Le mois passée, la couronne épineuse du COVID-19 a capté l'attention du monde entier. Il est rare de vivre un malaise mondial répandu à une telle échelle,un malaise pendant lequel nous nous retrouvons tous à vivre la même chose. D'une certaine manière, le bruit de la vie moderne a été évincé par ce que CS Lewis a appelé «le mégaphone de Dieu»: la douleur.
Les patients meurent. Les gens ont peur. Et nous nous retrouvons coincés entre une désinvolture arrogante («Le coronavirus n'est qu'une autre grippe») et une terrible paranoïa («Nous sommes au bord de l'effondrement financier»). À la suite de l'épisode, ce podcast «Italian COVID19 Experience», dans lequel des intensivistes pédiatriques américains et australiens ont parlé franchement avec des spécialistes des soins intensifs des ICUs en Italie, chacune de nos institutions nous prépare pour les prochaines semaines avec un sérieux unique … même pour ceux d'entre nous, médecins, qui sont familiers avec la souffrance, le triage et l'incertitude.
C'est bien d'avoir peur, nous aussi avons peur. Cependant, en tant que chrétiens travaillant à l'intérieur et à l'extérieur de l'espace des soins de santé, c'est un moment où notre réponse pourrait nous distinguer en tant que peuple qui pratique ce qui était autrefois appelé par les premiers païens «une religion pour les malades».
À cette fin, nous voulons partager certaines de nos expériences de la pandémie du COVID-19 en tant que médecins résidents et stagiaires – et en tant que boursiers de la Theology, Medicine, and Culture Fellowship à Duke Divinity School, qui rassemble des stagiaires en médecine, des théologiens et des pasteurs qui doivent réfléchir théologiquement aux premières avancées des soins sanitaires – afin de mettre en évidence les contributions chrétiennes uniques de la repentance, de l'hospitalité et de la lamentation dans le cadre des préparatifs nécessaires pour lutter contre le nouveau coronavirus.
La repentance contre l'idolâtrie de la santé
La santé est un bien reconnu dans notre société, et pour cause. Le prophète Jérémie a parlé de la promesse de Dieu d'accorder la santé et de guérir les blessures. Dans l'Ecclésiaste, on nous dit de nous réjouir de la santé de nos jeunes. L'apôtre Jean a prié pour la santé de ses lecteurs.
Bien que la santé soit un bien à poursuivre et à maintenir, nous discernons que nous avons transformé un «bien» en un «dieu». En effet, si le coronavirus est nouveau, il ne représente pas une nouvelle peur. Il révèle simplement l'idole calme et bien nourrie que constitue la santé de notre corps ainsi que notre confiance dans la capacité de nos institutions médicales à nous sauver. L'Occident sent que l'une de ses plus grandes idoles commence à s'ébranler.
Le théologien orthodoxe Jean-Claude Larchet va jusqu'à affirmer que les cliniciens constituent une «nouvelle classe sacerdotale» de cette idole, dans laquelle les médecins et autres agents de santé dispensent un nouveau «salut de la santé» aux fidèles dévoués. Dans A Theology of Illness, il écrit que la médecine moderne «encourage les patients à considérer que leur état et leur sort sont entièrement entre les mains du médecin… et que la seule façon de supporter leur souffrance est de se tourner passivement vers la médecine pour tout espoir de soulagement ou de guérison."
L'hystérie entourant le nouveau coronavirus et notre obsession «d' aplatir la courbe » démasquent une croyance profondément ancrée selon laquelle la mort de chacun d'entre nous serait à la fois une occasion extraordinaire et, en même temps, un échec des efforts de notre société pour nous protéger. Il ne faut donc pas s'étonner que dans un effort pour contrer notre anxiété, nous employions le langage du contrôle médical: «la morbidité et la mortalité des personnes relativement jeunes et en bonne santé sont faibles».
Et pourtant, c'est précisément à la population opposée – les personnes relativement âgées et malades – que les chrétiens sont appelés à accorder la plus grande attention. Le Psaume 82 et Romains 15 montrent clairement que l'adoration de notre propre bien-être néglige notre appel à l'égard des faibles faibles – ceux auxquels Christ s'identifie à plusieurs reprises tout au long du Nouveau Testament. C'est l'orgueil médical qui nous dit que 99% de notre population survivra probablement au coronavirus. Mais c'est l'amour du berger qui demande, sans vergogne, "Qu'en est-il du 1 pour cent?"
