Comment parler de ce qui importe vraiment quand les risques paraissent si élevés ? Même dans mon contexte occidental, où la foi décline, l’hostilité envers le christianisme peut rendre difficile de mentionner Jésus dans une conversation. Mais comment les gens connaîtront-ils le Christ si nous ne pouvons pas en parler ?
Nos églises, nos familles et nos cercles d’amis paraissent souvent tellement polarisés que nous n’osons plus y parler de politique ou de valeurs. On comprend donc que nous hésitions d’autant plus à parler de Dieu, de Christ ou de politique à l’extérieur de ces cercles, voire même en leur sein. Nous craignons d’entrer dans des argumentations sans fin ou de nuire à nos relations. Nous n’avons pas de réponses aux questions difficiles. Nous ne sommes même pas d’accord sur les faits ! […]
Il existe pourtant une manière pertinente, abordable et engageante de parler de Christ avec les gens. Et celle-ci fonctionne également pour des discussions sur n’importe quel sujet sensible, même dans des périodes troublées.
Depuis des années, mes étudiants utilisent une méthode simple pour avoir d’excellentes conversations sur des sujets difficiles avec des amis avec lesquels ils ne sont pas du tout d’accord — des conversations sur toutes les questions politiques imaginables. Bien souvent, à l’issue de ces conversations, leurs amis et eux se sentent plus proches et aspirent à avoir d’autres conversations de ce genre.
J’ai pu constater moi-même l’efficacité de cette méthode. Je l’ai par exemple utilisée il y a quelques mois dans une conversation avec un ami non croyant. « C’était la meilleure conversation que j’aie jamais eue », m’a-t-il dit en me quittant. Nous avions parlé de Dieu pendant deux heures. Cette méthode m’a également permis d’avoir de longues conversations avec des personnes avec lesquelles je ne suis pas d’accord sur des questions politiques très sensibles. Nous en avons été stimulés et rapprochés.
Savoir comment aborder des sujets sensibles peut faire de vous un meilleur ami, un meilleur membre de la famille et un meilleur disciple de Jésus. Il ne s’agit pas de gagner un débat, mais d’être plus aimant et d’établir des liens plus profonds et chaleureux avec quelqu’un qui vous est cher. Et il pourrait aussi y avoir là le meilleur moyen de contribuer à un changement progressif dans le cœur de quelqu’un. Une recherche de l’institut Barna Group a montré qu’une telle approche pourrait être le moyen le plus efficace d’atteindre les non-croyants. Mieux encore : cette méthode est étonnamment facile à apprendre.
La recette se résume en trois verbes : reformuler, valoriser et explorer. Imaginez la situation suivante : en privé, autour d’un café ou d’un repas, vous orientez la conversation vers un sujet qui vous tient à cœur et demandez à l’autre ce qu’il en pense. Ensuite :
- Reformulez : redites l’essentiel des pensées de votre interlocuteur de telle sorte qu’il puisse vous répondre Exactement !
- Valorisez : mettez en avant tout ce que vous pouvez sincèrement honorer dans ce qui a été dit.
- Explorez : dans une posture de cochercheur de la vérité, posez les questions que ce qui a été dit soulève à vos yeux, questionnez ce qui vous intrigue ou n’est pas clair pour vous.
Répétez l’opération deux ou trois fois. Ensuite, partagez votre propre point de vue et laissez la conversation se dérouler à partir de là, en revenant à reformuler, valoriser et explorer chaque fois que des points de tension apparaissent. Lorsque vous souhaitez conclure à la conversation, exprimez simplement votre gratitude et changez de sujet : Merci. J’ai bien apprécié notre échange. Tu m’as donné beaucoup à réfléchir. Ce serait chouette de pouvoir en reparler une autre fois. Et sinon, comment se passe ton week-end ?
Prenons un exemple plus concret. Imaginez-vous en conversation avec une amie : J’ai appris que X est mort l’autre jour. Qu’est-ce que tu penses qu’il se passe quand nous mourrons ? Elle répond, et vous reformulez : Tu penses donc que la mort est vraiment la fin, et que la vie après la mort n’est qu’un vœu pieux. Tu estimes que croire à ce genre de choses ne fait que nous détourner de la nécessité de s’occuper des gens ici et maintenant. Est-ce que j’ai bien compris ?
Exactement !, répond-elle.
Vous poursuivez alors : Je comprends ta préoccupation pour cette vie et la crainte que quelqu’un ne se concentre trop sur l’au-delà et ne se désintéresse de la vie actuelle. J’apprécie vraiment ton souci de prendre soin des gens ici et maintenant. Je le partage. Elle pousse un soupir de soulagement.
Ensuite, vous explorez : Est-ce que tu pourrais m’en dire plus ? Comment en arrives-tu à la conclusion qu’il n’y a rien au-delà ? Toute réponse sera bonne à prendre. Vous reformulez, valorisez et explorez, afin d’approfondir ses pensées, ses sentiments et, éventuellement, son histoire (qui peut être particulièrement éclairante).
Finalement, la conversation devient suffisamment sûre et riche pour que votre amie s’ouvre à votre point de vue et s’y intéresse : Je trouve que la foi en une vie après la mort me permet de mieux me concentrer sur celle-ci. C’est pour ça que… Ainsi, vous aurez entamé ensemble une conversation riche et souvent révélatrice.
