Où est l’Évangile lorsque Dieu juge les nations ?

Comment trouver le bon, le vrai et le beau dans des passages qui semblent en être aux antipodes.

Christianity Today May 18, 2021
Illustration by Rick Szuecs / Source images: Creative Commons / Envato

D’après mon expérience, les passages les plus difficiles de l’Écriture ne sont pas ceux que l'on ne comprend pas. Ne pas comprendre peut être une bonne chose. Cela nous incite à la réflexion, à la recherche et peut permettre de nouvelles découvertes. Non, le véritable problème survient lorsque vous savez exactement ce que décrit un passage, mais que cela ne semble pas bon, vrai ou beau. Pensez, par exemple, aux oracles de jugement prononcés par certains prophètes contre les nations : terrifiants, étalés sur des pages et des pages, (apparemment) sans espoir, sans aucune application contemporaine, presque sans fin.

Les sept derniers chapitres de Jérémie en sont un bon exemple. Comment un livre contenant des promesses aussi glorieuses peut-il avoir une fin aussi déprimante ? On y trouve neuf oracles de jugement contre les nations – Égypte, Philistie, Moab, Ammon, Édom, Damas, Kedar et Hazor, Elam et Babylone – suivis de la destruction de Jérusalem. Les jugements sont sévères et parfois très explicites. Quatre nations reçoivent une brève promesse de miséricorde future exprimée par un seul verset (46.26 ; 48.47 ; 49.6 ; 49.39), mais ce ne sont que quatre gouttelettes d’espoir dans un océan de désastres en sept chapitres. Comment trouver la bonté, la joie et la bonne nouvelle dans ces passages ? Comme souvent dans l’Ancien Testament, on trouve une réponse à cette question dans le récit de l’Exode.

Les derniers chapitres de Jérémie contiennent dix jugements divins : neuf contre des nations étrangères et le dernier contre Juda lui-même. Ézéchiel 25–33 présente une séquence similaire : neuf oracles contre les nations et leurs rois, suivis de la destruction de Jérusalem. Et un schéma identique apparaît en Ésaïe 13–23. Il est peu probable qu'il s'agisse d'une coïncidence.

Dix, bien sûr, est un chiffre très significatif dans l’histoire de l’exode. Nous avons tous entendu parler des dix commandements, et nous nous souvenons peut-être que la génération du désert s'est vue refuser l'entrée dans la terre promise après avoir désobéi dix fois à Dieu (Nombres 14.22-23). Mais surtout, on se rappellera que dix plaies furent envoyées sur une nation étrangère (l’Égypte), la dernière ayant conduit à la délivrance d’Israël au milieu de la nuit. Ces fléaux étant l’exemple biblique par excellence d'un jugement sur une nation étrangère, il est possible que Jérémie, Ésaïe et Ézéchiel articulent délibérément leurs oracles d'une manière qui y fasse référence.

En y regardant de plus près, d'autres indices sont visibles. Jérémie commence ses oracles avec l’Égypte (46.2). Il termine par une fuite au milieu de la nuit, avec des ennemis lancés à la poursuite du roi de Juda (52.7–9). L'imagerie de ces chapitres intègre le Nil, les mouches piquantes, le bétail mort, les sauterelles, le jugement sur Pharaon et les dieux Égyptiens, le renversement des chevaux et des chars, et l’assèchement de la mer.

En lisant Jérémie avec ces éléments en tête, au moins trois choses deviennent plus claires. La première est que nous assistons à une bataille entre les dieux. À plusieurs reprises, Jérémie nous rappelle que l’imposture des dieux Amon, Rê, Kemoch, Moloch, Bêl, Marduk et autres a été clairement démontrée. Notre culture adore peut-être des dieux différents – Arès, Mammon, Bacchus, Aphrodite, Gaia – mais ils sont tout aussi impuissants à nous sauver. Lorsque Dieu prononce son jugement, leur impuissance est dévoilée, et c'est un motif de réjouissance.

Ensuite, il apparaît que le jugement le plus sévère tombe également sur le peuple de Dieu. Dans l’Exode, le dixième fléau frappe l’Égypte et Pharaon perd son fils aîné. Mais en Jérémie, le dixième jugement frappe Jérusalem, et le roi Sédécias perd ses deux fils avant d’être aveuglé et déporté à Babylone. L’oppression et l’idolâtrie parmi les nations leur attirent fléaux et jugements ; pour Sion, les conséquences sont encore pires. Israël ne peut pas pointer du doigt un monde dépravé tant qu’il tolère des idoles dans son propre sanctuaire.

La troisième chose à noter est qu’après le dixième fléau vient la délivrance. Dans l’Exode, après que le peuple de Dieu ait été enfermé dans l’esclavage pendant quatre siècles, le jugement s'abat et Israël est gracieusement libéré de la captivité. Jérémie se termine de la même manière. Le peuple de Dieu s'est enfermé dans l’idolâtrie pendant quatre siècles, et le jugement est tombé. Mais les quatre derniers versets montrent le roi Yehoyakîn libéré gracieusement de la captivité, revêtu de vêtements neufs, élevé au-dessus de tous les autres rois et assis à la table royale (52.31–34).

Au milieu du jugement, Dieu reste bienveillant. Yehoyakîn a de l’espoir et un avenir, tout comme son peuple. Bien des années plus tard, l’un des membres de ce peuple sera libéré de la prison de la mort, revêtu de vêtements neufs, élevé au-dessus de tous les rois et de toutes les nations, et s’assiéra à la table royale. Et il invitera tout le monde, y compris des étrangers, issus comme moi de nations idolâtres méritant le jugement, à se joindre à lui.

Andrew Wilson est pasteur enseignant à la King’s Church de Londres et auteur de l'ouvrage God of All Things (« Dieu de toutes choses »). Il peut être suivi sur Twitter : @AJWTheology.

Traduit par Valérie Marie-Agnès Dörrzapf

Révisé par Léo Lehmann

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Peut-on faire mieux que l’Ennéagramme ?

D’autres ressources pour la formation spirituelle sont scientifiquement mieux étayées

Christianity Today May 17, 2021
Illustration by Sarah Gordon

Au cours du chaud printemps de 2017 au Texas, un couple entre avec appréhension dans le bureau de son conseiller conjugal. Ils sortent ensemble et envisagent la prochaine étape : le mariage. Ils ont même acheté les bagues. Mais ces deux personnes, un couple réel, ont connu des difficultés et veulent s'assurer qu'ils bâtissent leur relation sur une base solide.

Son premier mariage à lui s’est terminé en divorce – malgré une thérapie conjugale – provoquant des blessures dont il souffre encore. Ses parents à elle ont divorcé alors qu’elle était encore adolescente et elle craint de reproduire le modèle familial.

Le thérapeute de couple leur fait passer plusieurs types de test pour apprendre à les connaître et également les aider à construire un langage commun pour qu’ils se connaissent eux-mêmes et se comprennent l’un l’autre. L'un de ces tests a été élaboré à partir de l'Ennéagramme, un outil d'évaluation de la personnalité qui a été diffusé aux quatre coins du monde chrétien au cours de la dernière décennie.

Cet homme et cette femme commencent alors un processus de découverte de soi, discernant leur type dans l’Ennéagramme, devenant plus conscients de leurs réflexes défensifs et de leurs angles morts, et travaillant à accorder leurs pensées, leurs actions et leurs paroles avec leurs objectifs de maturité spirituelle. « Nous apprenons un nouveau langage et des outils qui nous aident à reprogrammer des habitudes et des réflexes bien ancrés, affirment-ils, nous encourageant à se pardonner soi-même et réciproquement. »

Pendant ce temps, dans l’État de Caroline du Nord, un autre couple bien réel, marié depuis 20 ans, fait une expérience de l’Ennéagramme complètement différente. Leur mariage avait connu des hauts et des bas, mais les dernières années avaient été les meilleures. Après la naissance de leur enfant en 2014, le mari s'est replongé dans son travail, ce qui a mis leur relation à rude épreuve. Ils ont alors commencé une thérapie conjugale.

Après quelques mois de thérapie, les choses semblaient aller mieux. Le couple s’est accordé un temps de retraite qui a régénéré leur intimité. Ils passaient plus de temps en famille et avaient l'intention d'emmener leur fils à Disney World à l'été 2017. Mais entre-temps, quelqu'un a introduit le mari à La sagesse de l’Ennéagramme, un ouvrage de Don Richard Riso. Il a découvert qu'il était un « type 7 à aile 8 », ce qui signifiait, selon l'Ennéagramme, qu'il avait besoin de liberté.

Au fil des mois suivants, sa femme remarque des changements dans son comportement et dans son apparence qui semblent liés à son type dans l’Ennéagramme et au chemin qui lui est recommandé pour une meilleure santé intérieure. Finalement, il conclut que lui et sa femme ne sont pas compatibles.

L'épouse note dans son journal ces paroles qu’il lui a adressées : « Il est possible d'aimer quelqu'un énormément, très profondément, mais que cette personne ne soit pas “la bonne personne” ». « Si elle voulait blâmer quelqu’un [pour leur séparation], elle devrait blâmer l'Ennéagramme ».

Leur séparation et leur divorce sont entérinés peu après leur 24e anniversaire de mariage.

Comme le montrent les histoires de ces deux couples, l'Ennéagramme peut avoir une forte influence sur les relations. Mais quand est-elle positive ou négative ? L'Ennéagramme est-il rigoureux ? Quelle crédibilité faut-il accorder à cet outil ?

De nombreux psychologues ont des opinions bien arrêtées sur l'Ennéagramme, allant de la curiosité et de l’intérêt au dédain, voire au mépris. Ce système à neuf types a gagné en popularité, donnant lieu ces dernières années à toute une variété de livres et autres publications médiatiques, dont un documentaire de l’auteur américain à succès Chris Heuertz prévu pour l'automne 2020, qui a été annulé à cause d'allégations d'abus spirituels et psychologiques perpétrés par Heuertz lui-même (Zondervan a également arrêté la promotion des livres de Heuertz).

Malgré l’attention dont il fait l’objet, beaucoup ignorent l'origine, le but ou les limites de l'Ennéagramme. La plupart des psychologues s’accordent à dire qu'il y a un décalage entre les typologies de la culture populaire et la véritable science de la personnalité. Mais les alternatives plus scientifiquement étayées peinent à trouver leur chemin vers le grand public pour l’aider à réfléchir au fonctionnement de la personnalité en rapport avec la croissance spirituelle et relationnelle.

À l'heure actuelle, les preuves empiriques accréditant le fait que l'Ennéagramme décrive avec précision la personnalité ou la spiritualité sont maigres. Les neuf types ne correspondent à aucun modèle de personnalité scientifiquement évalué.

De plus, quantité d’études montrent que de nombreuses caractéristiques au sein des types de l'Ennéagramme ne sont pas fortement corrélées (par exemple, le sens des responsabilités ne va pas forcément avec l’anxiété, contrairement à la description que The Enneagram Institute fait du type 6). Les caractéristiques de la personnalité humaine ne tendent pas non plus à se regrouper autour de neuf types tels que ceux de l'Ennéagramme (au lieu de cela, la psychologie de la personnalité suggère plutôt qu'elles se regroupent en trois ou cinq profils plus larges, selon le modèle).

Plusieurs questionnaires sont proposés pour qui veut connaitre son type dans l'Ennéagramme, tels l'Indicateur Riso-Hudson, la Palette des styles de personnalité de Wagner et l'Inventaire et le guide de découverte de l'Ennéagramme de Stanford. Toutefois, au sein de la communauté des praticiens de l'Ennéagramme, il y a désaccord sur l'utilité de tels outils.

Certains soutiennent leur utilisation, tandis que d'autres maintiennent que, pour trouver son type, un processus de discernement sous la direction d'un directeur spirituel est une meilleure voie. Une poignée de recherches (principalement menées par des partisans de l'Ennéagramme) ont tenté de tester la fiabilité et la validité des questionnaires, mais les résultats ont largement échoué à prouver leur viabilité.

De nombreux adeptes de l'Ennéagramme affirment que la validité scientifique de celui-ci n'est pas un préalable nécessaire à son utilisation en matière de croissance spirituelle. À la suite d’Augustin, cependant, nous croyons que toute vérité est vérité de Dieu et que les données empiriques sur le monde aident à élargir ce que l’on peut connaître de Dieu à travers la révélation générale.

1 Thessaloniciens 5.20-21 nous enseigne que nous ne devons pas mépriser les prophéties ou la sagesse spirituelle, mais examiner et retenir ce qui est bon et vrai. Puisque l'Ennéagramme fait de nombreuses affirmations sur la nature humaine qui peuvent être scientifiquement mises à l’épreuve, il mérite cet examen rigoureux. L’être humain fait en effet partie de la création de Dieu.

Mais en l’absence de preuve scientifique de son exactitude, de nombreux psychologues craignent que l'Ennéagramme ne propage une description trompeuse de la personnalité humaine. Assurément, de nombreuses personnes progressent grâce aux programmes ou aux formations fondés sur l'Ennéagramme. Mais il se pourrait que cette croissance trouve son origine dans d’autres composantes de ces programmes, telles que la discussion de certaines questions importantes ou des exercices visant à développer l’empathie. Le modèle de l'Ennéagramme en lui-même n'est peut-être même pas nécessaire pour que ces mécanismes favorisent la croissance.

Søren Kierkegaard déclarait : « M’étiqueter, c’est me nier ». Si sa déclaration paraît extrême, il nous faut être conscient que les tendances naturelles et les biais humains influencent la manière dont nous traitons les informations à propos de nous-mêmes et des autres. Le biais de confirmation – l’idée que les humains repèrent et se souviennent des informations correspondant à leurs idées préconçues sur eux-mêmes ou sur les autres – est un phénomène soigneusement étudié depuis qu'il a été observé pour la première fois dans les années 1960.

