Le christianisme occidental subit un déclin culturel et politique. En 1937, aux États-Unis, 70 % des Américains déclaraient appartenir à une église. Ces chiffres sont restés relativement stables pendant la majeure partie du 20e siècle. Mais au cours des 25 dernières années, on estime que 40 millions de mes compatriotes ont cessé d’aller à l’église. Comme le formulait Ernest Hemingway, la banqueroute survient progressivement, puis soudainement.
L’espace public états-unien, autrefois blanc et protestant, se transforme à toute vitesse en un mélange pluraliste de cultures, de religions, d’idéologies et de modes de vie divers. Autrefois dominant et incontesté dans bien des pays, le christianisme y est de plus en plus une vision du monde parmi d’autres.
Comment les évangéliques réagissent-ils au déclin du pouvoir culturel et politique du christianisme ?
Contrairement aux caricatures véhiculées par les médias, les évangéliques ne sont pas monolithiques. Nous réagissons à ce déclin de diverses manières. Les étapes classiques du deuil — déni, colère, marchandage, dépression et acceptation — offrent un outil intéressant pour comprendre la manière dont les évangéliques abordent leur déclin culturel et politique.
On peut rencontrer des évangéliques à tous les stades de ce processus de deuil, mais il est clair que ce schéma ne convient pas à tout le monde. Certains évangéliques ne sont pas du tout en deuil. Ils se réjouiraient plutôt de la perte de pouvoir du christianisme. Certains aux États-Unis vont jusqu’à estimer qu’il serait fondamentalement bon et sain pour les chrétiens d’adopter un moratoire sur l’engagement politique pour le bien à la fois de leur pays et de l’Église.
Si j’ai de la sympathie pour certains de leurs motifs, je me dois d’émettre une objection. Je crois que Dieu appelle les chrétiens à s’engager dans la vie politique. Nous devons rechercher activement la justice et la miséricorde dans l’espace public. Nous devons travailler vigoureusement à l’épanouissement de nos prochains. Pour ce faire, nous devons nous impliquer dans la politique et exercer un certain niveau de pouvoir et d’influence. Plutôt que de se désengager, les chrétiens les mieux lotis n’auraient-ils pas un rôle politique à jouer pour ces prochains qu’ils sont censés protéger, servir et aimer ?
Je crois tout à fait pertinent que les évangéliques déplorent leur perte de pouvoir culturel et politique. Cela dit, comme tout praticien vous le dira, il existe des formes productives et improductives de lamentations. Ceux qui sont dans le deuil ne devraient pas éternellement demeurer dans le déni, la colère, la dépression ou le marchandage. Et leur deuil ne justifie pas qu’ils maltraitent les autres.
Regardons de plus près ces étapes du deuil. La première est le déni. Si certains évangéliques nient encore le déclin du christianisme, leur nombre diminue de jour en jour. Il devient de plus en plus difficile d’ignorer la marginalisation du christianisme dans les médias, les universités, l’économie, les arts et la politique. Je crains de ne pas pouvoir en dire beaucoup plus pour cette étape.
Vient ensuite la colère. La rage évangélique marche très bien à l’écran. Les disputes puériles entre responsables chrétiens attirent beaucoup de clics. Il n’est donc pas surprenant que la majeure partie de l’attention des médias se soit portée sur les crises d’indignation, de victimisation et de lamentation des évangéliques face à l’émergence d’une Amérique postchrétienne.
La troisième étape est celle de la négociation. Un certain nombre d’articles et de livres ont maintenant exploré les façons désastreuses dont des responsables évangéliques sont de plus en plus disposés à pactiser avec le diable pour quelques bribes de pouvoir politique et d’influence.
Les diverses formes de déni, de colère et de marchandage, ainsi qu’une certaine dépression évangélique, ont fait couler beaucoup d’encre. Mais la dernière étape a reçu très peu d’attention. Que pourrait signifier pour les évangéliques américains de passer au stade de l’acceptation ?
Je ne suis pas un observateur neutre sur cette question. Je suis un évangélique qui pense que le christianisme devrait adopter une forme d’acceptation non passive de cette évolution. Soyons clairs : « acceptation » ne veut pas dire « approbation ». Et en parlant de non-passivité, je veux souligner mon soutien fervent à un engagement chrétien ardent dans la vie publique. Accepter la diversité idéologique de mon pays n’est pas synonyme de démission de la vie publique. En tant qu’évangélique, j’ai toujours l’intention de défendre une approche biblique de la justice, de la paix et du développement de notre nation.
