Heureux ceux qui incarnent les Béatitudes

Si nous cherchons un sens à ces « bénédictions », nous devons les laisser nous transformer.

Christianity Today July 7, 2022
Illustration by Jared Boggess / Source Images: WikiMedia Commons

Le cahier jauni de mon cours de philosophie de la religion au collège contient cette inscription plaintive : L’école du dimanche n’était jamais aussi compliquée. Les Béatitudes, elles aussi, sont plus complexes qu’elles ne paraissent. Elles sont (comme toute Écriture sainte) inépuisablement riches. Plus vous creusez profondément, plus elles offrent de nouveautés.

The Beatitudes through the Ages

The Beatitudes through the Ages

Eerdmans

352 pages

$27.32

Il paraît difficile de penser qu’une béatitude signifie quoi que ce soit en dehors d’un contexte dans lequel ce sens puisse être mis en pratique, et en dehors de vies dans lesquelles les Béatitudes signifient quelque chose. Les Béatitudes doivent être interprétées dans leurs contextes narratifs au sein des Évangiles de Matthieu et de Luc : elles n’ont de sens que dans le cadre d’un récit plus large sur Dieu et son fils, Jésus.

Comme l’écrit Kavin Rowe, « Nous ne pouvons pas comprendre le sens des idées ou des pratiques en dehors des histoires qui les rendent avant tout intelligibles en tant que choses à penser ou faire ».

Ce que je voudrais suggérer ici, c’est que les Béatitudes peuvent être plus pleinement comprises non pas en lisant à leur sujet, mais en regardant à quoi elles ressemblent dans des vies humaines. Peut-être vaut-il mieux ne pas d’abord se concentrer sur ce que les Béatitudes pourraient signifier, mais plutôt sur le fait qu’elles portent l’espoir de transformer l’individu, qu’elles visent à nous changer.

Je ne m’attendais pas à être changée en écrivant un livre sur les Béatitudes, mais je l’ai été. J’ai souvent réfléchi à la façon dont je ressens et exprime ma colère, à savoir si je suis une personne douce, comment je dépense l’argent, comment je traite les pauvres ou les sans-abri, quand et comment je prie, et si je souffre pour un engagement envers la justice. « Comment peut-on communiquer la flamme des béatitudes, se demande René Coste, si l’on ne brûle pas soi-même ? »

Christin Lore Weber écrit à propos des Béatitudes :

Si nous abordons leur signification par l’analyse, nous ne parviendrons pas à les comprendre. Au lieu de cela, nous devons les recevoir avec amour […] et les garder jusqu’à ce qu’elles portent des fruits dans nos vies. Nous ne pouvons pas les expliquer ; mais nous pouvons raconter des histoires sur la manière dont elles s’incarnent dans les situations et les personnes que nous rencontrons.

En m’inspirant de Weber, je voudrais partager deux histoires, deux mises en scène des Béatitudes, si vous voulez. La première histoire est celle d’une fille nommée Lena.

Helena Jakobsdotter Ekblom (1784–1859) naquit à Östergötland, en Suède, la même province d’où est originaire le côté Eklund de ma famille. Dès son plus jeune âge, elle eut des visions du paradis, où toutes les promesses des Béatitudes étaient réalisées : elle voyait les pauvres se réjouir, rire et posséder la terre, couronnés comme fils et filles de Dieu. Elle commença à prêcher ses visions, attirant l’attention de foules de paysans pauvres, qui reçurent son message avec empressement, et des autorités, qui se montrèrent bien moins enthousiastes.

À travers les paroles des Béatitudes, Lena annonçait la bonne nouvelle à ceux qui, comme elle, vivaient dans la pauvreté. Comme dans l’Évangile de Luc, ce message comportait un corollaire implicite : « Malheur aux riches qui causent la pauvreté, à ceux qui rient au prix des larmes d’autrui, à ceux dont l’opulence est bâtie sur la misère, aux puissants dont la force est fondée sur l’injustice, à ceux qui méprisent, persécutent et oppriment les plus petits de Jésus ».

Ce revers de son message remettait profondément en cause les autorités étatiques et ecclésiastiques. Comme l’écrit Jerry Ryan, « Vu à travers les yeux de Lena, l’ordre existant devient intolérable, littéralement révoltant ». Sa prédication s’avéra si troublante qu’elle fut enfermée pendant 20 ans à Vadstena, dans un château transformé en asile d’aliénés. »

Même là, où elle se retrouvait parmi les plus pauvres des pauvres, les humiliés et les abandonnés, Lena continua à prêcher. Elle prêchait l’amour inébranlable de Dieu pour eux, leur assurant que même « dans leurs cellules, ils jouissent de la liberté des fils de Dieu, qu’ils sont les héritiers de la promesse » (cf. Mt 5.9-10).

Après 20 ans, elle fut libérée, mais ne cessa pas de prêcher la bonne nouvelle des Béatitudes : bonne nouvelle pour les pauvres, mauvaise nouvelle pour les puissants. Elle fut de nouveau arrêtée, mais sur le chemin du retour à Vadstena, elle et son escorte traversèrent une ville dévastée par la peste, et les gardes fuirent de terreur. Lena, cependant, resta là, soignant les malades, réconfortant ceux qui étaient en deuil.

Lorsque la peste se calma, elle était tellement aimée par la population locale que personne n’osa l’arrêter à nouveau. Lorsqu’elle fut âgée et incapable de travailler, elle déménagea dans un refuge pour pauvres de son village natal. Lena a interprété les Béatitudes dans sa prédication et dans sa vie — elle a béni les pauvres et était pauvre elle-même ; elle a consolé et elle a pleuré.

La deuxième histoire est celle d’une femme que j’appellerai Anna. Elle a été tour à tour organisatrice communautaire et prédicatrice, pasteure et compagne des plus démunis. Pendant de nombreuses années, elle a apporté un esprit pacifique, généreux et résilient dans un quartier déchiré par la violence armée et l’injustice raciale. Elle a également été mère de deux filles, dont l’une fut diagnostiquée comme autiste après une période de lutte angoissée pour comprendre pourquoi chaque étape de son développement était semée d’embûches.

Comme ses autres vocations, elle a porté celle-ci avec grâce, douceur et force. La connaissant personnellement, je n’ai pas eu à chercher bien loin pour voir à quoi ressemble un artisan de paix, à quel point la douceur est forte, ce que peut-être la pauvreté d’esprit, ou comment vivre le deuil d’une manière qui introduit la beauté dans les ténèbres.

Lorsque les Béatitudes s’enracinent dans des vies, elles fleurissent de différentes manières. Ces deux femmes ont vécu les deux côtés des Béatitudes : pleurant et réconfortant, faisant la paix et en ayant besoin, offrant miséricorde et la recevant. « Ainsi, nous honorerons les humiliés », écrit Allen Verhey, « et nous serons nous-mêmes humbles. Ainsi, nous consolerons ceux qui pleurent, et nous pleurerons nous-mêmes en reconnaissant douloureusement que nous ne sommes pas encore dans le futur voulu par Dieu. Ainsi, nous servirons avec douceur les doux. Nous aurons soif de la justice, et la poursuivrons. »

Les Béatitudes occupent le même espace que nous : un temps qui n’est pas encore ce futur voulu par Dieu. Pour le pasteur et théologien Sam Wells, la première partie de chaque béatitude est une description de la Croix (pauvre, assoiffé, doux, miséricordieux, persécuté), et la seconde moitié est une description de la Résurrection (réconfort, miséricorde, royaume de Dieu).

Il écrit que nous vivons entre la première et la seconde mi-temps. Nous sommes sur la virgule entre « Heureux vous qui pleurez maintenant » et « , car vous serez dans la joie ». La vie entre la Croix et de la Résurrection n’est pas facile, mais elle est joyeuse. Elle est pleine de douleurs, mais belle. Ainsi en va-t-il aussi des Béatitudes.

Les Béatitudes, comme les paraboles de Jésus, sont d’une simplicité trompeuse. Comme le dit Origène (tel que le rapportent Stephen et Martin Westerholm), « la présence de mystères dans le texte divin n’a rien d’accidentel : […] La lutte pour les comprendre est l’un des moyens divinement orchestrés pour amener les croyants à la maturité. »

L’une des principales fonctions des Béatitudes est peut-être de nous interroger à leur sujet. Plus vous luttez avec les Béatitudes, plus elles vous entraînent dans leurs profondeurs. Plus vous creusez profondément, plus elles ont à vous offrir.

Adapté de The Beatitudes through the Ages, de Rebekah Eklund (Eerdmans, 2021). Utilisé avec l’autorisation de l’éditeur.

Traduit par Carelle Melissa Irakoze

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L’expertise a-t-elle de l’avenir ?

L’orgueil de certains experts conduit à l’impasse, tout comme la suspicion généralisée à l’égard de l’ensemble de leurs collègues.

Christianity Today July 7, 2022
Illustration by Sarah Gordon / Source Images: Belterz / jimeone / Андрей Глущенко / Getty

Les mesures sanitaires généralisées ont pris fin dans la plupart des pays. Les quarantaines obligatoires sont révolues. Mais le scepticisme que les deux dernières années de COVID-19 ont suscité à l’égard de l’expertise ne disparaîtra pas de sitôt.

De nombreux fonctionnaires et experts chargés d’élaborer des orientations en matière de santé publique et des innovations scientifiques se sont comportés de manière admirable. Mais d’autres non. Ils ont émis des conclusions politisées qu’ils ont voulu revêtir du crédit de la science, se sont comportés d’une manière scandaleusement hypocrite et ont trompé le public par de pieux mensonges. Cette duplicité n’a pas seulement nui à la santé physique. Elle a porté préjudice à l’idée même d’expertise.

La mort de l’expertise, comme l’affirme Tom Nichols, contributeur pour The Atlantic et ancien professeur du Naval War College aux États-Unis, dans un livre justement intitulé The Death of Expertise, « n’est pas seulement un rejet des connaissances existantes ». Il y a là « plus qu’un simple scepticisme naturel envers les experts », qu’il définit comme ceux qui possèdent « une combinaison insaisissable, mais reconnaissable, de formation, de talent, d’expérience et de reconnaissance par leurs pairs ».

Tom Nichols craint plutôt « que nous assistions à la mort de l’idée d’expertise elle-même, à l’effondrement, alimenté par Google, Wikipédia et les blogs, de toute division entre professionnels et profanes, enseignants et étudiants, connaisseurs et curieux ».

Il rapporte avoir entendu des témoignages d’experts de toutes sortes — des universitaires aux plombiers en passant par les électriciens — qui se retrouvent régulièrement en train de débattre avec des profanes peu ou mal informés, convaincus d’en savoir autant ou plus que l’expert.

Cela arrive aussi aux pasteurs. « L’un de mes meilleurs amis est pédiatre », me confiait par courriel Derek Kubilus, un pasteur méthodiste de l’Ohio, « et nous nous lamentons souvent ensemble d’être tous deux experts dans des domaines où l’on attend de nous que nous aidions des personnes qui se considèrent déjà elles-mêmes comme expertes ! »

Le problème est que nous avons besoin d’expertise. La vie moderne ne peut pas se faire sans elle. Bien qu’il arrive parfois que le profane ait raison face à l’expert, les avis non informés — ou informés par Google — sont le plus souvent de qualité moindre. Il serait orgueilleux de croire qu’il en est autrement. Mais les échecs de diverses autorités dont nous avons été témoins, y compris au sein de l’Église, nous incitent à douter.

Il n’y a pas d’autre réponse à cette situation que de cultiver la vertu. Experts comme non-experts doivent adopter une attitude d’humilité et de respect.

Pour les non-experts, cela signifie que nous ne devrions pas nous comporter comme les insensés des Proverbes qui « méprisent la sagesse et l’instruction » (Pr 1.7), présupposent que leur propre intuition est toujours correcte (12.15) et se moquent des conseils avisés (23.9).

En pratique, cela exige aussi d’ajuster nos attentes pour laisser de l’espace à la faillibilité des experts. Aucun expert ne dispose de connaissances parfaites ou ne peut toujours communiquer ou appliquer ses connaissances à la perfection. Certains échecs sont inévitables, et il est bon de pouvoir corriger ses erreurs après avoir appris. Agir ainsi démontre la crédibilité, et non le manque de fiabilité. Les connaissances des experts devraient en principe augmenter avec le temps, et les experts doivent donc modifier leurs recommandations en conséquence.

Nous devrions nous réjouir de ces évolutions, car — comme le disent sans ambages les Proverbes — « celui qui déteste être corrigé est stupide » (12.1) et « égare les autres » (10.17).

Pour les experts, quel que soit leur champ de compétence, la tâche est de faire en sorte qu’il soit plus facile de faire confiance à la véritable expertise. Les experts n’ont pas le droit de raconter aux non-experts des mensonges bien intentionnés, ni quelque mensonge que ce soit, ou de contrôler de manière technocratique le comportement de leurs semblables. L’humilité pour un expert consiste à réaliser qu’il n’a ni le droit ni la responsabilité de déterminer quelles informations le public est capable de traiter correctement, quelles vérités complexes peuvent être confiées ou non à des non-experts.

Les experts peuvent aussi faire preuve de prétention. Avec l’expertise vient la tentation orgueilleuse d’aimer « la meilleure place dans les festins et les sièges d’honneur dans les synagogues » (Mt 23.6), un désir que Jésus dit que nous devrions expulser de nous-mêmes, car nous « avons un seul maître, le Christ ». « Celui qui s’élèvera sera abaissé et celui qui s’abaissera sera élevé » (vv. 10-12).

Utilisée à bon escient, l’expertise découle du fait « d’être fait à l’image d’un Dieu connaissant », comme le médite l’écrivain chrétien Samuel D. James. « L’humilité d’entrer dans cette économie du royaume est la clé pour ressusciter une culture de la confiance — et avec elle, une ère d’expertise florissante et bénéfique pour tous ». Dans une époque aussi complexe et confuse que la nôtre, c’est un développement dont nous avons tout particulièrement besoin.

Cet article a été adapté de l’ouvrage à paraître de Bonnie Kristian intitulé Untrustworthy, © 2022. Utilisé avec la permission de Brazos Press.

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À quoi ressemble une économie pro-vie ?