Avec l'Ennéagramme, le biais de confirmation pourrait signifier qu'une fois leur type déterminé les gens ne remarqueraient et ne se souviendraient que des situations où ils se comportent en phase avec leur type et ignoreraient les comportements non concordants. Comme l'une des principales entreprises des programmes liés à l’Ennéagramme est d'identifier et de travailler les angles morts ou les faiblesses, certains psychologues craignent que ces faiblesses ne deviennent en fait plus ancrées. Au fur et à mesure que les gens commencent à se soucier d’eux-mêmes en rapport avec les faiblesses de leur type d'Ennéagramme, ils remarqueront et se souviendront probablement davantage des informations touchant à leurs faiblesses. Paradoxalement, cela pourrait rendre le changement plus difficile.

Les psychologues avertissent également que l'Ennéagramme peut favoriser les stéréotypes, auxquels les humains sont naturellement enclins. Dès que les utilisateurs de l'Ennéagramme commencent à penser aux autres en fonction de leur type, leur tendance à créer des stéréotypes entre en jeu : ils interpréteront et prédiront les comportements des autres en fonction de leur type. À cause du biais de confirmation, les gens auront tendance à remarquer les comportements correspondant aux stéréotypes et à ignorer les informations qui y seraient contraires. Il deviendra alors difficile de reconnaitre les variations et les changements dans les motivations et les comportements des autres.

Les risque des stéréotypes, bien sûr, guette toute tentative d’appréciation de la personnalité. De nombreux experts en Ennéagramme mettent en garde contre ce phénomène. Mais d'autres, comme Riso et Russ Hudson, partenaire de The Enneagram Institute, semblent préconiser l'utilisation de l'Ennéagramme pour interpréter le comportement des autres de manière stéréotypée. Dans leur livre de 2003, ils affirment que « comprendre l'Ennéagramme, c'est comme avoir une paire de lunettes spéciales qui permet de voir au-delà de la surface des gens avec une clairvoyance particulière : nous pouvons en fait les voir plus clairement qu'ils ne se voient eux-mêmes ». Des déclarations comme celle-ci stimulent le biais de confirmation et la production de stéréotypes préjudiciables.

Que l’on choisisse ou non d'utiliser l'Ennéagramme, les sciences de la psychologie offrent d'autres approches susceptibles d’aider à mieux comprendre notre personnalité et notre relation avec Dieu. Les psychologues tendent à voir la personnalité comme une entité à plusieurs niveaux et plusieurs dimensions. Dan McAdams, psychologue à l’Université Northwestern et l’un des plus grands experts mondiaux de la personnalité, affirme que la personnalité est composée de trois niveaux : les traits de personnalité ; les « adaptations du caractère » (characteristic adaptations), soit les manières habituelles de réagir à différentes situations et ce qui nous motive ; et les histoires personnelles que nous racontons à propos de nos vies individuelles.

Chaque niveau de personnalité fournit des informations uniques sur l'identité de la personne en fonction de ses prédispositions génétiques et de ses interactions avec son environnement, c'est-à-dire à la fois à partir de l’inné et de l'acquis.

En examinant les traits de personnalité les plus importants, les scientifiques ont démontré dans de nombreuses études menées auprès de millions de personnes à travers le monde qu’il y a cinq dimensions constantes. Connues sous le nom de « Cinq grands traits » (Big Five) ou « Cinq grands facteurs », et parfois regroupées sous l’acronyme OCEAN, ce sont :

L’extraversion, qui touche à la chaleur, le caractère grégaire, l’assertivité, l’émotivité positive, l’activité et la recherche de stimulation ;

Le névrosisme, qui touche à l’anxiété, l’agressivité, la dépression, la conscience de soi, l’impulsivité et la vulnérabilité ;

La conscienciosité, qui touche à la compétence, l’ordre, le devoir, la recherche d’accomplissement, l’autodiscipline et la réflexion ;

L’agréabilité, qui touche à la confiance, la déférence, l’altruisme, la franchise, la modestie et la tendresse ;

L’ouverture à de nouvelles expériences, qui touche à la fantaisie, le sens de l’esthétique, les sentiments, les actions, les idées et les valeurs.

La théorie des cinq grands traits place chaque personne sur un continuum pour chaque trait de personnalité, sachant que la plupart des gens sont quelque part au milieu pour chaque trait.

Au deuxième niveau de la personnalité, les adaptations du caractère, les recherches effectuées sur la notion de vertu sont particulièrement intéressantes pour la croissance spirituelle. Les psychologues définissent les vertus comme des habitudes que les gens cultivent en lien avec des motivations morales ou spirituelles, et leur identité. Alors que les traits de personnalité sont assez stables, les vertus peuvent être développées par des activités intentionnellement pratiquées en relation avec Dieu et avec une communauté spirituelle.

De nombreuses études confirment l'efficacité de ces actes intentionnels pour développer les vertus comme le pardon, la gratitude, la patience ou l'espoir. Il existe des livres, vidéos et podcasts offrant de solides stratégies pour aider les gens dans ce but précis. De même, divers outils de mesure et questionnaires scientifiquement validés sont disponibles gratuitement pour analyser les vertus, ainsi que les valeurs et motivations morales qui les sous-tendent.Enfin, les histoires que les gens racontent sur leur vie et la façon dont ils les racontent sont des composantes de la personnalité dont l’importance pour la formation spirituelle est souvent sous-évaluée. Lors d'entretiens avec des personnes en divers lieux des États-Unis, McAdams a constaté que les personnes qui racontaient leur histoire personnelle sous la forme d’un récit de rédemption étaient plus susceptibles d'être très généreuses que les personnes racontant leur histoire personnelle sous d’autres formes de récit (comme la tragédie, la comédie ou une trajectoire d’ascension permanente).

Ceci suggère que l'une des composantes les plus importantes de notre formation spirituelle est la construction et la reconstruction de notre histoire de vie et des histoires de nos communautés afin de refléter l'œuvre rédemptrice du Christ. Le récit de la rédemption par Christ est l’essence même de notre foi. La coutume consistant à raconter le récit de notre propre rédemption à travers des témoignages devrait être le fondement de la croissance spirituelle.

Revenons un instant à ces deux couples qui, en utilisant l'Ennéagramme pour amener un changement dans leurs relations, ont abouti à des résultats très contrastés.

Dans le premier couple, aux prises avec des histoires de divorce, chacun a grandi individuellement et a appris à s'engager dans un conflit sain. Ils sont mieux à même de comprendre les complexités de la personnalité de l’autre. Aidés par l'Ennéagramme, ils se concentrent sur la grâce de Dieu dans leur vie et prolongent cette grâce l’un pour l’autre.

En revanche, le deuxième couple ne communique presque plus, même pour coordonner la garde de leur fils. L'épouse a le cœur brisé à cause de l'effet produit par l'Ennéagramme sur sa famille, tandis que le mari est parti froidement, comme s'il ne pouvait plus rien faire pour sauver son mariage.

Il serait difficile de déterminer objectivement si l'Ennéagramme a vraiment joué un rôle dans le renouvellement ou la dissolution de ces relations, ou si les résultats auraient été identiques sans son concours. Mais il ne fait aucun doute que ces couples considèrent cet outil d’analyse de la personnalité comme déterminant.

Que faire donc d’une part des preuves scientifiques et d’autre part de récits de vie éloquents où l’on voit la croissance mais aussi les dégâts ? Nous pouvons affirmer qu'il est juste et bon pour les croyants de rechercher des outils et des opportunités pour grandir dans leur relation avec Dieu et développer une meilleure connaissance d'eux-mêmes. Mais les passionnés ou les explorateurs de l'Ennéagramme devraient être prudents dans l’utilisation d’un outil qui, scientifiquement parlant, devrait encore faire ses preuves, et ne devraient jamais utiliser les types de l'Ennéagramme pour stéréotyper les autres.

En revanche, nous pourrions tous bénéficier de certains outils éprouvés de la psychologie qui aident à comprendre nos traits de personnalité élémentaires, à développer des habitudes vertueuses et à raconter l’œuvre rédemptrice du Christ dans notre vie et notre formation spirituelle.

Sarah A. Schnitker est psychologue spécialisée en psychologie de la personnalité et en psychologie sociale à l'Université Baylor. Jay Medenwaldt prépare un doctorat en psychologie sociale à Baylor. Lizzy Davis, gestionnaire de subventions chez Baylor, a fait usage de l'Ennéagramme à la fois personnellement et dans le cadre de son travail.

Traduit par Philippe Kaminski

Révisé par Léo Lehmann

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Laissez les petits enfants venir au culte des grands

Une leçon de la pandémie : Ne sous-estimez pas le culte vécu aux côtés de vos enfants.

Christianity Today May 12, 2021
Illustration de Rick Szuecs / Images sources : Gene Gallin / Christin Hume / Unsplash

Depuis l'année dernière, la COVID-19 nous a tous demandé de multiples adaptations. Alors que certains pays commencent à sortir des mesures sanitaires restrictives, l'envie de revenir à la normale sera forte. Mais nous ferons aussi le bilan de ce que nous avons appris. Quelles pratiques voudrions-nous conserver ? Pour les jeunes familles chrétiennes, une pratique en particulier, imposée en temps de pandémie, est porteuse d'un énorme potentiel pour la formation de disciples.

Comme d'autres, les Wilkins se sont tournés vers les casse-têtes pour occuper ces heures inattendues de vie en famille. En mars 2020, il n'y avait pas que le papier toilette qui manquait. Il y avait aussi une pénurie de puzzles de 1000 pièces. Certains ayant manifestement commencé à accumuler les puzzles disponibles sur Amazon, j'ai finalement décidé d'en commander un sur un site d'impression à la demande. Quand il est arrivé, c'était bien un puzzle de 1 000 pièces… mais chaque pièce avait la taille d'une pièce de 10 cents. Autant d’occasions de perdre son sang-froid et d’être frustré… Peut-on rêver mieux en temps de confinement ?

Cela dit, j'espère que notre famille conservera l'habitude de travailler ensemble sur des puzzles (de taille normale) après la pandémie. Pour ce qui concerne le « puzzle » permanent consistant à faire de nos enfants des disciples, la COVID-19 a fourni l’occasion de tester en grandeur nature un moyen idéal d'y parvenir, par le biais inattendu de la diffusion des cultes du dimanche dans notre salon.

Pour de nombreuses jeunes familles, le confinement dû au coronavirus a permis d’expérimenter pour la première fois le culte ensemble, avec tous les éléments d’un service ordinaire, plutôt que de suivre la routine habituelle selon laquelle les enfants participent aux programmes d’école du dimanche tandis que les adultes assistent au rassemblement qui leur est adressé.

Dans ma propre Église, dès que nous avons démarré la diffusion de célébrations en ligne, les enfants ont commencé à poser des questions sur le baptême et la sainte cène à un rythme sans précédent. Beaucoup n'y avaient jamais assisté. Partout dans les salons, les enfants ont joint leur voix à la prière commune, écouté la prédication de la Parole, entendu des témoignages et entonné des chants avec leurs parents.

Comme mon puzzle miniature, ces réunions de culte familial n'étaient pas sans contrariété. Oui, les enfants ont été fidèles à eux-mêmes, se tortillant en tous sens, consommant de copieuses collations ou courant en rond dans le salon, mais il se passait quelque chose d'inestimable. Les familles vivaient les paroles du Psaume 34.3 : « Glorifiez l'Éternel avec moi, exaltons ensemble son nom » (souligné par l’auteur).

Les parents pratiquants qui se seraient peut-être attendus à ce que leur enfant ne retire rien du culte ont découvert le contraire. Parce qu’il n’y a rien de tel pour les enfants que de voir leurs parents vivre l'adoration. Parce que les enfants ont le droit d'être témoins de l’application des ordonnances de l'Église et d’en tirer instruction. Parce que les enfants ne sont pas l'Église de demain, ils sont l'Église d'aujourd'hui.

Comprenez-moi bien, je suis une grande partisane du ministère auprès des enfants. Je pense que ça n’a pas de prix. Je suis payée par mon Église pour y contribuer. Mais permettez-moi d’affirmer ceci : bien que les activités pour les enfants soient un merveilleux complément au culte ordinaire, elles en sont un pauvre substitut.

Un enfant en âge d'aller à la maternelle peut très bien être accueilli au culte avec un peu d'accompagnement de la part d'un parent aimant et désireux de faire de lui un disciple. S'il est vrai qu’on apprend davantage par l’exemple que par les discours, les parents devraient d’autant plus s’efforcer d’être des modèles d'adoration pour leurs enfants. Il y a là plus de potentiel que dans toute leçon enseignée par un moniteur d’école du dimanche ou un conducteur de culte pour enfants.

Dans un sens, la pandémie de COVID-19 a permis aux petits membres de l'Église d'aujourd'hui d’adorer exactement là où ils sont censés être : avec le reste de l'Église. Je crois me souvenir que quelqu'un d'autre a fait quelque chose de semblable, à la grande stupéfaction de ses disciples.

Après la pandémie, j'espère ne plus jamais trouver les étagères vides de papier toilette. Ou de puzzles. Ou de crackers Extra Toasty de Cheez-It, tant qu’à faire une liste. Mais j'espère que les pièces du puzzle qui se sont mises en place autour du culte en famille seront sauvegardées et approfondies. En revenant à la normale, j'espère que nous ne préserverons pas une pratique pré-COVID qui n'était peut-être pas aussi excellente qu'elle nous paraissait.

