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Des centaines de pasteurs russes s’opposent à la guerre en Ukraine.

Les évangéliques ukrainiens réclament davantage de Bonhoeffers. Des évangéliques russes se mobilisent.

Une femme tient une pancarte « Arrêtez la guerre » dans le centre de Moscou lors d’une manifestation contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 3 mars 2022.

Une femme tient une pancarte « Arrêtez la guerre » dans le centre de Moscou lors d’une manifestation contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 3 mars 2022.

Christianity Today March 5, 2022
Contributor/AFP/Getty Images

Certains évangéliques ukrainiens en ont assez.

Éprouvés par une semaine de guerre, ils ont entendu de nombreuses prières pour la paix de la part de leurs collègues russes, mais pas de condamnation.

« Vos unions ont félicité Poutine et l’ont remercié pour la liberté religieuse dont ils jouissent », dit Taras Dyatlik, directeur régional d’Overseas Council pour l’Europe orientale et l’Asie centrale. « Le moment est venu de faire usage de cette liberté ».

Alors que Kiev, Kharkiv, Kherson et d’autres villes subissent lourdement l’invasion russe, les Nations unies signalent la mort de plus de 200 civils. Le service d’urgence de l’État ukrainien en dénombre plus de 2 000. Les pertes militaires sont controversées, les deux nations faisant état de milliers de morts dans les rangs adverses.

Mais plutôt que de se concentrer sur les chiffres, Dyatlik, qui coordonne un réseau régional de dizaines de séminaires protestants, se tourne vers la Bible.

« Souvenez-vous de Mardochée et d’Esther », écrivait-il le 1er mars dans une lettre ouverte. « Ne soyez pas comme Josaphat, qui a conclu une alliance avec Achab et s’est tu lorsque Dieu a parlé par l’intermédiaire du prophète Michée. »

Dyatlik reproche à ses collègues russes de s’être ralliés à la rhétorique nationale, d’abord en 2014, lorsque les forces soutenues par la Russie ont envahi la région orientale du Donbass, et à nouveau aujourd’hui. Mais « suppliant à genoux », il a engagé sa réputation auprès des responsables d’unions évangéliques en Russie, tout en reconnaissant leur difficile réalité.

« Vous craignez la prison », dit-il. « [Mais] ne soyez pas fidèle à Poutine. Soyez fidèle au corps du Christ. »

Vendredi 4 mars, la Douma, le parlement russe, a adopté une nouvelle loi prévoyant jusqu’à 15 ans de prison ceux qui diffuseraient des « informations mensongères » à propos des violences en Ukraine, tandis que les autorités répriment les Russes qui qualifient l’« opération militaire » de « guerre ». Dénigrer les forces armées peut désormais entraîner une peine de trois ans de prison ; appeler à des rassemblements contre la guerre peut coûter cinq ans. En fonction du degré de gravité, les chrétiens et les autres citoyens russes qui commettent de tels actes sont également passibles d'amendes et de travaux forcés.

Dyatlik n’est pas le seul à se sentir frustré par la situation. S’il fait appel aux Écritures, son collègue Valerii Antoniuk, lui, fait appel à l’histoire.

« Où sont vos Bonhoeffers, où sont vos Barths ? » demande le chef de l’Union panukrainienne des Églises des chrétiens évangéliques-baptistes. « Votre silence présent est le sang et les larmes des enfants, des mères et des soldats ukrainiens — il est sur vos mains ».

Pavel Kuznetsov, quant à lui, veut simplement que l’on utilise les mots justes — loi ou pas loi.

« De nombreux croyants en Russie prient au sujet de la “situation” en Ukraine. La situation s’appelle GUERRE », écrit sur Facebook le pasteur de l’Église Parole de vie à Boyarka, à 25 km au sud-ouest de Kiev. « Quand vous prierez encore, dites à Dieu que c’est une guerre, et que nous sommes tués ici ». Plusieurs centaines d’évangéliques russes auraient reçu le message.

« Le temps est venu où chacun d’entre nous doit appeler les choses par leur vrai nom, tant que nous avons encore une chance d’échapper à la punition d’en haut, et d’empêcher l’effondrement de notre pays », déclare une lettre ouverte signée par un groupe de pasteurs russes et d’autres responsables protestants. « Nous demandons aux autorités de notre pays de mettre fin à cette effusion de sang insensée ! ».

