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Les paroles de femmes évangéliques ukrainiennes face à la guerre russe

De la préparation de la nourriture à la fabrication de cocktails Molotov, les femmes chrétiennes contribuent à la résistance, tandis que certaines craignent la division entre ceux qui sont restés et ceux qui ont fui.

Christianity Today March 31, 2022
Edits by Christianity Today / Source Images: NurPhoto / Jeff J Mitchell / Getty

Parmi les plus de 4 millions de réfugiés ayant quitté l’Ukraine, 90 % sont des femmes et des enfants. Des 6,5 millions d’Ukrainiens déplacés à l’intérieur du pays, 54 % sont des femmes. Les hommes âgés de 18 à 60 ans sont tenus de rester, en vue de pouvoir résister à l’invasion russe. Et ce sont le plus souvent eux qui racontent les histoires de guerre.

Les femmes, elles, se cantonnent fréquemment à des tribunes privées telles que leur journal intime :

32 jours de guerre.

S’endormir en regardant les nouvelles sur son téléphone.

Faire des cauchemars à propos de camps de concentration, de bombardements, de personnes mortes.

Se réveiller du cauchemar et se rappeler que ce n’est pas seulement un mauvais rêve.

Vérifier son téléphone en pensant : « J’espère que tous ceux que j’aime sont en vie ».

Embrasser son mari endormi en pensant à la fragilité de la vie.

Se laver le visage. Mettre ses vêtements.

Aller au travail. Porter le sourire comme un masque. Éloigner ses émotions de la douleur. Entendre concrètement la douleur se transformer en bruit blanc dans sa tête.

Prendre des nouvelles de sa famille pendant une pause de 15 minutes au travail. Pleurer pendant la pause.

Six secondes : inspirer. Huit secondes : expirer.

Se sentir reconnaissante d’être loin de son téléphone huit heures par jour au travail. Se sentir désemparée d’être loin de son téléphone huit heures par jour au travail.

Ainsi commence la note du 27 mars dans le journal de Tetiana Dyatlik Dalrymple, souffrant à distance pour les siens, depuis Washington, DC. Son père, Taras, a eu le sentiment que de telles perspectives féminines manquaient dans la présentation de la guerre.

En tant que directeur régional de l’Overseas Council pour l’Europe orientale et l’Asie centrale, il a rassemblé six femmes responsables ukrainiennes qui pouvaient raconter leur histoire. En partenariat avec l’Institut de théologie d’Europe de l’Est, ScholarLeaders International et quatre séminaires affiliés, elles ont tenté de contrebalancer le constat critique de Svetlana Alexievich, une romancière biélorusse qui a remporté le prix Nobel de littérature en 2015 :

« Tout ce que nous savons de la guerre », écrit Alexievich dans The Unwomanly Face of War (« Le visage peu féminin de la guerre »), « nous le savons avec “une voix d’homme”, […] les mots des hommes ».

Trop peu de soutiens internationaux se soucient de cet écart entre les sexes. Un webinaire d’enseignants en théologie intitulé « La guerre Russie-Ukraine : les voix des femmes », le 30 mars dernier, n’a attiré qu’environ 200 inscriptions, soit moins de la moitié de l’assistance à un précédent webinaire, qui réunissait lui des responsables masculins d’instituts de formation.

Marina Ashikhmina, vice-rectrice chargée du travail éducatif à l’Institut chrétien de Tavriski, trouve cette situation ouvertement injuste. Les femmes en guerre ont une « double responsabilité ».

Le travail qu’elles accomplissent en coulisse pour préparer les repas, transporter l’aide et tricoter les filets de camouflage est sous-estimé dans la société. Mais en même temps, selon cette psychologue diplômée, on attend d’elles qu’elles préservent la santé mentale et émotionnelle de la société. Les enfants ukrainiens seront les plus touchés, dit-elle, car la grande majorité d’entre eux risquent de souffrir de syndrome de stress post-traumatique ou de dépression.

Mais si la guerre déshumanise les hommes, Marina Ashikhmina estime la chose impossible pour les femmes. L’équilibre entre vulnérabilité et courage les protège — et leur permet même de faire entendre la véritable tonalité du conflit.

« La guerre relève de l’oppression, de l’abaissement et de la discrimination, car elle découle d’une vision patriarcale du monde », explique-t-elle. « Et pourtant, si la guerre avait une voix, elle ressemblerait à la complainte d’une femme, au cri apeuré d’un enfant, à la prière silencieuse d’une mère. »

C’est cet apport indispensable qu’offrent des femmes comme Valeriia Chornobai.

« Les réfugiés sont dévastés dans leur être intérieur ; lorsqu’ils viennent à nous, ils ne sont souvent pas capables de parler », raconte la professeur de sociologie et d’éthique chrétienne. « Il n’est pas nécessaire de leur parler, mais simplement de s’asseoir en silence et de partager leur douleur. »

Elle est restée avec son mari à Dnipro, à 480 km au sud-est de Kiev.

Pour elle, presque tous les jours se ressemblent. Un camion arrive avec de l’aide humanitaire. Elle aide à l’emballer dans des colis individuels, puis distribue l’aide aux personnes déplacées qui s’abritent dans les sous-sols des églises. Dans la mesure du possible, elle aide à trouver un emploi pour ceux qui souhaitent rester.

Mais au milieu de la tension émotionnelle, il y a de la joie. Six femmes ont dormi dans ce qui était autrefois son bureau ; toutes les six ont accepté Jésus. Elle a même vu la guérison apportée par Dieu lorsqu’elle a prié pour la jambe blessée d’une femme.

C’est la lecture de la Bible qui lui permet de tenir le coup. Mais elle évite aussi les débats stériles — trop de gens se disputent sur les raisons de ces événements ou sur les divisions entre chrétiens, dit-elle. Cette discipline l’aide à trouver son équilibre.

« Rester concentrée sur l’amour de Dieu, pas sur la douleur des gens », dit encore Valeriaa Chornobai. « Je veux faire partie des bons samaritains ».

C’est aussi le cas d’Olga Dyatlik, la tante de Tetiana. Directrice régionale associée du Overseas Council avec son frère, Taras, elle a fait l’expérience du burnout en aidant les victimes des huit dernières années d’occupation russe dans la région du Donbass. Elle sait maintenant qu’elle doit d’abord prendre soin d’elle-même.

« Mais comment le pourrais-je, dit-elle, quand je suis submergée par des milliers de SMS disant “Aidez-nous s’il vous plaît” ? »

Une grande partie de sa douleur est liée à la Russie. Au cours de ces huit années, elle a également déployé de nombreux efforts pour renforcer les relations transfrontalières avec d’autres évangéliques.

Pourtant, aucun des textos qu’elle a reçus n’était un message d’excuses.

« J’ai alors compris, je n’ai pas d’amis russes », dit Olga Dyatlik. « Nous avons construit des ponts pendant huit ans. Maintenant, c’est leur tour. »

Pourtant, nous avons toujours besoin de paix, déclare Tetiana Kalenychenko, même si ce constat lui vaut des reproches. Animatrice travaillant à la transformation des conflits dans le cadre de l’initiative « Dialogue en action », elle s’est associée à des musulmans, des juifs et des séminaires évangéliques pour construire la paix interconfessionnelle.

Toujours en contact avec ses collègues russes, elle admet que celui qui joue le rôle de « pont » ne peut pas être en paix avec tout le monde. Mais pour jouer son rôle, il doit être en paix avec lui-même — et avec Dieu.

Elle rêve que les Églises ukrainiennes accueillent les vagues de personnes traumatisées, qu’elles puissent s’asseoir en silence et écouter la voix de Dieu. Mais pour être efficace, le silence ne suffit pas.

« Sous les bombardements, prêts à crier, nous devons être courageux et honnêtes avec nous-mêmes, et surtout dans nos prières », poursuit Tetiana Kalenychenko. « Dans la colère et le chagrin, nous voulons garder des cœurs assez doux pour ressentir l’amour de Dieu ».

Mais elles gardent aussi le cœur assez ferme pour combattre la propagande russe, explique Olga Kondyuk, responsable du département de la communication du Séminaire théologique évangélique ukrainien. Après avoir été évacuée de son campus à Kiev, elle fait de son mieux pour maintenir un fonctionnement normal en ligne.

« Nous ne devons pas seulement nous battre pour survivre. Nous devons nous battre pour préserver ce que nous avons construit ».

Il ne s’agit pas seulement de l’enseignement dans les séminaires, mais aussi des valeurs, de l’économie et de l’indépendance de l’Ukraine. Alors que la Russie fait tout son possible pour les détruire, Olga Kondyuk dénonce ses faux raisonnements.

Une idée courante est que les deux nations slaves sont composées de « frères ». Si la pensée est honorable, elle est utilisée à mauvais escient pour faire des deux une seule nation et nier ainsi toute souveraineté à l’Ukraine.

Un autre mensonge qui trouve grâce auprès de nombreux chrétiens est que l’idéologie du « monde russe » du président Vladimir Poutine combat la dégradation morale de l’Occident. Mais une simple comparaison permet de constater que les taux de divorce, d’avortement, d’alcoolisme et de criminalité sont pires en Russie.

« Contrairement au “monde russe”, le Christ sauve les gens par la relation et l’amour », dit Olga Kondyuk. « Le travail de la théologie est de déraciner et de condamner une telle hérésie ».

Tanya Gerasimchuk est peinée pour ceux qui se laissent séduire.

« Des gens que je respectais auparavant — qui sont intelligents et bien éduqués — croient sincèrement que ce que fait la Russie est juste », explique l’assistante en relations publiques du séminaire théologique d’Odessa. « Je prie pour que Dieu leur ouvre les yeux. »

Elle se trouve actuellement en Moldavie, où elle a évacué vers la maison de sa belle-mère. Au fil des jours, elle est cependant consciente que son statut passe de celui de visiteuse à celui de réfugiée.

« Peu importe le nombre de personnes bonnes et gentilles que vous rencontrez sur votre chemin ou le confort de vos conditions de vie du moment, le sentiment de déracinement semble être celui qui prévaut. Il s’empare de vous et ne vous quitte plus. »

Mais malgré cela, ces femmes ne correspondent pas à l’image classique des victimes impuissantes fuyant la guerre. Ce sont des volontaires actives, qui aident les autres et enseignent la Bible.

Néanmoins, une tragique réalité fait écho aux paroles de Matthieu 24 : « Malheur aux femmes qui seront enceintes et à celles qui allaiteront durant ces jours-là ! » (v. 19). Ces femmes sont présentes dans une famille ukrainienne déplacée sur dix.

Tanya Gerasimchuk, au moins, est en sécurité. Mais c’est un maigre réconfort.

« Vous vous sentez impuissant, et vous vous sentez coupable, dit-elle, parce que vous êtes bien et confortablement installé, alors que d’autres souffrent immensément. »

Ce clivage pourrait diviser les femmes ukrainiennes.

« Il est de plus en plus difficile pour les femmes de communiquer entre elles, étant donné les différences très profondes entre leurs situations », explique Ljuba Pastushenko, une autre tante de Tetiana, réfugiée en Pologne. « La guerre nous a divisées en morceaux comme une tarte ».

Mais il ne s’agit pas simplement de ceux qui ont fui contre ceux qui sont restés.

Des différences apparaissent entre ceux qui avaient un sac à dos et ceux qui sont partis sans rien. Certains sont avec leur famille tandis que d’autres comptent sur des étrangers. Et parmi ceux qui sont encore en Ukraine, certains ont choisi de rester alors que d’autres n’avaient pas la possibilité de partir.

Souffrant de la tension, certains ont coupé la communication entre eux. Mais elle appelle à la compréhension.

« Chacune d’entre nous a son propre niveau de sensibilité, son propre mécanisme pour survivre à la panique, à la peur et au changement », dit encore Ljuba Pastushenko. « Chacune d’entre nous a fait ce qu’il fallait, guidée par son cœur ».

Survivre à la tourmente, dit Olga Dyatlik, nécessite d’aider les autres à rester calmes lorsque la peur abonde. Pour Olga Dyatlik, cela signifie parler aux journalistes et aux avocats. Cela peut même impliquer de préparer des cocktails Molotov, déclare Marina Ashikhmina.

Quelle que soit la voix que les femmes donnent à la guerre, leur vécu a souvent besoin d’être d’abord formulé en privé. La pression est énorme, et le fait de tenir un journal les aide.

Cela a été le cas pour Tetiana Dyatlik Dalrymple :

Oublier de manger. Oublier de boire de l’eau. Prier pour les personnes qui n’ont ni nourriture ni eau en Ukraine.

S’habituer aux images de cadavres. Haïr les meurtriers russes. Me rappeler qu’il y a des gens bien en Russie. Recevoir un message disant que la maison de mon ami a été touchée par un missile russe. Sentir la haine se fondre dans l’impuissance.

Rentrer à la maison.

Traduire des documents pour les réfugiés. Envoyer des nouvelles aux donateurs.

Appeler la famille. Être forte pour la famille. Voir la famille être forte pour moi. Dire à mon frère que je l’aime. Souhaiter « bonne nuit » à ma mère et à mon père. Les voir en ligne à 4h30 du matin à cause des alertes aériennes. Leur envoyer un SMS : « S’il vous plaît, veillez à vous abriter. »

Prier pour que les missiles ne frappent pas ma ville natale. Lire la nouvelle qu’un missile a frappé ma ville. Avoir peur. Se sentir en colère. Se sentir engourdie.

Prier.

Prier.

Prier.

S’endormir tout en regardant les nouvelles sur son téléphone.

Traduit par Léo Lehmann

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Est-il « chrétien » de la part de l’Europe de privilégier les réfugiés ukrainiens ?

Des évangéliques du Moyen-Orient et d’Europe méditent la réponse différenciée du continent aux crises migratoires et les enseignements de la Bible à l’égard de l’étranger.

À gauche : des Syriens déplacés allument un feu à l’extérieur de leur tente dans un camp de réfugiés. À droite : des Ukrainiens en Pologne cherchent à échapper à l’invasion russe.

À gauche : des Syriens déplacés allument un feu à l’extérieur de leur tente dans un camp de réfugiés. À droite : des Ukrainiens en Pologne cherchent à échapper à l’invasion russe.

Christianity Today March 25, 2022
Modifications par Christianity Today/ Images sources : Chris McGrath/ Sean Gallup/ Getty

Alors que l’Ukraine continue d’être pilonnée par la Russie, les réfugiés syriens savent mieux que quiconque pour quoi prier.

« C’est ce qui nous est arrivé », racontent des étudiants réfugiés au centre de l’association Together for the Family de Zahlé, au Liban. « Nous ne voulons pas que cela arrive à d’autres ».

Née à Homs, en Syrie, et fille d’un pasteur baptiste, Izdihar Kassis a épousé un Libanais et a ensuite fondé le centre en 2006. Elle a réorienté son ministère pour s’occuper de « son peuple » lorsque la guerre civile syrienne a commencé en 2011. Chaque année, une cinquantaine d’adolescents traumatisés y trouvent un soutien psychologique, et 300 d’entre eux ont obtenu un diplôme dans le cadre des programmes professionnels du centre.

Alors que les réfugiés discutaient de l’« horrible » situation en Europe pendant le culte hebdomadaire à la chapelle, Izdihar Kassis a proposé de prier. Les 40 enfants et les 30 employés et volontaires syriens ont baissé la tête.

Mais un enfant voulait s’assurer que les Ukrainiens soient conscients de leur solidarité. Il est sorti dans le froid et la neige de la vallée de la Bekaa, où la plupart des 1,5 million de réfugiés syriens du Liban ont trouvé refuge.

Sa pancarte proclamait : « Nous prions pour la paix ».

Un réfugié syrien à Zahlé, au Liban.Together for the Family
Un réfugié syrien à Zahlé, au Liban.

Depuis l’invasion, environ 4 des 43 millions d’habitants de l’Ukraine se sont réfugiés à l’étranger. Six millions et demi d’autres sont déplacés à l’intérieur du pays.

Pourtant, onze ans après le début de la guerre civile, la plupart des 6,8 millions de réfugiés syriens, sur une population de 20 millions d’habitants, vivent toujours dans l’incertitude. En comparaison avec l’accueil chaleureux qu’elle a réservé à ceux qui fuyaient l’agression russe, l’Europe a largement fermé ses portes.

Beaucoup se sentent lésés.

« On observe constamment un double standard et une indignation sélective de la part des médias d’information internationaux, des gouvernements occidentaux (et, malheureusement, même des églises occidentales) lorsqu’il s’agit de rendre compte des guerres, des conflits et de la situation critique des réfugiés », écrit Vinoth Ramachandra, un responsable sri-lankais de l’International Fellowship of Evangelical Students (IFES), dont dépendent les GBU.

« Si les Ukrainiens n’étaient pas blonds aux yeux bleus, leur détresse aurait-elle suscité le même élan de compassion ? »

La question est légitime. Ne serait-ce pas l’hypocrisie de l’Occident — voire son racisme — qui transparaît ici ?

Les chrétiens arabes ne sont pas prompts à juger.

Né en Syrie, Joseph Kassab dirige aujourd’hui le Conseil suprême des Églises évangéliques de Syrie et du Liban, basé à Beyrouth. Il constate que plus d’un million de ses compatriotes ont été accueillis par l’Europe — l’Europe occidentale, principalement. Les nations de l’Est, dit-il, se remettent toujours de l’ère communiste et n’ont pas encore développé le même sens des droits de l’homme.

Il ne devrait y avoir aucune discrimination, mais il comprend tout de même les difficultés. L’Église primitive elle-même a eu du mal à ouvrir sa mission aux non-juifs.

« Le racisme est présent dans toutes les sociétés », dit-il. « Mais les Européens ont été plus accueillants envers les Syriens que de nombreux Libanais. »

Le fait qu’il s’agisse de musulmans est un facteur explicatif, analyse Elie Haddad, président du Séminaire théologique baptiste arabe de Beyrouth. Mais le fait que la plupart d’entre eux soient des agriculteurs ruraux et sans instruction est également important. Quelles qu’en soient les raisons, les gens ne sont pas à l’aise avec la différence.

