L’année dernière, Hohn Cho arrivait à la conclusion que la Grace Community Church avait fait une erreur.
Les anciens avaient publiquement discipliné une femme pour avoir refusé de reprendre son mari à la maison. Mais il s’est avéré que les craintes de la femme étaient fondées et que son mari a été mis en prison pour agression sexuelle sur mineur et maltraitance sur enfant. L’Église n’est jamais revenue sur la discipline qu’elle avait exercée et n’a présenté aucune excuse au cours des 20 années qui ont suivi.
En tant qu’avocat et étant l’un des quatre responsables du conseil des anciens de la Grace Community Church (GCC), Hohn Cho fut chargé d’étudier l’affaire. Il a tenté de convaincre les responsables de l’Église de reconsidérer la situation et de rectifier les choses, au moins en privé. Il rapporte que le pasteur John MacArthur lui a dit « d’oublier ça ». Lorsque Cho a continué à appeler les anciens à « faire justice » en faveur de cette femme, il raconte que ceux-ci lui ont demandé de revenir sur ses conclusions ou de démissionner.
Cela fait 10 mois que Cho a quitté la Grace Community Church, et il n’a pas pu oublier cette femme, Eileen Gray, dont le parcours a été décrit en détail en mars 2022 sur le site de Julie Roys, The Roys Report.
Bien que Cho se soit retiré sans faire de bruit, il a continué à entendre les témoignages d’autres femmes de son ancienne Église. Leur parole avait été mise en doute. Certaines avaient été écartées et implicitement ou explicitement menacées de mesures disciplinaires alors qu’elles cherchaient à se mettre à l’abri d’un conjoint abusif. Même dans sa nouvelle communauté, l’ex-ancien de GCC commence à rencontrer des visiteurs ayant un lien avec l’affaire d’Eileen Gray, ce qu’il voit alors comme un signe de la providence de Dieu.
Non, il ne pouvait pas « oublier ça ».
Plus il en apprenait, plus il parlait avec les gens, plus l’injustice pesait sur sa conscience et plus il s’inquiétait de l’accompagnement offert par l’Église en matière d’abus.
Il l’exprime ainsi dans un mémo de 20 pages adressé aux hauts responsables de la GCC en mars dernier : « Je crois sincèrement que ce serait une erreur de ne rien faire. Au bout du compte, je sais ce que je sais. Je ne peux pas ne pas le savoir, et je suis véritablement responsable devant Dieu de cette connaissance, et si vous vous êtes donné la peine de lire jusqu’ici, vous êtes maintenant également responsable devant Dieu de cette connaissance. »
La Grace Community Church est dirigée par John MacArthur, l’un des pasteurs les plus anciens et les plus influents d’Amérique. La mégaéglise de Sun Valley, en Californie, est surtout connue pour les prédications de MacArthur et met en avant sa fidélité à la Bible face aux caprices du monde.
La portée de la communauté s’étend bien au-delà des foules qui remplissent son auditorium de 3 500 places pour les multiples cultes organisés chaque dimanche, grâce aux livres et commentaires populaires de MacArthur, à ses deux écoles affiliées, The Master’s Seminary et The Master’s University, au ministère d’enseignement Grace to You et à la Shepherds Conference annuelle que l’Église organise.
Lors de l’édition de mars dernier, Hohn Cho intervenait sur le thème « Conscience et conviction ». Il a passé le reste de l’année à mettre en pratique ses enseignements. Au cours de l’été et de l’automne, Cho a gardé un « faible espoir » que le conseil des anciens, composé de 37 membres, réexamine le cas d’Eileen Gray, priant pour que Dieu adoucisse le cœur des dirigeants et les fasse changer d’avis.
Il espérait les voir corriger les erreurs du passé et envisager de faire mieux à l’avenir. Au lieu de cela, il a découvert qu’ils semblaient poursuivre dans la même direction.
Des mois après avoir fait part de ses inquiétudes concernant un cas vieux de 20 ans, Cho a découvert « un autre cas grave dans l’accompagnement à la GCC » à l’automne 2022. Une femme a rapporté que les responsables de l’Église lui avaient recommandé de retourner vivre avec son mari et de ne pas demander de mesure d’éloignement, malgré des éléments attestant de comportements prédateurs, d’infidélité et d’accès de colère. Bien que l’affaire ait été réglée en janvier, après que la femme ait demandé l’an dernier une protection établie par un tribunal, deux pasteurs avaient déposé des déclarations en faveur de son mari.
