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Il faut parfois secouer la poussière de ses pieds

Partir est une façon de répondre à la toxicité institutionnelle.

Christianity Today November 17, 2022
Renan Lima / Pexels / Edits by Rick Szuecs

L’une des expériences les plus frustrantes — mais finalement libératrices — que j’ai vécues au cours de mes trois décennies de ministère pastoral a été de démissionner d’une Église urbaine majoritairement blanche dans une ville majoritairement afro-américaine. Parmi les centaines de personnes qui fréquentaient cette communauté, beaucoup ont apprécié mon ministère en tant que prédicateur, enseignant, leader, musicien, mari et père. Pourtant, une minorité influente issue des banlieues, motivée par des questions raciales et socio-économiques, s’est opposée à mon leadership.

Mon fils aîné, se rappelant les défis que représentait le fait d’être un jeune homme afro-américain dans cette Église, m’a souvent dit : « Papa, il faut que tu écrives un livre et que tu cites des noms ! » Mon fils sait que j’ai essayé de vivre un véritable ministère multiethnique malgré les difficultés récemment pointées en la matière.

J’ai résisté à l’envie d’écrire ce livre cathartique, un grand « déballage », mais dans mon rôle de mentor auprès des jeunes pasteurs, j’ai essayé, comme Paul, de partager l’Évangile et ce que j’ai vécu (1 Th 2.8). Démissionner en tant que pasteur de cette Église a été un douloureux pas de foi. Je n’avais pas d’autre poste en vue. Mais être au chômage valait mieux que d’être rabaissé et démoralisé.

En 2021, des personnalités très en vue comme Beth Moore et la Progressive Baptist Church de Charlie Dates ont pris part à un exode important hors de la Convention baptiste du Sud. L’histoire de Jemar Tisby, qu’il raconte dans une interview détaillant sa sortie des milieux évangéliques blancs, a trouvé un écho chez des chrétiens de couleur et des femmes qui avaient pris le risque de s’impliquer de tout leur être dans des organisations chrétiennes qui prétendaient valoriser la diversité, avant de se faire malmener par les réalités de la vie dans le giron des patriarcats suprématistes blancs.

Tous les départs sont difficiles, mais tous ont un potentiel vivifiant. Ceux qui s’en vont finissent souvent par être rafraîchis par une vision renouvelée, des idées nouvelles et la redécouverte de leur voix et de leur personnalité. Les organisations qu’ils laissent derrière eux auraient également la possibilité de tirer des leçons importantes.

Certaines institutions chrétiennes défendront leur réputation en faisant appel aux textes des Écritures qui condamnent les faux enseignements (comme Jude v. 4). Leur stratégie est de discréditer ceux qui partent. Ce genre de condamnation est inutile et souvent sans fondement. Les gens qui sont partis comme moi ne l’ont pas fait parce qu’ils ont embrassé des doctrines hérétiques historiques. Nous sommes partis parce que l’institution était toxique.

Après avoir prêché dans une Église majoritairement blanche, j’ai découvert que les responsables qui avaient prié pour moi échangeaient des blagues racistes avant mon arrivée. J’ai fait part de mes préoccupations aux responsables de la dénomination, mais ils ont nié toute existence de racisme et se sont fâchés contre moi pour le seul fait d’avoir évoqué l’idée. J’ai secoué cette poussière de mes pieds et je suis allé de l’avant (Mc 6.11).

Partir peut être un acte prophétique qui met en évidence la toxicité institutionnelle. Jérémie notamment s’est tenu à l’extérieur du temple de Jérusalem, à ses portes, pour appeler à la repentance et à la réforme (Jr 7.1-3). Il a pris le risque de dire la vérité pour remettre le peuple de Dieu sur la bonne voie. Il a pointé du doigt un système religieux toxique qui protégeait l’injustice : « Est-elle à vos yeux une caverne de bandits, cette maison sur laquelle mon nom est invoqué ? » (v. 11)

Prêtez attention aux fidèles blessés qui s’en vont. Leurs paroles pourraient être la parole du Seigneur.

Jésus a repris le rôle de Jérémie lorsqu’il a renversé les tables des changeurs de monnaie (Mt 21.13). Walter Brueggemann, spécialiste de l’Ancien Testament, observe que « le temple et sa liturgie royale sont décriés comme des outils de contrôle social qui, en temps de crise, ne tiennent pas leurs grandes promesses. Le temple est dénoncé pour n’être plus une manifestation de la transcendance, mais une simple arène de manipulation sociale. »

Les départs ne se font pas à la légère, mais après un examen de conscience et d’intenses prières. De la même manière, les institutions devraient se livrer à un examen de conscience et confronter certaines valeurs fondamentales qui ne font que dévaloriser d’autres. Les déclarations éloquentes des institutions blanches sur l’équité et la diversité n’aboutissent trop souvent qu’à des mesures symboliques à l’égard des minorités ethniques. L’histoire chrétienne contient des moments épiques de dissidence réformatrice. Prêtez attention aux fidèles blessés qui s’en vont. Leurs paroles pourraient être la parole du Seigneur.

Peut-être qu’un jour j’écrirai ces mémoires, mettant en lumière mes luttes pour trouver un foyer ecclésial. J’ai appris à faire confiance à ma propre voix dissidente, en trouvant le courage de m’insurger contre l’injustice institutionnelle. Je prie pour que ceux qui confessent leur allégeance à Jésus aient le courage d’écouter ceux qui partent et de faire face à leurs propres péchés. Tout comme il faut du mouvement pour nettoyer les vêtements, il faut le remue-ménage des prophètes pour nettoyer les institutions.

Dennis R. Edwards, ancien pasteur et implanteur d’Église, est professeur associé de Nouveau Testament au North Park Theological Seminary de Chicago. Il est l’auteur de Might from the Margins: The Gospel's Power to Turn the Tables on Injustice (APG) et 1 Peter (The Story of God Bible Commentary).

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