L’Europe est un peu hypocrite, mais il voit cette même hypocrisie en lui. « Si un membre de la faculté a besoin d’un abri, j’ouvrirai ma maison. Pour un étranger, ce ne sera pas si simple. »

Une peinture murale réalisée par des artistes syriens pour protester contre l’opération militaire russe en Ukraine, au milieu des destructions dans la ville de Binnish, tenue par les rebelles, dans la province d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie, le 24 février 2022.Omar Haj Kadour/AFP/Getty Images
Une peinture murale réalisée par des artistes syriens pour protester contre l’opération militaire russe en Ukraine, au milieu des destructions dans la ville de Binnish, tenue par les rebelles, dans la province d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie, le 24 février 2022.

Une peinture murale réalisée par des artistes syriens pour protester contre l’opération militaire russe en Ukraine, au milieu des destructions dans la ville de Binnish, tenue par les rebelles, dans la province d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie, le 24 février 2022.

Un Français d’origine libanaise à Nice, lui, a ouvert sa maison.

Infirmier dans un hôpital local, François Nader était en 2018 le seul arabophone disponible pour aider une famille de réfugiés dont le fils en âge de travailler avait besoin d’une dialyse rénale d’urgence. Il les a accompagnés dans les formalités administratives nécessaires et, pendant trois mois, a hébergé le Syrien en convalescence et a tenté d’aider le jeune homme à faire face à l’ennui d’un séjour dans un pays qui lui interdisait tout travail.

Aujourd’hui, la France autorise cependant les Ukrainiens à séjourner sur son territoire et à travailler pendant trois ans au maximum (conformément à une directive de l’Union européenne).

L’infirmier, aujourd’hui installé à Bordeaux et marié à une Russe ayant de la famille ukrainienne, applaudit. Un simple coup de fil des autorités a permis de valider la légalité du séjour de quatre réfugiés qu’il accueille désormais chez lui. Chrétien non confessionnel, il croit que l’Évangile appelle les individus à traiter tout le monde de la même manière.

Mais pas les nations.

« Les valeurs musulmanes sont totalement différentes des nôtres », estime François Nader. « Il faut souvent des générations pour que leur esprit s’adapte à la manière de penser européenne ».

La peur du terrorisme est un problème. Mais l’intégration en est un autre. Certains musulmans se concentrent dans les banlieues, des ghettos qui renforcent un séparatisme préjudiciable à la société française, dit-il. Pendant ce temps, les touristes ukrainiens visitent le Louvre, où leurs enfants se comportent bien. Dans le tramway, ils sont assis tranquillement, en train de lire des livres.

« C’est un peu stéréotypé, avec quelque chose d’un peu cruel », reconnaît François Nader. « Je suis désolé de dire cela, mais c’est aussi humain ».

Est-ce également biblique ?

Dieu a créé à la fois la ressemblance et la différence, explique Leonardo De Chirico, président de la commission théologique de l’Alliance évangélique italienne. S’appuyant sur Galates 6.10, il estime normal que nous manifestions certaines préférences.

« Le principe de proximité nous appelle à accorder une attention particulière à ceux qui sont proches de nous, dans la foi, dans la famille, dans la nation et dans notre environnement immédiat. »

Si cela s’applique à l’ethnicité, cela ne s’applique pas à la culture ou à l’éducation, affirme-t-il encore. Tous doivent être accueillis et aidés à s’intégrer. Mais lorsque les ressources sont limitées et les gouvernements débordés, il n’y a pas de mal à faire des différences.

La Bible elle-même le fait, ajoute-t-il, car l’hébreu original fait une distinction entre les « étrangers ». Les gerim (Lv 19.33-34) doivent être traités comme les autres Juifs, mais les zarim (Ex 12.43) n’ont pas le droit de célébrer la Pâque.

Aujourd’hui, c’est entre réfugié et migrant que se fait la distinction.

« La liberté de mouvement n’est pas absolue », commente Marc Jost, secrétaire général de l’Alliance évangélique suisse. « J’aime la diversité, mais elle comporte des risques qui doivent être encadrés ».

La proximité culturelle a conduit la Suisse à renoncer pour les Ukrainiens à l’examen au cas par cas exigé pour les Syriens. Marc Jost rejette le privilège que beaucoup voulaient accorder à la foi et à l’ethnicité, mais les autorités suisses ont jugé la distinction nécessaire pour écarter les terroristes potentiels.

Néanmoins, les difficultés d’intégration sont réelles et le gouvernement souhaite réduire les facteurs d’attractivité, notamment pour les migrants économiques en quête d’une vie meilleure. Ceux qui sont « menacés dans leur vie ou leur intégrité physique » devraient être accueillis sans discrimination.

Mais beaucoup disent que ces cas sont minoritaires

La Grèce a accueilli près de 5 000 Ukrainiens depuis le début de la guerre. Selon les autorités, jusqu’à 30 000 personnes pourraient être hébergées. La nation méditerranéenne a été particulièrement attentive au sort de Marioupol, rapatriant près de 200 ressortissants d’une région initialement colonisée par les Grecs au sixième siècle avant Jésus-Christ.

Mais la Grèce compte déjà environ 42 000 réfugiés de différents pays. De nombreux autres sont refoulés par bateau. Le gouvernement grec affirme qu’en examinant les demandes, 7 demandeurs sur 10 ne sont pas des réfugiés.

« Nous ne devons pas assimiler les migrants aux réfugiés », explique Slavko Hadžić, coordinateur de Langham Preaching pour les Balkans occidentaux, originaire de Bosnie. « Les migrants peuvent utiliser les moyens légaux pour postuler à des emplois ».

Son pays a été critiqué pour ses camps de migrants « inhumains ». Mais selon un rapport de 2020 de Human Rights Watch, sur 18 000 demandeurs d’asile, la Syrie n’était que la cinquième nation d’origine la plus courante, derrière le Pakistan, l’Afghanistan, le Bangladesh et l’Irak.

Les Églises les ont tous aidés, déclare Slavko Hadžić, comme il se doit. Mais il critique une idée fréquemment entendue en Europe de l’Est sur la préservation de la « civilisation chrétienne ». Si les croyants ont la responsabilité particulière d’aider tous les disciples de Jésus, cela n’inclut pas ceux qui ne seraient chrétiens que de nom.

« Quelle que soit l’étiquette qu’un gouvernement se donne, dit-il, il n’y a pas de nations chrétiennes dans ce monde. »

Mais l’héritage chrétien est une bonne chose, déclare quant à lui Samuil Petrovski, président de l’Alliance évangélique serbe, et celui-ci doit être protégé contre les nouvelles vagues de politiques identitaires importées de l’Ouest. Cependant, si le gouvernement doit « apporter la lumière dans les endroits sombres », cela ne doit pas se faire au détriment des réfugiés ou des migrants, quelle que soit leur religion, ajoute-t-il. La Bible enseigne qu’une aide doit être apportée à tous ceux qui sont vraiment dans le besoin.

La Hongrie définit les choses différemment.

Le Premier ministre Viktor Orbán qualifie son pays de « démocratie chrétienne », et le pays à majorité catholique dispose d’un département ministériel chargé de soutenir les chrétiens persécutés au Moyen-Orient. Si, aujourd’hui, il affirme que les réfugiés ukrainiens arrivent dans un « endroit amical », deux mois avant la guerre, Orbán déclarait : « Nous ne laisserons entrer personne. »

Les Européens de l’Est ont conservé l’héritage de la chrétienté plus longtemps que leurs voisins occidentaux. Mais il est une ancienne pensée orthodoxe — rejetée comme hérésie en 1872 par le Conseil de Constantinople — qui fusionne nationalisme politique et Église ethnique. Compte tenu des propos de la Russie selon lesquels l’Ukraine appartient de plein droit au patriarcat de Moscou, plus de 1 100 clercs et universitaires orthodoxes ont réaffirmé la condamnation de ce que l’on appelle phylétisme.

« La bataille se gagne dans le cœur et l’esprit des autres, pas dans des lois restrictives, même si elles sont créées avec de bonnes intentions », dit Bradley Nassif, auteur de The Evangelical Theology of the Orthodox Church (« La théologie évangélique de l’Église orthodoxe ») et ancien professeur de théologie à la North Park University de Chicago. « La meilleure approche serait que l’État soutienne l’Église sans promulguer de lois et de politiques contre les minorités religieuses. »

Marc Jost estime que pour préserver l’héritage chrétien d’une nation, il faut continuellement démontrer qu’il profite à l’ensemble de la société. Les droits de l’homme, dit-il, découlent de l’éthique chrétienne.

Mais d’autres leaders évangéliques protestent. Leonardo De Chirico, de l’Italie majoritairement catholique, considère que l’identité chrétienne d’un État est « lourde de problèmes ». Joseph Kassab relève que si le Moyen-Orient devait promouvoir son identité islamique, cela « décuplerait la misère » des chrétiens.

L’État devrait protéger le patrimoine et l’identité de tous, estime Tom Albinson, président de l’Association internationale pour les réfugiés, affiliée à l’Alliance évangélique mondiale (AEM). Il y a de bonnes raisons pour que les communautés servent à travers leurs réseaux et leurs relations de confiance. Et il est dans le droit d’une nation de protéger ses frontières et d’expulser les migrants.

Mais il n’est pas juste de dresser le migrant contre le réfugié.

« De nombreux pays dépensent aujourd’hui beaucoup plus d’argent et d’énergie à trouver des moyens d’empêcher les réfugiés et les demandeurs d’asile de franchir leur frontière qu’à protéger des personnes qui ont été spoliées et font partie des personnes les plus vulnérables de la planète », dit-il. « Cette situation doit être dénoncée et combattue pour ce qu’elle est. »

Les motifs de migration très variés compliquent la question, et les trafiquants d’êtres humains, eux, ne font pas de différences. Au milieu de tout cela, les réfugiés sont souvent traités comme coupables jusqu’à preuve du contraire.

Ayant été pendant huit ans ambassadeur de l’AEM pour les réfugiés, jusqu’à l’année dernière, Tom Albinson conseille aux nations d’investir dans les infrastructures nécessaires au traitement équitable des demandes. Actuellement, 86 % des réfugiés dans le monde sont accueillis par des pays en développement, rapporte-t-il. Et sur un total de 26 millions, seul 1 % est réinstallé chaque année dans un autre pays que le premier où il a trouvé refuge.

L’Église, conseille-t-il, devrait combler les lacunes.

« Les services gouvernementaux et les ONG humanitaires peuvent offrir une aide, mais ils ne sont pas en mesure de véritablement fortifier l’espoire », déclare Tom Albinson. « Lorsque nous prenons soin de ceux qui ne nous ressemblent pas, de ceux qui nous sont étrangers, nous témoignons de quelque chose de particulier. »

Et qu’y a-t-il de plus étranger pour un Ukrainien qu’un Syrien ?

Dans le monde arabe, la fête des Mères tombe en mars. En plus d’offrir des prières, Together for the Family recueille les conseils d’épouses et de veuves syriennes sur la manière de gérer la vie en étant séparées de leurs maris et de leurs fils.

Elles enverront des cartes et le peu d’argent qu’elles peuvent donner. Les diplômés du programme de menuiserie du centre gagnent 2,25 dollars par semaine. En raison de la pénurie de céréales importées d’Ukraine, leur pain quotidien coûte désormais 75 cents.

« Le Seigneur les a aidées ici et les a relevées », explique Izdihar Kassis. « Elles veulent encourager les femmes ukrainiennes de la même manière ».

Traduit par Léo Lehmann

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Nous sommes à bout de larmes

L’histoire de l’Ukraine est marquée par les tragédies et la bravoure. Que pouvons-nous en apprendre et comment prier ?

Christianity Today March 25, 2022
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: Lisa Fotios / Pexels / WikiMedia Commons

Pendant plus d’un mois, la nation ukrainienne tout en affirmant qu’elle n’avait pas l’intention de l’envahir. À présent, l’horreur se déroule quotidiennement sous nos yeux.

Nous avons entendu parler d’obus d’artillerie tombant sur une centrale nucléaire. De jardins d’enfants et de théâtres bombardés. D’immeubles d’habitation et de quartiers entiers réduits en ruine et sous les décombres. Un char écrasant trois personnes dans une voiture. Des centaines d’orphelins entrant en Pologne, certains non accompagnés, hébétés et pleurants dans leurs écharpes.

Nous avons vu des civils désamorcer une bombe russe en direct à la main ; des habitants boire l’eau provenant de leur chauffe-eau après avoir survécu pendant des semaines à des températures glaciales sans électricité ni chauffage ; des frappes aériennes sur au moins 20 établissements de santé, dont une maternité et un hôpital pour enfants.

La réponse ukrainienne à cet assaut a captivé le monde entier. L’agence de sondage « Rating » rapporte que 88 % des Ukrainiens pensent qu’ils repousseront l’attaque russe et 98 % soutiennent les actions des forces armées ukrainiennes.

Plus de trois millions de personnes ont fui pour se mettre en sécurité, mais ceux qui restent ne se sont pas rendus. Ils ripostent à coups de cocktails Molotov et de fusils de chasse pour soutenir leur armée, qui s’est montrée plus performante que quiconque, et surtout que Vladimir Poutine, ne l’avait imaginé.

Peter Wehner écrit dans The Atlantic que « ce qui a motivé le soutien à l’Ukraine, ce sont les vertus humaines qui se sont manifestées dans le cadre d’un terrible drame humain ».

« C’était de voir des gens ordinaires, y compris des jeunes gens et des personnes âgées, agir de manière extraordinaire pour défendre le pays qu’ils aiment, contre toute attente. C’était de voir des gens faire ce qu’il faut, au risque de mourir, alors que tous leurs instincts devaient hurler : faites ce que vous avez à faire pour survivre, même si la survie, sans être déshonorante, est moins honorable. »

Il poursuit : « Quel que soit le destin qui les attend — et en ce moment même les Russes tentent d’assiéger des villes qui sont le foyer de millions de personnes — le peuple et le président ukrainien [Volodymyr Zelensky] ont montré que le sens de l’honneur n’a pas disparu, même dans un monde parfois indifférent, las et cynique. »

Comme l’a dit un jour Martin Luther King Jr. à propos de la lutte contre l’injustice, « Si un homme n’a pas découvert quelque chose pour lequel il est prêt à mourir, il n’est pas digne de vivre. »

Au cours de son histoire tragique, l’Ukraine a été familiarisée avec la souffrance.

J’ai visité le pays en 2018 et j’ai constaté que les principaux sites touristiques étaient des monuments commémorant les atrocités humaines infligées par le passé à cette nation. J’ai visité le musée national du mémorial aux victimes du Holodomor, un lieu dédié aux millions d’Ukrainiens morts de faim dans les années 1930, lorsque les Soviétiques ont pris le contrôle de leurs fermes et confisqué leurs récoltes.

D’autres musées retracent l’occupation par l’armée hitlérienne pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque Kiev a subi à elle seule un million de victimes, soit plus que le nombre total de victimes américaines pendant toute la guerre. Dans les campagnes, les combats ont détruit 28 000 villages.

Le lendemain, j’ai visité un ravin herbeux en bordure de la ville. Aujourd’hui Babi Yar est un parc, un écrin de paix boisé, niché dans un quartier de boutiques et de maisons ; mais le nom même évoque des scènes de génocide. Babi Yar a été le premier meurtre de masse perpétré par Hitler dans sa campagne contre les Juifs. Les soldats SS ont rassemblé les Juifs de la ville, les ont déshabillés et les ont mitraillés au bord d’une falaise.

Environ 22 000 d’entre eux sont morts le premier jour, et 12 000 le second. Plus d’un million d’Ukrainiens juifs sont morts pendant l’Holocauste, dont de nombreux parents de Zelensky, un Juif, qui, on le comprend, trouve naturellement révoltant que Vladimir Poutine tente de le présenter, lui et le gouvernement ukrainien, comme faisant partie d’un mouvement « néonazi ».

La défaite d’Hitler a été suivie de quatre décennies supplémentaires d’occupation soviétique. Lorsque l’URSS s’est effondrée, l’Ukraine a enfin vu l’opportunité de devenir indépendante. En 1990, 300 000 Ukrainiens ont formé une chaîne humaine en signe d’unité, se donnant la main le long d’un parcours de 550 kilomètres entre Kiev et Lviv.

L’année suivante, 92 % de la population a voté pour l’indépendance de la Russie. Dans un accord séparé, la nouvelle nation a renoncé à ses armes nucléaires (le troisième plus grand stock au monde) en échange de garanties de sécurité. En tant que signataire, la Russie a accepté de respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

La démocratie a connu un début difficile en Ukraine. En 2004, lorsque le réformateur ukrainien Viktor Iouchtchenko a osé défier Viktor Ianoukovitch, le candidat soutenu par la Russie, il manque de peu de mourir d’un cas suspect d’empoisonnement à la dioxine.

Ignorant l’avertissement, Iouchtchenko est resté dans la course, le corps affaibli et le visage définitivement défiguré par le poison. Le jour des élections, un sondage à la sortie des urnes a indiqué qu’il avait 11 % d’avance, et pourtant le gouvernement en place a réussi à inverser ces résultats par une fraude flagrante.

Dans l’un de ces rebondissements peu connus de l’histoire, des personnes malentendantes ont déclenché une révolution pacifique. Le soir des élections, la chaîne de télévision publique a déclaré : « Mesdames et Messieurs, nous annonçons que l’opposant Viktor Iouchtchenko a été battu de manière décisive ». Cependant, les autorités gouvernementales n’avaient pas tenu compte d’une caractéristique de la télévision ukrainienne : la traduction qu’elle propose aux malentendants.

Sur l’image dans le coin inférieur droit de l’écran de télévision, une femme courageuse élevée par des parents sourds-muets a donné un message très différent en langue des signes. « Je m’adresse à tous les citoyens malentendants d’Ukraine », a-t-elle signé. « Ne croyez pas ce que les autorités disent. Elles mentent et j’ai honte de traduire ces mensonges. Iouchtchenko est notre président ! »

Inspirées par leur traductrice, Natalya Dmitruk, des personnes malentendantes ont envoyé des SMS et des courriels à leurs amis au sujet des élections frauduleuses. Bientôt, d’autres journalistes ont pris courage à la suite de l’acte de défi de Natalya Dmitruk et ont également refusé de diffuser la ligne du parti. Des manifestations spontanées ont éclaté dans les grandes villes et la révolution orange est née.

