Vous n’êtes pas obligé d’avoir une « bonne année »

La sainteté ne conduit pas systématiquement au bonheur. Et si notre peine elle-même avait quelque chose de saint ?

Christianity Today December 31, 2024
Diana Parkhouse / Unsplash

Pour beaucoup, le commencement d’un nouvel agenda peut être le moment le plus motivant de l’année. Nous dressons une liste de résolutions optimistes, en espérant que la période qui s’ouvre sera plus riche en santé, en succès et en bonheur que celle qui vient de s’achever.

Pour les chrétiens, la chose peut prendre une coloration plus spirituelle. Nous commençons par exemple de nouveaux programmes de lecture de la Bible, avec peut-être la conviction implicite qu’une plus grande fidélité à Dieu nous rendra, en fin de compte, plus paisibles et plus joyeux.

Mais il ne faut parfois que quelques semaines pour que surgissent le découragement, l’insatisfaction, la perte de motivation. S’installe alors la pénible impression que cette nouvelle année pourrait ne pas être meilleure que les autres.

Je connais bien cette déception. Comme la plupart des vies, la mienne a connu des hauts et des bas. J’ai eu mon lot d’épreuves : la mort subite de mon unique sœur, une période d’infertilité, un ou deux problèmes de santé… Je garde une douleur de ces expériences et le poids du deuil me revient régulièrement.

Mais, tout bien considéré, je me considère plutôt comme heureuse. Je peux raisonnablement dire que j’ai jusqu’ici eu une belle vie. Je suis à l’aise, en sécurité. À l’échelle de l’histoire, je bénéficie d’une prospérité et d’une liberté sans précédent. Techniquement parlant, j’ai tout ce dont j’ai besoin et une grande partie de ce que je pourrais désirer.

Pourtant, une forme de mélancolie habite aussi les profondeurs de mon être. Elle s’est installée en moi au fil des ans, comme un lent ruissellement fait de mécontentement et de désillusion. C’est un peu comme si j’attendais de la vie quelque chose qui ne s’est pas encore concrétisé. Comme un sentiment que la vie m’aurait d’une certaine manière laissée tomber.

Je peux imaginer à quel point l’idée peut paraître choquante et hors de propos. J’ai travaillé dans l’aide humanitaire et les services sociaux et je sais à quoi ressemble la véritable privation. De quoi une personne comme moi — avec tout l’amour et le confort matériel dont j’ai bénéficié — pourrait-elle se plaindre ? Pourquoi ma vie pleine de bénédictions ne m’apparaît-elle pas comme bénie ? Et pourquoi ma recherche de la sainteté ne conduit-elle pas plus simplement au bonheur ?

Je peux imaginer que, si vous demandiez à nos contemporains pourquoi ils prennent part à des pratiques spirituelles ou religieuses, beaucoup répondraient que c’est parce que ces choses les aident à se sentir mieux. La foi permet une forme de recentrage émotionnel et leur apporte la paix.

Pourtant, j’en suis venue à croire que la quête de ce sentiment de bien-être ne peut pas être la raison pour laquelle nous décidons de suivre Jésus. Assurément, la marche avec Dieu porte souvent des fruits tels que la joie ou la motivation. Des études ont montré que les habitudes religieuses ont bel et bien un impact positif sur la santé mentale d’une personne. Mais la vie avec Dieu ne garantit pas un bonheur parfait et ininterrompu.

Toutes les églises que j’ai fréquentées rejetaient clairement l’évangile de la prospérité. En grandissant, on m’a appris qu’il ne fallait pas craindre les difficultés. La pauvreté et la maladie n’étaient pas des signes d’échec de ma part ou d’un manque d’amour de la part de Dieu. Je ne considérais pas avoir droit à l’abondance et je savais que Dieu est bon même si ma situation ne l’est pas.

Mais, malgré une théologie de la souffrance bien élaborée, certains aspects de l’évangile de la prospérité ne m’étaient pas tout à fait étrangers. Si je ne croyais pas que Dieu était un distributeur automatique de bénédictions matérielles, j’attendais de lui qu’il me rende heureuse — qu’il me bénisse concrètement en matière spirituelle — si je le suivais correctement.