J'espère que davantage de familles amèneront les enfants d'âge scolaire au rassemblement du culte, en plus de les faire profiter de la bénédiction qu'est l’école du dimanche. Pour les familles, le « avec moi » du culte est important. Laissez venir les petits enfants, même s'ils gigotent et chuchotent. Ils sont les pièces manquantes qui complètent l'image de l'Église en tant que famille de Dieu. Laissez-les être formés dans la maison du Seigneur.

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Books

Décès de C. René Padilla, père de la mission intégrale.

Il poussait les évangéliques à voir l’action sociale et l’évangélisation comme « les deux ailes d’un avion ».

Christianity Today May 6, 2021
Courtesy of Fraternidad Teológica Latinoamericana / edits by Rick Szuecs

Note de l’éditeur : CT propose également une série d’hommages de la part de responsables et d’amis de Padilla (en anglais).

Carlos René Padilla, théologien, pasteur, éditeur et longtemps membre du personnel de l’association internationale des étudiants évangéliques (International Fellowship of Evangelical Students, IFES), est décédé le mardi 27 avril à l'âge de 88 ans. Padilla était surtout connu comme le père de la mission intégrale, un cadre théologique adopté par plus de 500 missions chrétiennes et organisations humanitaires dont Compassion International et World Vision. La mission intégrale a amené les évangéliques du monde entier à élargir leur mission chrétienne, affirmant que l’action sociale et l’évangélisation étaient deux éléments essentiels et indivisibles, « deux ailes d’un avion » selon les mots de Padilla.

Le rayonnement de Padilla s’est manifesté avec force au Congrès de Lausanne de 1974 lorsqu’il y prononça, en session plénière, un discours marquant. Près de 2500 leaders évangéliques de plus de 150 pays et 135 dénominations s’étaient réunis à Lausanne, en Suisse, pour un congrès dont le financement a été principalement assuré par l’Association évangélistique Billy Graham (Billy Graham Evangelistic Association, BGEA). Un magazine influent qualifiait alors Lausanne de « formidable forum, peut-être le plus vaste rassemblement de chrétiens jamais organisé ». Lorsque Padilla est monté sur scène, il portait les espoirs et les rêves de nombreux évangéliques des nations de l’hémisphère Sud cherchant à être intégrés à part égale dans la prise de décision concernant les Églises et les organisations missionnaires du monde entier.

Padilla a spécifiquement appelé les évangéliques américains à se repentir d’avoir exporté un certain mode de vie américain sur les champs de mission du monde entier – style de vie insensible à la responsabilité sociale et à l’aide humanitaire en faveur des pauvres – plaidant ainsi pour une « mission intégrale ». Il tirait cette expression de son pain au blé entier fait maison (pan integral en espagnol), appelant à une approche de la mission chrétienne synthétisant aspects spirituels et structurels, traduite à l'origine par « comprehensive mission » en anglais.

« Jésus-Christ est venu non seulement pour sauver mon âme, mais aussi pour former une nouvelle société », déclara-t-il à Lausanne.

L’histoire de la vie de Padilla est surprenante par sa portée mondiale – partant d’une enfance pauvre en Colombie et en Équateur pour aboutir à un travail de formation des évangéliques à travers le monde. Il exerça son ministère avec les missionnaires américains Jim Eliot, Nate Saint et Pete Fleming, morts prématurément en Équateur en 1956. Il fut l’interprète de Billy Graham pendant ses campagnes d’évangélisation à travers l'Amérique latine dans les années 1960. En accompagnant John Stott dans ses tournées de conférences en 1970, Padilla se lia d’une amitié profonde avec lui. Il établit un pont entre une jeune génération d'évangéliques du Sud et les dirigeants des États-Unis et de Grande-Bretagne, dans les années tumultueuses entre 1960 et 1970. Il fut à la tête d’organisations évangéliques mondiales. Il fut également largement publié dans des revues théologiques et des publications étudiantes comme celles de l'InterVarsity Christian Fellowship (IVCF).

Une grande partie de l'héritage de Padilla reste en Amérique latine, parmi les pasteurs, les théologiens et les dirigeants laïcs. Alors qu'on lui offrait souvent des postes aux États-Unis, Padilla choisit de rester en Amérique latine, pasteur parmi les pauvres, dirigeant le Centre Kairos pour la mission intégrale (Kairos Center for Integral Mission) et publiant des centaines de primo-auteurs latino-américains par l'intermédiaire de sa maison d'édition Ediciones Kairos. Padilla cofonda également le comité théologique latino-américain (Fraternidad Teológica Latinoamericana, FTL) et l’association internationale des théologiens évangéliques de la mission (International Fellowship of Evangelical Mission Theologians), et fut président de l’association caritative Tearfund UK & Ireland et du réseau Michée (Micah Network), qui a pris l’appellation Défi Michée en France.

Enfant de croyants minoritaires

Carlos René Padilla est né à Quito, en Équateur, le 12 octobre 1932. Padilla grandit aux côtés de la communauté missionnaire américaine dans la région, menant des projets d'évangélisation et traduisant des programmes de radio américains pour le ministère de la radio HCJB alors qu'il était encore adolescent. Enfant, il savait qu'il était différent, marqué par une identité religieuse marginalisée et exclue par la culture latino-américaine ambiante. Le père de Padilla était tailleur de métier, pour payer les factures, mais était aussi implanteur d'Église évangélique dans l'âme. Ses deux parents étaient devenus chrétiens évangéliques avant sa naissance, sous l’influence de l’oncle de Padilla, Heriberto Padilla, qui, selon Padilla, fut l’un des premiers pasteurs évangéliques en Équateur.

L'implantation d'Églises était une entreprise dangereuse dans la Colombie résolument catholique, où sa famille déménagea en 1934. Leurs maisons furent incendiées et de multiples tentatives d'assassinat perpétrées contre lui et son père alors qu'ils implantaient des Églises et évangélisaient en plein air. Dès l’âge de sept ans, Padilla portait des cicatrices à cause des pierres qu’on lui jetait alors qu'il marchait dans les rues de Bogotá pour se rendre à l'école communale.

Avec le recul, Padilla estimait qu’il y avait là le lot du chrétien évangélique fidèle : « En Colombie, vous deviez vous identifier en tant que chrétien évangélique, et si vous le faisiez, vous deviez en assumer les conséquences ».

Comme migrant économique et membre d'une communauté religieuse minoritaire, Padilla fut façonné par un contexte de violence, d'oppression et d'exclusion. La relation entre la souffrance et la théologie était organique pour lui. De sa jeunesse, il se rappelait « le désir de comprendre le sens de la foi chrétienne en lien avec les questions de justice et de paix dans une société profondément marquée par l'oppression, l'exploitation et l'abus de pouvoir ». La question pour Padilla n'était pas de savoir si l'Évangile avait quelque chose à dire à ce contexte latino-américain difficile, mais comment il le faisait. Ces questions conduisirent Padilla à chercher des réponses par la formation théologique et sa mise en pratique parmi les étudiants.

Adolescent, Padilla était à bord de l’avion du pilote missionnaire américain Nate Saint, survolant les Andes équatoriennes. Saint, aidé de Jim Elliot et Pete Fleming, avait récemment organisé un camp biblique évangélique pour enfants dans une petite ville à l’extérieur de Quito. Padilla se rappelait du conseil donné par Saint alors qu’il regardait à travers le cockpit la jungle amazonienne en contrebas : « Tu vas étudier la théologie – fais attention de ne pas absorber la théologie sans la digérer ». Lorsque les trois missionnaires furent tués par des autochtones Waorani, en 1956, lors d’une tentative d’évangélisation qui tourna mal, Padilla était étudiant là où avait étudié Elliot, au Wheaton College. Leur mort soudaine eut sur lui, selon ses mots, un « impact énorme » quand il était à Wheaton.

Études théologiques et retour en Amérique latine

Après son arrivée sur le campus à l'automne 1953, Padilla demanda l'aide du président de l'école, Victor Raymond Edman, qui avait servi comme missionnaire à Quito aux côtés des parents de Padilla, avec l'Alliance chrétienne et missionnaire (Christian and Missionary Alliance). Edman soutint son nouvel étudiant – qui parlait à peine anglais et s’était endetté pour acheter son billet d'avion – en l'aidant à trouver un emploi et à se familiariser avec les ressources du campus. En 1959, Padilla avait obtenu la licence en philosophie et la maîtrise en théologie. Mais il ne put recevoir son diplôme en main propre, car il était déjà parti dans l’équipe de l’IFES au Venezuela, en Colombie, au Pérou et en Équateur. (L'IFES est l'organisme mondial issu de mouvements chrétiens étudiants nationaux tels que la US-InterVarsity Christian Fellowship aux États-Unis, la Universities and Colleges Christian Fellowship en Grande-Bretagne, ou encore les Groupes Bibliques Universitaires en France et en Suisse)

C’est également depuis l’Amérique latine que Padilla demanda en mariage son amie américaine de longue date, une collègue d’étude à Wheaton et employée à InterVarsity, Catharine Feser. Pour lui, sa demande en mariage était double : il s’agissait de l'épouser, lui, et d’épouser l’Amérique latine. L’engagement de son épouse dans le champ missionnaire de l’Amérique latine jouera un rôle important dans leur ministère commun. (En fin de compte, elle rejeta les États-Unis et jura de ne jamais y retourner.) Catharine éditait presque tout ce que René écrivait, y compris son discours de Lausanne de 1974. Elle constitua un précieux pont entre une simple connaissance de l'anglais comme langue étrangère et un anglais tout à fait fluide.

Padilla endossa un nouveau rôle six mois après le renversement du régime de Fulgencio Batista à Cuba par les forces communistes dévouées à Fidel Castro. L’insurrection éveilla les jeunes de la région à la réalité que l’impérialisme américain n’était pas inévitable et amplifia les tendances nationalistes, jetant une large suspicion sur les idées d’origine étrangère. La plupart des ouvrages de théologie évangélique d'Amérique latine n'avaient pas grand-chose à dire sur l'attrait des idéologies marxistes. Le retour depuis la banlieue américaine dans le contexte politique tumultueux de l’Amérique latine choqua le jeune équatorien et remit en question ses catégories théologiques, en particulier celles véhiculées par son cursus à Wheaton.

Frustrations et aspirations à autre chose

L’insatisfaction de Padilla à l’égard des approches existantes du ministère, jointe à l’aspiration des étudiants pour l’engagement social, le poussa à explorer des solutions innovantes en missiologie et en théologie. Ses contacts étendus avec les universités et les étudiants dans l’Amérique latine de la guerre froide lui offrirent une perspective unique. Mais l'expérience dans la pratique du ministère n'était pas son seul domaine de compétence. Les références acquises dans sa formation évangélique lui donnèrent une plus grande crédibilité pour prendre la parole dans les débats théologiques, tels notamment ceux de Lausanne.

De 1963 à 1965, Padilla termine son doctorat à l'Université de Manchester sous la direction de F. F. Bruce, titulaire de la chaire Rylands de critique biblique et d'exégèse, « le bibliste évangélique et conservateur le plus éminent de l'après-guerre », ainsi que l'historien Brian Stanley le décrira plus tard. Étudier avec Bruce rendit Padilla digne de confiance au sein du monde évangélique élargi, au point qu’il fut invité à prendre la parole à Lausanne et à s’associer à John Stott, ce qui s’avéra crucial par la suite pour l’introduction de questions sociales lors du Congrès de Lausanne.

Dans les années 60 et au début des années 70, Padilla commença à parler de la pauvreté théologique de l’Amérique latine, déplorant qu’aux questions locales on donne des réponses étrangères. Padilla unit les forces de ses collègues de l'IFES, Samuel Escobar et Pedro Arana, avec celles du missionnaire Orlando Costas, créant ainsi une coalition éclectique de théologiens bouillonnants. Ensemble, ils partageaient l’expérience de la vie dans des situations d’injustice et d’inégalité pendant la guerre froide, et une frustration suscitée par la manière dont nombre d'organisations évangéliques traitaient les Latino-Américains.

Une telle frustration survint notamment lors du « Premier Congrès latino-américain pour l'évangélisation » (First Latin American Congress for Evangelization), aussi connu sous son acronyme espagnol, CLADE, pour Congreso Latinoamericano de Evangelización, sponsorisé par l’Association évangélistique de Billy Graham (BGEA) en 1969. L'événement avait pour objectif d’aider les pasteurs et théologiens latino-américains à déceler les dangers des théologies d’inspiration marxiste et à imposer les catégories théologiques américaines dans toute la région. La BGEA avait observé à la fois l'avancée apparemment incontrôlable de mouvements théologiques radicaux animés par d'éminents théologiens de la libération de la première génération, et l’amorce du déclin de l’engagement dans la mission évangélique protestante traditionnelle. Mais pour la gauche évangélique latino-américaine embryonnaire, ce CLADE représentait une résurgence du paternalisme et de l’impérialisme évangéliques américains. Padilla qualifia la conférence de « made in USA » et déclara que le paternalisme était « typique de la manière dont le travail est parfois accompli dans le milieu conservateur ».

En réponse, Padilla, Costas, Escobar et d'autres fondèrent la Fraternité théologique latino-américaine (FTL). L'organisation poussa Padilla à publier et à produire des réponses à des questions missiologiques brûlantes, et elle élabora, dans ses premières années d’existence, certaines des théologies contextuelles les plus importantes à l’attention des évangéliques protestants d'Amérique latine, parmi lesquelles le livre de Padilla Mission Between the Times: Essays on the Kingdom (« La mission entre les temps : essais sur le royaume »).

