des rectangles lumineux leur servant de portails vers d’autres galaxies informationnelles et ludiques. Nous sommes trop distraits pour lever les yeux, et même si nous le faisons, bien des rappels des réalisations humaines — avions et satellites — se mettent à présent entre nous et la voûte étoilée qui nous rendrait humbles devant Dieu. Si nous n’y veillons pas, les cieux peuvent finir par proclamer la gloire de l’être humain.
Que faire alors de cette lumière artificielle ? La cacher sous le boisseau ?
En quelque sorte.
En se plaignant de la luminosité artificielle du ciel nocturne, il pourrait être facile d’idéaliser la vie d’avant l’électricité. Mais je n’ai aucun désir de débrancher le réseau électrique. La possibilité d’éclairer à volonté ma maison sans risquer qu’une bougie oubliée ne la réduise en cendres est quelque chose dont je ne voudrais pas me passer. Outre les commodités évidentes qu’offre l’électricité, la lumière artificielle a été associée à de nombreux avantages, notamment une baisse de la mortalité infantile et une augmentation des taux d’alphabétisation.
La question n’est pas de savoir si nous devons utiliser l’éclairage artificiel, mais plutôt comment nous pouvons l’utiliser de manière plus responsable. Comment éviter le gaspillage d’énergie et limiter la pollution lumineuse inutile ? Comment éclairer nos maisons, nos propriétés et nos villes d’une manière qui exalte la gloire de Dieu (et nous aide à contempler celle-ci) ?
D’une certaine manière, de tous les problèmes écologiques et environnementaux auxquels notre planète est confrontée, la pollution lumineuse a la solution la plus simple : moins de lumières, des lumières plus faibles et une utilisation plus ciblée de l’éclairage. Contrairement à la lutte contre une marée noire ou aux tentatives de ralentir le réchauffement climatique, le changement de nos habitudes d’éclairage aurait des résultats presque immédiats.
Les chrétiens peuvent faire certaines choses par eux-mêmes, surtout s’ils sont propriétaires de leur logement. L’International Dark-Sky Association recommande d’éteindre les lumières inutiles, d’utiliser des détecteurs de mouvement ou des minuteries pour les lumières qui ne sont utilisées qu’occasionnellement, d’orienter les lumières vers le bas et d’utiliser des ampoules de couleur chaude.
Ces mesures sont bonnes et importantes, mais les principales sources de pollution lumineuse se trouvent à l’extérieur de nos foyers. Les lampadaires, les bâtiments commerciaux suréclairés, les panneaux publicitaires illuminés et autres projecteurs nocturnes éclairent tous notre ciel nocturne.
Pour y remédier, les chrétiens peuvent plaider en faveur de lois plus restrictives en matière d’éclairage et encourager leurs églises à y réfléchir pour leurs bâtiments, terrains et places de stationnement. Ils peuvent également participer à des programmes publics de reconquête du ciel nocturne.
Certaines grandes villes, comme Chicago, ont créé un programme d’extinction des lumières, encourageant les propriétaires de bâtiments à éteindre les lumières superflues qui affectent les schémas de migration des oiseaux. Les chrétiens et les églises (en particulier celles dont les clochers sont illuminés) pourraient également participer à l’Heure de la Terre, un mouvement annuel qui consiste à éteindre toutes les lumières pendant une heure.
Les désirs de sécurité et de confort moderne ne sont pas nécessairement en concurrence avec l’aspiration à un ciel nocturne étoilé. Il est possible de préserver l’éclairage artificiel dont nous avons besoin tout en laissant briller les étoiles au-dessus de nos têtes, afin que les générations futures puissent encore entendre leur témoignage fidèle et être conduites dans l’émerveillement, l’étonnement et l’adoration.
L’obscurité que nous appelons de nos vœux ne fera que mieux révéler la lumière. En levant les yeux vers le ciel nocturne, nous aspirons à pouvoir nous rappeler la puissance et les promesses de Dieu, en attendant que se lève l’Étoile brillante du matin.
Cort Gatliff est pasteur à l’église presbytérienne de South Highland à Birmingham, en Alabama.