Leur message est également biblique. Il cite Jérémie 18.7-8, qui affirme que la nation qui se détourne de ses mauvaises habitudes sera épargnée. Il fait référence à Caïn commettant le péché de fratricide contre son frère Abel. Et il appelle leur nation à appliquer les paroles de Jésus : « Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prendront l’épée mourront par l’épée. » (Mt 26.52).

Dyatlik a reçu cette déclaration avec une grande joie, mais aussi dans une attitude de prière fervente. « Ils risquent littéralement leur vie », explique-t-il. « Mais ils montrent leur amour pour le Seigneur et son corps : nous sommes un dans l’Esprit ».

La lettre ouverte est disponible sur le site web de la maison d’édition Mirt, un petit éditeur évangélique de Saint-Pétersbourg, et est signée par une majorité de baptistes et de pentecôtistes russes affiliés à des Églises ou des séminaires à Moscou, Saint-Pétersbourg et plus de 40 autres villes. Elle a été clôturée après avoir collecté 400 signatures en deux jours.

« C’est une démarche extraordinairement courageuse par rapport à la timidité évangélique qui régnait auparavant sous Poutine », déclare Mark Elliott, rédacteur en chef émérite de East-West Church Report, une revue qui s’attache depuis 29 ans à expliquer le christianisme eurasiatique aux chrétiens de l’Ouest. « Je suis stupéfait et encouragé par le fait que ces personnes défendent courageusement l’Ukraine. Ils souffriront pour cela, à moins que Poutine ne soit détrôné. Que le Seigneur ait pitié. »

« Cette lettre n’est pas une réaction typique des protestants russes. Rester à l’écart de la politique a été leur principale position pendant des décennies », déclare Andrey Shirin, professeur au séminaire baptiste de Virginie, né en Russie. « Ils ont été régulièrement accusés par les autorités soviétiques d’être antigouvernementaux. En réponse, ils ont affirmé être des croyants, pas des politiciens. »

« De nombreux protestants russes maintiennent cette position dans le conflit actuel », ajoute-t-il. « Mais certains souhaitent une plus grande implication dans la société, et la tragédie qui se déroule en Ukraine a touché une corde sensible. »

L’un des cosignataires, cependant, s’oppose à l’idée que tous les chrétiens russes devraient faire de même.

Alexey Markevich, l’un des neuf protestants russes à avoir signé officiellement la lettre avant qu’elle ne soit diffusée publiquement, estime que tout le monde ne doit pas être un Bonhoeffer.

« La première vocation de l’Église est la proclamation de la Parole de Dieu [… C]ette proclamation se fait de diverses manières : les pasteurs prêchent, les théologiens écrivent, les philanthropes distribuent du pain, les gens pleurent avec ceux qui pleurent, les militants se tiennent sur les places », affirme-t-il. « Il est important pour chacun d’entre nous de discerner sa vocation et de la remplir honnêtement devant Dieu, en le servant et en servant les gens. »

Par ailleurs, Bonhoeffer et d’autres figures célèbres de la lutte contre le mal, s’ils sont des modèles de fidélité, ne correspondent pas directement aux demandes que les Ukrainiens adressent aux Russes aujourd’hui.

« Leurs exemples sont importants et pertinents pour nous », explique Markevich. « Mais [ils ne sont pas] sortis manifester, et [Bonhoeffer] n’a mené aucune activité publique. »

Il sera difficile d’obtenir des résultats par de telles actions, selon lui. Que ce soit en écrivant des lettres ou en remplissant les places publiques, les évangéliques de Russie n’ont aucune influence politique pour arrêter la guerre. Certains essaieront tout de même, comme Markevich dit l’avoir fait depuis 2014. Mais le véritable pouvoir se trouve ailleurs.

« Dieu peut arrêter la guerre », dit-il. « C’est pourquoi nous crions vers lui ».

Moins risqué, mais néanmoins coûteux sur le plan ecclésial, certains prêtres orthodoxes ukrainiens affiliés à Moscou demandent à leurs évêques locaux de désavouer le patriarche Kirill de l’Église orthodoxe russe.

« Cette tragédie sans précédent [et] déchirante a été attisée par la conspiration malintentionnée et l’inaction malveillante d’une personne que nous ne pouvons pas reconnaître comme notre patriarche », ont affirmé dix prêtres du diocèse de Tcherkassy de l’Église orthodoxe ukrainienne, à 190 km au sud-est de Kiev, dans une déclaration commune.

