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Conflit au Soudan : les chrétiens au risque d’être piétinés comme de l’herbe

Le pays a connu des conflits et des coups d’État à maintes reprises, mais cette fois-ci, selon l’historien Christopher Tounsel, les croyants se trouvent en plein milieu.

Un homme examine les dégâts subis par une maison à Khartoum, alors que les combats se poursuivent au Soudan.

Un homme examine les dégâts subis par une maison à Khartoum, alors que les combats se poursuivent au Soudan.

Christianity Today May 18, 2023
AP Photo/Marwan Ali

Des obus ont ébranlé la capitale soudanaise de Khartoum dimanche, sans aucun signe d’apaisement, même après un mois complet de combats. De l’autre côté du Nil, des hommes armés ont attaqué une Église à Omdurman, blessant un prêtre copte et quatre autres personnes. Selon Reuters , chaque partie en cause rejette la faute sur l’autre et les combats se poursuivent.

Des représentants des factions belligérantes ont été amenés à la table des négociations en Arabie Saoudite pour discuter d’un cessez-le-feu. Jusqu’à présent, aucune des deux parties ne semble disposée à accepter des concessions.

Selon Christopher Tounsel, un historien qui a notamment écrit sur le christianisme au Soudan et au Soudan du Sud, les Églises de la capitale prient avec ferveur pour la fin des violences. Même pour les croyants habitués à vivre dans le péril politique, naviguer à travers le conflit actuel ne sera pas chose aisée.

Les chrétiens prennent-ils parti dans ce conflit au Soudan ?

Un proverbe africain dit que lorsque les éléphants se battent, l’herbe est piétinée. C’est ce que nous vivons.

Tout au long de l’histoire moderne du Soudan, les chrétiens ont été confrontés à des gouvernements qui tentaient d’imposer l’islam comme religion d’État et de leur refuser la liberté de culte. Les chrétiens de cette région ont donc beaucoup réfléchi à ce que signifie être de bons et fidèles citoyens dans des situations difficiles, à ce à quoi ressemble le devoir chrétien envers un État oppresseur.

Mais ils sont maintenant confrontés à ce problème : que signifie rendre à César ce qui appartient à César lorsqu’on ne sait pas s’il y a un César, s’il y a deux Césars, ou aucun qui ait une quelconque légitimité ? Quelle est l’obligation chrétienne ? Patienter ? Partir ? Se battre pour une troisième option ? C’est une question classique qui a été posée dans divers contextes de l’histoire de l’Église, mais elle est urgente au Soudan en ce moment même.

Comment les chrétiens du Soudan ont-ils répondu à cette question dans le passé ? À quoi ressemble l’éventail des options théologiques ?

Le Soudan est devenu un État indépendant en 1956 et a tenté de forger une nation arabe et islamique. L’Église anglicane a adopté la position selon laquelle Dieu nous appelle à être de bons citoyens d’un État mis en place par Dieu, presque comme une extension de la souveraineté de Dieu, ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut rien faire de mal, mais que notre devoir est avant tout d’être de bons citoyens.

Les catholiques étaient d’avis que lorsque l’État contredit la volonté de Dieu, nous sommes appelés à résister ouvertement à l’État. Ils ont participé à des discours antigouvernementaux, imprimé des journaux et des pamphlets, participé à des grèves et, dans certains cas, ont même rejoint des mouvements de résistance armée.

Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de groupes, notamment les pentecôtistes, les témoins de Jéhovah et les Églises coptes égyptiennes et éthiopiennes. Cela signifie qu’il y a plus de personnes qui développent diverses approches.

Au cours de la Deuxième Guerre civile soudanaise, certains ont eu recours à une théologie martiale contre Omar el-Bechir, qui a été au pouvoir de 1989 à 2019. Le combat spirituel a été complètement intégré dans le discours et le récit de l’Exode est devenu très important pour les gens. L’idée d’un Moïse qui nous ferait sortir d’Égypte — de l’oppression — était essentielle à la façon dont de nombreuses personnes ont réfléchi à la sécession et à l’indépendance du Soudan du Sud.

Il y avait aussi cette fascination très profonde pour Ésaïe 18, en raison d’un lien que les chrétiens font avec la prophétie concernant Koush. Dans cette prophétie, Ésaïe parle du peuple de Koush qui connaît une période d’épreuves et de tribulations, mais Dieu finira par les délivrer et ils offriront des présents à l’Éternel sur la montagne de Sion. De nombreux chrétiens soudanais pensent que cette prophétie parle explicitement des chrétiens du Soudan du Sud. Cela a fourni un cadre biblique, voire une impulsion, pour la guerre civile.

Dans le nord, cependant, on n’a pas entendu de chrétiens réclamer publiquement la destitution d’el-Bechir. L’accent était mis sur les droits de l’homme, et c’est en quelque sorte devenu le thème principal des chrétiens dans le discours public. Il s’agissait des droits humains et de la question de la liberté de religion devant être protégée en tant que droit humain.

Jusqu’à présent, dans ce conflit-ci, je n’ai pas vu beaucoup de théologies ou de lectures partisanes spécifiques des Écritures. La plupart du temps, les gens demandent simplement la prière.

Pour ceux qui ont suivi la situation de près, le conflit actuel est-il surprenant ?

Malheureusement, ce n’est pas tout à fait surprenant. Le Soudan est indépendant depuis 1956 et a connu un gouvernement militaire pendant plus de la moitié de cette période. Il y a eu beaucoup de coups d’État. Pour mémoire, le Soudan a connu un coup d’État en 1958, une révolution en 1964, un coup d’État en 1969, une tentative de coup d’État qui a échoué en 1970, un coup d’État en 1983 et Omar el-Bechir est arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’État en 1989. Il a ensuite été renversé par un coup d’État en 2019, puis il y a eu un coup d’État en 2021, et maintenant ceci en 2023.

La seule chose qui rend ce moment un peu différent pour les chrétiens est le niveau de destruction et de violence ouverte dans la capitale Khartoum elle-même. Pour les chrétiens, cette situation est d’autant plus préoccupante qu’ils ne constituent qu’une infime minorité au Soudan — seulement 5,4 % de la population totale — mais que c’est à Khartoum que se trouvent la plupart d’entre eux. De ce point de vue, les chrétiens soudanais se trouvent en plein milieu de ce conflit.

Lorsque el-Bechir a été chassé du pouvoir en 2019, a-t-il semblé, pendant un moment, que quelque chose d’autre pourrait émerger ? Autre chose que plus de militaires, plus d’autoritarisme ?

Oui. Pour les chrétiens en particulier, il s’agissait d’un temps d’espoir. Le gouvernement civil du Soudan avait fait de Noël une fête officielle pour la première fois en dix ans. C’était donc assez important. Après l’installation du gouvernement de transition dirigé par des civils, la nouvelle constitution qui a été signée intégrait techniquement des protections du droit à la liberté de croyance et de culte. Ce n’était que sur le papier, mais cela a suscité quelques espoirs.

Mais en 2023, avant même ce conflit, la réalité pour les chrétiens était très mauvaise. Christianity Today rapportait au début de l’année que le Soudan figurait au dixième rang de l’Index mondial de Portes Ouvertes.

Pour les chrétiens soudanais, le spectre de l’oppression plane toujours. Les deux hommes qui dirigent les deux factions dans le conflit actuel, Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdan « Hemedti » Dagalo, ont des liens historiques avec el-Bechir. Il est parti, mais son spectre plane toujours.

Les deux leaders en lice seraient deux versions différentes de la même chose ?

C’est ça. C’est pour cela que certains chrétiens sont mécontents que les États-Unis et l’ONU les poussent à négocier, car cela pourrait leur donner un certain niveau de légitimité. Cela pourrait mettre fin au conflit, mais ne laisserait pas les chrétiens soudanais dans une meilleure position.

Les négociations en cours semblent se concentrer sur la manière de maintenir ouvertes les portes de l’aide humanitaire. Comment éviter une crise catastrophique des droits de l’homme ? Mais les discussions qui se déroulent actuellement en Arabie saoudite n’ont pas pour objectif de déterminer ce que nous aimerions voir au Soudan à long terme.

La seule option qui n’a pas vraiment été tentée dans l’histoire récente du Soudan est celle d’un gouvernement dirigé par des civils, avec des élections libres et équitables et la liberté de culte. La meilleure voie à suivre est que les civils aient une chance de diriger les choses.

Est-ce une possibilité réelle ?

Nous disposons d’un précédent très récent où des civils sont descendus dans la rue de manière organisée pour dire « ça suffit ». Si 2019 semble, à certains égards, remonter à une éternité, il ne s’agit pourtant que de quatre ans. Ce n’est pas de l’histoire ancienne.

Sur le long terme, les États-Unis sont aussi investis dans la stabilisation du Soudan en raison de ce que celle-ci signifierait pour cette région qui a vraiment lutté pour établir des démocraties fonctionnelles, et de ce que cela signifierait également pour la politique internationale. Le Soudan et l’Ukraine font partie de la même histoire. La Russie a cherché à limiter l’impact des sanctions en accédant à l’or du Soudan, ce pays joue donc aussi un rôle clé dans la guerre en Ukraine.

Il existe également une diaspora soudanaise dans le monde entier. Il y a une importante communauté en Australie, en Arabie saoudite et même à Omaha, dans le Nebraska. Plus ces voix seront entendues, mieux ce sera.

Je pense qu’il reste aussi une lueur d’espoir aujourd’hui parce qu’il y a encore des organisations civiles au Soudan. Bien que ces deux hommes forts soient en guerre, la société civile au sein du pays n’est pas morte.

Les chrétiens peuvent-ils jouer un rôle dans la construction d’un Soudan meilleur, d’une société qui non seulement n’est pas en guerre contre elle-même, mais qui s’épanouit ?

Pour être tout à fait réaliste, je pense que les chrétiens peuvent jouer un rôle — de Christianity Today à tous les chrétiens qui prient, en passant par les Églises du Soudan et les organisations chrétiennes sur place — en n’acceptant pas que les choses se passent ainsi. Il faut mettre en lumière ce qui se passe, mais ne jamais accepter que les choses soient comme ça en Afrique.

Je crains que les grands médias ne présentent ce conflit à la manière d’un nouvel exemple de l’Afrique comme irrécupérable lieu de corruption et de chaos. En tant que croyants, nous ne sommes pas obligés d’accepter cela.

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L’eschatologie évangélique, le bébé et l’eau du bain

Les théories farfelues concernant son déroulement ne devraient pas nous empêcher de parler de la seconde venue du Christ.

Christianity Today May 11, 2023
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: WikiMedia Commons / Getty

A u cours des dernières décennies, de nombreux chrétiens se sont efforcés de souligner que la foi en Christ est plus qu’un simple « passeport » pour la vie éternelle. Cela a renforcé l’idée que ce qui importe, c’est de vivre sa foi ici et maintenant. Mais cette manière de penser nous fait courir le risque de minimiser l’enseignement néotestamentaire concernant une espérance fondée sur un événement futur : la seconde venue de Jésus.

Bright Hope for Tomorrow: How Anticipating Jesus’ Return Gives Strength for Today

Chris Davis, pasteur de l’Église baptiste Groveton à Alexandria, en Virginie, faisait partie de ceux qui évitaient ce sujet, gênés par les spéculations farfelues et les controverses que l’eschatologie a tendance à susciter. En traversant une période difficile, Davis a cependant redécouvert comment la fin des temps peut nous encourager à concentrer nos espoirs et nos désirs sur Jésus. Ce voyage de redécouverte a abouti à un livre, Bright Hope for Tomorrow: How Anticipating Jesus’ Return Gives Strength for Today. (« Un brillant espoir pour l’avenir : Comment l’attente du retour de Jésus nous donne de la force pour aujourd’hui »)

J. Todd Billings, auteur de The End of the Christian Life et professeur de théologie au Western Theological Seminary à Holland, Michigan, s’est entretenu avec Davis au sujet de cet ouvrage.

Votre livre commence par une anecdote. Vous aviez officié comme pasteur pendant 10 ans et au cours de cette période vous avez fait face à plusieurs problèmes familiaux et de santé. Votre femme et vous-même attendiez dès lors avec beaucoup d’impatience un congé sabbatique de deux mois. Vous écrivez : « notre objectif quotidien était de tenir le coup jusqu’à ce congé qui allait tout arranger. »

Que s’est-il passé lorsqu’enfin cette période sabbatique est arrivée ? Et quel sens pouvons-nous donner à cette tendance que nous avons, en tant qu’humains, à aspirer à un moment où tout devrait en principe s’arranger ?

Ce qu’il s’est passé, c’est que nous sommes partis en congé sabbatique avec nous-mêmes. Très peu de choses ont donc changé au cours de ces deux mois. Pourquoi les humains s’attendent-ils à ce que les choses aillent mieux ? J’aimerais croire qu’il y a là une intuition enracinée en nous que Dieu est à l’œuvre pour rendre toute chose nouvelle. Cependant, tout comme nous avons évacué la personne de Jésus de notre anthropologie chrétienne actuelle, je pense que, de manière générale, nous l’avons évincé de notre espérance.

Martin Luther King Jr a dit : « L’arc de l’univers moral est long, mais il tend vers la justice ». C’est en tant que pasteur chrétien qu’il s’exprimait. Cependant cette citation est affichée sur son mémorial de Washington sans aucune référence à Jésus. En tant qu’êtres humains, et pour quelque raison philosophique que ce soit, nous avons l’espoir que les choses iront mieux d’elles-mêmes, sans qu’il y ait de véritable logique derrière cela.

De nombreux chrétiens d’aujourd’hui peinent à placer leur espoir dans l’avenir. Ils entendent des prédicateurs opposer une foi centrée sur la réalité présente à une foi orientée vers la fin des temps. Dans cette perspective, l’espérance future peut sembler dérisoire. Comment les chrétiens pourraient-ils en arriver à évoquer le retour de Christ sans en rester à des haussements d’épaule ?

Le retour de Jésus est un sujet où l’on peut facilement perdre de vue l’essentiel. Et c’est compréhensible. L’eschatologie est un domaine où l’Église a souvent dérivé vers des choses étranges. La seconde venue du Christ est devenue parfois une sorte de spectacle où les décors ont pris le pas sur le personnage principal, Jésus.

Il m’est aussi arrivé de jeter le bébé avec l’eau du bain, et je comprends pourquoi d’autres ressentent le besoin de faire de même. Nous ne voulons pas être associés à certaines interprétations farfelues de la fin des temps. Ce à quoi j’invite dans ce livre est de nous recentrer sur la personne du Christ et de trouver un lien entre le déjà de sa présence avec nous, par l’Esprit, et le pas encore de son retour. Je pense qu’il est tout à fait possible de vivre dans ces deux dimensions du royaume.