Son intervention au congrès de Lausanne

Avant même Lausanne, Padilla gagnait déjà en importance et aiguisait son sens critique. Dans un article de 1973 paru dans Christianity Today – le premier article du magazine traitant directement de la théologie de la libération – Padilla interpellait les évangéliques conservateurs afin qu’ils s’attaquent à leurs propres préjugés idéologiques avant de critiquer la théologie de la libération. Il rejetait également la théologie de la libération, tout en concluant : « Où est la théologie évangélique qui proposera une solution avec autant d’éloquence mais aussi avec un fondement plus ferme dans la Parole de Dieu ? »

En juillet 1974, Catharine Feser Padilla rassembla ses enfants autour d'un atlas mondial, dans leur maison du quartier Florida Este à Buenos Aires. Sa fille, Ruth Padilla DeBorst, racontera plus tard : « Le ton de la voix de ma mère dénotait une urgence inhabituelle : “Aujourd'hui, quand il fera son discours ici, à Lausanne, en Suisse – pointant du doigt la ville sur la carte – Papi dira certaines choses que tout le monde ne voudra pas entendre. Prions pour lui et pour les gens qui l’écoutent” ».

Au Congrès de Lausanne de 1974, pour la première fois, des dirigeants de l’hémisphère Sud gagnèrent leur place à la table de la gouvernance évangélique mondiale, apportant avec eux un nouveau type de christianisme social. Les Latino-Américains parlèrent d'une voix particulièrement forte, ayant affiné leur critique en tant que communauté religieuse minoritaire. Le rédacteur en chef du magazine Crusade écrivit que les remarques de Padilla « enflammèrent véritablement le congrès » et reçurent « la plus longue salve d’applaudissements jamais adressée à un orateur jusqu’à ce jour ». Même le magazine Time souligna le discours de Padilla dans sa couverture de l’événement, parlant de « l'un des discours les plus provocateurs du congrès ».

Profitant de l'élan produit par ses exposés et ceux d'Escobar en plénière, Padilla, avec John Howard Yoder, rassembla un groupe ad hoc de 500 participants, qu’ils désignèrent comme le rassemblement du « discipulat radical » (radical discipleship), cherchant à approfondir davantage les éléments sociaux dans le projet de la Déclaration de Lausanne. Après le congrès, Padilla estima que leur document sur le discipulat radical était « la déclaration sur la mission holistique la plus forte jamais formulée par une conférence évangélique jusqu'à cette date ». Il déclara également la mort de la dichotomie entre l’action sociale et l’évangélisation dans la mission chrétienne.

La présentation de Padilla fit cependant des vagues. John Stott, par exemple, avait précédemment rejeté ce point de vue, mais changea publiquement d’avis dans son livre de 1975, Mission chrétienne dans le monde moderne. Cela créa cependant un malaise chez de nombreux autres responsables évangéliques, non seulement en Amérique du Nord et en Grande-Bretagne, mais aussi dans l’hémisphère Sud. Le secrétaire général d'InterVarsity, Oliver Barclay, contesta le cœur de la présentation de Padilla à Lausanne et, plus tard dans l'année, le prévint de la réaction des « médias » à son article tenta de dissuader le jeune leader.

A Lausanne, Padilla établissait le lien entre la mission de l'Église et le contenu du message évangélique lui-même, contenu qui comprenait des réalités sociales. En cela, il contestait la théologie dominante de l'évangélisation protestante majoritaire selon laquelle l'action sociale découlait du message de l'Évangile, mais ne lui était pas inhérente. Pour certains toutefois, faire ainsi de l'éthique sociale une partie du message évangélique avait des relents troublants d’Évangile social et de libéralisme théologique.

Mais pour Padilla, embrasser le message évangélique dans toute son ampleur était vital pour la mission chrétienne. « Le manque de reconnaissance des dimensions plus larges de l'Évangile conduit inévitablement à une incompréhension de la mission de l'Église », affirma-t-il. « Il en résulte une évangélisation qui considère l'individu comme une unité autonome, une sorte de Robinson Crusoé à qui Dieu adresse son appel sur une île. »

Une influence qui perdure

Au cours des décennies suivantes, Padilla a contribué à influer la trajectoire du Mouvement de Lausanne, organisant des colloques et des conférences à travers le monde. Il a continué à parfaire son message, notamment en critiquant le rôle des États-Unis comme puissance mondiale. Son héritage missiologique est peut-être le plus clairement visible dans les documents du congrès de Lausanne à Cap Town en Afrique du Sud, en 2010. Pour la première fois, la mission intégrale a été incluse dans les documents officiels du Mouvement de Lausanne.

Aujourd'hui, il est monnaie courante pour de nombreux évangéliques de parler d'un message évangélique plus large : pour l'individu, pour le prochain, pour la création. Au-delà des rassemblements mondiaux, Padilla a passé une grande partie de son temps à mettre sur pied une formation théologique à la mission intégrale avec le concours de pasteurs et de responsables laïcs de toute l'Amérique latine, au Centre d’études théologiques interdisciplinaires (Centro de Estudios Teológicos Interdisciplinarios, CETI), fondé avec Catharine en 1982.

Le décès de Padilla a été précédé par celui de sa collègue de toujours et première épouse, Catharine Feser Padilla, en 2009. Il laisse dans le deuil sa deuxième épouse, Beatriz Vásquez, et les cinq enfants qu’il a eus avec Catharine : Daniel, Margarita, Elisa, Sara et Ruth, ainsi que avec de nombreux petits-enfants.

En français, on pourra lire la traduction d’une intervention de René Padilla dans l’ouvrage Le cri des chrétiens du Sud. Pour une Bonne Nouvelle incarnée dans des actes. Une de ses interventions sur l’avenir du Mouvement de Lausanne a également été traduite et mise en ligne par la revue Perspectives Missionnaires.

Traduit par Philippe Kaminski

Adapté par Léo Lehmann

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Les questions d’identité de genre ne doivent pas nous effrayer

Preston Sprinkle propose des orientations pour penser de manière biblique et écouter avec amour.

Christianity Today May 5, 2021
Illustration by Rick Szuecs

Parmi les nombreux livres traitant des questions LGBT d’un point de vue chrétien, la plupart s’arrêtent aux trois premières lettres de l'acronyme, négligeant malheureusement la dernière. Pourtant, les questions relatives à l'identité de genre sont de plus en plus nombreuses et pressantes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Église. Dans son dernier livre, Embodied: Transgender Identities, the Church and What the Bible Has to Say (Incarné : Identités transgenres, l'Église et ce que la Bible a à dire, 2021), Preston Sprinkle, président du Center for Faith, Sexuality & Gender (Centre pour la foi, la sexualité et le genre), offre ses conseils à ceux qui souhaitent aborder ces questions de manière constructive et avec amour. Rachel Gilson, auteure et membre de l’équipe théologique de l’organisation Cru, s'est entretenue avec lui au sujet de son livre.

Embodied: Transgender Identities, the Church, and What the Bible Has to Say

Embodied: Transgender Identities, the Church, and What the Bible Has to Say

David C Cook

288 pages

$13.64

Pourquoi ce livre, et pourquoi maintenant ?

Deux axes fondamentaux se côtoient dans ce livre : un axe relationnel et un axe conceptuel. En d'autres termes, je suis déterminé à traiter les gens aimablement tout en réfléchissant de manière biblique, logique et scientifique à tous les sujets susceptibles de faire surface quand on parle d’identité de genre : la réalité corporelle de l'homme et de la femme, la relation entre le corps et l’âme, et les stéréotypes liés à la masculinité et à la féminité. L'un ne va pas sans l'autre. Réfléchir correctement sans aimer soigneusement crée des dégâts, aussi sûrement qu’aimer soigneusement sans réfléchir correctement.

Vos opinions ont-elles changé au cours la recherche et de l'écriture de ce livre ?

Je suis sans aucun doute devenu plus sensible à certaines des subtilités propres à ces discussions. Par exemple, une interrogation récurrente est celle de savoir si quelqu'un peut naître dans le « mauvais » corps. Mon intuition de départ était que non. Après avoir débattu de cette question sous plusieurs angles, je peux mieux comprendre pourquoi certains affirment que ce phénomène est réel, bien que mon opinion demeure la même. Quelle part de votre personnalité est due à votre cerveau, et quelle part à votre corps ? C'est une question complexe ! Elle fait intervenir les neurosciences, la philosophie, l'anthropologie théologique et d'autres perspectives sur la nature humaine. Les complexités sont plus nombreuses qu’on ne le reconnait de part et d’autre du débat.

Dans les conversations sur le genre, les personnes intersexes sont souvent utilisées comme des mascottes. Parfois, elles sont mises dans le même panier que les personnes transgenres, et d'autres fois, elles sont complètement ignorées. Comment pouvons-nous être attentifs aux personnes dont le corps n'est pas entièrement masculin ou féminin au sens conventionnel du terme ?

Les personnes intersexes sont souvent comme l'enfant pris dans un divorce, tiraillées de part et d’autre et utilisées au service d'un argument ou d'un autre. Comme l'ont souligné plusieurs personnes intersexes, cette pratique est déshumanisante.

Si nous devons aborder le sujet de l'intersexualité, assurons-nous que nous ne le faisons pas en passant, comme un raccourci vers autre chose. Les nouveau-nés dont le sexe est ambigu soulèvent des questions importantes en soi : faut-il les opérer immédiatement ? Et qui peut déterminer le sexe à privilégier ? Ce sont des préoccupations majeures au sein de la communauté intersexe. Il y a bien sûr des similitudes avec les débats sur l'identité transgenre, mais il n'en reste pas moins que nous ne pouvons pas simplement utiliser les réalités de l’intersexualité au profit d'un argument idéologique sur le genre et la sexualité en général.

Pour ceux qui ne s'identifient pas comme trans ou intersexe, comment aborder ce débat ? Que faut-il faire ou ne pas faire ?

Tout d'abord, écoutez ce que les personnes transgenres ont à dire, surtout si vous venez d'un environnement chrétien plus conservateur. Parfois, cet environnement peut endurcir nos cœurs à l'égard de personnes qui ont été marginalisées, humiliées ou mises à l'écart par l'Église, et la population transgenre correspond souvent à cette description. Pour corriger la dureté de notre attitude, nous devons développer des relations authentiques avec les personnes transgenres.

Deuxièmement, nous devons apprendre à employer correctement les termes : comprendre, par exemple, la différence entre le sexe et le genre, ce que signifie l'identité de genre, et pourquoi des mots comme « transgendérisme » peuvent être un repoussoir. Comme me l'a dit l'un de mes amis transgenres, « le “transgendérisme” apparaît comme un concept sans nom et sans visage que les gens peuvent diaboliser ». Pour beaucoup de gens, cela peut faire penser à une maladie. Certains mots véhiculent sans le vouloir certaines connotations, et il est important de le saisir.

De nombreuses personnes utilisent indifféremment les notions de sexe et de genre. Quelle est la différence ?

Il est incontestable que les humains sont sexuellement dimorphiques : Nous ne nous reproduisons que lorsqu'un mâle féconde une femelle, et ces catégories sont fondamentales pour notre humanité. Les Écritures en témoignent : Dieu a créé les êtres humains en tant que mâle et femelle (Ge 1.27).

Le genre, en revanche, relève de notre réponse psychologique et sociale au sexe biologique. Dans ce domaine, on peut distinguer trois catégories. L'identité de genre est notre sentiment interne d'identité, le fait de nous sentir de sexe masculin ou féminin. L'expression du genre est la façon dont nous manifestons cette identité intérieure, généralement par des vêtements ou des manières qui suggèrent la masculinité ou la féminité. Enfin, les rôles de genre renvoient aux attentes de la société envers les hommes et les femmes.

Certains chrétiens pourraient entendre votre réponse et se dire : « Cela semble raisonnable, mais la Bible ne parle pas de ces catégories. Comment suis-je censé les utiliser ? »

Bien que la Bible ne dispose pas d'un terme comme le genre utilisé de manière distincte de la notion de sexe, je pense qu'elle parle des différences que ces mots expriment. Elle reconnaît, bien sûr, que les humains sont créés en tant qu'hommes et femmes. Et elle dépeint des comportements que nous pourrions considérer comme masculins ou féminins.

Dans le monde gréco-romain, il y avait certaines attentes liées au fait d'être un homme ou une femme. Vous pouviez être un homme biologique, mais si vous étiez gentil avec les marginaux, par exemple, ou si vous laviez les pieds des gens, vous pouviez être stigmatisé comme trop peu masculin. Si la Bible célèbre la différence des sexes, elle remet également en question certains stéréotypes culturels. Prenez quelqu'un comme le roi David : c'était un grand guerrier qui a coupé la tête de Goliath, mais il écrivait des poèmes, jouait de la harpe et pleurait beaucoup. Ou prenez le livre des Juges, où des femmes comme Déborah ou Yaël jouent un rôle crucial dans les batailles militaires. L'Écriture a donc une vision plus large de ce que signifie vivre nos identités masculine et féminine.

Nous avons tous deux des amis qui s'identifient chrétiens trans ou non binaires. Que diriez-vous aux croyants qui se méfient de ces étiquettes ?

Des termes comme trans ou transgenre peuvent signifier différentes choses pour différentes personnes. J'ai un ami biologiquement masculin, par exemple, qui se dit transgenre parce qu'il s'identifie comme une femme. C’est généralement la première idée que le terme évoque. En revanche, une autre de mes amies est biologiquement de sexe féminin et se considère comme telle, mais se dit transgenre parce qu'elle souffre de dysphorie de genre. Ainsi, alors que certaines personnes utilisent ces termes pour parler de leur identité fondamentale, d'autres les utilisent principalement pour décrire leur expérience subjective.

Parfois il s’agit simplement du sentiment de ne pas correspondre à un ensemble particulier de stéréotypes de genre. Souvent, c'est tout ce que signifie le qualificatif « non binaire », non pas que l'on pense ne pas être biologiquement un homme ou une femme, mais que l'on ne se reconnaît pas complètement dans la masculinité ou la féminité. En fin de compte, la seule façon d'éviter la confusion est d'apprendre à connaître les personnes elles-mêmes, et d'apprendre pourquoi elles utilisent les mots qu'elles utilisent.