« Dans sa providence, Dieu n’a cessé de placer des rappels devant moi, de manière totalement imprévue. Lorsqu’une amie nous a demandé, à ma femme et à moi, de prier pour une femme que mon épouse connaissait, elle nous a fait part de son inquiétude, et nous avons été horrifiés de découvrir que les mêmes épouvantables modèles d’accompagnement avaient encore cours dans cette Église », a déclaré Cho à notre magazine.
« C’est à ce moment-là que j’ai malheureusement fini par croire, au-delà de tout doute personnel, que les fidèles de la GCC, que nous aimons toujours, pourraient bien se retrouver à jouer à la roulette russe s’ils avaient un jour besoin d’un accompagnement de l’Église, en particulier pour ce qui concerne le soutien aux femmes ou aux enfants. Je savais que je ne pouvais pas simplement changer de trottoir sans faire de bruit, que je devais aider cette femme et lancer un cri d’alerte, sans quoi le sang de ces gens retomberait sur ma tête. »
Pour cet article, nous nous sommes entretenus avec huit femmes qui ont raconté comment il leur a été recommandé, ainsi qu’à d’autres membres de la Grace Community Church, de ne pas dénoncer leurs maris et pères aux autorités, d’accepter leurs excuses et de continuer à se soumettre à eux.
Il était régulièrement fait appel aux passages des Écritures concernant le pardon, la confiance, l’amour et la soumission — et il leur était demandé de chercher la réconciliation et de rentrer chez elles, même dans les cas où elles craignaient pour leur sécurité et celle de leurs enfants.
Aucun responsable de la GCC n’a répondu à nos demandes d’échanges concernant la philosophie d’accompagnement de l’Église ou sa réponse aux abus, ou encore à nos questions sur des cas spécifiques. Six pasteurs et anciens ont été contactés par téléphone et par courrier électronique à plusieurs reprises au cours des trois semaines précédant la publication de cet article, ainsi qu’un ancien pasteur et ancien.
« Vous devez rectifier cela »
Hohn Cho a pris connaissance du cas d’Eileen Gray pour la première fois en mars dernier, après que le site The Roys Report l’ait mis en lumière, lorsqu’il affirme avoir été sollicité par le conseil des anciens pour examiner la façon dont l’Église avait traité ce cas. Son examen de la question, s’appuyant sur son expérience et sa formation juridiques, s’inscrit donc dans le cadre d’une première enquête interne.
La mise sous discipline appliquée par l’Église avait eu lieu en 2002, quelques années avant que Cho ne vienne à la foi dans le contexte de la Grace Community Church. Eileen Gray avait refusé de suivre le conseil des responsables de demander la levée d’une ordonnance restrictive contre son mari violent, David Gray. Au cours d’un service de communion mensuel, MacArthur avait qualifié sa décision de persistance dans le péché, affirmant que cette mère de trois enfants avait choisi « de quitter […] et d’abandonner » son mari.
David Gray, qui avait fait partie du personnel enseignant de la communauté, fut condamné en justice pour ses crimes en 2005 : agression sexuelle sur mineur aggravée, violences sur mineur et maltraitance sur enfant. Des témoins et des victimes ont soutenu le récit de sa femme concernant son comportement abusif, tandis que les responsables de l’Église ont continué à le défendre, selon les documents judiciaires référencés et publiés avec l’article de The Roys Report du 20 mars 2022. David Gray est toujours en prison.
Cho rapporte que de nombreux dirigeants de la GCC ont refusé de lire l’article de The Roys Report. Certains l’ont fait et ont quand même rejeté ses conclusions. Les hauts responsables de la communauté se sont mis sur la défensive, dit-il, et ont voulu protéger MacArthur.
Pour Cho, ainsi que pour sept avocats chrétiens qui ont examiné les documents, il était évident que David Gray était coupable au-delà de tout doute raisonnable et que le refus d’Eileen Gray de lever l’ordonnance restrictive pour protéger ses enfants était objectivement raisonnable et pleinement justifié.
