Il examine les récits des chrétiens qui ont connu le pire.

Le travail de ce chercheur de Portes Ouvertes en Afrique de l’Est a eu un effet contre-intuitif sur sa foi.

Christianity Today January 24, 2024
Illustration par Christianity Today / Source Images: Pexels

Il y a près de vingt ans, Fikiru rejoignait un groupe de prière et d’étude biblique dans sa ville natale d’Afrique de l’Est, une expérience qui le conduit à accepter le Christ comme son sauveur personnel. Mais Fikiru se rend vite compte que d’autres chrétiens de la région s’opposent farouchement à sa conversion et à celle du reste de sa communauté. Pendant des mois, ces chrétiens accusent les autres de blasphème, forcent leurs épouses à divorcer et leurs familles à couper les liens, et dans certains cas, les battent ou les tuent.

C’est alors qu’un dimanche, à la suite de cette persécution, plusieurs membres de l’équipe de soutien aux chrétiens persécutés de Portes Ouvertes se présentent.

« Nous ne les avions jamais rencontrés », se souvient Fikiru. « Nous n’en avions jamais entendu parler. »

Mais Portes Ouvertes avait entendu parler de son église et de sa souffrance. Ils avaient un message simple pour Fikiru : vous n’êtes pas seul.

Quelques années plus tard, Fikiru (nous utilisons un pseudonyme pour des raisons de sécurité) accepte un travail pour Portes Ouvertes.

« J’essaie de rendre quelque chose de l’amour et de la sollicitude qui m’ont été témoignés alors que j’étais un croyant persécuté », explique cet analyste pour l’Afrique de l’Est, une région qui s’étend de l’Érythrée au Mozambique. « Je joue ce rôle avec passion et enthousiasme. »

Morgan Lee, notre éditrice responsable des contenus internationaux, s’est entretenue avec lui sur la manière dont il vérifie les faits relatifs aux allégations de persécution, l’impact surprenant que ce travail a eu sur sa foi et la manière dont il prend soin des membres du personnel épuisés par ce travail.

Comment aidez-vous vos collaborateurs qui s’épuisent ou sont traumatisés par tous les récits de ravages, de destruction et de violence qu’ils entendent ?

La prière. L’une de nos valeurs fondamentales est que nous sommes des hommes et femmes de prière. Nous savons que nous servons le Seigneur et ces personnes souffrent pour leur foi. Elles ne marchent pas seules et notre Seigneur sera toujours avec elles. Connaître cette vérité nous encouragera toujours à continuer à avancer. Nous lui confions tous nos fardeaux et nos défis pour qu’il intervienne.

Nous proposons également des séances de débriefing aux employés et les aidons à mettre en place de bonnes pratiques pour prendre soin d’eux-mêmes. Notre personnel de première ligne, qui est en contact direct avec les croyants persécutés, est encouragé quotidiennement à vivre une réelle communion les uns avec les autres au sein du ministère et de nos bureaux. Il est important d’avoir autour de soi des personnes qui comprennent et partagent les fardeaux que nous portons au nom de l’Église persécutée, car peu de gens comprennent ou partagent ces fardeaux.

Des temps réguliers de méditation dans les bureaux et les divers départements et des moments de prière réguliers soutiennent également le personnel qui peut être confronté à un événement ou à un incident lié à la persécution. On ne peut pas faire ce travail sans poser des questions difficiles à Dieu, mais heureusement, il est patient et bienveillant envers nous. À mesure qu’il nous révèle comment il fait concourir toutes choses au bien, notre foi et notre relation avec Dieu se renforcent.

Qu’est-ce qui, dans votre travail, a ébranlé votre foi ?

En entendant les souffrances sans fin de nos frères et sœurs, il se peut que nous soyons parfois émotionnellement meurtris. (Parmi les cas les plus graves, on peut citer les violences sexuelles à l’encontre de jeunes femmes et les mauvais traitements infligés à des personnes âgées vulnérables.) Mais il ne s’agit pas de nous. Il s’agit de l’Église souffrante. Nous pouvons parfois avoir l’impression que le traitement injuste infligé aux autres chrétiens est simplement trop. Mais nous savons qu’ils sont forts et fidèles. Leur résilience nous encourage à continuer à marcher avec eux.