À Kiev, 500 000 personnes ont inondé la place de l’Indépendance, nombre d’entre elles campant sur place par un temps glacial et portant de l’orange, la couleur de la campagne de Viktor Iouchtchenko. Au cours des semaines suivantes, la foule a parfois atteint un million de personnes. Lorsque des observateurs extérieurs ont prouvé qu’une fraude électorale avait eu lieu, les tribunaux ont ordonné une nouvelle élection — et cette fois, Viktor Iouchtchenko est sorti vainqueur incontesté.

Dix ans plus tard, en 2014, c’est le candidat soutenu par la Russie et autrefois battu par Viktor Iouchtchenko, Viktor Ianoukovitch, qui occupe le poste de président. Il a amassé une fortune de 12 milliards de dollars et vit dans un manoir doté d’un zoo privé, d’une flotte de 35 voitures, d’un terrain de golf et d’un champ de tir souterrain, tandis que la plupart des Ukrainiens vivent dans la pauvreté. Lorsqu’il renverse la tendance au rapprochement avec l’Europe de la nouvelle nation et cherche à resserrer les liens avec la Russie, les Ukrainiens descendent une fois de plus dans la rue. Le Parlement ordonne finalement de nouvelles élections et le pro-européen Petro Poroshenko en sort vainqueur.

Lors de ma visite de Kiev, un guide barbu du nom d’Oleg m’a conduit à travers les installations commémorant les « Cent Héros Célestes », une liste de noms honorant les 130 personnes tuées par des tireurs d’élite tirant depuis des bâtiments gouvernementaux lors du soulèvement de 2014. 15 000 autres manifestants ont été blessés lors de ces événements.

« C’était une véritable révolution Internet », m’a raconté Oleg. « Au fur et à mesure que la nouvelle se répandait en ligne, les taxis ont commencé à offrir des trajets gratuits aux manifestants de toute la ville. J’ai installé une tente de prière au milieu d’un demi-million de manifestants et j’y ai passé 67 jours. Nous avons fourni un lieu de prière et distribué du pain et du thé chaud aux militants comme aux policiers. Et maintenant, je me rends sur les lignes de front dans un fourgon blindé, transportant des vivres et de l’eau pour les soldats et les civils pris dans le conflit en Ukraine orientale. »

Peu après la « Révolution de la dignité » de 2014, la Russie en a profité pour s’emparer de la péninsule de Crimée et de deux autres régions, déclenchant une guerre de moindre envergure, mais qui préparait le terrain pour l’invasion à grande échelle à laquelle nous assistons actuellement.

Je pense au poème poignant d’Ann Weems, « I no Longer Pray for Peace » (« Je ne prie plus pour la paix »). Comme beaucoup à travers le monde, je ressens un sentiment de désespoir impuissant face à la mort et à la dévastation en Ukraine. Comment pouvons-nous prier ?

Je prie d’abord pour les 40 millions d’Ukrainiens restés dans le pays, qui luttent pour survivre alors que des avions de combat rugissent au-dessus de leur tête et que des chars prennent pour cible leurs maisons et leurs hôpitaux.

Je prie pour les réfugiés qui affluent en Hongrie, en Pologne, en Moldavie et en Roumanie, ainsi que pour les milliers de personnes qui se sont enfuies vers des pays plus lointains à l’Ouest. Je prie pour les maris et les pères qui restent dans leur patrie, risquant leur vie pour repousser les envahisseurs. Je prie pour les familles d’accueil qui rencontrent les réfugiés aux postes-frontière et dans les gares pour leur proposer un hébergement gratuit.

Je prie pour les ministères chrétiens locaux tels que Mission Eurasia et New Hope Ukraine, dont beaucoup étaient basés dans la ville-dortoir d’Irpin, théâtre de certains des combats les plus féroces.

L’un des responsables a déclaré dans une lettre d’information : « Nous avons appris à aimer et à haïr à un tout autre niveau. Nous avons découvert ce que signifie haïr le mal au plus profond de notre être. Et nous avons appris à aimer la vérité. La vérité qui nous libère. […] Beaucoup d’entre nous sont à bout de larmes. Maintenant, nous sommes tous tellement en colère contre toutes les injustices qui nous sont faites, et nous demandons au Seigneur des Armées de montrer son jugement juste. »

Je prie pour les soldats russes. Les services secrets britanniques ont intercepté certains de leurs appels téléphoniques affolés passés chez eux. On leur avait dit qu’ils seraient accueillis avec des fleurs, en tant que libérateurs, et au lieu de cela ils se retrouvent au milieu d’une guerre sanglante contre des Ukrainiens déterminés à résister. Le New York Times a publié un rapport indiquant que certaines unités russes démoralisées ont déposé leurs armes et se sont rendues, ou ont saboté leurs véhicules pour éviter le combat.

Je prie pour le peuple russe, qui entend une tout autre version des événements. On leur dit qu’il s’agit d’une opération militaire limitée sans victimes civiles. Pendant ce temps, l’Occident hostile tente d’étrangler économiquement leur pays. Ceux qui protestent contre la guerre sont arrêtés, et le simple fait d’utiliser le mot guerre sur les réseaux sociaux peux entraîner une peine de prison.

Je prie pour mon propre pays, pour que nous ne nous lassions pas de la hausse des prix de l’essence et de la chute des marchés boursiers, et que nous ne manquions pas de soutenir ceux qui défendent la liberté et la justice.

Oui, je prie aussi pour Vladimir Poutine. Jésus ne nous a-t-il pas dit d’aimer nos ennemis et de prier pour ceux qui nous persécutent ? Il faudrait un miracle colossal pour qu’un dictateur doté d’une telle détermination narcissique change d’avis — le genre de miracle dont les Hébreux exilés ont été témoins à l’époque de Nabuchodonosor (Daniel 4).

Tish Harrison Warren a récemment écrit un article où elle exprime la rage maternelle qu’elle a ressentie en regardant l’image d’un père ukrainien angoissé tenant le corps sans vie et taché de sang de son jeune fils : « Un enfant innocent a été assassiné parce que le dirigeant russe a décidé qu’il voulait s’approprier un pays souverain voisin du sien ».

Elle trouve une certaine forme de réconfort dans les psaumes imprécatoires, qui appellent le jugement de Dieu sur le mal. « C’est le monde dans lequel nous vivons », dit-elle. « Nous ne pouvons pas simplement nous tenir la main, chanter “Kumbaya” et espérer le meilleur. Nos cœurs réclament un jugement contre la méchanceté qui laisse les pères pleurer seuls sur leurs fils silencieux. Nous avons besoin de mots pour exprimer notre indignation face à ce mal. »

Pour les chrétiens, Poutine est un avertissement. Après la dissolution de l’Union soviétique, la Russie autrefois athée a chaleureusement accueilli un afflux de missionnaires étrangers qui ont enseigné la Bible dans les écoles publiques, fondé une université chrétienne et organisé une multitude de ministères évangéliques. Beaucoup d’entre eux ont fait l’éloge de Poutine, qui a reconstruit des églises et a pris leur parti dans la version russe des « guerres culturelles » entre modèles traditionnels et progressisme.

Finalement, cependant, la plupart des ministères originaires de l’étranger ont fini par être évincés par une alliance stratégique entre Poutine et son fervent partisan, l’Église orthodoxe russe. L’Église officielle a ainsi pu accéder au pouvoir et au parrainage du gouvernement, tandis que Poutine a gagné de nouveaux fidèles.

À la lumière de cela, Russell Moore tire une leçon que nous ne pouvons nous permettre d’ignorer : « Les chrétiens évangéliques devraient se garder de la voie de Poutine, et nous devrions la reconnaître chaque fois qu’il nous est dit que nous avons besoin d’un Pharaon, d’un Barabbas ou d’un César pour nous protéger de nos ennemis, réels ou supposés. Chaque fois que cela se produit, il nous faut nous rappeler notre responsabilité de dire « niet », quelle que soit notre langue. »

Philip Yancey est l’auteur de nombreux ouvrages dont plusieurs ont été traduits en français.

Traduit par Valérie Dörrzapf

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Books

Comment les évangéliques français cherchent à soutenir les victimes d’abus

De nouveaux efforts sont déployés tandis que l’Église catholique tente de son côté de mener un travail de fond en son sein.

Christianity Today March 24, 2022
Siegfried Modola / Stringer / Getty

Florent Varak était en poste depuis neuf ans en 2001 lorsqu’un jeune homme de 15 ans révéla que son père l’avait agressé sexuellement.

« J’étais tout simplement stupéfait », raconte-t-il. Il était à l’époque pasteur de l’Église protestante évangélique de Villeurbanne-Cusset, à Lyon.

Comme le jeune homme était mineur, il estima que cette révélation nécessitait une action juridique immédiate. Il fit venir le père dans son bureau et lui expliqua qu’il avait le choix : soit il écrivait une lettre au procureur de la République pour se dénoncer, soit le pasteur le ferait lui-même.

Florent Varak dut écrire la lettre, et le procès eut lieu près de deux ans après qu’une enquête des pouvoirs publics eut révélé que les agissements de l’agresseur ne se limitaient pas à son fils. Il assista en tant que témoin clé au procès qui dura trois jours. Le père fut condamné à 12 ans de prison.

Deux décennies plus tard, les pasteurs et responsables évangéliques français comme Florent Varak disposent d’outils supplémentaires pour les aider à mieux servir les victimes d’abus et à lutter contre ces abus dans leurs propres communautés.

L’été dernier, le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) a publié une brochure présentant la lutte contre les abus sexuels au sein de l’Église selon trois angles d’approche — théologique, juridique et pratique — et énonçant un code de déontologie à l’intention des pasteurs et anciens des assemblées membres. Cette brochure a été envoyée à tous les membres du CNEF. En décembre, la Fédération des Associations familiales protestantes (AFP) a annoncé qu’elle s’associait au CNEF et à deux autres organismes d’accompagnement (RESAM et ACC) pour créer un service en ligne indépendant de l’Église pour aider à entourer les victimes.

Marc Deroeux, vice-président du CNEF en charge du projet, rapporte que les réactions des membres de l’organisation ont été positives.

Ces démarches institutionnelles des évangéliques français pour aider les Églises à venir en aide aux rescapés d’abus sont intervenues la même année qu’un rapport de 548 pages documentant les abus au sein de l’Église catholique française. Suite aux travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), l’Église catholique a convenu du principe d’une compensation financière pour les victimes d’abus sexuels au sein de ses institutions.

Au sein du mouvement évangélique, ceux qui y président affirment cependant que c’est avant tout le désir de transparence des dirigeants et des membres de leurs Églises qui est à l’origine de ces initiatives.

Onze cas d’abus depuis 2019 ?

Le CNEF, qui représente près de 70 % des lieux de culte évangéliques en France, a commencé à recenser les abus sexuels dans les Églises membres en 2019 et a publié ses premières conclusions l’année dernière. Les communautés ont signalé trois cas d’agressions sexuelles commises par des responsables d’Église et à huit reprises des pasteurs se sont adressés au CNEF pour obtenir des conseils sur la manière de traiter les abus sexuels au sein de la communauté ecclésiale.

Ce chiffre est probablement très en deçà de la réalité, affirme Valérie Duval-Poujol, vice-présidente de la Fédération protestante de France (FPF) et coauteure de l’ouvrage Violences conjugales : Accompagner les victimes.

« Le pasteur est souvent simplement déplacé dans une autre Église pour éviter toute discussion supplémentaire », dit-elle à propos des situations d’abus sexuels dans les Églises.

Avec un père pasteur de la FPF et psychothérapeute pour couples et familles, la chercheuse a grandi en étant consciente de la réalité décevante de la réaction des Églises évangéliques face aux abus.

« Il faut mettre fin à la culture qui consiste à protéger l’institution au détriment de la victime », souligne-t-elle. Statistiquement parlant, les abus sexuels sont beaucoup plus fréquents que ne le suggèrent les chiffres rapportés par les pasteurs, ajoute-t-elle. « Les femmes ne se sentent pas en confiance pour en parler avec leurs pasteurs. »

Florent Varak souligne également que, d’après son expérience, les situations d’abus sexuels sont très mal comprises, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église. « Les chiffres [dans ma communauté] étaient tout simplement stupéfiants », explique-t-il dans le contexte de son nouveau poste de pasteur à Lyon. « 10 à 20 % des personnes de notre communauté avaient subi une forme d’abus. »

Une assistance aux victimes

Cet été, le CNEF et l’AFP espèrent lancer un service d’écoute pour les victimes d’abus sexuels dans l’Église, qui mettra les victimes en contact avec des conseillers professionnels.

« Le service d’écoute est là pour accueillir la parole, permettre à la parole d’être libérée et […] donner des moyens aux personnes d’être accompagnées », dit Marc Deroeux. « Il est également là pour aider les organisations à savoir comment agir avec les abuseurs. »

Le vice-président du CNEF précise que le service d’écoute respectera toutes les lois françaises, notamment en ce qui concerne les cas d’abus sur mineurs qui seront immédiatement transmis aux autorités françaises.

En plus de la brochure du CNEF, la FPF travaille actuellement sur son propre guide pour faire face aux abus sexuels dans l’Église. Bien que le document ne soit pas encore publié, il servira également d’outil pratique pour toutes les Églises protestantes françaises et les membres de la FPF.

Valérie Duval-Poujol estime que si les abus sexuels dans l’Église ont été un sujet tabou dans de nombreux contextes, les évolutions sociales contribué à les mettre en lumière. Il est maintenant temps de fournir des ressources appropriées.

« Il y a un manque de formation. Le pasteur ne croit pas [la victime] ou il la remet en question. Alors qu’il a juste à l’écouter. #MeToo a fait qu’on s’est mis à croire les victimes. »

Une idée qui revient souvent chez les responsables évangéliques en France est que les abus sexuels dans l’Église protestante n’ont pas nécessairement un caractère institutionnel, mais sont plutôt dissimulés par la honte et la culpabilité. De nombreux responsables d’Église français estiment que la libération de la parole avec des mouvements tels que #MeToo est un phénomène très positif pour l’Église.

Valérie Duval-Poujol considère que le travail du CNEF est « une première bonne étape, le début d’une route ».

Afin de distribuer correctement ce matériel pour sensibiliser ses Églises membres, le CNEF essaie actuellement de publier ses documents en ligne. Cependant, toutes les Églises ne sont pas au courant de ces efforts. Nous avons contacté quatre Églises, et aucune n’avait reçu ou ne connaissait les documents du CNEF.

Pour Florent Varak, l’étape suivante consiste à prendre des mesures concrètes. « Lorsque nous avons construit un nouveau bâtiment, nous avons inséré des fenêtres sur toutes les portes pour créer un sentiment de transparence. Nous avons réduit au minimum la présence d’angles morts. » L’Église exige également une vérification approfondie des antécédents de toutes les personnes engagées, de manière à assurer la responsabilité des membres de l’Église, et plusieurs affiches du CNEF sont accrochées dans l’église.

Le pasteur ne voit pas non plus de difficulté à parler ouvertement de ces questions devant sa communauté. « Si nous n’étions pas convaincus de l’importance de la prédication textuelle suivie, je n’aurais probablement jamais prêché sur les abus sexuels », dit-il. « Mais comme ils sont mentionnés dans certains livres de la Bible (Juges, 1 Corinthiens, Esther), passer par ces textes sacrés force la conversation. »

« La vraie question est de savoir si nous avons un problème systémique, […] si notre théologie, ou notre culture, ou notre structure facilite ce genre de comportement. »

Peut-être la réponse est-elle à la fois oui et non. Les Églises dirigées par des leaders charismatiques sans politiques claires de répartition du pouvoir peuvent pousser les gens au silence.

« C’est rare, car la scène évangélique française n’est pas aussi exposée qu’aux États-Unis, mais cela arrive », analyse Florent Varak. « La forte autonomie de chaque Église locale peut faciliter une certaine mentalité “maison”, du genre “ce qui se passe à Vegas reste à Vegas”. »

Le pasteur souligne que les pasteurs évangéliques ne détiennent aucune sorte d’autorité pour pardonner les péchés par la pratique de la confession et de l’absolution, ce qui les différencie des prêtres catholiques qui, jusqu’en 2021, ne signalaient souvent pas les cas d’abus sexuels aux autorités françaises. Sur ce point, la théologie des Églises évangéliques devrait plutôt limiter ces types de dissimulation.

« Nous n’avons pas d’autorité sacramentelle pour le pardon, nous ne pouvons donc pas minimiser institutionnellement le péché ». « Nous insistons également sur le sacerdoce de tous les croyants et sur l’importance d’être transparents les uns envers les autres, ce qui devrait en principe empêcher que les abus ne soient dissimulés. »

Traduit par Léo Lehmann

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Nous avons échoué à protéger nos employés

Comment une organisation — la nôtre — a fait fausse route dans sa réponse au harcèlement sexuel. Et comment nous pouvons faire mieux.

Christianity Today March 24, 2022
Illustration by Christianity Today / Source Images: Vandervelden / Getty

J’ai rejoint Christianity Today (CT) en tant que président et directeur général en mai 2019. En août de la même année, il a été porté à mon attention qu’un de nos responsables éditoriaux avait traité ses collègues féminines de manière inappropriée, se livrant à des attouchements non désirés malgré des indications répétées indiquant que ce comportement était inapproprié, importun et devait cesser. J’ai recueilli plus d’informations sur l’historique de la question et il est apparu clairement que les incidents précédents avec cette personne avaient principalement été traités par le biais de conversations individuelles.

En l’absence d’avertissements écrits, nos options en août 2019 étaient limitées. Nous avons pris des mesures disciplinaires à l’encontre de cet employé, nous avons documenté l’incident et l’avons averti qu’il serait suspendu ou licencié si cela devait se reproduire. Aucune autre allégation d’attouchements non désirés ou d’autres comportements inappropriés n’est survenue entre ce moment et son départ à la retraite.