Des chrétiens américains ont combattu l’avortement légal pendant les 50 dernières années. Comment continuer à utiliser leur argent en faveur de la vie ?

Christianity Today June 28, 2022
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: Westend61 / Getty

Au cours des 49 années de débats sur l’avortement tel que le rendait légal l’arrêt Roe vs Wade de la Cour suprême des États-Unis, certains ont perdu de vue les enjeux économiques et financiers. En la matière, les chrétiens pro-vie ont encore de quoi innover s’ils veulent agir conformément à ce qu’ils professent.

Un argument courant à l’appui d’une éthique favorable à l’avortement est que l’accès à l’avortement est bon pour l’économie. Beaucoup, comme la secrétaire au Trésor américain Janet Yellen affirment que limiter l’accès à l’avortement ne fera qu’aggraver la situation financière des femmes vulnérables. Et si les ressources proposées aux mères enceintes ne se développent pas davantage, c’est un argument compréhensible.

Selon les données des Centers for Disease Control and Prevention 75 % des avortements ont lieu dans des ménages vivant avec moins de deux fois le revenu correspondant au seuil fédéral de pauvreté, et près de la moitié sont en dessous de ce seuil. 60 % des femmes qui choisissent l’avortement ont déjà des enfants, et 55 % sont célibataires. Pour des femmes célibataires qui luttent déjà pour nourrir leurs enfants, les incitations économiques à avoir un autre enfant sont faibles à l’heure actuelle.

Janet Yellen et d’autres considèrent également que l’économie en général souffrira si l’accès à l’avortement est restreint. Les taux d’abandon du marché du travail, déjà très élevés, ne feront qu’augmenter et le fait d’avoir plus de bouches à nourrir dans des foyers déjà défavorisés entraînera davantage de pauvreté.

En restant dans cette logique comptable, on peut même imaginer que le maintien du droit à l’avortement nous permet d’intégrer dans nos plans d’épargne-retraite que les travailleuses enceintes ne prendront pas de congé maternité et maintiendront une productivité constante. Notre calcul de l’imposition peut se faire en partant du principe que moins de foyers feront appel à l’aide du gouvernement après une grossesse non planifiée. D’une certaine manière, il se pourrait que nous soyons tous, inconsciemment, complices et bénéficiaires de l’économie de l’avortement.

Cependant, cela ne signifie nullement que l’accès à l’avortement est bon pour l’économie. Deux autres points importants méritent d’être relevés.

Tout d’abord, comme le relève le comité éditorial du Wall Street Journal, le lien entre droit à l’avortement et prospérité économique est ténu. Plus de naissances et plus de personnes ouvrent plus de possibilités d’innovation, de créativité et de résolution de problèmes concernant les enjeux les plus criants de notre société, notamment la pauvreté. Le déclin des populations est lourd de problèmes économiques, car les jeunes générations ne peuvent pas remplacer les travailleurs qui partent à la retraite ni leur fournir des soins adéquats.

Deuxièmement, un accès réduit à l’avortement ne signifie pas nécessairement qu’il y aura moins d’avortements. En 2014, le taux d’avortement aux États-Unis était plus faible qu’au moment de l’arrêt Roe vs Wade en 1973. Cependant, bien que les taux d’avortement aient largement diminué au cours des 40 dernières années, certaines données préliminaires pour 2019 laissent penser qu’ils pourraient augmenter.

Alors que le président Trump nommait les juges qui ont à présent invalidé Roe vs Wade, l’avant-dernière année de sa présidence a vu le nombre d’avortements augmenter de 2 %. Le nombre d’avortements rapportés a augmenté de 0,9 %, et le taux d’avortement par grossesse a augmenté de 3 %, tout cela en l’espace d’un an.

Les implications macroéconomiques de l’arrêt Roe vs Wade sont tout sauf simples, les deux camps politiques ayant tendance à vouloir nous rendre invisibles certaines personnes qui les gênent, comme le rappelait Russell Moore dans un récent article.

Un camp porte à juste titre son attention sur le poids inestimable des femmes dans ce pays, elles qui représentent 57 % de la main-d’œuvre et des diplômés universitaires récents. Mais ceux qui se concentrent uniquement sur le sort des femmes négligent souvent les enfants à naître dans leurs scénarios, eux qui sont pleins de potentiel, non seulement pour l’économie, mais aussi en tant que personnes destinées à cultiver et à façonner le monde en tant que porteurs de l’image de Dieu.

Et tandis que l’autre camp amadoue et cajole les évangéliques pour qu’ils votent pour des candidats « pro-vie », il rejette souvent les politiques de soins de santé qui réduisent les cas d’avortement.

Néanmoins, le bilan microéconomique de l’Église durant les années Roe v. Wade reste encourageant. D’après les chiffres, les évangéliques ont largement joint le geste à la parole sur cette question.

Certains évangéliques ont décidé de combattre le droit à l’avortement au-delà de l’isoloir, avec leur porte-monnaie. Un groupe évangélique conservateur a estimé que les groupes d’activistes pro-vie ont levé près de 55 milliards de dollars depuis 1973. Pour comparaison, cela représente 15 fois plus que ce que les démocrates et les républicains ensemble ont mobilisé pour l’élection présidentielle de 2020.

En plus de contribuer aux centres d’accompagnement pour femmes enceintes et à diverses campagnes, certains évangéliques ont opté pour des boycotts en lien avec l’avortement, utilisant leur pouvoir d’achat pour cibler les entreprises qui financent les campagnes en faveur de l’avortement et exercer d’autres formes de pression financière sur les organisations favorables à l’avortement dans les États qui l’autorisent.

Cependant, si la société américaine a réellement bénéficié du rejet des barils de thé dans le port de Boston et de l’abandon des lignes de bus à Montgomery, en Alabama, ces boycotts modernes ont des effets plus mitigés. Ils ont rarement un impact économique au-delà des tempêtes sur les réseaux sociaux, et provoquent souvent des contre-boycotts de la part de l’autre camp.

Au lieu de dépenser leur argent pour lutter politiquement contre l’avortement, de nombreux évangéliques ont choisi de l’utiliser en faveur d’œuvres de bienfaisance.

Le rapport sur les dons de 2021 du Evangelical Council for Financial Accountability (ECFA) dépeint un tableau encourageant. De 2010 à 2020, les ministères chargés de l’aide aux orphelins, de l’aide aux femmes enceintes, des services aux familles et aux enfants, de l’adoption et des foyers pour enfants ont reçu près de 10 milliards de dollars de dons. Ceci inclut 955 millions de dollars rien qu’en 2020 pour 251 organismes à but non lucratif.

Alors que nous entrons dans une ère post-Roe vs Wade, comment les chrétiens devraient-ils dépenser leur argent en faveur de la vie ? Je crois que la réponse se trouve à la fois là où elle s’est toujours trouvée, dans les œuvres de bienfaisance, et là où de nouvelles opportunités passionnantes pourraient mener.

Il y a environ 20 fois plus de centres d’accompagnement pour femmes enceintes que de cliniques de planification familiale aux États-Unis, et pourtant, la valeur combinée de leurs actifs est plus de 10 fois inférieure. Continuer à donner aux centres qui cherchent à soutenir les femmes enceintes est une belle façon de vivre une éthique évangélique en faveur de la vie.

Ces centres sont bien plus que simplement « pro-naissance ». Ils fournissent des aliments pour bébés, des couches et d’autres produits essentiels aux futures mères, mettent en relation les futurs pères avec des mentors, offrent des conseils gratuits aux femmes (y compris après un avortement) et s’associent à d’autres organisations locales à but non lucratif pour répondre à tout autre besoin qui pourrait survenir.

Si ces formes de philanthropie doivent se poursuivre, il existe d’autres aspects de notre argent, de notre temps et de notre pouvoir politique qui peuvent être mis à profit dans une économie post-Roe v. Wade.

Savez-vous quelles entreprises composent votre portefeuille de placements ? Savez-vous lesquelles produisent des abortifs, lesquelles n’offrent pas de congés parentaux payés, lesquelles refusent de payer un salaire décent ?

Aux États-Unis, 84 % des investisseurs aimeraient adapter leurs investissements à leurs valeurs, mais les options claires sont limitées. À mesure que la technologie et la demande de pratiques d’investissement éthiques augmentent, il devient de plus en plus possible d’investir en fonction de ses valeurs sans sacrifier le rendement.

Des sociétés d’investissement comme Eventide, Crossmark, et OneAscent offrent des fonds communs de placement et des fonds négociés en bourse (FNB) qui visent à éviter les entreprises qui tirent profit de l’avortement et favorisent celles qui travaillent au bien-être de leurs employés, de leurs clients et de la société. Pour ceux qui en ont les moyens, la prochaine fois que vous parlerez à votre conseiller ou que vous vous connecterez à votre portefeuille de courtage en ligne, demandez-vous si l’investissement basé sur les valeurs pourrait correspondre à votre plan financier.

Aligner nos investissements sur nos valeurs devrait être au premier plan de notre gestion financière, au même titre que des niveaux d’épargne avisés et des dons généreux et intentionnels. Nous ne pouvons pas nous permettre de profiter de produits et de pratiques qui détruisent la vie. Aux États-Unis, les chrétiens sont assez nombreux, ensemble, pour faire évoluer le marché vers l’épanouissement et la vie pour les mères, les bébés et les familles.

Toutefois, comme le fait fréquemment remarquer mon pasteur, il est souvent plus facile de distribuer notre argent que de donner de notre temps. Comment les Églises peuvent-elles incarner dans leur voisinage une philosophie de préservation de la vie du sein maternel au dernier souffle ? Des activistes comme Rachael Denhollander peuvent être particulièrement utiles en proposant d’autres alternatives que les solutions indispensables, mais souvent débattues, que sont l’accueil et l’adoption.

Votre Église met-elle à profit les vocations de ses membres en tant que médecins, avocats, boulangers, enseignants, thérapeutes et soignants pour prendre soin des victimes de viol ou de violence domestique ? Certains de vos membres sont-ils prêts à se former pour accompagner des enfants placés en famille d’accueil ? Votre Église collecte-t-elle des fonds pour couvrir les dépenses juridiques d’une mère qui tente de protéger son bébé d’un père violent ?

Consacrer du temps demande du temps, et est plus compliqué que de dépenser de l’argent. Cela a toutefois l’avantage de nous conduire à des niveaux plus élevés d’engagement relationnel et d’empathie, qui nous permettent d’incarner plus directement l’amour de Dieu.

Enfin, nous devons continuellement réfléchir et reconsidérer nos politiques. Les défenseurs de la vie ont souvent souligné que les États-Unis sont l’un des rares pays à autoriser l’avortement sans raison médicale après 20 semaines, ce qui place le pays en compagnie de la Chine et de la Corée du Nord.

Mais ces mêmes opposants à l’avortement laissent souvent de côté le fait que 32 pays parviennent à offrir un congé de maternité payé par le gouvernement, alors que les États-Unis ne le font pas. Même si une mesure comme la gratuité de la garde d’enfants — qui faciliterait considérablement la vie des nouvelles mères — est actuellement politiquement irréalisable, les chrétiens devraient voter pour des candidats qui se battront pour une réforme financière bipartisane pour soutenir les familles.

Pour reprendre les mots de Ronald Reagan, si vous voulez plus de quelque chose, subventionnez-le. Si vous en voulez moins, taxez-le.

Les chrétiens devraient souhaiter qu’il y ait plus d’enfants dans le monde, car ceux-ci sont à l’image de Dieu (Ge 1.27). Ils sont une bénédiction pour la famille et l’héritage (Ps 127.3-5). Leurs cris et leurs gazouillis font même taire les ennemis de Dieu (Ps 8,2). Par conséquent, dans cette économie moderne, nous devrions subventionner la vie des enfants, des mères et des familles par nos dons, nos investissements, notre engagement personnel et nos votes.

Nous ne pouvons pas continuer à traiter les personnes vulnérables comme un poids pour l’économie.

Et peut-être qu’au terme d’une vie et d’une nouvelle génération d’amour pour ceux que Jésus aime, tant avec nos mots qu’avec nos portefeuilles, nous constaterons que nos affrontements se sont transformés en discussions. Peut-être entendrons-nous ceux que nous avons autrefois vilipendés. Peut-être parlerons-nous avec grâce et vérité.

Peut-être créerons-nous un jour une économie dans laquelle l’avortement sera simplement impensable, qui témoignera paisiblement, mais avec force, de la vérité que personne ne « veut » vraiment de l’avortement.

Will Sorrell (MDiv, MBA) supervise les investissements éthiques chez OneAscent. Lui et sa femme sont membres de l’Église Grace Fellowship à Birmingham, en Alabama.

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La compassion maternelle d’un Dieu en colère

Notre idée d’un Dieu de l’Ancien Testament colérique est une déformation de la réalité.

Christianity Today June 28, 2022
Illustration by Matt Chinworth

Cet article est le troisième d’une série de six textes rédigés par un panel d’éminents chercheurs qui réexaminent la place du « Premier Testament » dans la foi chrétienne contemporaine. — Les éditeurs

« Le Dieu de l’Ancien Testament ». Je n’ai pas toujours éprouvé pour cette expression la relative aversion que j’ai à son égard aujourd’hui. La tradition de l’Église dans laquelle j’ai grandi émane du Second grand réveil aux États-Unis. L’une des marques des grands prédicateurs de réveil résidait dans leur habileté à placer par l’imagination les pécheurs entre les mains d’un Dieu en colère, souvent le « Dieu de l’Ancien Testament », puis de les transférer entre les mains gracieuses et aimantes du « Dieu du Nouveau Testament », révélé en Jésus-Christ. Ce fort contraste était à la base de ma compréhension de Dieu tout au long de ma jeunesse.

Ce n’est qu’à l’université et en poursuivant des études de maîtrise sur l’Ancien Testament que j’en suis venu à voir que ce contraste était une construction fallacieuse à plus d’un égard. Dans son recueil posthume Letters from the Earth, le provocateur théologique Mark Twain met le doigt sur le problème lorsqu’il observe que le Dieu du Nouveau Testament, qui a apparemment inventé l’enfer, doit être « mille milliards de fois plus cruel qu’il ne l’a jamais été dans l’Ancien Testament ». Ou que dire de l’observation de G. K. Chesterton dans The Everlasting Man qui relève qu’il est difficile de faire tenir ensemble l’amour et la compassion de Jésus pour Jérusalem avec ses menaces contre Bethsaïda qui sera jugée plus sévèrement que Sodome ?