Nous devrions nous rappeler ces paroles inspirantes de C. S. Lewis, dans Les fondements du Christianisme : « Les chrétiens qui en ont fait le plus pour le monde présent étaient justement ceux qui pensaient le plus au monde d’après ».

Une autre chose qui, à mes yeux, freine les chrétiens à envisager et à espérer le retour de Christ, c’est que celui-ci leur fait peur. Comment passer de la peur à l’espérance ?

Au risque de verser dans un cliché du genre « Jésus est mon petit copain », très en vogue dans les groupes de jeunes où certains d’entre nous ont grandi, je trouve l’image biblique des fiançailles très pertinente. Elle nous rappelle que les débuts présents de l’alliance feront place, dans le mariage, à une relation qui dépassera de loin ce que nous pouvions imaginer en termes de joie, d’intimité, d’appartenance et d’épanouissement.

Ma femme et moi vivions à 1 000 kilomètres l’un de l’autre lorsque nous nous sommes fiancés. Inutile de dire qu’on ne pouvait pas comparer les moments passés au téléphone et les moments où nous étions l’un près de l’autre. De même, si nous nous référons à la communion intime que nous avons aujourd’hui avec le Christ par l’Esprit, et que nous réalisons qu’être avec lui en personne sera incroyablement plus magnifique, je pense que nous pouvons aspirer à son retour dans une espérance profonde et inébranlable.

Vous évoquez quatre images bibliques du Christ à son retour : l’époux, le roi guerrier, le juge et le ressuscité. Quel est le portrait qui vous a le plus captivé au cours de vos recherches et de la rédaction de votre livre ?

De loin, Jésus en tant que juge. C’est dans le chapitre qui y est consacré que j’ai eu le sentiment qu’il était temps de prendre nos responsabilités. Il est temps de faire face à ces aspects du retour de Jésus qui nous mettent au défi.

Lorsque l’on observe Paul anticipant le retour de Jésus en tant que juge, on ne le trouve pas en train de le redouter. Au contraire, il s’en réjouit ! C’est ce que l’on voit dans ses lettres à l’Église de Corinthe. Les Corinthiens l’avaient critiqué, lui, leur père spirituel, de manière immature et mal informée. Et cela l’avait terrassé.

Heureusement, Paul fondait toute la valeur de son ministère sur le moment où Jésus le jugerait. Alors qu’il était sévèrement critiqué par ses enfants spirituels, Paul attendait avec impatience le moment où Jésus mettrait en lumière toutes ses motivations et ses actions, le moment où, comme il l’écrit : « chacun recevra de Dieu sa louange ». (1 Co 4.5)

Cela m’a frappé ! Et dans le contexte des épreuves inhérentes à mon travail de pasteur, cela m’a profondément encouragé.

Vous rappelez souvent à vos lecteurs que l’espérance dans le retour du Christ, c’est « par l’Esprit que nous pouvons y goûter maintenant ». De quelle manière avons-nous besoin d’une théologie renouvelée de l’Esprit pour réellement rendre vivante en nous cette espérance du retour du Christ ?

Beaucoup d’entre nous ont grandi avec l’idée que « Jésus est dans notre cœur ». Mais cela peut nous faire oublier que Jésus est au ciel et que le moyen par lequel il habite dans nos cœurs, c’est l’Esprit. L’Esprit saint est indispensable à l’espérance. Car c’est par l’Esprit que nous ressentons la présence du Christ avec nous, maintenant. L’Esprit nous donne les arrhes, les prémices, la garantie de notre héritage final, celui de vivre dans la présence de Jésus à son retour.

Je dis dans mon livre que l’espoir sur lequel nous concentrons notre regard est celui de la joie indicible et glorieuse qui jaillira de notre face-à-face avec Jésus lors de son retour. Le Saint-Esprit nous donne l’avant-goût de cette joie, dès maintenant.

L’une des sections de votre livre explore différentes pratiques qui nous aident à cultiver, en Église, l’espérance du retour du Christ. Cela touche notamment à de nos cultes, au jeûne et au repos. Selon vous, quelles sont les pratiques que les évangéliques devraient plus particulièrement redécouvrir aujourd’hui ?

À mon avis, les pratiques les moins suivies par les évangéliques sont le jeûne et le repos sabbatique. Personnellement, lorsque je pratique le sabbat, je dois m’en rappeler le pourquoi. Je me repose pour anticiper le retour du Christ et tout ce qu’il réalisera : la rédemption de notre travail, l’accomplissement du règne de Dieu et les délices éternels qui seront nôtres en sa présence.

Le Nouveau Testament enseigne également explicitement que nos rythmes et nos rencontres sont censées avoir une saveur eschatologique. L’auteur de l’épitre aux Hébreux écrit : « N’abandonnons pas notre assemblée, comme quelques-uns en ont coutume, mais encourageons-nous mutuellement, et cela d’autant plus que vous voyez le jour s’approcher. » (Hé 10.25) Ce jour, c’est le jour de la venue du Seigneur, qui s’approche. Nous avons tendance à négliger le jeûne et le repos du sabbat, mais également cette aspect du culte qui consiste à nous rappeler mutuellement le retour de Jésus.

Mon désir est donc que nous redécouvrions ces disciplines oubliées, et que nous n’oubliions pas l’objectif de nos rencontres, qui est en partie de nous rappeler les uns aux autres, comme Caleb l’a fait au peuple d’Israël, que si le Seigneur prend plaisir en nous, il nous délivrera. (Nb 14.8)

Traduit par Anne Haumont

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History

Des missionnaires noirs de retour dans l’histoire

La correction de représentations inexactes encouragera-t-elle une plus grande diversité dans la mission ?

Christianity Today May 11, 2023
New York Public Library/Domaine public/Adaptations par Rick Szuecs

Lorsque George Liele s’embarqua pour la Jamaïque en 1782, il ne savait pas qu’il deviendrait le premier missionnaire américain à l’étranger. Et quand Rebecca Protten transmit l’Évangile à des esclaves dans les années 1730, elle ne se doutait pas que certains spécialistes la considéreraient un jour comme la mère des missions modernes.

Ces deux personnes de couleur étaient trop occupées à survivre — et à éviter la prison — pour se soucier d’entrer dans l’histoire. Mais aujourd’hui, ils conduisent à certaines révisions. Aux États-Unis, leurs histoires aident à repenser la couleur des missionnaires et, comme le déclarait le président du National African American Missions Council (NAAMC), Adrian Reeves, lors d’une conférence de l’organisation Missio Nexus en 2021, à remettre en question l’idée de certains Afro-Américains selon laquelle « les missions sont pour les autres et non pour nous ».

Aujourd’hui, les Afro-Américains représentent moins de 1 % des missionnaires envoyés à l’étranger par les États-Unis. Mais ils étaient là dès le début.

« Nous avons un problème de représentation », estime Adrian Reeves. Mais « lorsque nous partageons avec l’Église noire sa propre histoire et son héritage en matière de missions, il lui est plus facile de se sentir concernée. »

C’est aussi ce qu’a vécu Noel Erskine lorsqu’il a découvert le nom de George Liele dans les archives de la Great Britain Baptist Missionary Society. L’historien de l’université Emory raconte que, ayant grandi en Jamaïque, il n’avait jamais vraiment pensé que des missionnaires pouvaient être noirs.

« Nous avons toujours associé les missionnaires aux Blancs », dit-il. « Ils sont étrangers à la culture. Nous ne sommes pas sûrs de leurs motivations. »

Le Britannique William Carey est souvent considéré comme le père des missions modernes. Adoniram Judson a été vu comme le premier missionnaire américain à partir à l’étranger. Mais George Liele et Rebecca Protten les ont précédés. Leurs histoires ajoutent de la profondeur et de la complexité au récit parfois trop simple de l’histoire des missions. Les défenseurs de ces deux figures estiment qu’elles doivent être valorisées.

En 2021, la Convention baptiste du Sud a ainsi ajouté Liele comme une personne à honorer dans son calendrier officiel des Églises. La NAAMC a instauré un prix annuel, le George Liele Award, décerné à un missionnaire noir. Rebecca Protten, qui a récemment fait l’objet d’une biographie universitaire, a elle été mise en avant lors de la conférence Missio Nexus Leadership 2021.

Deborah Van Broekhoven, historienne baptiste et directrice émérite de l’American Baptist Historical Society, estime que Liele et Protten ont « beaucoup à nous apprendre ».

Mais ils ont été occultés, dit-elle, et l’histoire des missions a besoin d’un cadre plus large. On dit souvent que certaines figures disparues des récits historiques ont été « perdues », mais ce n’est peut-être pas le bon mot pour Liele. « Exclu » serait plus juste.

Erskine aborde le sujet dans un article publié par la revue académique Missiology. Il a découvert que plusieurs années après que Liele ait établi une Église baptiste en Jamaïque, on lui demanda de se rendre en Angleterre pour obtenir l’autorisation de prêcher dans sa propre Église.

La suite est relatée dans le procès-verbal de la réunion de mai 1822 de la Baptist Missionary Society :

« Il est résolu que la commission ne peut approuver la demande de M. Liele que si elle est appuyée par les frères qui nous sont liés et qui sont déjà dans l’île. »

En d’autres termes, Erskine considère que Liele a été « renvoyé en un paragraphe » parce que les Blancs de Jamaïque ne voulaient pas qu’il ait une quelconque autorité. « La suprématie blanche est le pouvoir d’exclure. »

Mais en 2004, un Afro-Américain enseignant de longue date a eu l’idée de ramener Liele dans l’histoire des missions. David Shannon a réuni une équipe de 20 historiens, enseignants et pasteurs noirs et blancs pour écrire un livre à son sujet.

« David Shannon a jugé cette histoire importante, non seulement parce qu’elle avait été négligée, mais aussi parce qu’elle parlait de rédemption et de construction de ponts », explique Van Broekhoven, qui a contribué au projet.

Malheureusement, Shannon n’a pas vécu assez longtemps pour voir la publication en 2012 de George Liele’s Life and Legacy: An Unsung Hero. Il est décédé en 2008.

Selon Jon Sensbach, historien à l’université de Floride, qui a écrit un livre sur Protten en 2005, le retour de celle-ci dans le récit a posé d’autres problèmes. Il entendit parler d’elle pour la première fois alors qu’il faisait des recherches sur le travail des moraves sur l’île de Saint-Thomas. Il découvrit une brève référence à une femme métisse qui avait amené des centaines de personnes asservies dans l’Église.

Grâce à un travail minutieux, Sensbach a pu déterrer une histoire plus vaste et montrer comment l’évangélisation pratiquée par Protten défia les esclavagistes blancs et les propriétaires de plantations qui craignaient que le message évangélique ne sape l’ordre esclavagiste. Il découvrit qu’elle avait eu une influence déterminante sur la manière dont les chrétiens de ces régions parlaient de la nouvelle naissance.

« Ce modèle impliquait que le christianisme est une religion de renaissance spirituelle, d’égalité spirituelle », explique Sensbach. « Pour une population asservie, opprimée, battue, à qui l’on disait qu’elle était non seulement inférieure, mais qu’elle n’était peut-être même pas pleinement humaine, c’était un message libérateur. »

Protten, qui s’installa en Saxe avec les moraves, devint diacre en 1746 et pourrait être la première femme noire ordonnée dans le christianisme occidental. Plus tard, elle partit en tant que missionnaire morave en Côte d’Or africaine.

Le fait de redonner aux Noirs leurs rôles de premier plan dans l’histoire des missions apporte un important correctif, mais n’efface pas les complexités de la participation des missions à une histoire de racisme et d’oppression.

Protten, par exemple, fut un jour emprisonnée parce que son message risquait de déclencher une rébellion d’esclaves. Elle défia également le système en épousant un morave blanc. Mais Sensbach se demande aussi si elle aurait éventuellement participé à une forme de « génocide culturel » lorsqu’elle créa par la suite une école dans un avant-poste militaire danois dans l’actuel Ghana.

« Peut-être, peut-être pas », conclut l’historien.

Liele se distinguait par sa conviction que les Jamaïcains étaient suffisamment humains pour recevoir l’Évangile. Et il connut la prison pour sa prédication. Mais il réduisit également des personnes en esclavage en Jamaïque. Plus tard, il proposa un compromis dans son Église, autorisant les esclaves à s’y marier — une protection subtile contre la rupture des mariages par les propriétaires d’esclaves — tout en admettant que les esclaves devaient obéir à leurs propriétaires, qui pouvaient à tout moment séparer « ce que Dieu a uni ».

« Liele est compliqué », dit Erskine. « C’est un survivant. »

Mais Liele montre aux chrétiens d’aujourd’hui que l’on peut œuvrer pour le bien en des temps de discorde, estime Van Broekhoven.

« Liele n’a pas abordé le racisme de front — il ne pouvait pas le faire. » « Mais il a certainement trouvé des solutions de contournement. En ce sens, je considère qu’il a très bien réussi, grâce à ces solutions de rechange, à établir en Jamaïque une Église qui perdure jusqu’à aujourd’hui. »

Selon Savannah Kimberlin, chercheuse pour le groupe Barna, ces questions compliquées sont exactement ce dont les jeunes de couleur veulent discuter lorsqu’ils envisagent de travailler dans le cadre d’une mission.

« De nombreux jeunes membres de minorités ethniques [aux États-Unis] souhaitent vraiment se mobiliser », rapporte-t-elle. « Ils espèrent que leur appartenance ethnique fera partie de la conversation. Ils veulent discuter de l’histoire des missions, des bons et des mauvais côtés, s’ils souhaitent s’engager dans cette voie. »

Brent Burdick, ancien missionnaire aux Philippines qui enseigne aujourd’hui la mission au séminaire théologique Gordon-Conwell, a entendu parler de Liele par Colleen Damon-Duval, une missiologue afro-américaine qui travaille dans le domaine de la diversité et de l’inclusion.

Elle l’a convaincu, raconte-t-il, que les Afro-Américains constituaient une part importante de l’histoire et de l’avenir de la mission. Aujourd’hui, il voit ces compatriotes afro-américains comme un « géant endormi » qui aura encore un rôle important à jouer dans la proclamation de l’Évangile.

« Ils ont beaucoup à offrir au monde. »

Rebecca Hopkins est journaliste et vit dans le Colorado.

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Jésus-Christ n’est pas une superstar

Les représentations populaires de l’Homme-Dieu peuvent attirer des foules admiratives, mais ce ne sont pas elles qui créent de véritables disciples.

Photo d’une interprétation de Jesus Christ Superstar.

Photo d’une interprétation de Jesus Christ Superstar.

Christianity Today May 11, 2023
Adaptations par Christianity Today/Image source : WikiMedia Commons

Ce printemps a vu une forme de résurrection de Jesus Christ Superstar aux États-Unis.