L'hospitalité contre la distance sociale
L'historien Gary Ferngren souligne dans Médecine et soins de santé au début du christianisme que les seuls soins prodigués aux malades lors d'une épidémie de variole en 312 après JC l'étaient par des chrétiens. L'Eglise a même engagé des fossoyeurs pour enterrer ceux qui étaient morts dans les rues.
Quelque chose que nous avons rapidement oublié, à l'ère des antiviraux et des équipements de protection individuelle, c'est la crainte absolue que la possibilité d'une maladie comme celle-ci instille chez les autres. Si vous interagissiez avec une personne atteinte de peste en 1350 ou avec la grippe espagnole en 1918, il y avait une réelle possibilité que vous l'attrapiez et que vous mourriez. La prière: «et si je meurs avant de me réveiller, je prie le Seigneur qu'il prenne mon âme» était un véritable appel, pas un trope nocturne.
Le nouveau coronavirus a ramené un peu de cette peur dans notre vie quotidienne. C'est une peur qui se manifeste dans les étagères balayées de masques et de fournitures de nettoyage dans les grands magasins et les hôpitaux et même dans la xénophobie et les crimes de haine contre certains individus à cause leur appartenance ethnique perçue par rapport à l'origine du COVID-19 en Chine. Cette peur s'exprime de façon évidente dans nos boîtes de réception remplies d'annulations et de protocoles toujours à jour.
Mais les chrétiens sont un peuple pour qui l'hospitalité envers la minorité et les personnes potentiellement infectées est une vertu centrale, qui sous-tend la tradition chrétienne et la pratique de la médecine moderne, que nous le sachions ou non. Nous oublions qu'il fut un temps où les gens ne s'occupaient pas inconditionnellement des malades simplement parce qu'ils étaient malades. En effet, le mot hospitalité (d'où nous obtenons l' hôpital ), vient du latin hospes signifiant «hôte» ou «invité». Le premier prototype de l'hôpital est né de monastères médiévaux dans lesquels des religieuses ou des moines catholiques hébergeaient des étrangers ayant besoin de logement et de nourriture. Ces institutions médiévales étaient centrées sur la conviction que servir l'étranger souffrant, c'était servir le Christ lui-même. Cette métaphore du cliché de l'Eglise – «un hôpital pour les pécheurs» – a connu un nouvel approfondissement.
C'est pour cette raison que le terme désormais familier de « distanciation sociale » – l'effort conscient pour réduire les contacts interpersonnels afin de prévenir la transmission virale – a amené les chrétiens à se demander quoi faire. Si l'on fait référence à la tradition, de longue date, du christianisme, eu égard à la communion et à l'attention portée aux exclus, nous devons nous attendre à ressentir un malaise avec l'idée d'éviter intentionnellement ceux qui en ont besoin.
Et tandis que le discours sur la quarantaine est certainement troublant, nous pouvons nous rappeler qu'il est courant depuis un certain temps de séquestrer les malades. En effet, nous isolons déjà les mourants dans les hôpitaux et les déplaçons souvent de façon permanente dans les maisons de retraite. Nous vivons au milieu d'une épidémie de solitude qui mène déjà à des effets néfastes sur la santé. Lorsque de véritables maladies mettant la vie en danger surviennent, nous ne devrions donc pas être surpris de ne pas savoir quoi faire. Nous n'avons pas eu l'habitude de pratiquer cela . Nous n'avons pas élevé nos enfants autour d'une telle situation. Notre culture est une culture qui traite la mort et la souffrance physique comme des exceptions à ignorer plutôt que comme des éventualités auxquelles il faut se préparer. L'éthicien et théologien Stanley Hauerwas l'exprime ainsi:
L'hôpital est, après tout, avant tout une maison d'hospitalité tout au long de notre voyage avec la finitude. C'est notre signe, à nous, que nous n'abandonnerons pas ceux qui sont tombés malades. … Si l'hôpital, comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui, ne devient qu'un moyen d'isoler les malades du reste d'entre nous, alors nous avons trahi son objectif central et déformé notre société hospitalière et nous-mêmes.