Non seulement Jésus est parfois beaucoup plus dur que ne le laissaient comprendre les images de l’école du dimanche, mais j’ai découvert que « le Dieu de l’Ancien Testament » est plus aimant, gracieux, indulgent et compatissant que ce que j’avais entendu des enseignants et des prédicateurs de ma jeunesse.

Le Dieu de la compassion maternelle

Si nous ne lisons pas l’Ancien Testament, nous passons à côté de bien des bonnes choses, et pas seulement de l’alcool, du sexe et de la violence. Nous manquons une matière théologique cruciale, des mots reflétant la personne et le caractère du « Dieu de l’Ancien Testament ». Notre Dieu.

L’une des affirmations théologiques les plus importantes apparaît après l’un des moments les plus difficiles de la relation d’Israël avec Dieu :

Le Seigneur, le Seigneur, Dieu compatissant et clément, patient et grand par la fidélité et la loyauté, qui conserve sa fidélité jusqu’à la millième génération, qui pardonne la faute, la transgression et le péché, mais qui ne tient pas le coupable pour innocent, qui fait rendre des comptes aux fils et aux petits-fils pour la faute des pères, jusqu’à la troisième et la quatrième génération ! (Ex 34.6-7).

Peu de temps avant cette déclaration, le peuple s’était fabriqué un veau d’or pour représenter le dieu qui les précéderait dans la Terre promise. Peu importe que cela viole le deuxième des Dix commandements : le peuple s’impatientait du retour de Moïse, qui passait trop de temps sur la montagne avec Dieu, et voulait continuer son voyage. Et tandis que Moïse parvint à dissuader Dieu d’agir avec colère contre Israël, Aaron ne put dissuader Moïse de sa propre colère qui conduisit les Lévites à abattre 3 000 de leurs compagnons israélites au nom du Seigneur (Ex 32).

Par suite de l’idolâtrie et du dévoiement d’Israël, Dieu menace de ne pas aller avec eux en Terre promise. Même la confiance de Moïse est ébranlée. Cherchant à se rassurer, il demande à voir la gloire de Dieu, malgré le fait que Dieu lui ait déjà parlé dans la tente de la Rencontre comme on parle à un ami intime (Ex 33).

Tout cela conduit à cette proclamation d’Exode 34.6-7, alors que Dieu descend sur la montagne pour passer devant Moïse. Particulièrement importante dans cette déclaration est la vertu citée en premier : Dieu est compatissant. Le mot hébreu derrière notre terme français est plus riche, car, comme le note Beth Tanner dans le commentaire du livre des Psaumes qu’il co-écrit, il peut aussi désigner l’utérus. On pourrait donc légitimement parler de « compassion maternelle ».

En Exode 34, Dieu demande certes à Israël de rendre compte de son péché, mais il le fait sur la base de sa compassion maternelle. Moïse demande à Dieu : « Souviens-toi que cette nation est ton peuple » (Exode 33.13). La réponse positive de Dieu montre bien que c’est avant tout cette compassion maternelle qui est à l’œuvre : bien que Dieu se fâche contre Israël, comme les mères le font avec leurs enfants, il ne les abandonnera jamais, pas plus que les mères n’abandonnent leurs enfants. Le Dieu de l’Ancien Testament est notre Dieu, un Dieu de compassion maternelle qui affronte le péché flagrant et promet un avenir au-delà des échecs. Décrire simplement le Dieu de l’Ancien Testament en termes de colère ne reflète qu’une partie de l’identité de Dieu et fait l’impasse sur le fait que, selon Exode 34, l’essence du caractère de Dieu est d’abord exprimée par la compassion maternelle.

La compassion à travers toutes les générations

Bien des générations après Moïse et l’Égypte — en fait même plusieurs générations après le retour d’Israël d’exil — les prêtres de l’époque de Néhémie réutilisèrent le langage d’Exode 34.6-7 dans une prière née de la préoccupation de savoir si Dieu avait abandonné son peuple (Né 9.17). Malheureusement, le retour d’exil n’avait pas soulagé les difficultés du peuple encore sous domination perse (9.36-37). Pour rendre la situation plus insupportable encore, le peuple entendit la Torah lue par le scribe Esdras et fut apparemment rendu si profondément conscient de son péché que ceux qui étaient là ne pouvaient s’empêcher de pleurer (Né 8).

Alors même que les lévites en prière louaient Dieu pour avoir créé le ciel et la terre, choisi Abraham et délivré Israël d’Égypte, ils rappelèrent également au peuple que, lorsqu’il avait refusé d’obéir à l’ordre de Dieu d’entrer en Terre promise, Dieu lui avait pardonné parce que Dieu est « miséricordieux et compatissant, lent à la colère et plein d’amour » (Né 9.17).

Face aux difficultés postexiliques et au péché du peuple, les lévites fondent leur espoir pour l’avenir en Dieu, qui n’a pas abandonné Israël par le passé, en raison de sa grande compassion maternelle (9.19). Le peuple s’est détourné de la Torah et a tué les prophètes à l’époque des juges, mais Dieu a toujours répondu à leurs cris avec une compassion toute maternelle (9.27), à chaque fois (9.28). Les choses ne se sont pas améliorées avec la monarchie ; les gens ont continué à pécher et à tuer des prophètes. Pourtant, Dieu a refusé d’abandonner le peuple, à cause de cette grande compassion maternelle, car Dieu est simplement grâce et compassion maternelle (9. 31).

Cette vision de Dieu me rappelle une mère que j’ai connue lors de mon premier pastorat, dans l’Ohio. Son fils était devenu accro à la drogue et se retrouvait dans toutes sortes de problèmes. Elle et son mari ont tout essayé : plusieurs centres de désintoxication, faire intervenir la loi, aimer malgré tout. Rien n’a produit de changement. Pourtant, chaque fois que leur fils rentrait à la maison, elle lui pardonnait, sachant qu’il blesserait probablement à nouveau son cœur. Mais c’était son fils. Elle était sa mère. De même, bien que génération après génération les enfants de Dieu pèchent contre Dieu — y compris en tuant les prophètes de Dieu ! — Dieu accueille encore et encore les enfants d’Israël (et nous aussi !) dans sa maison, dans sa compassion maternelle. Qu’est-ce qu’un parent serait censé faire d’autre ?

Tous enfants de Dieu

Le livre de Jonas fonctionne un peu comme une méditation sur l’extension de la compassion de Dieu au-delà des frontières d’Israël, même parmi les ennemis d’Israël. L’impression qu’en laisse généralement l’école du dimanche, cette fois-ci, est plutôt juste. Dieu dit à Jonas d’aller à Ninive, la capitale des oppresseurs assyriens d’Israël, mais Jonas s’enfuit. Dieu intervient et fait jeter Jonas d’un navire dans le ventre d’un gros poisson. Ayant eu le temps de réfléchir à ses choix de vie, Jonas prie et le poisson le vomit sur la terre ferme. Jonas remplit finalement sa charge initiale et proclame le renversement imminent de Ninive. À la grande surprise des lecteurs, Ninive se repent et Dieu pardonne.

Jonas fut peut-être aussi surpris quand Ninive se repentit. Mais il ne fut pas surpris que Dieu pardonne. Ce dont je ne me souvenais pas, c’est à quel point Jonas se met en colère parce qu’il savait, tout comme Moïse et les prêtres du temps de Néhémie le savaient, que Dieu est « un Dieu de grâce et de compassion, lent à la colère et riche en bonté, et qui regrette le mal qu‘il envoie » (Jonas 4.2). Jonas s’est enfui, car, même s’il ne pouvait pas prédire ce que feraient les Assyriens, il savait ce que Dieu ferait : inévitablement, par compassion, Dieu pardonnerait aux Ninivites au premier signe de repentance.

Après tout, les Assyriens sont aussi des enfants de Dieu. Je me souviens, dans cette même Église de l’Ohio, du ton dur avec lequel l’un des anciens se mit un jour à dénigrer « les Japonais », dont le sens aigu de l’industrie menaçait la stabilité industrielle des États-Unis. Pourtant, ce sont aussi des enfants de Dieu. Encore récemment, de nombreux chrétiens ont exprimé leur colère contre des voisins musulmans, se sentant menacés par leur présence, craignant qu’ils ne prennent le contrôle du pays. Pourtant, ces voisins musulmans sont aussi des enfants que Dieu a enfantés. L’Ancien Testament est plein d’ennemis d’Israël, et nous ne sommes pas en manque d’ennemis de notre pays et de notre mode de vie. Le livre de Jonas nous rappelle que la compassion maternelle de Dieu s’étend même à nos ennemis, car nous sommes tous enfants de Dieu.

Les mères ne sont pas seulement les personnes les plus susceptibles de nous pardonner une faute. Elles viennent aussi volontiers à notre défense lorsque nous sommes en difficulté. Ma propre mère est de ce genre. Je me souviens d’un épisode où, alors que mes sœurs et moi étions plus jeunes, la banque nous compliquait la tâche pour déposer de l’argent sur un compte d’épargne de Noël sans aucune identification. Ma mère nous a fait entrer dans le bureau du vice-président de la banque, a expliqué que nous étions ses enfants et qu’elle s’attendait à ce que nous soyons mieux traités. Je ne me souviens pas que nous ayons eu d’autres difficultés par la suite.

Le psalmiste qui prie le Psaume 86 appelle Dieu à exprimer sa compassion maternelle d’une manière similaire, pour des ennuis qui dépassent certainement notre petit incident à la banque. Le psalmiste connaît le pardon de Dieu (Ps 86.5), mais vient aussi à lui pour qu’il préserve sa vie (v. 2), qu’il lui réponde dans sa détresse (v. 7) à cause des ennemis qui l’attaquent, le « peuple impitoyable […] qui essaie de me tuer » (v. 14). Et alors que le psalmiste fixe le visage de ces ennemis impitoyables, il se souvient aussi de cette puissante déclaration qui résonne en Israël et au-delà : « Mais toi, Seigneur, tu es un Dieu compatissant et miséricordieux, lent à la colère, riche en amour et en fidélité » (v. 15).

Le psalmiste sait que Dieu regarde sa situation avec la même compassion maternelle qui pousse à sauver l’enfant de la maison en feu, en donnant jusqu’à sa vie pour sauver le fruit de ses entrailles. La compassion maternelle peut se transformer en une défense passionnée de la vie de celui à qui vous avez donné naissance, pour repousser l’agresseur et offrir un espace de sécurité dans ce monde de violence. Tel est aussi le Dieu de l’Ancien Testament, notre Dieu, qui dans sa compassion maternelle vient sauver les siens (v. 16).

Aller et aimer de même

Si vous cherchez le terme hébreu derrière cette expression dans une concordance, vous verrez que les diverses formes évoquant cette « compassion maternelle » apparaissent environ 150 fois dans l’Ancien Testament. Et si, au lieu d’oblitérer le grand thème de la compassion maternelle avec cette vision d’une divinité de l’Ancienne alliance colérique et vengeresse qui ne serait pas tout à fait le Dieu révélé en Jésus-Christ, nos Églises prenaient une année pour faire le tour de ces 150 occurrences et que cette compassion maternelle devenait une part de notre pain quotidien dans l’Écriture ?

Avec un peu de chance, nous viendrions adorer et prier avec une plus grande gratitude envers notre Dieu, qui « est le même hier, aujourd’hui et éternellement » (Hé 13.8). Lorsque nous participons au repas du Seigneur, nous verrions que l’expression du pardon de Dieu en Jésus est le résultat de la compassion maternelle de Dieu pour tous ses enfants, qu’il aime depuis la naissance des premiers d’entre eux dans le jardin d’Eden. Dans ce pain et ce vin que Jésus nous offre, nous verrions que la libération du pouvoir du péché et de la mort est le point culminant des nombreux actes de salut que Dieu a accomplis à maintes reprises pour ses enfants face à leurs ennemis.

J’espère aussi par-là que nos Églises deviendront davantage encore les lieux d’accueil de l’humanité brisée que Dieu veut qu’elles soient. Lorsque nous verrons toutes les situations dans l’Ancien Testament où Dieu exprime une compassion maternelle — et où le peuple d’Israël suit son exemple — ne serons-nous pas poussés à délaisser notre propre-justice et le dénigrement de nos ennemis, qui nous viennent si facilement, et à ouvrir nos communautés à tous les enfants de Dieu dans un accueil compatissant ? Ne serons-nous pas poussés à protéger les vies menacées de mort dans nos villes et nos quartiers ?

Peut-être nous rendrons-nous compte que notre première impression nous a induits en erreur, et que le Dieu de l’Ancien Testament est plus complexe, dynamique et, il faut le dire, maternel, que nous ne l’avions perçu. Peut-être pourrions-nous arrêter de parler du « Dieu de l’Ancien Testament » et simplement dire « notre Dieu ».

Robert L. Foster est chargé de cours sur le Nouveau Testament et la religion à l’Université de Géorgie. Il est l’auteur de We Have Heard, O Lord : An Introduction to the Theology of the Psalter (Fortress Academic).

Traduit par Teodora Haiducu

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Au secours ! J’ai arrêté de me préoccuper de Dieu.

Pourquoi les chrétiens glissent dans l’apathie spirituelle, et comment en sortir ?

Christianity Today June 27, 2022
Alex Mccarthy / Unsplash / Edits by Rick Szuecs

L es croyants décrivent souvent la vie chrétienne comme une série de hauts et de bas, avec des périodes de joyeuse suivance de Christ suivies de saisons d’apathie spirituelle. Avec son livre Overcoming Apathy : Gospel Hope for Those Who Struggle to Care (« Vaincre l’apathie : l’espoir de l’Évangile pour ceux qui luttent pour se sentir concernés »), Uche Anizor, professeur à la Talbot School of Theology de l’université de Biola, s’adresse à ceux qui se traînent dans la vallée. Matthew LaPine, pasteur et auteur sur les thèmes de la théologie et de la psychologie humaine, s’est entretenu avec Anizor sur les causes de l’apathie spirituelle et la direction à suivre pour retrouver le chemin d’une recherche passionnée de Dieu.