Cependant, en septembre 2021, deux employées actuelles ont pris contact avec moi et avec l’éditeur exécutif de CT, Ted Olsen. Elles ont présenté un récit plus détaillé de la conduite de cet individu, qui remontait à plusieurs années et perdurait même après sa retraite.

Nous tenons ces femmes en très haute estime et avons été profondément attristés d’entendre leurs récits. Elles ont décrit des commentaires très inappropriés et des attouchements non désirés qui les ont laissées avec le sentiment de ne pas être respectées, d’être considérées comme des objets et de ne pas être en sécurité. Notre première réaction a été de partager leur peine, de les remercier pour leur courage et de nous engager à un processus d’examen rigoureux des erreurs commises par notre ministère et de ce que nous devrons faire différemment à l’avenir.

(Nous avions également connaissance d’une autre situation, datant de plusieurs années auparavant, dans laquelle un employé de CT, qui travaillait dans la publicité, a été accusé d’un crime sexuel en dehors du lieu de travail et a ensuite été licencié du ministère dès que possible. Nous avons aussi souhaité examiner si nous aurions dû faire davantage dans ce cas.)

Déterminés à changer

Confrontés à l’ampleur de ces récits et déterminés à changer, nous avons invité les femmes qui avaient rapporté les faits à participer à l’élaboration de notre réponse institutionnelle. Il était important pour nous qu’elles puissent s’exprimer, et elles se sont exprimées tout au long du processus avec sagesse, attention et intégrité.

Nous avons également contacté immédiatement Rachael Denhollander, une avocate qui s’est avérée être une source inestimable de sagesse sur ces questions. Elle a apporté son soutien à nos employés et nous a éclairés sur la procédure à suivre. J’ai informé le conseil d’administration de CT de la situation. Le conseil a soutenu des mesures fortes.

Sur la recommandation de Denhollander, nous avons engagé Guidepost Solutions, une société réputée qui aide les organisations à établir les meilleures pratiques en matière de prévention du harcèlement et des comportements inappropriés, de conformité aux standards, de suivi et d’enquêtes. Guidepost a procédé à une évaluation indépendante de notre ministère et de sa réponse aux allégations que nous avons reçues. Nous souhaitions également savoir s’il existait un problème plus large de harcèlement ou d’abus au sein de CT et comment nous pourrions développer notre culture, nos politiques et nos pratiques afin que le harcèlement soit prévenu, identifié, évalué et sanctionné correctement.

Nous ne pouvions pas dire grand-chose publiquement avant que cette évaluation ne soit achevée. Nous ne voulions pas fausser ou devancer le travail de Guidepost, et nous avons des obligations de confidentialité envers nos employés actuels et passés. Mais nous nous sommes engagés dès le départ à publier l’évaluation de Guidepost. Nous nous sommes sentis investis de la responsabilité d’agir de manière aussi transparente que possible sur ce que nous avons appris et sur la manière dont nous avons l’intention d’aller de l’avant.

Pourquoi cette transparence est-elle importante à nos yeux ? Nous nous devons de dire aux femmes concernées que nous croyons leurs témoignages et que nous sommes profondément attristés que le ministère n’ait pas réussi à créer un environnement dans lequel elles soient traitées avec respect et dignité.

Nous devons également cela à nos lecteurs, à l’ensemble de nos employés et à l’Église. Christianity Today, en tant que ministère, existe pour servir l’Église, et l’une des façons dont nous servons l’Église est de tenir différents ministères redevables des idéaux de notre foi. En tant que tels, nous devons également nous mesurer nous-mêmes aux exigences les plus élevées. Lorsque nous ne respectons pas ces exigences, nous devons faire preuve de transparence, de responsabilité, et le confesser. Peut-être que la meilleure façon de servir l’Église en cette saison, où tant de communautés et de ministères sont confrontés aux questions de harcèlement et de relations appropriées entre les sexes sur le lieu de travail, est d’être aussi ouverts que possible tout au long de notre parcours et d’inviter les autres à apprendre avec nous.

Une évaluation détaillée

Compte tenu de notre engagement, nous rendons maintenant publique l’évaluation réalisée par Guidepost. Guidepost a réalisé une enquête auprès des employés en poste, mené des entretiens avec de nombreux employés actuels et passés, et examiné de nombreux documents.

Nous sommes reconnaissants de ce que Guidepost, comme l’indique le rapport, « n’a pas trouvé de problèmes de harcèlement ou d’abus généralisés au sein de CT ». Mais nous déplorons le fait que nos réponses institutionnelles étaient nettement insuffisantes dans certains domaines, et nous remercions Guidepost d’avoir identifié ce que nous devrions faire différemment à l’avenir.

En plus de l’évaluation de Guidepost, nous avons également invité Daniel Silliman, éditeur pour CT News, à envisager de faire un reportage sur la situation de notre ministère de la même manière qu’il l’a fait avec talent pour d’autres. Nous avons laissé Daniel et notre rédactrice principale pour CT News, Kate Shellnutt, évaluer indépendamment s’il s’agissait d’un article que CT publierait si les mêmes circonstances touchaient une autre Église ou un autre ministère. Ils ont estimé que c’était le cas.

L’enquête de Daniel s’est déroulée parallèlement à l’évaluation de Guidepost, sans interférence entre les deux. Nous n’avons pas fourni à Daniel ou Kate des documents que nous ne pouvions légalement partager avec nos propres employés, et tous deux n’ont découvert l’évaluation de Guidepost qu’au moment de sa publication. Ce que nous leur avons demandé, c’est de suivre cette histoire où qu’elle puisse les mener.

Ni moi ni aucun autre membre de l’équipe de direction de Christianity Today n’avons façonné leur reportage, et ni moi ni aucun autre membre de l’équipe de direction ne l’avons vu avant sa publication. Nous croyons en la capacité du journalisme à mettre en lumière la vérité et à permettre que des comptes soient rendus, et nous devons nous astreindre aux mêmes normes exigeantes que nous appliquons aux autres ministères.

Ce que nous avons appris

Qu’avons-nous donc appris ? L’évaluation de Guidepost est pleine d’excellentes recommandations qui seraient utiles à tout ministère, Église ou entreprise. Nous encourageons chacun à la lire.

Au nom de Christianity Today, nous nous engageons publiquement à mettre en œuvre les six recommandations hautement prioritaires formulées par Guidepost aux pages 5 et 6 du rapport. Nous nous engageons également à informer nos lecteurs des progrès réalisés par le ministère par le biais d’un autre éditorial dans les six prochains mois. Au-delà des détails (importants) des politiques et des processus, permettez-moi de souligner trois points immédiats que nous retenons.

Premièrement, notre ministère a succombé à la tentation d’expliquer les comportements inappropriés par des malentendus — malentendus entre hommes et femmes, ou malentendus entre membres de différentes générations qui ont des attentes différentes en matière de comportement approprié sur le lieu de travail. En d’autres termes, comme Guidepost l’a si bien exprimé, nous avons trop insisté sur l’intention de l’auteur et pas assez sur l’impact de son comportement sur la personne concernée.

Déterminer l’intention de quelqu’un est une entreprise hasardeuse, mais le harcèlement sexuel est un harcèlement sexuel, qu’il ait ou non une motivation sexuelle. Il donne à la personne qui le subit le sentiment d’être objectivée, manipulée et maltraitée en raison de son sexe. Plutôt que « il ne pense pas vraiment ce qu’il dit », nous aurions dû entendre « cela entraîne douleur et humiliation pour elle ». Nous aurions dû réagir plus fermement et plus tôt pour protéger nos collègues et faire savoir qu’un tel comportement entraînerait rapidement un licenciement.

Deuxièmement, la représentation est importante. Plus de la moitié des employés de CT sont des femmes. Plus de la moitié des membres de l’équipe de rédaction sont des femmes, dont certaines occupent des postes de direction de niveau intermédiaire. Mais la direction du ministère et de l’équipe de rédaction de CT est essentiellement masculine. Nous constatons chez nous ce que nous avons vu dans d’innombrables autres organisations : les décisions concernant les intérêts des femmes seront rarement prises avec sagesse si les femmes n’ont que peu ou pas voix au chapitre dans ces décisions.

CT compte actuellement une seule femme au sein de l’équipe de direction (une autre ayant récemment pris sa retraite). Nous prévoyons d’avoir trois femmes au sein de l’équipe de direction d’ici la fin de l’année et de continuer à œuvrer pour une meilleure représentativité et diversité au sein de la direction et du personnel du ministère dans les années à venir. En outre, parce que des femmes de talent sont au cœur de notre ministère, nous examinerons d’autres moyens de nous assurer que nos employées sont valorisées et s’épanouissent dans leur travail.

Et troisièmement, la communication est primordiale. Le personnel avait besoin d’entendre de la part de la direction de CT, de manière claire et cohérente, que l’inconduite sexuelle ne serait pas tolérée et que les personnes signalant un mauvais comportement ou un harcèlement seraient reçues avec amour et attention. Nous aurions pu éviter beaucoup de difficultés, tant pour les victimes que pour le ministère, si nous avions proposé un mécanisme de signalement indépendant et anonyme et si nous nous étions davantage engagés dans des procédures formelles de discipline et de documentation.

Engagés pour la vérité

Nous prions pour que la transparence sur nos erreurs aide d’autres organisations à éviter de les commettre à leur tour.

Nous nous attendons, surtout en cette période de très forte polarisation, à recevoir des critiques à ce sujet. Nous accueillerons volontiers les réactions. Il y a toutefois deux critiques possibles que je souhaiterais aborder d’avance.

Une des critiques pourrait être que ces révélations compromettent notre travail d’information sur les cas d’inconduite au sein de l’Église ou d’autres ministères. Je ne crois pas que ce soit le cas. L’équipe de journalistes de Christianity Today a fait un travail remarquable, récemment comme par le passé, en demandant des comptes à certains des ministères les plus influents lorsqu’ils ne répondaient pas à leur vocation. Ce qui minerait notre crédibilité serait de montrer que nous ne sommes engagés envers la vérité que de manière sélective, parce que nous chercherions à nous protéger en dissimulant le péché de notre propre institution.

Nous avons vu trop de cas où des organisations chrétiennes couvrent leurs échecs parce qu’elles croient que la mission qu’elles servent est trop importante pour être entravée par quelques personnes blessées. Cet argument est peut-être tentant, mais il est fallacieux. Nous ne pouvons pas aimer le plus grand nombre en étant cruels envers une minorité. Nous ne pouvons pas servir la vérité en la dissimulant. C’est parce que nous sommes plus attachés au royaume de Dieu qu’à nos propres intérêts institutionnels que nous devons être honnêtes à propos de nos échecs et partager ce que nous apprenons d’eux. Nous restons attachés à un journalisme rigoureux, tant sur nous-mêmes que sur les autres.

Une autre critique pourrait être que nous plions le genou devant le féminisme radical et que nous réagissons de manière excessive à un comportement qui n’est pas réellement nocif. Nous n’avons pas connaissance d’abus, d’agressions ou de demandes de contreparties sexuelles, ni d’autres comportements de ce type, au sein du ministère. Cependant, les comportements répréhensibles dont nous avons connaissance ont persisté longtemps après qu’il ait été exprimé qu’ils étaient inacceptables et devaient cesser. Des femmes que nous tenons en haute estime ont été blessées parce que nous avons fait moins que ce que l’amour exigeait de nous. Le harcèlement lui-même leur a donné le sentiment d’être privées de leur dignité de femmes, de leur statut de professionnelles et de leur possibilité de se sentir en sécurité et valorisées sur leur lieu de travail. Cela a été profondément préjudiciable non seulement pour les deux femmes qui ont présenté leur rapport en septembre 2021, mais aussi pour d’autres femmes. Elles ont été laissées à se demander si nous étions vraiment de leur côté. Nous sommes dans la peine avec elles, nous confessons notre péché et nous demandons leur pardon.

Pour conclure, nous vous encourageons à nouveau à lire l’évaluation de Guidepost et le reportage indépendant de Daniel Silliman. Nous espérons que l’Église pourra encore bénéficier aussi souvent que possible des choses que nous faisons bien. Si l’Église peut également bénéficier du fait que nous partageons honnêtement ce que nous avons mal fait, alors à Dieu soit la gloire. C’est la gloire de Dieu et non la nôtre qui doit être au centre de toutes nos entreprises.

Tim Dalrymple est président, directeur général et rédacteur en chef de Christianity Today.

Traduit par Léo Lehmann

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Le harcèlement sexuel a été négligé au sein de Christianity Today

Des femmes ont signalé les comportements inappropriés de deux hauts responsables pendant plus de 12 ans. Rien ne s’est produit.

Christianity Today March 24, 2022
Christianity Today

Contexte : Cet article a été réalisé par Daniel Silliman, rédacteur pour CT News, édité par Kate Shellnutt, éditrice principale de CT News, et publié sans avoir été revu par les responsables du ministère. Aucun des deux rédacteurs n’a eu accès aux dossiers du personnel ou aux réunions concernant les accusations ou l’enquête. Vous pouvez lire la déclaration du président et directeur général Timothy Dalrymple ici .

Pendant plus d’une douzaine d’années, Christianity Today (CT) a laissé se produire des faits de harcèlement sexuel dans ses bureaux de Carol Stream, dans l’État américain de l’Illinois, sans demander de comptes aux deux responsables de son ministère en cause.

Un certain nombre de femmes ont signalé le comportement dévalorisant, inapproprié et offensant de l’ancien rédacteur en chef Mark Galli et de l’ancien directeur de la publicité Olatokunbo Olawoye. Mais selon une évaluation externe de la culture d’entreprise du ministère publiée mardi 15 mars, leur comportement n’a pas été pris en compte et les deux hommes n’ont pas été sanctionnés.

Le rapport a identifié deux problèmes au sein du magazine phare du mouvement évangélique américain : un processus insuffisant pour « signaler, enquêter et résoudre les allégations de harcèlement » et une culture de sexisme inconscient pouvant être « inhospitalière pour les femmes ». CT a rendu cette évaluation publique.

« Nous voulons mettre en pratique la transparence et la redevabilité que nous prêchons », a déclaré le président de CT, Timothy Dalrymple. « Il est impératif que nous soyons irréprochables sur ces questions. Si nous ne sommes pas à la hauteur de ce que l’amour exige de nous, nous voulons le savoir, et nous voulons faire mieux. »

Dans le cadre d’un reportage indépendant, un journaliste de CT News a interrogé plus de 25 employés actuels et passés et a entendu de première main 12 témoignages de harcèlement sexuel.

Des femmes employées par CT ont fait l’objet d’attouchements au travail qui les ont mises mal à l’aise. Elles ont entendu des hommes ayant autorité sur leur carrière faire des commentaires sur la désirabilité sexuelle de leur corps. Et dans au moins deux cas, elles ont entendu des responsables de département laisser entendre qu’ils seraient ouverts à une liaison.

Plus d’une demi-douzaine d’employés ont signalé le harcèlement de Galli ou d’Olawoye à un responsable ou aux ressources humaines entre le milieu des années 2000 et 2019. Mais aucun des deux dirigeants n’a fait l’objet d’un rapport écrit, d’un avertissement formel concernant leur comportement inapproprié, d’une suspension ou d’une autre sanction. Rien n’indique que CT ait pris des mesures correctives, même après des plaintes répétées pour des actes presque identiques.

« La culture, quand j’étais là, était de protéger l’institution à tout prix », déclare Amy Jackson, une rédactrice associée qui a quitté ce qui était devenu, selon elle, un environnement de travail hostile en 2018. « Personne n’a jamais été tenu pour responsable. Mark Galli était certainement protégé. »

Les comportements inappropriés à CT ne se classent peut-être pas parmi les pires exemples exposés par le mouvement #MeToo, mais le ministère ne s’est jamais mesuré lui-même à ces standards.

« Au milieu de la laideur de notre monde », écrivait Galli en 2015, « Christianity Today offre une oasis de vérité, de bonté et de beauté. »

Au moment même où Galli développait la notion de « belle orthodoxie » pour CT, il faisait des commentaires inappropriés sur certaines femmes. Trois personnes se souviennent l’avoir entendu dire au bureau, par exemple, qu’il aimait regarder les golfeuses se pencher. Galli nie ce commentaire spécifique, mais dit qu’il pourrait avoir fait référence aux femmes sur le terrain de golf comme à des « bonbons pour les yeux ».

Les remarques sur le corps des femmes, et même une main baladeuse occasionnelle pourraient être considérées comme simplement « grossières », déclare l’éditrice responsable de contenus en ligne Andrea Palpant Dilley, l’une des personnes qui ont demandé l’évaluation externe. Mais ce comportement a eu un impact sur les femmes qui travaillent à CT.

« Le harcèlement sexuel suscite une peur physique, mais la plus grande peur, pour moi, est celle de la dévalorisation et du manque de respect », explique Palpant Dilley. « C’est une menace pour mon statut de professionnelle, et c’est fondamentalement une menace pour ma capacité à m’épanouir et à croire que je peux être respectée en tant que femme à CT. »

Une plainte aux ressources humaines a provoqué un retour de bâton

Richard Shields, directeur des ressources humaines de 2008 à 2019, a refusé de se prononcer sur des employés ou des allégations spécifiques dans le cadre de cet article. Mais il conteste l’idée que les ressources humaines n’ont pas été à la hauteur.

« J’ai toujours pris les plaintes au sérieux et de manière très, très confidentielle », a-t-il déclaré au journaliste de CT news. « Je suis persuadé que nous avons utilisé les procédures en place de manière très cohérente, très approfondie et très efficace ».

La politique de CT stipulait que les ressources humaines devaient documenter toute allégation d’inconduite et en faire part à l’équipe de direction. Cependant, l’équipe de direction ne disposait pas de directives claires sur les conséquences des infractions, selon Harold Smith, président et directeur général de 2007 à 2019.

Ce n’est qu’après le début des mouvements #MeToo et #ChurchToo sur les réseaux sociaux que les dirigeants de CT ont commencé à revoir les politiques et à former le personnel sur le harcèlement sexuel.