Ceci étant précisé, revenons à la question qui nous occupe : comment les évangéliques peuvent-ils progresser dans leur processus de deuil et sortir des différentes étapes de déni, de colère, de marchandage et de dépression ? Pour autant que je puisse en juger, au moins cinq éléments seront nécessaires.
Le premier est un changement en matière théologique. Toute philosophie politique commence par une question assez simple : « Qui tient les choses en main ? » Les universitaires appellent cela la question de la souveraineté. Pour les philosophes politiques chrétiens, la réponse est bien sûr Jésus. En dernier ressort, c’est le Christ seul qui tient le gouvernail, et non les rois, les politiciens ou les idéologies. Il n’y a qu’un seul trône, et il appartient au Christ.
Malheureusement, de nombreux évangéliques souffrent de faiblesse christologique quand ils abordent la politique. Ils semblent imaginer que Jésus se tient à l’écart ou qu’il est trop faible pour la vie publique de notre pays. Il ne serait pas assez fort — pas assez dur — pour reprendre en main la situation. Face à cette faiblesse apparente, certains évangéliques se sont mis à la recherche d’un homme politique fort, capable de faire le travail du Christ à sa place. Après tout, si Jésus ne répond pas à nos attentes, nous avons besoin de quelqu’un qui puisse gérer les choses.
Les évangéliques devraient réapprendre à chanter « Mon auto Jésus la guide ». Trop d’évangéliques américains tentent de s’accrocher à un volant politique qui ne leur appartient pas, qu’ils ne maîtrisent pas, qu’ils ne peuvent pas et qu’ils ne devraient pas contrôler. Si Christ est au volant, cela signifie que les chrétiens ne le sont pas. Nous devons réapprendre à placer notre confiance dans la souveraineté politique de Jésus.
Le deuxième changement est d’ordre tactique. En acceptant leur statut de minorité politique, les évangéliques devront apprendre à travailler avec les autres. Ils devront établir des partenariats tactiques avec d’autres « sous-cultures morales ». Plutôt que de diaboliser les catholiques, les mormons ou les musulmans, les évangéliques devraient apprendre à collaborer sur des objectifs politiques partagés. D’un point de vue tactique, les responsables évangéliques sont trop faibles pour faire cavaliers seuls. Pour réussir, il faut se faire des amis.
J’ai trouvé chez les évangéliques des Pays-Bas un exemple intéressant en la matière. Ils ont été une voix politique minoritaire pendant des décennies. Lors de récentes tentatives visant à réduire la pratique de la prostitution aux Pays-Bas, des évangéliques locaux ont formé un front politique commun avec des groupes féministes de gauche. Malgré leurs profondes divergences idéologiques, ils étaient d’accord sur trois points : les femmes ont une profonde valeur, leur corps ne devrait pas être monnayé et elles doivent être protégées contre les effets destructeurs du marché du sexe.
Ces responsables évangéliques néerlandais n’ont pas renoncé à leurs principes chrétiens pour effectuer cette jonction politique. Et, surtout, les évangéliques n’ont pas attaqué ces responsables pour leur collaboration avec des féministes de gauche. Ces frères et sœurs chrétiens ont accepté le fait que s’ils souhaitent contribuer à plus de justice aux Pays-Bas, ils doivent s’associer à d’autres groupes.
Le troisième changement concerne la posture. Certains évangéliques se comportent comme des martyrs, recroquevillés sur eux-mêmes, en état de dépression face à leur perte de pouvoir. D’autres s’accrochent désespérément au peu de pouvoir qu’ils peuvent saisir avant qu’il ne leur échappe. Ceux qui sont en colère adoptent une posture de combat : tête baissée, poings levés. Certains négocient et se prosternent devant des politiciens qui leur promettent en retour des miettes politiques. Aucune de ces postures ne nous servira réellement.
Comme un joueur de basket qui ne pourrait que dribbler vers la droite, les électeurs évangéliques sont devenus prévisibles. D’un point de vue politique, cela les rend faciles à manipuler, à cataloguer, à utiliser et à ignorer — le rêve de bien des politiciens ! Qu’ils se retranchent, s’inclinent ou se battent, les évangéliques adoptent la mauvaise posture pour s’adapter et répondre à un paysage politique dynamique et pluraliste.