Non seulement un épisode récent de la série Ted Lasso nous faisait réentendre une chanson de la comédie musicale des années 1970, mais le film original a été rediffusé sur la BBC, suscitant d’innombrables réactions, y compris de la part de nouveaux téléspectateurs. Son 50e anniversaire est également marqué par une tournée au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Se déroulant pendant la semaine sainte et se terminant juste avant la résurrection de Pâques, cette œuvre « jette une lumière sceptique, et parfois fantastiquement irrévérencieuse, sur l’histoire de Jésus ». Elle reflète la fascination de la société de l’époque pour le Jesus movement des années 70, tout comme le récent film Jesus Revolution et la série The Chosen révèlent aujourd’hui une résurgence de l’intérêt pour la personne de Jésus.

En tant que croyant, il y a quelque chose de réjouissant à voir le Christ mis au premier plan de l’attention du public. Et comme l’explique l’auteur Luke Burgis, ces représentations populaires de Jésus peuvent nous inciter à vouloir conformer nos désirs aux siens. Mais notre admiration pour toute version de Jésus qui attire un public de masse, que ce soit dans l’Église ou dans la culture, comporte également le risque que nous fassions exactement le contraire : que nous façonnions le Christ selon nos propres désirs.

En d’autres termes, nous courons toujours le risque d’assimiler le Christ à n’importe quelle superstar ou superhéros du moment — une tentation à laquelle ont été confrontés même les premiers disciples de Jésus.

Le script de Jesus Christ Superstar raconte l’histoire du point de vue de Judas, « qui a une haute opinion de Jésus en tant que figure politique révolutionnaire, mais est troublé par l’idée de la divinité de Jésus ». Dans la pièce, le personnage de Judas chante en anglais des paroles devenues célèbres : « Jesus Christ, Superstar, do you think you’re what they say you are? » (« Jésus-Christ, Superstar, penses-tu être ce qu’ils disent que tu es ? »), faisant référence au passage des Écritures dans lequel Jésus demande à ses disciples : « Qui suis-je, d’après les hommes, moi le Fils de l’homme ? » (Mt 16.13)

Judas et les zélotes pouvaient espérer que Jésus serait un messie terrestre qui libérerait le peuple juif de la domination romaine. Mais d’autres pensaient que Jésus était Jean-Baptiste, Élie, Jérémie ou quelque autre de leurs vénérés prophètes réincarné (Mt 16.14).

Après avoir vu Jésus nourrir les 5 000 personnes, la foule pensait qu’il était le grand chef mosaïque promis dans l’Ancien Testament : « Cet homme est vraiment le prophète qui doit venir dans le monde. » (Jn 6.14) Certains étaient tellement fascinés par cet exploit surnaturel de Jésus qu’ils voulurent « l’enlever pour le faire roi » (v. 15), mais il leur échappa.

Lorsque certains membres de cette même foule rencontrent Jésus plus tard dans la journée, Jésus leur reproche de l’avoir cherché uniquement pour ce qu’il pouvait faire pour eux… Et ils lui demandent encore de faire d’autres signes (v. 26, 30-31).

Il répond par un sermon : « C’est moi qui suis le pain de la vie. » et « si vous ne mangez pas le corps du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous-mêmes. » (v. 35, 53) Ces « dures » paroles offensèrent son auditoire et suscitèrent beaucoup de mécontentement, même parmi ses disciples les plus proches : « Dès ce moment, beaucoup de ses disciples se retirèrent et arrêtèrent de marcher avec lui. » (v. 66)

Lorsque Jésus demande aux disciples s’ils veulent partir eux aussi, Pierre répond : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. »

On observe ici une divergence parmi les disciples du Christ. Beaucoup ont été offensés par ses propos, certains sont partis, d’autres sont restés. Jésus savait que beaucoup dans la foule ne croyaient pas et que certains le trahiraient même, mais ses disciples les plus dévoués restèrent à ses côtés.

Il est clair que Jésus semblait plus intéressé à former un petit nombre de fidèles qu’à rassembler de grandes foules. Et s’il n’a jamais repoussé ceux qui étaient attirés par lui, il n’a pas hésité non plus à mettre leur loyauté à l’épreuve. Ses paroles faisaient clairement le tri entre le bon grain de l’ivraie, mais comment se distinguaient ces deux groupes ? La réponse se trouve dans le passage mentionné au début de cet article.

Après avoir entendu l’opinion des autres sur lui, Jésus demande à ses disciples : « Et d’après vous, qui suis-je ? » (Mt 16.15) Lorsque Pierre répond : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant », Jésus explique que seul Dieu le Père pouvait lui avoir révélé cette vérité. Il déclare ensuite qu’il y a là le fondement éternel et inébranlable de son Église. Ceux qui s’en tiennent à ce que Jésus dit à son propos — plutôt qu’à ce que dit la foule — sont ceux qui lui appartiennent. Ceux qui ne s’y tiennent pas tomberont.

Dans les années 1800, le philosophe chrétien Søren Kierkegaard évoque la différence entre les admirateurs et les imitateurs de Jésus : « Un imitateur est ou s’efforce d’être ce qu’il admire, alors qu’un admirateur reste personnellement détaché, s’empêchant consciemment ou inconsciemment de découvrir que ce qu’il admire implique un droit sur lui. »

Kierkegaard souligne que Judas était précisément un admirateur, ce qui explique sa traîtrise ultérieure, car « l’admirateur n’est que mollement ou égoïstement épris de grandeur ; s’il y a un inconvénient ou un danger, il se retire ».

Le problème de Kierkegaard avec la chrétienté est qu’elle a produit des admirateurs, mais n’a pas réussi à créer des imitateurs de Jésus. Imiter fidèlement le Christ est encore un combat aujourd’hui, en particulier dans les contextes culturels marqués par la chrétienté. Comme le dit Kierkegaard, « quand tout est favorable au christianisme, il est bien trop facile de confondre un admirateur avec un disciple. »

Tout comme ceux qui voulaient faire de Jésus leur roi prophétique au premier siècle, nous sommes toujours tentés de faire entrer Jésus dans nos moules culturels, politiques ou religieux. Certains vénèrent un Christ conquérant, une sorte de John Wayne évangélique, tandis que d’autres honorent un simplement gentil Jésus, comme le doux et inoffensif Mister Rogers qui a marqué des générations d’Américains.

Qu’il s’agisse de Jesus Christ Superstar ou de campagnes d’affichage public comme nous en avons connu avec « He Gets Us » au moment du Super Bowl, les efforts visant à rendre Jésus plus accessible à notre génération ont une valeur certaine. Mais ils courent le risque de présenter le Christ comme une caricature bon marché susceptible d’attirer une foule admirative, mais ne suscitant pas l’imitation de disciples.

Le pasteur A. W. Tozer évoquait le problème d’un Jésus « merveilleusement adaptable à la société dans laquelle il se trouve ». Un tel personnage est « soutenu par les célébrités du moment et recommandé par des psychiatres. » Il peut être « utilisé comme un moyen d’atteindre presque n’importe quelle fin charnelle, mais n’est jamais reconnu comme Seigneur. »

Le problème d’un Jésus à la mode réside dans ceux qui s’y attachent, et non dans sa célébrité.

Jésus était célèbre dès sa naissance. Lorsqu’un groupe de sages estimés annonce à Hérode l’existence de Jésus, celui-ci le considère comme un rival et un ennemi de l’État. Hérode eut tellement peur qu’il commit un génocide pour essayer de l’éradiquer.

Mais ce que je trouve fascinant, c’est que les mages ont littéralement suivi une « super-star » pour trouver Jésus. Ces voyageurs cultivés s’attendaient à rencontrer le prochain roi de Judée, en lice pour le trône, mais trouvèrent un bébé, peut-être encore couché dans une auge à bétail, né dans une famille sans importance.

À ce moment-là, ils auraient pu faire demi-tour, pensant avoir fait une grave erreur de calcul astrologique. Mais au lieu de cela, ils s’agenouillèrent pour adorer ce roi inattendu à la gloire peu conventionnelle, l’honorant de leurs dons et retournant chez eux pour partager la bonne nouvelle de son royaume.

En d’autres termes, les mages sont venus pour une superstar royale, mais sont restés pour l’humble Sauveur.

À l’instar de la supernova qui plana sur Bethléem la nuit de Noël, les médias et la littérature peuvent orienter un monde incrédule vers l’exemple lumineux de Jésus-Christ. Ils peuvent inspirer notre respect et notre admiration et même aiguiser notre soif de le rechercher.

Les superstars peuvent nous guider jusqu’à la crèche, mais seul l’Esprit peut nous conduire à manger le pain de vie et à boire de son eau vive.

Stefani McDade est éditrice associée pour Christianity Today.

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Comme Joseph, notre espoir est plus grand qu’une boîte d’ossements.

Nous avons besoin d’envisager un royaume qui va bien au-delà de nous.

Christianity Today April 20, 2023
Illustration by Christianity Today / Source Images: WikiMedia Commons / Getty

Nous connaissons tous les premiers mots de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre ». Nous serions beaucoup moins nombreux à pouvoir en citer les derniers : « On l’embauma et on le mit dans un cercueil en Égypte. » (Gn 50.26) Là où la première phrase nous entraine dans une dimension cosmique, la dernière nous ramène bien à terre. Mais se pourrait-il que l’avenir de l’Église ait plus à voir avec le cercueil en question qu’avec le Big Bang ?

De nombreux chrétiens perçoivent aujourd’hui en Joseph un modèle. Certains voient avant tout en lui une victime, réduit en esclavage par ses propres frères. D’autres soulignent sa lutte contre la tentation, fuyant les avances de la femme de Potiphar, ou encore son ascension vers le sommet du pouvoir égyptien, qui montrerait comment l’influence peut être exercée avec intégrité. Pourtant, les leçons à tirer de ses ossements sont peut-être encore plus importantes que celles à entendre de sa vie.

La Genèse se termine par une demande de pardon de la part des frères de Joseph. Leur démarche pourrait sembler manipulatrice et intéressée, mais Joseph l’accueille avec compassion et, grâce à lui, les descendants d’Israël échappent à la famine.

Ce qui est frappant, cependant, n’est pas tellement ce que Joseph accorde à ses frères, mais plutôt ce qu’il leur demande finalement : « Je vais mourir. Mais Dieu interviendra en votre faveur ; il vous fera monter de ce pays-ci vers le pays qu’il a promis par serment à Abraham, à Isaac et à Jacob […] Quand Dieu interviendra en votre faveur, vous emporterez d’ici mes ossements. » (Gn 50.24-25)

Et lorsque le livre des Hébreux intègre Joseph parmi ses exemples de foi, il ne parle que de ces ossements : « C’est par la foi que Joseph, mourant, fit mention de l’exode des Israélites et donna des ordres au sujet de ses ossements. » (Hé 11.22)

Pourquoi ?

Cette curieuse demande nous révèle la vulnérabilité de Joseph. Malgré tout le savoir technologique et le pouvoir politique accumulés en Égypte, il savait qu’aucune pyramide ne le protègerait de la mort. Il savait qu’il allait devoir compter sur ses frères pour porter son cercueil, ces mêmes frères à qui il n’avait guère pu se confier de son vivant. Mais Joseph savait qui il était vraiment : non pas un prince d’Égypte, mais un héritier d’Abraham. Peu importe la renommée ou la richesse, il était un étranger en Égypte. Cependant, cette fragilité était aussi porteuse d’espoir. Comme ses ancêtres, Joseph était appelé à contempler de loin la promesse de Dieu, au-delà des âges.

Dans l’un des épisodes les plus cruciaux de l’Ancien Testament, alors qu’Israël est sur le point de quitter l’Égypte dans le tumulte que l’on connaît, le texte de l’Exode nous dit : « Moïse prit avec lui les ossements de Joseph » (Ex 13.19). Voici accompli ce que Joseph avait fait jurer à ses frères. Et lorsque seront passés la traversée de la Mer Rouge, l’errance dans le désert, la réception des commandements et les luttes contre les Cananéens, le livre de Josué se termine par ces mots : « Les ossements de Joseph, que les Israélites avaient emportés d’Égypte, furent ensevelis à Sichem, dans la parcelle de terre que Jacob avait achetée… » (Jos 24.32) Joseph avait non seulement perçu que le futur était plus grand que lui, mais aussi qu’il y aurait sa place.

Les Évangiles nous apprennent qu’après sa mort, Jésus fut placé dans un tombeau emprunté à un chef religieux nommé Joseph (Mc 15.43-46). Jésus n’eut pas besoin de compter sur ses frères pour l’emmener vers la terre promise. Au contraire, après sa résurrection, il dit aux femmes : « Allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront » (Mt 28.10). Tous les os de Jésus restèrent intacts. Aucun ne fut brisé (Jn 19.36).

Que ce soit dans l’Église locale ou dans toute autre association ou mouvement, les conflits, la colère et le désespoir ne sont-ils finalement pas liés à la peur que suscitent en nous notre insignifiance ou notre finitude ? Peut-être aussi que ce qui rend difficile la transmission de la foi à une nouvelle génération est que nous ne lui faisons pas assez confiance pour envisager de la laisser un jour nous porter. Nous manquerait-il parfois la perspective d’un avenir qui nous dépasse, mais dont nous faisons partie intégrante ? Pour nous qui sommes le peuple de Pâques, il ne devrait pas en être ainsi.

L’espoir dont nous avons besoin consiste probablement à réaliser que chacun d’entre nous se dirige bel et bien vers la tombe, mais pas pour longtemps. Aucun d’entre nous ne mènera le Royaume vers la gloire. Nous serons portés par des mains que nous ne verrons pas. Cela n’a rien de décevant. Tel est simplement le processus de la nouvelle création. Même pour une boite d’ossements oubliés de tous, lorsque Dieu dit « Que la vie soit ! », la vie advient. Jésus peut compter tous ses os. Il peut compter les nôtres aussi.

Russell Moore est rédacteur en chef de CT.

Traduit par Anne Haumont.

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Culture

La Bible fait tout ce que fait la théorie critique, mais en mieux.

L’Écriture offre une analyse plus approfondie de la société moderne que ce que celle-ci peut proposer elle-même.

Christianity Today April 20, 2023
Illustration de Mallory Rentsch/Images sources : WikiMedia Commons/Pexels

La notion de théorie critique suscite beaucoup de méfiance, en particulier lorsqu’elle est appliquée à des questions controversées de race, de genre, de droit et de politique publique. Certains estiment que les idéologies véhiculées sous cette bannière sont des cadres abscons qui n’ont qu’un rapport minimal avec les affaires du monde réel. D’autres considèrent la théorie critique comme une ruse destinée à conférer une légitimité scientifique imméritée à des opinions politiques et culturelles très discutables.