« Nous faisions du rattrapage », raconte Smith. « Et malheureusement, ce sont les femmes qui ont porté ce problème à notre attention […] qui se sont tristement retrouvées à attendre et attendre une forme de résolution. »

Lorsque les gens déposaient des accusations, les ressources humaines ouvraient des dossiers et prenaient des notes. Mais rien ne se passait ensuite, laissant de nombreux employés actuels et passés avec l’impression que toute inconduite qui n’était pas un crime n’entraînait aucune conséquence.

Pour certains, les signalements aux ressources humaines ont en fait aggravé la situation. Pour une femme, une plainte auprès des ressources humaines a suscité tellement de réactions négatives qu’elle a changé son vécu dans son travail à CT.

Son nom, comme celui des autres femmes victimes de harcèlement sexuel, reste confidentiel, conformément à la politique de CT en matière de signalement des abus. Les détails de chaque histoire ont toutefois été confirmés par plusieurs sources qui ont observé le même incident, l’ont appris de première main à l’époque ou ont vu des cas identiques de harcèlement.

Lorsque cette femme a été engagée en tant que rédactrice au milieu des années 2000, quelqu’un a plaisanté en disant qu’elle n’avait été engagée que parce qu’un rédacteur principal voulait avoir des relations sexuelles avec elle. Elle ne l’a pas signalé aux ressources humaines, mais un collègue l’a fait. Par la suite, cette femme a régulièrement entendu des commentaires d’hommes de CT lui reprochant d’être trop prompte à voir le harcèlement sexuel partout.

Galli, en particulier, a commencé à lui demander si elle était offensée lorsqu’il lui ouvrait une porte, se souvient-elle. Il pouvait faire une déclaration banale sur le genre, dit-elle, puis ajouter : « Tu vas le signaler ? ».

Cela lui a donné à croire que si elle signalait quoi que ce soit, elle serait traitée comme si elle criait au loup. « C’était assez effrayant », dit-elle.

Peu de temps après, le directeur de la publicité de CT, Olawoye, est entré dans son bureau et a fermé la porte. Il lui a dit à quel point elle était belle, se souvient-elle. Puis il a commencé à dire à quel point il était malheureux dans son mariage et a posé sa main sur sa jambe.

Elle ne l’a pas signalé aux ressources humaines. Elle ne pensait pas que cela valait le risque encouru.

« Il est difficile pour les gens de déposer des plaintes pour harcèlement — très difficile », déclare Sonal Shah, directeur adjoint des services de droit du travail chez HR Source. « La plupart des cas ne sont pas signalés, donc si vous recevez plusieurs plaintes, le problème est probablement plus grave et plus répandu que vous ne le pensez. »

De nombreuses femmes ayant travaillé pour CT entre 2000 et 2019 ont déclaré qu’il n’était même pas clair pour elles si les ressources humaines étaient responsables des plaintes pour harcèlement sexuel. L’État de l’Illinois a rendu obligatoire une formation sur le harcèlement sexuel pour tous les lieux de travail en 2019, et CT exige désormais que les employés suivent un cours annuel en ligne. Avant cela, se souviennent les femmes, l’impression générale était que les ressources humaines ne s’intéressaient pas aux allégations de harcèlement sexuel et ne s’occupaient que des embauches, des licenciements et des plans de retraite.

Le directeur des ressources humaines, Shields, était également associé à un groupe d’hommes haut placés dans l’organisation qui jouaient ensemble au golf, dont Galli, Olawoye et plusieurs autres. Un certain nombre de femmes ont déclaré qu’elles avaient décidé de ne pas dénoncer le harcèlement parce qu’il semblait plus susceptible de sympathiser avec les hommes occupant des postes de direction qu’avec les jeunes femmes formulant des accusations.

« On m’a dit de ne rien attendre des ressources humaines », a déclaré une ancienne employée, « mais de m’adresser à d’autres femmes ».

Entraide féminine pour éviter le harcèlement sexuel

Les femmes du bureau se sont organisées de manière informelle pour se protéger les unes les autres contre l’attention indésirable d’Olawoye, qui était connu à CT sous le surnom de « Toks ». Plusieurs d’entre elles ont décrit avoir averti les nouvelles recrues qu’il ne respectait pas les limites personnelles, mais qu’il s’invitait fréquemment dans les bureaux des femmes, fermait la porte et les entraînait dans de longues conversations personnelles.

Certaines se sont même alliées pour faire semblant d’avoir des réunions entre elles afin d’avoir une excuse pour mettre poliment fin aux conversations avec leur supérieur.

Malgré ces efforts, trois autres femmes ont vécu des expériences identiques de harcèlement. Chacune d’entre elles a déclaré indépendamment qu’Olawoye avait fait des commentaires sur son apparence physique, qu’il lui avait dit que sa femme n’était plus aussi séduisante qu’avant et qu’il avait mentionné qu’il n’avait pas autant de relations sexuelles qu’il le souhaitait.

« Mon corps tout entier s’est crispé et j’ai eu envie de vomir », se souvient une femme. Je me disais intérieurement : « Hum, je ne veux pas être ton amie. Je ne veux pas être ici. Je ne veux plus jamais parler à cette personne seule. »

Aucune de ces femmes n’a signalé les incidents à la direction ou aux ressources humaines. L’une d’elles a dit qu’elle avait l’impression de s’en sortir personnellement, et les autres ont déclaré qu’elles étaient gênées et ne pensaient pas que cela les aiderait.

Elles avaient peut-être raison. Lorsque d’autres personnes ont signalé à Olawoye un comportement inapproprié, elles ont constaté qu’elles étaient traitées comme si elles étaient le problème.

Une femme a dit à sa responsable qu’Olawoye fixait ses seins pendant les réunions. La réponse de celle-ci : « Ça aidera si tu portes un foulard. »

La responsable a confirmé ce récit, mais note qu’elle n’avait pas reçu de formation sur le harcèlement sexuel lorsqu’elle a été promue et qu’elle ne savait pas comment déposer une plainte officielle.

Un autre manager, un homme, a déposé une plainte. Il s’est rendu aux ressources humaines et a déclaré qu’Olawoye passait un temps excessif à parler à une stagiaire. Il semblait lui poser des questions inappropriées — si elle avait un petit ami, si elle avait déjà eu un petit ami, et si elle aimerait dîner chez lui.

Quelques jours plus tard, Olawoye est entré en trombe dans le bureau du responsable qui l’avait dénoncé et a exigé des excuses. Il avait appris qui avait déposé la plainte et était furieux de la possibilité d’une « affreuse tache » sur son dossier.

Le manager n’a pas déposé d’autres plaintes concernant les ressources humaines pendant son passage à Christianity Today.

Rien n’indique qu’Olawoye ait été officiellement réprimandé pour cet incident ou que celui-ci ait laissé une quelconque trace dans son dossier.

Le mandat d’Olawoye à CT a pris fin après son arrestation par des agents fédéraux lors d’une opération montée en 2017. Il tentait de payer pour avoir des relations sexuelles avec une adolescente. Il a finalement plaidé coupable et a été condamné à trois ans de prison.

Il vit aujourd’hui dans la banlieue de Chicago et est enregistré comme délinquant sexuel. Il n’a pas répondu aux multiples requêtes de commentaire pour cet article.

Selon plusieurs employés, après l’arrestation d’Olawoye, les ressources humaines ont offert un soutien aux employés qui pouvaient être sous le choc, mais n’ont pas cherché à savoir si quelqu’un avait été maltraité par Olawoye pendant son passage au bureau. Au lieu de cela, les responsables de CT ont exhorté le personnel à faire preuve de grâce envers Olawoye et à se rappeler que tout le monde est innocent jusqu’à preuve du contraire.

Galli accusé d’attouchements sur huit femmes

Au sein du département éditorial de CT, c’est Mark Galli qui a partagé la nouvelle de l’arrestation d’Olawoye et a diffusé le message concernant la nécessité de suspendre son jugement. Il a dit à au moins deux femmes qu’il supervisait qu’il comprenait comment un homme pouvait être tenté de payer pour des relations sexuelles avec une adolescente. Selon ces femmes, Galli a dit qu’il avait lui aussi des pulsions sexuelles inassouvies et que c’était une expérience masculine commune. L’important était d’apprendre à ne pas agir en fonction de ces pulsions.

Toutes deux se demanderont plus tard pourquoi il leur avait dit cela. Toutes deux ont ensuite été touchées de manière inappropriée par le rédacteur en chef de l’époque.

Au total, huit femmes ont déclaré que Galli les avait touchées de manière inappropriée.

Six ont signalé l’incident aux ressources humaines. Une ne l’a pas fait. Pour une autre, l’incident a été signalé par un collègue. Galli n’a reçu aucune réprimande écrite ni aucun avertissement officiel concernant son comportement.

« Les ressources humaines sont censées nous protéger », a déclaré un ancien employé. « Elles sont censées gérer ces situations, mais j’ai vu à maintes reprises que les ressources humaines ont une autorité en titre, mais pas l’autorité pour faire réellement quelque chose. »

Aucune des femmes n’a vu Galli subir de conséquences, et plusieurs d’entre elles ont déclaré qu’il semblait balayer les plaintes d’un revers de la main en les considérant comme une gêne mineure, une différence de génération ou un problème de culture « politiquement correcte ».

Aujourd’hui, Galli considère ces allégations comme des malentendus.

« Je n’ai jamais rien fait de consciemment, délibérément mauvais », a-t-il déclaré au rédacteur de CT news. « Je suis heureux de m’excuser pour les domaines dans lesquels j’ai mal communiqué ou fait croire aux gens une chose alors que j’essayais en fait d’en faire une autre. Je suis heureux de le faire. »

Galli s’est dit frustré que CT ait laissé les malentendus « s’envenimer » et a déclaré qu’il aurait souhaité que le ministère facilite la réconciliation entre lui et les femmes qui l’ont accusé de conduite inappropriée.

« Certaines personnes ont pu interpréter tout type de toucher comme une sollicitation sexuelle », a-t-il déclaré. « Quoi que j’aie fait qui ait pu troubler, offenser, déranger quelqu’un, même deux ans après avoir quitté l’entreprise, j’apprécierais d’avoir la possibilité, même en présence d’une tierce personne, de comprendre ce dont il est question. »

Les récits partagés avec le journaliste de CT News suivent des schémas presque identiques. La plupart des femmes ont dit qu’il avait passé sa main sur le bas de leur dos et touché l’agrafe de leur soutien-gorge.

Certaines disent que son toucher leur semblait sexuel et qu’elles se sont senties abusées. D’autres ne pensent pas que l’intention était sexuelle, mais le fait qu’il ne respecte pas les limites les a dérangées. Il agissait, selon elles, comme s’il pouvait franchir toutes les limites personnelles ou professionnelles qu’il voulait.

Une femme rapporte qu’en 2008 ou 2009, Galli s’est approché d’elle femme devant une photocopieuse et a posé sa main sur le bas de son dos. Selon l’ancienne employée, ce n’était pas manifestement sexuel. Mais cela l’a mise mal à l’aise. « Pourquoi avait-il besoin de toucher le bas de mon dos ? »

La femme a signalé l’incident aux ressources humaines. Elle a rencontré Shields. Le directeur des ressources humaines a pris des notes, dit-elle, et a semblé comprendre pourquoi ce comportement la mettait mal à l’aise.

Puis rien ne s’est passé. Quelques semaines plus tard, dit-elle, Galli l’a approchée et lui a dit : « Viens me parler directement la prochaine fois. » Ce n’est que plus tard qu’elle a réalisé qu’il laissait entendre qu’il y aurait une prochaine fois.

« Je ne me sentais plus à l’aise de parler aux ressources humaines après cela », a-t-elle déclaré.

Une autre ancienne employée a raconté que Galli l’a touchée à deux reprises d’une manière qui ne lui convenait pas, notamment en lui caressant l’épaule nue alors qu’ils étaient assis l’un à côté de l’autre lors d’un événement à la fin des années 2000. Selon des courriels rédigés à l’époque, elle a signalé ce comportement à son supérieur, mais celui-ci a décidé de ne pas déposer de plainte auprès des ressources humaines.

Une troisième femme se souvient qu’en 2012, Galli lui a dit qu’il n’était pas censé la serrer dans ses bras, mais qu’il allait le faire quand même. Elle a senti sa main s’attarder sur l’agrafe de son soutien-gorge.

Une quatrième a déclaré que Galli lui avait caressé le dos et que sa main était restée coincée sous son soutien-gorge. Lorsqu’elle en a parlé à un vice-président, celui-ci a laissé entendre qu’elle avait mal interprété la situation et l’a découragée d’en « faire un problème de ressources humaines ».

« Les mots spécifiques qui m’ont été dits étaient : “Personne ne l’a jamais dénoncé”, “Il n’y a aucune plainte aux ressources humaines contre lui”, “Il a un dossier impeccable” », rapporte la femme. « Je me souviens qu’on me l’a dit de trois manières différentes, et je me suis dit que c’était peut-être moi le problème ».

L’employée est quand même allée voir les ressources humaines. On lui a dit plus tard que, puisque Galli niait les faits, qu’il n’y avait pas de témoins et qu’il n’y avait pas de documentation antérieure sur des attouchements inappropriés, rien ne pouvait être fait.

Galli a confirmé avoir eu de multiples différends pour avoir touché des personnes au travail, mais conteste l’interprétation de ses actes par les femmes.

« Ma main n’a pas pu rester sur son dos plus d’une seconde », a-t-il déclaré au journaliste de CT News. « J’ai manifestement violé son espace. Je suis vraiment désolé pour ça. Je ne sentais pas son soutien-gorge. […] J’essayais juste d’affirmer physiquement que je venais en tant que personne amicale qui voulait avoir une conversation avec elle. »

« Bien sûr, j’ai dépassé des limites »

Après des plaintes répétées auprès des ressources humaines, Galli a envisagé d’instaurer une politique personnelle s’interdisant de toucher les gens au bureau, mais a rejeté l’idée, a-t-il déclaré à CT news. Il touchait les gens pour les encourager, pour créer des liens et pour communiquer efficacement, a-t-il dit, et il a pensé qu’il devrait simplement vivre avec quelques malentendus.

« Bien sûr, j’ai dépassé des limites », dit-il. « Cela ne devrait pas surprendre ceux qui me connaissent que, travaillant là pendant 30 ans, j’aie probablement franchi des limites. Oui, c’est arrivé. Pour être clair, je n’ai jamais eu d’intérêt romantique ou sexuel pour qui que ce soit à Christianity Today. »

Galli a également enfreint d’autres limites. Au début des années 2000, il a dit à une femme qui travaillait sous sa responsabilité qu’il la trouvait attirante, selon cette dernière et six collègues qui étaient au courant à l’époque. Après qu’elle ait démissionné, Galli lui a dit : « Tu es le type de femme avec qui je pourrais avoir une liaison. »

En 2018, Galli a fait irruption dans un bureau où une employée tirait son lait maternel. Une annonce avait été faite pour indiquer que la jeune mère aurait besoin d’intimité et un panneau sur la porte indiquait : « Ne pas déranger. » Galli a regardé le panneau et a dit à haute voix, « Cela ne s’applique pas à moi », selon deux personnes qui étaient là.

L’incident a été signalé aux ressources humaines. Galli n’a pas été officiellement réprimandé ou sanctionné.

Galli n’a pas transgressé les limites avec toutes les femmes avec lesquelles il a travaillé. Plusieurs employées actuelles et passées ont dit avoir eu de bonnes expériences : Galli les a encouragées, formées, promues et a défendu leurs intérêts.

Un plus grand nombre d’entre eux, cependant, affirment qu’il était un patron pour lequel il était difficile de travailler. Hommes et femmes considèrent qu’il avait un fort penchant autoritaire et des humeurs imprévisibles. Il se mettait parfois en colère, réagissait de manière excessive aux critiques, criait et faisait claquer des objets dans le bureau.

Aucun responsable ne semblait reconnaître ce comportement ou contrôler Galli de quelque manière que ce soit, selon les employés en poste et les anciens employés. Il se mettait en colère et plaisantait ensuite en disant qu’il était un mauvais patron comme le personnage de Michael Scott dans la série américaine The Office.

« Le prochain incident sera pris très au sérieux »

Ce statu quo a perduré jusqu’en août 2019, lorsque Galli a été accusé d’avoir touché de manière inappropriée trois femmes en trois jours.

D’abord, il s’est approché d’une femme et l’a enlacée par-derrière par surprise. Un manager l’a vu et l’a signalé aux ressources humaines, selon plusieurs personnes présentes.

Jaime Patrick, qui a succédé à Richard Shields en tant que directeur des ressources humaines en 2019, a transmis le rapport à Timothy Dalrymple, le nouveau président et directeur général. Dalrymple, qui avait été nommé trois mois auparavant, est allé voir Galli et lui a dit que ce comportement était inacceptable. Il s’agissait d’un avertissement verbal.

L’incident suivant s’est produit le jour d’après. Au cours d’une photo de groupe lors d’une sortie publique, Galli a mis son bras autour d’une collègue et a posé sa main sur ses fesses. Il a gardé sa main à cet endroit, a déclaré la femme dans une déclaration écrite aux ressources humaines, jusqu’à ce que la photo soit prise.

Dalrymple a refusé de parler de plaintes spécifiques contre des employés particuliers pour ce reportage. Cependant, selon des personnes au fait de la situation, il a demandé aux ressources humaines de documenter les comportements inappropriés antérieurs et de rechercher les options légales pour suspendre ou licencier Galli. À l’époque, près de 30 ans après l’entrée en fonction de Galli au sein du ministère, un membre du personnel des ressources humaines n’a retrouvé aucune preuve d’action disciplinaire contre lui.

Avant toute autre avancée dans le dossier, les ressources humaines ont reçu une troisième plainte d’une femme qui a déclaré que Galli l’avait saisie par les épaules et l’avait secouée pendant qu’il lui racontait une histoire.

Dalrymple a émis un avertissement formel. Galli a déclaré avoir signé une déclaration reconnaissant la réprimande. C’était la première fois qu’une plainte laissait une trace dans son dossier auprès des ressources humaines.

Selon les meilleures pratiques en matière de ressources humaines, les conséquences d’une mauvaise conduite doivent être claires et progressives, explique Shah, l’expert de HR Source. En général, une première et une deuxième infraction donnent lieu à un avertissement, une troisième à une suspension, puis à un dernier avertissement et, finalement, à un licenciement.