Le poète métaphysique John Donne a écrit: "Comme la maladie est la plus grande misère, la plus grande misère de la maladie est la solitude." Quelles que soient les pratiques de quarantaine sociale que nous entreprendrons, nous ferions bien de nous rappeler que notre ère d'isolement restera une fois que cette pratique de «distanciation sociale» aura disparu. Peut-être que cette pandémie est une chance de nous réveiller à la réalité que nous avons été entourés de malades isolés bien avant que le nouveau coronavirus ne nous trouve chez nous.
En même temps, l'éloignement social est quelque chose que l'Eglise peut accomplir charitablement et courageusement. C'est un devoir littéralement corporel («corporel») que nous avons la possibilité d'accomplir par amour pour protéger les plus vulnérables d'entre nous – devoir auquel nous associons, avec sagesse pratique et humilité, la science des maladies infectieuses.
Nous arriverons à être créatifs dans notre façon de tendre la main et de pratiquer «l'accompagnement social» à l'égard de ceux qui sont déjà enclins à l'isolement social: les personnes âgées, les infirmes et les handicapés. Nous pourrions apporter la Cène aux malades dans des vêtements de protection, appeler les personnes dans les maisons de retraite (qui deviendront de plus en plus isolées car les visites seront limitées à ces communautés) et écrire des lettres de prière.
Lamentation contre anxiété
Alors que le monde déplore l'annulation d'événements sportifs ou l'arrêt de l'économie (toutes choses appropriées pour être découragé), le christianisme reconnaît que le nouveau coronavirus et notre réponse par l'éloignement social font de l'Eglise quelque chose de moindre que la plénitude qu'elle devrait présenter. Si l'éloignement social est quelque chose que nous devons faire, nous ne devrions pas le faire sans psaumes de lamentation.
Et la complainte deviendra de plus en plus importante dans les semaines à venir. Les travailleurs médicaux en Italie (peut-être le système de soins de santé le plus similaire de celui d'Amérique du Nord) ont considérablement limité les interactions familiales avec les malades dans les soins intensifs. La plupart des familles ne peuvent pas voir les corps de leurs proches après leur mort. Comme nous l'avons appris par nos collègues intensivistes italiens, nous pouvons, nous aussi, nous trouver incapables de faire ce qui est le mieux pour chaque patient, car nous devons trouver l'équilibre le meilleur possible pour l'ensemble de la communauté – ce qui ne peut que troubler grandement ceux d'entre nous qui sommes médecins, et donc habitués à pouvoir faire tout ce qui est possible. Tout cela peut potentiellement conduire à un grand chagrin et à l'épuisement.
Il est étrange que nous ayons été dans la saison du Carême. Peut-être aurions-nous dû regarder le dimanche de Pâques avec un nouvel espoir, non seulement de tombes ouvertes mais de cathédrales réouvertes. La Semaine Sainte à l'époque du COVID-19 – au cours de laquelle nous nous sommes souvenus de la souffrance du roi sur le chemin du Golgotha – prendra certainement un nouveau sens.
En effet, il est intéressant de noter que le coronavirus tire son nom d'un anneau de protéines enrichi à sa surface qui ressemble à une couronne, d'où le titre de «corona». À bien des égards, le coronavirus révèle les têtes couronnées que nous adorons déjà: la santé, l'autoprotection et la médecine. Notre attention globale et soutenue au COVID-19 manifeste ce que nous recherchons par anxiété, contrôle et peur.
Bien sûr, nous savons que Jésus portait une couronne différente – une couronne qui nous appelle à adorer non pas par anxiété, ou par contrôle, mais par un amour qui chasse toute peur. Cette couronne ne rend certes pas ce moment de coronavirus moins grave, mais elle nous dit où jeter nos angoisses, qui réconforter et de quelle couronne épineuse se souvenir.
Brewer Eberly est un médecin résident de première année en médecine familiale au AnMed Health Medical Center, un système hospitalier communautaire à Anderson, en Caroline du Sud.
Ben Frush est médecin résident de deuxième année en médecine interne et en pédiatrie au centre médical universitaire de Vanderbilt et à l'hôpital pour enfants Monroe Carrell Jr. de Vanderbilt, un système hospitalier universitaire à fort volume à Nashville.
Emmy Yang est étudiante en quatrième année de médecine à l'École de médecine Icahn du mont Sinaï.
Chacun est membre de la bourse de théologie, médecine et culture de la Duke Divinity School. Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement les opinions ou les politiques des institutions qu'ils représentent.