Bien qu’ils s’en sortent généralement assez bien, mes étudiants éprouvent parfois des difficultés avec cette méthode lorsqu’ils l’utilisent trop spontanément. Certains y viennent tout à coup au milieu d’une dispute, après que les choses se sont envenimées. Cela ne marche pas bien. D’autres essaient de l’utiliser dans un contexte de groupe où d’autres personnes peuvent intervenir, interrompre et argumenter. L’un d’eux l’a essayé dans une conversation de bar. Pas évident…
J’ai constaté que la plupart s’en sortaient mieux lorsqu’ils planifiaient ce genre de conversation privée et choisissaient un endroit calme et confortable. Ils invitent simplement un ami à parler d’un sujet ou guettent une occasion opportune d’utiliser cette méthode au cours d’une conversation. Pour une conversation à propos de Jésus, il peut être préférable de commencer par une approche indirecte, en recherchant un sujet qui touche à des questions spirituelles, comme un événement qui soulève le problème du mal ou un film qui touche à une question philosophique.
Reformuler. Valoriser. Explorer. Qu’est-ce qui fait l’efficacité de cette méthode ? Avant tout, elle se fonde sur l’humilité, une qualité des plus engageantes. On la retrouve chez certaines des figures les plus reconnues : Mère Teresa, Nelson Mandela, Abraham Lincoln et, bien plus important encore, le Christ lui-même.
Cette approche renforce également le climat de sécurité et réduit la propension à nous mettre sur la défensive, car elle valide et respecte l’autre personne sans exiger que vous soyez d’accord avec ses conclusions. Les gens se sentent en sécurité et se détendent lorsqu’ils sentent que vous les respectez profondément, et ils vous font davantage confiance. Cette approche ralentit également la conversation, ce qui rend les deux interlocuteurs moins réactifs.
En outre, elle donne à chacun l’occasion d’apprendre et n’oblige pas à argumenter sur des questions auxquelles nous n’avons pas de réponse. (« C’est un point intéressant. J’aurais encore des choses à apprendre là-dessus. ») Barna a constaté que les chrétiens qui écoutent généreusement de cette manière sont nettement mieux accueillis ; les non-croyants disent qu’ils sont beaucoup plus ouverts à la poursuite de la conversation et à entendre parler de Christ de la part de quelqu’un qui les écoute que de la part de quelqu’un qui les approche à la manière d’un vendeur agressif.
Reformuler, valoriser et explorer nous permet également d’imiter l’approche de l’apôtre Paul en matière d’évangélisation. En Actes 17, face aux Athéniens sur l’Aréopage, Paul commence par montrer à ses interlocuteurs qu’il comprend leurs croyances, puis souligne la valeur de leur religiosité. C’est ensuite qu’il parle de Christ.
Comme l’observe Tim Keller, si les chrétiens se contentent de monologuer et d’argumenter, ils n’arriveront à rien avec les non-croyants. Paul, note-t-il, ne prêche pas dans ce passage des Actes. Au contraire, Paul « entre dans un dialogue… une méthode socratique ». Cela souligne, explique Keller, qu’il faut se placer dans la perspective de l’autre personne et l’écouter avec bienveillance. Ce n’est qu’à partir de là que l’on peut questionner leur point de vue en fonction de leurs propres critères. En d’autres termes, explorer avec eux.
Savoir parler de ce qui importe avec nos adversaires présumés ou nos vrais ennemis peut être transformateur pour eux comme pour nous. Daryl Davis, musicien afro-américain de R&B, a par exemple dialogué avec des dirigeants du Ku Klux Klan. Ce faisant, il a conduit des dizaines d’entre eux à quitter le Klan et à se repentir de leur racisme. Pourtant, il ne leur a jamais demandé de le faire. Il s’est contenté d’avoir avec eux des conversations curieuses et généreuses. La capacité à dépasser les clivages de pensée peut faire de nous des artisans de paix et des agents du changement.
Si vous voulez vous entraîner facilement et en toute sécurité à reformuler, valoriser et explorer, voici deux possibilités :
Regardez sur YouTube une vidéo d’une personne avec laquelle vous n’êtes pas du tout d’accord. Arrêtez la vidéo, mettez en pratique les trois étapes, reprenez la vidéo, puis recommencez. Un ami qui vous observe dans cet exercice pourrait également vous aider.
Ou bien, essayez la méthode avec un ami cette semaine. Choisissez une personne avec laquelle vous êtes généralement d’accord et choisissez un sujet qui vous préoccupe un peu, mais pas passionnément (Salaire minimum ? Meilleur joueur de votre sport favori ?). Invitez votre ami à parler de ce sujet avec vous pendant 15 minutes. Utilisez intentionnellement les trois étapes : reformuler, valoriser, explorer. Voyez l’effet produit, demandez un retour sur la conversation, puis essayez à nouveau la semaine suivante avec quelqu’un d’autre, peut-être en orientant la conversation vers des questions plus délicates, éventuellement spirituelles.
Nous changeons le monde par notre façon d’écouter et de parler. Reformuler, valoriser et explorer peuvent nous aider à être ce changement, à vivre plus pleinement le lundi ce que nous prions le dimanche et à agir davantage comme le Dieu que nous espérons que tous rencontrent. Cette méthode veut nous aider à entamer en douceur et en relative sécurité des conversations qui pourraient un jour conduire une personne au Christ. En outre, elle pourrait nous aider à jeter des ponts par-delà bien des clivages politiques et idéologiques. Que demander de mieux ?
Seth Freeman est professeur de gestion des conflits et de négociation à la NYU Stern School of Business et à l’Université de Columbia et auteur de 15 Tools to Turn the Tide: A Step-By-Step Playbook for Empowered Negotiating. Il a donné des conférences au Forum Veritas, à l’InterVarsity Fellowship et à divers groupes universitaires chrétiens.