Overcoming Apathy: Gospel Hope for Those Who Struggle to Care

Overcoming Apathy: Gospel Hope for Those Who Struggle to Care

Crossway

192 pages

$10.49

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire un livre sur l’apathie parmi les chrétiens ?

Il y a deux motivations. L’une vient des expériences vécues au début de ma vie chrétienne, notamment lorsque je travaillais avec Campus pour Christ. En gros, mon travail consistait à encadrer des étudiants et à faire régulièrement de l’évangélisation. Cependant, il y avait de nombreux jours où j’appréhendais d’affronter ces tâches spirituelles monumentales. Cela me troublait : j’avais travaillé à réunir des fonds pour faire cela, mais quand venait le moment de le faire, je n’en avais pas vraiment envie. La peur de se lancer pour faire de l’évangélisation était probablement un facteur. Mais dans l’ensemble, je me sentais empreint d’une certaine langueur dans mon attitude. Pendant cette période, j’ai dit et répété aux gens que mon principal défaut en tant que chrétien était d’être une personne apathique. J’ai donc voulu comprendre pourquoi c’était le cas.

Mon autre motivation vient du fait que j’ai été le mentor de beaucoup d’étudiants pendant mes années à Biola. Ils se débattent avec des problèmes souvent semblables, mais je pense que le principal est de ne pas se soucier de leur vie spirituelle. Intellectuellement, ils savent l’importance de connaître la théologie, d’aimer Jésus et de vivre la vie chrétienne. Mais ils ne parviennent pas à s’en soucier comme ils savent, au fond d’eux-mêmes, qu’ils devraient le faire.

En ce qui concerne la tendance à l’apathie, constatez-vous des différences entre les générations ?

L’apathie existe dans chaque génération. Mais différentes personnes la traitent et l’évaluent de différentes manières. Les jeunes sont souvent beaucoup plus conscients de leurs émotions que leurs aînés. Ils sont conscients de leur monde intérieur, suffisamment conscients pour vouloir en parler ouvertement. Mais ironiquement je ne suis pas sûr que cette prise de conscience les amène à faire face à ce qui se passe à l’intérieur. Ils peuvent sympathiser entre eux et se dire : « Oui, je me reconnais dans tout ça ». Mais beaucoup sont coincés dans ce bourbier de la conscience de soi.

Les générations précédentes étaient peut-être moins conscientes de leurs émotions. Même s’ils éprouvaient des sentiments d’apathie, ils s’obstinaient à foncer tête baissée et à faire le travail, alors que les membres de la génération actuelle, conscients de leurs émotions, pourraient arrêter de faire quelque chose s’ils ne ressentent pas une véritable passion. S’ils se sentent apathiques à l’égard des choses de Dieu, ils seront moins enclins à les poursuivre.

Comment feriez-vous la distinction entre l’apathie et ses proches cousins, comme la dépression, le découragement et ce que l’on pourrait appeler des « périodes de désert » ?

Il est important de noter que je n’utilise pas le terme apathie dans un sens clinique, mais plutôt dans la mesure où il se rapporte aux choses que les chrétiens sont censés valoriser, les choses de Dieu. Il existe un chevauchement entre ce type d’apathie spirituelle et la dépression, mais il existe certaines caractéristiques propres à chacune. La dépression se rapporte à des choses comme les idées suicidaires et un manque généralisé d’énergie ou de motivation dans tous les domaines de la vie.

L’apathie dont je parle, cependant, a tendance à être plus sélective. Les jeunes hommes que j’ai encadrés ne sont pas apathiques pour tout. Ils peuvent être très enthousiastes à propos des jeux, de leur petite amie ou de leur équipe de foot préférée. La dépression a tendance à être plus envahissante, et elle peut nécessiter une thérapie ou d’autres formes de traitement qui ne s’appliqueraient pas nécessairement à l’apathie.

Quant au découragement, à l’abattement, je le définis comme une profonde tristesse, ou un désarroi, surtout en ce qui concerne les choses de Dieu. Si nous avons affaire au découragement plutôt qu’à l’apathie, ce dont la personne découragée a le plus besoin, c’est d’être réconfortée.

En ce qui concerne les périodes de désert, ou ce que nous pourrions appeler la nuit noire de l’âme, nous avons affaire à quelque chose de bon et de divinement orchestré. Dieu le veut pour notre bien. La personne qui traverse le désert a simplement besoin d’aide pour persévérer et s’appuyer sur Dieu.

Dans le livre, vous décrivez plusieurs causes possibles d’apathie, du contextuel au spirituel. Comment démêler ces causes potentielles ?

De nombreuses personnes sont déconcertées par leur apathie. Dans le livre, je présente sept causes possibles, une combinaison de facteurs internes et externes. Je suis conscient que j’aurais pu en proposer davantage, mais le but est simplement d’offrir quelques aides à l’auto-diagnostique, quelques miroirs pour vous aider à évaluer où vous en êtes. Peut-être, par exemple, ma description du doute spirituel sonne-t-elle juste pour vous. Ou peut-être vous êtes-vous plongé dans les futilités et avez simplement cessé de vous préoccuper de tout. Ou peut-être avez-vous simplement cessé de faire quoi que ce soit qui se rapporte à Dieu, et donc naturellement vous y êtes devenu indifférent. Si l’une de ces causes ne vous correspond pas, passez simplement à la suivante. Ce livre est destiné à être une sorte de partenaire de conversation.

Dans votre propre cas, vous décrivez comment votre saison d’apathie est née à la fois du doute et de la dépression. Les causes spirituelles et non spirituelles peuvent-elles se renforcer mutuellement ?

L’apathie peut avoir des causes qui ne sont pas clairement morales ou spirituelles. Pensez à la tristesse, par exemple. L’Écriture ne traite pas la tristesse ou le deuil comme un problème ou un péché. Nous éprouvons tous de la tristesse, même si nous ne sommes pas censés la vivre comme ceux qui n’ont pas d’espoir. Ainsi, même si la tristesse est une catégorie amorale, elle peut contribuer au désespoir, qui est une chose qui tend vers l’apathie. Il existe d’autres choses, comme la consommation de médias ou l’expérience de certaines formes de doute, qui ne sont peut-être pas intrinsèquement problématiques, mais qui peuvent conduire à l’apathie si elles sont mal gérées ou si on y recourt trop.

Vous recommandez de combattre l’apathie par le fait de cultiver, un mélange de métaphores militaire et horticole. Pourquoi cette combinaison ?

La métaphore du combat communique que nous sommes appelés à nous engager dans une véritable bataille spirituelle avec la chair et avec l’Ennemi. Ce n’est pas un christianisme passif. Ce n’est pas juste lâcher prise et laisser faire Dieu. Nous sommes engagés dans une bataille.

Cependant, cette bataille ne se résume pas à un moment décisif où je sors mon épée de l’Esprit, récite quelques versets de l’Écriture, terrasse le Diable et passe à autre chose. Vaincre l’apathie implique de cultiver une vie de vertu, d’intégrité et de sainteté.

Vous écrivez sur l’importance de cultiver la communauté, l’affection, le sens, la mission, la générosité et la force d’âme. Qu’est-ce qui a été le plus important dans votre cheminement pour sortir de l’apathie spirituelle ?

Je dirais la communauté — à la fois la communauté locale et la communauté chrétienne au sens large. Le fait d’être avec le peuple de Dieu m’a permis de tenir bon dans mes saisons les plus arides, surtout lorsque je luttais contre le doute. Le simple fait d’être avec des chrétiens normaux et de prendre part à la vie de l’Église a été déterminant. Il a été utile d’avoir des amitiés étroites avec des personnes passionnées.

J’ai réalisé qu’il était essentiel de ne pas passer du temps uniquement avec des personnes qui étaient enlisées comme je l’étais. Je ne dis pas qu’il faut laisser tomber les gens qui se débattent. Mais il est important d’avoir des personnes à qui rendre des comptes à ce sujet, en particulier des personnes qui combattent avec un réel zèle pour Dieu et offrent de véritables exemples.

Quel est votre plus grand espoir pour ce livre ?

J’espère que ceux qui luttent contre l’apathie pourront en retirer le sentiment clair que Dieu est pour eux et avec eux. Le Père nous a donné son Fils et son Esprit, qui nous donne le pouvoir de dépasser l’apathie dans nos vies. J’espère que ce livre pourra donner aux gens un réel espoir que le changement est possible, même s’il n’existe pas de solution miracle. L’apathie n’est pas une fatalité. Idéalement, ce livre pourra offrir quelques outils pour aider les gens à faire des petits pas, et à la surmonter.

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Moi et ma maison, nous résisterons à Mammon

L’argent promet l’abondance sans dépendance, mais nous avons besoin d’un endroit où nous ne pouvons pas nous cacher.

Christianity Today June 27, 2022
Illustration par Michael Hirshon

Plusieurs amis nous ont aidés, ma femme, Catherine et moi, à emménager dans notre premier appartement, descendant puis montant deux escaliers raides et étroits. Trois objets semblaient presque impossibles à faire passer dans ces escaliers : une vieille commode fragile que ma femme avait héritée de sa grand-mère, un sommier grand format et un canapé-lit d’un poids incalculable.

Nous les avions baptisées l’Épreuve de la délicatesse, l’Épreuve de la grandeur et l’Épreuve du poids. Vingt ans plus tard, nous nous souvenons de ces épreuves, des amis qui les ont joyeusement endurées avec nous, transpirant et jurant par une chaude journée de juin, et du sentiment de soulagement lorsque nous avons finalement réussi à les surmonter.

Quelques années plus tard, il fut de nouveau temps de déménager lorsque ma femme accepta le poste qu’elle occupe depuis lors. Cette fois, l’université qui la recrutait couvrait les frais de déménagement.

Les déménageurs professionnels traversèrent à notre place les mêmes épreuves que nos amis avaient traversées quelques années auparavant — en suant et probablement en jurant aussi — mais je ne me souviens certainement pas de leurs noms, ni même du moindre détail de leurs visages. Ils ont été payés, correctement, pour faire un travail correct. Et une fois le travail terminé, ils sont partis.

C’est le pouvoir de l’argent : il nous permet de faire avancer les choses, souvent par l’intermédiaire d’autres personnes, sans les complications de l’amitié.

Et plus nous passons de temps dans le monde que l’argent fabrique, plus nous nous conformons à son image.

Jusqu’à aujourd’hui, je dois à mes amis quelque chose pour ce déménagement au début de notre mariage — au minimum, ma reconnaissance et mon affection. En réalité, je leur devais déjà quelque chose avant le déménagement. Être un ami, c’est être lié à quelqu’un d’autre, d’une manière souple, mais permanente.

Notre relation avec les déménageurs professionnels était différente. Elle a commencé et s’est terminée autour d’une forme moderne de magie — une opération qui, sans le moindre effort réel de notre part, a transporté tous nos biens de Boston à Philadelphie et les a déposés, indemnes, dans notre nouvelle maison. Au moment où les déménageurs ont placé le dernier carton dans notre salon et sont partis, notre dépendance à leur égard a pris fin.

L’expérience était dépourvue de charge relationnelle, n’imposant aucun fardeau et ne laissant aucune trace. Elle met en évidence ce que l’argent nous permet de plus caractéristique, ainsi que sa promesse la plus séduisante : l’abondance sans dépendance.

L’argent a véritablement contribué à l’épanouissement de l’humanité. Il a facilité les extraordinaires échanges de biens rendus possibles par les révolutions industrielle et informatique. Un bon travail bien fait et justement payé — comme ce fut le cas, je crois, pour les hommes qui ont participé à notre déménagement — contribue à la dignité humaine et au bien commun.

Mais l’argent ne nous a pas aidés à nous épanouir en tant que personnes dans les domaines qui comptent le plus. Il opère dans une sphère où les êtres faits de cœur, âme, esprit et force, conçus pour l’amour, sont tout bonnement hors de propos. Il est conçu pour un monde où nous n’avons pas besoin d’amour, ni même de relation, pour obtenir ce que nous voulons. Et plus nous passons de temps dans le monde que l’argent fabrique, plus nous nous conformons à son image.

Il y a un nom pour ce système mondial, le système qui alimente et est alimenté par la magie technologique que nous employons tous dans une certaine mesure au quotidien. Ce nom est ancien, et j’en suis venu à penser qu’il se comprend mieux comme un nom propre : il ne s’agit pas d’un simple nom générique, mais du nom de quelqu’un.

Ce nom, c’est Mammon.

On le trouve dans l’une des déclarations les plus dures et les plus troublantes de Jésus, rendue ainsi par les versions françaises plus anciennes : « Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon » (Mt 6.24). En parlant du danger des trésors terrestres dans le Sermon sur la montagne, Jésus décrit Mammon comme un rival de Dieu, un seigneur de substitution.

Mammon est un terme araméen, et les apôtres qui ont transmis les enseignements de Jésus les ont généralement traduits de l’araméen vers le grec que leurs lecteurs connaissaient mieux. Ils auraient pu facilement le faire avec Mammon, en utilisant des mots désignant l’argent ou même la richesse, qui ont peu de connotation négative. Au lieu de cela, ils ont laissé ce mot araméen non traduit, suggérant qu’il avait une signification particulière.

Dès les premiers siècles de l’Église chrétienne, enseignants et évêques avaient conclu qu’en utilisant le nom de Mammon, Jésus avait à l’esprit non pas un simple concept, mais une puissance démoniaque. L’argent, pour Jésus, n’était pas un outil neutre, mais quelque chose qui pouvait devenir le maître d’une personne tout autant que le vrai Dieu. Mammon n’est pas simplement l’argent, mais l’élan opposé à Dieu qui tire son pouvoir de l’argent.

Et plus nous comprenons le pouvoir pernicieux de Mammon dans l’histoire humaine, plus il semble prendre une volonté propre. Le titre de l’ouvrage What Technology Wants (« Ce que veut la technologie »), de Kevin Kelly, paru en 2010, a quelque chose d’une exagération rhétorique, mais un livre intitulé Ce que veut Mammon aurait quelque chose de tout à fait plausible, et terrifiant.

Car Mammon veut bel et bien quelque chose. Mammon n’est en réalité pas une simple chose, ni même un système, mais une volonté à l’œuvre dans l’histoire. Et ce qu’il veut, avant tout, c’est séparer le pouvoir de la relation, l’abondance de la dépendance et l’être de la personnalité.