« Maintenant que les faits sont effectivement connus, il n’est pas trop tard pour “faire justice”, même à ce stade avancé, près de 20 ans plus tard », a-t-il écrit au conseil des anciens. « L’intégrité, la défense de la justice et de la droiture, la fidélité même dans les petites choses, même pour quelque chose qui remonte à 20 ans, tout cela compte énormément. »
Cho s’attendait à ce que l’Église se tienne à un standard plus élevé que celui des tribunaux séculiers. Dans le cas d’Eileen Gray, supervisé par le pasteur exécutif associé de l’époque, Carey Hardy, et impliquant un pasteur de longue date de la GCC, Bill Shannon, il a trouvé des preuves de mauvaise gestion, de biais et d’erreurs dans la façon dont la situation a été traitée. Eileen Gray a été plusieurs fois mise en doute et accusée d’être « bizarre », ce qui n’avait rien à voir avec la raison pour laquelle elle fut sanctionnée, et les dirigeants ont jeté le discrédit sur son témoignage malgré l’historique de mensonges de David Gray.
« Ils ont pris le parti d’un agresseur d’enfants, qui s’est avéré être un pédophile, au détriment d’une mère qui tentait désespérément de protéger ses trois jeunes enfants innocents. C’était et c’est toujours une erreur flagrante, qui doit être réparée », nous déclare Cho. « De nombreux anciens ont admis dans diverses conversations privées que des “erreurs ont été commises” et qu’ils prendraient une décision différente aujourd’hui en sachant ce qu’ils savent maintenant. Mais admettre cela signifie que vous devriez vous réconcilier avec la personne que vous avez lésée ; c’est tout à fait fondamental pour la foi chrétienne. »
Alors qu’il siégeait encore au conseil d’administration en mars dernier, Cho a souligné l’urgence de retravailler ce dossier. Les anciens avaient dénoncé un péché là où il n’y en avait pas, insistait-il. S’ils avaient appris qu’ils avaient mis sous discipline un homme accusé à tort d’adultère, n’auraient-ils pas voulu réparer cela, même s’ils l’avaient découvert 20 ans plus tard ?
Selon Cho, qui a fait office de secrétaire du conseil et était chargé de prendre des notes, MacArthur a répondu lors de la réunion de mars que la comparaison ne s’appliquait pas à Eileen Gray. Le pasteur a évoqué à nouveau des allégations sur son « comportement bizarre » et n’était pas enclin à reconsidérer sa discipline.
Après cela, Cho a déclaré que le président du conseil des anciens, Chris Hamilton, lui a dit qu’il devrait « revenir sur ses conclusions » concernant les erreurs de l’Église s’il voulait rester ancien. (Hamilton n’a pas répondu aux demandes de commentaires) Cho et sa femme ont démissionné le jour suivant.
Soumettez-vous « comme au Seigneur ».
L’automne dernier, Cho se retrouvait à nouveau à examiner les documents juridiques d’une membre de la GCC qui avait demandé une ordonnance de protection contre son mari dans l’espoir de se protéger et de protéger ses jeunes enfants contre les abus. Cette fois-ci, c’est la femme elle-même qui le sollicitait. Certains parallèles avec Eileen Gray lui sont apparus immédiatement.
Cette femme nous a déclaré qu’elle voyait elle aussi les parallèles. Lorsqu’elle a lu l’article sur Eileen Gray l’année dernière, elle rapporte avoir pensé : « Cela ressemble beaucoup à ce qu’on m’a dit. » (Notre politique éditoriale permet aux victimes d’abus de ne pas être nommées au nom de la vie privée et de la sécurité ; l’identité et les détails rapportés par cette personne ont été vérifiés en préparation de cet article.)
« Chaque fois que je faisais des démarches dans le sens d’une ordonnance de protection, c’était : “Prends garde de ne pas avoir un cœur vengeur” », raconte la femme. « Ils me disaient fondamentalement de faire marche arrière. […] Ils disaient que ce n’était pas chrétien de ma part de demander cette protection juridique parce que les croyants ne doivent pas poursuivre d’autres croyants en justice. »
Elle déclare avoir transmis aux responsables de l’Église les preuves de l’infidélité de son mari, de ses recherches de pornographie incestueuse et de son comportement inapproprié avec leur fille depuis qu’elle n’avait que quelques années.
Un mois après être revenue vivre avec son mari à la demande de ces pasteurs, elle se retrouvait à téléphoner à la police sur la route tant une dispute l’avait effrayée. Dans les documents judiciaires que nous avons obtenus, elle déclare que le pasteur et ancien Rodney Andersen lui a dit qu’elle devait se soumettre à son mari « comme au Seigneur » plutôt que de le provoquer. Selon elle, les agents chargés des violences domestiques dépêchés sur place lui ont dit de ne pas retourner chez elle.
