À l’approche de la fête des Mères, je me sens généralement pousser des ailes. Chaque année, j’attends avec impatience ce moment où bien des églises distribuent fleurs et hommages aux mamans. Après tout, ne l’ai-je pas mérité ? J’ai mis au monde et élevé une fille et cinq fils. J’ai persévéré pendant 29 ans dans l’abnégation qui caractérise si souvent la vie des mamans. J’accueille donc avec joie tout ce que la fête des Mères offre comme encouragement, même le beignet bien gras (mais délicieux) qui fut une année distribué dans mon église.
Je découvre cependant de plus en plus la face cachée de cette fête. Quelques jours avant la fête, j’ai posté cette simple question sur les réseaux sociaux : « Que pensez-vous de la célébration de la fête des Mères à l’église ? » En une journée, j’ai reçu une bonne centaine de réponses véhémentes qui m’ont ouvert les yeux : le dimanche de la fête des Mères est, pour beaucoup, le jour le plus pénible de toute l’année ecclésiastique.
Comme du sel sur une blessure
La plupart des églises tentent d’honorer les mamans d’une manière ou d’une autre à l’occasion de cette fête. Malheureusement, cette attention laisse à certaines un goût amer. D’autres fuient carrément le culte ce dimanche-là.
Plusieurs femmes m’ont expliqué pourquoi. Certaines mamans célibataires comparent cette attention d’un jour à un soufflé qui retombe. Une fois la journée passée, c’est le retour à la lutte quotidienne pour élever seules leurs enfants. Bonnie, quant à elle, mère d’une magnifique fille adoptée, raconte qu’un jour de fête des Mères, son pasteur avait invité les enfants à distribuer des friandises en chocolat à leur maman en précisant qu’il devait bien s’agir de la femme qui les avait mis au monde. Cette maladresse avait laissé Bonnie horrifiée. Sandra, elle, a perdu sa maman très tôt et n’a jamais pu avoir d’enfant malgré son fort désir. Le jour de la fête des Mères, elle me dit qu’elle se sent « comme abandonnée par le peuple de Dieu ». Shari, qui a tragiquement perdu sa fille en raison d’un cancer, est lourdement éprouvée par les célébrations de son église, comme si on lui mettait « du sel sur une plaie ». En ce jour, de nombreuses femmes pleurent des enfants qu’elles n’ont jamais eus ou qu’elles ont perdus. Elles pleurent des mères qu’elles n’ont jamais eues ou qui ont disparu. Et à bien y réfléchir, je pourrais moi aussi associer mon lot de douleurs à cette journée.
Même s’ils sont bien intentionnés, les messages de la fête des Mères prononcés du haut de la chaire peuvent aussi faire partie du problème. Amy, qui s’est mariée sur le tard et a accueilli comme siens les enfants de son mari, est lasse des sermons qui glorifient la maternité et l’entretien de la maison. Certains pasteurs vont même jusqu’à dire ou laisser entendre que la vie de maman et de femme au foyer est la vocation suprême d’une femme. Judy, une théologienne qui enseigne dans le monde entier, se souvient d’un sermon de la fête des Mères sur la femme de Proverbes 31, qui se terminait par une exhortation, à toutes les femmes, à se réengager dans les tâches domestiques et à « travailler de leurs mains ». Carrie, mère de cinq enfants qui s’est pleinement dévouée pour son foyer et sa famille, me dit qu’après le traditionnel sermon sur la maternité, elle repart toujours avec un sentiment d’échec. Avouons-le : la fête des Mères peut tourner au véritable cauchemar.
À ce stade, je voudrais tout de même rendre hommage au travail de nos pasteurs. Quels que soient leurs erreurs et manques de sensibilité, la tâche qu’ils doivent accomplir à l’occasion de la fête des Mères est ardue. Comment honorer les mamans sans blesser les autres membres de leur communauté ? La plupart d’entre eux ont du mérite de s’aventurer courageusement sur ce terrain miné.
Ou peut-être ne devraient-ils même pas essayer ? Parmi toutes les femmes que j’ai interrogées, beaucoup m’ont dit : « Laissons la fête des Mères aux marchands de cadeaux, et que l’église s’occupe de l’adoration de Jésus ». Mais je ne suis pas d’accord.
Nous ne pouvons ni ne devons ignorer la fête des mamans
Nous ne pouvons et ne devrions pas ignorer la fête des Mères à l’église, pas plus que nous ne pouvons et devrions ignorer Noël. Certes, notre société y trouve une occasion de pousser à la consommation, mais il s’agit aussi de célébrer l’amour des mamans. Pour l’Église, il ne serait pas bon de rester silencieuse. Toutes celles d’entre nous qui sont mamans, qu’elles travaillent ou non à l’extérieur, ont besoin de cette reconnaissance et de cet encouragement dans une culture qui semble de plus en plus privilégier le travail et la carrière par rapport à l’éducation des enfants. Malgré les excès non bibliques que l’on peut entendre dans certains sermons — que la maternité serait notre plus grande vocation —, la maternité est et reste une magnifique vocation, voulue par Dieu lui-même comme un creuset d’amour, de bénédiction et de vie. Marie, la mère de Jésus, est un bel exemple de ce don volontaire de soi pour donner la vie et contribuer aux desseins rédempteurs de Dieu. Mais il n’est pas toujours facile de s’en souvenir face aux défis du quotidien. Pendant plus de 20 ans, tandis que j’étais enceinte, que j’allaitais ou que j’apprenais la propreté à mes enfants, je peux dire que j’ai mené de grands combats, même s’ils étaient invisibles et silencieux pour le monde. Pendant cette période, la fête des Mères — aussi bien à la maison qu’à l’église — fut chaque fois pour moi un temps de ressourcement et de rappel au sens de ce que je faisais.