Une enquête et toute mesure corrective doivent également être soigneusement documentées, ajoute-t-il, afin qu’une organisation puisse démontrer devant un tribunal qu’elle a sanctionné les individus de manière cohérente, indépendamment de leur statut ou d’autres facteurs, et qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable pour protéger ses employés.

« Dire, “Hé, ne refais pas ça” n’est pas suffisant », souligne Shah. « Ce n’est pas pris au sérieux ».

Galli, cependant, n’avait pas reçu plus que des réprimandes verbales avant l’avertissement de Dalrymple.

« Le prochain incident », a dit un membre du personnel des ressources humaines à l’une des femmes qui a déposé une plainte en 2019, « sera pris très au sérieux. »

Galli a annoncé sa retraite deux mois plus tard, en octobre 2019. En décembre, il a publié un éditorial appelant à la destitution de Donald Trump. En janvier 2020, il a pris sa retraite.

Un autre incident s’est toutefois produit en 2021. Lors d’un rassemblement à Wheaton, dans l’Illinois, Galli a pris dans ses bras une employée actuelle et a fait courir sa main dans son dos.

« Il m’a vraiment pelotée », a-t-elle dit au journaliste de CT News.

Puis il s’est reculé et l’a regardée de haut en bas. Elle a interprété ce regard comme étant « ouvertement sexuel ». Même si elle ne pensait pas pouvoir faire quoi que ce soit, puisqu’il s’agissait d’un ancien employé, elle a signalé l’incident à son directeur, qui a transmis la plainte à Dalrymple.

Après cela, plusieurs femmes, dont l’éditrice de contenus en ligne Palpant Dilley, ont poussé CT à engager une société externe pour évaluer pourquoi le harcèlement sexuel venant de Galli avait pu se poursuivre sans contrôle pendant si longtemps.

« Nous avons besoin de protocoles et de procédures vraiment robustes pour que, lorsque des personnes défaillent, les systèmes derrière ces personnes ne défaillent pas », déclare Palpant Dilley. « Nous devons avoir des mécanismes de contrôle et de contrepoids. En tant que chrétiens, nous devrions avoir une vision forte et réaliste de la nature humaine, qui tienne compte de l’échec humain et nous y prépare. »

La société de conseil Guidepost Solutions a été engagée en septembre 2021 pour examiner la manière dont CT avait traité les plaintes pour harcèlement, évaluer les politiques et procédures du ministère et recommander des changements concrets.

Le 13 mars, Guidepost a conclu que, bien qu’il n’y ait pas de « modèle ou de culture plus large de harcèlement systémique », CT pourrait faire mieux.

« La réponse institutionnelle déficiente de CT aux accusations de harcèlement pourrait avoir été influencée, en partie, par un sexisme inconscient », indique le rapport. Les dirigeants du ministère « ont parfois essayé de minimiser ou de rationaliser » le harcèlement sexuel, le traitant comme rien de plus que le comportement « d’un homme plus âgé qui n’était pas en phase avec les mœurs actuelles du lieu de travail », au lieu de reconnaître qu’il était « inapproprié selon toutes normes, pour n’importe quelle personne ».

Guidepost a recommandé à CT d’améliorer sa réponse en matière de ressources humaines en créant un système de signalement anonyme et en mettant en place des procédures fixes pour les enquêtes. L’examen externe a noté que CT n’avait « aucune disposition régissant la confidentialité » autour des enquêtes relatives aux ressources humaines.

Dalrymple a déclaré que CT mettra en œuvre les recommandations et examinera d’autres changements potentiels au cours des six prochains mois.

« Les pratiques en matière d’emploi ont une raison d’être », a-t-il déclaré, « et je pense que nous devons être clairs avec nos employés : les personnes qui signalent une mauvaise conduite sont les bienvenues, elles seront à l’abri des représailles et leurs préoccupations seront prises au sérieux. »

Des problèmes culturels plus larges

Aucune des personnes lésées à CT ne pense que la culture du ministère est spécifiquement sexiste. Certains ont eu des expériences pires dans d’autres lieux de travail chrétiens. Mais le sexisme a néanmoins imposé un fardeau supplémentaire aux femmes, qui représentent aujourd’hui plus de la moitié du personnel de CT.

Les hommes du ministère partaient généralement du principe que les femmes célibataires voulaient toujours se marier et avoir des enfants, selon des employés actuels et passés. Et les responsables du ministère supposaient que les mères de famille de l’entreprise donneraient tellement la priorité à leur famille que leur travail ne pourrait jamais être aussi important pour elles que pour leurs collègues masculins.

Employés en poste et ex-employés disent qu’il y a toujours eu des problèmes avec des hommes prenant le pas sur les femmes dans les réunions. Et il était accepté que certains hommes de la direction affirment que les différences biologiques entre les sexes touchent aussi l’intelligence et que les hommes sont peut-être simplement plus intelligents.

Quelques anciens employés imputent ce sexisme à la culture évangélique, affirmant que ses normes en matière de genre peuvent brouiller les lignes entre un comportement acceptable et un comportement inacceptable.

Agnieszka Zielińska, une ancienne rédactrice de CT qui a depuis quitté le christianisme et se considère comme « une agnostique heureuse », revient sur son expérience au sein de l’entreprise de 2000 à 2006 et constate des problèmes flagrants.

« La culture évangélique a tendance à encourager la sincérité et l’ouverture sans limites clairement fixées », dit-elle. « Elle encourage le traitement des collègues de travail comme des membres de la famille. Cela peut sembler sympathique. Mais cela peut aussi créer des problèmes, comme le non-respect des limites professionnelles au travail. »

D’autres, cependant, ont été déçus par l’incapacité du ministère à respecter ses engagements chrétiens et la mission spécifique de CT. Plusieurs pointent du doigt un éditorial de 2015 où CT appelait à ce qu’émergent des « témoins honnêtes des échecs moraux ».

L’article expliquait que les scandales touchant des leaders évangéliques individuels étaient un réel problème, mais que le fait que de nombreuses personnes aient su et n’aient rien fait était aussi réellement dévastateur.

« Si vous savez quelque chose, parlez-en à quelqu’un » écrivait Ted Olsen, qui était à l’époque éditeur responsable des actualités et aujourd’hui éditeur exécutif de CT. « Si vous espérez que quelque chose se résoudra tout seul, vous devriez plutôt craindre que cela ne provoque une terrible explosion. Si vous priez pour que Dieu mette quelque chose en lumière, écoutez son appel à ne pas prendre part aux œuvres infructueuses des ténèbres, mais au contraire à les exposer (cf. Ep 5.11). »

La nouvelle d’une évaluation externe a été accueillie avec prudence par la plupart des personnes concernées chez CT. Si l’engagement de Dalrymple en faveur de la transparence a suscité un certain espoir, une bonne part de scepticisme subsiste.

Les employés actuels et passés disent craindre que le ministère ne soit trop prompt à penser que tous ses problèmes appartiennent au passé. Ils s’inquiètent de ce qui se passera la prochaine fois que quelqu’un se plaindra auprès des ressources humaines. Ils craignent qu’il soit trop facile de détourner le regard, trop facile de laisser d’autres hommes franchir d’autres limites, et trop facile de ne pas leur demander de comptes.

« Je suis à court de grâce pour cela », déclare Joy Beth Smith, directrice des projets créatifs, « et honnêtement, je ne sais pas si l’institution est dans le même cas ».

Traduit par Léo Lehmann

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Books

Des chrétiens africains face aux coups d’État

Une série de soulèvements militaires dans un Sahel en proie à la pauvreté et aux djihadistes ont fragilisé la démocratie. Troublent-ils également les croyants ?

Un jeune garçon regarde une affiche présentant le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, nouvel homme fort et chef de la junte au Burkina Faso, devant la grande mosquée de Ouagadougou après la prière du vendredi, le 28 janvier 2022.

Un jeune garçon regarde une affiche présentant le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, nouvel homme fort et chef de la junte au Burkina Faso, devant la grande mosquée de Ouagadougou après la prière du vendredi, le 28 janvier 2022.

Christianity Today March 19, 2022
John Wessels / AFP / Getty Images

L’Afrique est victime d’une « épidémie » de coups d’État militaires, déclarait en octobre le secrétaire général des Nations unies. Au cours des 18 derniers mois, des gouvernements ont été renversés au Mali (deux fois), au Tchad, en Guinée, au Soudan et tout récemment au Burkina Faso. Au moins trois autres tentatives ont été déjouées à Madagascar, en République centrafricaine et au Niger.

Avec une moyenne de deux par an au cours de la dernière décennie, il s’agit de la plus forte poussée en Afrique depuis 1999.

Comment les chrétiens de ces pays réagissent-ils ?

Abel Ngarsouledé, du Tchad, où environ 45 % des habitants de cette nation à majorité musulmane sont chrétiens, fait face à cette réalité.

« [I]l ne m’appartient pas de soutenir un coup d’État militaire dans mon pays », explique le secrétaire général de l’école doctorale de l’Université évangélique du Tchad. Cependant, « s’il veut écarter un roi de son trône, [Dieu] utilise tous les moyens en son pouvoir pour atteindre ses objectifs afin de rétablir sa crainte et la justice dans le pays ».

Lorsque le président tchadien a été tué sur le champ de bataille en avril 2021, l’armée a rapidement placé son fils à la tête d’un Conseil militaire de transition de 15 membres devant gouverner pendant 18 mois, renouvelable une fois. La promesse d’organiser un dialogue national a été suivie d’invitations adressées à des groupes rebelles, des hommes politiques, des représentants de la société civile, des universitaires et des responsables religieux.

Ngarsouledé a accepté l’invitation.

La rencontre ayant été reportée au mois de mai, il participe pour l’instant à deux comités dans le cadre d’un processus qui doit favoriser la réconciliation, la cohésion sociale et la tenue de nouvelles élections. Il n’y a aucune garantie que tout cela se produise, dit-il, et il demande la prière.

Également coordinateur adjoint du Conseil des institutions théologiques en Afrique francophone (CITAF), Ngarsouledé rappelle qu’à certains moments du récit de l’Ancien Testament Dieu a utilisé des prophètes ou des prêtres pour déposer des rois. Si c’est aujourd’hui par la prière que nous devons agir, le résultat final n’est pas sa préoccupation majeure.

« La forme de l’État n’est pas l’objet d’un enseignement biblique », dit-il, soulignant avant tout la préoccupation de Dieu pour la paix et la justice. « Ce sont les hommes qui adoptent telle forme ou telle autre de gouvernance selon l’orientation de leur cœur ».

Si l’opinion de Ngarsouledé ne reflète pas la défense absolue de la démocratie affichée par bon nombre de chrétiens occidentaux, il n’est pas le seul responsable chrétien africain dans ce cas.

« Parmi les formes de gouvernance évoquées (démocratie et autocratie), la démocratie semble être la mieux indiquée à l’instant », dit Samuel Korgo, directeur de l’Institut d’enseignement théologique et artistique (INSETA) au Burkina Faso. « Sauf que certains coups d’État viennent soulager les populations de certains régimes autoritaires, corrompus et incapables ».

C’est la raison pour laquelle la population a bien accueilli le coup d’État du 23 janvier dernier dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.

Cela inclut les chrétiens, affirme Korgo, également pasteur des Assemblées de Dieu. Bien qu’ils ne représentent que 30 % de la population, les chrétiens burkinabés ont toujours été à l’avant-garde du gouvernement. Cela n’a pas pour autant favorisé la démocratie : la nation a été sous régime militaire pendant 48 de ses 61 années d’indépendance, subissant huit coups d’État dans son histoire — un record pour le continent.

Une certaine inquiétude commence toutefois à apparaître. La situation après les coups d’État successifs au Mali voisin, dit Korgo, notamment avec les sanctions imposées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), préoccupe les Burkinabés.

Le coup d’État compromet également ce qui paraissait un développement démocratique prometteur, puisque 86 % des habitants du pays considéraient les élections de 2020 comme « libres et équitables ». Mais depuis lors, l’insurrection djihadiste qui a déplacé 1,5 million de personnes s’est encore accentuée. Plus de 3 000 écoles ont été fermées, et près d’un cinquième de ses 22 millions d’habitants a désormais besoin d’une aide humanitaire.

La junte a promis de rétablir le contrôle sur la situation.

Ne vous y fiez pas, prévient Lawrence Gomez, secrétaire régional associé de la branche ouest-africaine de l’International Fellowship of Evangelical Students (GBU), affiliée à InterVarsity.

« C’est la responsabilité des militaires d’assurer la sécurité », souligne-t-il, depuis son domicile en Gambie. « S’ils ont échoué, ils ne peuvent pas me dire qu’ils feront mieux s’ils sont au gouvernement ».

De fait, la junte a reconduit le même ministre de la Défense.

La première chose que font les auteurs de coup d’État, dit Gomez, est de consolider leur pouvoir. Le développement devient alors une préoccupation secondaire et les élections promises ne sont qu’un moyen d’éviter la condamnation internationale.

Contrairement à la tendance apparente sur le continent, la Gambie est l’une des réussites démocratiques de l’Afrique. Une révolution populaire a délogé le président en place depuis 20 ans en 2017, après qu’il ait tenté de renverser une défaite électorale.

L’année dernière, le Malawi, la Zambie et la Tanzanie ont connu une transition pacifique du pouvoir. Depuis 2015, on peut également citer le Liberia, la Sierra Leone et le Nigeria. Sur l’ensemble du continent, 73 % des Africains souhaitent choisir leurs propres dirigeants et 76 % veulent une limitation des mandats.

En réalité, selon l’Institut d’études de sécurité, le continent est plus démocratique que d’autres régions, compte tenu de son niveau de développement.

Mais le problème, selon Gomez, est que trop de gouvernements ne font rien pour améliorer le statu quo. La démocratie elle-même ne résout pas les problèmes, et peut même laisser libre cours à des maux sociaux que la Bible condamne. Mais elle donne au moins le choix au peuple.

« Ce n’est pas parce que quelqu’un fait quelque chose de mal qu’il faut faire le mal pour le réparer », dit-il. « Le pire des dirigeants civils vaut mieux que le meilleur des dirigeants militaires ».

Pas nécessairement, estime Illia Djadi, analyste principal de Portes Ouvertes pour la liberté religieuse en Afrique.

« Militaire ou civil, ce n’est pas la question principale », affirme-t-il. « Il s’agit de savoir qui va aider à vivre en paix ».

Djadi relève que la plupart des tentatives de coup d’État récentes ont eu lieu dans la région du Sahel, région instable et frappée par la pauvreté, y compris dans son propre pays, le Niger. Seuls quatre mois de précipitations déterminent la production agricole annuelle, ce qui exacerbe ici le sous-développement dont souffrent déjà de nombreux pays d’Afrique.

Mais le fléau du djihadisme a tué 1 300 civils rien qu’au Mali, au Niger et au Burkina Faso l’année dernière, atteignant un total de 3 500 victimes depuis 2015. Les populations en ont assez.

« Attendons de voir si ces coups d’État changent les choses en bien, sur le terrain », dit-il. « Ce n’est pas le rôle des chrétiens de soutenir ou de s’opposer ».

À la place, Djadi compte plutôt sur la responsabilité de la communauté internationale.

Les nations occidentales doivent apporter leur aide. Mais répétant les mêmes erreurs qu’en Irak, elles se concentrent principalement sur la réponse militaire au djihadisme. Pourtant, c’est leur intervention en Libye qui a provoqué le chaos régional, entraînant la poussée de l’extrémisme islamique vers le sud du Sahel.

Le Mali est en train de chasser ses partenaires français dans la lutte contre le terrorisme, tandis que des troupes mercenaires russes entrent dans le pays. L’influence russe s’étend déjà en Libye et en République centrafricaine, et des rumeurs à ce sujet circulent au Burkina Faso, au Soudan, au Tchad et au Mozambique.

La population ne s’intéresse pas à la géopolitique, affirme Djadi. Simplement désireuse de sécurité, elle souffre du poids des sanctions économiques punitives. La CEDEAO a adopté une approche différente avec chaque coup d’État, en fonction de la volonté de travailler ensemble à la restauration démocratique.

Djadi s’oppose fermement à ces sanctions et appelle à une plus grande coopération en matière de développement. L’Église est un partenaire compétent — lorsqu’elle n’est pas la cible d’attaques — qui contribue au bien-être socio-économique grâce à ses nombreuses écoles, hôpitaux et organisations d’aide.

« Il est de la responsabilité de l’Église mondiale de soutenir le corps du Christ », déclare-t-il. « Mais le Sahel ne reçoit pas l’attention qu’il mérite ».

John Azumah, directeur de l’Institut Lamin Sanneh de l’Université du Ghana, est d’accord avec une grande partie de ces affirmations. Les sanctions économiques sont préjudiciables. Dans le Sahel, la sécurité est une nécessaire priorité pour les chrétiens. Et les gouvernements africains n’ont pas réussi à soutenir la démocratie par le développement.

Il réfléchit cependant aux deux décennies de gouvernance multipartite réussie de son pays, et à l’origine de cette réussite. Le Ghana est au troisième rang des tentatives de coup d’État en Afrique, avec 10 tentatives, dont cinq ont été couronnées de succès.

Les juntes n’apportent pas la stabilité qu’elles promettent.

« L’Église a été à l’avant-garde de la lutte contre la dictature », selon Azumah. « Mais elle n’a pas été en profondeur, et nos séminaires ont échoué en matière de théologie publique ». La démocratie est certainement le système de gouvernement le plus approprié pour l’Afrique, dit-il, car elle garantit les libertés et soutient les communautés minoritaires. Mais elle a également été un vecteur de corruption, et l’Église a souvent été impliquée.

Même lorsqu’elle n’était pas impliquée dans la corruption, elle s’est régulièrement rangée du côté du pouvoir.

« L’Église n’a pas à se mobiliser pour la démocratie, mais à se mobiliser pour le peuple », estime Azumah, soulignant la nécessité d’être non partisan. « Préservez les principes malgré les désillusions de la nation, mais dénoncez toujours les abus. »

Le pessimisme à propos de la démocratie est omniprésent en Afrique et dans le monde. L’organisation Freedom House a récemment enregistré la quatorzième année consécutive de déclin démocratique mondial. Sur les douze plus fortes baisses, sept concernent l’Afrique subsaharienne. Seuls 9 % des habitants du continent vivent dans sept nations considérées comme « libres », le chiffre le plus bas depuis 1991.