Deux anciens de la GCC ont ensuite présenté des déclarations sous serment en faveur de son mari. La déposition de Rodney Andersen raconte que le mari a déclaré, au cours d’une séance d’accompagnement, que sa fille et lui s’étaient touchés la langue en s’embrassant pour imiter une scène dans un dessin animé.
Une déposition de l’autre pasteur et ancien, Brad Klassen, indique que la femme est venue le voir en s’inquiétant de photos prises par son mari, mais qu’elle n’avait pas de « preuves » de l’abus. Selon le dossier de celle-ci, les photos comprenaient des images de son leur fille touchant la fermeture éclair du pantalon de son mari et son visage aspergé d’eau ainsi que des selfies avec l’enfant dénudée. Selon la déclaration de Brad Klassen, les photos ne contenaient pas de nudité.
Deux autres responsables de la GCC ont dit qu’ils témoigneraient en faveur de l’épouse, mais le couple a conclu un accord en janvier avant la date du procès, de sorte qu’aucun des pasteurs n’a eu à témoigner. Dans le règlement de l’affaire, l’épouse ne s’est pas rétractée des accusations d’abus portées contre son mari.
En fin de compte, dit-elle, c’est la trahison de son Église — qu’elle a quittée — qui lui a fait le plus mal.
« Je suis spirituellement tombée en dessous de zéro. Je doutais de l’existence de Dieu. Je me suis dit : “Si Dieu est réel, mais que nous sommes censés nous soumettre aux dirigeants de l’église quand ce genre de choses se passe, je préfère mourir.” » « Même les non-croyants ne soutiendraient pas ça. »
Cette femme déclare avoir vu le Seigneur « agir souverainement » pour la guider tout au long du processus, et avoir fini par comprendre que « l’échec de l’Église ne change pas l’existence de Dieu ou la justice de Dieu. »
« Je dois craindre Dieu plutôt qu’un homme. Ce n’est pas parce que quelqu’un vous cite un verset et qu’il est en position d’autorité qu’il fait le bien. »
Lorsqu’elle a contesté le conseil de revenir vers son mari et de lui faire confiance donné par les pasteurs, elle dit qu’on lui a rappelé que l’amour « croit tout » et que Jésus a dit de pardonner « 70 fois sept fois ».
Selon son récit, les signes d’alerte et de traumatisme n’ont pas suffi — les pasteurs voulaient des preuves d’abus physiques, d’adultère « peau à peau » ou une condamnation pour pédophilie avant de reconnaître qu’elle avait des motifs bibliques de divorce. Elle ne pouvait pas attendre que cela arrive.
« Ma sécurité n’était pas la priorité numéro un »
Ce qui a eu lieu dans la Grace Community Church s’inscrit dans le cadre d’un débat plus large sur ce qui constitue un abus et sur la question de savoir si les chrétiens doivent donner la priorité à la réconciliation dans les cas d’abus. Cette Église et son séminaire occupent une place importante parmi les conseillers bibliques conservateurs et l’Association of Certified Biblical Counselors (ACBC).
« Il y a [dans ce contexte] une compréhension fondamentalement différente de ce qu’est la maltraitance », déclare Jonathan Holmes, diplômé de la Master’s University, pasteur et conseiller dans l’Ohio, notant que cette qualification — et les réponses les plus sérieuses qui y sont apportées — sont souvent réservées aux atteintes physiques et sexuelles.
Comme ses collègues complémentariens, MacArthur a prêché à de multiples reprises contre le fait que des femmes restent avec des maris violents au nom de la soumission conjugale. Il a enseigné que les femmes et les enfants doivent « se mettre à l’abri » et que les auteurs de violences domestiques ne se comportent plus comme des croyants et perdent leurs droits dans le mariage.
Pourtant, comme Cho l’a évoqué dans ses lettres aux principaux anciens l’année dernière, une série de femmes au cours de la dernière décennie ont déclaré avoir reçu dans son Église des conseils différents lorsqu’elles craignaient pour leur sécurité ou celle de leurs enfants.