C’est pourquoi la technologie, adoptée avec un tel enthousiasme pour son potentiel d’épanouissement humain, conduit si souvent à de surprenants dérapages. Comme le fait remarquer avec perspicacité le théologien Craig Gay dans son livre Modern Technology and the Human Future (« La technologie moderne et l’avenir de l’humanité »), la technologie n’existe pas principalement, et n’a jamais existé principalement, pour nous servir ou soutenir « l’existence humaine ordinaire incarnée ».

Au contraire, selon Gay, elle a toujours été développée pour servir d’abord et avant tout la génération de profits économiques, qu’elle contribue ou non à un réel épanouissement de la personne. Il s’agit là d’une distinction subtile, mais importante. Dans de nombreux cas, la technologie apporte réellement du bien dans nos vies. Les hôpitaux utilisent des pompes à perfusion automatisées pour administrer des doses précises de médicaments selon un calendrier rigoureux, soulageant ainsi les êtres humains d’une tâche que même les infirmières les plus dévouées auraient du mal à accomplir de manière constante. Lorsqu’un tel avantage pour les êtres humains s’aligne sur le profit économique, la technologie le « veut » bien.

Mais la technologie « veut » aussi des choses qui ne confèrent aucun avantage véritable à d’autres êtres humains que les propriétaires des entreprises technologiques. La compagnie d’assurance qui paie les pompes à perfusion peut également recueillir des données médicales, détachées du contexte humain et de la responsabilité humaine, afin de prendre des décisions plus rentables sur les pathologies — et peut-être éventuellement les individus — qu’elle refuse d’assurer.

Bien que ces tendances soient dans une certaine mesure limitées par la réglementation, il ne fait aucun doute que, laissées à elles-mêmes, les entreprises qui déploient la technologie « veulent » aussi ce résultat.

Parfois, le bilan est contrasté. Les êtres humains pourraient bien bénéficier, par exemple, d’un accès à des quantités illimitées de musique enregistrée provenant du monde entier et de toute l’histoire de la musique enregistrée. La technologie est heureuse de fournir cela : avec un profit économique conséquent pour les propriétaires de services de streaming, mais pas d’une manière qui permette de faire vivre plus d’une poignée de musiciens humains réels en activité.

Mais les êtres humains retirent également un énorme bénéfice du fait de faire de la musique, ce qui nécessite une instruction communautaire approfondie, une attention personnalisée et des années de pratique et de préparation. Il s’agit là, hélas, d’un type de bénéfice que la technologie ne peut pas facilement fournir — du moins pas de manière rentable — de sorte que la technologie ne « veut » pas particulièrement aider en la matière.

Nous nous retrouvons donc avec le monde que nous connaissons, où l’on consomme plus de musique que jamais et où l’on en interprète moins que jamais, en particulier les individus ordinaires qui pourraient vivre de cette inteprétation.

Ce que veut la technologie, en réalité, c’est ce que veut Mammon : un monde de pouvoir sans contrainte, sans responsabilité, sans dépendance, mesuré en unités de valeur stockables et remplaçables. En fin de compte, ce que Mammon veut, c’est transformer un monde fait pour et géré par des personnes en un monde fait de et réduit à des objets.

Ainsi, la raison de cette parole catégorique de Jésus sur Dieu et Mammon devient claire. Nous ne pouvons pas servir le vrai Dieu et Mammon, car leurs objectifs sont tout à fait opposés.

Dieu souhaite mettre toutes les choses au service des personnes et, ultimement, amener l’épanouissement de la création par l’épanouissement des personnes. Mammon veut mettre toutes les personnes au service des choses et, en fin de compte, parvenir à l’exploitation de toute la création.

De quel genre d’endroit avons-nous besoin pour nous épanouir en tant que personnes ?

Si vous et moi sommes des êtres intégrant cœur, âme, esprit et force, conçus pour l’amour, nous avons besoin d’un endroit où exercer nos aptitudes fondamentales, un endroit où nous pouvons vivre et canaliser nos émotions et nos désirs, être connus dans la profondeur unique de notre moi, contribuer à la compréhension et à l’interprétation du monde, et appliquer la force et l’agilité de notre corps à un travail utile dans les trois dimensions de la réalité physique.

Par-dessus tout, nous avons besoin d’un endroit où nous pouvons nous investir profondément auprès des autres, apprendre à nous soucier de leur épanouissement, et nous donner dans le service et le sacrifice mutuels d’une manière qui renforce notre propre identité au lieu de l’effacer.

Le nom de ce genre d’endroit, je crois, c’est le foyer.

Cet ancien mot un peu poussiéreux me paraît être la meilleure option que nous ayons en français pour désigner quelque chose qui était central dans la vie de nos ancêtres, et l’est toujours aujourd’hui dans de nombreuses cultures. Un foyer est une communauté de personnes qui s’abritent sous un même toit, mais aussi, et plus fondamentalement, qui s’abritent sous la protection et l’attention les unes des autres. Elles subviennent ensemble à leurs besoins et dépendent les unes des autres. Elles entremêlent leurs actifs et leurs passifs, leurs dons et leurs vulnérabilités, de telle sorte qu’il est difficile de dire où se termine la part de l’un et où commence celle de l’autre.

Le foyer est la communauté de base des individus. Il intègre plus qu’une paire isolée, mais comprend suffisamment peu de personnes pour que tous puissent être profondément, réellement et constamment vus et pris en considération. Le foyer est parfaitement dimensionné pour la reconnaissance dont nous avons tous besoin dès le moment de notre naissance.

Nous avons besoin d’un endroit où nous pouvons nous investir profondément auprès des autres, apprendre à nous soucier de leur épanouissement, et nous donner dans le service et le sacrifice mutuels.

Comment savoir si vous faites partie d’un foyer ?

Vous faites partie d’un foyer tel que je le définis s’il y a quelqu’un qui sait où vous vous trouvez physiquement aujourd’hui et qui a au moins une idée de ce que cela fait d’être là où vous êtes. Vous faites partie d’un foyer s’il y a quelqu’un qui se déplace plus silencieusement lorsqu’il sait que vous dormez. Vous faites partie d’un foyer si quelqu’un vient vous voir lorsque vous ne vous réveillez pas. Vous faites partie d’un foyer si certains autour de vous savent des choses sur vous que vous ne savez pas sur vous-même, y compris des choses que, si vous en aviez conscience, vous chercheriez à cacher.

Vous faites partie d’un foyer si d’autres personnes sont suffisamment proches de vous pour vous voir et vous connaître aussi bien, voire mieux, que vous ne vous connaissez vous-même.

Vous faites partie d’un foyer si vous faites l’expérience du conflit, le compagnon inévitable de la proximité, si quelqu’un d’autre en demande tellement de vous que vous fantasmez parfois de le chasser de votre vie. Vous faites partie d’un foyer si vous rêvez parfois de vous enfuir, peut-être dans un pays lointain, afin de ne plus être si dramatiquement connu.

Vous faites partie d’un foyer si votre retour d’un long voyage donne lieu à une fête improvisée. Vous faites partie d’un foyer si, alors que vous vous tenez à l’écart d’une fête à cause de votre colère, de votre orgueil, de votre culpabilité ou de votre honte, quelqu’un le remarque et sort pour vous implorer d’entrer.

C’est ce dont nous avons besoin plus que de toute autre chose : une communauté où nous sommes reconnus. S’il faut insister sur le fait que chaque être humain compte, qu’il soit ou non vu ou traité comme tel par les autres, nous savons aussi qu’aucun être humain ne peut s’épanouir en tant que personne s’il n’est pas effectivement vu et traité comme un être humain. Et pour cela, le foyer est le premier et le meilleur des endroits. Nous avons besoin d’un endroit où nous ne pouvons pas nous cacher. Nous avons besoin d’un endroit où nous ne pouvons pas nous perdre.

Une grande partie de la tragédie du monde moderne se résume à cela : la plupart d’entre nous ne disposent pas d’un tel endroit.

Pour certains, cette idée de foyer renvoie surtout à des images du passé. Peut-être y avait-il une maison en bas de la rue, appartenant à la famille élargie ou à des amis, dont la porte arrière nous était toujours ouverte lorsque nous étions enfants ; ou des saveurs de vie sous un même toit goûtées avec le service militaire ou le travail missionnaire à court terme ; une année ou deux avec des colocataires qui faisaient plus ensemble que simplement partager les factures du ménage. Mais comme ces arrangements ne sont pas censés durer, ils se dissolvent tôt ou tard.

Beaucoup d’entre nous ont des amis, mais les amitiés qui ne sont pas liées par une vie semblable à celle du foyer ont tendance à rester fragiles dans notre monde mobile, et ce d’autant plus après les années où se construisent les liens les plus forts, à la fin de l’adolescence.

Beaucoup d’entre nous ont une famille, mais la famille est également fragile, et son étape la plus cruciale — l’éducation des enfants de la petite enfance au début de l’âge adulte — est temporaire par définition. Un couple marié avec un ou deux enfants à la maison est la norme culturelle implicite, mais aux États-Unis où je vis cela ne représente aujourd’hui qu’une minorité des ménages recensés. Et une famille aussi petite est à peine assez nombreuse pour former réellement le genre de communauté de personnes pour laquelle nous sommes faits, même avant que les enfants ne quittent la maison.

Si vous cherchez une unique cause immédiate de la solitude épidémique dans notre monde, c’est la pénurie de foyers.

Rien ne peut vraiment gommer le fait que la plupart d’entre nous vivent de longues périodes de notre vie sans ce dont nous avons le plus besoin : une communauté qui nous reconnaît. Et il va sans dire que le simple fait d’avoir des colocataires — ou un conjoint ou des parents ou des enfants — ne garantit en rien, dans le royaume de Mammon, que nous serons membres de véritables communautés de reconnaissance, qu’il y aura quelqu’un qui nous connaît vraiment.

Si nous voulons suivre un chemin différent, nous devons travailler à bâtir nos foyers.

Si vous vivez avec d’autres personnes, y a-t-il des moments dans chaque journée où vous êtes ensemble, façonnant le tissu d’une vie dans laquelle vous êtes vus et connus ? Participez-vous ensemble à des activités qui engagent votre cœur, votre âme, votre esprit et votre force ? Vous contentez-vous de consommer, ou créez-vous ensemble, dans la cuisine, dans le salon, dans le garage, dans la cour ou sous le porche ? Y a-t-il des parties de votre vie quotidienne auxquelles les différents membres du foyer contribuent d’une manière qui intègre les dons et besoins de chacun ?

Ou bien seriez-vous plutôt de simples colocataires, chacun cuisinant, nettoyant et prenant soin de lui-même, même si vous constituez théoriquement une famille ? Y aurait-il des moyens de prendre davantage soin les uns des autres plutôt que de supposer que chaque personne se débrouillera pour subvenir à ses besoins ?

Dans certains foyers, la réponse à toutes ces questions sera évidente, mais dans d’autres, elles pourraient entraîner une refonte importante des schémas de la vie quotidienne, qu’il s’agisse de savoir qui fait la vaisselle (et qui fait la vaisselle de qui, et combien de personnes font la vaisselle) ou si toute la maisonnée se réunit pour le repas ou sort ensemble pour une promenade quotidienne.

L’intimité que nous chérissons risque constamment de se transformer en isolement.

Et puis, qui doit être inclus dans ces habitudes de la maison ? Qui pourrait encore être invité à s’y joindre ? D’autres personnes ont-elles la clé de votre logement et une invitation ouverte à l’utiliser ? Des membres de la famille vivant à une distance confortable pourraient-ils être invités à une proximité plus inconfortable, mais aussi plus propice à la connaissance mutuelle ?

Les confinements dus au coronavirus, avec leurs restrictions pour les écoles et la garde d’enfants, ont conduit de nombreuses familles à créer des « bulles » ou des « chapiteaux » regroupant une poignée d’unités parents-enfants. Ce type de relations pourrait-il se poursuivre au-delà des mesures de confinement ?

Le fait même de soulever ces questions, du moins pour moi et ma maison, suscite toute une série de doutes et de craintes. En qui ai-je vraiment assez confiance pour l’inviter si près dans ma propre vie, avec mon conjoint, mes enfants ? Comment vais-je préserver l’intimité et l’autonomie paisible que j’en suis venu à apprécier ?

Quels risques ajouterai-je à ma vie si j’invite les gens à passer outre les « distanciations sociales », si je me laisse aller à dépendre des autres plutôt que d’obtenir les services dont j’ai besoin en échange d’un paiement qui me laisse relationnellement libre ?

La vérité est que ce n’est qu’en allant au-delà de ces questions que nous découvrirons de nouvelles personnes de confiance en dehors de notre cercle le plus fermé.

L’intimité que nous chérissons risque constamment de se transformer en isolement. Il suffit de quelques revers dans notre mariage ou notre santé personnelle, sans parler de la marche des années et du vieillissement, pour que notre indépendance présente se transforme en solitude terminale.

Construire ce genre de foyers n’a rien de la solution rapide et facile. C’est un travail patient, humble et lent. Et ces foyers produisent tout le contraire de Mammon, avec sa promesse fallacieuse d’abondance sans dépendance.

Dans la dépendance mutuelle, les foyers créent le genre d’abondance qui ne peut être ni mesurée ni enlevée, qui ne rouille pas et ne peut être dérobée.

Andy Crouch est associé pour la théologie et la culture chez Praxis. Cet article est adapté de The Life We're Looking For: Reclaiming Relationship in a Technological World (« La vie que nous cherchons : Reconquérir la relation dans un monde technologique »). Copyright © 2022 Convergent Books.

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France : La liberté religieuse doit être surveillée « comme le lait sur le feu ».

Et autres nouvelles des chrétiens à travers le monde.

Christianity Today June 27, 2022
Charly Triballeau / Stringer / Getty

Les évangéliques français ont demandé au président Emmanuel Macron de donner la priorité à la liberté religieuse lors de son second mandat. Thierry Le Gall, membre du Conseil national des évangéliques de France, a déclaré : « La liberté d’expression religieuse doit être surveillée comme le lait sur le feu », car les récentes lois visant les musulmans ont fait passer la nation « d’un pacte républicain de tolérance à une politique de surveillance des religions ». Les sondages montrent que la majorité des évangéliques ont soutenu Macron plutôt que son adversaire d’extrême droite Marine Le Pen. Macron est un agnostique.