De même, Afrobarometer observe que sur 15 nations étudiées depuis 2011, seule la Sierra Leone a enregistré une hausse du soutien aux élections. Et dans 34 pays, seuls 43 % des citoyens sont satisfaits du fonctionnement de leur démocratie.

C’est pour cette raison que Ngarsouledé s’est engagé.

Dirigeant des équipes de travail et rapporteur d’une équipe de réconciliation nationale, il interagit avec des officiers supérieurs de l’armée, des responsables gouvernementaux, des universitaires, des hommes d’affaires et des militants de la société civile. Si les discussions sont ouvertes et que l’engagement en faveur de la liberté religieuse est bien présent, le partisanisme est aussi parfois une réalité.

« Dieu me donne la grâce d’être écouté », dit-il, « mes interventions ont un impact positif dans le contexte de la transition actuelle ».

La plupart des sources font état d’une prise de conscience croissante des chrétiens de la nécessité de s’engager en politique. Malgré ses critiques, Azumah insiste sur cette question dans les séminaires du Ghana. Gomez vise à élever une nouvelle génération de leaders parmi ses étudiants. Et Korgo affirme que la dynamique holistique de l’Évangile nécessite que les chrétiens luttent contre la pauvreté et la corruption.

Mais les pasteurs, disent-ils, doivent éviter de s’engager publiquement en politique.

Les opinions des responsables chrétiens africains varient en ce qui concerne la démocratie et les coups d’État militaires. Mais quel que soit le système, l’expression politique de la nature pécheresse de l’être humain ne se limite bien sûr pas à l’Afrique.

« Citoyen du ciel, je sers Dieu au sein de ma nation et au-delà, sur la base des valeurs chrétiennes », dit Ngarsouledé. « [C]’est bien parmi cette génération corrompue et perverse que le chrétien est appelé à vivre sa foi. »

Traduit par Léo Lehmann

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Qui suis-je pour diriger ?

Certaines personnes ont besoin de mises en garde face aux dangers de la lumière des projecteurs. D’autres doivent être encouragées à prendre les devants.

Christianity Today March 16, 2022
Portrait par Joel Kimmel.

« Ô fragile personne, cendre (issue) de la cendre, corruption (issue) de la corruption, dis et écris ce que tu vois et entends. Mais parce que tu es timide dans le langage, inhabile dans l’exposition, ignorante de la manière d’écrire ces choses, dis-les, écris-les, non d’après l’élocution humaine ou l’inventivité humaine, mais d’après ce que tu vois et entends dans les splendeurs célestes, dans les merveilles de Dieu […] Ô femme, dis ce que tu vois et entends. Écris-le, non selon toi, mais d’après la volonté de Celui qui sait, voit et dispose toutes choses dans le secret de ses mystères. » Hildegarde de Bingen, préface du Scivias.

De Grégoire le Grand dans sa Règle pastorale à Henri Nouwen dans Au nom de Jésus, de nombreux écrivains et penseurs mettent en garde les dirigeants chrétiens contre les dangers de l’ambition et l’attrait de la gloire. Dans Subterranean : Why the Future of the Church Is Rootedness (« Sous la surface : Pourquoi l’avenir de l’Église est dans les racines »), le pasteur et auteur Dan White Jr rapporte son combat contre cette tentation alors qu’il commençait son ministère : « Les pasteurs de ma jeunesse étaient des superstars pour moi. Écouter une voix retentissante, élevée sur une estrade […] rendait presque impossible de résister à cette puissante dynamique. »

Il rattache son expérience au concept d’angoisse du statut social (status anxiety) d’Alain de Botton, défini par de Botton comme « une angoisse de ce que les autres pensent de nous ; de savoir que nous sommes jugés comme quelqu’un qui réussit ou qui échoue, un gagnant ou un perdant. » Pourtant, pour moi, l’idée d’angoisse du statut évoque quelque chose auquel Botton n’avait peut-être pas pensé. Certains, comme le confesse White, sont angoissés à l’idée de se voir refuser un certain statut social. D’autres, comme moi, sont angoissés à l’idée de le recevoir.

De nombreux leaders sont ambitieux et confiants de nature. Nous avons besoin de leur leadership. Et je suis aussi heureuse que des ressources soient disponibles pour aborder le côté obscur de ces traits de personnalité. Mais en tant que femme et artiste introvertie, « douée » pour voir mes propres insuffisances, les avertissements aux pasteurs en quête de statut social, comme celui de s’humilier et d’écouter avant de parler, m’ont simplement offert de bonnes raisons de rester tranquille. Les mises en garde contre la recherche de gloire m’ont en réalité découragée de poursuivre ma vocation.

Je viens d’Australie, où l’on décourage les gens qui voudraient se démarquer. Je viens également d’un milieu confessionnel qui décourage les femmes en position de leadership. Je suis de nature serviable et pacifique, quelqu’un qui pense et qui ressent les choses profondément, et je suis particulièrement susceptible d’être submergée par les opinions des autres et par mes propres émotions et instincts. Tous ces aspects de ma personnalité, de ma culture et de mon expérience me donnent envie de rester de mon côté, de servir en arrière-plan et d’éviter les risques. Mais Dieu m’a quand même appelée à diriger.

Quand j’étais pasteure assistante, mon travail me semblait faisable. Je coordonnais des bénévoles, planifiais des événements et dirigeais des groupes de prière — j’avais déjà vu des gens comme moi faire ce genre de choses auparavant. Mais quand j’ai été invitée à remplir le rôle de pasteure principale, la panique s’est installée. Je n’avais jamais vu quelqu’un comme moi prêcher, diriger une réunion d’anciens ou définir une vision d’Église. Je craignais d’échouer et d’emporter toute l’Église avec moi.

Malgré mes réticences, j’ai accepté le rôle sous l’impulsion de Dieu. J’ai décidé que le plus simple serait de continuer à tout faire comme mon ancien pasteur principal le faisait. Je pensais pouvoir faire semblant d’être un leader apostolique extraverti et simplement préserver sa vision de l’Église.

Mais je vivais un conflit intérieur. Je ne dirigeais pas à ma façon, et il fallait que ça change, même si je risquais d’être mal comprise et d’échouer. Pourtant, mes blocages ont persisté. Est-ce que ma communauté saurait quoi faire avec une responsable comme moi ?

« Ô fragile personne… »

À cette époque, j’ai lu le Scivias de l’abbesse, artiste et visionnaire du 12e siècle Hildegarde de Bingen. Hildegarde est née dans une famille noble à Mayence, en Allemagne, en 1098. À 8 ans, elle est devenue femme de chambre et apprentie chez une religieuse. Hildegarde a commencé à avoir des visions lorsqu’elle était enfant, mais ce n’est qu’à un âge mûr qu’elle a commencé à comprendre leur signification. Elle a détaillé cette révélation dans Scivias, illuminant le manuscrit d’un autoportrait dans lequel elle est assise, écrivant et « enflammée par une lumière ardente » rappelant les langues de feu de la Pentecôte. Elle décrit la révélation de cette manière :

« Voici, dans la quarante-troisième année de mon parcours terrestre [… J’entendis] une voix du ciel me dire : Ô toi, personne fragile, cendre (issue) de la cendre, corruption (issue) de la corruption, dis et écris ce que tu vois et entends. Mais parce que tu es timide dans le langage, inhabile dans l’exposition, ignorante de la manière d’écrire ces choses, dis-les, écris-les, non d’après l’élocution humaine ou l’inventivité humaine, mais d’après ce que tu vois et entends dans les splendeurs célestes, dans les merveilles de Dieu… »

J’appréciais déjà Hildegarde pour sa place parmi les saints et sa prolificité en tant qu’érudite. Elle a fondé des abbayes pour hommes et pour femmes et était une peintre douée, compositrice, théologienne, docteure en médecine naturelle et conseillère d’évêques et de rois.

Mais je ne connaissais pas les hésitations, les peurs et les insécurités de cette importante dirigeante. Plus loin dans ce même passage, elle explique que ses inquiétudes sur la façon dont elle serait perçue l’ont rendue physiquement malade durant de nombreuses années.

Ses craintes n’étaient pas infondées. Ses visions étaient controversées. Elle affirmait non seulement qu’elles venaient de Dieu, mais aussi que les interprétations qu’elle en avait venaient également de Dieu. Quand elle obéit finalement à l’appel de Dieu d’écrire et de parler, elle appela ce moment de sa vie son « réveil ».

Miniature du Scivias dans le Codex de RupertsbergRobert Lechner / Wikimedia Commons
Miniature du Scivias dans le Codex de Rupertsberg

Je me suis souvent demandé si mes doutes et ma peur signifiaient que je n’étais pas censée diriger. Cela a provoqué une crise en moi parce que, d’une part, je sentais l’appel de Dieu à être un leader et, d’autre part, je savais que je n’étais pas à la hauteur. Cela m’empêchait d’embrasser pleinement ma vocation.

L’exemple d’Hildegarde m’a rappelé la possibilité que je puisse me sentir désespérément faible et pourtant persévérer dans mon ministère. Dieu n’a pas encouragé Hildegarde en lui disant qu’elle était plus forte et plus capable qu’elle ne le pensait. Selon la description qu’Hildegarde fait de son « réveil », Dieu a attiré son attention en commençant par ces mots : « Ô fragile personne ».

« Je t’aiderai à parler »

L’appel de Dieu à la réticente Hildegarde fait penser à l’appel de personnages bibliques comme Esther, Jérémie et Moïse. Chacun de ces dirigeants a hésité lorsqu’il a été appelé. Lorsque Jérémie fut appelé à être le prophète de Dieu, il recula en disant : « Je ne sais pas parler ; je suis trop jeune » (Jr 1.6). J’imagine qu’il espérait que Dieu répondrait par « Non, tu es assez âgé. Tu es capable. Tu as beaucoup de talent. Tu peux le faire ! » Au lieu de cela, Dieu conduisit Jérémie à détourner ses yeux de lui-même.

Christopher J. H. Wright écrit dans son commentaire sur Jérémie : « Dieu ne réprimande pas Jérémie, mais rejette simplement son argument : ce qu’il dit est vrai, mais sans pertinence. Ce qui importait n’était pas l’assurance de Jérémie (ou son manque d’assurance), mais le commandement de Dieu. Les déclarations de Dieu ne commencent pas, comme Jérémie aurait peut-être préféré, par “Tu”, mais par “Je” : “Je suis avec toi” (v. 8), “J’ai mis mes paroles dans ta bouche” (v. 9), “Je t’établis sur des nations et des royaumes” (v. 10). »

Le « réveil » d’Hildegarde à l’appel de Dieu est similaire à celui de Jérémie. Elle avait sans aucun doute une grande intelligence et beaucoup de talent, mais ces aptitudes la rendaient vivement consciente de sa propre insuffisance. Peut-être cette humilité était-elle d’ailleurs la raison pour laquelle Dieu l’appelait. Au lieu de lui dire de mettre de côté cette intuition, il confirma son auto-évaluation : ses propres forces ne sont pas suffisantes.

Les paroles de Dieu à Moïse depuis le buisson ardent étaient également vraies pour Hildegarde, et elles sont certainement vraies pour moi et pour tous ceux qu’il appelle au leadership :

« Qui a donné une bouche à l’homme ? Qui rend muet ou sourd, capable de voir ou aveugle ? N’est-ce pas moi, l’Éternel ? Maintenant, vas-y ! Je serai moi-même avec ta bouche et je t’enseignerai ce que tu devras dire. » (Ex 4.11-12)

Pour ceux d’entre nous qui, comme Jérémie et Hildegarde, connaissent leurs limites et ressentent intensément les risques, l’appel du Seigneur est une occasion de lui remettre notre énergie et nos talents, si petits puissent-ils paraître, et d’avoir confiance qu’il nous donnera tout ce dont nous avons besoin pour faire les choses qu’il veut que nous fassions.

Un dernier élément de ces histoires de leaders réticents mérite d’être souligné : l’appel et la provision de Dieu n’ont pas fait taire les voix adverses. Moïse a subi l’opposition du pharaon endurci ; Jérémie a dû faire face au rejet tout au long de sa vie et a été banni du peuple de Dieu ; dans la dernière année de sa vie, les supérieurs d’Hildegarde la placèrent sous interdit, et on lui refusa l’Eucharistie et la musique. Mais chacun d’eux a persévéré.

En disant oui à l’appel de Dieu, même quand cela me conduit à un inconfort, je m’habitue peu à peu à l’inconfort. Et chaque fois que j’accepte de suivre Dieu dans un endroit où il y a de l’opposition (directe ou indirecte, interne ou externe), il m’invite à réfléchir : « Qui dis-tu que je suis ? Rappelle-moi encore une fois ton appel ».

Chaque défi m’enseigne encore et encore à croire que Dieu me connaît mieux que je ne me connais moi-même et qu’il m’a appelée à diriger comme la femme introvertie et l’artiste que je suis.

L’héritage d’Hildegarde a survécu aux paroles et à l’œuvre de nombre de ses contemporains. Sa musique est encore chantée, ses écrits sont encore lus et ses révélations sont encore étudiées. Des responsables de toutes sortes d’Églises pourront trouver un encouragement dans le fait qu’une personne qui a porté tant de fruits pour le royaume de Dieu était, à un moment donné, incapable d’imaginer comment Dieu pourrait l’utiliser.

Mandy Smith est pasteure principale de la University Christian Church à Cincinnati et autrice de The Vulnerable Pastor: How Human Limitations Empower Our Ministry (« Le pasteur vulnérable : comment les limitations humaines renforcent notre ministère », IVP Books).

Traduit par Sandrine Dewandeler pour le blog Servir Ensemble

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Books

L’Église éthiopienne appelle à l’aide pour nourrir les gens et les animaux.

Alors que la crise climatique dévaste la région, des chrétiens partagent leurs pâturages

Christianity Today March 12, 2022
Elias Meseret / AP Images

Sur une photo, des dizaines de bovins au teint pâle gisent morts ou mourants dans une chaleur accablante. Sur une autre, une vache dont les os ressortent sous la peau boit dans un bol d’eau en plastique vert fourni par son propriétaire.

« La situation est déchirante et douloureuse », déclare Yishak Yohanes Dera, président du synode d’Éthiopie du Sud de l’Église évangélique éthiopienne Mekane Yesus (« Le lieu de Jésus »).

En tant que haut responsable de l’une des principales Églises protestantes d’Éthiopie, qui compte plus de 10 millions de membres, Dera lance un appel à l’aide pour éviter la famine dans quatre des régions de basse altitude du pays. Ces régions sont en proie à une sécheresse dévastatrice.

Il s’adresse aux agences humanitaires, aux organisations confessionnelles et aux organismes gouvernementaux, leur demandant de « venir à Borena et de sauver la vie de notre peuple ».

L’Église, qui fait partie de la Fédération luthérienne mondiale et a des liens avec les luthériens du synode du Missouri et l’Église réformée d’Amérique, a dépêché son organisation humanitaire et de développement pour travailler dans la zone de Borena, dans la région d’Oromia. Il s’agit de l’une des régions les plus touchées.

Rien qu’à Borena, 420 000 personnes ont besoin d’une aide alimentaire urgente, indique Dera, tandis que plus de 400 écoles n’ont pas d’eau et que la plupart des enfants sont partis.

« La situation devrait s’aggraver », nous explique-t-il. « Pendant cette période de disette, on s’attend à ce que davantage d’animaux meurent. Cela pourrait pousser de nombreux enfants, femmes et personnes âgées vers la famine et une mort prématurée. »

Plus de 90 % des 1,2 million d’habitants de Borena vivent de leurs troupeaux de moutons, de bovins, de chèvres et de chameaux. La perte d’eau entraîne la perte du bétail, et la perte du bétail entraîne la perte des moyens de subsistance.

En juin 2021, World Vision rapportait que dans six pays d’Afrique de l’Est, plus de sept millions de personnes sont au bord de la famine dans une crise causée par le changement climatique, le COVID-19 et les conflits militaires en cours.

Dans la région d’Oromia et la région Somali voisine, l’UNICEF a signalé en février que près de 250 000 enfants souffraient de malnutrition et que 6,8 millions de personnes dans les quatre régions touchées — Oromia, Somali, Afar et la région des nations, nationalités et peuples du Sud — auraient besoin d’une aide humanitaire d’ici la mi-mars.

L’UNICEF a averti que les enfants risquaient de contracter la diarrhée, une cause majeure de décès chez les enfants de moins de cinq ans, en buvant de l’eau contaminée.

« En tant qu’humain, il est si triste de voir une telle catastrophe », déclare Wondimu Wallelu, un responsable de la Commission du développement et des services sociaux de l’Église évangélique éthiopienne qui travaille à l’acheminement de l’aide à Borena. « D’un autre côté, il est réjouissant d’avoir la possibilité d’atteindre ces communautés grâce à l’aide de nos partenaires. »

La commission a reçu une subvention de 23,5 millions de birrs (environ 470 000 dollars) de l’agence d’aide de l’Église protestante allemande, Brot für die Welt (« Pain pour le monde »), pour aider à nourrir la population de Borena. L’argent servira à fournir de la nourriture aux enfants et aux femmes qui allaitent et du fourrage pour le bétail, ainsi qu’à réhabiliter les puits qui se sont asséchés.

Mais les besoins sont énormes, et difficiles à combler, tant pour les humains que pour les animaux.

Plus de 240 000 animaux sont morts de faim dans le sud de l’Éthiopie ces derniers mois, et plus de deux millions de balles de foin sont nécessaires pour maintenir les survivants en vie.

L’organisation humanitaire de l’Église et les 16 autres agences d’aide opérant à Borena ne sont actuellement en mesure d’en fournir qu’environ 154 000, selon Wallelu.

L’Oromia, qui est la province d’origine du Premier ministre Abiy Ahmed, connaît bien les calamités naturelles, notamment les invasions de criquets, les broussailles épineuses envahissantes qui prennent le dessus sur les pâturages, et la sécheresse. Mais ces derniers temps, la fréquence et l’intensité des sécheresses ont augmenté, explique Wallelu.