Plusieurs femmes évoquent Bill Shannon, un pasteur pour l’accompagnement des personnes et membre de l’ACBC, qui les aurait découragées de signaler les abus à la police et leur aurait ordonné de rester dans des foyers où elles avaient été menacées de violence. Un couple a déclaré avoir assisté à une séance d’accompagnement pastorale au cours de laquelle Bill Shannon a manqué de conseiller à une membre de leur famille de dénoncer un homme qui avait avoué un incident de pédophilie ; il ne l’a pas non plus orientée à le quitter, parce qu’il n’avait pas été condamné.
Bill Shannon fait partie des responsables qui n’ont pas répondu aux multiples demandes de contact pour la préparation de cet article.
Des anciens passés et présents avaient également exprimé des inquiétudes concernant une « incompétence » dans l’accompagnement apporté par Bill Shannon. Hohn Cho rapporte que John MacArthur avait été averti de ces préoccupations, mais qu’il a défendu Bill Shannon et l’a maintenu à son poste. Selon le site Web de la GCC, Shannon continue de fournir des accompagnements « formels et informels » aux membres, d’assurer le séminaire prénuptial et de mariage de l’Église, et de prêcher pour un petit groupe d’adultes.
« Lors de la première réunion avec Bill Shannon, on m’a fait comprendre que ma sécurité n’était pas la priorité numéro un, mais que celle-ci était la soumission dans mon mariage », rapporte une femme qui a demandé à ne pas être nommée dans cette histoire parce qu’elle essaie de tourner la page sur son séjour dans la Grace Community Church. « Ma responsabilité était de ne pas agacer [mon mari]. »
Alors qu’elle avait été hospitalisée en raison des violences physiques de son mari, Bill Shannon l’a appelée et lui a conseillé de rentrer chez elle sans appeler la police, nous a-t-elle raconté. Parfois, les souffrances à la maison atteignaient un point où elle craignait de mourir, mais elle rapporte qu’on lui a dit que sa situation pouvait être « la volonté de Dieu pour ta vie ».
Dans le cadre du conseil conjugal, les pasteurs demandaient aux épouses si leurs attitudes contribuaient aux schémas de violence, de colère et de manipulation dans leurs relations. Dans certaines situations, ils laissaient entendre que les femmes cherchaient simplement des fautes chez leurs maris.
« Il est difficile pour un pasteur [dans une communauté du type de la GCC] d’envisager une dynamique où une femme est maltraitée et où, à un moment donné, elle n’en est pas explicitement responsable », déclare Jonathan Holmes.
Cette « mutualisation » du péché peut parfois être formalisée dans le cadre de l’Église, où les deux parties sont invitées à confesser leurs péchés et à demander le pardon de l’autre.
« Notre philosophie est que s’il y a eu des abus, on ne place pas les gens seuls dans une pièce en attendant qu’ils fassent tous les deux le processus d’enlever la poutre de leur œil », explique Ken Sande, un médiateur chrétien, à propos des schémas qu’il a vus à l’œuvre au cours de décennies de ministère de conciliation, sans parler de la GCC en particulier.
« Pas d’autre choix »
Toutes les femmes avec lesquelles nous nous sommes entretenus ont déclaré s’être à un moment donné considérées comme responsables du comportement de leur mari ou ont rapporté qu’un responsable d’Église leur avait affirmé qu’elles l’étaient.
On rappelait clairement aux femmes la directive biblique selon laquelle les épouses devaient se soumettre à leurs maris. Pendant des années, elles ont espéré que leur soumission, leur fidélité dans le mariage et leurs prières désespérées finiraient par entraîner un changement chez leur mari. Mais lorsque les problèmes ont persisté et se sont aggravés, elles ont demandé de l’aide et des conseils sur ce qui pouvait être fait d’autre.
« Il faut beaucoup de courage, d’humilité et de vulnérabilité pour demander de l’aide à l’Église lorsqu’il y a eu des abus à la maison », déclare Wendy Guay, qui s’était exprimée pour The Roys Report l’année dernière à propos des abus commis par son père Paul Guay alors qu’il était membre du personnel de la Grace Community Church à la fin des années 1970. « Des femmes se sont cachées, ont persévéré et ont essayé de gérer les choses par elles-mêmes jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’autre choix. »
Lorsque les épouses sentaient qu’elles devaient déménager pour leur sécurité, elles affirment que les pasteurs leur disaient de rester. Après s’être séparées ou avoir obtenu une protection juridique, elles auraient été exhortées à se réconcilier. Des femmes nous ont expliqué que les pasteurs considéraient la participation régulière de leur mari à des séances d’accompagnement, le traitement attentionné apporté à leurs enfants dans des environnements supervisés et les promesses verbales que les abus cesseraient comme des indications qu’ils ne représentaient plus une menace.