Biblical Critical Theory: How the Bible's Unfolding Story Makes Sense of Modern Life and Culture

Biblical Critical Theory: How the Bible's Unfolding Story Makes Sense of Modern Life and Culture

Zondervan

672 pages

$22.86

Christopher Watkin, spécialiste australien de la religion et de la philosophie, souhaite réorienter les discussions sur la théorie critique autour du grand récit de la rédemption présenté par les Écritures. Dans Biblical Critical Theory: How the Bible’s Unfolding Story Makes Sense of Modern Life and Culture (« Une théorie critique biblique : quel sens le récit biblique donne à la vie et à la culture moderne »), il montre comment la Parole de Dieu fournit les outils d’une théorie critique mieux aboutie et plus convaincante, harmonisant les vérités fragmentaires avancées par ses contreparties séculières. Mark Talbot, professeur de philosophie au Wheaton College, s’est entretenu avec Watkin au sujet de son livre.

Commençons par une question de base : comment définissez-vous la notion de théorie critique ?

Il y a plus d’une réponse à cette question. Il y a un sens étroit et un sens large. Le sens étroit est probablement celui que la plupart des gens rencontrent tout d’abord aujourd’hui. Les gens ont entendu parler de choses comme la théorie critique de la race, qui implique des façons très spécifiques de questionner la société à travers un prisme particulier. Mais la théorie critique, dans sa conception la plus large, est une manière d’interagir avec la société qui met en évidence ce qui ne va pas dans le monde à un niveau profond et suggère ensuite ce qu’il faudrait changer pour l’améliorer.

En étudiant les différentes formes de théories critiques au fil des ans, j’ai remarqué qu’elles font presque toutes trois choses. Tout d’abord, les théories critiques donnent de la viabilité à certaines choses, de sorte que vous commencez à penser que celles-ci sont possibles, comme en son temps la révolution marxiste, par exemple. Deuxièmement, elles donnent de la visibilité aux choses, comme le traitement inégal des femmes dans la société, que beaucoup de gens ont voulu ignorer ou n’ont tout simplement pas vu pendant longtemps. Troisièmement, elles attribuent une valeur aux choses. Elles veulent enseigner ce qu’il faut désirer et ce qu’il faut condamner.

Vous avez mentionné la théorie critique de la race, qui est devenue un point chaud pour certains chrétiens et qui explique en grande partie pourquoi l’idée de théorie critique a mauvaise réputation parmi d’eux. En quoi avons-nous tendance à nous tromper dans notre attitude à l’égard de la théorie critique ?

La théorie critique a particulièrement mauvaise presse auprès de certains groupes de chrétiens. Mais elle est extrêmement bien vue parmi d’autres. Ces deux approches sont problématiques. Les chrétiens ne devraient pas s’attendre à ce qu’une idéologie mondaine représente soit un idéal parfait pour l’Église, soit le Diable incarné.

Il y a des raisons théologiques très importantes à cela. Premièrement, seul Dieu est bon. Il nous faut donc nous attendre à ce que tout dans le monde soit un mélange — un reflet de la bonne création de Dieu, mais aussi de la corruption de celle-ci, des incompréhensions et des déformations induites par le péché. Il en va ainsi de la théorie critique et d’autres idéologies. Il y a des choses que la théorie critique cherche à faire et que je pense que les chrétiens devraient aussi vouloir faire : défendre la justice et l’équité, par exemple. Pourtant, les méthodes couramment utilisées par la théorie critique pour réaliser ces choses sont différentes des méthodes bibliques, et c’est l’une des raisons pour lesquelles la théorie critique interprète en partie mal et déforme les principes bibliques.

Mais le problème pour l’Église est que certains chrétiens considèrent la théorie critique comme la seule chose à laquelle il faudrait s’opposer, comme si tout le reste était neutre ou positif. Elle devient la seule chose que les chrétiens devraient combattre bec et ongles. Il y a une certaine naïveté à penser en quelque sorte que si l’on se débarrasse de cette chose, la société sera merveilleuse. C’est dans tout cela que je pense que certains chrétiens ont été désorientés par la théorie critique, soit en l’adoptant totalement, soit en la rejetant totalement.

Comment voyez-vous le récit biblique fonctionner comme une sorte de théorie critique ?

En commençant par les catégories que j’ai déjà énoncées, une théorie critique rend certaines choses viables, en met d’autres en lumière et établit des échelles de valeurs. La Bible est bien sûr la Parole de Dieu, l’épée de l’Esprit qui nous rend sages pour le salut. Mais elle rend aussi certaines choses viables, ou envisageables. Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, trouveraient absurde l’idée de faire confiance aux promesses de Dieu. Mais lorsque vous lisez suffisamment la Bible, vous commencez à voir ce que peut signifier faire confiance à ce genre de Dieu. Lui faire confiance devient alors une option viable.

La Bible rend également certaines choses visibles. Vous avez peut-être vu de nombreux couchers de soleil, par exemple, mais lorsque vous lisez dans le Psaume 19.1 que les cieux racontent la gloire de Dieu, vous apprenez à discerner cette gloire dans ces magnifiques couchers de soleil. Sa gloire est ainsi rendue visible à vos yeux.

Et la Bible attribue aussi une valeur aux différentes choses. Je prends un exemple tiré de ma propre vie. Avant d’être chrétien, je vous aurais regardé d’un air très perplexe si vous m’aviez dit que je devais chercher à servir les autres. Cela n’aurait eu aucun sens pour le jeune homme de 14 ans que j’étais. Mais on ne peut pas lire la Bible sans tomber sur des exhortations à servir les autres, en particulier dans la bouche de Jésus. Si vous cherchez à conformer votre vision du monde à celle que véhicule la Bible, le service devient donc quelque chose auquel vous attribuez de la valeur.

De toutes ces manières, la Bible agit comme une théorie critique, en ce sens qu’elle peut offrir viabilité, visibilité et valeur à certaines choses.

Quelle est la relation entre votre projet et celui d’Augustin dans sa célèbre Cité de Dieu ?

Le livre d’Augustin fournit le modèle que, très modestement, j’ai essayé de suivre. Ce que j’ai trouvé dans La Cité de Dieu, c’est un exemple époustouflant de quelqu’un qui sonde l’ensemble de la culture dans laquelle il vit. Augustin ne néglige aucune piste. Dans la première moitié du livre, il présente l’ensemble de la société romaine, ce qui est extrêmement important, car les cultures sont des écosystèmes et il est impossible de comprendre une partie isolée de l’ensemble.

Dans la seconde moitié du livre, Augustin parcourt la Bible, de la Genèse à l’Apocalypse, comme un moyen d’interagir avec la culture romaine tardive. Il le fait dans le but de raconter une histoire plus convaincante et plus riche sur Dieu et sur Rome que celle que Rome pourrait raconter sur elle-même. J’ai trouvé ce modèle incroyablement convaincant et j’ai su que si je voulais faire dialoguer la culture moderne tardive avec la Bible, c’était le modèle à suivre.

Quel est le but ultime du développement d’une théorie critique biblique ?

Le but ultime doit être d’aimer Dieu et son prochain. Bien entendu, il existe des millions de façons de procéder, ce qui ne nous renseigne pas sur l’objectif ultime de la théorie critique biblique. Mais si tel n’est pas votre objectif suprême, vous devriez vous demander, en tant que chrétien, si ce que vous faites en vaut vraiment la peine.

Plus précisément, ce projet nous aide à aimer Dieu et notre prochain de cette manière : il est difficile de bien aimer Dieu dans une culture qui vous formate d’une manière dont vous n’êtes pas conscient ou que vous ne comprenez pas. Si nous ne réalisons pas comment la société occidentale contemporaine nous façonne, nous ne saurons pas quels aspects de ce façonnage sont plus ou moins indifférents, et quels aspects nous devrions contrecarrer ou transformer.

En guidant les chrétiens à travers l’histoire biblique, de la Genèse à l’Apocalypse, une telle théorie critique biblique nous offre également une extraordinaire vue d’ensemble des plans de Dieu pour nous. Il y a un sentiment d’émerveillement lorsque l’on embrasse du regard tout le cours du grand récit de la rédemption et que l’on voit comment l’histoire de Dieu, complexe et à multiples facettes, donne un sens à notre monde et à notre propre vie au sein de celui-ci.

Dans votre introduction, vous décrivez une expérience vécue en matière de rédaction de demandes de subventions pour des projets académiques. Parfois, alors que vous pensiez avoir rédigé une proposition convaincante, le comité de subvention vous retournait une question du genre : « Et alors ? » Dans le contexte de votre livre, vous expliquez en quoi le fait de demander « Et alors ? » est différent du fait de demander, par exemple, « Quelle est cette doctrine ? » ou « Pourquoi devrait-on y croire ? » Pourriez-vous expliquer cette différence plus en détail ?

Prenons le premier verset de la Bible : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. » Une approche doctrinale chercherait à comprendre des choses telles que « Qui est ce Dieu ? » ou « En quoi ce récit de la création diffère-t-il des autres récits anciens de la création ? » Une approche apologétique traditionnelle chercherait à justifier l’affirmation du verset et à démontrer pourquoi il est raisonnable de dire cela tandis que les autres options seraient moins raisonnables.

Ces deux approches sont très utiles. Mais ce n’est tout simplement pas l’approche que j’adopte dans le livre. L’approche « et alors ? » de ce verset consisterait à poser la question suivante : quelle différence le fait que Dieu ait créé les cieux et la terre fait-il dans la façon dont nous comprenons la réalité, notre culture et nous-mêmes ? Une différence réside dans le fait que l’univers a été créé par un seul Dieu, ce qui lui confère une certaine cohérence. Notre monde n’est pas le résultat d’une guerre entre différents dieux ou d’un hasard dépourvu d’intention. Ce monde a une raison d’être. Cela façonne la façon dont nous interagissons avec les autres et dont nous nous comprenons nous-mêmes, ainsi que le sens de notre vie.

Une autre différence que cela fait est qu’il est très clair dans la Bible que rien n’a contraint Dieu à créer. Il ne suivait pas une loi inflexible de nécessité, il ne s’inclinait pas devant un principe plus grand. D’après les Écritures, Dieu a créé le monde parce qu’il nous aime, aussi étrange que cela puisse sonner à nos oreilles modernes. Cela signifie qu’au cœur et à l’origine de l’univers, il n’y a pas de nécessité ou de loi, mais un don, une grâce, un débordement, une surabondance. Et si c’est ainsi que notre univers a commencé, celui-ci est très différent d’un lieu régi par une nécessité absolue et des chaînes de causalité sans fin. Cela affecte la façon dont nous vivons dans la société moderne de toutes sortes de façons, dont certaines sont détaillées dans mon livre.

Vous mettez en évidence deux outils qui vous aident à développer une théorie critique biblique, le premier étant ce que vous appelez diagonalisation. Selon vous, la diagonalisation nous permet d’éviter l’erreur qui consiste à considérer le christianisme et la culture contemporaine comme totalement distincts dans leurs modèles et fonctionnements. Pourriez-vous nous en dire plus sur la manière dont cela fonctionne ?

Le principe part de cette belle réalité qu’une vision biblique du monde maintient en harmonie des choses que le monde moderne a éloignées les unes des autres et mises en opposition. Prenons l’exemple de l’image de Dieu. Cette notion contient deux vérités magnifiques et complémentaires : la dignité humaine qui découle du fait d’être créé à l’image de Dieu, et l’humilité qui découle du fait que nous ne sommes pas Dieu lui-même. Notre dignité et notre humilité proviennent de la même source.

Mais si vous observez le monde moderne, vous verrez que ces deux beaux principes bibliques mis en harmonie ont été divisés et opposés l’un à l’autre. D’une part, vous avez l’idée que nous ne sommes rien de plus que des machines ou des animaux, ce qui n’est qu’une très imparfaite traduction de l’humilité de la condition humaine dans la Genèse, même si le texte dit que nous avons été créés le même jour que les autres animaux.

Mais certaines anthropologies modernes nous traitent également comme si nous étions des dieux, suggérant que rien ne devrait s’opposer à notre volonté. Cela se traduit par toutes sortes de slogans : « Fixe ton cœur sur ce que tu désires, et tu l’obtiendras. » « Tu peux être qui tu veux. » « À toi de te faire. » Il y a encore bien d’autres formules dans le même ordre d’idées.

La modernité nous offre maladroitement ces deux anthropologies et nous dit : « Tu es une machine et tu es aussi un dieu ; allez, va vivre ta vie dans la paix et l’harmonie. » Psychologiquement, il est incroyablement pesant d’être assis entre ces deux chaises. Prendre la chose en diagonale, c’est dire que les deux aspects de l’anthropologie moderne sont en fait des membres divisés d’un bel ensemble biblique au sein duquel ils s’harmonisent parfaitement. Il nous faut donc retrouver l’harmonie biblique.

Il ne s’agit pas de couper la poire en deux et de dire que je suis à moitié machine et à moitié dieu. Ce serait ridicule et sans fondement biblique. Diagonaliser ne signifie pas faire des compromis pour se retrouver entre les deux. Il s’agit de montrer que les deux options sont à la fois dérivées et partielles par rapport à la plénitude biblique.

Le deuxième outil est ce que vous appelez la narration. Vous parlez de l’Écriture « qui surpasse ses rivaux culturels. » Et vous montrez, par exemple, comment le christianisme surpasse la réponse moderne à la question « Qui suis-je ? » remontant à René Descartes, le père de la philosophie moderne. En quoi la conception chrétienne de l’identité personnelle est-elle plus logique que la position de la modernité tardive ?

Il ne serait bien sûr pas vrai de dire que tout était parfait jusqu’à Descartes. Dès les premiers philosophes, il existait des façons problématiques pour l’être humain de se penser. C’est juste que l’histoire particulière que je raconte commence avec Descartes.

Ce que Descartes fait avec l’identité, c’est fonder pour la première fois notre compréhension de nous-mêmes à l’intérieur de nous-mêmes. C’est ce qui ressort de son célèbre Cogito ergo sum, « Je pense, donc je suis ». L’idée se développe ensuite et évolue. En arrivant à John Locke, on découvre cette idée que le politologue C. B. Macpherson appelle « l’individualisme possessif » de Locke. C’est l’idée étrange que nous serions propriétaires de nous-mêmes, que nous nous possédons nous-mêmes, et que nous pouvons donc faire de nous-mêmes ce que nous ferions avec n’importe quelle autre possession. Dans la pensée de Locke, la notion s’accompagne de diverses mises en garde, mais la tradition occidentale a eu tendance à abandonner ces mises en garde au fil du temps, de sorte que nous en sommes venus à considérer notre corps et notre personne comme notre propriété.

Si je me possède, je peux faire ce que je veux de moi-même. Je m’appartiens. C’est ainsi qu’émerge l’idée que personne ne peut me dire qui je suis ou comment je dois être. Personne d’autre n’a de droit sur moi. Personne d’autre ne peut légitimement m’obliger à faire quelque chose que je ne veux pas faire, de la même manière qu’on ne peut pas simplement prendre l’un de mes biens.