États-Unis : Les anglicans perdent 14 propriétés dans une bataille judiciaire en Caroline du Sud

La Cour suprême de Caroline du Sud a statué que l’Église anglicane d’Amérique du Nord doit rendre 14 des 29 propriétés paroissiales réclamées par l’Église épiscopalienne. Ces paroisses se sont séparées de l’Église épiscopalienne en 2012, emportant avec elles des propriétés de l’Église d’une valeur d’environ 500 millions de dollars, après qu’une convention générale ait voté pour autoriser la bénédiction des unions homosexuelles. Le tribunal d’État a statué en faveur des congrégations dissidentes en 2017, mais la décision a été portée en appel. Au second examen, le tribunal a établi que 14 des paroisses désaffiliées avaient accepté un règlement de 1979 qui stipulait qu’elles détenaient leurs biens à titre fiduciaire pour la dénomination.

République dominicaine : les évangéliques appellent à une réforme de la police

La Confrérie des pasteurs des Églises évangéliques d’Ocoa appelle à une réforme de la police dans la capitale de la province après le décès d’un homme de 32 ans en garde à vue. Le personnel médical a d’abord déclaré que José Gregorio Custodio avait été tué par un passage à tabac de la police, mais il a ensuite changé d’avis et déclaré que les ecchymoses sur le corps du défunt étaient dues à une réaction allergique. « Lorsqu’un citoyen est arrêté, on ne doit pas le maltraiter et encore moins le tuer », déclare le pasteur Andrés Febles.

Trinité-et-Tobago : Une école des Assemblées de Dieu confrontée à un audit

Le gouvernement de Tobago enquête sur les finances d’un lycée des Assemblées de Dieu qui a fermé subitement. La Pentecostal Light and Life Foundation High School a fermé en avril, un jour après le début du trimestre scolaire, et 23 des 27 enseignants de l’école ont quitté les lieux en raison de préoccupations concernant l’état du bâtiment. Deux autres écoles ont été fermées de la même manière, une catholique et une adventiste du septième jour, et elles feront également l’objet d’une enquête. L’école des Assemblées de Dieu reçoit l’équivalent d’environ 88 000 $ du gouvernement par trimestre, dont une partie est censée financer l’entretien du bâtiment. Le directeur de l’école a déclaré qu’il s’agissait de problématiques en cours et a critiqué la secrétaire de l’éducation pour avoir rendu publiques ses préoccupations sur les médias sociaux.

Suisse : Un demandeur d’asile chrétien gagne en appel

La Cour européenne des droits de l’homme a jugé que les autorités suisses n’avaient pas correctement évalué le risque encouru par un converti de l’Armée du Salut s’il était expulsé vers le Pakistan. Elles ont examiné la persécution des Églises, mais pas les risques encourus par les convertis individuels. Les gouvernements européens s’efforcent de développer un système viable pour évaluer la légitimité des conversions des demandeurs d’asile.

Nigeria : Des pasteurs débattent du mariage « biblique »

L’acteur nigérian Yul Edochie a annoncé son mariage avec une seconde épouse, suscitant un débat national sur la polygamie. Reno Omokri, ancien collaborateur du président Goodluck Jonathan et pasteur indépendant, a déclaré que, dans les Écritures, de nombreux hommes pieux sont polygames et que cette pratique n’est interdite qu’aux évêques et aux anciens. L’acceptation par les Africains de la « construction occidentale » de la monogamie a conduit à l’acceptation sociale de l’adultère et du mariage homosexuel, a-t-il soutenu. Kingsley Okonkwo, un pasteur qui aborde fréquemment la question des relations, a répliqué que si certains hommes dans la Bible avaient plus d’une femme, il est clair dans les Écritures que cela n’a jamais été le plan de Dieu pour le mariage.

Israël : Hommage à un officier de police tué

Des bus entiers de juifs ultra-orthodoxes ont assisté aux funérailles d’un officier de police arabe chrétien, l’honorant comme un « héros d’Israël ». Amir Khoury, 32 ans, s’est précipité sur la scène d’une fusillade terroriste dans la ville de Bnei Brak, près de Tel-Aviv. Lui et son partenaire ont échangé des coups de feu avec un Palestinien de 27 ans qui était apparemment furieux qu’une parente ait été attaquée par des colons. Le Palestinien et Amir Khoury ont tous deux été tués dans la fusillade. Les chrétiens d’Israël ont récemment eu des différends avec les autorités. Certains prétendent que le gouvernement ne veut pas d’eux dans le pays.

Corée du Sud : 1 million de dollars envoyés pour les immigrants juifs en Israël

Des chrétiens sud-coréens ont fait don d’un million de dollars pour aider des juifs éthiopiens et ukrainiens à immigrer en Israël. L’argent sera versé à l’Agence juive pour Israël et a été réuni par One New Man Family, un ministère qui vise à rapprocher les juifs et les non-juifs pour « célébrer la seconde venue du Christ », selon son site Web. La plupart des chrétiens coréens considèrent que l’Église est le nouvel Israël, mais le pasteur Eun Soo Seol — également connu sous le nom de Pasteur Joshua — veut les persuader de « considérer Israël comme l’Israël biblique ».

États-Unis : Décès d’une femme affirmant avoir été baptisée sous la contrainte

Le Bureau d’enquête du Tennessee se penche sur la mort d’une femme de 42 ans qui poursuivait un adjoint du shérif pour l’avoir forcée à se faire baptiser. Shandle Marie Riley avait été arrêtée lors d’un contrôle routier en 2019 et avait dit à l’adjoint Daniel Wilkey qu’elle avait un joint de marijuana sur elle. Elle affirme que l’adjoint lui a alors proposé un choix : l’arrestation ou le baptême. Shandle Marie Riley a choisi le baptême. Le rituel religieux a été filmé par un deuxième adjoint. Elle a ensuite intenté un procès, affirmant que les forces de l’ordre avaient violé sa liberté religieuse. Un juge du Tennessee a décidé en avril que le procès pouvait avoir lieu. Une semaine plus tard, Shandle Marie Riley a été retrouvée morte. Daniel Wilkey a également été accusé de pratiquer des fouilles intégrales à nu de personnes sur le bord de la route et fait face à de multiples poursuites civiles et accusations criminelles à Chattanooga.

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Un film pour envisager le désarmement ?

En 2015, une petite-nièce de Walt Disney et un évangélique ont osé baisser la garde pour aborder ensemble les rapports entre évangéliques, armes à feu, peur et nécessité d’aller à la rencontre de l’autre. Interview croisée.

Rob Schenck dans « The Armor of Light »

Rob Schenck dans « The Armor of Light »

Christianity Today June 22, 2022
Jeff Hutchens

Cette traduction a fait l’objet d’une mise à jour.

Le film The Armor of Light (« Les armes de la lumière ») a commencé à tourner dans les festivals au printemps 2015. Depuis lors, ce documentaire abordant le débat sur les armes à feu dans le contexte de l’évangélisme américain et du mouvement pro-vie n’a fait que gagner en pertinence. La réalisatrice Abigail Disney se décrit comme une « féministe pro-choix », mais elle a grandi dans le contexte politique conservateur de sa famille (oui, ces Disneys-là — Walt était son grand-oncle). Son intérêt pour la question est à la genèse du film.

Le film (qui tire son nom de Romains 13.12) suit le révérend Rob Schenck, plus connu pour son engagement intense en tant que militant pro-vie au début des années 1990. Au moment de participer à ce documentaire, Schenck était président de Faith and Action à Washington, D.C. et de la Evangelical Church Alliance. À la suite d’une fusillade de masse survenue non loin de chez lui, il a commencé à s’interroger sérieusement sur son point de vue sur la violence et la politique en matière d’armes à feu et sa relation avec sa position ferme sur l’avortement : est-il possible de se dire pro-vie en matière d’avortement et d’être en même temps pro-armes ? Il rencontre alors Lucy McBath, une chrétienne dont le fils adolescent, Jordan Davis, a été abattu alors qu’il n’était pas armé. Ce cas a fait beaucoup de bruit dans les débats sur les lois protégeant les droits à l’autodéfense (« Stand Your Ground ») en Floride. Une amitié se développe entre eux, ce qui incite Schenck à entamer une série de conversations à travers le pays avec des leaders évangéliques, se demandant si être pro-armes et pro-vie sont des positions compatibles.

Le film donne matière à réflexion. Il est parfois inconfortable. Je ne peux pas imaginer que quiconque, quelles que soient ses croyances, ne puisse le voir sans en retirer quelque chose à considérer sérieusement. Et bien que The Armor of Light soit indéniablement bien fait et convaincant, ce qui m’a le plus frappé est son portrait incroyablement sensible et nuancé de Schenck et des autres évangéliques avec lesquels il interagit.

J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec Abby Disney et Rob Schenck, qui restent ancrés dans leurs opinions politiques respectives (et opposées) — Disney est toujours une féministe pro-choix, et Schenck un évangélique pro-vie — mais dont l’amitié et le respect mutuel sont palpables même au téléphone. (Le texte de l’interview qui suit a été légèrement modifié pour plus de clarté.)

La genèse du projet

Christianity Today : Comment vous êtes-vous retrouvés tous les deux impliqués dans ce projet ?

Abigail DisneyJoey L.
Abigail Disney

Abigail Disney : J’avais entendu parler de la problématique des armes à feu depuis très longtemps et je me demandais quel serait le moyen d’amener les gens à en parler et à réfléchir à cette question — non d’une manière enflammée, mais dans un réel dialogue. L’idée était d’éveiller les consciences et d’apporter quelque chose d’une nouvelle contribution au débat. Tout ce que nous faisons, c’est tourner et retourner quatre ou cinq mêmes idées.

Les chrétiens évangéliques au sein du mouvement pro-vie ont généralement une vision du caractère sacré de la vie que je trouve magnifique. Même si je suis moi-même une féministe pro-choix, je soutiens la vie. Je me suis vraiment demandé comment cela pouvait coexister avec certains discours sur les armes à feu, qui sont si désinvoltes à l’égard non seulement des armes à feu, mais aussi dans le langage utilisé à propos du fait d’ôter la vie humaine ; à mes yeux c’est parfois un peu une culture à la Die Hard. Je ne comprends pas comment ces deux choses s’accordent, alors je suis allée chercher des gens avec qui parler de cela.

J’ai parlé à trois ou quatre autres personnes avant de rencontrer Rob. Rob m’a vraiment écoutée, et a vraiment entendu ce que j’avais à dire. De toute évidence, il était plus nuancé que moi. Une seule conversation a suffi pour susciter son attention. Il a reconnu qu’il y avait une incohérence, et que c’était important. Ainsi, à partir de cet échange, une conversation beaucoup plus large s’est engagée avec le film.

Révérend Rob Schenck
Révérend Rob Schenck

Rob Schenck : Je dois ajouter que ce n’était pas la toute première fois que je reconnaissais la contradiction entre les valeurs que tant d’évangéliques défendent sur le caractère sacré de la vie et la position qu’ils adoptent sur l’utilisation des armes à feu pour leur défense personnelle. Dans mon esprit, il y a une différence importante entre quelqu’un qui utilise une arme à feu pour la chasse ou le sport, et quelqu’un qui possède une arme et pense l’utiliser pour tuer ou mutiler un autre être humain. C’est une question éthique différente.

Cela m’avait donc traversé l’esprit. Dans le film, nous montrons une expérience avec une famille amish en Pennsylvanie qui avait soulevé des questions dans mon cœur et mon esprit, mais je n’y ai d’abord accordé aucune attention particulière. Je l’ai en quelque sorte compartimentée. La question des armes appartenait à un espace différent de celui de mes questions sur le caractère sacré de la vie humaine naissante.

C’est comme ça que j’ai vécu avec ça jusqu’à ce qu’Abby propose d’en faire un examen minutieux dans ce film. Cela m’a semblé très nécessaire et important à la fin de cette conversation, mais aussi très effrayant. Je connaissais l’univers de ceux qui composaient les associations que je présidais, et je les ai sondés, environ 100 000 personnes. 95 % d’entre eux s’alignaient sur la position de la NRA à propos des armes à feu et d’une interprétation sans restriction du 2e amendement à la Constitution.

Je savais que des personnes au sein de mon organisation me disaient de ne pas aborder le sujet, de ne pas y réfléchir. Il m’a donc fallu du temps, cinq ou six semaines, pour envisager cela, dans la prière et en mon for intérieur, avant de le prendre en considération à l’intérieur de mon organisation et à l’extérieur. Finalement, j’ai parlé à une personnalité chrétienne conservatrice importante qui m’a dit : « Si c’est vraiment votre conviction, vous devriez la rendre publique ».

C’est à partir de là que je me suis autorisé à prendre ce risque, et cela s’est effectivement avéré assez risqué. Pas de la façon dont je m’y attendais, mais il y a assurément eu des difficultés.

CT : Vous étiez inquiet de perdre des ressources et des membres de votre organisation, n’est-ce pas ?

RS : Exact. Et nous avons enregistré des pertes. Nous avons eu quelques donateurs importants qui ont dit qu’ils ne soutiendraient plus notre organisation ou moi. Mais en réalité, la perte qui me préoccupe le plus, ce sont les amitiés. J’entretiens certaines amitiés profondes de vingt ou trente ans, et j’ai perdu des amis à cause de cela. Pour moi, c’est le plus grand prix à payer.

Amitié et choix de la paix

CT : L’amitié occupe une place importante dans ce film ; les véritables progrès dans la vie sociale passent par l’amitié. Quelque chose vous a-t-il surpris à propos de l’amitié alors que vous travailliez sur ce sujet ?

Abigail Disney et Lucy McBath dans « The Armor of Light »Eva Anisko
Abigail Disney et Lucy McBath dans « The Armor of Light »

RS : Tout d’abord, si vous m’aviez demandé il y a dix ans si j’aurais l’amitié que j’ai avec une féministe pro-choix et de gauche — une militante féministe très progressiste qui soutient de nombreuses organisations auxquelles je m’oppose depuis trente ans maintenant — je pense que j’aurais été ouvert à cette idée. Mais je n’aurais eu aucune idée de la façon dont cela aurait pu se produire. Je considère comme un précieux cadeau de Dieu le fait d’avoir une amitié avec Abby ; sur de nombreux sujets, cela m’apporte une perspective que je n’aurais pas eue autrement.