Dans certains cas, comme ceux d’Eileen Gray et de la femme qui a accepté un règlement à l’amiable le mois dernier, les responsables de la Grace Community Church ont ensuite soutenu face aux autorités légales les hommes qu’elles accusaient d’abus. Bien que les Églises évitent de s’impliquer juridiquement dans les conflits conjugaux pour des raisons de responsabilité, il ne serait pas rare de voir des pasteurs prendre le parti de l’accusé.
Pete Singer, directeur exécutif du ministère GRACE (Godly Response to Abuse in the Christian Environment), affirme que le fait de voir des responsables religieux défendre un agresseur devant un tribunal est en partie ce qui a incité le procureur Boz Tchividjian à créer cette organisation.
« Ce n’est pas rare. Cette situation est malheureusement aussi répandue dans les cas de maltraitance des enfants et de violence entre partenaires intimes. C’est un reflet de la façon dont le pasteur a été conditionné », déclare Pete Singer. « S’il y a un différentiel de pouvoir notable, pourquoi est-ce que je me range du côté de la personne potentiellement en position de force et pas du côté de celle qui est potentiellement en position de faiblesse ? »
La discipline comme source de fierté
Si les évangéliques sont de plus en plus sensibles à la dynamique des abus, certaines communautés conservatrices conservent une méfiance sous-jacente à l’égard des mouvements de défense des victimes et des psychologues spécialisés dans les traumatismes, et défendent la place de l’Église locale dans le traitement des conflits conjugaux.
Les anciennes membres de la GCC qui ont signalé des abus rapportent qu’elles craignaient la discipline de l’Église pour manque de soumission ou abandon de leur mariage.
Si beaucoup d’Églises évangéliques ont formalisé des processus disciplinaires dans des règlements écrits, d’après Ken Sande, le médiateur chrétien, il est de moins en moins fréquent que les Églises américaines les suivent dans la pratique et encore plus rare qu’une Église annonce publiquement des cas de discipline plusieurs fois par an.
John MacArthur considère la discipline ecclésiastique comme une « marque » de la Grace Community Church, où les anciens suivent des directives tirées de Matthieu 18 : ils confrontent d’abord l’accusé en privé, puis avec un autre témoin, avant d’annoncer publiquement les cas de discipline qui ont atteint la troisième étape du processus, lorsque la non-repentance empêcherait un membre de participer à la Sainte-Cène.
Hohn Cho explique qu’à ce stade les anciens doivent approuver à l’unanimité les cas qui seront soumis au corps de l’Église quelques fois par an, lors des services de communion mensuels.
Les femmes qui nous ont parlé de leurs expériences en matière d’accompagnement étaient membres de la GCC depuis des années, certaines depuis plus de dix ans, et avaient assisté aux cultes où MacArthur prononçait la discipline de l’Église. Elles pensaient que si les dirigeants ne considéraient pas leur situation comme un motif de divorce, leur nom pourrait y figurer.
« Le temps et la vérité vont de pair. »
Jusqu’à présent, Cho n’avait pas parlé publiquement des circonstances qui l’avaient conduit à quitter la GCC et de ses efforts en faveur d’un changement depuis. Il espérait que la GCC se pencherait sur le cas d’Eileen Gray et reconsidérerait les preuves qui la disculpent. Il a répété ses appels à prendre au sérieux les inquiétudes concernant Bill Shannon et l’accompagnement apporté par l’Église.
Après son départ, il a continué à contacter les hauts responsables de la GCC, posant des questions et proposant de discuter de ses préoccupations en privé. Il a envoyé un courriel à MacArthur et au directeur exécutif de Grace to You, Phil Johnson, un leader influent et un ancien de l’Église. Il a échangé des messages avec Carey Hardy, le pasteur qui a supervisé le suivi disciplinaire d’Eileen Gray et qui travaille maintenant dans une Église de Caroline du Nord.