Cette pensée conduit à une vision de soi qui apparaît comme incroyablement libératrice. Il y a là quelque chose de séduisant et de réellement attirant, en particulier pour des personnes qui ont vécu dans des sociétés où on leur dit toujours ce qu’elles doivent faire et où elles n’ont aucune autonomie. Mais cette vision du soi pose un problème : elle inscrit l’identité dans une logique de marché. Je m’achète aussi moi-même, et c’est ce que l’on constate au cours des dernières décennies : nous construisons notre identité à travers nos achats. Cela se manifeste dans les marques dont nous choisissons de nous parer, mais aussi par le philosophe ou théologien avant-gardiste que nous aimons pouvoir citer. Quelle est la nouvelle tendance dont nous nous voulons porteurs ?

De là, il n’y a qu’un pas à franchir pour que l’identité devienne une marchandise qui s’achète et se vend. Je pense que le lieu le plus frappant pour observer cela aujourd’hui se trouve en ligne, où nous nous fabriquons des identités spécifiques. Nous les mettons sur le marché pour gagner en « j’aime » et en influence et en récolter des récompenses à la foi en termes de réputation et d’argent.

La vision biblique de l’identité vient subvertir en profondeur ce paradigme mercantile, car pour savoir qui je suis bibliquement, je ne commence pas par moi-même. Je sors de moi-même. Les Confessions d’Augustin en sont un bel exemple. On a parfois dit qu’il s’agissait de la première autobiographie dans la tradition occidentale, mais celle-ci n’est clairement pas écrite comme une autobiographie normale. Elle est avant tout écrite comme une prière, à la deuxième personne. Pour savoir qui il est, Augustin sait qu’il doit sortir de lui-même pour aller vers le Dieu auquel il appartient. Le philosophe Michael Hanby, dans son livre Augustine and Modernity, a une façon très intéressante de présenter la situation. Selon lui, l’identité chrétienne se construit comme ce qu’il appelle une « dépossession doxologique ». Cette identité est doxologique dans le sens où je me retrouve en adoptant une attitude de louange à l’égard de Dieu. Elle est aussi dépossession dans le sens où le moyen de me trouver est de me perdre dans la connaissance du Christ. Dans les Évangiles, celui qui cherche à sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie à cause du Christ et de l’Évangile la retrouvera.

Augustin l’exprime de manière très riche dans les Confessions. Il dit en somme : si je regarde à l’intérieur de moi, ce que je trouve, c’est un fouillis, un tourbillon impénétrable de désirs et d’idées différents. Il n’y a pas de cohérence, pas d’identité stable. Mais il constate ensuite que lorsqu’il sort de lui-même pour aller vers Dieu, il se trouve rassemblé. Il utilise cette belle image d’être rassemblé en tant qu’individu.

L’identité chrétienne n’est pas considérée comme un bien qui s’achète et se vend, mais comme un don, un don surabondant de Dieu. Et cela fait de nous des êtres fondamentalement relationnels. Je ne peux pas me considérer comme un atome isolé des autres. Il y a quelque chose d’incroyablement sain, tant sur le plan individuel que social, dans cette vision de l’identité qui n’est pas soumise aux vicissitudes du marché, qui me fait sortir de moi-même et m’oriente vers Dieu et les autres.

Quel est votre plus grand espoir quant à la manière dont le développement d’une théorie critique biblique pourrait améliorer notre positionnement et notre témoignage en tant que croyants ?

Je pense que, par la grâce de Dieu, une telle approche équipe les chrétiens et leur donne les moyens de s’inspirer des motifs et rythmes bibliques dans leur manière de vivre, de penser et de s’engager dans le monde, plutôt que de s’inspirer inconsidérément des modèles et rythmes de la modernité tardive. En tant que chrétiens, nous voulons être des gens du Livre. Nous voulons être des personnes qui aiment Dieu de tout leur cœur, de toute leur âme, de toute leur pensée et de toute leur force, et qui aiment leur prochain comme elles-mêmes. Pour reprendre les termes de la lettre de Jérémie aux exilés de Babylone, nous voulons être des personnes qui œuvrent pour la paix et la prospérité de la ville où Dieu nous a placés. Pourtant, toutes ces choses sont incroyablement difficiles à réaliser si nous n’avons aucune idée des modèles et rythmes spécifiques de la Bible et de la manière dont ils peuvent s’opposer — ou parfois s’associer — aux modèles et rythmes de notre société.

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Books

Décès de Charles Stanley, prédicateur tenace et fondateur du ministère « En contact »

Le pasteur baptiste d’Atlanta vivait selon la devise « Obéir à Dieu et lui remettre toutes les conséquences ».

Charles Stanley

Charles Stanley

Christianity Today April 20, 2023
Illustration by Christianity Today / Source Images: Courtesy of In Touch Ministries

Charles Stanley reçut un jour un coup de poing au visage pour son Église. Ce pasteur de longue date et prédicateur, souvent acclamé, est décédé mardi à l’âge de 90 ans. Il s’était battu avec acharnement pour diriger sa communauté de la Convention baptiste du Sud, ce qui lui valut une réputation de fidèle obstination, d’engagement à suivre la volonté de Dieu et de vie de prière dévouée.

Il répétait souvent sa devise, qu’il tenait de son grand-père : « Obéir à Dieu et lui remettre toutes les conséquences ». Ce genre d’obéissance avait un coût, disait Stanley, mais Dieu récompense la foi obstinée.

« Mon grand-père m’avait dit : “Charles, si Dieu te dit de foncer tête baissée à travers un mur de briques, tu prends la direction du mur”, écrivait-il dans ses mémoires en 2016, “et quand tu y arriveras, Dieu y fera un passage.” »

Stanley fut pasteur de la First Baptist Church d’Atlanta pendant 51 ans. Il commença comme pasteur associé en 1969, alors que la mégaéglise comptait 5000 membres, et resta en chaire jusqu’en 2020, dans une communauté qui aura grandi jusqu’à atteindre 15 000 membres. Il prêchait également quotidiennement à la radio et à la télévision par l’intermédiaire de In Touch Ministries (« En contact »), qu’il fonda en 1972, et fut considéré aux États-Unis comme l’un des meilleurs prédicateurs de sa génération, aux côtés de Charles Swindoll et de Billy Graham.

Le fils de Stanley, Andy, est également pasteur d’une mégaéglise à Atlanta et un prédicateur très apprécié. Les deux sont le seul duo père-fils à avoir figuré sur les listes de prédicateurs vivants les plus influents établies par l’institut Lifeway Research ou le George W. Truett Theological Seminary.

Stanley fut un membre fondateur de la Majorité morale et de la Coalition chrétienne, servit comme président de la Convention baptiste du Sud à un moment clé de lutte entre conservateurs et modérés, et écrivit plus de 50 livres.

Le futur prédicateur naquit en 1932 à Dry Fork, en Virginie, une ville dont il dira plus tard qu’elle était si petite qu’elle ne figurait pas sur la carte. Son père, également prénommé Charles, mourut alors que Stanley n’avait que neuf mois.

Sa mère, Rebecca Hardy Stanley, trouva un emploi dans une usine textile au milieu de la Grande Dépression, pour environ 9 dollars par semaine. Lorsqu’elle ne travaillait pas, elle emmenait son fils dans une Église pentecôtiste et lui apprenait à lire la Bible et à prier.

« Je peux encore entendre sa voix prononcer mon nom devant Dieu et lui dire qu’elle voulait que je le suive dans tout ce qu’il m’appellerait à faire », racontera Stanley.

À l’âge de 12 ans, il accepte Jésus comme son sauveur. Deux ans plus tard, il discerne un appel à la prédication et se dédie au ministère.

Rebecca se remarie alors que Stanley était adolescent. Son second mari était alcoolique et violent. Le jeune Stanley essaya de lutter contre son beau-père, allant même jusqu’à brandir un couteau face à lui. Il supplia sa mère de divorcer, mais elle resta attachée à cette union en raison de sa foi.

Cette expérience de violence eut un impact sur le reste de la vie de Stanley, comme il s’en souviendra plus tard.

« J’étais très, très mal à l’aise tant que je n’étais pas aux commandes », expliqua-t-il. « J’étais très, très combatif et très, très compétitif. Du coup, dans mon ministère, j’apportais l’esprit de survie. Tu fais ou tu meurs. Tu fais tout ce qui est nécessaire pour gagner. Peu importe ce que c’est. »

Stanley étudia à l’université de Richmond grâce à une bourse sollicitée par sa mère. Il rencontra là une étudiante en art de Caroline du Nord, Anna Margaret Johnson. Ils se marièrent en 1955.

Après avoir obtenu son diplôme au Southwestern Baptist Theological Seminary, Stanley prit en charge une Église baptiste dans l’État d’origine de sa nouvelle épouse, prêchant à la Fruitland Baptist Church et enseignant au Fruitland Baptist Bible Institute (aujourd’hui College). Il déménagea ensuite à Fairborn (Ohio), à Miami (Floride) et à Bartow (Floride) avant d’accepter l’appel à devenir pasteur associé dans une grande Église baptiste du centre d’Atlanta en 1969.

Le pasteur principal démissionna deux ans plus tard, et il fut demandé à Stanley d’assumer ses responsabilités jusqu’à ce qu’un remplaçant soit trouvé. Il posa lui-même sa candidature, mais le comité de recherche vota contre lui à 5 voix contre 2.

Cependant, tandis que se poursuivaient les recherches, la fréquentation des cultes commença à augmenter, les dons se multiplièrent et de plus en plus de membres de l’Église suggérèrent que Stanley prenne le poste de pasteur. Plusieurs diacres — subtilement puis moins subtilement — firent pression sur Stanley pour qu’il se retire.

Stanley refusa.

« Les gens voulaient se débarrasser de moi », racontera-t-il. « Ils ne pouvaient pas me dire pourquoi. Ils disaient simplement que tout ce que je prêchais, c’était comment être sauvé, la venue de Jésus et comment être rempli du Saint-Esprit. J’ai ri et je me suis dit : “Mon Dieu, j’espère bien que c’est le cas !” »

Le pasteur Stanley est à l’origine d’un nouveau conflit lorsqu’il révoque certains enseignants de l’école du dimanche, malgré les objections du surintendant de l’école du dimanche, qui estime alors que le pasteur n’a pas l’autorité nécessaire pour prendre cette décision.

Selon l’Atlanta Constitution, un diacre dénonçait alors la « pure course au pouvoir » de Stanley, et plusieurs responsables se dirent « mal à l’aise » face à la « passion démesurée du pasteur pour le pouvoir politique » et à sa « confiance extravagante dans sa compréhension de la volonté de Dieu ».

Lors d’une réunion d’Église houleuse, l’un des membres du conseil de l’Église laissa échapper un juron.

Stanley lui répondit : « Tu devrais faire attention à ton langage ! »

Le membre du conseil d’administration rétorqua : « Non, tu devrais faire attention à toi », puis brandit son poing et frappa Stanley au visage.

Andy, 13 ans à l’époque, regardait la scène depuis l’un des premiers bancs. Il raconte que son père ne broncha pas lorsqu’il fut frappé. Il ne riposta pas non plus, remportant ainsi une victoire morale et la discussion.

« J’ai vu mon père tendre l’autre joue », écrira plus tard le jeune Stanley, « mais il n’a jamais tourné le dos et pris la fuite. »

Lorsque les membres de l’Église tinrent une réunion de trois heures pour décider s’ils voulaient garder Stanley, la majorité vota oui. L’Église décida alors que Stanley deviendrait le pasteur principal.

Il attendit une semaine pour annoncer s’il acceptait ou non le poste. Trente-six des 59 diacres de la communauté démissionnèrent.

Stanley apporta la même ténacité à la Convention baptiste du Sud lorsqu’il en fut élu président en 1984. Ses partisans espéraient qu’il serait celui qui résoudrait le conflit entre les conservateurs et les modérés de la dénomination. Ses opposants craignaient la même chose, un président de séminaire appelant même à une « guerre sainte » contre les conservateurs, dont Stanley, qui insistaient sur une plus grande uniformité théologique dans la dénomination, au détriment de l’autonomie des congrégations.

Les conservateurs déclarèrent qu’ils mettraient un terme à la dérive libérale, en particulier dans les séminaires et dans les organisations de politique publique de l’Église. Au cours de sa première année de présidence, Stanley soutint des mesures visant à empêcher les communautés d’ordonner des femmes. À l’époque, il y avait 13 femmes pasteurs dans la Convention baptiste et plus de 220 avaient été ordonnées.

La deuxième année, surmontant l’opposition pour se voir réélu avec 55 % des voix, Stanley utilisa son pouvoir présidentiel et ses compétences en matière de manœuvres diplomatiques pour nommer une série de conservateurs dans d’importants conseils baptistes.

Cependant, le plus grand combat de Stanley fut de tenter de sauver son mariage et de rester en chaire après son divorce.

Anna Stanley demanda le divorce en 1993, sans explication et en utilisant uniquement les initiales du couple, A. S. et C. S. La nouvelle se répandit tout de même et provoqua un tollé à la First Baptist Church. La congrégation n’avait jamais permis à un homme divorcé d’exercer un ministère, et Stanley lui-même enseignait que la chose était impossible.

Stanley annonça en chaire que le couple ne divorçait pas, mais qu’ils étaient séparés et travaillaient sur leur mariage. Une semaine plus tard, Anna modifia l’action en justice pour demander une séparation formelle au lieu d’un divorce, puis elle abandonna l’affaire.

Elle déposa une nouvelle demande en 1995.

« Je suis consternée par le refus de mon mari d’accepter l’état critique de notre mariage », déclarait Anna Stanley dans un communiqué transmis à l’Atlanta Constitution. « Au lieu de cela, il a annoncé à plusieurs reprises du haut de sa chaire que des progrès étaient réalisés en vue de notre réconciliation, alors qu’en réalité, c’est tout le contraire qui s’est produit. Je ne veux pas contribuer à cette mascarade. »

Il n’y avait pas d’allégation d’infidélité ou de comportement immoral. Anna déclara que son mari avait depuis longtemps établi clairement ses priorités, et qu’elle n’en faisait pas partie.

Un certain nombre de responsables de l’Église — qui comptait alors environ 13 000 fidèles chaque semaine — souhaitent alors que Stanley se retire, au moins temporairement. D’autres le poussent à démissionner. L’un d’entre eux était son fils, Andy Stanley, pasteur d’une extension de l’Église en pleine expansion et considéré comme l’héritier présomptif de la chaire de la communauté.

Plus tard, Andy dira qu’il voulait seulement que son père propose de démissionner, donnant ainsi à l’Église la possibilité de faire elle-même le choix de garder son pasteur bien-aimé. Son père, dit-il, n’entendit plus rien après le mot « démission ».