CT : Quel genre de perspectives ?

RS : Pour commencer, sur la question des armes à feu bien sûr. C’est une préoccupation éthique et morale primordiale pour moi et pour d’autres. C’est une grande question pour le mouvement évangélique et l’Église dans son ensemble, pour toute notre société. Je n’aurais pas sorti cela du secret de mon cœur sans la douce incitation d’Abby. C’est une conséquence de notre collaboration professionnelle et de notre amitié.

Par ailleurs, si vous m’aviez demandé il y a trois ans si je me souciais vraiment des femmes concernées par la question de l’avortement, j’aurais répondu oui. Mais cela aurait été théorique. En réalité, je ne m’en souciais pas, et c’est une prise de conscience très importante pour moi.

En discutant avec Abby, j’ai pris conscience d’un élément de l’équation que j’avais négligé : la personne que je décris comme la mère de l’enfant, la personne qui paie le plus lourd tribut à l’avortement, n’était pour moi qu’un facteur secondaire. C’était juste une forme de mépris. J’ai dû admettre moi-même que je n’avais pas pris en compte tous les paramètres du problème. Et c’est un autre cadeau d’Abby.

Mais la chose la plus importante que j’ai reçue d’Abby est probablement de changer mes stéréotypes sur les militants progressistes. J’ai toujours essayé de progresser en la matière, et je n’ai pas réussi moi-même, mais j’y suis presque grâce à mon amitié avec Abby. Je suis une personne plus intègre et plus fidèle à l’Évangile. Le Christ est resté attaché à la vérité, mais n’a pas non plus eu de mépris pour ceux qui l’entouraient. Je veux être plus semblable au Christ, et Abby m’y aide.

CT : Waouh. C’est génial.

AD : Oui, vraiment ! Je n’aurais jamais imaginé qu’une amitié puisse naître de cette façon. Lors de la première rencontre, je crois que je considérais un peu Rob comme anti-femme. Je soupçonne que je ne m’intéressais pas autant à lui qu’à ce qu’il véhiculait. Mais je me suis retrouvée à penser : « Attends, nous parlons de la même façon ! Comment est-ce possible alors que nous sommes dans des camps opposés ? Comment est-il possible que nous pensions de la même façon ? » C’est une révolution, quand vous réalisez cela.

Après tous mes cours sur la résolution des conflits, l’étude des femmes dans le mouvement pour la paix, j’ai réalisé que la paix est une question de relations. Elle n’arrive pas par hasard. Vous devez la choisir ; vous devez la faire. Ce fut la plus agréable des surprises de trouver un ami au milieu de tout cela.

CT : The Armor of Light a quelque chose d’assez unique. Au contraire de certaines tendances dans la culture, il présente les évangéliques comme des personnes intelligentes, réfléchies, sympathiques et ayant des principes. Comment avez-vous abordé ce défi ?

AD : Rob m’a raconté son arrière-plan dans une famille progressiste, voire libérale. Et je me suis tout à fait sentie en phase avec son vécu. Nous avons fait des expériences similaires lors de grands repas de famille, où l’on doit travailler à conserver dans son cœur de l’amour pour quelqu’un avec qui on n’est vraiment pas d’accord. Peu d’entre nous le font.

RS : C’est pour cela que, même si je considère que l’amitié avec Lucy [McBath] est d’une grande importance, a une grande valeur à tous égards, elle est très différente : Lucy et moi venons du même univers de foi. Lucy est une véritable chrétienne, même si nous ne sommes pas d’accord sur la question de l’avortement. C’est une autre amitié qui est née de ce projet. Et en réalité, c’est Lucy qui m’a fait franchir le pas. C’est une relation importante pour moi.

CT : On le voit dans la conversation que vous avez avec elle dans le film, lorsqu’elle vous supplie de prendre en compte l’enjeu de la question des armes à feu. Ce passage m’a vraiment marquée.

Rob Schenck et Lucy McBath dans « The Armor of Light »Jeff Hutchens
Rob Schenck et Lucy McBath dans « The Armor of Light »

Pourquoi en faire un film ?

CT : Beaucoup de gens ont écrit des livres et des articles sur ce sujet, mais vous en avez fait un film. Selon vous, quel est l’intérêt d’utiliser ce support ? Qu’est-ce qui, dans le film lui-même, en fait un moyen efficace d’explorer cette question ?

AD : J’ai grandi dans une famille de cinéastes, vous le savez, et j’ai réfléchi aux différents supports. On pense qu’on peut faire rentrer tellement de choses dans un film, mais ce n’est pas le cas. Les films ne servent pas avant tout à transmettre des informations. Les documentaires les plus efficaces sont ceux qui racontent des histoires. Ils sont comme un manège : vous devez y monter et le laisser vous emmener là où il veut vous emmener. Pensez à ce que vous ressentez dans une salle obscure, lorsque vous n’êtes même plus conscient de votre corps physique : c’est comme si un rêve commençait. Pendant un bon film, votre cœur s’ouvre d’une manière toute particulière. Il ne s’agit pas de persuasion ; c’est quelque chose de plus profond. C’est un pouvoir sacré, un don sacré pour faire cela, et je déteste le voir utilisé pour des bêtises.

J’ai écrit, j’ai parlé, j’ai essayé de persuader pendant toute ma vie, de changer la façon dont les gens pensent. Puis j’ai fait un film à la fin de la quarantaine et je me suis demandé pourquoi je n’avais pas fait ça toute ma vie. Alors, bien sûr, il fallait que ce soit un film, et peut-être un livre, et peut-être plus. Mais nous avons commencé par le film, car il fait appel à l’imagination morale et créative du spectateur.

En même temps, nous avions le potentiel pour faire un film vraiment ennuyeux. Si tout est trop cérébral, c’est voué à l’échec. Nous devions donc trouver un moyen d’amener les gens à vraiment ressentir les choses et à avoir une réponse à la fois émotionnelle et consciente. Cela a nécessité beaucoup de bonnes prises de vue. Nous avons accordé beaucoup d’attention à la façon dont le film a été tourné. Aussi important que soit l’aspect émotionnel, c’est aussi la beauté du film qui vous invite à y entrer, avec également le montage et la musique. Tout cela permet d’embarquer les gens dans ce que vous voulez leur permettre d’entendre. Nous sommes vraiment fiers d’avoir pu le faire.

RS : À plusieurs reprises en cours de route, Abby a dit avoir le sentiment que certaines choses étaient orchestrées et préparées pour le projet. J’aime à penser que cela a été providentiel. Abby, je ne pense pas que tu étais consciente des origines familiales de Jeff [Hutchens, le directeur de la photographie du film], n’est-ce pas ?

AD : Pas du tout !

RS : Notre principal directeur de la photographie avait de profondes racines évangéliques, même s’il ne s’identifie pas comme tel. Abby avait une attitude très ouverte et généreuse envers les évangéliques, et Jeff connaissait parfaitement la culture, ce qui lui permettait d’évoluer avec facilité dans le décor. Non seulement il connaissait parfaitement cette culture, mais il était parfaitement à l’aise dans cet environnement. Je pense que cela a ajouté quelque chose.

À propos de la peur

CT : En 2015, Marilynne Robinson a écrit quelque chose d’intéressant sur le christianisme et la peur dans la New York Review of Books : « Premièrement, l’Amérique contemporaine est pleine de peur. Deuxièmement, la peur n’est pas une habitude d’esprit chrétienne. » Le président Obama a lu l’article et s’est rendu dans l’Iowa, où ils ont eu une conversation sur la peur, les armes à feu et bien d’autres sujets. Que pensez-vous de cette déclaration ? Et Rob, vous qui voyagez dans tout le pays pour rencontrer des leaders évangéliques, voyez-vous la peur comme facteur central dans les débats ?

Rob Schenck dans « The Armor of Light »Jeff Hutchens
Rob Schenck dans « The Armor of Light »

RS : Je n’ai pas encore lu l’article, mais d’après ce que vous avez dit, j’applaudis [Robinson] d’avoir mis en évidence le problème de la peur ; si ce n’est pas le problème central, alors c’en est très proche. La peur, à bien des égards, est l’antithèse de la foi. La foi inspire la confiance et la sécurité individuelle. Cela ne se produit pas instantanément : la peur est humaine, et c’est naturel. Jésus en a fait l’expérience dans son humanité, dans le jardin de Gethsémané.

Nous n’arriverons jamais à totalement vaincre la peur, mais nous devons l’identifier pour ce qu’elle est. Je crois que sa présence de manière aussi prononcée dans la communauté évangélique est due à l’alarmisme qui sévit depuis vingt ans, à une échelle très large. Lorsque ce ne sont pas les prédictions intempestives sur la fin des temps et la prophétie, c’est l’obsession des risques de persécution, dont nous ne savons en réalité presque rien dans ce pays. Nous parlons beaucoup de persécution et comparons les diverses persécutions, mais si vous nous comparez à d’autres pays, il n’y a rien de tel ici. C’est un état imaginé, qui n’existe pas vraiment.

Mais certains en tirent littéralement profit. Je le sais de par mon expérience personnelle. Lorsque nous collectons des fonds pour notre organisation, nous entendons dire que la meilleure façon de collecter des fonds est de susciter la peur et la colère. Si nous pouvons mettre les gens en colère, nous récolterons plus d’argent. Cela ne se fait pas seulement dans le monde chrétien, pas seulement dans les collectes de fonds conservatrices : cela se fait partout ! Des milliards de dollars sont littéralement collectés au moyen de cette tactique de la peur et de la colère.

La peur n’aide pas seulement les gens à collecter des fonds. Elle permet également de se constituer un public, qu’il s’agisse de lecteurs, d’auditeurs ou de téléspectateurs. Si vous faites peur à quelqu’un, vous attirerez son attention d’une manière toute particulière et efficace.

Cela a été encouragé pendant longtemps, et cela revient directement à la question des armes à feu. Pourquoi les chrétiens s’arment-ils ? Ils ont peur que quelqu’un vienne les chercher. Je connais même des pasteurs qui portent des armes à feu en chaire. L’un d’entre eux m’a dit : « Si quelqu’un entre dans mon Église et tente quelque chose, il le regrettera, car je le ferai sortir directement depuis le haut de la chaire ».

Ce genre de manière de penser constitue un énorme problème pour le témoignage de l’Évangile, mais tout cela est motivé par la peur. Et la peur est alimentée par d’autres éléments. La peur de l’autre est l’un des principaux carburants. Mais comme Jésus nous le dit à plusieurs reprises, l’Évangile est l’antidote à la peur.

Reporter culture et cinéma pour le magazine Vox, Alissa Wilkinson a été critique cinématographique en chef pour Christianity Today et est professeure assistante au King’s College de New York. Elle écrit beaucoup sur la culture pop et la religion et est la co-auteure, avec Robert Joustra, de How to Survive the Apocalypse : Zombies, Cylons, Faith, and Politics at the End of the World (Eerdmans, 2016). Retrouvez-là sur Twitter @alissamarie.

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Church Life

La plus grosse erreur que l’Église puisse commettre

Comment les restrictions gouvernementales suscitent un réveil en Algérie

Photo de couverture de Daoud Abismail

Christianity Today June 17, 2022

La salle d’audience se fait silencieuse. Le pasteur Rachid Seighir se redresse, attendant le verdict de son dernier appel. 

Sa librairie dans la ville d’Oran, en Algérie, est fermée depuis 2017, date à laquelle la police a confisqué son matériel d’impression. À l’époque, il était accusé d’imprimer et de distribuer de la littérature chrétienne. Bien que le juge lui ait alors donné raison et que son matériel lui ait été rendu, la librairie n’a jamais rouvert. En 2021, l’accusation est réapparue, glissée sous la porte de l’église que Rachid dirigeait. Il a été condamné à une amende et à deux ans de prison. Le gouvernement algérien a aussi fermé l’église.

À présent, le monde de Rachid est en suspens. Avec un petit geste, le juge prononce le verdict : un an de prison avec sursis et une amende. Rachid pousse un long soupir de soulagement et quitte le palais de justice, profondément reconnaissant de rentrer chez lui auprès de sa femme et de ses deux enfants adolescents plutôt que d’en prison. 

Grâce à ses frères et sœurs du monde entier qui le soutiennent dans la prière, Rachid a pu continuer à faire appel de l’accusation, mais ce n’est pas la première fois qu’il se retrouve au tribunal. Face aux privations de liberté, il sait ce qu’il en coûte de partager activement l’amour de Dieu dans son pays.

En octobre 2017, quelques années avant son audience en appel et avant que le gouvernement n’impose de sévères restrictions aux rassemblements d’Églises, des disciples algériens de Jésus aux abords de la ville côtière d’Oran découvraient un sceau de cire rouge recouvrant la serrure et dégoulinant sur la poignée de la porte de la Maison de l’espoir, une église protestante et un lieu de service de premier plan. Selon un ordre du gouverneur d’Oran, toutes les activités et réunions à la Maison de l’espoir et dans plusieurs autres églises à travers le pays devaient cesser immédiatement.

En septembre 2018, les croyants d’Algérie, réunis au sein de l’Église protestante algérienne (EPA), ont entamé une année de prière et de jeûne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Les deux années suivantes ont apporté plus de troubles : plus de fermetures d’églises, plus de pression sur les propriétaires fonciers louant des espaces aux chrétiens, plus de persécution pour les croyants individuels, y compris des peines de prison pour ceux accusés de prosélytisme. Puis la pandémie a frappé et donné au gouvernement algérien une raison supplémentaire de restreindre le rassemblement des croyants protestants.