Comment votre travail contribue-t-il à la l’Index mondial de Portes Ouvertes ?

Chaque année, nous recueillons des données sur la persécution dans tous les pays de notre région et nous les analysons en recoupant ces rapports avec la vision de différents responsables et experts de tout le pays. Nous évaluons chaque pays sur la base d’un certain nombre de catégories, puis nous envoyons les résultats au centre mondial, qui utilise notre analyse pour attribuer à chaque pays une note finale. [Note de l’éditeur : Pour en savoir plus sur la méthodologie de Portes Ouvertes, cliquez ici]

Lorsque nous recueillons des données, nous essayons d’obtenir des informations provenant de plusieurs sources. Nous voulons que nos contributeurs nous communiquent des données concernant la persécution à partir de contextes spécifiques dans l’ensemble du pays et qu’ils ne se contentent pas de s’appuyer sur une ou deux personnes. Bien entendu, le nombre de contributeurs variera selon qu’il s’agit de l’Éthiopie, qui compte 120 millions d’habitants, de Djibouti (976 000) ou des Comores (888 000). Nombre d’entre nos contributeurs sont des responsables d’église, divers professionnels ou des personnes qui ont de l’expérience sur un large éventail de questions dans le pays.

Après avoir recueilli les données et les informations, nous ne disparaissons pas. Nous allons vers ceux qui sont touchés par la persécution et nous leur disons : « Voici ce que la Bible nous dit, et voici comment nous y répondons. Et vous n’êtes pas seul. » Nous ne voulons pas que l’ennemi les décourage et les fasse revenir sur leur foi.

Comment vérifiez-vous vos données ?

Deux choses sont importantes pour nous à Portes Ouvertes : tout d’abord, nous voulons montrer notre amour, notre engagement et notre souci pour les croyants qui souffrent. Deuxièmement, nous voulons nous assurer que nos informations sont exactes et pertinentes.

Lorsqu’il s’agit d’incidents spécifiques, nous devons déterminer s’ils ont réellement été commis dans le but d’attaquer ou de nier les droits des chrétiens à vivre sur un pied d’égalité avec leurs concitoyens.

Ainsi, comme je l’ai dit précédemment, nous essaierons de recouper et de diversifier nos sources. Nous examinons les recherches existantes sur un pays, y compris les sources primaires et secondaires. Nous nous adressons à nos contributeurs. Il arrive qu’ils nous fassent découvrir de nouvelles informations ou un nouveau contexte dans un pays donné. Nous ne nous précipitons pas. Nous essayons de comprendre ce qui s’est passé et pourquoi.

Il s’agit d’un défi, car les gouvernements et autres auteurs de persécutions tentent de jeter le doute sur les informations en disant que nous ne connaissons pas le contexte. Bien entendu, la plupart des persécuteurs ne diront pas qu’ils persécutent les chrétiens en raison de leur foi. Nous avons besoin de pouvoir examiner une situation sous de nombreux angles. Nous voulons être précis, et nous voulons nous assurer qu’il s’agit de quelque chose qui s’est produit à cause de la foi en Christ. Nous ne pouvons pas dire que le pays traite ses citoyens chrétiens de telle ou telle manière si nous n’avons pas procédé à une évaluation approfondie.

Tout en mettant l’accent sur l’exactitude et la qualité de l’information, nous essayons également d’agir de manière pastorale envers ces personnes qui souffrent bel et bien de la persécution, et nous essayons de leur témoigner de l’amour.

Quelle est la partie la plus difficile de votre travail lorsqu’il s’agit de recueillir et de vérifier des informations ?