« Aux 19e et 20e siècles, les sécheresses survenaient une fois tous les huit ans, et leur impact était relativement insignifiant », raconte-t-il. « Dernièrement, la sécheresse s’est produite tous les deux ans ».

Ce phénomène n’est pas une surprise. Il y a dix ans, l’Agence américaine pour le développement international analysait les tendances en Éthiopie et constatait que « le réchauffement substantiel de l’ensemble du pays a exacerbé la sécheresse. » Si les tendances se poursuivent, déclarait l’agence américaine, « le réchauffement intensifiera les conséquences des sécheresses ».

Les chrétiens de Borena prient, s’encouragent mutuellement et partagent ce qu’ils ont. Les districts qui ont encore des pâturages disponibles invitent leurs voisins à amener leur bétail, rapportent les responsables de l’Église évangélique éthiopienne.

Dans la paroisse de Killenso, par exemple, une congrégation de Turkuma accueille 10 familles et leurs 300 bovins d’un district voisin.

Dans la ville de Yavelo, les fidèles ont collecté 120 000 birrs (environ 2 300 $) au cours d’un seul service dominical pour contribuer aux efforts de secours.

Il s’agit de petites bribes d’espoir dans une crise climatique régionale désespérante et bien plus vaste qui touche également certaines parties de la Somalie et du Kenya voisins.

À la mi-février, Rein Paulsen, directeur chargé des urgences et de la résilience pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a déclaré que les pluies plus faibles que prévu d’octobre à décembre avaient placé toute la Corne de l’Afrique « au bord de la catastrophe ».

Les prévisions pour la prochaine saison des pluies, de mars à mai, ne sont guère encourageantes. S’il y a une autre sécheresse, il s’agira de la pire période de sécheresse de la région depuis 40 ans, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, et « l’une des pires urgences d’origine climatique observées dans la Corne de l’Afrique », a déclaré l’agence le mois dernier.

En Éthiopie, la sécheresse aggrave d’autres problèmes nationaux, dont une guerre dans la région du Tigré, au nord du pays, qui a déplacé plus de deux millions de personnes.

L’Église évangélique éthiopienne y travaille également, ainsi que dans la région voisine d’Amhara, pour aider les personnes déplacées à l’intérieur du pays, selon Abeya Wakwaya, commissaire de l’organisation humanitaire de l’Église.

Il explique que l’Église a été fondée à l’origine, il y a plus d’un siècle, pour prêcher l’Évangile et répondre aux besoins matériels de la population éthiopienne. Dans les années 1970, l’Église a adopté une déclaration de mission dans laquelle elle s’engage à servir « l’ensemble de la personne ». En ces temps de sécheresse, cependant, il est difficile de garder corps et âme ensemble.

Au milieu des conflits ethniques, des guerres et des crises climatiques qui se profilent à l’horizon, les chrétiens estiment cependant que la mission est plus importante que jamais.

« Nous devons être exemplaires », dit Wakwaya, « pour montrer qu’il est possible de s’entraider ».

Traduit par Léo Lehmann

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Les prières d’évangéliques ukrainiens face à la guerre

Des responsables chrétiens du pays nous invitent à soutenir leur ministère et à partager leurs réflexions bibliques et leurs luttes face à l’invasion russe.

Un soldat ukrainien photographie une église endommagée après un bombardement dans un quartier résidentiel de Marioupol, en Ukraine, le 10 mars 2022.

Un soldat ukrainien photographie une église endommagée après un bombardement dans un quartier résidentiel de Marioupol, en Ukraine, le 10 mars 2022.

Christianity Today March 11, 2022
Evgeniy Maloletka

L’ensemble de l’Église ukrainienne a besoin de soutien. C’est aussi le cas de ceux qui servent le corps du Christ en tant que bergers. Leur voix se perd souvent derrière les gros titres et les statistiques de la guerre. Et même les déclarations que nous pouvons rapporter d’eux ne traduisent pas toute la profondeur des luttes auxquelles ils font face.

Christianity Today a sollicité des responsables évangéliques ukrainiens susceptibles d’aider les lecteurs à entrer dans leur monde déchiré par la guerre en partageant un aperçu de celui-ci. Chacun d’entre eux a fourni un passage biblique qui l’aide à persévérer, des sujets de prière pour des besoins personnels concrets et des aspirations spirituelles plus profondes, et un lien vers une institution proposant la possibilité de soutenir un ministère dans cette situation.

Taras Dyatlik, directeur chargé de l’engagement de ScholarLeaders International pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale :

Soutenant actuellement un réseau de séminaires ukrainiens, Dyatlik identifie trois phases dans les besoins. Dans l’immédiat, il faut évacuer, relocaliser et trouver des lieux sûrs pour sauver la vie des étudiants, du personnel et du corps enseignant. Dans une semaine environ, leur situation devra être stabilisée dans des logements à plus long terme. Et ensuite, en fonction de l’évolution de la guerre, ils devront trouver comment poursuivre l’enseignement théologique.

Le passage biblique qui l’aide à persévérer :

Jésus leur dit : « Vous trébucherez tous, [cette nuit, à cause de moi,] car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis seront dispersées. Mais, après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée. » (Mc 14.27-28)

Parfois, nous nous retrouvons avec Jésus, non pas parce que nous l’avons suivi, mais parce qu’il vient à nous, comme maintenant, dans cette guerre brutale avec la Russie. Et il nous interroge comme il a interrogé Pierre au bord de la mer de Galilée : « M’aimes-tu ? » (Jn 21.16-17). Cependant, cette question ne vient qu’après le petit-déjeuner, après qu’il se soit occupé de nous, en premier lieu. Même lorsque nous échouons dans les défis de cette guerre, son amitié nous est offerte pour nous faire revivre.

Ce pour quoi il prie : Je prie pour ma femme et pour de nombreuses autres femmes qui ont refusé d’être évacuées alors que leurs maris restaient sur place. Mais je prie aussi pour que cette guerre secoue la conscience de l’humanité et la théologie de l’Église. Nous ne pouvons plus promouvoir un nationalisme qui conduit si souvent à rabaisser les autres, comme le font tant de chrétiens en Russie.

Oleksandr Geychenko, président du Séminaire théologique d’Odessa :

United World Mission est un partenaire de longue date du Séminaire théologique d’Odessa, sur la rive occidentale de la mer Noire en Ukraine. Alors que ses collègues directeurs de séminaires dans d’autres villes ont transformé leurs campus en lieux de refuge, Geychenko a essayé d’évacuer le personnel et les étudiants de l’école et de subvenir à leurs besoins du mieux qu’il pouvait.

Le passage biblique qui l’aide à persévérer :

Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui. Vous êtes le corps de Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. (1 Co 12.26-27)

Dimanche dernier, nous avons célébré notre Cène mensuelle pour la première fois depuis le début de la guerre. Nous avons vécu un moment fort dans l’identification à la souffrance de nos frères et sœurs chrétiens qui ont des proches dans les pays voisins, qui sont encore sur la route à la recherche d’un logement ou qui ont péri dans les attaques contre nos nombreuses villes. Mais en prenant le pain, je savais que je faisais partie du Corps du Christ.

Ce pour quoi il prie : Je prie à travers la rage d’une douleur presque tangible. Au lieu de ma routine habituelle au séminaire, je me retrouve volontaire d’urgence. Nos vies ont été brisées, nos âmes ont été brûlées, et il n’y a pas de fin en vue. Pour que l’intégrité de notre pays soit restaurée, nous avons besoin que Dieu donne une vision spirituelle et une clarté morale au monde. Alors cette tempête pourra se retourner contre les agresseurs, et les disperser.

Yuriy Kulakevych, directeur des affaires étrangères pour l’Église pentecôtiste ukrainienne :

Au sein de la plus grande union d’églises charismatiques d’Ukraine, Kulakevych fait partie d’une administration qui facilite l’aide aux évacués à travers ses réseaux régionaux. Les gestionnaires d’entrepôts, les opérateurs de centres d’appels, les comptables, les cuisiniers et les chauffeurs accomplissent le travail en coulisse qui rend possible l’assistance physique et spirituelle sur le terrain.

Le passage biblique qui l’aide à persévérer :

Nous sommes considérés comme des imposteurs, quoique disant la vérité ; comme des inconnus, quoique bien connus ; comme des mourants, et pourtant nous vivons. Nous sommes comme condamnés, et pourtant pas mis à mort ; comme attristés, et pourtant nous sommes toujours joyeux ; comme pauvres, et pourtant nous en enrichissons beaucoup ; comme n’ayant rien, alors que nous possédons tout. (2 Co 6.8-10)

Malgré nos nombreux problèmes, nous devons nous rappeler qu’aujourd’hui est le jour du salut. Nous ne le percevons pas, mais en Christ, nous avons de quoi ouvrir grand notre cœur pour répondre aux besoins de ceux qui nous entourent.

Ce pour quoi il prie : Je prie pour une restauration surnaturelle pendant les courtes nuits de sommeil ! Chacun fait de son mieux — physiquement, mentalement et spirituellement — mais certains, et surtout les jeunes, ont besoin d’être délivrés du stress post-traumatique. Malgré les ténèbres de la guerre, je prie pour l’évangélisation des nations de la Fédération de Russie, où l’Évangile est caché par les robes noires des prêtres orthodoxes.

Vadym Kulynchenko, missionnaire avec Our Legacy Ukraine :

Membre d’un mouvement de disciples à Kamyanka, à 230 km au sud de Kiev, Kulynchenko a supervisé l’approvisionnement en nourriture, médicaments, produits d’hygiène et carburant pour les personnes évacuées fuyant la violence. Il prépare également des fonds, dans la foi, pour la reconstruction future de l’Ukraine.

Le passage biblique qui l’aide à persévérer :

Puis il avança de quelques pas, se jeta contre terre et pria que, si cela était possible, cette heure s’éloigne de lui. Il disait : « Abba, Père, tout t’est possible. Eloigne de moi cette coupe ! Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. » (Mc 14.35-36)

Nous pouvons apporter honnêtement à Dieu nos questions et nos luttes, et nous le devons, afin de ne pas tomber dans la tentation d’abandonner notre paix ou de haïr les Russes. Mais une fois que nous avons donné notre vie à Dieu, nous devons accepter les réponses qu’il nous donne et agir en conséquence.

Ce pour quoi il prie : Je prie pour que Dieu me guide clairement quant à l’opportunité de relocaliser ma famille en dehors de l’Ukraine. Notre région du centre est sûre pour le moment, mais les choses peuvent changer rapidement. L’Eurasie et le Moyen-Orient sont à l’épicentre des prophéties de Dieu sur la fin des temps, et nous avons donc besoin de discernement pour savoir comment nous comporter maintenant et dans les événements terribles à venir.

Ruslan Maliuta, agent de coordination des réseaux stratégiques pour One Hope :

Engagé dans la coopération entre les Églises et la distribution des Écritures pour les enfants, Maliuta est également lié aux ministères qui aident à évacuer les orphelins et les enfants non accompagnés hors des zones d’agression russe. Ordinairement basé à Kiev, il a déménagé avec sa famille pour continuer à servir depuis l’Europe occidentale.

Le passage biblique qui l’aide à persévérer :

Alors il dit aux Juifs qui avaient cru en lui : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. » (Jn 8.31-32)

Le fait de véritablement suivre Jésus nous permet de discerner la réalité. Les médias proposent des récits contradictoires, mais il s’agit d’une guerre, son auteur est Poutine, et son but est de détruire l’Ukraine en tant que pays libre et de briser notre esprit. Si cette guerre n’est pas arrêtée, elle se poursuivra plus loin en Europe.

Ce pour quoi il prie : Je prie pour les parents de ma femme, qui restent à Kiev, et pour que nous ayons la sagesse de savoir bien orienter nos cinq fils en cette saison très difficile. Mais au-delà de ce que fait la Russie, nous devons prier pour que les mensonges et la tromperie qui affectent tant de questions, d’identités et de récits poussent les chrétiens à mieux se former pour être une lumière dans ce monde.

Maxym Oliferovski, responsable de projet pour Multiply Ukraine :

Cette mission de frères mennonites gère le centre New Hope à Zaporizhzhia, à 65 km du réacteur nucléaire désormais contrôlé par la Russie. Tout en évacuant et en réinstallant les réfugiés en Europe de l’Est, Oliferovski aide le réseau anabaptiste d’Églises locales du sud-est de l’Ukraine à continuer à servir leurs communautés.

Le passage biblique qui l’aide à persévérer :

L’Eternel examine le juste ; il déteste le méchant et celui qui aime la violence. (Ps 11.5)

Nous observons des morts violentes tout autour de nous en Ukraine, et notre seule prière peut être de demander à Dieu d’y mettre fin. Mais nous pouvons être encouragés par le fait que Dieu déteste également cette violence et que, le moment venu, il apportera son juste jugement sur ceux qui la pratiquent.

Ce pour quoi il prie : Je prie pour que ma famille puisse traverser cette épreuve, avec la sagesse nécessaire pour savoir comment continuer à servir au mieux ceux qui nous entourent. Nous prions aussi pour des miracles, pour que Dieu réponde aux besoins physiques des gens tout en donnant la paix à leur âme, et qu’à travers tout cela, son nom soit glorifié.

Sergey Rakhuba, président de Mission Eurasia :

Avec la vision d’équiper la prochaine génération de responsables d’Églises évangéliques dans 12 pays de l’ex-Union soviétique ainsi que dans les pays ayant une importante population russe, Rakhuba est actuellement en Moldavie où il supervise le virage pris en raison de la crise pour fournir de la nourriture, des abris, des médicaments et des soins pastoraux dans trois centres de réfugiés en Europe de l’Est. En Ukraine, il indique que 1 000 volontaires ont été mobilisés pour aider les personnes évacuées des différentes zones de guerre et celles qui y restent.

Le passage biblique qui l’aide à persévérer :

Si tu traverses de l’eau, je serai moi-même avec toi ; si tu traverses les fleuves, ils ne te submergeront pas. Si tu marches dans le feu, tu ne te brûleras pas et la flamme ne te fera pas de mal. (És 43.2)

Il est facile de faire confiance à Dieu lorsque tout va bien, mais c’est lorsque nous sommes plongés au milieu d’un mal qui balaie tout autour de nous que nous devons nous en remettre à Dieu. Le cœur saigne, mais comme l’amour de Jésus brille à travers la tragédie, nous pouvons encore trouver l’espoir et la joie.

Ce pour quoi il prie : Je prie pour la force et le courage dans mes responsabilités. Je ne peux pas être sur le terrain en Ukraine, mais mon personnel et mes amis le sont, certains d’entre eux conduisent de la nourriture dans les zones les plus dangereuses, et notre centre à Lutsk a été bombardé de nuit la semaine dernière. Mais plus que de politique, il s’agit d’une attaque spirituelle contre l’Église. Avec les ressources très limitées de l’Église, je prie pour que Dieu montre sa puissance et fasse rayonner l’Évangile.

Mykola Romaniuk, pasteur principal de la Irpin Bible Church :

À la tête de la plus grande Église baptiste du grand centre évangélique qu’est Irpin, Romaniuk et son assemblée ont été déplacés par la récente attaque russe. Mais ils continuent à soutenir les membres et les non-croyants dispersés, ainsi que leurs Églises partenaires dans les villes occidentales de Vinnytsa et Rivne, qui accueillent de nombreuses personnes évacuées.

Le passage biblique qui l’aide à persévérer :

Un temps pour aimer et un temps pour détester, un temps pour la guerre et un temps pour la paix. (Ec 3.8)

L’heure est à la haine et à la guerre. Aimer un ennemi qui vient avec une arme requiert de le repousser, et ceux qui ne se mobilisent pas militairement doivent le faire spirituellement, dans une prière incessante. Lorsque le temps de l’amour et de la paix reviendra, nous chercherons alors à restaurer les relations avec les croyants russes qui reconnaîtront leur silence coupable face au fratricide.

Ce pour quoi il prie :

Je prie pour mon cœur, identique à celui de David lorsqu’il était entouré d’une armée d’hommes trompeurs et mauvais (Ps 43.1). Un jeune frère, membre de notre Église, a été assassiné dans la rue alors qu’il aidait les autres, alors que nos villes paisibles subissent des bombardements quotidiens. Je prie pour ceux qui sont coincés dans le froid et la neige, et pour les réfugiés chrétiens, afin qu’ils puissent trouver une communauté spirituelle là où ils se réinstallent.

Valentin Siniy, président du Tavriski Christian Institute:

Non loin de la péninsule de Crimée, l’Institut chrétien Tavriski se trouve dans la ville portuaire de Kherson, qui est tombée sous l’occupation russe. Le campus est aujourd’hui menacé d’être transformé en caserne militaire. N’étant plus en mesure d’assurer l’enseignement du séminaire, Siniy s’est reconverti dans l’aide aux évacuations et la fourniture de biens de première nécessité aux Églises situées dans les régions ukrainiennes sous contrôle russe.

Le passage biblique qui l’aide à persévérer :

Voici, je vous dis un mystère : nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons transformés, en un instant, en un clin d’œil, au son de la dernière trompette. La trompette sonnera, alors les morts ressusciteront incorruptibles et nous, nous serons transformés. (1 Co 15.51-52)

Il est difficile de trouver le bon verset pour réconforter nos cœurs. Mais je me suis rappelé ce verset alors que je quittais ma ville natale en voiture, en entendant derrière moi les lance-roquettes qui la bombardaient. Cette guerre va nous transformer — pour de bon — et nous ne serons plus jamais les mêmes.

Ce pour quoi il prie :

Je prie pour ma famille et l’enfer émotionnel que nous traversons. Nous n’avons presque pas dormi la nuit dernière, nous avons subi une intoxication alimentaire, ma belle-sœur est en mauvaise santé, et nous sommes loin des médecins et des hôpitaux que nous connaissons. Mais en voyant ce monde pécheur et ce royaume de destruction, je demande à Dieu que plus de gens condamnent le péché qu’est la guerre. Nous avons besoin que son royaume céleste vienne et restaure le projet initial de la création.

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