Je savais que Dieu ne m’accorderait peut-être pas des biens physiques comme la santé et la richesse. Mais il était censé au moins m’accorder des biens immatériels comme l’épanouissement dans le travail, un sens dans mes engagements et une joyeuse intimité avec lui, ainsi qu’un cap et un réconfort dans ma souffrance. Je pensais que si je croyais tout ce qu’il fallait, je ressentirais ce qu’il fallait.

Mais ce dont je me suis rendu compte, c’est qu’il s’agit là fondamentalement d’un évangile de la prospérité émotionnelle — une version chrétienne de la quête du bonheur qui s’est subtilement insinuée dans notre théologie. Ses principes sont bien connus de beaucoup d’entre nous : recherchez la volonté de Dieu pour votre vie, rapprochez-vous de lui et vous ressentirez un sentiment de plénitude. Faites des choix conformes à la foi : la paix sera alors la norme et la douleur une aberration.

Je vivais ainsi à l’aune d’une équation cosmique que l’on aurait pu formuler ainsi : donne ceci, et tu recevras cela ; sème ceci, et tu récolteras cela. Cause et conséquence. Mon capital de départ était ma sagesse théologique, mon bon comportement et mes bons choix. Et le retour sur investissement serait, a minima, une joie profonde et durable.

Parallèlement, les ressentis « négatifs » tels que la douleur et la tristesse ont été marginalisés dans bien des communautés religieuses où l’on considérait qu’ils n’avaient pas leur place. Les émotions difficiles sont encore souvent associées à un manque de piété. La peur, la colère ou l’anxiété sont perçues comme résultant d’un déficit de confiance en Dieu ou d’un mépris des disciplines spirituelles. C’est ainsi que nous trouvons poussés à prouver notre sainteté par l’étalage de notre bonheur.

On pourrait difficilement surestimer l’influence de la Nouvelle pensée (le précurseur philosophique de l’idée de « pensée positive ») et de l’évangile de la prospérité sur une pensée chrétienne que l’on retrouve dans des livres, des chants, des séries de prédications ou encore des décorations d’église. Je pense notamment à des formules telles que :

Trop béni pour être stressé.
Dieu ne m’imposera pas plus que ce que je peux supporter.
Tout arrive pour une raison.
Je devrais juste lâcher prise et compter sur Dieu.
Priez plus, inquiétez-vous moins.
La foi plutôt que la peur.

Il n’est guère étonnant que nous ayons l’impression d’avoir spirituellement failli lorsqu’aucune facette de notre vie ne produit systématiquement les résultats psychologiques que nous attendons. Lorsque nous pensons avoir fait tous les bons choix et croire toutes les bonnes choses, mais que les fruits escomptés ne sont pas là, nous pourrions même avoir l’impression que Dieu nous frustre de sa faveur et de sa bénédiction.

Beaucoup d’entre nous ont enfermé leur vie dans une compréhension étriquée de ce que signifie être béni et se retrouvent soumis à des attentes irréalistes de bonheur parfait et de plénitude émotionnelle. Cette recherche constante du bonheur peut être épuisante. Le bonheur peut être un tyran qui exige toute notre attention et notre dévouement. Lorsqu’il est idolâtré, il peut assécher la vie de nos relations, nos ministères et nos familles, qui n’ont en fait jamais porté la promesse d’un épanouissement complet.

La foi n’est pas l’euphorie perpétuelle ou un moyen de parvenir à une fin thérapeutique, et Dieu n’est pas non plus un mécanisme par lequel nous nous accomplissons. La vraie religion n’est pas une méthode de développement personnel ou émotionnel. Il ne s’agit pas d’un filet de sécurité ou d’un baume apaisant. Si notre espoir repose sur ces choses, nous serons toujours déçus. Accepter et supporter cette vérité est difficile, mais cela m’a permis de mieux habiter ce monde.

