Comme d’autres veuves de mineurs sud-africains, Jane Anele a été doublement lésée par l’industrie. Cette femme de 58 ans a perdu son mari dans une mine de charbon il y a déjà 10 ans et l’employeur de ce dernier n’a jamais versé son dû à la famille.
« Mon mari est mort d’une maladie pulmonaire après avoir creusé le charbon pendant 20 ans, et sa pension n’a jamais été versée parce que la mine de charbon a été fermée », nous rapporte-t-elle. « Nous sommes trop pauvres pour engager des avocats qui nous demandent 90 000 rands sud-africains (4 500 USD) pour poursuivre ceux qui nous doivent cet argent. Nous ne sommes pas des gens très instruits. Comment faire face aux historiques de pensions à fournir et aux formulaires complexes à remplir ? »
Son dernier espoir a été de se tourner vers l’Église.
Dans un pays où les avocats, les services de ressources humaines des entreprises et la police sont regardés avec méfiance, des responsables chrétiens interviennent pour défendre les travailleurs noirs des mines d’Afrique du Sud et leurs familles.
« Nous nous tenons aux côtés des mineurs noirs et de leurs descendants pour toute leur vie. Je me suis attiré beaucoup d’ennemis et j’ai été vilipendé dans les cercles du gouvernement et de l’industrie minière à cause de ma position », raconte celui qui se présente comme le prophète Paseka Mboro, un pasteur pentecôtiste charismatique controversé. « Ces sociétés minières d’or et de platine sont cotées en bourse, mais certains de leurs anciens ouvriers n’ont parfois plus les moyens de se payer [des antidouleurs] dans leur vieillesse. »
Les mines d’Afrique du Sud ont pris leur essor à la fin des années 1800, lorsque le magnat impérialiste des mines Cecil Rhodes et la famille Oppenheimer ont trouvé de l’or et des gisements de diamants. Pendant plus d’un siècle, le pays a fait tourner ses célèbres mines d’or, de platine et de charbon à la sueur des travailleurs migrants noirs.
Aujourd’hui, alors que cette industrie connaît un lent déclin, les travailleurs souffrent, vieillissent dans la pauvreté et meurent des suites de maladies contractées dans les mines. Et le travail devient à la fois de plus en plus dangereux et de moins en moins stable.
Tapiwa Nhachi, ancien chercheur en sciences sociales au Centre for Natural Resources dans la région, explique qu’obtenir justice pour les travailleurs migrants est un véritable cauchemar. Certains ont été amenés des pays africains voisins dans les années 1960 pour travailler sans papiers d’identité et sont aujourd’hui simplement décédés.
« J’ai travaillé pendant cinq ans pour Optimum Coal Mine. J’ai été blessé par une chute de pierres sous terre. J’ai été licencié avec deux mois de salaire et les prestations d’invalidité n’ont pas été versées à ce jour », nous rapporte Wandile Mashaba, 60 ans. « Depuis, la mine a fait faillite, a changé de propriétaires, et mon dossier a disparu. »
Des milliers de travailleurs noirs des mines d’Afrique du Sud, considérés comme l’un des pays connaissant les plus fortes inégalités financières au monde, n’ont pas les moyens de s’offrir les services d’un avocat et comptent sur le secours de chrétiens comme Paseka Mboro.
Si ceux-ci sont prêts à affronter les grandes sociétés minières, c’est en raison des appels bibliques à la justice et des condamnations divines « contre ceux qui exploitent le salarié, qui oppriment la veuve et l’orphelin, qui font tort à l’étranger » (Mal 3.5).
« Les pasteurs nous ont beaucoup aidés », dit Nolwazi Makhulu. « C’est grâce à leur engagement assidu et courageux face aux propriétaires de mines que les 400 000 rands [20 000 USD] d’invalidité et de pension de mon défunt mari ont finalement été réglés par un fonds fiduciaire, bien que la mine de diamants ait cessé ses activités depuis longtemps. »
Le Wall Street Journal rapporte que le secteur minier sud-africain, d’un poids de près de 24 milliards de dollars, « s’affaiblit sous la pression de la criminalité violente, de l’augmentation des coûts et de l’incertitude réglementaire, ainsi que de l’épuisement des mines ». Le journal évoque également la baisse du nombre d’emplois accompagnant celle de la production, ainsi que l’augmentation des conflits du travail violents et des décès.
Ainsi, en octobre et décembre de l’année dernière, des mineurs mécontents ont pris en otage des centaines d’autres mineurs à des kilomètres sous terre afin d’obtenir des concessions de la part des propriétaires de mines appartenant à de grandes sociétés.
« Dans le sillage de ce déclin, les tactiques violentes et l’injustice perdurent », dit Thula Maseko, coordinateur d’une branche du syndicat national des mineurs.
Lorsque la police et les propriétaires de mines craignent ou refusent de négocier dans des situations de prise d’otages, ce sont à nouveau des églises qui interviennent. S’appuyant sur des décennies de confiance établie, des responsables chrétiens servent de négociateurs de paix pour empêcher les effusions de sang potentielles, rapporte le syndicaliste.
Les milliers d’ouvriers miniers noirs d’Afrique du Sud ne font guère confiance aux grandes sociétés minières, aux avocats d’affaires, aux tribunaux et aux syndicats compromis, affirme Tito Dingane, pasteur militant de l’Église chrétienne de Zion, une vaste dénomination d’initiative africaine qui compte un million de membres en Afrique du Sud.
« Ce n’est que grâce à notre intervention et à nos négociations au nom de l’Église chrétienne de Zion que trois veuves de mineurs ont récemment reçu une modeste compensation pour la mort de leur mari », nous dit-il. « [Les responsables de l’exploitation minière] avaient rejeté leur demande, affirmant que leurs maris étaient de faux mineurs. »
Cela fait des décennies que des églises poursuivent des propriétaires de mines au nom de travailleurs atteints de maladies pulmonaires. L’année dernière, l’Église catholique a intenté une action collective contre BHP, le géant australien des mines de cuivre, au nom de « 17 travailleurs et anciens travailleurs des mines qui ont demandé de l’aide à l’Église catholique après avoir contracté la pneumoconiose incurable des travailleurs du charbon », selon un article paru dans la presse spécialisée.
« Les évêques sont notre dernier espoir », dit Fazela Ntoto, un ancien mineur d’or. Profitant de son illettrisme, des avocats fiduciaires l’avaient dépouillé de sa pension obtenue de haute lutte. Ses pasteurs ont cependant pris fait et cause pour lui et se sont efforcés de récupérer ce qui lui était dû.
Le père Stan Muyebe, directeur de la Commission Justice et Paix de la Conférence des évêques catholiques d’Afrique australe, souligne que l’Église est appelée à se joindre aux « cris pour la justice » et à offrir son aide :
« L’Église d’Afrique du Sud est mise au défi de devenir une Église samaritaine, en entendant les cris des anciens mineurs malades et en voyant [en eux] le visage souffrant du Christ, en et à travers celui qui nous a dit un jour : “J’étais malade et vous m’avez visité”. »
Nyasha Bhobo est une journaliste indépendante établie au Zimbabwe et travaillant sur l’Afrique australe.