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Comment lire la Bible en couleur ?

Pourquoi un groupe multiethnique d’éditeurs a commencé à travailler sur un nouveau commentaire du Nouveau Testament.

Christianity Today September 12, 2024
Illustration by Mallory Rentsch Tlapek / Source Images: Getty / Unsplash

Assis dans un café, une pile de livres encombrant la petite table devant moi, je ressassais des idées sombres sur le manque d’attention des milieux académiques à l’égard de l’Église noire et de l’interprétation des Écritures des responsables et spécialistes afro-américains. Mon temps passé dans l’enseignement supérieur religieux avait démontré de bien des manières sa croyance que la tradition qui m’avait formé n’avait pas grand-chose à dire au reste du monde.

Les idées et les tendances qui s’imposent naissent en Europe ou chez les Blancs d’Amérique du Nord. Les chrétiens noirs, l’histoire le montre, ont eux souvent été vus comme théologiquement simplistes, voire dangereux. Mais je souhaitais ardemment que les gens connaissent cette tradition telle que je l’avais vécue : vivifiante, spirituellement robuste et intellectuellement stimulante. Nous avions lutté avec Dieu et trouvé notre chemin vers la foi dans un contexte de racisme anti Noirs souvent entretenu par d’autres chrétiens. Je voulais faire connaître cette histoire, ainsi que le fruit de notre travail. Et c’est toujours mon désir.

Tout en sirotant mon café, une idée m’a soudain frappé. Cette idée fut le point de départ de The New Testament in Color: A Multiethnic Commentary on the New Testament (« Le Nouveau Testament en couleur : un commentaire multiethnique du Nouveau Testament »). Je m’étais toujours plaint du manque de reconnaissance des universitaires blancs envers les voix afro-américaines. Mais, en fait, je ne savais pas grand-chose non plus des interprétations bibliques de mes compatriotes d’origine asiatique, ni de leurs développements théologiques et historiques, et des dons qui en découlent pour le corps du Christ. Il en allait de même pour les interprétations latino-américaines et des approches de lecture de la Bible des Premières Nations et des peuples autochtones.

D’une certaine manière, j’étais hypocrite. Je voulais que les gens s’intéressent aux contributions de ma communauté, sans m’investir de la même manière pour les autres. Il me fallait passer moins de temps à me plaindre et plus de temps à écouter. Cette prise de conscience fut donc le point de départ de ce projet de commentaire, avec l’espoir de nous retrouver, par-delà nos différences ethniques, et de créer ensemble quelque chose de beau.

Je voulais savoir quel fruit pourrait émerger de la production commune d’un commentaire par les divers groupes ethniques présents en Amérique du Nord. J’avais soif d’apprendre de mes frères et sœurs en Christ au-delà du mode binaire Noir-Blanc qui façonnait mon univers dans le Sud des États-Unis.

Il était naturel que j’exprime des doléances envers le pouvoir académique en place. En 2019, la Société de littérature biblique, le plus vaste regroupement de spécialistes de la Bible, a réalisé une étude sur ses membres. Il s’est avéré que 86 % (2 732 sur 3 159) de ceux qui se décrivaient comme professeurs de collège ou d’université, étaient d’origine européenne ou caucasienne.

Compte tenu de la démographie des États-Unis (et du reste du monde), il est plus que juste de dire que les études bibliques sont dominées de manière disproportionnée par les Blancs ou les Européens. Si Dieu donne son Esprit à chacun et équipe tout le corps du Christ pour lire et interpréter la Bible, il est tragique que tout le corps du Christ ne soit pas engagé dans le processus de lecture, d’interprétation et d’application de ces textes. Aucune partie du corps n’a le droit de parler au nom de tous. Nous avons besoin les uns des autres.

Certains se demandent toujours si le manque de diversité ethnique est important. L’interprétation biblique ne consiste-t-elle pas simplement à traduire des mots et à relier entre elles les idées formant des phrases, des paragraphes, des récits ou des lettres ? C’est ce que l’on m’a toujours dit : pour être de bons interprètes, il suffit d’une bonne compréhension du contexte historique ainsi que d’une expertise grammaticale, textuelle et linguistique.

Je ne veux négliger aucune de ces compétences importantes et vitales et les auteurs de The New Testament in Color ont travaillé dur pour acquérir ces outils scientifiques. Les textes bibliques sont la Parole que Dieu adresse à son peuple et nous devons faire de notre mieux pour les lire correctement et attentivement.

Mais pour ce faire, il est justement essentiel qu’une diversité de voix soit présente dans le processus d’interprétation biblique. En effet, nous abordons toujours le texte en tant que nous-mêmes, c’est-à-dire en tant qu’êtres humains avec leurs expériences, leurs préjugés, leurs dons et leur passif. Nous ne sommes pas des esprits désincarnés sans histoire ni culture. Nous ne sommes pas des machines exégétiques ; nous sommes des personnes qui interprètent.

Tous, nous venons de quelque part. Et ce quelque part a laissé son empreinte, que nous le reconnaissions ou non. Lorsqu’une culture domine le discours, nous nous fermons à ce que l’Esprit Saint dit dans d’autres cultures. Chaque approche contextuelle de la Parole de Dieu, enracinée dans la confiance en celle-ci, est un don d’une tradition particulière à l’ensemble de l’Église. Elle nous donne l’assurance qu’aucune de nos expériences n’est perdue, que tout ce que nous sommes est utile à Dieu.