Qu'est-ce que les lecteurs transgenres doivent retirer de votre livre ? Et qu'en est-il des lecteurs non trans ?

Pour mes lecteurs trans, je veux qu'ils se sentent vus et compris. Je n'aurais jamais la prétention de leur parler de leurs propres expériences vécues, mais sur le plan conceptuel, j'espère qu'ils trouveront plus de clarté sur ce que la science et la Bible disent et ne disent pas. Après tout, de nombreux amis transgenres me rappellent qu'ils ne sont pas des experts en la matière. Ils n'ont pas nécessairement une connaissance absolue d'une théologie biblique du genre, ni même de la dysphorie de genre elle-même.

Toutefois, comme je le dis dans ma préface, mon public-cible est constitué de personnes non trans. J'espère qu'ils n'auront plus peur de ces questions. Car si vous en avez peur, vous aurez probablement peur des personnes transgenres elles-mêmes. Et ça, ç'est une attitude qu'aucun leader chrétien ne devrait avoir.

Traduit par Simon Fournier

Révisé par Léo Lehmann

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Des valeurs communes pour renforcer la confiance entre science et foi

Elaine Howard Ecklund aborde la curiosité, le shalom et d’autres vertus qu’ont en commun scientifiques et chrétiens.

Christianity Today April 28, 2021
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: WikiMedia Commons / Alex Kondratiev / James PT / Unsplash

Au milieu de la pandémie mondiale, certaines approches chrétiennes de la science ont attiré l'attention par leur méfiance à l'égard des vaccins contre le COVID-19, ou leur opposition au port du masque. Le défi n’est pas nouveau. Au fil des dernières années, des enquêtes nationales aux États-Unis ont relevé chez les chrétiens une méfiance plus marquée à l'égard de la science au sujet du réchauffement climatique provoqué par l’être humain, de l'évolution et d'autres problématiques, attirant souvent l'attention du public sur des sujets de discorde. Pourtant, de nombreux chrétiens ont non seulement trouvé l’harmonie entre la foi et la science, mais ont également une vocation qui se réalise au sein de cette tension.

Cherchant à répondre au besoin de plus de coopération et de collaboration entre les communautés scientifiques et confessionnelles, la sociologue de l’Université Rice Elaine Howard Ecklund souhaite faire avancer les choses en mettant en avant les points communs plutôt que les désaccords.

Ecklund a passé plus d'une décennie à rendre compte de ce que les scientifiques pensent de la religion et de ce que les religieux – en particulier les chrétiens – croient à propos de la science. Bien que près de 50% des scientifiques se considèrent comme religieux, une grande méfiance persiste entre chrétiens et scientifiques, chaque partie voyant souvent en l'autre une menace.

Dans son dernier livre, Why Science and Faith Need Each Other: Eight Shared Values That Move Us Beyond Fear (« Pourquoi la science et la foi ont besoin l'une de l'autre : huit valeurs communes qui nous affranchissent de la peur »), Ecklund propose que chrétiens et scientifiques trouvent un terrain d'entente autour de huit vertus indispensables à la foi et à la pratique de la science : la curiosité, le doute, l’humilité, la créativité, la guérison, l’émerveillement, le shalom et la gratitude.

Christopher Reese s'est entretenu avec Ecklund au sujet de son livre et de certaines questions épineuses sur la relation entre christianisme et science.

Pourquoi est-il important que christianisme et science trouvent un terrain d'entente?

Une enquête montre que les opinions des gens sur la relation entre religion et science ont des implications importantes. Comme on peut le lire dans mon livre, elles peuvent influencer le vote lors d’une élection et, par conséquent, le financement public alloué à la recherche scientifique. Les opinions sur la relation entre religion et science peuvent également peser sur la décision d’aller ou non à l'Église ou encore sur la volonté des jeunes de rester on non dans l'Église. Une étude révèle que de nombreux jeunes quittent l'Église parce qu'ils perçoivent une opposition irréconciliable entre christianisme et science.

Pourquoi la méfiance persiste-t-elle entre chrétiens et scientifiques ?

Il y a de nombreuses raisons qui expliquent la persistance des craintes et de la méfiance. Dans les Églises que j'ai visitées, j'ai rencontré des chrétiens qui empêchent leurs enfants d’assister à certains cours de sciences, craignant que l'éducation scientifique ne les conduise à douter et finalement à rejeter la foi. Il y a des parents chrétiens qui s'inquiètent de ce que diront les professeurs de science à propos de la foi lorsqu'ils conseillent leurs enfants dans le choix du lycée ou de l’université.

Les chrétiens des communautés minoritaires, en particulier les chrétiens d’origine africaine et hispanique, s’inquiètent quant à leur intégration dans des champs de recherche scientifique ou technologique où non seulement leur couleur de peau ou leur ethnicité est sous-représentée, mais aussi leur foi. Les femmes et les jeunes filles chrétiennes désirant poursuivre des carrières scientifiques se demandent si elles seront marginalisées dans leurs communautés chrétiennes à cause de leurs aspirations scientifiques et dans la communauté scientifique à la fois en raison de leur sexe et de leur foi.

Des chrétiens s'inquiètent de certaines technologies et recherches médicales, ne sachant pas si elles sont éthiques et si elles prennent en compte le caractère unique de l'être humain et ce que signifie être créé à l'image de Dieu. J'ai rencontré de nombreux chrétiens qui ont peur de l'impact de la science sur leur foi et de l'influence des scientifiques sur la religion et sa place dans la société.

Les Églises devraient-elles encourager la poursuite de la science ? Si oui, de quelle manière ?

Absolument ! Les Églises ont tendance – pour autant qu’elles abordent les questions scientifiques – à s’intéresser surtout à des questions brûlantes comme l'évolution, le changement climatique et les technologies génétiques de reproduction humaine, pour n'en nommer que quelques-unes. Mais, pour stimuler l’intérêt pour la science, les jeunes – et tout le monde dans les communautés – ont besoin d'entendre des scientifiques chrétiens (et même ceux qui ne le sont pas) parler de leur travail scientifique et de la joie et de la beauté qu'ils trouvent dans la science. Les Églises pourraient consacrer plus de temps à parler de ce que les communautés scientifiques et confessionnelles ont en commun.

Quand j'ai commencé à écrire ce livre, j'ai cherché chez moi un cahier de notes prises lors d’un cours que j'avais suivi il y a plus de 20 ans pendant le premier cycle à l'Université Cornell. Dans ce cours enseigné par Norman Kretzmann et portant sur le philosophe Thomas d'Aquin, j’avais commencé à réfléchir en profondeur aux vertus et valeurs chrétiennes, que Thomas d'Aquin considérait comme des pratiques ou des habitudes qui poussent au bien.

En étudiant, en interviewant et en travaillant avec des chrétiens et des scientifiques, j'ai été frappée par le fait qu'ils semblaient avoir beaucoup de vertus en commun. J'ai découvert que les vertus fondamentales qui guident la pratique et les habitudes de la science et de la religion sont bien plus semblables qu’on ne le pense, bien qu’il existe également des différences majeures. J'ai une nouvelle approche pour aborder la relation entre la science et la foi. Je vois la science et la foi non seulement comme des ensembles d'idées mais aussi comme des groupes de personnes, et je suis convaincue que scientifiques et chrétiens partagent des vertus communes qui mèneraient à un terrain d'entente si elles étaient mises en lumière. Je suis également convaincue qu'en reconnaissant les vertus communes à notre foi et à la science, et ce en quoi nos valeurs diffèrent, nous, chrétiens, pouvons commencer à développer une relation plus pertinente et plus fructueuse avec les sciences et les scientifiques.

Vous avez mentionné certaines différences importantes entre la pratique et les habitudes de la science et de la religion. Pouvez-vous nous en dire plus ?

De toute évidence, les scientifiques – qu'ils soient ou non croyants – posent des questions sur le monde naturel et biologique, des choses que nous pouvons voir et tester. La plupart des scientifiques estiment que leurs travaux fournissent peu d’éléments sur les choses extérieures au monde naturel.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes chrétiens persuadés de devoir choisir entre la science et leur foi chrétienne ?

En bref : ils n’ont pas à choisir. Il existe de merveilleux exemples de scientifiques chrétiens capables de trouver des façons non seulement de faire cohabiter les identités qui caractérisent la foi et la science, mais aussi de constater en réalité que ces identités sont fécondes entre elles. Ce dont nous avons besoin, ce sont des exemples encore plus nombreux de chrétiens des deux sexes, de différentes origines, et de différents groupes ethniques, afin de nous aider à voir que des chrétiens de toutes sortes peuvent être des scientifiques.

Parmi les huit vertus que vous décrivez et que le christianisme partage avec la science, laquelle trouvez-vous la plus importante ?

Le Shalom. Dans mes entretiens avec des scientifiques chrétiens, j'ai constaté que beaucoup d'entre eux s'appuient sur les concepts de shalom et d’intendance. Shalom est un mot hébreu dont la racine renvoie aux notions de « complétude » et de « perfection », et qui signifie la paix, l'harmonie, le bien-être et la prospérité résultant de l'épanouissement de toute la création. Shalom peut se référer à l’action de s'impliquer dans le désordre du monde, de se confronter à des structures injustes pour les rendre plus justes.

L’intendance, ou le soin du monde, sous forme de protection de l'environnement, est souvent considérée comme une vertu scientifique, mais c'est tout autant une vertu profondément chrétienne, une pratique qui nous rapproche du shalom. L’intendance chrétienne intègre l’idée d’une humanité unique, que nous avons été créés par Dieu et que nous avons donc la responsabilité d’entretenir et de prendre soin de la création de Dieu.

Et certains scientifiques chrétiens que j'ai interviewés ont explicitement évoqué le progrès vers une représentation équitable de tous dans les sciences comme l’un de leurs objectifs et l'une des façons d’entrer dans le shalom par leur travail de scientifiques. Certains de ces scientifiques lient spécifiquement leur foi à leurs efforts pour développer les opportunités pour ceux qui sont en sous-représentation dans les disciplines scientifiques.

Étudier et accroître la diversité dans les sciences est un domaine qui me passionne particulièrement en tant que sociologue chrétienne. Certains de ceux que j'ai interviewés pour mes études me rejoignent. Une biologiste, par exemple, m’a parlé de sa participation, au sein de sa corporation, au comité qui travaille à promouvoir et représenter la diversité dans son domaine scientifique, et a souligné à quel point lutter pour la diversité dans les disciplines scientifiques fait partie intégrante de sa foi, non seulement pour elle, mais aussi pour d’autres membres du comité.

Si un scientifique non croyant exprime à son ami chrétien son émerveillement face à la complexité de l’univers et que le chrétien exprime son émerveillement face à la puissance créatrice de Dieu, ce genre d’interaction peut-il conduire à un terrain d’entente ?

Je pense que c’est parfois possible, si cela est fait de manière réfléchie. De nombreux scientifiques (croyants et non croyants) expriment combien la beauté du monde naturel qu’ils voient au travers de leur travail les remplit d'un sentiment d'émerveillement et d’admiration auquel ils attachent beaucoup de valeur. Disséquer, examiner et comprendre le monde naturel – même ses parties les plus petites et les plus complexes – ne fait qu'augmenter leurs sentiments d'étonnement, d’ébahissement et de reconnaissance.

Existe-t-il aujourd'hui des organisations ou des institutions où vous voyez des chrétiens et des scientifiques s'engager dans un dialogue fructueux ?

Il existe des organisations fantastiques. BioLogos, fondé par Francis Collins, est l'un des programmes les plus importants qui visent à aider les chrétiens à « voir l'harmonie entre la science et la foi biblique ». Science for the Church, à mes yeux, est également une ressource de valeur. Il y a également des organisations qui ne s’adressent pas spécifiquement aux chrétiens, mais où les chrétiens peuvent trouver des outils utiles, comme l’Association américaine pour l’avancement du dialogue scientifique sur la science, l’éthique et la religion. Et je pense aux programmes mis en place par Science for Seminaries, comme celui de l'Université Howard. Il y a beaucoup d’initiatives à encourager dans le domaine de la science et de la foi à l’heure actuelle.

NDT : Pour des ressources en français de bonne qualité sur le dialogue entre science et foi, on pourra notamment se référer au Réseau des scientifiques évangéliques, actif en France et en Suisse.

Christopher Reese est le rédacteur en chef du Worldview Bulletin, cofondateur de la Christian Apologetics Alliance et directeur de publication de Three Views on Christianity and Science (Zondervan, 2021)

Traduit par Philippe Kaminski

Révisé par Léo Lehmann

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10 façons de renouveler votre lecture biblique

Le besoin de graver les Écritures dans nos cœurs est d’autant plus criant cette année.

Christianity Today April 21, 2021
Neely Wang / Lightstock

Pour nous chrétiens, se tourner vers l’Écriture devrait être une réponse intuitive lorsque nous sommes aux prises avec l'angoisse face au monde dans lequel nous vivons. Pourtant, le rapport annuel State of the Bible 2020 de la société biblique américaine (ABS) révélait une tendance alarmante : à peine 9% des Américains lisaient leur Bible chaque jour en 2019 – la statistique la plus basse depuis une décennie de recherches de l’ABS – et cela n'a fait que diminuer encore au cours des premiers mois de la pandémie. Mais si l'année 2021 en cours devait comporter ne serait-ce qu’un fragment du niveau d’incertitude auquel nous avons été soumis l’année passée, nous avons plus que jamais besoin des Écritures pour nous guider et nous rassurer. Au cours de mes années passées à diriger des études bibliques en présentiel et un groupe de lecture biblique en ligne, j’ai trouvé que nous avions parfois besoin d’idées pratiques pour savoir comment commencer ou se remettre à ouvrir la Bible. Voici dix façons de lire la Bible sous un tout nouvel angle.