Charles réagit durement et considéra son fils comme un ennemi. Andy quitta la communauté, s’éloigna de son père et fonda la North Point Community Church, une mégaéglise sensible aux personnes en recherche qui grandirait jusqu’à compter près de 40 000 personnes.

Charles Stanley décrivit cette période comme la plus difficile et la plus solitaire de sa vie.

« Les premières fois que je suis allé à l’épicerie le soir tout seul, que je suis rentré chez moi tout seul, dans une maison vide, j’ai eu du mal. Mais je me suis dit : “Ok Seigneur, c’est là que j’en suis », racontera Stanley. « Ma femme s’était éloignée. Pour un pasteur, c’est un désastre. L’Église allait me renvoyer parce que l’on imagine toujours le pire. Mais mon Église ne l’a pas fait. Ils m’ont dit : “Tu as été là pour nous quand nous avions besoin de toi. Maintenant, nous allons être là pour toi.” »

L’Église vota en faveur du maintien de Stanley, même si la séparation se poursuivait. Lorsque Anna demanda le divorce pour une troisième fois en 2000 et réussit à mettre fin à leur mariage, un membre du conseil d’administration annonça que Stanley resterait pasteur principal. L’assemblée réagit à la nouvelle par une ovation debout.

Alors que certains responsables évangéliques condamnèrent la décision de Stanley de poursuivre son ministère en tant qu’homme divorcé, affirmant qu’il sapait le témoignage moral des évangéliques, peu de choses changèrent réellement dans l’Église baptiste d’Atlanta. Selon Stanley, son divorce aurait même fait de lui un pasteur plus efficace.

« C’était Romains 8.28. Dieu savait ce qu’il faisait », déclara Stanley. « Les gens me disaient : “Avant, je ne pouvais pas t’écouter. Que savais-tu de la solitude, de la douleur, de la souffrance et de la perte ? Maintenant, je peux suivre tes émissions parce que je sais que tu sais ce que je ressens.” »

Stanley se réconcilia avec son fils par le biais d’un accompagnement, les deux pasteurs se faisant accompagner ensemble. Stanley parla de la mort de son père, de sa relation traumatisante avec son beau-père et de son besoin de garder le contrôle. Il invita Andy à prêcher à la First Baptist Church en 2007. Le sermon du jeune Stanley portait sur un thème familier : « Le prix à payer pour suivre le Christ. »

La prédication de Charles Stanley fut largement saluée dans les dernières années de sa vie, en particulier pour sa simplicité, son caractère pratique et son efficacité. Il abordait aussi fréquemment l’importance de la prière et de sa propre pratique consistant à s’agenouiller quotidiennement pour parler à Dieu.

« Pour moi, c’est la clé », déclarait-il à Christianity Today. « C’est la clé de tout. Parce que ce que vous faites, c’est reconnaître Dieu au moment où vous avez besoin de son aide, de sa perspicacité, de sa compréhension, de son courage ou de sa fidélité, de quelque manière qu’elle puisse s’exprimer. »

Lorsqu’on lui demanda quel conseil il donnerait à ses petits-enfants, s’ils se lançaient dans le ministère, ou ce qu’il pourrait inscrire sur sa tombe à sa mort, Stanley revint à sa devise de foi inébranlable : « Obéir à Dieu et lui remettre toutes les conséquences »

Il laisse derrière lui son fils Andy, sa fille Becky Stanley Brodersen et six petits-enfants. Anna Stanley était déjà décédée en 2014.

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History

Oui, le pouvoir est une tentation pour tous les évangéliques.

Comment et pourquoi le directeur non-chrétien du FBI Edgar Hoover s’est quelques fois retrouvé dans nos pages.

Christianity Today April 17, 2023
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: WikiMedia Commons / Getty

Billy Graham aura essayé.

Prêchant à la Maison-Blanche le premier dimanche après l’investiture de Richard Nixon en 1969, Graham tenta de se faire suffisamment clair pour que le nouveau président entende son message. Il s’attaqua directement au discours inaugural de Nixon en laissant entendre que celui-ci avait eu tort de compter autant sur lui-même, sur sa propre ingéniosité, sur sa propre bonté. « Nous n’avons qu’à regarder en nous-mêmes » pour résoudre les problèmes les plus urgents du pays, avait déclaré le président aux Américains. Il se trompait. Le président et le peuple américain, prêcha Graham, devaient s’humilier, se tourner et mettre leur confiance en Dieu.

C’est du moins ce qu’il espérait faire entendre. Sa critique était en réalité si subtile que personne n’y prêta vraiment attention dans l’East Room de la Maison-Blanche. Après le culte, on servit du jus d’orange et du café et chacun commenta à quel point il était agréable de gagner une élection, de prendre le contrôle de la Maison-Blanche et de vivre un service religieux sous les célèbres portraits de George et Martha Washington. On passa tout à fait à côté de cet appel à l’humilité que Graham n’osa pas non plus pleinement exprimer.

Ce que le fondateur de Christianity Today avait réellement en tête n’apparaît que lorsque l’on prête attention à ce qu’il cite du discours inaugural du président et à ce que Nixon et lui ont dit par la suite. Ainsi se révèle une opposition claire entre les deux. Mais personne ne fit vraiment l’exercice, et l’opposition passa donc inaperçue, même aux yeux du très sensible Nixon. Le nouveau président se sentit conforté dans sa position. Le message de Graham ne fut pas entendu. Et notre fondateur continua à être invité à la Maison-Blanche, en ligne directe avec le pouvoir, aussi longtemps qu’il continua à faire certains compromis moralement dévastateurs.

La tentation de faire plaisir à ceux qui détiennent le pouvoir est forte. La tentation de faire des compromis au nom de l’accès à ceux-ci n’est pas nouvelle. Pour les évangéliques blancs américains, cela n’a pas commencé avec Donald Trump.

Telle était la tentation de Billy Graham. Telle fut comme nous le verrons la tentation de Carl Henry, premier rédacteur en chef de Christianity Today. Et telle est aussi la nôtre.

L’histoire récente du mouvement évangélique américain a souvent été expliquée par ce que les historiens appellent un récit de déclin — les choses allaient bien, puis la situation s’est dégradée. Les évangéliques, entend-on parfois, auraient autrefois été accoutumés au respect de normes morales élevées, mais auraient fini par adopter avec enthousiasme une star de la télé-réalité menteuse et tricheuse comme candidat à la présidence.

Mais nous n’avons pas sauté toutes les étapes d’un coup. L’historien Lerone A. Martin l’explique clairement dans son nouveau livre, The Gospel of J. Edgar Hoover (« L’Évangile de J. Edgar Hoover »).

« Dès le début, écrit Martin, les fondateurs du mouvement évangélique moderne blanc ont prêché que la politique américaine avait besoin de la piété chrétienne et de la morale traditionnelle, alors que leur propre pratique politique était marquée par l’évangile du pragmatisme amoral. »

Martin se penche en particulier sur la relation des évangéliques avec l’homme qui dirigea le FBI pendant près d’un demi-siècle : Edgar Hoover. Au fil du temps, celui-ci devint extrêmement puissant, jusqu’à empiéter sur l’autorité des présidents successifs. Il s’érigea en défenseur indispensable de l’Amérique, comme s’il était le seul à se tenir entre le pays et le communisme, le crime, la révolution et toutes les formes de chaos et de désordre. Il se servit de cette réputation pour accroître son pouvoir et promouvoir une vision morale de l’Amérique qui maintenait des hiérarchies injustes et ne supportait aucune critique, en particulier de la part des Noirs dont les droits civiques étaient depuis longtemps bafoués.

Les évangéliques soutinrent Hoover dans ce projet. Les premiers éditeurs de Christianity Today, en particulier, considéraient Hoover comme un véritable leader moral et associèrent volontiers le magazine censé façonner le mouvement évangélique au directeur du FBI. Ils recherchèrent et publièrent de nombreux articles portant la signature de Hoover et les utilisèrent pour promouvoir le magazine.

WikiMedia Commons / Edits by CTJ Edgar Hoover
WikiMedia Commons / Edits by CT

Des rédacteurs comme Carl Henry ne se faisaient pas d’illusions sur le fait que Hoover aurait été converti ou aurait une relation personnelle avec Jésus. Il prêchait une sorte de déisme patriotique. Mais cela ne semblait pas avoir d’importance.

Carl Henry, bien que souvent le membre le plus perspicace de la première équipe éditoriale, se montrait même élogieux à l’égard de Hoover dans leur correspondance. « C’est toujours un privilège et un plaisir de publier vos articles dans Christianity Today », lui écrit-il. « Vous avez un rôle à jouer non seulement dans le message de Christianity Today, mais aussi dans sa mission. »

Lerone Martin interprète cela comme un signe de ce que l’objectif réel du magazine était politique : établir un nationalisme chrétien blanc. Il suggère même que le mouvement évangélique est au fond, au cœur, dans son essence, un nationalisme chrétien blanc.

Je ne suis pas convaincu qu’il ait ici raison. D’une part, je ne pense pas qu’il soit judicieux de parler de l’essence du mouvement évangélique. Une telle chose n’est pas immuable ou intangible. Ce mouvement existe dans la contingence de l’histoire. Le fait de se réconcilier avec le passé, comme Martin met les évangéliques au défi de le faire, peut être source de réformes.

Je ne suis pas non plus convaincu que les éditeurs de Christianity Today aient embrassé l’ensemble de la vision de Hoover quant à ce que devait être l’Amérique. Un examen attentif du dossier révèle à mes yeux quelque chose de plus triste et de plus médiocre que cela. Ils ne répondaient pas au grand programme politique de Hoover, mais simplement à un peu de flatterie.

Graham, Henry et d’autres à l’époque de la guerre froide espéraient assurément que le mouvement évangélique serve de ressource spirituelle dans le conflit avec le communisme mondial. Ils appelaient l’Amérique à « revenir à Dieu ». Ce faisant, ils confondirent parfois la nation et l’Église. Mais l’aspect de la vision de Hoover pour l’Amérique le plus souligné dans les archives de Christianity Today est l’importance des pasteurs. C’est vraisemblablement pour cet élément que les éditeurs étaient si enthousiastes.

« Les ecclésiastiques américains ont un rôle vital à jouer », dit le premier article de Hoover. « L’Église est le pouls de l’Amérique. »

Un an plus tard, se plagiant presque lui-même, il déclarait : « Les pasteurs d’Amérique occupent une place essentielle », car « chaque dimanche matin, ce sont littéralement des millions d’Américains qui écoutent les sermons de l’Église. Les sermons représentent l’une des forces les plus puissantes pour le bien dans la nation aujourd’hui. »

Ce sont ces banalités qui servirent d’appât. Cette promesse d’importance — un homme puissant affirmant qu’ils comptaient pour le destin de la nation, le destin du monde libre — était séduisante.

Ce genre de flatteries fonctionna sur beaucoup de gens. Les recherches de Martin sont méticuleuses, même si elles sont quelque peu ternies par des affirmations et des conclusions qui me semblent aller au-delà des preuves. Son livre montre que Hoover ne travaillait pas uniquement avec les évangéliques. Hoover collaborait très étroitement avec les catholiques, à tel point que beaucoup pensaient que le directeur du FBI était lui-même catholique. Il travailla également avec des fondamentalistes et des conservateurs qui n’aimaient pas Billy Graham. Il rallia au moins un pasteur noir à sa cause. Il n’eut aucun mal à convaincre les protestants libéraux, y compris les épiscopaliens les plus éminents du pays, et même un pasteur de l’Église unie du Christ qui proposa d’espionner l’Union américaine pour les libertés civiles afin de lui prouver son allégeance.

Carl HenryWikiMedia Commons / Edits by CT
Carl Henry

Tous ceux qui cherchaient à gagner en respectabilité dans l’Amérique de la guerre froide avaient besoin de l’approbation de J. Edgar Hoover. Et le directeur du FBI sut utiliser cela.

« Le Bureau reçut des propositions de pratiquement toutes les assemblées protestantes blanches de la région métropolitaine de Washington pour avoir le privilège d’accueillir et de célébrer le culte avec le FBI », écrit Martin.

Je suppose qu’il serait possible de tous les considérer comme des nationalistes chrétiens blancs, selon la définition que l’on donne à ce terme, mais ce que Martin documente s’apparente à mes yeux davantage à ce que Robert Bellah a appelé la « religion civile ». Ces groupes religieux mirent à disposition leurs symboles et leurs cérémonies, leurs chaires et les pages de leurs magazines pour proclamer que l’Amérique et la défense de l’Amérique par le FBI étaient des causes sacrées. Hoover, en retour, leur offrit de la respectabilité et certains accès (souvent symboliques) au pouvoir.

Je ne cherche pas à disculper ici des responsables religieux qui ont prêté leur foi à des causes inégalitaires et à des visions d’exclusion. Mais il paraît important de relever que beaucoup succombaient en fait à une tentation bien plus fondamentale. Ils voulaient être respectés. Ils voulaient être partie prenante. Ils voulaient que quelqu’un, un jour ou l’autre, les intègre dans la parade.

À cela, même des évangéliques contemporains qui abhorrent le nationalisme chrétien blanc et sont consternés à l’idée de répandre l’Évangile par le biais du pouvoir de l’État restent vulnérables. Comme Carl Henry, nous pouvons être tentés. Nous, évangéliques, qui cherchons à être pertinents et à gagner nos contemporains, découvrirons sans cesse que l’incitation au compromis est toujours présente. De justes opinions ne constituent pas une protection contre cette tentation.

Cependant, il ne s’agit pas non plus, comme certains le prétendent, d’un problème exclusivement évangélique. Revenons-en à cet office religieux à la Maison-Blanche de Nixon : peut-être Graham a-t-il eu du mal à critiquer clairement le nouveau président parce qu’il était évangélique. Mais la même chose s’est produite à maintes reprises pour les intervenants de toutes les traditions qui ont été invitées à s’adresser à cet auditoire.

Des ecclésiastiques traditionnels commencèrent par s’enhardir, imaginant ce qu’ils prêcheraient au président dans sa propre maison, puis ils y réfléchissaient à deux fois. L’un d’entre eux laissa tomber un brouillon appelant à certaines réformes et préféra parler de la noblesse de l’esprit humain. Un autre écrivit un sermon s’adressant directement à Nixon, mais supprima ensuite toutes les occurrences de l’expression « M. le Président », de peur que ses paroles ne paraissent trop dirigées. Un rabbin alla encore plus loin, terminant son sermon par ces mots : « Le doigt de Dieu a pointé vers Richard Milhous Nixon, lui donnant la vision et la sagesse nécessaires pour sauver le monde et la civilisation. »

D’après ce que j’ai pu observer, ce n’est pas un penchant théologique spécifique qui rend quelqu’un plus vulnérable à l’idolâtrie politique. Considérer le pouvoir comme le fait d’une bénédiction et faire un messie d’un président est un danger pour nous tous. Comme la plupart des péchés, il est plus facile de les repérer lorsque quelqu’un d’autre les commet. Mais le désir de se trouver un champion politique et la tentation d’opter pour un pragmatisme amoral pour un petit peu d’accès au pouvoir nous affectent tous.