Nous ne sommes pas appelés à mettre de côté notre culture dans le processus de lecture de la Bible. Comme notre ethnicité, elle a son origines en Dieu (Ep 3.14-15). Chaque culture et chaque ethnie, développée par des êtres humains créés à l’image de Dieu, est marquée à la fois par son origine divine (Gn 1.28) et par la rupture avec Dieu (Gn 3).

Il n’y a pas de culture parfaite. Dans la rencontre avec le Dieu vivant, chaque culture et chaque peuple est interpellé est appelé à devenir une meilleur version de lui-même. Nos cultures sont sans paix jusqu’à ce qu’elles trouvent la paix dans leur Créateur. Aucune ne reste inchangée au contact des Écritures. La parole que Dieu adresse aux humains et à leurs cultures est toujours oui et non. Il nous offre le pardon pour ce qui a raté et encourage nos combats pour ce qui est bon, vrai et beau.

Une interprétation biblique consciente de notre situation sociale rend compte de l’œuvre de l’Esprit à travers l’étude de la Bible dans les différents milieux culturels et ethnies du monde. Malheureusement, on a trop souvent confondu sanctification de la culture et occidentalisation de la culture, ce qui a causé d’énormes dommages à l’Église. L’œuvre transfiguratrice de Dieu ne s’accomplit pas avec l’Occident comme référence. Les sociétés ne deviennent pas plus saintes à mesure qu’elles ressemblent davantage à l’Europe, mais à mesure qu’elles se rapprochent de Dieu.

Ce cheminement auquel chaque culture est appelée pour trouver son identité à la lumière de la Parole de Dieu est non seulement bon pour elle, mais aussi pour l’ensemble du corps du Christ. En nous écoutant les uns les autres, nous sommes notamment amenés à découvrir comment notre propre culture a parfois entravé une juste lecture de certains textes.

En raison des diverses manières dont les Écritures ont été utilisées pour justifier des choses indéfendables telles que la colonisation, l’esclavage et le mépris avéré pour les cultures non occidentales, de nombreuses interprétations bibliques contextuelles se sont enracinées dans une herméneutique du soupçon dans le but de résister à ces maux.

Mais, s’il est juste de s’opposer à l’utilisation abusive des Écritures pour justifier le mal, nous pensons également que toute approche du texte doit se faire dans une herméneutique de la confiance. Le Dieu qui s’y adresse à nous est un ami, et non un ennemi. Nous voulons honorer le fait que les traditions ecclésiales dont nous sommes issus ont vécu leur libération et leur transformation spirituelle avec ces textes, et non contre eux. Certains y voient de la naïveté. Pour moi, il s’agit d’une sagesse durement acquise.

Les Écritures constituent notre guide à tous pour la foi et la vie chrétiennes. Évoquer le concile de Nicée, par exemple, ne signifie pas privilégier la culture occidentale pour définir le christianisme mondial. Il s’agit d’affirmer que Dieu était à l’œuvre parmi ces chrétiens du passé pour nous dire des choses qui sont vraies et bonnes. Nous espérons que, de même, dans les générations à venir, malgré nos compromis et nos échecs, les chrétiens pourront encore apprécier notre contribution théologique, même si aucune tradition n’est irréprochable.  

Nous ne voulons donc pas que nos différentes cultures dominent les textes. Nous voulons que – grâce à l’interaction entre nous, le texte, l’histoire et la culture – les vérités qui étaient invisibles pour certains se révèlent avec plus d’éclat. D’un chœur émane une beauté que les solistes ne peuvent atteindre.

En fin de compte, les fruits de notre travail seront visibles dans la manière dont nous aurons aidé les croyants, les responsables d’études bibliques et les étudiants à mieux lire le texte. Comme tout groupe d’auteurs engagés à servir le corps du Christ, nous accueillerons volontiers les réactions des lecteurs de bonne foi. Notre objectif n’est pas de remplacer une forme d’hégémonie par une autre, ni de clore la conversation autour de la lecture culturelle des textes. Nous voulons encourager une recherche commune de la pensée de Christ et de ses desseins pour son peuple.

Cela dit, nous avons bon espoir que nos écrits feront ce que visent tous les bons commentaires : renvoyer le lecteur au texte avec de nouvelles questions, des réponses et un sentiment d’émerveillement face à cette antique parole qui se renouvelle sans cesse, nous questionne et nous inspire pour suivre toujours plus fidèlement notre Roi et Seigneur.

Extrait de The New Testament in Color, sous la direction d’Esau McCaulley, Janette H. Ok, Osvaldo Padilla, et Amy Peeler. Copyright (c) 2024 par Esau McCaulley, Amy L. Peeler, Janette H. Ok, et Osvaldo Padilla. Traduit et publié avec la permission de InterVarsity Press. www.ivpress.com

Esau McCaulley est l’auteur de How Far to the Promised Land: One Black Family’s Story of Hope and Survival in the American South et du livre pour enfants Andy Johnson and the March for Justice. Il est professeur associé de Nouveau Testament et de théologie publique au Wheaton College.

Traduit par Anne Haumont

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