1. Ajoutez une nouvelle traduction à votre bibliothèque.

Si vous avez principalement lu une traduction pendant de nombreuses années, trouvez-en une nouvelle. J'ai récemment bousculé un peu les choses en lisant deux versions différentes après avoir été longtemps très fidèle à une traduction familière. Les versets familiers prennent plus de sens à mesure qu’un ou deux mots traduits différemment me donnent à réfléchir. Les bibles en parallèles – affichant deux à quatre traductions côte à côte – sont aussi excellentes pour lire la Bible de cette nouvelle façon.

2. Lisez l’Écriture à haute voix.

Aussi simple que cela puisse paraître, lire la Bible à haute voix peut en fait nous rapprocher de la façon dont les Écritures ont été présentées pour la première fois à leur public d'origine. De nombreuses Églises suivent cette méthodologie et parcourent ainsi la Bible en trois ans. Lorsque nous lisons les Écritures à haute voix, les phrasés sont mis en valeur et nous pouvons mieux sentir le rythme d’un passage (bien que certaines cadences se perdent en raison de la traduction). La lecture commune des Écritures à haute voix en petit groupe peut également ajouter à la variété, et le fait d'entendre différentes intonations, ou même différentes traductions, peut générer de bons échanges sur le choix des mots. La première fois que nous avons essayé cela dans mon groupe d'étude biblique, j’avais choisi Ésaïe 1 : « Quand vous étendez vos mains, je détourne de vous mes yeux ; quand vous multipliez les prières, je n’écoute pas. Vos mains sont pleines de sang ! » (v.15). La colère et la frustration de Dieu, communiquées par le prophète, ont pris vie pour les femmes du groupe d’une manière beaucoup plus puissante. Pour amplifier encore cette manière de faire, vous pourriez inviter des personnes de diverses confessions et de différentes traditions ecclésiales à lire avec vous.

3. Écoutez la Bible en conduisant, en cuisinant ou en marchant.

Cette méthode est particulièrement efficace pour ceux qui n’ont pas l’habitude de lire ou les personnes qui ont du mal à trouver un créneau horaire régulier pour lire leur Bible chaque jour. Il est extraordinaire de voir à quel point on peut progresser rapidement dans la lecture de la Bible en utilisant une ressource audio. Internet et les applications bibliques permettent l'accès à de nombreuses traductions et même à une variété d'accents, ce qui rend cette méthode particulièrement attrayante pour de nombreuses personnes. En français, plusieurs versions sont disponibles en audio sur le site de YouVersion, mais de nombreux autres enregistrements existent gratuitement en ligne. En anglais, écouter David Suchet sur YouTube , la lecture par Johnny Cash du Nouveau Testament sur Audible ou de Streetlights sur Spotify est une façon amusante de donner un peu d'originalité aux choses. Un avertissement cependant si vous essayez cette méthode : lorsque mon mari et moi avons commencé à écouter des livres audio lors de longs voyages en voiture, j’ai parfois eu du mal à écouter un narrateur sans que mon esprit ne vagabonde. Si vous trouvez que votre esprit dérive, essayez de vous concentrer sur un ou deux points clés du passage.

4. Prenez un an pour lire la Bible chronologiquement.

Il y a plusieurs années, sur la recommandation d’un ami, je me suis procuré une Bible chronologique. Nous avons décidé de la lire conjointement, en invitant d’autres personnes à nous rejoindre dans un groupe Facebook privé. À ce jour, nous lisons la Bible chaque année dans l’ordre dans lequel les spécialistes estiment que les événements se sont produits. Cette méthode a eu un impact majeur sur ma compréhension des Écritures. Des versets et des passages bien aimés sont devenus partie intégrante de l’histoire du plan rédempteur de Dieu pour tout ce qu’il a créé. La lecture des Rois de pair avec la lecture des prophètes, la comparaison des récits des Évangiles entre eux et la mise en lien des événements des Actes des apôtres avec les Lettres aux Églises ont contribué à combler des lacunes dans ma compréhension.

5. Utilisez un commentaire ou des outils d’aide à l’étude.

Utiliser un nouveau commentaire vous aidera à approfondir votre recherche sur le passage ou le livre que vous lisez. Les commentaires vont plus loin qu’une Bible d’étude en offrant plus de contexte historique et culturel, et ils aident à percevoir le récit des Écritures d’une manière holistique. D’autres ressources multimédias, comme She (He) Reads Truth (en anglais), les cours gratuits de la « The Gospel Coalition » (équivalent américain d’Evangile21) ou les vidéos et études de BibleProject (également en français), parmi bien d’autres, peuvent compléter notre lecture quotidienne de la Parole.

6. Lisez un livre entier d'une seule traite.

Si l'idée de lire un livre entier de la Bible vous intimide, essayez de commencer par un livre plus court comme Philippiens. La lecture d’une épître de Paul dans son intégralité offre un aperçu de ce qui se passait dans la ville antique en question à l’époque. Cela nous donne une idée de toutes les personnes que Paul a rencontrées dans ces Églises et à quel point celles-ci étaient similaires aux individus qui peuplent nos propres Églises. J’ai passé un après-midi d’été à lire Marc d'une seule traite et j’ai pu clairement mieux apprécier son sentiment d’urgence pour la diffusion de l’Évangile. Sa passion pour l’évangélisation m'a sauté aux yeux page après page d’une manière nouvelle. Une variante de cette idée est de lire les livres d’un seul auteur à la fois. (Par exemple, pour examiner Jean de plus près, lisez son Évangile, ses trois Lettres et l’Apocalypse.)

7. Utilisez une bible sans versets

Certaines bibles (en anglais "Readers's Bibles") sont proposées sans chapitres ni versets. Ainsi, ces bibles se lisent davantage comme un roman avec une seule colonne de texte et peu d'éléments distrayant le regard. En français, on trouvera par exemple le Nouveau Testament imprimé ainsi, et le site Sola Scriptura donne accès à tous les textes bibliques mis en page de cette manière. Certaines personnes trouvent que ce format les aide à lire plus longtemps. Le texte original ne contenait pas d'espaces, cela permet donc au lecteur d’expérimenter la façon dont les premiers chrétiens lisaient les Écritures. Certains de mes amis qui utilisent ce genre de bible me disent qu'il aiment particulièrement lire la poésie et la prophétie de cette façon.

8. Méditez un psaume par semaine.

Plutôt que de lire un psaume différent chaque jour, choisissez-en un à relire chaque jour pendant une semaine. Au fur et à mesure que vous lisez, prêtez attention aux phrases du psaume qui ressortent et résonnent en vous, vous aidant à mieux ressentir l’émotion de l’auteur. Je lis souvent le Psaume 51 comme prière quotidienne et je suis étonnée de voir quels versets m'interpellent, souvent en fonction de ce qui se passe dans ma propre vie. Je n’ai pas encore trouvé de meilleur moyen de commencer ma journée que de demander à Dieu « O Dieu ! crée en moi un coeur pur, renouvelle en moi un esprit bien disposé » (Ps 51.10).

9. Lisez les paraboles de Jésus les unes après les autres.

Lisez les paraboles de Jésus en omettant le texte entre chaque parabole. Laissez donc le Seigneur être le maître conteur qu’il est. Jésus savait que la meilleure façon de faire comprendre un enseignement spirituel à son public était de lui raconter une histoire. Dans son livre Reading the Bible with Rabbi Jesus, Lois Tverberg souligne que « les paraboles récurrentes de Jésus à propos des pêcheurs et des agriculteurs ne suscitent pas forcément une réponse viscérale en nous, comme elles pouvaient le faire à l'époque dans un monde agraire. » Nous comprendrons mieux les leçons de ces histoires en nous concentrant sur elles. Qui était le public d’origine ? À quoi ressemblait leur vie quotidienne ? En quoi la nôtre est-elle différente ? Quelles leçons pouvons-nous en tirer et comment appliquer celles-ci au monde d'aujourd’hui ? Prendre en compte les contextes culturels et sociaux dans lesquels se déroulent les paraboles peut nous aider à voir le texte d’une nouvelle manière.

10. Copiez des livres entiers.

Recopier des passages vous aidera à lire la Bible d’une nouvelle façon. Vous constaterez peut-être que des schémas commencent à émerger. Vous pourriez voir comment certains mots ou certaines phrases sont répétés pour les mettre en valeur. Des jours, des mois, voire des années plus tard, vous retrouverez des pages écrites de votre propre main sur lesquelles revenir, vous connectant davantage aux Écritures. J’ai d’abord recopié de cette manière le livre de Jacques. J’ai été frappée de voir à quelle fréquence les paroles de Jacques me renvoyaient aux enseignements de Jésus. Jacques a écrit sur la foi comme mode de vie, et je ne l'avais jamais autant remarqué avant de l'avoir écrit.

La Bible est la Parole inspirée de Dieu pour nous. L'année est déjà bien entamée, mais il n'est pas trop tard pour de nouvelles résolutions dans nos projets de lecture biblique. Puissions-nous nous tourner en premier lieu vers les Écritures. Comme l’a écrit Jen Wilkin : « Les paroles inspirantes des humains sont un substitut dérisoire aux paroles inspirées de Dieu ». Quelle que soit notre situation, la Parole est une source inestimable de réflexions et d’espoir lorsque nous la lisons, l’écoutons et la méditons.

Traci Rhoades est l’auteur de Not All Who Wander (Spiritually) Are Lost. Retrouvez ses écrits sur tracesoffaith.com.

Traduit par Valérie Marie-Agnès Dörrzapf

Adapté par Léo Lehmann

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Books

Alors que le Sénat français vote pour renforcer le contrôle des Églises, les chrétiens protestent sans crainte

Les protestants français sont en profond désaccord avec une nouvelle loi sur le séparatisme, mais n’adoptent pas pour autant une mentalité de victime dans leur défense de la liberté religieuse.

Des policiers français armés montent la garde devant l'Église Saint Augustin à Paris, le 31 octobre 2020, à la suite des attaques terroristes en France.

Des policiers français armés montent la garde devant l'Église Saint Augustin à Paris, le 31 octobre 2020, à la suite des attaques terroristes en France.

Christianity Today April 20, 2021
Kiran Ridley / Getty Images

Lundi soir, le Sénat français, la chambre haute du Parlement, a adopté en première lecture une loi à visée antiterroriste qui inquiète les responsables d'Églises.

Désormais appelé « Loi pour l'affirmation des principes républicains et la lutte contre les séparatismes », le projet de loi – approuvé par 208 voix contre 109 et 27 abstentions – vise à lutter contre le radicalisme islamiste qui a engendré de nombreux attentats sur le sol français ces dernières années.

Cependant, la volonté de l’administration du président Emmanuel Macron de rendre la France plus sûre n’est pas sans incidence sur la liberté de religion, pourtant profondément ancrée dans le pays.

« Le vent a tourné sur la France », a déclaré Clément Diedrichs, directeur général du Conseil national des évangéliques de France (CNEF) qui, d’après une récente étude, représente la moitié des protestants français. Le gouvernement a « clairement acté que nous ne sommes plus dans une société chrétienne ».

« La religion est devenue comme un élément négligeable », observe-t-il, affirmant que les dirigeants du pays n'ont plus aucune envie de protéger l'espace alloué à une quelconque foi.

En février, comme Christianity Today le rapportait, l'Assemblée nationale, la chambre basse du Parlement français, avait adopté une première version du projet de loi. Le résultat des débats du Sénat est une version avec des mesures d'encadrement encore plus strictes, malgré l’intégration de quelques modifications vues comme positives par les responsables chrétiens.

La Fédération protestante de France (FPF), qui regroupe aussi bien des évangéliques que des luthériens ou des réformés historiques, a salué le fait que la proposition de loi du Sénat garantisse les droits des aumôneries, notamment dans les établissements scolaires, bien que le projet de loi interdise tout type de service religieux dans ces établissements. Le projet de loi assure également aux Églises la propriété des bâtiments qui leur sont cédés à titre gratuit ainsi que l'accès aux subventions publiques pour la mise en accessibilité des bâtiments aux personnes à mobilité réduite.

Le CNEF apprécie que le Sénat ait rétabli l'enseignement à domicile comme une option éducative, tout en l'encadrant davantage. Le projet de loi de l'Assemblée nationale envisageait la suppression de la possibilité d'instruire les enfants à domicile.

Le projet de loi sera soumis en mai à une commission mixte paritaire (députés et sénateurs), qui devrait commencer à aplanir les différences entre les deux versions du projet avant un vote final à l'Assemblée nationale en juillet. Le gouvernement devra ensuite publier les décrets qui préciseront les détails de l'application du texte législatif.

Ainsi, alors que la forme finale reste en suspens et que des organismes chrétiens tels que la FPF et le CNEF poursuivent leurs efforts afin de faire mieux prendre en compte leurs positions et font pression pression pour que l'impact de la loi soit moins contraignant, les Églises françaises commencent à se préparer à ce que pourraient être les nouvelles règles.

Les Églises devraient en particulier faire face à des exigences accrues en matière de déclaration auprès du gouvernement et à de nouvelles règles concernant leurs finances, en particulier les financements provenant de l'étranger et le financement des projets de construction. La loi renforcerait également la surveillance par l’administration de la formation des responsables religieux ainsi que la responsabilité légale des dirigeants, proposant des sanctions sévères à l'encontre de tout discours visant à encourager le non-respect des lois.

« Nous passons d'une séparation de l'Église et de l'État fondée sur la liberté à une séparation basée sur le contrôle », a déclaré François Clavairoly, président de la FPF. « La laïcité n'est plus vraiment une laïcité de confiance et d'intelligence, mais une laïcité de défiance, de soupçon et de contrôle ».