Cela signifie aussi que Martin a raison de dire qu’il n’est pas possible de faire une nette distinction entre « bons » et « mauvais » évangéliques. Nous aurions tort d’imaginer que le fait de ressembler davantage à telle ou telle figure évangélique idéale comme Billy Graham nous vaccinerait contre cette tentation. Nous aurions tort d’imaginer qu’il y a eu un « avant », où nous n’avions pas ces problèmes. Cette question ne concerne pas seulement les évangéliques qui ont soutenu Donald Trump ou Jair Bolsonaro. Elle ne disparaîtra pas non plus lorsque l’influence de ces figures finira par s’estomper. Il s’agit d’une tentation que nous aurons toujours avec nous.

L’histoire embarrassante de Christianity Today publiant le baratin du directeur du FBI devrait rappeler à tous les évangéliques les dangers de tenter de plaire aux puissants. Elle pourrait également nous ramener à la sagesse du sermon que Billy Graham tenta, en vain, de faire entendre à Richard Nixon : nous aussi avons tort de nous fier autant à nous-mêmes, à notre ingéniosité et à notre bonté. Nous aussi devons gagner en humilité. Nous aussi devons être conscients de notre tendance à rechercher le pouvoir au lieu de faire confiance à Dieu.

Le Christ nous a appris à prier pour que son règne vienne. Il nous a également montré comment cela doit se produire : non pas par le nationalisme, ni par la coopération avec le FBI, ni par la publication d’articles qui seront appréciés par les ceux qui sont en position de force, mais en portant sa croix et en proclamant la Bonne Nouvelle.

Daniel Silliman est éditeur d’actualités pour Christianity Today et historien, titulaire d’un doctorat de l’université de Heidelberg. Il travaille actuellement sur une biographie religieuse de Richard Nixon, à paraître chez Eerdmans.

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Pour intégrer la génération Z, une Église de Singapour les laisse gérer le culte.

Les Églises constatent également que mettre en lien les jeunes avec des membres plus âgés et de répondre à leurs « pourquoi » les aide à rester dans l’Église.

Des jeunes de l’Église Heart of God à Singapour s’occupent de tous les aspects du culte du week-end.

Des jeunes de l’Église Heart of God à Singapour s’occupent de tous les aspects du culte du week-end.

Christianity Today April 17, 2023
Avec l’aimable autorisation de l’Église Heart of God

Depuis sa création il y a plus de 20 ans, l’Église Heart of God à Singapour parvient à attirer un public difficile à retenir : la moyenne d’âge de ses fidèles est restée stable autour de 22 ans.

Aujourd’hui, environ 5 000 personnes fréquentent cette communauté chaque dimanche. Cecilia Chan, la pasteure principale, cofondatrice de l’Église, affectueusement connue sous le nom de pasteure Lia, explique leur stratégie : « Les jeunes doivent être invités, inclus, impliqués, avant de pouvoir être influencés et touchés. »

En pratique, cela signifie que des jeunes âgés d’à peine 12 ans se voient confier des responsabilités telles que la conception de diapositives, l’organisation de retransmissions en direct de l’Église, la gestion de la table de mixage ou même l’aide à la coordination des cultes du dimanche. Pour ce faire, ils sont encadrés par d’autres qui ont quelques années d’avance sur eux.

Les Églises de Singapour sont confrontées aux mêmes difficultés que leurs homologues du monde entier pour maintenir la génération Z engagée, car les natifs du numérique sont bombardés de bruits et de distractions les attirant vers le reste du monde. Les opinions de nombreux jeunes sur des questions telles que la sexualité ou ce qui constitue une unité familiale ne sont plus définies par les normes sociétales asiatiques. Un recensement de 2020 a révélé qu’un nombre croissant de jeunes (âgés de 15 à 24 ans) déclarent ne pas avoir d’affiliation religieuse. Leur nombre est passé de 21 % en 2010 à 24 % en 2020.

Les étudiants singapouriens, qui sont connus pour leurs excellents résultats aux examens, connaissent également des niveaux élevés d’anxiété et de stress liés à la réussite scolaire. Sous la pression de leurs parents et de leurs camarades, les élèves passent des heures après l’école à suivre des cours de soutien scolaire et d’approfondissement. Le temps libre qui leur reste, beaucoup le passent sur leur téléphone. Les activités qui offrent des possibilités d’interaction en face à face et qui ne sont pas axées sur le travail scolaire sont comme une bouffée d’air frais.

Nous avons interrogé trois Églises singapouriennes dont les ministères de jeunesse sont très actifs, afin de savoir comment elles atteignent ce groupe démographique. Ces communautés font participer les jeunes, assurent l’interaction entre les générations, travaillent à construire des relations hors des espaces virtuels et creusent pour approfondir les raisons pour lesquelles la Bible et à Dieu sont dignes de confiance.

« Je me sens responsabilisé. »

Goh Xin Yi, 19 ans, a commencé à fréquenter l’Église Heart of God il y a six ans, après qu’un ami de l’école l’ait invité au culte de Pâques de l’Église. « C’était intéressant de voir autant de jeunes réunis au même endroit en dehors de l’école et des centres [de tutorat] », raconte-t-il.

En tant que nouveau membre, il a suivi un programme de formation au ministère qui lui a présenté plus de 80 domaines dans lesquels il pouvait servir. Parallèlement, il participe à des études bibliques pour mieux connaître Dieu.

Goh a choisi de faire partie de l’équipe de retransmission en direct de l’Église avant de devenir directeur de la photographie à l’âge de 16 ans. Aujourd’hui âgé de 19 ans, il est responsable des opérations médiatiques et supervise 50 autres personnes.

« Servir dans le ministère me donne un sentiment d’appartenance », dit Goh. « Je me sens responsabilisé. Je sens que l’on me fait confiance en me laissant la possibilité de manipuler des équipements très coûteux. »

Plus de 80 % des membres de la communauté sont engagés dans divers ministères, et sept « générations » de responsables travaillent les uns à côté des autres. Les générations sont chacune séparées par trois à cinq ans, et chacune forme son propre groupe de jeunes. La première génération comprend des pasteurs locaux âgés d’une trentaine d’années, tandis que la plus récente comprend des responsables âgés de 13 ans seulement.

Dans le cas de Goh, il est encadré par un jeune responsable de 27 ans qui dirige l’ensemble de l’équipe média, soit plus de 300 personnes. Goh lui-même travaille avec des adolescents de 12 et 13 ans. « Ils apportent des idées très directes et des perspectives nouvelles. » « J’aime les responsabiliser, comme on l’a fait pour moi lorsque j’avais leur âge. »

service à l’Imaginarium, le centre de l’Église Heart of God. À droite : trois générations servent ensemble en tant que formateur en photographie, équipier et superviseur.Avec l’aimable autorisation de l’Église Heart of God
service à l’Imaginarium, le centre de l’Église Heart of God. À droite : trois générations servent ensemble en tant que formateur en photographie, équipier et superviseur.

La pasteure Lia observe que le fait de donner aux jeunes la possibilité de diriger et de former contribue à ancrer leur engagement dans la durée. « Les anciennes générations ne sont pas remplacées, mais renforcées par les jeunes générations qui rejoignent les rangs » et servent avec elles.

Trouver une famille dans l’Église

Au sein de la communauté sinophone de la All Saints Church, les responsables utilisent une stratégie différente pour atteindre les jeunes. L’un des défis auxquels l’assemblée est confrontée est que les jeunes Singapouriens sont plus à l’aise en anglais qu’en chinois, et qu’ils fréquentent donc souvent des Églises anglophones.

Pourtant, l’Église All Saints Church voit son ministère de la jeunesse en langue chinoise, qui compte actuellement 70 membres, croître d’environ 6 % chaque année. Elle s’appuie sur cet atout qu’elle a d’être une Église multigénérationnelle en créant des activités auxquelles les adolescents et les personnes âgées peuvent prendre part ensemble.

Par exemple, l’Église organise un camp annuel pour les élèves de l’école secondaire anglicane, qui est liée à la communauté. Des membres âgés de l’Église servent la nourriture pendant le camp et prient pour les participants, tandis que les jeunes adultes supervisent la programmation et dirigent les petits groupes durant le séjour.

« Dans une Église chinoise comme la nôtre, la culture et la tradition familiales sont plus prononcées », explique Fu Weikai, pasteur associé de la All Saints Church, qui supervise le ministère de jeunesse en chinois.

Selon lui, certains jeunes trouvent dans l’Église l’appartenance ou les liens familiaux qui manquent dans leur propre foyer. « Nous avons un programme appelé “Dîner avec les anciens”, dans le cadre duquel des couples d’une cinquantaine d’années ouvrent leur maison à de jeunes adultes pour un dîner et une rencontre fraternelle. »

Clement Ong, 29 ans, a rejoint l’Église à l’âge de 16 ans après avoir participé au camp d’étudiants du lycée anglican. Aujourd’hui, il est engagé dans le ministère auprès de la jeunesse. Il constate que dans certaines familles où les deux parents travaillent, le système de soutien de l’enfant est passé de la famille nucléaire à la famille religieuse.

« Avec Instagram et les médias sociaux, nous, responsables, sommes aussi plus à l’écoute de la vie des jeunes », explique-t-il. « Lorsque nous voyons certaines choses qu’ils postent, nous prenons plus souvent de leurs nouvelles, nous leur envoyons un message et nous les rencontrons en tête-à-tête pour des repas. »

Mais la technologie a ses revers. Fu Weikai constate que la vision du monde de nombreux jeunes est façonnée par leurs smartphones : « Ce qu’ils savent de leurs amis, ce sont leurs stories Instagram et leurs vidéos TikTok. » « Certains jeunes sont assez maladroits dans les interactions sociales, car la plupart d’entre eux communiquent surtout virtuellement. »

C’est pour cela que lui et les autres responsables de l’Église s’efforcent de nouer avec eux des relations en dehors des espaces virtuels. L’Église dispose d’un espace où les élèves de l’école secondaire anglicane peuvent se réunir et faire connaissance avec certains employés de l’Église pendant les pauses. Dans cet environnement climatisé, les étudiants peuvent également jouer de la guitare ou de la batterie pour se détendre.

En réfléchissant à la manière dont les jeunes interagissent avec l’information, Fu Weikai a également modifié la façon dont il prépare ses sermons et les sujets qu’il aborde dans le cadre de la pastorale des jeunes. « Je ne peux pas les haranguer pendant 40 minutes. » « Avant, si on leur demandait de sauter, ils répondaient : “À quelle hauteur ?” Aujourd’hui, ils demandent : “Pourquoi sauter ?” »

Aujourd’hui, il limite ses sermons à environ 20 minutes et ne se lance plus dans des listes de choses à faire et à ne pas faire. Par exemple, lorsqu’il prêche sur le thème de l’orgueil, il ne peut pas se contenter de leur dire d’arrêter d’être orgueilleux. « Il s’agit d’expliquer le problème de l’orgueil, de reconnaître la présence de l’orgueil dans nos vies et de s’appuyer sur la fidélité de Dieu pour nous en délivrer. »

Répondre aux « pourquoi »

Eddie Ho, pasteur à la Faith Methodist Church et responsable de la pastorale des jeunes (200 membres), explique que les jeunes lui demandent souvent : « Pourquoi devrais-je faire confiance à la Bible ? »

Par le passé les adolescents acceptaient plus volontiers ce que leurs parents et leurs enseignants leur disaient. Aujourd’hui, avec l’accès très facile à internet, les jeunes recherchent d’autres approches et d’autres perspectives.

« Nous ne pouvons pas supposer qu’ils sont convaincus que la Bible est la vérité », dit Eddie Ho. « Nous devons expliquer le “pourquoi”. Nous devons leur expliquer les principes sous-jacents aux commandements de Dieu. »

Ses sermons approfondissent par exemple la question de savoir pourquoi Jésus a ordonné à ses disciples d’aimer leur prochain comme ils s’aiment eux-mêmes : « Parce que nous sommes tous créés à son image. » « Nous aimons Dieu, nous aimons son image, nous aimons nos prochains ».

Une fois par mois, l’Église accueille des cultes pour les jeunes avec un panel d’orateurs qui discutent de sujets qui les touchent comme le service dans l’Église, les médias sociaux et les jeux en ligne, la sexualité et l’apologétique. Ensuite, les étudiants ont du temps pour réfléchir et discuter sur le sujet. Parfois ils se réunissent autour d’un repas.

Eddie Ho estime que le ministère de personne à personne est important à une époque où les jeunes veulent des réponses rapides à leurs questions. « Nous devons former de bons animateurs de jeunesse pour qu’ils puissent communiquer avec les jeunes, surtout à cet âge où les jeunes préfèrent écouter leurs amis que leurs parents. »

Pourtant, même avec les meilleurs efforts de leurs parents et de leur communauté, des jeunes peuvent toujours s’éloigner de l’Église et de Dieu. Le pasteur Ho veut cependant encourager ceux dont les enfants ou les proches ont pris leurs distances : « Il se peut que certains jeunes ne fréquentent pas l’Église aujourd’hui, mais en tant que parents, en tant que parents spirituels et en tant que familles, nous devrions continuer à faire preuve d’amour et à semer, et attendre dans la prière que Dieu fasse son œuvre en ces jeunes. »

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Books

Décès de George Verwer, inlassable mobilisateur pour la mission

« Êtes-vous prêts à partir ? » Le fondateur d’Opération Mobilisation aura encouragé des foules incalculables à proclamer l’amour de Dieu dans le monde entier.

George Verwer, Opération Mobilisation (OM)

George Verwer, Opération Mobilisation (OM)

Christianity Today April 15, 2023
Courtesy of Operation Mobilisation / edits by Rick Szuecs

George Verwer revenait sans cesse à une question centrale.

Lorsque le jeune homme de 18 ans et son ami Dale Rhoton eurent fini de prier dans une chambre d’étudiant à Maryville, dans le Tennessee, Verwer regarda son camarade d’université et lui demanda : « Alors ? Tu es prêt à partir ? »

Dale Rhoton sursauta. Il venait tout juste d’entendre l’idée de Verwer de vendre ce qu’ils possédaient et d’utiliser l’argent pour acheter un camion cet été-là, de le remplir d’éditions en espagnol de l’Évangile de Jean et de le conduire au Mexique, où 70 % de la population n’avait pas accès aux Écritures. Ils venaient juste de prier à ce sujet.