La sûreté et la sécurité de nos sources constituent un réel défi. Nous voulons disposer d’un maximum d’informations et nous voulons qu’elles soient corroborées par diverses sources. Mais ces objectifs s’accompagnent également du risque d’exposer des personnes.

En fin de compte, [dans certains pays,] beaucoup de données sont disponibles pour aider à analyser la situation, mais il est trop dangereux de rendre publics les détails de tel ou tel incident. Dans certains contextes, il se peut que nous soyons très discrets et que nous n’entrions pas dans les détails parce que nous sommes inquiets pour nos sources.

Nous aimerions rapporter les témoignages de ces croyants qui nous ont raconté leur histoire dans les larmes et nous partagent quelque chose que nous serions portés à transmettre au reste du monde. Mais si nous le faisions, nous risquerions de leur infliger des souffrances supplémentaires.

Ce que je veux que les lecteurs comprennent en lisant ce rapport, c’est que ces chiffres concernent bien tous des chrétiens : des mères, des frères, des pères et des enfants qui font face à l’incertitude dans leur vie de tous les jours. Ces chiffres vous parlent des larmes de votre frère ou de votre sœur dans une partie du monde où l’on n’a pas le droit d’exercer simplement sa propre foi. J’encourage les gens à penser à eux, à en parler et à prier pour eux.

Quel type d’impact votre travail a-t-il eu sur votre foi ?

L’encouragement. Les gens nous posent souvent cette question, à moi et à mes collègues, parce que nous étudions et entendons des histoires tristes de nos frères et sœurs.

Lorsque nous rencontrons ces hommes et femmes de Dieu courageux qui sont persécutés simplement pour leur foi, simplement parce qu’ils se sont identifiés à une autre forme de foi en dehors du groupe confessionnel dominant, lorsqu’ils nous racontent histoire après histoire, et lorsqu’ils finissent par nous dire, malgré tout cela, « Nous sommes heureux de connaître le Christ et nous continuerons à l’adorer, même si on nous refuse nos droits, si on nous attaque physiquement ou si on nous tue, si nos biens sont confisqués ou détruits, et tout cela nous rendra plus forts. Nous ne renions pas notre foi », nous retrouvons du courage et de la motivation dans notre vie personnelle et dans notre ministère.

Parfois, nous pensons que nous sommes dans une meilleure situation, mais ces personnes, dans ce contexte, sont très fortes. Nous avons beaucoup à apprendre d’elles.

Quels sont les cas de persécution chrétienne dans votre région d’Afrique de l’Est que vous aimeriez porter à notre attention ?

Je commencerai par le Mozambique, où les chrétiens sont quotidiennement menacés par l’extrémisme islamique. Un groupe voudrait établir un État islamique dans la partie nord du pays et a pris pour cible le gouvernement, les soldats et même les musulmans modérés.

Les chrétiens sont des cibles, car lorsqu’il attaque, l’État islamique questionne d’abord votre foi. S’ils savent que vous êtes chrétien, vous serez plus sévèrement exposé. Cette situation a rendu difficile la vie normale des chrétiens et beaucoup d’entre eux ont été déplacés. Comme ils savent que l’insurrection les attaquera, beaucoup sont partis en masse. Des milliers et des milliers de chrétiens ont fui, ainsi que des musulmans modérés.

En Érythrée, depuis plus de 20 ans, les chrétiens sont confrontés à de graves persécutions. Les chrétiens érythréens ne peuvent pas se réunir pour prier ; ils ne peuvent pas confesser ouvertement leur décision de suivre le Christ. S’ils sont jetés en prison, ils ne peuvent pas bénéficier d’un procès en bonne et due forme. La prison peut signifier vivre dans un conteneur ou une petite cellule pendant de nombreuses années sans jugement.

Il y a quelques jours, le gouvernement érythréen a de nouveau arrêté des chrétiens. S’ils les trouvent en train de prier ensemble, ils les rassemblent et les envoient en prison. Mais pour la famille de la personne arrêtée, personne ne leur dira ce qui s’est passé et pourquoi.

