La coalition de combattants rebelles promet de respecter les minorités religieuses de Syrie.
Après Assad : le djihad ou la liberté ?
Dimanche 8 décembre, le gouvernement du président syrien Bachar al-Assad est tombé face à une coalition circonstancielle de factions rebelles dirigée par Abou Mohammad al-Joulani, autrefois affilié à Al-Qaïda. Assad s’est réfugié en Russie et le Premier ministre syrien a accueilli les rebelles. Dans un message adressé aux minorités religieuses, Joulani a promis que la Syrie serait « pour tout le monde ».
Les observateurs attendent de voir ce qui se concrétisera sur le terrain.
Joseph Kassab, secrétaire général du Synode presbytérien de Syrie et du Liban, nous explique que certains responsables chrétiens avaient défendu le régime d’Assad dans lequel ils voyaient un rempart de stabilité contre les rebelles djihadistes soutenus par d’autres gouvernements régionaux.
Compte tenu du passé de Joulani, les chrétiens pourraient avoir des raisons de s’inquiéter. Le leader musulman était affilié à Al-Qaïda en 2003 et sa tête avait été mise à prix pour 10 millions de dollars en tant que terroriste reconnu par les États-Unis et les Nations unies. En 2013, il refuse d’intégrer sa milice à l’État islamique (EI), qui cherchait à établir un califat. Il déclare cependant à l’époque que la Syrie devrait être gouvernée selon la charia.
En 2016, il coupe les liens avec Al-Qaïda et, l’année suivante, il rebaptise son groupe Hayat Tahrir al-Sham, « Organisation pour la libération de la Syrie ». La Russie et l’Iran aidaient Assad à rester au pouvoir, tandis que les États-Unis combattaient l’EI à partir de leurs bases dans le Nord-est kurde. Les groupes rebelles associés, eux, ne contrôlaient alors qu’Idlib, près de la frontière syrienne avec la Turquie.
Joulani a consolidé son pouvoir par la force, puis a troqué l’habit militaire contre un costume d’affaires. En 2021, il expliquait à un journaliste américain que son mouvement, s’il s’imposait, ne constituerait pas une menace pour l’Occident. Le chef rebelle s’est voulu rassurant pour les chrétiens de Syrie et, le dimanche même de la chute du régime d’Assad, les églises restaient ouvertes. Nombre d’entre elles ont cependant connu une baisse de fréquentation.
Joseph Kassab raconte que les chrétiens syriens s’efforcent d’être des citoyens constructifs et de promouvoir l’éducation, espérant influencer positivement leur nation par un mode de vie éthique et le suivi de valeurs bibliques. Certains ont rejoint le régime, dit-il, et en ont profité comme tous ceux qui l’ont soutenu. « Ce n’est pas la meilleure façon de vivre », commente-t-il, « mais c’était la meilleure solution disponible. »
À Damas, le premier acte public de Joulani a été d’entrer dans la cour de la mosquée des Omeyyades, datant du huitième siècle, et de déclarer que son succès était une « victoire pour la nation islamique ». Le New York Times rapporte cette scène d’entre les rues sinueuses du quartier de Bab Sharqi, qui abrite de nombreux chrétiens ayant soutenu Assad : « Victor Dawli, 59 ans, se tient dans l’entrée de son appartement, une cigarette à la main. Au passage d’un camion transportant des rebelles syriens, M. Dawli fait un signe de la main. Un combattant, ramassé dans la benne du camion et serrant son fusil, hoche la tête en guise de réponse. »
Les journalistes Christina Goldbaum et Hwaida Saad notent « un sentiment de malaise dans le quartier, les gens marchant sur la corde raide. Certains font profil bas et sont restés à l’intérieur de leur maison. D’autres, comme M. Dawli, affirment qu’ils ont secrètement soutenu les rebelles depuis le début de leur offensive. […] Au passage d’un voisin, M. Dawli lui crie : bonjour, meilleurs vœux ! L’homme lui jette un regard noir, puis se précipite dans une ruelle voisine. »
Harout Selimian, président des Églises protestantes arméniennes de Syrie, est mal à l’aise. « Toute réduction de la violence est un pas en avant bienvenu », nous dit-il, « mais il y a un manque de clarté quant à l’agenda de l’opposition. »
La guerre civile syrienne, qui aura duré 14 ans, tué près d’un demi-million de personnes et déplacé la moitié des 23 millions d’habitants du pays, semble terminée. Mais qui en sortira vainqueur ?
Joseph Kassab craint un scénario à la libyenne, dans lequel les factions rebelles rivales échoueraient dans leurs efforts pour « partager le gâteau » de leur succès et rallumeraient des conflits internes. En 2011, la Libye, comme la Syrie, avait vu des manifestations pacifiques se transformer en lutte militaire. Mais alors qu’Assad a survécu, les Libyens ont tué Mouammar Kadhafi et se sont ensuite retournés les uns contre les autres dans une guerre fratricide. Depuis, la Libye est géographiquement divisée en deux, tandis que les puissances régionales, comme la Turquie et l’Égypte, soutiennent leurs partis favoris.