Ses appels s’appuyaient sur les Écritures, citant parfois plus de 20 versets sur la réconciliation, les méfaits et la justice, comme Jacques 4.17 : « Si donc quelqu’un sait faire le bien et ne le fait pas, c’est un péché pour lui. »
Chaque fois qu’il rencontrait ou voyait des anciens en personne, l’affaire revenait dans la discussion. Il a envoyé des SMS et appelé des membres individuels du conseil des anciens pour leur faire part de ses préoccupations.
Il n’aurait jamais imaginé se retrouver dans cette position où il plaide depuis l’extérieur de la Grace Community Church. Actif là pendant près de 17 ans, Cho y a rencontré sa femme, a commencé à enseigner la Parole et a accédé à des postes de responsabilité au sein du conseil des anciens de l’Église .
« J’étais un loyaliste fervent », raconte Hohn Cho, qui s’oppose aujourd’hui à ce qu’il considère comme une « confiance aveugle » de la part de nombreux hommes aux côtés desquels il a servi et dirigé.
L’année dernière, lorsqu’il a remis en question la décision de sanctionner Eileen Gray, il a déclaré que d’autres anciens lui ont suggéré de faire confiance aux anciens dirigeants qui l’avaient approuvée. Cho a rétorqué que l’Écriture nous ordonne de faire confiance au Seigneur et de tout examiner (1 Th 5.21).
Il a gardé espoir, pensant à une phrase que John MacArthur est connu pour répéter : « Le temps et la vérité vont de pair. » La vérité finit par éclater.
« Laisser Dieu s’occuper des résultats »
Eileen Gray a déclaré que le fait d’entendre parler d’autres femmes qui avaient été « blâmées, accusées et souvent à nouveau traumatisées » par les dirigeants de la GCC l’a motivée à partager son récit publiquement des années plus tard, une fois ses enfants devenus adultes. Immédiatement après l’article de The Roys Report l’année dernière, elle a appris l’existence d’autres témoignages d’abus mal gérés.
« En parler plus tôt aurait-il entraîné des changements à Grace Community Church ou dans d’autres Églises qui suivent leur modèle de leadership ? Je ne sais pas, mais je me sens horriblement mal à propos du champ laissé libre par mon silence au fil des ans », nous a-t-elle écrit dans un courriel.
« À ce jour, j’ai des témoignages directs d’une multitude de personnes qui affirment que l’Église Grace Community Church continue de traiter de la même manière dépourvue de fondement biblique et d’amour les femmes et les enfants victimes d’abus qui demandent de l’aide aux responsables de l’Église alors qu’ils souffrent de leurs maris et pères abusifs. C’est un péché grave. »
Une ancienne membre de la GCC, autrefois ravie de déménager en Californie pour pouvoir suivre les enseignements de MacArthur, a déclaré que la foi qui représentait tout pour elle avait été détruite par la façon dont l’Église l’avait traitée lorsqu’elle avait demandé de l’aide pendant et après un mariage abusif et sans amour.
« Le pire de tout, ce n’était pas le divorce — c’était ma relation avec Dieu. Je sais que Dieu est Dieu et que l’homme est l’homme, mais j’avais vraiment confiance en ces gens à l’Église », raconte-t-elle. « Ils m’ont enlevé la proximité que j’avais avec Dieu. Ils m’ont fait regarder les hommes différemment. Quand je vais à l’Église, j’ai l’impression que les pasteurs mentent. Ils m’ont laissée le cœur brisé. […] j’ai vraiment l’impression d’avoir été violée spirituellement. »
La Grace Community Church n’a pas présenté d’excuses à Eileen Gray, n’a pas annulé sa mesure disciplinaire, n’a pas fait de déclaration publique sur l’affaire et n’a pas répondu à nos questions pour cet article.
Quelques jours après Noël l’année dernière, Cho avait envoyé ce qu’il a appelé un « dernier appel » à chacun des anciens de la GCC. Il gardait toujours son faible espoir, même s’il savait qu’il était peu probable que le conseil d’administration change, et que sa prise de position publique mettrait en colère bien des personnes avec qui il avait servi et célébré le Seigneur. « Le Seigneur a souvent fait bien plus que ce que j’aurais pu imaginer. »
« En fin de compte, je dois faire ce qui est juste, comme l’Esprit, ma conscience, la prière, les conseils et la Parole m’y conduisent, et laisser Dieu s’occuper des résultats », nous explique-t-il. « Et l’homme qui m’a appris ça, c’est John MacArthur. »