Enfin, le Soudan. L’année dernière, en avril, la guerre a éclaté au Soudan. Avant cette guerre, les observateurs et certains citoyens étaient enthousiastes et espéraient que le pays deviendrait un jour un meilleur endroit pour l’exercice de la liberté de religion et des droits.

Depuis le début de la guerre, de nombreuses églises ont été attaquées, bombardées et brûlées. [Il y a deux semaines], le 12 janvier, une église de la grande ville de Wad Madani a été bombardée. Le groupe armé soupçonné a confisqué tout ce qui se trouvait dans l’enceinte, puis y a mis le feu.

Bien entendu, l’affrontement entre les deux partis n’est pas ouvertement religieux. De part et d’autre ce sont des militants islamiques. D’un côté, il y a l’armée et de l’autre, les Forces de soutien rapide, des personnes qui travaillaient sous le régime de Bashir, l’ancien régime.

Les chrétiens qui souffrent déjà en raison de leur foi sont d’autant plus désavantagés que leurs proches qui ne sont pas chrétiens peuvent les avoir rejetés et qu’il est difficile de trouver de la nourriture et une protection dans un pays en guerre. De nombreuses personnes ont été déplacées et les pasteurs déplacés ne sont plus en mesure de s’occuper de leurs communautés. Ils fuient également pour leur vie et leur sécurité.

Y a-t-il une conversation que vous avez eue avec un chrétien persécuté qui vous a particulièrement inspiré ?

J’ai parlé à un pasteur soudanais qui a survécu de justesse au bombardement de son église à Khartoum, la capitale. Il a exercé son ministère pendant de nombreuses années et a payé cher sa décision de déclarer publiquement sa foi et son engagement dans le service. Mais lorsque l’attentat a eu lieu, il était vraiment triste. Il s’est senti impuissant ; il n’était pas en mesure d’aider sa communauté ou de protéger sa famille, et sa vie.

Je le connais depuis de nombreuses années et nous sommes régulièrement en contact pour la prière. Il m’a dit : « Fikiru, je ne peux que te demander de prier pour moi et pour les gens que je sers. Je ne peux pas dire combien de temps je resterai en vie ou en sécurité. La situation s’aggrave. » Ce qui m’a touché, c’est que pendant toutes les années où j’ai été en contact avec lui, il n’avait pratiquement pas parlé de prier pour lui-même ; il a toujours prié pour les personnes qu’il servait. C’est dire la pression qui pèse sur les épaules des pasteurs et des responsables.

Une autre histoire concerne la Tanzanie, un pays où l’influence de l’islam se fait de plus en plus sentir dans certaines parties du pays. Actuellement, chaque fois qu’une personne d’origine musulmane décide de devenir croyante, ses parents et sa famille la persécutent. Une femme nous a dit qu’elle était l’un des membres préférés de la famille, que son père l’aimait vraiment et qu’elle était soutenue par sa mère et ses proches jusqu’à ce qu’elle décide de suivre le Christ.

Dès qu’ils ont appris sa décision, ils ont commencé à la battre et à l’attaquer. Lorsque je lui ai rendu visite, ses bras étaient couverts de blessures causées par des attaques à la machette. Leur intention était de la tuer.

« Fikiru, m’a-t-elle dit, ils l’ont fait pour m’arrêter. Mais même si je perds leur soutien et que je perds ma vie, je continuerai à adorer et à servir le Seigneur. »

Cette histoire m’a profondément ému : même s’il y a beaucoup d’histoires tristes sur les chrétiens persécutés dans notre région, il y a aussi un côté encourageant, car ces personnes ont décidé qu’elles étaient prêtes à payer ce prix.

En tant que chrétiens, nous devrions prier pour ces personnes, leur dire qu’elles ne sont pas seules, puis parler en leur nom à tout endroit susceptible d’influencer leurs persécuteurs, qu’il s’agisse du gouvernement ou d’acteurs non étatiques, et leur demander de les laisser tranquilles et de leur permettre de mener décemment leur vie.

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