« Nous demandons la rupture de toutes les relations avec l’Église orthodoxe russe, et le rétablissement de la communion eucharistique avec le patriarche œcuménique. »

En 2019, le patriarche œcuménique de l’Église orthodoxe basé à Istanbul a reconnu l’indépendance de l’Église « orthodoxe d’Ukraine », tandis que de nombreuses paroisses en Ukraine ont rejeté cette décision et ont choisi de rester dans l’Église « orthodoxe ukrainienne » sous l’égide du patriarcat de Moscou, comme dans le passé. (Les chiffres exacts des paroisses ukrainiennes affiliées à l’Église orthodoxe d’Ukraine et à l’Église orthodoxe ukrainienne sont difficiles à déterminer)

Désormais bombardés par les forces russes, les dix prêtres ont adressé leur lettre au métropolite Onufriy, chef de l’Église orthodoxe ukrainienne, et ont exigé que leur évêque local rompe les liens avec Kirill.

Ils se sont également appuyés sur la Bible, renvoyant à Esther et à Proverbes 24, qui enjoint le croyant à ne pas feindre l’ignorance, mais à secourir ceux qui sont confrontés à la mort.

« Nous trouverons la force de tenir non pas avec des individus faibles d’esprit », ont-ils déclaré, « mais avec le Christ, qui est notre véritable pasteur, père et protecteur, à qui reviennent l’honneur et la gloire pour tous les temps. Amen. »

Leur action a été suivie par les prêtres de l’Église orthodoxe ukrainienne de Lviv, qui est devenu le premier diocèse à appeler unanimement à la rupture avec Moscou.

« Aujourd’hui, les masques tombent. Il est évident pour tout le monde que derrière des paroles sur l’amour fraternel et la création d’un espace spirituel unique du “monde russe” se cachait une volonté humaine de faire disparaître et d’ignorer le peuple ukrainien libre et attaché à Dieu », affirment-ils dans leur communiqué, comparant Poutine au Caïn biblique.

« Maintenir l’unité de la prière et de l’eucharistie avec le Patriarcat de Moscou […] fait passer les fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne pour des collaborateurs ennemis, et des traîtres. »

Le monde connaît de semblables divisions.

Le 2 mars, l’Assemblée générale des Nations unies a voté par 141 voix contre 5, avec 35 abstentions, pour condamner la Russie et demander la fin des hostilités. Seules la Biélorussie, la Syrie, la Corée du Nord et l’Érythrée se sont jointes à la Russie pour s’opposer à cette mesure.

Sergei Ryakhovsky, président de l'Union russe des chrétiens de confession évangélique, l'une des deux plus grandes associations pentecôtistes du pays, a été cité dans Vzglyad, un journal russe en ligne, comme priant pour que l’« opération militaire russe » – terminologie préférée de Poutine – prenne fin avant Pâques, le 24 avril, et présentant Jean-Baptiste comme défenseur des soldats.

« Tout chrétien, quelle que soit sa confession, est contre la violence », aurait-il déclaré, selon l'article de Vzglyad. « Mais en même temps, je suis conscient que la paix s'obtient par différentes méthodes, y compris la force, comme dans cette situation. »

Ryakhovsky a par la suite dénoncé cette interview comme fausse dans un post Instagram. « Chers frères et sœurs, si dans un avenir proche vous lisez dans la presse des citations de moi à propos de l’Ukraine, sachez qu'elles sont fausses », a-t-il posté vendredi. Entre temps, l’article de Vzglyad a été retiré.

De nombreux analystes prédisent un conflit de longue durée.

« Le plus probable est que les occupants ne feront qu’accroître leurs efforts, détruisant notre pays et nos vies », estime Roman Soloviy, directeur de l’Institut de théologie d’Europe de l’Est à Lviv. « Par conséquent, nous ne pouvons pas abandonner. […] Au milieu du chaos, de la douleur et de la mort, nous devons rester entre les mains de Dieu des instruments de réconfort, d’aide et d’espoir. »

Et une partie de ces choses provient désormais aussi de Russie, alors même que son gouvernement a entrepris de censurer ses médias. Les sources d’information libérales Dojd et l’Écho de Moscou ont récemment été fermées, mais certains leaders évangéliques continuent de s’exprimer.

« Aucun intérêt ou objectif politique ne peut justifier la mort de personnes innocentes », indique leur lettre ouverte. « La guerre détruit non seulement l’Ukraine, mais aussi la Russie : son peuple, son économie, sa moralité et son avenir. »

Traduit par Léo Lehmann

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