L’une des premières leçons qu’apprend un joueur de basket-ball est la force de la position de la triple menace. En se plaçant un pied légèrement devant l’autre et en maintenant le ballon devant la poitrine, face au panier, le joueur peut instantanément passer, tirer ou dribbler. Le défenseur ne connait pas son plan d’action, ce qui lui laisse plus de possibilités. La position de la triple menace permet au joueur de faire preuve de créativité, d’imagination et d’habileté pour improviser, s’adapter et gagner.
Les évangéliques ont besoin d’adopter une nouvelle posture qui leur permette tout à la fois de collaborer et de contester, de lutter et de pardonner, de persuader et d’écouter. Notre jeu a désespérément besoin de nouveaux mouvements.
Cette nécessité nous amène au quatrième changement. L’avenir de l’engagement politique évangélique nécessitera un profond renouvellement de l’imagination évangélique. Tout artiste vous dira que la créativité et l’inspiration peuvent être difficiles à trouver. Toutes deux peuvent être des compagnes inconstantes, présentes un jour et disparues le lendemain. Il n’y a pas de processus en trois étapes pour « devenir politiquement imaginatif ». Mais il existe quelques pratiques qui pourraient certainement aider.
Les évangéliques ont besoin de passer d’une vie de consommation politique à une vie de créativité culturelle. Au lieu de nous abreuver constamment de venin politique via la télévision, la radio et les réseaux sociaux, nous devrions plutôt nous concentrer — pour le dire franchement — sur le fait de devenir des êtres humains plus intéressants. Cela semblera peut-être une étrange prescription politique, mais les évangéliques devraient organiser plus de repas, suivre plus de cours de poésie, se mettre à travailler le bois et créer des clubs de lecture ou des ligues de bowling. Nous devrions servir les familles de réfugiés ou étudier une nouvelle langue, apprendre à cuisiner ou organiser un pique-nique de quartier.
La consommation aveugle de rage politique ne produira jamais un témoignage politique évangélique marqué par la créativité, l’imagination ou la sagesse. Une vie remplie de jeux, de beauté, d’apprentissage et d’amour constituera au contraire un terreau propice pour une culture politique beaucoup plus saine.
S’extraire du brouhaha du cycle permanent des informations et investir ses mains et son cœur dans des pratiques vivifiantes peut avoir un impact considérable sur le positionnement et les pratiques politiques d’une personne. La main de fer de l’indignation politique, de la dépression et de l’amertume doit être brisée. La vie incarnée est ce qui nous permettra de naviguer avec une imagination renouvelée et ouverte dans un monde polarisé et marqué par de profondes divisions.
Le dernier changement auquel j’aspire pour le mouvement évangélique nous ramène au cœur de l’Évangile : « alors que nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous. » (Rm 5.8) Le centre de la politique évangélique doit être la Bonne Nouvelle.
Si tel est le cas, notre politique devrait être marquée par la gratitude, et non par le deuil. Le mouvement évangélique mondial, indépendamment de la culture ou du contexte, a toujours considéré l’Évangile comme central. La vie évangélique commence par une expérience de la grâce et de la gratitude, et non par la peur, la colère ou le ressentiment. Cette expérience personnelle de la grâce en Christ a des conséquences pour la vie publique des évangéliques qui prétendent le suivre. L’hospitalité que nous avons vécue en Christ, nous devons à notre tour l’offrir au monde qui nous observe.
Les sociétés occidentales se font de plus en plus pluralistes. Diverses religions, idéologies et modes de vie s’y côtoient. Comment les évangéliques doivent-ils répondre politiquement à cette diversité ? Quand devons-nous écouter et apprendre ? Quand devons-nous nous lever et nous engager ? Quand collaborons-nous ? Quand contestons-nous ?
Les environnements politiques dynamiques appellent des postures et des pratiques politiques dynamiques. De ce côté-ci de l’éternité, les lignes ne sont pas toujours claires. Cela ne devrait toutefois pas nous inquiéter tant que nous restons clairs sur ce qui est au centre.
Matthew Kaemingk est professeur associé de foi et de vie publique Richard John Mouw au Fuller Theological Seminary. Il propose un podcast sur la foi et la politique intitulé Zealots at the Gate. Il a récemment publié Reformed Public Theology et Work and Worship.