Le pasteur Youssef Ourahmane, vice-président de l’EPA, et son épouse, Hie Tee, sont des pionniers du mouvement de formation de missionnaires et de disciples en Algérie, et les fondateurs de la Maison de l’espoir. Ils considèrent que les récents épisodes de persécution sont « en quelque sorte normaux ». « Nous persévérons tous parce que nous devons continuer à tenir bon et laisser le Seigneur combattre pour nous. »

Mon contact avec les Ourahmanes s’est fait par téléphone depuis leur maison dans le sud de l’Espagne, où ils attendaient que les restrictions de voyage soient levées. Ils possèdent un appartement en Algérie qui, tout comme la Maison de l’espoir, a été scellé dans les premiers jours de la série de fermetures d’églises. « Nous avons transformé la fenêtre en porte », dit Hie Tee. « Le Seigneur nous donne le courage et la paix pour faire ce que nous avons à faire. »

La persécution, bien sûr, n’a rien de nouveau pour les chrétiens. Jésus lui-même a été maudit, critiqué, condamné et finalement crucifié — avant de ressusciter des morts et d’apporter l’espoir, la paix et l’assurance de l’amour de Dieu dont les croyants bénéficient aujourd’hui. Malgré les menaces et les agressions physiques auxquelles ils ont été confrontés, Hie Tee affirme que « les disciples ont continué à partager l’Évangile, et cela ne s’est pas arrêté depuis. De la même manière, nous poursuivons simplement, avec sa protection, sa grâce et sa force qui nous équipent, et son Esprit saint. C’est à lui que revient la gloire ».

Youssef acquiesce. « La plus grosse erreur que l’Église puisse commettre est de céder à la peur », en particulier au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, où les disciples de Jésus sont souvent confrontés à de fortes réactions de la société et à des persécutions pour leur foi. « Tant d’Églises ont cédé à la peur, et ne sont pas parvenues à faire ce que Dieu leur a demandé de faire ».

Khaled Hamoud

Avant la vague de répression du gouvernement contre les rassemblements chrétiens, les fidèles de l’une des plus grandes églises situées dans les montagnes aux cimes enneigées de Kabylie — le berceau du réveil algérien — arrivaient une heure à l’avance pour s’assurer une place. Les croyants se rassemblaient dans le calme et se préparaient à adorer Dieu et à accueillir la présence du Saint-Esprit. Les cultes se prolongeaient régulièrement pendant près de trois heures. Ensuite, comme certains n’étaient pas pressés de partir, ils restaient sur place et passaient encore du temps ensemble.

Depuis l’une des toutes premières actions d’évangélisation dans la région en 1981, quand une trentaine de jeunes hommes ont décidé de suivre Jésus lors d’un tournoi de football, la lumière du Christ a insufflé la vie à des centaines de milliers d’Algériens, suscitant d’innombrables groupes de maison et Églises. L’Église naissante, bien que reconnue par le gouvernement, a été persécutée dès sa création. Comme Rachid, les premiers croyants algériens mémorisaient des versets sur la façon de surmonter la peur, sachant qu’ils pouvaient perdre leurs moyens de subsistance, voire leur vie, s’ils décidaient de suivre Jésus.

Les restrictions d’accès aux bâtiments d’Église et à des lieux comme le Centre Emmanuel, un grand centre de formation missionnaire en Kabylie, ont également eu un impact sur la formation à l’évangélisation. Youssef et Hie Tee avaient rêvé d’envoyer 1 000 croyants algériens pour partager l’amour de Dieu dans d’autres pays d’ici 2025. « La fermeture de l’Église nous a conduits à plus d’humilité à bien des égards », commente Hie Tee. Le discipulat et la formation ont perduré, mais à une échelle plus réduite. « Le grand changement pour lequel nous allons prier, c’est qu’à travers cela, au sein de l’Église du Christ en Algérie, il y ait des gens qui s’éveillent à la mission. » « Dieu est aux commandes, et Dieu est en train de purifier l’Église et de faire en sorte que les gens le cherchent. » 

En tenant bon, l’Église algérienne est devenue un exemple pour les autres chrétiens de la région, en particulier ceux issus de milieux musulmans. Les croyants algériens sont « tous des convertis musulmans, mais ils n’ont pas peur ; ils résistent », dit Youssef. « Ils ne sont pas seulement prêts à croire, mais aussi prêts à souffrir. »

Ces souffrances ont également suscité un soutien international. Des dirigeants américains, français et suisses sont intervenus en faveur des croyants algériens. Du fait de la persécution, le monde en a appris davantage sur la situation et la bravoure de l’Église algérienne.

Et si les chrétiens d’Algérie n’ont toujours pas le droit de se réunir en grands groupes dans des bâtiments d’Église, ils continuent à diffuser l’Évangile en ligne par le biais de ministères très actifs sur les réseaux sociaux et de programmes télévisés sur Internet diffusés en arabe, en kabyle et en français. 

Le fait de pouvoir se rassembler est un cadeau, mais même lorsque cela est interdit, Dieu est toujours à l’œuvre. « Malgré tout cela, dit Youssef, les gens continuent à venir à la foi. » 

Church Life

Une « terre vaine » pour cour de récréation

Comment une jeune fille a gardé la foi au milieu de la dévastation spirituelle.

Photo de couverture de Natalya Letunova

Christianity Today June 17, 2022

Avertissement : cet article contient des éléments pouvant heurter la sensibilité de certains.

Mon père a vécu la majeure partie de son enfance juste à côté de la « ligne verte » qui divisait Beyrouth en deux, dans un immeuble de deux étages, mal conçu et abîmé, aux murs corail et aux volets verts. Bien qu’en bonne partie effondré et portant les cicatrices de la guerre, il est toujours là, caché parmi les bâtiments plus robustes de la rue Mar Maroun. La cour de récréation de l’école voisine matérialisait le souvenir de la terreur qui avait autrefois envahi la région. Mon père m’avait raconté : « Lorsque Ain El Remmaneh était assiégée, quiconque mourait était placé dans un sac en plastique et jeté dans la cour de récréation de l’école Seid. Cette cour était pleine des cadavres de ceux qui étaient morts sans raison ».

Un wagon de train positionné en travers de la rue bloquait le passage de l’est à l’ouest de Beyrouth. Des containers remplis de sable étaient empilés sur le dessus pour empêcher les snipers de tirer sur les passants. Les gens ne pouvaient pas marcher dans la rue pour faire leurs courses. Lorsqu’ils avaient besoin d’aller au magasin, ils se hâtaient d’un bâtiment à l’autre en passant par les trous dans les murs. « Nous ne pouvions même pas ouvrir les fenêtres », me raconta mon père. « Nous disposions nos matelas dans le couloir intérieur de notre maison dès que les bombardements commençaient. Ainsi, un obus devait traverser deux murs avant de nous atteindre. Une fois, une bombe a explosé juste au-dessus de notre chambre, et parfois, en regardant dehors, je voyais des balles arriver vers nous puis laisser leur marque sur les murs extérieurs… Nous n’avions pas d’électricité, pas de lign téléphonique et pas d’eau. Nous mangions régulièrement du pain moisi. Le pire, c’étaient les meurtres et les enlèvements arbitraires. »

Des clichés dystopiques de Beyrouth inondent mon esprit chaque fois que mes parents racontent des histoires de guerre. Comme mes parents, de nombreux Libanais ont dû vivre longtemps après la guerre avec ce que Samir Khalaf appelle « les séquelles spécifiques de la terreur et des conflits collectifs ». Cette série de guerres par procuration menées sur notre terre s’est terminée sans résolution claire. Ces massacres et ces dégâts colossaux ont été vains.

Par où commencer pour raconter les malheurs qui ont frappé ce pays au cours des quelque cent dernières années ? Devrais-je commencer par la guerre entre druzes et chrétiens de 1860 qui a fait des milliers de morts ? Devrais-je raconter la famine de masse des Libanais pendant la Grande Guerre, alors que le règne de 400 ans de l’Empire ottoman tremblait et s’effondrait et que le mandat français de 1920 se préparait dans les coulisses ?

Marten Bjork

Les troupes françaises quittèrent le Liban en 1946. Avec le recul, nous savons trop bien que la jubilation de la concrétisation de notre autonomie tant attendue a vite tourné au deuil. Une série d’événements calamiteux mêlés à des interférences extérieures ont conduit à la guerre civile de 1975, un morceau d’histoire encore si controversé qu’on l’omet dans nos manuels scolaires. Je n’étais pas là pour assister aux atrocités, mais leurs ombres me suivent encore, et suivront les générations à venir.

Je suis née en décembre 1991. La guerre venait de se terminer et le Liban prenait un nouveau départ. C’est en tout cas ce que nous voulions croire. Pendant les trois décennies suivantes, le pays a continué à s’enfoncer plus profondément dans le gouffre tandis que les rivalités s’envenimaient. Chaque fois que la nation essayait de se remettre sur pied, un autre coup le mettait à genoux, haletant, suppliant pour la vie.

Je ne me suis pas toujours accrochée à mon pays. Dans ma jeunesse, je ne me suis jamais sentie à ma place ici. J’avais envie de m’évader vers des terres étrangères. À 14 ans, mon rêve parut se réaliser. Un lycée de l’Illinois m’accordait une bourse d’études et, si tout allait bien, je poursuivrais mes études supérieures en Amérique. Mes papiers et mon billet d’avion étaient prêts. L’école avait envoyé le formulaire I-20, et ma famille d’accueil m’attendait. Mais deux choses se produisirent cette année-là.

En juillet 2006 éclata la guerre entre Israël et le Hezbollah. Je me souviens que le 12 juillet était inhabituellement froid et lugubre pour un jour d’été. L’armée israélienne effectuait des raids au Liban et l’aéroport international de Beyrouth fut fermé. Comme si cela ne suffisait pas à décourager mes voyages, on me refusa un visa en raison de mon jeune âge. Je me souviens pourtant avoir ressenti une inexplicable sérénité en regardant la mer depuis l’extérieur du consulat. 

« Je suis si fière de toi », m’a dit ma mère après notre arrivée à la maison. « Tu étais si confiante. » Nous avons toutes deux éclaté de rire. Puis, son rire se transforma en larmes, et ma retenue toute martiale disparut. Mais dans les années qui ont suivi, je n’ai plus souhaité m’enfuir.

Je suis née dans une famille chrétienne maronite, mais c’est dans une petite école évangélique que j’ai rencontré le Christ. Chaque fois que je pense à cette école, je peux presque entendre les petits cris de joie des enfants qui résonnent dans la cour de récréation hivernale, et le bruit de leurs chaussures qui grincent sur le sol glissant. Je peux presque entendre les chants pendant les cultes du matin et le directeur nous parlant de l’amour merveilleux de Dieu.

En 2006, la guerre ne fut pas la seule à faire irruption dans ma vie. Au milieu de la peur lancinante des frappes aériennes, une paix nouvelle brilla en moi cet été-là. J’avais trouvé Jésus. Je voulais le suivre, même si mes proches — et la société en général — s’y opposaient. En tant que jeune fille, ce ne fut pas toujours chose facile.

Les deux dernières années ont étouffé bon nombre des rêves que je nourrissais autrefois pour ce pays. Mais j’aimerais croire que Dieu n’en a pas encore fini avec le Liban. Mes yeux ont vu les réponses de ses fidèles aux récentes tragédies. Je l’ai vu sur mon propre lieu de travail. La fidélité et la compassion des personnes rattachées au Séminaire théologique baptiste arabe (ABTS) ont laissé une marque indélébile sur moi.

« J’ai grandi pendant la guerre civile libanaise, lorsque l’Église était principalement silencieuse et se cachait », partageait le président de l’ABTS, Elie Haddad, dans un article juste après l’explosion de Beyrouth 2020. « Si vous allez à Beyrouth aujourd’hui, vous n’avez pas besoin de chercher loin pour voir les mains et les pieds de Jésus. »

Ces mains et ces pieds guérissants sont entrés en action dès le samedi suivant l’explosion de Beyrouth, lorsqu’un taxi est arrivé sur le campus avec une première famille traumatisée. Les vêtements de la famille étaient tachés de sang et de Bétadine. Ils n’avaient rien d’autre que leurs médicaments dans un petit sac en plastique. 

Elie écoutait une femme alors que ses mains tremblaient et que ses yeux se remplissaient de larmes. Il l’a réconfortée et lui a assuré que les collaborateurs de l’ABTS feraient tout leur possible pour l’aider.

« Ma mère racontait souvent comment elle avait fui sa maison au début de la guerre civile libanaise, un petit garçon dans les bras et une petite fille à ses côtés », raconte Elie dans une interview. Cette rencontre a ravivé des souvenirs de guerre, mais, dit-il, « elle m’a rappelé que nous sommes ici pour une œuvre divine. Tant que Dieu veut se servir de nous, nous devons être prêts à donner notre vie. »

Je ne saurais me réfugier dans un faux optimisme et dire que le Liban renaîtra de ses cendres. Je ne veux pas donner de leçons sur le besoin de se repentir de la léthargie, sur la nécessité d’endurer la douleur pour que la vie jaillisse de la mort. Aussi beau et sage que cela pourrait paraître, je craindrais que mes paroles ne frisent l’absurde et le dédain dans nos circonstances actuelles. Dans notre infortune, on ne peut parfois s’empêcher de penser que quelque chose d’autre nous attend encore au tournant pour se jeter sur le Liban dès qu’il sera suffisamment faible. Lorsque le peuple libanais n’aura plus nulle part où aller, vendra-t-il son âme à la première voix mensongère qui promettra de le sauver ? Ou confieront-ils enfin leur vie à Celui qui le peut réellement ?

À quoi les gens s’accrochent-ils lorsque tout est en ruines ?

En 1922, le poète moderniste T. S. Eliot publia son célèbre poème « The Waste Land » (« La terre vaine »). Les cinq sections du poème décrivent la vie à Londres au lendemain de la Première Guerre mondiale. Pour dépeindre la fragmentation et la stérilité du monde moderne, le poème utilise la discontinuité rhétorique et la juxtaposition d’allusions à de nombreuses œuvres, dont la Bible, Shakespeare, Saint-Augustin, Baudelaire et l’opéra wagnérien. Le poème reflète également l’époque d’Eliot dans ses références aux gramophones, aux voitures automobiles et aux dactylos.

« Avril est le mois le plus cruel », commence le poème, car le printemps rappelle aux gens les frémissements de la vie qui pourraient les sortir de leur sommeil. Le retour à la vie n’est pas sans douleur. Le poème se termine par la triple répétition du mot sanskrit « Shantih », qu’Eliot traduit par « la paix qui dépasse l’entendement ».

Je me retrouve accrochée à cet espoir, tant pour moi que pour mon pays.

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