Le célèbre principe français de laïcité, qui va au-delà de la notion anglaise de « secularism », a été inscrit dans une loi de 1905 qui a créé une forme spécifiquement française de séparation de l'Église et de l'État. Cette séparation défend et garantit la liberté de religion et assure la neutralité de l’État dans les questions religieuses.

Les chrétiens protestants ont été parmi ceux qui ont fortement plaidé pour la mise en œuvre de cette laïcité à la française. Mais ce principe est aujourd'hui en danger.

Si les chrétiens français soutiennent les efforts du gouvernement pour faire face à la menace de l'islam radical, ils sont troublés par des contraintes qui ne semblent pas relever réellement la lutte contre le terrorisme et qui mettent toutes les religions dans le même panier que la menace de l'extrémisme islamiste.

« Nos sociétés occidentales ont de plus en plus de mal à comprendre le fait religieux et la manière dont elle guide les fidèles dans leur vie en société », affirme F. Clavairoly. « L'idéologie du terrorisme islamiste qui déforme l'islam a encore plus brouillé la compréhension du fait religieux ».

« La pratique religieuse est devenue quelque chose de menaçant pour de nombreux dirigeants politiques. (…) Nous militons pour dire que la religion n'est pas une menace, mais au contraire, une source d’intelligence et de citoyenneté ».

Parmi les nouvelles contraintes figurerait un seuil au-delà duquel le financement étranger des groupes religieux en France nécessiterait des processus compliqués et fastidieux de déclaration et d'approbation. Le seuil actuellement proposé est de 10 000 euros (environ 12 000 dollars américains) par an.

« Nous existons en tant que jeune implantation d'Église grâce à la générosité d'individus et d'Églises ici en France, mais la partie la plus importante des dons provient encore de l'étranger », a déclaré Étienne Koning, pasteur de l'Église Saint-Lazare, une Église parisienne affiliée au réseau Actes 29. Si ce plafond est retenu, « il aura un impact important sur notre vie quotidienne. Il ne sera pas impossible de faire Église, mais cela sera beaucoup plus difficile ».

Selon lui, les autorités n'ont pas compris que, contrairement aux extrémistes qu'elles disent viser, les Églises comme la sienne ont un projet financier clair pour que la générosité venue de l'étranger soit progressivement remplacée par celle de l'Église locale, au fur et à mesure de sa croissance. Le financement étranger de son Église provient d'individus généreux, salariés ordinaires dans leurs pays et non de sociétés privées ou des richesses issues de l’exploitation pétrolière comme c'est souvent le cas pour les mosquées radicalisées dont le gouvernement veut protéger la société française.

E. Koning note que le second impact majeur que son Église anticipe concerne la liberté d’expression et la liberté de conscience avec un contrôle accru de l'État sur le contenu du message. « Je sais que cela sonne un peu comme ce que l’on entend à propos de la Chine », dit-il, reconnaissant que ce qui est proposé en France ne se situe pas du tout à ce niveau. Il s'inquiète néanmoins de voir la volonté de l’État de « contrôler ce qui est pensé – et du coup, ce qui est dit et ce qui est enseigné ».

Cependant, malgré l’évolution de la nouvelle loi qui s'éloigne de la laïcité intelligente telle qu'ils la conçoivent, la stratégie des dirigeants protestants français – tant à l'égard du gouvernement que des fidèles – a été remarquablement exempte d'alarmisme. Au lieu de cela, ils ont demandé à leurs sœurs et frères d'éviter d'adopter une posture de victimisation, même s'ils reconnaissent la gravité du moment.

« Ce n'est pas l'apocalypse », déclare F. Clavairoly. « Nous ne sommes absolument pas dans une atmosphère de crainte ou de peur ». Au contraire, précise-t-il, nous sommes engagés dans un débat très franco-français qui s'inscrit dans la continuité des échanges parfois difficiles qui ont eu lieu à la fin du 19e siècle et au début du 20e entre les Églises et la République.

« Nous pouvons, sans craindre pour autant pour notre foi, exprimer légitimement nos préoccupations et le fait que nous demeurerons attentifs à la préservation de nos libertés légitimes, dans la défense d’une laïcité bien comprise », a déclaré Erwan Cloarec, directeur de la formation de la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes de France (FEEBF) et pasteur à Lyon.

Pour lui, il s'agit de promouvoir la liberté de croire et de ne pas croire et de pouvoir vivre cette liberté sans être inquiété ou gêné de quelque manière que ce soit par les pouvoirs publics. « Il me semble important de continuer ce combat, sans peur ni faiblesse », affirme-t-il, « le Seigneur est avec nous, et il nous invite à la foi, à la confiance et à la prière ».

« Faut-il avoir peur ? Non », déclare C. Diedrichs, du CNEF. « Dans Jérémie, il est dit que nous devons rechercher le bien de la ville dans laquelle nous nous trouvons. Cette ville n'est pas Jérusalem, c'est Babylone. Beaucoup d’évangéliques préféreraient que nous soyons à Jérusalem plutôt qu'à Babylone. Beaucoup d'évangéliques aimeraient bien être encore dans une société chrétienne qui les protège ».

Mais puisqu'ils ne sont plus dans une société chrétienne, dit-il encore, les évangéliques français doivent être des témoins de l'Évangile comme l'étaient les premiers chrétiens dans leur société non chrétienne.

« Ils n'attendaient pas que leur gouvernement les protège. Ils avaient juste une espérance éternelle et ils témoignaient de cette espérance dans leur société. C'est pourquoi je dis que nous n'avons aucune raison d'avoir peur, mais que nous avons toutes les bonnes raisons d’annoncer l'Évangile ».

Alors que E. Koning, le pasteur parisien, attribue « quatre étoiles » au « sérieux et au professionnalisme » des dirigeants du CNEF pour leur traitement de la question et leur désir d'être des citoyens pacifiques et respectueux de la législation, il précise que lui et d'autres collègues pensent que la posture adoptée a été « trop gentille et un peu naïve ». Il pense que le désir de contrôle du gouvernement et ses répercussions potentielles sur la liberté d'expression et la liberté de conscience donne aux évangéliques français des raisons légitimes d'être préoccupés.

D'un autre côté, dit-il, il existe de nombreuses raisons de ne pas être effrayés : dans un pays démocratique comme la France, les élections peuvent changer bien des choses et il y a des Français qui analysent clairement la situation et décryptent le discours politique.

Quel que soit le résultat, dit encore E. Koning, « nous trouverons le moyen de continuer à servir le Seigneur […] en prenant soin de notre peuple en lui annonçant fidèlement l'Évangile qui change la vie, en servant et en aimant nos voisins tels qu'ils sont, […] sans jamais céder à l'amertume ou à la haine, en construisant toujours des ponts et des relations, afin d'apporter le Christ à notre pays ».

Comment les frères et sœurs chrétiens hors de France peuvent-ils prendre soin de l'Eglise française ? Interviewés séparément, F. Clavairoly et C. Diedrichs apportent la même réponse : « N'ayez pas peur pour nous ».

Mais il y a aussi un appel à la prière.

Conscients des enjeux spirituels, les dirigeants du CNEF comprennent que s'engager dans la prière aurait produirait plus de fruits que certaines de leurs rencontres avec les responsables politiques. Un millier de personnes reçoivent les informations hebdomadaires et les sujets de prière concernant l'évolution du projet de loi sur le séparatisme.

C. Diedrichs invite les chrétiens hors de France à « prier pour nous afin que nous soyons courageux dans la promotion de l'évangile ».

Gerard Kelly, un observateur britannique expatrié qui exerce un ministère en France depuis trois décennies et est aujourd’hui pasteur d'une implantation d’Église en Normandie avec son épouse, est d'accord : « nous devons prier pour le réveil, pour la croissance de l'Église », dit-il. « Nous devons prier pour des Églises dynamiques afin que, lorsque des lois de ce type sont adoptées, les gens ne voient pas les évangéliques comme une sorte de secte bizarre et marginale. Ils doivent voir des personnes qu'ils connaissent en tant que voisins ».

Pour les chrétiens d'autres cultures, voir ce qui se passe dans « l'Europe postchrétienne » peut être une source d'inquiétude quant à ce qui pourrait se produire un jour chez eux. Mais G. Kelly, qui dirige avec sa femme le réseau d’origine britannique « Bless Network », affirme que ces chrétiens peuvent dès à présent apprendre de l'Europe en découvrant ce qu’est la vie dans une culture postchrétienne.

« La postchrétienté signifie une forme d'exil. Nous vivons à Babylone », dit-il, faisant involontairement écho à C. Diedrichs. « Nous ne vivons pas à Jérusalem ». Pour cette raison, G. Kelly, en tant que chrétien européen, dit ne pas s'attendre à ce que son gouvernement promulgue des lois qui correspondent particulièrement à sa vision du monde, même s'il pense qu'il doit protéger les libertés fondamentales.

Il reconnaît que cet exil entraîne des pertes et des douleurs réelles, notamment la crainte des pasteurs et des parents de vivre dans un monde dans lequel leurs enfants ont moins de chances de rester dans la communauté de foi dans laquelle ils ont été élevés.

Mais selon lui, l'exil est aussi très positif pour la mission : un modèle de mission en postchrétienté est beaucoup plus fécond et créatif. « Votre message à l’égard de votre culture n’est pas : “vous devriez rejoindre notre enclave”, mais bien plutôt “vous devriez rencontrer Jésus” ».

« Lorsque l'Église est forte, riche et puissante, elle oublie l'engagement missionnaire parce qu'elle n'en a pas besoin. Elle cesse de s'engager de manière créative avec ses voisins et se complaît avec elle-même », dit G. Kelly. « Dieu brise cette complaisance en permettant l'exil, parce que nous n'avons jamais été destinés à être des séparatistes ».

Traduit par Denis Schultz

Révisé par Léo Lehmann

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Tim Keller : l’espoir d’un monde meilleur commence par la résurrection

Quatre raisons pour lesquelles le christianisme permet une confiance sans égale en une histoire orientée vers un avenir positif.

Christianity Today April 12, 2021
Illustration by Mallory Rentsch / Source Images: Europeana / Unsplash / The New York Public Library / Perth & Kinross Council

La culture occidentale a longtemps été marquée par la croyance que chaque génération aurait une vie meilleure – économiquement, technologiquement, socialement, personnellement – que la précédente. Mais cette idée de progrès historique linéaire ne se retrouve pas dans la plupart des autres cultures. Les cultures anciennes – chinoise, babylonienne, hindoue, grecque ou romaine – avaient des points de vue différents. Certaines considéraient l'histoire comme cyclique, d'autres la voyaient comme un lent déclin depuis un âge d'or passé.

Hope in Times of Fear: The Resurrection and the Meaning of Easter

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L'idée que l'histoire allait dans le sens d'un progrès et d'une amélioration continue de la condition humaine n'existait tout simplement pas.

Puis le christianisme est arrivé. Comme l'écrit Robert Nisbet dans son livre History of the Idea of Progress, les penseurs chrétiens ont offert « à l'idée de progrès un public nombreux et dévoué en Occident et une puissance considérable qu’elle n'aurait pu acquérir autrement [en l'absence des croyances chrétiennes] ». Les Grecs pensaient que l'accumulation des connaissances humaines pouvait conduire à une amélioration mesurée et temporaire de la condition humaine, mais seulement entre deux crises. Les philosophes chrétiens « ont doté l'idée de progrès de nouveaux attributs qui ne pouvaient que lui conférer une force spirituelle inconnue de leurs prédécesseurs païens ».

Le christianisme offre ainsi des ressources inégalées à l’idée d’espoir culturel. (Nous ne parlons pas pour l'instant de l'espoir individuel, l'espoir d'une vie après la mort. Nous parlons de l'espoir collectif, de l'espoir social, de l'espoir pour l'avenir de la société, de la race humaine, l'espoir que l’histoire est orientée dans une direction positive). En examinant le cours de l'histoire à travers le prisme de la résurrection du Christ, nous pouvons faire quatre grands constats sur la nature de l'espérance chrétienne : elle est, et c’est unique, tout à la fois raisonnable, pleine, réaliste et efficace.

L'espérance chrétienne est raisonnable

Pour commencer, il existe de fortes indications historiques de la réalité de la résurrection du Christ. Cela rend l'espérance chrétienne différente de toutes les autres.

N. T. Wright explique que l’évènement de la résurrection du Christ a pour lui des preuves qui nécessitent des explications de la part des historiens et des scientifiques qui le mettent en doute. On ne peut pas simplement l'écarter. Il écrit ainsi : « Dans la mesure où je comprends la méthode scientifique, lorsque quelque chose apparaît qui ne correspond pas au paradigme avec lequel vous travaillez, une option… est de changer le paradigme ». Nous ne devons pas exclure les preuves simplement parce que notre ancien paradigme ne peut pas en rendre compte, mais nous devons les inclure dans un nouveau paradigme, « un ensemble plus large ». Ne pas parvenir pas à fournir une autre explication historiquement plausible aux récits des témoins oculaires et au changement radical, du jour au lendemain, de la vision du monde de milliers de Juifs, ne nous rend pas plus scientifiques, mais moins.

Diverses formes de progressisme occidental croient que l'histoire évolue vers plus de liberté individuelle, plus d'égalité des classes, plus de prospérité économique ou de paix et de justice acquises grâce à la technologie. Mais ces points de vue ne sont pas des hypothèses que l'on peut tester. Ce sont des espoirs, des croyances qui ne sont pas ancrés dans le domaine empirique. La résurrection du Christ, en revanche, s’appuie sur des preuves convaincantes du domaine empirique. Ainsi, tout en exigeant la foi, elle offre un espoir hautement raisonnable, rationnel, qu'il existe un Dieu qui va renouveler le monde.