« George », répondit-il, « cela prend plus de temps que ça. »

George Verwer ne voyait pas pourquoi. Le futur fondateur d’Opération Mobilisation (OM) percevait un besoin spirituel. Ils étaient en mesure de répondre à ce besoin. Le reste lui importait peu.

« Son unique passion dans la vie a été d’être un canal permettant aux gens d’entrer dans une longue amitié avec Jésus », écrira plus tard Rhoton. « Sa zone de confort est de sortir de sa zone de confort. Il ne se sent vraiment en sécurité que lorsqu’il risque tout. »

Cette ferveur de toute une vie pour la mission a poussé un nombre incalculable de chrétiens à passer à travers les frontières, les cultures et les continents pour proclamer la bonne nouvelle de l’amour de Dieu. OM est devenue l’une des plus grandes organisations missionnaires du 20e siècle, envoyant chaque année des milliers de personnes dans le cadre de voyages à court et à long terme. L’organisation compte actuellement environ 3 300 travailleurs originaires de 134 pays différents et engagés dans 147 pays. On estime que 300 autres agences missionnaires ont été créées à la suite d’un contact avec OM ou lancées par d’anciens membres.

Georges Verwer est décédé ce vendredi 14 avril, à l’âge de 84 ans.

Lindsay Brown, qui a dirigé l’International Fellowship of Evangelical Students (IFES) pendant 40 ans, se souvient de lui comme d’un leader missionnaire exceptionnel.

« Je pense qu’OM n’a pas son pareil pour ce qui est de la diversité des activités, des instances et des responsables que l’organisation a engendrés », commente-t-il. « Je pense que George est la figure missionnaire nord-américaine la plus importante de ces 60 dernières années. Il a exercé un ministère remarquable. »

Georges Verwer naquit le 3 juillet 1938 d’Eleanor Caddell Verwer et de George Verwer Senior, un immigrant néerlandais qui travaillait comme électricien. Il grandit à Wyckoff, dans le New Jersey, dans la banlieue de New York. La famille appartenait à une communauté de l’Église réformée d’Amérique, mais George Verwer père n’y allait que rarement. Pour son fils, l’Église ressemblait surtout à un club social.

Le jeune Verwer pratiquait l’athlétisme et le scoutisme, mais il passait beaucoup de temps à courir après les filles et à s’attirer des ennuis. La plupart de ses écarts étaient alors considérés comme de simples « frasques », mais Verwer alluma aussi un incendie dans des bois du comté de Bergen et, tandis qu’il était jeune adolescent, s’introduisit dans la maison de quelqu’un et se fit prendre par la police.

La nouvelle de l’incident incita une chrétienne locale, Dorothea Clapp, à commencer à prier pour Verwer, afin qu’il trouve la foi en Jésus. Comme il le décrira plus tard, elle le mit sur sa « hit list » pour le Saint-Esprit.

Dorothea Clapp envoya également à Verwer un Évangile de Jean. Le livre n’eut pas d’impact immédiat, mais trois ans plus tard, le jeune homme se sentit poussé à assister à une croisade de Billy Graham au Madison Square Garden. Avec quelques amis, il fit 50 kilomètres en bus pour écouter Graham prêcher le 5 mars 1955. Invité à confier sa vie au Christ, Verwer répondit à l’invitation. Il fut touché, dit-il, par le message selon lequel Dieu l’aimait et pouvait se servir de lui.

« J’ai découvert qu’il pouvait se servir de moi, non pas en écrasant mon tempérament ou en soulignant combien misérable j’étais », écrira plus tard Verwer, « mais en m’offrant de l’amour et en agissant par l’intermédiaire de l’Esprit saint. »

De retour dans le New Jersey, il se mit immédiatement au travail pour parler de Jésus aux autres. Il distribua 1 000 exemplaires de l’Évangile de Jean dans son lycée et organisa une « croisade d’évangélisation ». Selon la presse locale de l’époque, plus d’une centaine de personnes se manifestèrent pour confier leur vie au Christ, dont une personne à laquelle Verwer tenait beaucoup : son propre père.

Le jeune Verwer n’en prenait pas encore la mesure, mais il était clair qu’il avait un don pour organiser et mobiliser les chrétiens. Il demanda à cinq lycéens de partager leur témoignage et de prêcher lors de son événement d’évangélisation. Il obtint également que plus de 30 adolescents de son Église réformée néerlandaise participent à un marathon de lecture de la Bible, malgré le scepticisme du pasteur qui déclara à un journaliste qu’il craignait au départ que les jeunes ne lisent pas dans les règles de l’art.

Quelques années plus tard, à l’université, Verwer ne se contenta pas de vendre ses affaires pour financer un voyage missionnaire au Mexique. Il convainquit deux amis, Dale Rhoton et Walter Borchard, de faire de même.

Évidemment, Verwer ne savait pas vraiment où il allait, mais il distribua des tracts et des extraits de l’Écriture et tenta de mettre en place une école biblique par correspondance à Monterey. Comme il le rappellera plus tard, il fit cependant quelques « assez grosses gaffes ».

Il décida qu’il avait besoin d’une formation plus poussée et s’inscrivit à l’Institut biblique Moody de Chicago. C’est là, alors qu’il pensait abandonner complètement la mission, qu’il prit pour lui les paroles du pasteur évangélique Oswald J. Smith lors d’un culte. Smith soulignait l’importance d’être là où Dieu veut que l’on soit et de se consacrer entièrement au Christ.

Verwer se sentit touché au cœur. Il courut dans l’allée — « juste un peu comme un cinglé » — et se repentit de son manque d’amour.

« Dieu m’a brisé le cœur », racontera-t-il. « J’ai vu que des choses n’allaient pas dans mon cœur et j’ai su que je devais réagir. […] Je dois être prêt à prendre des risques pour le royaume. »

Plus tard, lorsqu’il encourageait les jeunes à partir à l’étranger pour un été ou quelques années, il rejouait ses réticences et la persévérance de Dieu pour faire rire le public.

« Dieu m’a vu », disait-il. « Un Hollandais têtu. Et il m’a donné un coup de pied aux fesses missionnaire. Depuis, je suis en orbite. »

George Verwer et le Logos d'OMOpération Mobilisation
George Verwer et le Logos d’OM

Verwer organisa un deuxième voyage au Mexique en 1958, et lorsqu’il rencontra et épousa sa femme, Drena Knecht, en 1960, leur « lune de miel » fut également consacrée à un voyage missionnaire dans ce pays. Le couple nouvellement marié était tellement engagé dans cette aventure évangélique que Verwer essaya d’économiser de l’argent pour le champ de mission en troquant leur gâteau de mariage contre un plein d’essence pendant le trajet vers le sud. Un premier pompiste refusa et leur offrit gratuitement le carburant. Un second accepta l’échange.

Les Verwer passent alors six mois au Mexique, puis se rendent en Espagne contrôlée par le dictateur fasciste Francisco Franco qui avait chassé les pasteurs protestants, interdit toutes les activités cultuelles et proclamations publiques et saisi les bibles protestantes. Verwer s’attire ensuite des ennuis lorsqu’il se rend dans un autre régime totalitaire, en Union soviétique, avec une voiture remplie de bibles à distribuer. Il est arrêté par les autorités et expulsé du pays.

Alors que Verwer se retrouve en Autriche et prie pour savoir ce qu’il doit faire, il est frappé par l’idée qu’il n’est pas un très bon missionnaire, mais qu’il est doué pour mobiliser les autres. En regardant un bus de touristes européens embarquer pour l’URSS, il en vient à penser qu’il devrait se concentrer sur l’envoi d’autres personnes.

L’année suivante, le ministère qu’il fonde, qui s’appelait alors Send the Light, organise environ 2 000 voyages missionnaires de courte durée dans des pays communistes. Ces voyages s’étendent aux pays musulmans en 1963 puis commencent à mobiliser des missionnaires pour l’Inde.

Peter Dance, l’un des jeunes Anglais qui conduit alors un camion rempli de littérature évangélique pour l’Europe de l’Est et l’Inde, se souvient à la fois d’un sentiment de crainte et d’exaltation.

« J’avais le sentiment qu’il n’y avait plus personne pour m’aider à l’exception de Jésus », se remémore-t-il. « Avant de franchir cette frontière, j’avais tout ce dont j’avais besoin ; même ma mère était là si j’en avais besoin. Je suis allé en Inde à plusieurs reprises, et malgré les pannes et les difficultés, le Seigneur a toujours été au rendez-vous. »

Christianity Today décrit à l’époque ces premières recrues comme de « jeunes gens non conformistes et ouverts à l’aventure », des « pèlerins de l’Évangile », « inclusifs, centrés sur l’évangélisation et itinérants ».

Vingt-cinq d’entre eux rédigèrent un manifeste ensuite publié par Verwer qui fut distribué aux Églises, aux groupes de jeunes et aux librairies chrétiennes à travers tout les États-Unis et l’Europe.

« Le Seigneur Jésus-Christ était un révolutionnaire », peut-on y lire. « Et nous sommes des révolutionnaires ! […] C’est dans l’obéissance absolue et littérale à ses commandements que se trouve la force qui évangélisera le monde. »

Verwer combinait l’appel à un engagement total et radical envers le Christ avec l’idée de mission à court terme, en réduisant les attentes en matière de service et en permettant aux personnes de se lancer plus facilement. Il croyait que Dieu utiliserait ceux qui se mettaient à son service, même s’ils n’étaient pas prêts à s’engager pour des années, qu’ils n’avaient pas de formation biblique ou avaient fait des erreurs dans leur vie. Après tout, Dieu savait pour lui racheter même nos plus grands gâchis. Dieu n’agit pas seulement en dépit des erreurs humaines, mais en elles et à travers elles.

Verwer resta toujours critique à l’égard des « experts » en missiologie et de leurs théories et méthodes bien développées. Jouant sur l’anglais « mess » (« désordre »), il finira par qualifier son approche de « messiologie ». Les chrétiens devraient toujours essayer d’éviter de faire des dégâts, et certaines erreurs peuvent être dévastatrices sur le plan spirituel. Cependant, soulignait-il, ceux qui mettent leur foi en Jésus ne doivent pas oublier que Dieu sauve des pécheurs.

« Je rencontre des gens pour qui, humainement parlant, la vie n’a pas bien fonctionné », écrivait-il encore. « Ils n’en sont pas au plan A ou B, mais plutôt au plan M. Lorsque je leur parle, je leur rappelle l’étendue de l’alphabet, je les exhorte à accueillir la grâce dans toute sa radicalité et à continuer. »

Il affirmait également qu’il n’y avait pas une unique bonne façon de proclamer l’Évangile. Les chrétiens animés d’un esprit missionnaire devaient essayer, contextualiser et réévaluer en permanence ce qui fonctionnait.

« N’avons-nous pas 2 000 ans de preuves que Dieu agit de différentes manières ? », écrit-il. « Ne pouvons-nous pas accepter que Dieu agisse de manière différente selon les groupes de personnes ? L’œuvre de Dieu est plus grande que n’importe quelle communauté ou organisation. »

Verwer fut parfois contraint à de nouvelles expériences et à modifier rapidement les modèles suivis par OM. En 1968, lorsque l’organisation est forcée de quitter l’Inde, OM décide de confier la direction à des Indiens et crée Operation Mobilisation India en tant qu’organisation distincte, qui implantera des milliers d’Églises.

Verwer se lança aussi parfois dans des actes de foi qui peinaient à faire sens autour de lui. En 1970, l’organisation missionnaire acheta un navire. L’histoire officielle d’OM souligne que l’idée d’acheter un navire passait pour « farfelue » et que personne au sein de l’organisation n’avait la moindre idée de la manière d’effectuer cet achat — et encore moins de comment faire naviguer un navire vers des ports du monde entier, où ils pourraient distribuer des livres chrétiens et parler de Jésus aux gens.

« Certains ont cru que j’avais perdu la boule ! », racontera plus tard Verwer.

Mais OM acheta bel et bien un navire hollandais nommé Umanak, le rebaptisa Logos, et lui fit parcourir 230 000 milles nautiques, vers 250 ports différents, au service de 6,5 millions de personnes. Le ministère ajouta un second navire en 1977.

Son approche très directe du ministère connut aussi quelques revers. En 1988, le Logos s’échoua avec 125 000 dollars de livres chrétiens à son bord. Plus préoccupant encore pour Verwer, de nombreux missionnaires d’OM furent blessés ou tués dans des accidents de voiture dans le monde entier. Ils eurent parfois eu des problèmes avec les autorités locales. Et certaines des idées de Verwer étaient simplement mauvaises.

« J’ai trop d’idées, ma créativité est débordante », confiait-il un jour à un groupe d’étudiants de l’Institut Moody. « Notre vision du ministère chrétien est mêlée à notre ego. […] Je peux vous dire que je me suis retrouvé dans des situations embarrassantes. »

Verwer luttait également contre le péché et le doute. Il se qualifiait lui-même de « rétrograde naturel ». Mais en fin de compte, son amour pour Jésus et sa passion de parler aux gens du monde entier de l’amour de Dieu pour eux l’emportèrent sur tout le reste. L’un de ses assistants, devenu pasteur à Chicago, estime que Verwer incarnait le type d’amour divin décrit par Jean 3.16.

George VerwerOpération Mobilisation
George Verwer

« Je ne sais pas s’il y a parmi les humains quelqu’un qui aime le monde entier autant que George et qui désire autant qu’ils entrent en relation avec Jésus », dit Mark Soderquist .

Verwer, quant à lui, pensait justement que la partie la plus importante de la vie chrétienne était l’amour.

« Il n’y a pas d’enseignement plus biblique que l’amour, et en dehors de l’amour, il n’y a pas d’enseignement biblique », écrit-il. « Vous ne pouvez pas être orthodoxe si vous n’êtes pas humble. Vous n’êtes pas un “croyant biblique” si vous n’aimez pas. »

Verwer avait quitté son poste de directeur d’OM en 2003, cédant sa place à Peter Maiden. Il a toutefois continué à s’adresser à des groupes de jeunes chrétiens dans le monde entier. Il sortait un planisphère gonflable géant, enfilait une de ses vestes caractéristiques et leur posait, encore et encore, l’une ou l’autre version de la question qu’il avait adressée à son camarade d’université alors qu’il n’avait que 18 ans.

« Alors ? Êtes-vous prêts à partir ? »

« Si vous passez deux ans à l’étranger, il y a de fortes chances que vous ne soyez plus le même à votre retour », prévenait Verwer. « Vous aurez vu comment Dieu répond aux prières et comment le Saint-Esprit change les vies, et vous aurez eu un aperçu de ce que Dieu fait dans le monde entier. »

Georges Verwer laisse derrière lui sa femme, Drena, et leurs trois enfants, Ben, Daniel et Christa.

https://vimeo.com/817808453

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