Et la Bible souligne l’importance de se souvenir. Le cinquième commandement, « Honore ton père et ta mère » (Ex 20.12), est toujours essentiel au bien-être du peuple de Dieu. Bien sûr, on ne distribue pas les cadeaux à l’église un jour par an pour pouvoir cocher ce commandement sur notre liste de choses à faire. Mais cela nous offre un moment pour pouvoir, tous ensemble, rendre hommage à celles qui nous ont donné la vie, quelles qu’elles soient.
Ne pas célébrer la fête des Mères à l’église me pose un autre problème. Dans notre culture très identitaire, nous nous définissons de plus en plus par nos traumatismes : femme sans enfant, victime d’abus, orpheline, délaissée. Pourtant, en tant que membres du corps du Christ, nous sommes appelés à être bien plus que cela et à « nous réjouir avec ceux et celles qui se réjouissent, à pleurer avec ceux et celles qui pleurent » (Rom 12.15). S’il nous faut reconnaître honnêtement nos propres afflictions, nous sommes aussi appelés à prendre part aux joies et aux douleurs des autres.
La fête des Mères nous offre une belle occasion de faire preuve de compassion et d’empathie. Que la future maman, épuisée par sa grossesse, réconforte celle qui vit un deuil en l’absence d’enfants. Que les maris fassent l’éloge de leur épouse. Que les enfants remercient leurs mères spirituelles. Que la maman heureuse réconforte la fille abandonnée. En d’autres termes, que le corps du Christ prenne soin de ses propres membres, car c’est là notre véritable famille. Jésus lui-même nous le rappelle : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? […] Quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux est mon frère, ma sœur et ma mère. » (Mt 12.48-50) Jésus a constamment approfondi et élargi la famille de Dieu de cette manière. Même dans ses derniers moments sur la croix, il a attiré l’un vers l’autre Marie, sa maman, et Jean, son disciple bien-aimé, comme une mère et son fils.
En faire plus
Comment pourrions-nous donc mieux vivre cette célébration des mamans ? Plutôt que d’en faire moins (comme l’ont suggéré de nombreuses femmes déçues et résignées), je pense que nous devrions en faire plus. Il nous faut plus qu’une distribution de fleurs et des applaudissements. Plus que des idées étriquées ou idéalisées sur la maternité. Plus que la limitation à une unique émotion. Ce dont toutes les mamans et les femmes ont besoin en ce jour de fête des Mères, c’est de ce dont l’Église a besoin tous les jours : que nous « gardions l’unité de l’Esprit » (Ep 4.3) et que nous « nous aimions profondément, du fond du cœur » (1 P 1.22).
Nous pourrions commencer par reconnaître les réalités de la maternité dans un monde profondément meurtri. Laissons se reposer la femme surmenée de Proverbes 31 et faisons plutôt de la place aux complexités et aux luttes que nous vivons toutes au quotidien. Pourquoi ne pas inviter les femmes à partager leur histoire, quelle que soit la manière dont elles choisissent de la raconter ? Faisons passer le micro dans les bancs (comme le fait mon église), en donnant du temps et de l’espace à ces histoires à la fois belles et tragiques. Et que celles qui ne peuvent ou ne veulent pas parler écrivent leur récit. Le bulletin de l’église pourrait peut-être les donner à lire. En favorisant un tel partage et une écoute sincères, celles qui n’ont pas de mère pourraient en découvrir une en Christ. Et celles qui n’ont pas d’enfants pourraient se découvrir des fils et des filles spirituels.
Oui, ces bénédictions nous offriront des rires et des réjouissances. Mais oui, il y aura aussi des larmes. Il ne faut pas les craindre. Si nous sommes plutôt doués pour louer et célébrer ensemble, nous ne savons souvent pas comment nous lamenter. Il est temps que nous l’apprenions. Les Psaumes nous donnent la liberté et des mots pour nous réjouir, mais aussi pour nous plaindre et pleurer les uns avec les autres. Et la fête des Mères nous offre une belle occasion de le faire. Les pasteurs, eux qui « paternent » et « maternent » nos communautés, pourraient élargir la place ce jour-là pour une magnifique expression de la vie du corps du Christ, dans le partage et l’attention manifestée les uns envers les autres.
Y aura-t-il encore des maladresses et des personnes blessées ? Bien sûr ! Nous qui formons l’Église restons toujours humains. Mais, en ce jour spécial, nous devons prendre le risque de réimaginer la manière de nous honorer les uns les autres. Nous avons là une magnifique occasion d’être la famille pour laquelle le Christ s’est donné.
Leslie Leyland Fields est l’autrice de 10 livres, dont Crossing the Waters : Following Jesus through the Storms, the Fish, the Doubt and the Seas et Forgiving Our Fathers and Mothers: Finding Freedom from Hurt and Hate. Elle vit avec sa famille sur l’île de Kodiak, en Alaska.
Traduit par Anne Haumont