L'espérance chrétienne est pleine

Toutes les religions ont offert à leurs fidèles l'espoir d'un avenir au-delà de la mort. Notre culture séculière matérialiste, en contraste radical, est la première de l'histoire à dire à ses adhérents que les individus et l'histoire du monde se termineront dans l'oubli ultime. Au bout du compte, nous allons vers le néant, à la fois en tant que civilisation et en tant qu’individus.

D'autres religions ont une perspective « spiritualiste », en ce sens qu'elles croient que la matière est sans importance et que, en fin de compte, tout ce qui subsistera sera du domaine de l'esprit. La culture séculière, bien sûr, est matérialiste puisqu’elle croit qu'il n'y a ni âme ni réalité surnaturelle, que tout a une cause simplement matérielle, physique.

Le christianisme diffère de ces deux points de vue. Il ne se contente pas d'offrir la perspective d'un avenir entièrement spirituel au paradis. La résurrection de Jésus est, pour citer le grec du Nouveau Testament, arrabon, acompte, et aparche, prémices d'une future résurrection physique lorsque le monde matériel sera renouvelé. Ce sera un monde dans lequel la justice habitera, toute larme sera essuyée, un monde dans lequel la mort et la destruction seront bannies pour toujours, un monde où le loup se couchera avec l'agneau : autant de façons lyriques et poétiques de dire que ce monde sera réparé, régénéré, libéré de son esclavage à l’égard de la corruption et de la mort (Rm 8.18-23).

Tout cela constitue l'espérance la plus pleine qui soit. La résurrection du Christ ne nous promet pas seulement une consolation future pour la vie que nous avons perdue, mais la restauration de la vie perdue, et infiniment plus. Elle promet le monde et la vie que nous avons toujours désirés mais que nous n'avons jamais eus.

L'espérance chrétienne est réaliste

La philosophie de G. W. F. Hegel a longtemps exercé une grande influence sur la pensée occidentale. Hegel enseignait que l'histoire se déroulait selon une « dialectique » dans laquelle, à chaque époque, des forces contradictoires parvenaient à une nouvelle synthèse, plus grande. Ainsi, chaque époque est censée être meilleure que la précédente et l’histoire progresse en une série d'étapes ininterrompues. Comme l’a montré le siècle passé, une telle perspective est tout simplement irréaliste. Le christianisme propose une destinée infiniment plus grande et plus merveilleuse pour l'histoire et la société humaines, et il le fait de manière réaliste.

Lorsque nous considérons la mort et la résurrection de Jésus, nous découvrons un modèle divin très différent. Sa vie n'a pas été une série d'étapes ascendantes. Il s'est dépouillé de sa gloire, il est venu et il est mort, mais cette spirale descendante a débouché sur une ascension vers des sommets plus élevés encore, car à présent il dirige non seulement le monde en général, mais aussi le peuple qu’il a sauvé. Ce n'est que par sa souffrance et sa descente qu'il a pu nous sauver et s'élever.

Il ne s'agit pas de la fusion hégélienne de forces égales et opposées. Jésus n'a pas « synthétisé » la sainteté avec le péché ou la vie avec la mort. Il a vaincu le péché et la mort au moyen de sa mort. La vie et le ministère de Jésus ne sont pas non plus les ruptures de séquence aléatoires décrites par certains postmodernistes. Jésus passe par les ténèbres pour finalement nous amener à une plus grande lumière. L'histoire se dirige vers un destin extraordinaire, mais pas par une série d'époques successives permettant d’aller de progrès en progrès, de force en force. Ce n'est pas ainsi que Dieu agit.

L'idée séculière du progrès est naïve et irréaliste. Il est faux de fonder une société sur l'hypothèse que chaque génération connaîtra plus de prospérité, de paix et de justice que la précédente. Et l'alternative postmoderne nous prive de tout espoir. Le christianisme, en revanche, nous offre une manière réaliste et non cynique de considérer l'histoire.

L'espérance chrétienne est efficace

Enfin, l'espérance chrétienne agit au niveau de la vie quotidienne, au niveau pratique.

Le Nouveau Testament utilise le mot espérance de deux manières. Lorsqu'il s'agit d'espérer dans les êtres humains et en nous-mêmes, l’espérance est toujours relative, incertaine. Si vous prêtez à quelqu'un, vous le faites dans l'espoir que cette personne vous remboursera (Lc 6.34) ; si nous labourons et semons, nous le faisons dans l'espoir qu'il y aura une récolte (1 Co 9.10). Nous choisissons les meilleures méthodes et les pratiques les plus raisonnées pour obtenir le résultat escompté. Nous pensons que nous avons tout pesé avec attention et qu’ainsi nous contrôlons la situation. Mais ce n'est pas le cas, ce n'est jamais le cas. Il s'agit seulement d'un espoir relatif, d'un espoir que cela se passera bien comme nous l’avons prévu.

Lorsque l'objet de l'espérance n'est pas un agent humain, mais Dieu lui-même, alors l'espérance devient confiance, certitude, pleine assurance (Hé 11.1). Avoir placé notre espoir en Dieu, ce n'est pas éprouver un désir incertain et anxieux qu'il va peut-être confirmer notre plan, c’est reconnaître que lui et lui seul est digne de confiance, que tout le reste n’est pas fiable (Ps 42.5, 11 ; 62.10), que son plan est infiniment sage et bon. Croire en la résurrection de Jésus c’est confirmer qu'il existe un Dieu qui est à la fois bon et puissant, qui fait sortir la lumière des ténèbres et qui élabore patiemment un plan pour sa gloire, notre bien et le bien du monde (Ep 1.9-12 ; Rm 8.28). L'espérance chrétienne signifie que je cesse de parier ma vie et mon bonheur sur les accomplissements de l’être humain mais que je me repose sur Lui.

Une personne à qui on annonce un diagnostic de cancer mettra à juste titre un espoir relatif dans les médecins et le traitement médical envisagé. Mais sa principale source d’espérance doit être placée en Dieu. Nous pouvons avoir la certitude que son plan et sa volonté pour nous sont toujours bons et parfaits et que notre destin inévitable est la résurrection. Si le principal espoir d'un patient atteint d'un cancer réside dans la médecine, alors un diagnostic défavorable sera tout simplement dévastateur. Mais si son espoir est dans le Seigneur, il sera comme une montagne qui ne peut être ni ébranlée ni déplacée (Ps 125.1). Le prophète Ésaïe (40.31) nous dit que ceux qui « espèrent en l'Éternel » ne se lassent pas, submergés par l’anxiété, mais « renouvellent sans cesse leurs forces » et même « s'élèvent ». L'espoir placé en Dieu conduit à « courir sans se lasser » et à « marcher sans se fatiguer ».

Jésus nous a apporté cela par sa mort et sa résurrection. Lorsque cette assurance demeure en nous, nos circonstances immédiates – la manière dont une situation évolue – ne peuvent plus nous troubler. L'espoir se trouve dans notre regard tourné vers Lui.

Timothy Keller est le pasteur fondateur de la Redeemer Presbyterian Church à New York. Cet article est adapté de HOPE IN TIMES OF FEAR, de Timothy Keller, publié par Viking, une marque du Penguin Publishing Group, une division de Penguin Random House LLC. L'édition française est publiée par les Editions Clé. Copyright © 2021 par Timothy Keller.

Traduit par Denis Schultz

Révisé par Léo Lehmann

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Books
Review

Parents chrétiens : Vous n’avez pas à protéger vos enfants des opinions divergentes

Si ce que nous leur enseignons est vrai, un examen minutieux ne fera que le confirmer.

Christianity Today April 7, 2021
Illustration by Rick Szuecs / Source image: Dan Kenyon / Getty

« J'ai finalement abandonné le christianisme à l'âge de 15 ans », écrit le célèbre athée Richard Dawkins dans Outgrowing God : A Beginner's Guide (traduction française à venir aux éditions H&O). Dawkins espérait atteindre la nouvelle génération en lui annonçant qu’elle n'avait pas besoin de religion. Au cours des décennies qui ont suivi le lancement du mouvement néo-athée, on a pu penser qu’il y avait là le seul message émanant du monde universitaire.

10 Questions Every Teen Should Ask (and Answer) about Christianity

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Crossway

208 pages

$6.43

La croyance religieuse était censée décliner au fur et à mesure que le monde se modernisait. Mais cela n’a pas été le cas. Être un universitaire de renommée mondiale et un chrétien orthodoxe sérieux était censé être de plus en plus intenable. Mais cela n’a pas été le cas. Abandonner la religion était censé rendre les gens plus heureux, plus sains et plus moraux. Mais encore une fois cela n’a pas été le cas. En fait, même Dawkins a dû reconnaître (à contrecœur) que les personnes qui croient en Dieu semblent, selon toute évidence, se comporter généralement mieux que celles qui n'y croient pas.

De manière générale, la croyance et la pratique religieuses semblent être bonnes pour la société – et bonnes pour les enfants. Dans un article paru dans le Wall Street Journal en 2019, la thérapeute Erica Komisar donnait ce conseil provocateur : « Vous ne croyez pas en Dieu ? Mentez à vos enfants ».

Komisar ne lançait pas cette idée au hasard. En effet, il existe de plus en plus de preuves que la pratique religieuse régulière a un impact positif quantifiable sur la santé, le bonheur et le comportement social de nos enfants. Dans une étude récente, l'école de santé publique T. H. Chan de l'Université de Harvard a constaté que cette pratique dans l’enfance avait tout un éventail de conséquences en matière de santé et de bien-être plus tard dans la vie. Bien sûr, rien de tout cela ne signifie que la croyance en Dieu est juste, ou que le christianisme soit véridique. Ces données devraient cependant nous amener à réfléchir avant de supposer que nos enfants se porteront mieux sans religion.

Si ces données pourraient interpeller les parents non religieux, il en résulte aussi que le déclin de l'intérêt pour la religion (du moins en Occident) a de quoi inquiéter les croyants. Alors que les preuves des bienfaits d'une éducation religieuse s'accumulent, les vents de la culture éloignent les enfants des ancrages religieux. Que doivent faire les parents, les grands-parents et les personnes chargées de l'éducation des enfants devant ces enjeux de taille ?

Quelles que soient nos croyances à propos de Dieu, il y a certaines choses sur lesquelles je suis certaine que nous sommes d'accord : nous voulons tous que nos enfants soient heureux, en bonne santé, qu’ils agissent bien et qu'ils aient un but dans la vie. Peu d'entre nous voudraient mentir à nos enfants, surtout en ce qui concerne nos croyances les plus profondes. Nous voulons qu'ils connaissent la vérité. Mais nous voulons aussi les protéger de mensonges qui pourraient leur paraître plausibles. Au fond de nous, nous reconnaissons qu'il y a une tension. En effet, pour que nos enfants soient vraiment en sécurité à long terme, nous devons les laisser prendre des risques maintenant. Cela parait plus évident lorsqu'il s'agit de compétences pratiques. Les bébés n'apprendront pas à marcher si nous ne les laissons pas tomber. Les enfants n'apprendront pas à faire du vélo si nous ne les laissons pas risquer une ou deux petites chutes. Les adolescents que l'on n'a pas voulu laisser partir à vélo ne seront pas prêts pour conduire une voiture.

Comment cela se traduit-il dans le domaine des idées ? Pour certains parents, protéger leurs enfants d’idées dangereuses apparaît comme une nécessité. J'ai entendu cela aussi bien de la part de chrétiens qui ne veulent pas que leurs enfants soient exposés à l'athéisme que de la part d'athées qui ne veulent pas que leurs enfants soient exposés au christianisme. Je l'ai même entendu de la part de parents qui pensent avoir l'esprit très ouvert et encouragent leurs enfants à explorer différentes traditions religieuses. Pour ces personnes, l'idée vraiment dangereuse serait que l'une de ces religions puisse être vraie. Nombre d'entre nous, qui expérimentons aujourd'hui les réalités de la parentalité, avons été élevés avec la pensée qu’il était arrogant, blessant et malvenu de remettre en question les croyances religieuses d’une personne.

Je voudrais proposer une approche différente. Plutôt que de protéger mes enfants des idées différentes, ou de les exhorter à accueillir toutes les croyances à égalité, je veux leur donner les moyens d'avoir de vraies conversations avec de vraies personnes qui pensent vraiment différemment d'eux – et de moi. Je veux qu'ils apprennent à bien écouter et à remettre en question ce qu'ils entendent. Si ce que je crois est vrai, un examen approfondi n’y fera aucun tort.

La foi chrétienne a vu le jour dans un monde farouchement hostile à ses affirmations. Mais au lieu d'éteindre la petite étincelle de l'Église primitive, les vents de l'opposition lui ont donné de l'oxygène pour se propager. Je ne veux pas que mes enfants croient en Jésus simplement parce que je leur dis de le faire, ou simplement parce que c'est la religion la plus répandue et la plus diversifiée au monde, ou encore parce qu'aller à l'Église vous rend plus heureux, en meilleure santé et plus généreux envers les autres. Je veux qu'ils voient Jésus par eux-mêmes et qu'ils découvrent la véracité de ce qu'il affirme à son propre sujet.

Contenu adapté de 10 Questions Every Teen Should Ask (and Answer) about Christianity de Rebecca McLaughlin. Copyright ©️ 2021. Utilisé avec la permission de Crossway, un service éditorial de Good News Publishers, Wheaton, IL 60187. www.crossway.org.

Ouvrage à paraître en français chez BLF Editions (www.blfeditions.com) sous le titre 10 questions que tu devrais te poser sur le Christianisme.

Traduit par Simon Fournier

Révisé par Léo Lehmann

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