Alors, à quoi sert la présence de Dieu dans notre vie si n’expérimentons pas toujours la prospérité émotionnelle ? Pourquoi dire « oui » à la foi en Jésus ?

La foi, telle que je la comprends aujourd’hui, est simplement la réponse du cœur à la reconnaissance de ce qui est vrai. C’est dire oui à ce que nous savons être juste, bon et saint. Notre relation avec Dieu n’est pas transactionnelle, à la manière d’un échange divin de biens et de services. Le christianisme ressemble plutôt à un chemin. C’est une façon d’être et de marcher, pas seulement une manière de penser ou de ressentir. La présence de Dieu est bonne parce qu’elle éclaire ce chemin et aide à donner un sens au monde.

Dieu nous appelle à des choses difficiles dans cette vie. Et notre douleur a un sens, mais pas de manière utilitaire, comme si la souffrance était l’ultime moyen en vue de notre perfectionnement spirituel. Vous avez peut-être déjà entendu dire que « Dieu se préoccupe davantage de votre sainteté que de votre bonheur ». Mais se pourrait-il que notre absence de bonheur ait parfois une importance en elle-même ?

Je crois que le malheur peut aussi éclairer notre vie et nous ouvrir à une certaine sagesse et une certaine clairvoyance. La tristesse peut être la façon dont le cœur nous dit que quelque chose ne va pas ou aurait besoin de notre attention. Mais elle est aussi parfois la manière dont Dieu nous rappelle ce qui est vrai et bon — la façon dont les choses devraient être dans notre monde.

Depuis que nous avons quitté l’Eden, la malédiction du péché nous a éloignés de l’intention originelle de notre création. Nous avons l’éternité dans notre cœur (Ec 3.11), et pourtant nos forces sont limitées, nous ne connaissons pas toutes les réponses et notre chair est mortelle. Nos âmes aspirent à ce qui devrait être, tandis que nos corps vivent dans la dure réalité de ce qui est.

La tristesse fait partie de la condition humaine. L’insatisfaction est une réponse sensée, voire la juste réponse, face à ce qui a été abîmé. Si vous luttez contre la déception, la frustration ou l’impatience, ce n’est pas parce que vous êtes spirituellement immature, mais parce que nous vivons après la séparation d’avec Dieu. Jusqu’à ce que le Christ revienne dans la gloire et inaugure sa nouvelle création, l’existence aura toujours quelque chose d’une phrase laissée en suspens, d’une faim qui n’est jamais pleinement assouvie.

Que ce soit à cause de notre péché, de notre fragilité ou de nos aspirations inabouties face à la réalité, il sera toujours difficile, voire impossible, d’atteindre un bonheur durable dans cette vie. Aucune résolution de Nouvel An ne peut y remédier. Et que votre douleur soit comme une lourde pierre ou un simple gravier dans votre chaussure, elle est aussi sainte que n’importe quel moment de bonheur que vous pouvez connaître. Elle a quelque chose d’une lamentation face à un monde ravagé par le mal.

Voilà, mes amis, la sainteté dans notre peine.

Aussi loin que je me souvienne, j’ai été une fidèle disciple de l’évangile de la prospérité émotionnelle. J’avais adopté le mythe selon lequel, pour être considérée comme bénie, ma vie devait être agréable, gratifiante et pleine de sens. Mais je me suis rendu compte que le simple fait d’exister en tant qu’enfant bien-aimée de Dieu, de le voir et de vivre, de lutter avec lui et de savoir qu’il est toujours avec moi, est en soi le plus grand des cadeaux.

Notre justice n’est pas une monnaie d’échange pour recevoir la bénédiction de Dieu, et Dieu n’est pas un moyen de parvenir à une fin égoïste — il est la fin. Il est le Chemin, et il nous suffit.

Adapté de Holy Unhappiness, de Amanda Held Opelt. (Copyright 2023) Utilisé avec la permission de Worthy Books, une division de Hachette Book Group Inc.

Amanda Held Opelt est conférencière, compositrice de chansons et autrice du livre A Hole in the World: Finding Hope in Rituals of Grief and Healing.

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